Projet Monarc - Phase 1 : fin

J’étais généralement toujours content de voir Jamie. Mais là, j’étais plus que ravi : c’était au-delà du miracle et quand je lui bondis dans les bras, je le serrai de toutes mes forces comme si ma vie en dépendait. En soit, ma vie en avait dépendue vu qu’il nous avait aidé mais… Même. J’étais heureux de le retrouver et je le lui faisais confiance en plaquant deux énormes baisers sur ses joues avec toute la force dont j’étais capable. Je l’aurais bien embrassé mais Carlisle m’en aurait voulu, donc…

Lorsque mes pieds retrouvèrent le sol, je remarquai que nous venions d’entrer dans une pièce qui devait être un laboratoire par le passé – merci Captain Obvious – laissée vide derrière ses vitres de sécurité. A la question de mon mari, je ne pus m’empêcher d’adresser un regard complice à Jay avant d’accepter de le suivre. Il nous fit passer entre les paillasses et les écrans d’ordinateurs, auxquels je jetai parfois quelques coups d’œil curieux sans pour autant parvenir à emmagasiner les informations qui s’y trouvaient. J’étais trop fatigué pour ça. Trop impatient d’être à l’abri. Trop impatient de pouvoir me laisser tomber sur le sol et de ne pas craindre de me faire dévorer pour ça…

Et plus nous avancions, plus le poids sur mes épaules s’amenuisait. Jay nous fit arriver à une porte sécurisée et, après un instant, celle-ci s’ouvrit pour nous permettre d’entrer dans un endroit aux murs épais et opaques. Un vrai abri. Une vraie sécurité. Ce ne fut que lorsque la porte se referma derrière nous que j’eu un autre soupir de soulagement. A l’intérieur, une pièce sommaire avec à gauche des écrans qui offraient la vue sur plusieurs endroits du parc – sans doute les caméras de sécurité d’où ils nous avaient vus – certains étaient noirs quand d’autres paraissaient paisibles. Sur la droite, des casiers alignés et des bancs installés devant. Je distinguai un escalier sur le fond menant à une porte, elle aussi sécurisée, et à une autre pièce. Et au centre de la pièce, une table avec…

« Ian ! »

M’exclamai-je avec un certain engouement.

« Je suis content de voir que vous allez bien ! Vous n’avez plus trop mal ? Votre jambe est toujours là, ça va ? »

Le concerné me gratifia d’un léger sourire en tendant la main pour serrer la mienne.

« En chair et en os. Même si aller bien est une notion un peu abstraite dans cette situation. »

Je croisai son regard et le vit dévier vers Carlisle, le toisant des pieds à la tête. L’un des hommes que j’admirai le plus au monde face à celui qui représentait toute mon existence… Il y avait de quoi fantasmer, si nous n’étions pas au cœur de Jurassic Park et peut-être sur le point d’y passer nos derniers jours.

« Ian Malcolm. » Se présenta-t-il finalement, dans un petit air satisfait qui le caractérisait bien. « Et si vous cherchez celui qui est responsable de tout ce beau bordel… Il est là-bas. »

Il nous désigna les escaliers ainsi que l’autre pièce. Un regard à Jay et je m’y engageai, parvenant à peine en haut des marches que deux enfants me tombèrent dessus pour me serrer de toutes leurs forces : Tim et Lex !

« Antropy ! »

« Vous êtes vivant ! »

« On a trop cru que vous alliez vous faire dévorer ! Mais c’était trop cool ! Avec le T-Rex et tout ! Et puis dans le magasin les raptors et… »

« … Et vous devriez le laisser respirer. »

J’eu un autre sourire en découvrant Alan, soulagé que lui aussi aille bien. Lorsque les deux plus jeunes me libérèrent, je pu lui serrer la main et… Plutôt l’étreindre amicalement comme je mourrais d’envie de le faire. Je n’avais rencontré ces personnes que quelques jours auparavant et, pourtant, j’avais la très nette impression que des liens indéfectibles s’étaient tissés entre nous. Je regardai le professeur Grant comme un ami et non un étranger, Ian donnait l’impression de me connaître plus que ce que j’avais bien voulu dire et je m’étais inquiété des deux enfants comme des proches… Quant à Jamie, il était mon meilleur ami, le retrouver saint et sauf n’avait pas de prix.

