Détestait-il la magie ? En réalité non, mais il détestait ceux qui la pratiquait, il les enviait surtout. Eux et le pouvoir qu’il n’avait pas, du pouvoir qu’il voulait. Il n’avait jamais su à quel moment de sa vie cette avidité avait commencé. Peut-être était-il né avec, vu la simplicité avec laquelle il s’était engouffré dans les affres de l’ambition dès son plus jeune âge. Il ne se serait pourtant pas décrit comme quelqu’un de jaloux. Il enviait puis finissait par avoir. Il se donnait les moyens. Pour conquérir, il fallait se donner les moyens. C’est la raison pour laquelle il jeta un regard circonspect à son interlocuteur. Gajeel lui était dévoué, mais était-il...plus fort ? Pouvait-il le tuer d’un geste ? Cette information était capitale, non pas pour rompre les liens mais pour les orienter ; Sans gâchis mais sans risque.
Il réfléchit aux informations délivrées par le boxeur… Un dialecte d’un autre monde. C’était ça l’unique obstacle à son accession vers un savoir inconnu ?

- Si la seule barrière est la langue, ça peut ne pas être un obstacle pour certaines personnes. A titre d’exemple, j’ai été ambassadeur autrefois, je connais une multitude de langages et dialectes.

Il n’acheva pas, ne souhaitant pas que le jeune homme puisse décemment déceler encore qu’il s’agissait non pas d’une simple discussion badine mais d’un réel intérêt pour la chose elle-même. Non pas qu’il ne lui faisait pas confiance mais… Parfois, il fallait tâcher de rester discret.
Même si pour une personne comme lui, cette chose était ardue, trop habitué au paraître et aux grandes démonstrations. Au delà de son artifice, Preminger avait toujours été quelqu’un de démonstratif. L’ambivalence de la Cour le séduisait pour cela. Auprès d’elle, il fallait être suffisamment fin pour dissimuler son jeu mais clairement maniéré en toute cause. Un simple mot de la part d’autrui provoquait une réaction démesurée mais précautionneusement maîtrisée. Un art délicat qu’il n’avait jamais cessé. Georgia en revanche n’y ayant jamais été très friande l’avait abandonné comme d’une vieille robe que l’on ne portait que par obligation.
Il restait cependant dubitatif quant au côté pratique de la manipulation de cartes pendant le combat, comme le disait si bien le mage. S’il fallait sortir une carte pour invoquer quelque chose cela restait selon lui du temps précieux gaspillé quant un sort instinctif aurait été plus efficace et moins risqué.

- Je vois… Plus de l’invocation alors… De l’invocation par le biais de cartes pendant le combat.

Même s’il avait essayé sans trop forcer, il n’avait pu dissimuler son scepticisme quant à cette forme de magie. A l’entendre, c’étaient bien plus les cartes qui regorgeaient de pouvoir si le fait d’en user permettaient l’invocation de monstres ou alors c’était la formule qu’elles contenaient. Il ne parvenait pas à en tirer toutes les ressources et visiblement Gajeel n’était pas plus au fait de ces pratiques qui devaient nécessiter une force mentale importante et une certaine dose de culture que le sportif n’affectionnait pas particulièrement.
Néanmoins l’homme qui se tenait devant lui était plus qu’un vulgaire boxeur, Preminger le percevait à présent dans toute sa clarté, c’était un guerrier. Un guerrier de métal qui plus est, put-il le constater lorsque Gajeel le lui démontra. Il observa non sans légère appréhension la substance de la chair de son ancien employé se modifier, se teintant d’argent...non, devenant métal. S’agissait-il d’une peau supplémentaire ou sa constitution se modifiait-elle, il n’aurait su l’expliquer, mais il croyait ce que ses yeux démontraient. S’il en avait douté, gisait devant lui la confirmation que l’homme était doté d’une nature plus qu’humaine. Il le jalousa presque un instant. Puis cette envie fugace s’effaça aussi naturellement qu’elle était venue.

