HJ : Oh oui, fait la pompette ^^ !


« Dommage qu'elle se soit téléporté dans le royaume de Domino sinon tu aurais pu essayer de conclure. Au lieu de ça il te reste simplement une russe rousse sans pouvoir magique. » Domino ? Qu’est-ce que c’était encore que ça ? Je ne connaissais des dominos que le bête jeu populaire qu’on apprend aux enfants pour les occuper dans les trains. Quelqu’un avait-il réellement nommé un pays entier comme les petits rectangles d’argile ? En même temps, Anya venait de me parler de fée. La reine de ce royaume devait avoir quoi… douze ans ? Pour nommer un royaume Domino, l’en fallait guère plus. Oui, je cherchais une explication logique à ce qui ne l’était pas. Mais cela me rassurait.

J’esquissai un sourire à son attention. « Je me contenterais de la russe rousse et sans pouvoir alors, vu que la fille intéressante est partie. » Moquerie, à nouveau. Mais n’avions-nous pas une relation basée sur les petites piques quotidiennes alternées avec des passages tendres ? Certes nous pouvions paraître mordants au premier abord, mais il fallait bien garder un peu d’épices dans la sauce. Sinon tout devenait bien trop doux et sucré, et j’avais horreur de ce qui était sucré. « Alors ? Où est-elle, cette russe rousse ? » Dimitri, ne pousse quand même pas le bouchon trop loin ! Je jetai pourtant des regards autour de nous, avant de me focaliser sur son visage. « Ah, mais tu parlais de toi ? » A deux doigts de me mettre à rire. Et a rire à mon tour, plus respectueusement, quand elle me traita de serveur.

« Et bien, comme le serveur n'arrive toujours pas, je vais aller vous les cherchez ces verres ! » Fit le prince à ma droite, sans doute un peu gêné de mon retour. En même temps, je pouvais faire d’avantage d’efforts et m’intéresser à lui plutôt que de me focaliser sur la joute verbale que nous avions avec ma fiancée. Le voyant partir, j’avisai en sens contraire un serveur qui se dirigeait vers nous, avec les deux coupes commandées. « Euh… Prince ? Je crains que vous ne… » Partiez pour rien. Mais je n’eus pas le temps de finir. L’héritier du royaume avait visiblement encore décidé de faire des siennes – malgré lui – et c’était retourné juste à ce moment-là. Ignorant alors la direction qu’il prenait, nous le vîmes percuter la grande pyramide de coupes et de verres qui trônait magnifiquement sur une table au milieu de la salle.

Même à distance respectueuse des danseurs, il était évident qu’elle n’avait pas trouvée exactement sa place dans la pièce. En revanche, le dénommé Florian y avait trouvé sa voie en s’effondrant avec elle dans un geste maladroit et malheureux. Je le regardai en prenant mon verre, partagé entre l’ahurissement et l’envie de sarcasme. Cet homme ne faisait-il réellement pas attention à ce qu’il faisait, ou bien attirait-il volontairement l’attention sur lui-même ? Je ne saurais le dire. Je ne savais même pas quoi en penser. Décidément ! Je comprenais volontiers le rire d’Anya et sa bonne humeur. « Il est comme ça depuis le début de la soirée ? » Lui demandai-je, en lui tendant sa propre coupe de vin pétillant. Côté burlesque, ce royaume savait effectivement recevoir ses invités.

Le prince disparu quelques minutes de la pièce, sous les rumeurs et les murmures du reste de sa cour. Qu’est-ce que j’abhorrais les messes basses de ce genre, une véritable hypocrisie collective qui me donnait envie de vomir. Les cours royales n’étaient pourtant constituées que de gens intéressés, et malheureusement pas aussi intéressants que ce qu’ils voulaient bien faire croire. J’étais peut-être un peu trop terre à terre ou cynique, mais en même temps je ne venais pas du tout du même milieu social. Quand on a connu l’envers du décor, on s’attache beaucoup moins aux jolies parures ou aux belles toilettes présentées par ces dames. « Ah le revoilà ! » Ne pus-je retenir, en avisant le retour de Florian.

« Et bien, je suis vraiment maladroit ce soir ! » J’évitais de justesse un incident diplomatique en ne lui rétorquant pas directement le fond de ma pensée, me contentant d’étouffer un rire derrière une forgée délicieuse. Finissant tout de même par céder à une pulsion un peu moindre, le sourire aux lèvres : « J’espère que vous n’êtes pas victime d’un mauvais sort. Tant de maladresse, avez-vous vexé quelqu’un récemment ? » Après tout, Anya avait bien été poursuivie toute sa vie par un sorcier squelettique et psychopathe. Pourquoi pas lui ? Même si celui qui tirait les ficelles – s’il existait – devait être bien toqué.

