Stefan pouvait sans doute se montrer cruel. Et lui livrer ses peurs les plus intimes sur un plateau d'argent (métaphoriquement) était sans doute une invitation alléchante pour cette part de lui. Mais il n'en fit rien, pas même un petit commentaire sur la crainte irrationnelle de l'orage, se montrant étonnamment compréhensif. Honey apprécia, naturellement. Bien sûr, elle ne pouvait pas se douter de ce que le vampire avait vu, de ce dont il avait été le témoin. Elle n'imaginait pas que les vampires puissent perdre la tête, parce que Stefan n'en avait pas parlé et qu'elle n'avait pas posé la question. La folie n'était pas un sujet dont elle parlait spontanément. Surtout avec Stefan.
Après leur première rencontre, Honey s'était juré de lui en dire le moins possible sur elle, tant il la mettait mal à l'aise. Force était pourtant de constater qu'elle avait changé d'avis ou failli à sa promesses. Peut-être était-elle trop spontanée, pas assez dans le calcul. Dans tous les cas, elle lui avait livré ses peurs et sans doute bien d'autres informations intéressantes pour lui, certaines qu'elle aurait préféré garder pour elle, comme par exemple l'identité de la personne avec qui elle vivait.
Au moins pouvait-elle se consoler sur la réciprocité de l'aversion entre Stefan et Wallace.
- Je ne vois pas le rapport entre les cheveux et cet endroit, il y a manifestement une connexion que je n'arrive pas à effectuer, avoua Honey, perplexe. Mais je respecte votre ressenti envers Wallace. On ne peut pas plaire à tout le monde, j'imagine...
La jeune femme laissa vagabonder ses pensées quelques instants avant de reprendre :
- C'est marrant, que vous parliez de coup de foudre juste après que j'ai parlé de l'orage, remarqua-t-elle, toujours pensive. Je ne crois pas avoir déjà rencontré quelqu'un qui m'ait fait la même impression que celle que Wallace et vous vous êtes réciproquement faite, poursuivit la scientifique, impliquant, de fait, que ce qu'elle disait était valable pour Stefan. Mais peu importe, n'est-ce pas ? Pourquoi seriez vous amenés à vous fréquenter ?
La question était rhétorique. Honey n'imaginait effectivement aucune configuration des événements qui permettraient à deux personnes aussi diamétralement opposées que Stefan et Wallace de se fréquenter. Et c'était sans doute une excellente chose.
Honey laissa ce sujet se dissiper dans le silence. Elle était revenue sur sa chaise et laisser le soin à Stefan de profiter de l'élongation de Mercure, peu gênée par l'absence de paroles. Son esprit fourmillait de tellement de pensées que même lorsque que personne ne parlait Honey avait la sensation d'entretenir une conversation - même si cette dernière était purement mentale.
La réponse du vampire ne tarda cependant pas tellement. Honey rajouta l'information sur le pâté de maison dans son bloc notes car elle lui serait utile pour analyser la portée de l'audition du vampire.
- C'est logique, effectivement, approuva la jeune femme.
Le silence s'installa de nouveau, survenu en plein milieu d'une des réponses du vampire. Cela eut le don d'interloquer Honey. Stefan lui avait paru si éloquent et sûr de lui, pourquoi d'un coup différait-il le moment de lui révéler l'intérêt que ses petits problèmes d'humaine pouvaient lui causer du souci ou, à défaut, de l'intérêt ? Peut-être que l'observation de Mercure le fascinait plus qu'il ne le laissait entrevoir, lui qui ne laissait jamais paraitre ses émotions. Honey n'en aurait pas été surprise, même si Stefan était novice en astrologie. Elle-même trouvait difficile d'observer les étoiles et de parler en même temps. Alors la jeune femme attendit patiemment, les mains posées sur ses genoux, le regard sur lui.
Et finalement la réponse arriva, logique, également. La jeune femme opina comme pour montrer son approbation, l'acceptation qu'elle faisait de cette explication. De la même manière, Honey accepta volontiers de rentrer d'abord au laboratoire afin de récupérer son fauteuil puis chez elle, bien au chaud, avec un bon repas. Stefan ne s'y trompait pas : il était l'heure pour les humains de manger. D'un point de vue plus pratique, le bon manteau sur les épaules de Honey ne protégeait pas ses pieds, chaussés de ballerines et d'une paire de bas, du froid de novembre. Cela faisait ainsi quelques temps déjà qu'elle les sentait en train de geler et, quoiqu'elle ne sente plus aussi bien qu'avant ses membres inférieurs, Honey ne désirait pas non plus y voir pousser des engelures. Alors même si le dos d'un homme était, selon elle, un étrange moyen de locomotion, Honey passa volontiers ses bras autour du cou de Stefan quand ce dernier, dos à elle, se mit à sa hauteur pour qu'elle s'accroche à lui. De nouveau, il passa ses mains sous ses cuisses afin de soutenir son poids puis fila à toute allure.