« Bonjour, je suis Tim ! »

Claironna joyeusement le petit garçon en tendant une main entourée d’un tissu à Carlisle, visiblement nullement effrayé par son air sérieux aux traits tirés par la fatigue. Je me mis à rire malgré moi quand Lex vint se placer à côté de lui et voulu aussi le saluer, l’air un peu timide tout de même.

« Vous avez des nouvelles des secours ? »

Je reportai mon attention sur Alan qui nous observa, avant de finalement hocher la tête.

« L’hélicoptère ne devrait pas tarder. Apparemment, il y avait une tempête au large des îles qui a retardé le décollage, ça vous a permis d’arriver à temps. »

Son ton était lourd de sens et je pouvais parfaitement le comprendre. Peut-être que, finalement, il y avait bien quelque part un karma qui voulait bien nous venir en aide ? Nous aurions pu rester coincés sur cette île à tout jamais… Mais ça n’allait pas être le cas. J’eu un soupir rassuré, le cœur de plus en plus léger à mesure que les nouvelles d’un espoir en train de se matérialiser tombaient les unes après les autres. Nous étions sortis d’affaire. Enfin.

« Antropy. » Alan me tira de mes pensées. « Il faudra que nous parlions de ce que vous avez fait avec cette raptor, Blue. Je n’avais jamais observé ce comportement auparavant et j’ai été surpris de voir que, malgré le massacre de ses acolytes, elle soit quand même venue vous rejoindre à l’entrée du laboratoire… »

« Le massacre ? Les sœurs de Blue ont été… ?! »

Je me tournai vivement vers Carlisle, les yeux écarquillés par ce que j’étais en train de comprendre. Blue avait… Blue n’avait plus de familles ! Les vélociraptors grandissaient et vivaient ensemble, comme un groupe à la hiérarchie bien définies. Si les sœurs de Blue avaient été dévorées par le carnataure, ça signifiait que…

« Elle est la dernière de son espèce. »

La voix provenait de derrière Alan. Il s’écarta par réflexe pour nous laisser découvrir le visage de John Hammond. Le vieil homme, qui ne portait plus son chapeau, s’appuyait sur sa canne d’un air grave. Une ride barrait son front et ses yeux clairs cherchèrent les miens, dans une espèce d'appel à l'aide ou à la culpabilité que je ne pouvais comprendre. Nous avions faillis mourir à cause de lui et, même si je sentais qu'il en avait conscience... il était aussi profondément blessé que le projet MONARC soit un échec cuisant.

« J’ai créé ces dinosaures pour leur permettre de survivre, de revenir à la vie et de se pérenniser sous contrôle. J’ai voulu leur donner une seconde chance et… La créature la plus intelligente que cette terre ait portée avant l’homme est sur le point de disparaître, parce qu’elle a jugé bon de défendre un humain. N’est-ce pas à la fois beau et désoeuvrant ? »

Je voulu répondre, dire quelque chose… Mais Carlisle me devança en me passant à côté et, quelque chose me disait qu’il n’allait pas être très sympathique avec le responsable de tout ce bazar. Vieux ou pas, ça n'allait pas faire de différences.

Projet Monarc - Phase 1 : fin

Finalement, ça avait été un peu plus facile que ça en avait l’air. Bien sûr, j’avais du faire preuve de beaucoup de négociation et de délicatesse pour parvenir à le convaincre mais… Pour moi, il était inconcevable de laisser un être vivant complètement seul, privé de sa famille, dans un endroit pareil. C’était peut-être égoïste de ma part – et Ian avait tenté de m’en dissuader à grand coups de théories du chaos ou de suicide planétaire – mais c’était comme ça. Blue ne méritait pas de mourir seule. Après, elle aurait aussi pu ne pas vouloir me suivre, elle en aurait eut parfaitement le droit. Mais quand elle s’était avancée au milieu du camp de militaires venus nous récupérer, au lendemain matin, j’avais su qu’elle nous suivrait au bout du monde. Elle avait lancé un regard à Carlisle, puis après un instant, était venue mordiller mes cheveux comme si de rien était. Le prédateur le plus intelligent au monde qui se comportait comme un ami… On aurait tout vu.