« Oui, je parlais de moi. De mémoire je suis la seule Russe de la soirée. Peut-être que tout mon pognon t'aidera à retrouver la vue. » Oh la méchante ! Elle était hautaine et arrogante à souhait, et ça ne lui allait terriblement pas. Ca me donnait même d’avantage envie de rire qu’autre chose, et c’est ce que je fis. La voilà à jurer comme un charretier, on aura tout vu ce soir ! Mais au moins cette « banale » soirée de bal devenait complètement loufoque et vraisemblablement inoubliable. C’était presque étonnant que l’historique du royaume ne semble pas en compter de semblables dans ses annales – le prince était pourtant là depuis sa naissance, non ? En tout cas, le jour où il serait sur le trône promettait d’être mémorable. Ferait-il tomber son sceptre et sa couronne en se prenant les pieds dans sa longue cape bordée d’hermine ? « Ca m’aiderait. Montre-moi donc la couleur de ton argent, princesse ? J’accepte le paiement en nature, bien entendu. » Lui lançai-je en répartie, ponctué d’un regard entendu.

Nous assistâmes malgré nous au drame, l’énième bourde monumentale du prince, et je ne sus pas non plus quoi en déduire. Enfin si, seule l’idée de la malédiction me venait à l’esprit, puisqu’il ne semblait pas encore suffisamment alcoolisé pour ne pas rester maître de ses propres actes. J’observai parfois Anya, comme à la recherche d’une éventuelle explication inscrite sur son front… Mais il fallait croire que rien ne venait. Hormis le prince qui nous rejoignit rapidement une fois ses plaies nettoyées et pansées.

« Je ne sais pas. Je ne vois personne qui me veut du mal. Peut-être Bloom, mais mes bêtises avaient commencés avant que je l’offense alors... Mes mains ? Oui, ça ira. J'ai déjà fait pire je pense... » Bloom… Bloom, qui Bloom ? Peut-être la fée dont me parlait précédemment Anya ? C’était une histoire à perdre le fil et le sens normal des aiguilles d’une montre. Mais je lui souhaitais sincèrement de ne pas être victime d’un sort comme l’avais été ma chère petite orpheline, nous avions manqué de mourir plusieurs fois et dans des circonstances aussi atroces que pénibles. Je préférai chasser ces souvenirs pour me reconcentrer sur la soirée. « Je vous souhaite de faire d’avantage attention tout de même… Qui sait ce qui peut vous arriver encore, la soirée est loin d’être terminée. » Même moi, je finissais par appréhender la suite des évènements.

Ceux-ci ne tardèrent pas à arriver. A peine avions-nous eut le temps de la présence de Florian, que celui-ci nous faussa compagnie. Sans doute inquiet de l’absence d’orchestre – pourtant les danseurs méritaient bien une pause de temps en temps, non ? – il venait de partir « motiver les troupes » comme il le disait si bien. A nouveau, je posai les yeux sur la jeune femme à mes côtés à la recherche d’une explication logique. Ne tenait-il donc pas en place ? Pas étonnant que le sort ne s’acharne, s’il était aussi survolté au quotidien ; c’était même à se demander comment il faisait pour être encore en vie. « Notre hôte ne manque pas de ressources… » Constatai-je, alors qu’il prenait part à l’orchestre pour se mettre à chanter directement. Je me retins de rire, essayant de faire bonne figure mais… c’était compliqué. Très, compliqué.

« Anya… Je t’en supplie, pince-moi. Fais quelque chose, mais dis-moi que nous sommes en plein rêve délirant et que je vais me réveiller dans le bateau pour Paris. » La suppliai-je, terminant d’une traite mon verre de vin pétillant et faisant tourner ce dernier entre mes doigts. J’avais franchement un mal fou à garder mon sérieux ou à me laisser aller. Le côté cocasse du prince pouvait être attachant si on y faisait bien attention, mais j’avais surtout l’impression d’être dans une cours de récréation géante, où chacun aurait son petit groupe de marelle pour avancer sur les cases. Je m’accrochai à elle, passant une main autour de sa taille pour l’attirer contre moi. Me cacher quelques brèves secondes contre son épaule, étouffer un éclat de rire, et me redresser en reprenant contenance. « Pourvu qu’il ne se grise pas et se mette à chanter tout son répertoire... »

« Paiement en nature accepté. » Me répondit ma chère princesse, à laquelle je me contentais d’un regard entendu en haussant un sourcil intéressé. Effectivement, cela promettait une suite de soirée des plus intéressantes. « Parfait, quand est-ce qu’on peut quitter cet endroit pour l’encaissement ? » Ne pus-je retenir, même si j’avais la plaisanterie facile et pas encore vraiment l’envie de partir malgré la – très – grande tentation que ses paroles promettaient. Même si le prince était un très grand maladroit, il était parvenu à modifier le cours de la soirée pour passer de « bal chiant » à « qu’est-ce qu’il va encore inventer ensuite ? » ce qui était en soit un exploit. C’était rare que je m’amuse dans ces grandes soirées bourrées de gens aussi riches qu’outrecuidants, mais je pouvais au moins apprécier le côté enfantin de l’héritier. La descendance semblait toute assurée, presque un peu trop tôt d’ailleurs.

