Oui nous avions clairement commencés à flirter, et ce n’était pas pour le plus grand malheur de nos oreilles, bien au contraire. Parfois, un peu de piment ne gâchait pas le plat, bien au contraire il le relevait volontiers. Je soutins le regard de la princesse de Russie avec un demi sourire entendu, même si sa réponse fut digne de la bienséance à laquelle nous devions nous plier : « Encore un peu de patience, je suis sûre que notre présence ici peut encore valoir la peine. » Il n’en faisait aucun doute. Les évènements étaient tels que même moi je parvenais à ne pas m’ennuyer. Néanmoins je lui accordai un baisemain tendre et discret, en apparence respectueux, mais sournoisement tendancieux. Être en couple officiellement pouvait parfois avoir du bon, comme la permission de laisser la jeune femme parler librement plutôt que de s’en tenir à des banalités polies. Nous étions trop francs et directs pour ça.

« Ils n'ont pas l'air de couper les têtes pour manque de réactivité. » - « Je l’espère bien. Mais quand la responsabilité en incombe à ceux-là même qui créent le désordre, ce n’est pas toujours l’objectivité qui l’emporte. » J’avais tendance à vite m’emporter quand il s’agissait de justice ou de droiture, aussi préférai-je ne pas trop m’attarder où j’allais miner le moral de ma douce et aussi le reste de la soirée. Florian avait l’air satisfait de sa prestation, je ne souhaitais pas gâcher cela avec un sarcasme bien placé ou une hypocrisie à peine dissimulée. Quand je mentais, je me sentais bien trop mesquin pour accorder cet étrange jeu à notre hôte. Ce soir n’était pas celui où je me prendrais la tête en manipulations et autre jeux d’esprit. L’idée était plutôt légère et les mœurs aussi, autant vider cette dernière coupe de vin pétillant avant de nous voir extrait de la salle de bal.

« Vous êtes un prince hors du commun. Je ne sais pas si j'oserais chanter en public dans ces circonstances. Vous chantez plutôt juste en plus mais c'était surprenant et vos invités ne s'en sont pas encore remis, je crois. » Elle s’adressait au prince avec tant de diplomatie et de distinction que je manquai de ne pas dissimuler mon air surpris. Je le cachais pourtant suffisamment pour ne pas être remarqué, mais elle ne fit qu’amplifier mon envie de rire de la situation. Décidément, entre elle et moi s’élevait tout un attribut génétique pour la royauté ; j’apprenais les protocoles quand elle les vivait, la nuance était tout aussi subtile qu’importante. Anastasia avait le goût pour apaiser les conflits et s’octroyer toujours de très bons retours de la part de ses hôtes. Je crains de ne pas être aussi magnanime qu’elle ; Anya penchait fortement dans la balance dans ces moments-là. Le prince s’absenta, elle en profita pour me glisser une boutade sur laquelle je rebondis. « Je devrais l’inviter dans notre lit pour après. Je n’ai jamais expérimenté les interactions à plusieurs, surtout avec une personne d’un rang si supérieur au mien. » Elle cherchait, elle trouvait. Petite mutine.

Nous nous retrouvâmes dans le jardin, le souffle court, pendus aux lèvres du prince Florian pour comprendre un peu ce qui justifiait cette course jusqu’à l’extérieur. « Si vous voulez vraiment le savoir...Je suis allé voir mon père qui était accompagné d'une duchesse. Après que mon père m'ait passé un savon, je fis une révérence poli à la dame. Le problème, c’est que j'avais mon verre à la main et les glaçons, ça glisse...Le glaçon est tombé dans son décolleté. » - « … Pardon ? » Fis-je incrédule, ne parvenant pas à retenir l’éclat de rire qui suivi cette révélation. Comment avais-je pu manquer ça ? Ce n’était pas possible. Soit ce prince se moquait de nous, soit il était vraiment pris d’une malédiction maladroite. Je ne voyais pas d’autres explications à toutes ses frasques de la soirée. Je cherchai Anya du regard, essayant de m’arrêter de rire en me cachant derrière l’une de mes mains. Un peu de décence et de contenance, que diable ! Mais c’était si drôle que j’avais vraiment du mal à ne pas rire de lui.