Cinq minutes plus tard, Honey était de retour dans son bureau au laboratoire, légèrement étourdie par le changement radical de vitesse. Heureusement, Stefan l'avait déposée dans son fauteuil.
Une fois assise, la jeune femme se débarrassa de ses ballerines et frictionna ses pieds, seulement recouverts de bas transparents, avant de récupérer des bottines plus épaisses qu'elle chaussa avec plaisir.
- J'analyserai vos échantillons demain et je vous ferai parvenir mes conclusions probablement en début de semaine prochaine sur le campus. Je ne vous retiens pas plus longtemps. Bonne soirée, St.. . Stefan, conclut formellement Honey lui tendant la main.
Elle se serait attendue et contentée d'une poignée de main cordiale mais, comme la dernière fois, le vampire se pencha pour lui baiser la main avant de disparaitre.
Honey resta figée derrière son bureau quelques instants, ayant encore l'impression de sentir ses lèvres sur le revers de sa main. Elle devait bien avouer ne pas être insensible à ces anciennes manières. Mais très vite, la jeune femme chassa cette pensée de son esprit et entra chez elle où Wallace fut bien content de la trouver.
- Eh bah dis donc, il te monopolise, ton collègue, maugréa le jeune homme.
- Sa demande était assez complexe et longue à traiter. Mais je crois qu'il est satisfait de mon travail.
- Et moi je suis satisfait que tu sois rentrée, conclut Wasabi qui, ce soir-là, avait cuisiné des lasagnes au saumon et au poireau - Honey adorait ça.
Cette dernière se contenta de savourer le dîner sans reparler de Stefan. Mais le lendemain, elle retourna au laboratoire pour profiter du dimanche et de la quiétude qu'il apportait au laboratoire afin de terminer ses analyses. La salive s'avéra composée en grande partie des mêmes éléments que la salive humaine : de l'ARN, des protéines, des ions, des hormones (seulement certaines, la scientifique ne décela pas d'insuline, cependant) mais dépourvue de certaines autres comme les enzymes digestives (ce que Honey parvenait à s'expliquer) ou de glucose. Naturellement, Honey consigna toutes ces données de façon exhaustive avant de s'attaquer aux analyses de sang. Il était composé de plasma, comme le sang humain, mais ce plasma transportait des éléments sanguins qui appartenaient à plusieurs personnes différentes. Honey se dit que la conclusion la plus probable était qu'une partie du sang ingurgité se retrouvait, après digestion, dans les veines du vampire et servait à faire fonctionner son corps. Il était donc en mesure de recevoir le sang de n'importe quel donneur, indépendamment de son groupe sanguin, car son corps pouvait en assimiler tous les anticorps.
Une fois encore, la scientifique consigna ces informations. De la même façon, elle reprit ses notes de la veille, les rendit lisible pour Stefan et les rapporta chez elle, prenant soin à ce que Wallace n'y ait pas accès.
Le lendemain était un lundi. Honey avait un cours à la faculté. Elle se rendit donc à l'université un peu plus tôt, espérant trouver Stefan dans son bureau, lui remettre ses conclusions et ne pas s'attarder. Elle avait un cours à donner, après tout.
La jeune femme s'apprêtait à frapper à la porte quand une voix - sa voix - l'invita à entrer avant même qu'elle n'ait cogné contre la porte.
- Bien le bonjour, miss. Alors, ces résultats ? demanda-t-il depuis son bureau.
Honey agita le dossier entre ses doigts.
- Tout est là.
Honey roula alors jusqu'au bureau pour déposer son dossier.
- Je vous laisserai lire. Vous n'aurez qu'à... me le dire si jamais quelque chose n'est pas clair mais normalement ça devrait aller. Bonne journée, professeur. Je... J'ai un cours, je ne peux pas rester, s'excusa la jeune femme en manœuvrant son fauteuil dans l'autre sens pour quitter le bureau et prendre le chemin de son amphithéâtre.

Fin