Le temps avait semblé filer dans une dimension parallèle, suspendu, alors que je me trouvais dans une bulle a des kilomètres d’être capable de réfléchir à autre chose. Je me laissai porter par la vague, buvant quand on me le proposait et mangeant quand quelque chose me passait dans les mains. Les militaires avaient débarqué dans des hélicoptères aux logos grisonnants indiquant InGen et ça n’avait pas franchement eut l’air de plaire à John Hammond. Déjà qu’il faisait un peu profil bas, là il devint carrément moins engageant et marmonna même quelque chose dans sa barbe que je ne parvins pas très bien à distinguer. Il sembla seulement retrouver un peu le sourire quand un HOMME s’avança vers lui ; il lui serra d’ailleurs fermement l’épaule, comme s’ils se connaissaient depuis longtemps.

Ce dernier échangea quelques paroles discrètes, avant de venir vers moi. Je m’étais assis sur l’une des pierres qui bordait l’espace dégagé par les militaires, observant la cage où Blue avait été enfermée après avoir été endormie. Elle avait accepté d’y entrer seule même si elle n’avait pas quitté mon compagnon des yeux, et elle s’était laissée plus ou moins approché par la seringue… Menaçant d’embarquer le bras du scientifique en blouse qui avait osé faire un geste brusque à côté d’elle. Malgré son attitude, elle restait une bête sauvage et Carlisle m’avait plusieurs fois répété que nous ne devions pas l’oublier. J’avais chaud. J’avais envie de dormir. Et j’avais surtout envie de rentrer pour retrouver ma fille.

« Je suis Simon Masrani. C’est une bien belle bête que voilà. »

Il avait tendu la main en se présentant et, après un instant, j’avais accepté de la lui serrer. Mes yeux s’étaient d’abord reportés sur les deux militaires qui avaient été extraient du laboratoire un peu plus bas dans la vallée, avant de se relever vers lui. Le teint basané, l’air sûr de lui et une chemise sous un costume impeccable, il ne donnait pas vraiment dans les forces armées. Son accent avait quelque chose de mélodieux, hindou peut-être. Je fronçai les sourcils en sentant sa poigne assurée et fini par hocher la tête, un demi sourire sur le visage.

« Elle est aussi très intelligente, elle a accepté d’elle-même de venir avec nous. »

Sans que je ne le lui propose, il tapota la place à côté de moi et vint s’y installer. Ses coudes se posèrent sur ses genoux tandis qu’il observait la respiration tranquille de Blue.

« Elle est inestimable. Hammond m’avait parlé de ses progrès auprès des dinosaures, mais je dois avouer que c’est surtout les recherches d’un certain Grady qui m’a fait m’intéresser au projet MONARC. Il me semble que vous y êtes vous aussi lié, n’est-ce pas ? »

Je hochai la tête. J’étais l’un des principaux mécènes de l’opération Jurassic Park orchestrée par MONARC et, même si ça avait été un fiasco avant même l’ouverture au public, il fallait reconnaître que c’était une prouesse des plus impressionnante que de voir des dinosaures prendre vie de cette manière. Moi-même j’avais voulu y croire et je n’avais pas été déçu du voyage.