Et je n’eus pas le temps de m’en remettre qu’il recommença ! Comment faisait-il pour être encore en vie à l’heure actuelle, si tout ceci ne se déroulait qu’en quelques heures, que se passait-il le reste de sa vie ? Je n’en savais rien et ne voulait pas vraiment savoir pour le coup. Florian Charming était le prince le plus malchanceux que j’ai été donné de rencontrer. Je l’aidai tout de même à se relever en cessant de rire une bonne fois pour toute. « Vous pourriez m'aidez s'il vous plaît ? » Les épines n’avaient rien de très agréables visiblement. « … Pourquoi avoir voulu défaire ce rosier ? » Demandai-je. « Il ne gênait personne dans les jardins… » J’étais curieux et intrigué. Attendant surtout de savoir quelle réponse il allait encore nous fournir. Je savais qu’elle n’allait pas me décevoir le moins du monde.

« Bon d'accord. J'avoue. C'est amusant. Et puis, il vaut mieux en rire qu'en pleurer...Mais, je ne préfère pas dire ça à mon père. Il pourrait mal le prendre. » J’écoutai les paroles du prince, l’aidant au passage à se débarrasser des nombreuses épines et branches qui s’étaient prises dans ses vêtements et ses cheveux. Décidément, pourvu que personne d’autre ne le voie dans un tel accoutrement dans sa cour, les rumeurs iraient bon train… Si elles n’étaient pas déjà en train de se faufiler dans toutes les bouches à cause des très nombreuses frasques de l’hôte principal. C’était une soirée à laisser ancrée dans les mémoires, sans aucun doute ; pour ses rires, ses surprises, mais aussi les blessures que le prince s’était fait : les mains, désormais les épines… il n’y avait pas toujours de fins heureuses aux coups du destin, et il en était la preuve vivante. Les blagues aussi peuvent très mal tourner. Un dieu semblait en tout cas prendre un malin plaisir à le tourner en ridicule et ne lui offrir aucun répit. « S’il prend mal le fait d’y avoir un rosier dans ses jardins… Que dirait-il du glaçon dans le décolleté de la duchesse. » Répondis-je, ne pouvant m’empêcher de sourire narquoisement à l’évocation de cette énième maladresse.

« Vous devriez peut être vous coucher. Ce soir n'est pas vôtre soir mais demain ira surement mieux. » Proposa Anya, ce a quoi je hochai vivement la tête pour appuyer ses propos. Demain serait un autre jour qu’on ne pouvait lui souhaiter que meilleur. Même si croyais bien trop peu à ce genre de dicton qui voulait trop en dire sans jamais en faire assez. Cependant, c’est sûr que dans sa chambre il risquerait sans doute moins d’attirer l’attention. Je l’espérais pour lui en tout cas. « Allez vous reposer, vos invités n’auront qu’à se contenter du spectacle que vous leur avez déjà fournis. » Complétai-je alors pour essayer de le pousser à se retirer de la soirée avant de réellement y passer. Mais le prince en décida autrement, comme d’ordinaire. Décidément ces têtes couronnées avaient toutes un certain problème avec la logique et la notion de sécurité personnelle. Personne ne leur faisait ce genre de cours au milieu de toutes leurs leçons de bienséance ? Sérieux.