- Manger du métal ? Mais… Comment est-ce possible ?

Non pas qu’il en doutait, s’il le lui disait.. Gajeel était un jeune homme franc, trop peut-être, mais il était difficile pour lui de feindre une quelconque émotion. Parfois cela agaçait Preminger mais la plupart du temps, cela le rassurait. Il valait mieux lire en autrui comme dans un livre ouvrait, peu important le nombre de pages déplaisantes, que se heurter à un coffre hermétiquement clos.
Cependant, il ne parvenait pas à imaginer… Manger du métal ? Il s’imagina un boulon et sa dureté, sa résistance… Comment s’y prenait-il ? Le faisait-il fondre ? Dans tous les cas, la consistance restait la même. Les dents humaines ne s’y risquaient pas et le palais n’y trouvait aucun plaisir… Il les avalait peut-être ?
La vision de Gajeel en train de macérer une vis lui parcouru l’esprit. Tout cela était ridicule. Ridicule mais vrai. Ce monde était complètement délirant…
Il craignait presque pour son esprit si délicatement ingénieux. Tellement d’informations à encaisser, à emmagasiner, à utiliser. C’était comme si la vie s’acharnait à lui faire découvrir de nouvelles choses, de nouveaux potentiels obstacles pour le mettre au défi de s’en dépêtrer. Mais il le ferait.
En attendant, il préféra néanmoins ramener la conversation sur un sujet plus...Anodin. La photographie de la sœur aidant, il opina de la tête sans conviction.

- Sûrement. Je ne peux te dire, je n’ai pas de sœur, grand bien m’en fasse. Mais c’est tout à ton honneur, évidemment. Un protecteur, qui n’en n’a pas besoin.

Et quand bien même, la situation aurait-elle été différente ? Il en doutait. Il se connaissait et s’était toujours parfaitement accepté comme il était. Avec sa noirceur. Il l’avait vu, les moments où son âme s’était progressivement enfoncée dans le chemin qu’avait emprunté sa vie et s’il avait pu sacrifier jusqu’aux projets de sa famille, pourquoi l’ajout dans l’équation d’une sœur aurait-elle changé ? On disait parfois que les enfants gâtés l’étaient moins lorsque survenait un autre enfant. Cela, il ne l’aurait jamais admis. Non, il n’était définitivement pas très « famille ». Cette notion n’avait aucun sens, de toute façon, on n’en choisissait pas les membres et ils ne nous ressemblaient pas.
C’était comme l’Amour. Un sentiment bizarre qui liait les êtres entre eux, parfois sans ressemblance, sans comptabilité réelle entre eux, cela les détruisait, cela les rendait faibles, compatissants pour autrui là où leur seul intérêt aurait du se trouver en leur propre personne. Il ne l’avait jamais ressenti, mais il s’était promis de ne jamais le faire. Au pire des cas, il éliminerait la menace d’une façon ou d’une autre. Mais il était au-delà de ça.
Gajeel lui ne l’était pas. Il tomberait dans les filets de ce chérubin capricieux qu’était Cupidon. Le jour ne saurait tarder. Il n’en doutait pas et percevait très bien les liens qui retenaient le jeune homme. La peur, la honte, la mésestime de soi… Des raisons valables banales qui ne tiendraient pas et qu’un regard nouveau viendrait balayer. Sauf à ce qu’il puisse le maîtriser avant.

- Sûrement regardes-tu mal autour de toi…proféra-t-il.

A vrai dire, était-ce une bonne idée de l’y encourager ? Il ne voulait pas qu’une femme puisse le changer au point de perdre la mainmise qu’il venait de récupérer sur lui. Il s’apprêtait à tempérer ses propos lorsque la question de Gajeel vint le déstabiliser. Il eut un imperceptible mouvement de recul, presque invisible.