Je fronçai cependant les sourcils à l’évocation d’un nom qui ne me disait rien. Et pourtant, j’en avais entendu et retenu, des noms. Masrani du sentir mon trouble car il reprit la parole :

« Owen Grady est un comportementaliste qui a beaucoup travaillé sur les dinosaures, et notamment les raptors. C’est lui qui a permis à Blue d’être ce qu’elle est, si vous voulez une image. Vous devriez demander à Hammond les bandes vidéos, vous trouveriez le sujet très intéressant… Je pense qu’il serait ravi d’avoir de ses nouvelles. »

« Il travaille toujours ? Je ne l’ai pas vu ici… »

« Hélas non. Monsieur Grady a été appelé sur un autre projet mais qui est en lien avec celui-ci. »

Cette fois, je tournai clairement la tête vers lui, intrigué. Pour moi, Jurassic Park était un projet unique et développé certes dans le cadre d’une organisation planétaire, mais néanmoins en essai isolé. John avait beaucoup insisté sur le côté exclusif et la primeur d’une telle avancée scientifique dans l’histoire de l’Humanité… Qu’est-ce qui pouvait bien être en lien avec celui-ci, répondre aux conditions de MONARC, et nécessité l’intervention d’un comportementaliste qui n’aurait sans doute pas quitté son poste auprès des dinosaures pour quelque chose de trop banal ? Ou alors il était fou mais… Quoique.

Simon Masrani eu une espèce de sourire. Il était parvenu à capter mon attention et il le savait très bien. Je ne me vexai pas d’être ainsi manipulé mais j’attendais beaucoup de réponses… Vu les nombreuses questions que je me retenais de poser par pur épuisement physique. J’attendis quelques instants mais il ne semblait pas décidé à m’en dire plus.

« Un autre projet ? » Finis-je par capituler, trop curieux.

« MONARC a pour but d’explorer les limites de l’existence et de partir à la recherche des monstres disparus de nos légendes. Croyez-vous que seul John Hammond pouvait avoir le monopole sur certaines créatures ? Il a été le pionnier et le plus rapide, mais le Professeur Wuh est toujours en phase de recherches et il travaille actuellement sur d’autres de nos projets les plus prometteurs. Isla Nublar n’était que le début, monsieur Tiger. »

Je soutins son regard, partagé entre une curiosité maladive et une surprise non feinte. Hammond m’avait vendu du rêve avec des dinosaures revenus à la vie, qu’est-ce qui pouvait exister de plus impressionnant encore ?

Simon se leva et épousseta son pantalon, avant de me serrer de nouveau la main.

« Nous serons amenés à nous revoir, j’en suis certain. Le monde aussi a besoin de se rendre compte à quel point l’homme est tout petit et tout jeune dans l’histoire de notre planète. »

Il fouilla dans la poche intérieure de sa veste et me tendit une carte à son nom, ainsi qu’un numéro de téléphone et une adresse mail. Au dos se trouvait le même logo que celui de Jurassic Park, mais dans des teintes bleutées et métalliques. Je fixai le profil squelettique du t-Rex puis relevai mon attention vers lui. Cet homme partageait-il la même folie que John ? Pourtant il avait l’air plus mesuré et plus réservé. Je lui accordai une dernière poignée de main pour le saluer et le suivit des yeux lorsqu’il se dirigea vers Carlisle.

Je poussai un soupir, faisant tourner la carte entre mes doigts. Je ne savais pas trop dans quoi je m’étais engagé auprès de MONARC mais quelque chose me disait que je n’étais pas au bout de mes surprises… Bondissant sur mes pieds en voyant Jamie me faire de grands signes, nous ne tardâmes pas à grimper à bord des hélicoptères. Je surveillai du coin de l’œil la cage de Blue qui, suspendue au-dessus du vide, nous suivait en direction d’un bateau bien plus au large que je ne l’aurais cru. Je fixai les montagnes couvertes de végétation de l’île, cru apercevoir le cou d’un brachiosaure, puis la vie disparaître à l’horizon pour se fondre dans la brume.

Comme si elle n’avait jamais existé.

Je serrai avec force la main de Carlisle à côté de moi puis échangeai un regard lourd de sens avec Jay. Sur son bras, je voyais le petit lego batman que nous avions dessiné le jour où tout s’était vraiment lancé et je ne pus réprimer un sourire. Des fois, pas besoin de masque pour avoir des super-héros à portée de main. Jamie nous avait guidé au travers des caméras et Carlisle était venu nous chercher, envers et contre tout. Et ça, c’était bien plus que suffisant.

Quoique l’air ravi de Tasha lorsqu’elle découvrit Blue la première fois valait tout l’or du monde.

FIN