Et au lieu de se diriger bien sagement vers le château, il voulut nous entraîner dans la direction opposée. Devant son signe, j’échangeais un regard avec Anastasia comme pour attendre son approbation. Nous pouvions très bien retourner à l’intérieur et le laisser partir seul dans son délire… ou bien décider de l’accompagner. Et vu sa capacité à se blesser, il valait peut-être mieux surveiller ça de près. Sait-on jamais qu’il y passe et que l’on doive inspecter son cadavre pour… Oui j’avais déjà mon statut de journaliste en section criminelle qui reprenait le dessus. Je chassai cette idée mais décidai avec elle de finalement prendre la même route que Florian : entre des grandes haies épaisses, nous nous engouffrèrent sur des chemins sinueux et relativement minces, qui plus on avançait plus ils semblaient se resserrer. Je déglutis. J’avais horreur de me sentir emprisonné, j’étais légèèèèrement claustrophobe sur les bords et je sentais déjà ma tension augmenter au rythme de nos pas. Où étions-nous cette fois ?

« Encore désolé de devoir vous faire courir. J'ai entendu quelqu'un descendre les escaliers, si ça avait été un garde, ça aurait pu mal finir. » Ah d’accord… Mais en quoi ça nous concernait, nous ? Mais alors quand il ajouta « Et, en plus, je crois que je nous ais perdus dans ce labyrinthe... » Je le fusillai du regard en sentant mes poings se resserrer. Comment ça, perdu ? Dans un labyrinthe ? En pleine nuit ? Mais il était malade ce prince ! Faites quelque chose, je ne sais pas, appelez l’asile ou ce genre de trucs pour lui mettre une bonne tape à l’arrière du crâne et lui faire reprendre ses esprits ! Se perdre là-dedans en pleine nuit. Si on m’avait annoncé ce que c’était, jamais je ne l’aurais suivi. Déjà ma respiration commençait à s’accélérer alors que j’essayais tant bien que mal de rester calme. Les endroits clos me rendaient nerveux et passablement impulsif. Pour le moment je serrais les dents, mais je n’allais pas tarder à lui exprimer le fond de ma pensée s’il ne se dépêchait pas de retrouver la sortie.

« Même si ce soir est particulièrement...bizarre, j'ai l'habitude de faire quelques bêtises plusieurs fois par semaine. » Je ne l’avais écouté que d’une oreille distraite, mais les mots qu’il prononça à la fin de ses paroles firent mouche. Sans retenue aucune, à cause de mon anxiété naissante, je lui rétorquai un « Mais qu’est-ce qu’on s’en fout des rosiers au final ! Et des bêtises, pour sûr vous en faites pas mal ce soir. Une vraie flopée. Alors si celle de nous perdre dans ce labyrinthe pouvait ne pas être sur la liste, ça m’arrangerais franchement. Où devons-nous aller pour sortir ? » Mon ton avait été plus sec que ce que j’espérais. Je n’étais pas dans mon assiette du tout et je craignais pour la suite. S’il ne nous faisait pas vite retrouver le reste des jardins, je sentais qu’il allait se prendre une sacrée droite dans la figure sans détours.

Les labyrinthes n’avaient absolument rien de plaisant ou d’amusants. Le dernier qu’il m’avait été donné de parcourir avait failli me coûter la vie en défendant Anastasia des griffes de Raspoutine, et je me rappelle encore très bien de ces moments de frayeur où toute votre vie défile devant vos yeux. Cette aversion, couplée à mon côté particulièrement claustrophobe et éprit de liberté, n’engageait en rien une issue favorable au reste de la soirée si cela continuait comme ça. Si nous avions bien rit précédemment, le prince c’était engagé sur un terrain qui ne semblait convenir ni à moi ni à ma chère princesse, et je commençais à clairement perdre patience entre les hautes haies d’épineux. Je serrais la main de la jeune femme dans la mienne, peut-être un peu plus fort que ce que je laissais transparaître. Elle me pressa le bras pour essayer de me détendre un peu face à mon emportement, et j’avais clairement du mal à garder mon calme quand tout mon être hurlait qu’il voulait sortir de là. Mon cœur s’accélérait. Ma perte de patience aussi. Heureusement qu’elle était là pour essayer de le ménager, ce n’était pas mon cas et ça ne risquait pas de l’être de sitôt.