« Dans le mille. Il est très divertissant. Et surprenant... je ne savais pas que le rôle des princes était aussi de faire l'animation. Tu crois que l'orchestre sera vexé ? » - « Je crois que l’orchestre ne sait surtout absolument pas comment s’adapter à la situation. J’espère qu’ils ne coupent pas des têtes pour un simple manque de réaction dans ce royaume... » Je plaisantai, à demi. Certains se voyaient ôter la vie pour bien moins que ça et cela n’avait absolument rien de drôle ni de divertissant. C’était même plutôt le contraire, et je frissonnai juste à me souvenir des sentences auxquelles j’avais pu assister – en cachette – lors du règne du père d’Anya. Si le tsar était un très grand homme, il n’en restait pas moins un chef militaire et de la justice. Et pour rendre justice, il fallait malheureusement trancher dans le vif et répartir les parts comme elles le devaient. Je n’aurais jamais pu prendre ce genre de décision, j’étais bien trop égoïste et autocentré pour ça. Ma capacité de jugement se basait sur le subjectif, je me mettais à la place des autres pour m’insinuer dans leur tête. Comment voulez-vous couper correctement une nuque si c’est la vôtre qui se brise ?

« Ah non, pas d’autres chansons ! Je n’en peux déjà plus. » Suppliai-je presque à sa réponse. Qu’il chante était un fait inéluctable, mais il n’avait pas à ce point la nécessité de nous établir un vrai concert dans la salle de bal ? Et puis les invités étaient un peu là à se demander ce qu’ils devaient faire. On avait tous peur de décevoir le prince héritier, alors on n’osait rien. Pourtant la réponse était simple et évidente : prendre parti. Danser. Faire les hypocrites et les lèches-bottes, comme tous ces gens savaient si bien le faire. Moi au moins je gardais mon intégrité et ne me laissait pas prendre au jeu de la fausse admiration. Si Florian Charming commençait à m’amuser, je n’en étais pas à lui cirer les pompes – malgré tout le respect que requérait son rang. « Alors ? Vous avez aimez ma petite prestation ? » Demanda-t-il. Je haussai les épaules pour me retenir de lâcher un sarcasme. Fort heureusement, quelqu’un attira son attention loin de nous, et je ne fus pas obligé de répondre.

En revanche, je ne manquai rien de l’attitude du roi son père, dont le visage déconfit et les lèvres pincées laissaient clairement lire le fond de sa pensée. Si Florian me faisait rire, ce n’était pas le cas de tout le monde. La honte se peignait sur la face de l’homme plus âgé, et j’eu presque un pincement à la poitrine en le voyant réprimander son fils sur l’estrade royale. Mon visage un instant moqueur redevint sérieux. « … Même ici, les princes et princesses ont des obligations. » Soupirai-je, en jetant un regard clair vers Anya. J’étais presque rassuré qu’elle n’ait plus de famille hormis sa grand-mère pour le coup, mais je me retins sagement de lui faire part de cette réflexion. Ma main se pressa sur sa hanche, comme pour me rassurer de sa présence à mes côtés. Cette princesse-là était la mienne, que le protocole le veuille ou non. D’ailleurs, j’ignorais ce que l’on pouvait bien dire à mon sujet, mais nul doute que des nobliaux devaient bavasser et jacasser dans notre dos à pleines dents. Je sentis une pointe de colère monter en moi à cette idée. Ne pouvaient-ils pas simplement se mêler de leur toilette immondément luxueuse ?

Florian revint vers nous rapidement, avant de nous attraper l’un et l’autre et de nous entraîner vers les escaliers, puis l’extérieur ! « … Quelque chose ne va pas ? » Demandai-je non sans une nouvelle surprise. Il ne me répondit qu’une fois dans les jardins, à une distance raisonnable des autres invités : « Nous devrions restez un peu là le temps que ça se calme. J'ai fait une bêtise pire que les autres... » - « Qu’avez-vous donc fait ? » J’avais manqué l’épisode du glaçon, occupé à regarder la jeune femme qui nous accompagnait et dont je n’avais pas lâché la main malgré notre soudaine et brève course. Ces pas m’avaient échauffés les jambes et sans doute réveillé mon esprit un peu endormi. Courir, quelle idée des plus saugrenue pour une soirée ! Qu’est-ce qu’il nous réservait encore pour la suite ? « … Votre père n’a pas l’air très commode. » Moi et ma spontanéité, on ferait mieux de s’enfermer dans un placard à double tour.