- L’avantage d’avoir une conquête, répéta-t-il d’un ton narquois faisant fi de sa raideur, oh voyons. N’aimes-tu pas être admiré ? Choyé ? Encensé ? Une conquête n’a pas forcément à te connaître réellement, Gajeel. Tout ce qu’il faut c’est qu’elle te donne ce que toi tu veux. C’est tout la différence entre conquête et…

Il ne savait pas réellement. « Fiancée », « personne dont on était amoureux ».
Il se rendit compte qu’il n’avait pas répondu à la fin de l’interrogation. Qu’il l’avait occultée. Trop...personnelle ? Non, ridicule. Ridicule. Pas pour lui. Georgia, il s’en moquait. C’était des plus amusants de jouer au mari aimant, d’en faire trop et de voir qu’elle ne se méfiait plus de rien. Elle ne s’était jamais défié de lui auparavant non plus. Pendant dix années, il l’avait épaulée, soutenue, orchestrant dans son dos l’ensemble de sa défaite, mais elle n’y avait rien vu. Seulement à la toute fin, lorsqu’il avait tombé le masque, une fois, une seule et unique fois. Lorsqu’il avait cru la victoire acquise. Et la malédiction était tombée, simulant une autre réalité. Au final, lorsqu’il se « souvenait » de ces années créées de toutes pièces par le Sort Noir, la cour qu’il avait fait à sa femme pour la convaincre de lui céder, il songeait qu’il aurait pu faire de même autrefois. Et bien longtemps auparavant. S’il avait tenté de la séduire, il aurait suffi qu’elle l’aimât pour s’assurer le trône, puis il aurait fallu se débarrasser de l’enfant.

- Qui te dit qu’il y a besoin de faire semblant?  Finit-il par répondre, et quand bien même. Même si dissimulant la vérité, il est faisable d’avoir suffisamment d’emprise pour cette personne pour l’avilir réellement au point qu’elle ne puisse de se défaire de nous.

Etait-ce le cas de Georgia ? Si elle savait, serait-elle malgré tout si fortement dépendante de sa personne pour ne parvenir à se maintenir à ses côtés. Bien sûr que oui. « Bien sur que non » répliquait une autre partie de son esprit.

- Si tu parles de Georgia...Elle m’aime, tout le monde m’aime.

Il l’avait déclaré comme une évidence mais une part en lui avait pondéré le propos. « En es-tu certain ? ». En vérité, il savait que non. Elle l’avait haït lorsqu’il lui avait demandé sa main dans le monde des contes, il l’avait vu dans son regard, c’était à ce moment précis qu’il l’avait détruite plus que de raison, alors qu’elle était déjà au plus bas, endeuillée et ruinée. Il l’avait vécu comme une revanche après toutes ses années de loyaux services, le plaisir de se découvrir au moment le plus opportun pour asseoir une nouvelle fois sa supériorité. C’était l’intrusion surprise de sa peste de fille qui avait failli tout gâcher. Mais aujourd'hui, il avait gommé cette scène de l’esprit de son épouse, il en était persuadé. Elle l’avait retrouvé tel qu’elle l’avait toujours connu : délicat, serviable, attentionné et dévoué. Elle avait mis un temps à lui refaire confiance, il le savait, elle s’était méfié mais une part d’elle, sa meilleure part n’avait demandé qu’à se bercer d’illusions une nouvelle fois.
Mais si le vernis s’écaillait à nouveau ? S’il avait pu aurait-il ôté le voile ? Parfois, il le souhaitait, il s’aimait tellement qu’il était oppressant de se cantonner à un rôle si pâle en comparaison de sa personnalité flamboyante.. Il aurait voulu qu’on le connaisse tel qu’il était réellement. Comme il se montrait à d’autres mais pas à tous. Qu'on puisse l'aimer tel qu'il était vraiment. Pff, pouvait-on ne pas l'aimer? Parfois, il avait des idées si étranges.
Il s’amusait au contraire d’être si doué dans son double-jeu.

- Ce que certaines personnes ignorent ne peut pas leur faire de tort, Gajeel. Tant que chacun y trouve son compte, finit-il par déclarer avec distance, et il peut être si plaisant de berner autrui, n’as-tu jamais essayé ?