« Essayez de vous rappeler calmement. Vous êtes déjà rentré dans ce labyrinthe, vous le connaissez mieux que nous. Moi je peux simplement dire qu'il faut commencer par faire un tour sur nous-même à 180 degrés pour faire le chemin inverse. » Elle avait de ces manières de tourner les phrases pour les faire paraître tellement polies et délicates… J’admirais presque sa capacité à rester stoïque et polie. Je n’avais rien d’une tête couronnée, elle me le montrait encore aujourd’hui. Lorsque mon sang se mettait à bouillir, j’avais de grosses difficultés à le contenir et je pouvais partir au quart de tour. Aloysius en avait déjà fait l’amère expérience. Incontrôlable, je me perdais moi-même dans la tempête qui emplissait mon être et retrouver la raison semblait une mission impossible. Mais Anya était là. Et si elle restait là, tout irait pour le mieux, non ?

Mais au lieu d’essayer de se concentrer et d’agir intelligemment, le prince nous gratifia d’une nouvelle de ses frasques qui en mit au moins plein la vue. Faire prendre feu à une haie, mais était-il malade ? Nous étions au cœur même de ce labyrinthe, et lui ne trouvait pas de meilleure idée que d’y foutre le feu ! Les vapeurs toxiques allaient nous tuer bien avant que quiconque n’arrive, c’était une évidence même pour le dernier des idiots. Je me tournais face au prince, passant un bras devant Anastasia pour la faire reculer derrière moi. J’étais prêt à fuir à toutes jambes pour le coup, effaré de tant de manières. Et pour compléter le tableau, voilà qu’il mettait le feu à sa propre manche par sa maladresse ! Il se mit à courir comme un dératé – tout le contraire de ce qu’il fallait faire – et je craignis presque qu’il se mette à se transformer en torche humaine. A nouveau je protégeai Anya de mon bras et de mon corps au cas où il la toucherait par mégarde. Hors de question que ce type ne l’approche une seule seconde de plus !

Heureusement pour lui, sa manche devait être en tissu ignifugé et cessa bien rapidement de brûler. Il n’avait pas l’air d’avoir eu la peau atteinte, c’était déjà ça. Mais nous n’étions toujours pas sortis du labyrinthe… espérons que les flammes qu’il avait provoqué attireraient les regards et que tous ses cris indiqueraient leurs positions. Sous réserve que des gardes ou des gens ne regardent vers le labyrinthe alors que la fête battait son plein à l’intérieur. « J'ai eu beau essayé, je n'arrive pas à me souvenir. Je suis vraiment désolé. Peut-être en criant à l'aide...Enfin, si vous avez une meilleure idée je prends. » Je le fixai, interdit. C’était tout ce qu’il avait à nous proposer. « J’ai une meilleure idée. » Sifflai-je, alors que je m’avançai d’un pas et lui aplatissais mon poing en plein dans la mandibule inférieure. J’avais mis une grande partie de la force dont j’étais capable, et je le vis clairement chanceler sous le coup avant de tomber à genou sur le sol devant nous.

Secouant mon poing et mes doigts, c’est que ça faisait mal de vouloir briser une mâchoire, je reculai ensuite de quelques pas pour m’écarter de cet individu. « Ca me démangeais fortement. » Et pas qu’un peu ! Alors que je reportai mon regard sur Anya. « Si je ne me trompe pas, il faut qu’on prenne deux fois à droite puis une à gauche et continuer pour pouvoir sortir… » Déclarai-je, essayant de refaire dans mon esprit le chemin inverse de celui que nous avions pris. M’approchant d’elle, je la saisis par la main pour l’éloigner du prince. « Sortons d’ici et partons, je vous en pries. Je commence à ne vraiment plus apprécier cette soirée. » J’en étais en partie fautif, je le reconnaissais. Mais j’étais prêt à en découdre si le prince essayait de m’attaquer ; il allait avoir des surprises. Les meurtres n’avaient plus de secrets pour moi, ni le corps à corps.