Sommes-nous jamais prêts à commencer notre existence ? C'est le début de toute une vie, le premier pas d'une destinée. Les Hommes se demandent souvent d'où ils viennent vraiment, ce qu'ils sont, pourquoi ils le sont. Comment se définissent les pensées, comment se forge le caractère ? Tant d'interrogations futiles sur lesquelles ils perdent leur Temps. Cette curiosité, cette incompréhension, ce sont ces choses qui les rendent si fragiles.
Je ne suis pas comme eux.
Je sais d'où je viens. De cette cité perdue, où aucun homme n'a jamais posé pied, entourée de cette Nature, pure, digne et imposante. Je sais qui je suis. Je suis une Amazone, de celles qui vivent le cours de leur existence en attendant le moment de jouer leur rôle. Nous sommes là pour rendre Justice, pour protéger, pour défendre. Nous savons nous battre, mieux que quiconque, nous sommes crées pour ça. Je sais pourquoi.
Ma main se crispe, alors que je prends conscience de ce corps qui m'appartient. Alors que je réalise être la dernière encore capable d'accomplir la tâche qui nous était donnée. Je dois le tuer, cet être abject qui les mènera tous à leur perte. Je peux voir son visage, entendre sa voix, comme si je l'avais déjà croisé. C'est étrange comme sensation, de ressentir pour la première fois un sentiment. Il vous prend de parts et d'autres sans prévenir, vous étouffe et vous enveloppe en se fichant de ce que cela pourra provoquer. Ce n'est pas douloureux, d'être submergée de colère, simplement gênant.
D'autres pensées se faufilent alors que cette haine gronde de plus en plus, comblant les vides de mon esprit. De la joie, des rires, de l'affection. De l'Amour. De ces gens envers lui. Je n'arrive pas à le définir, pas à le comprendre. Je sais juste que c'est une bonne chose. Et je sens sa présence qui me rassure, qui me fait comprendre que tout va bien se passer, qui m'arrache un sourire.
Plus apaisée, j'ouvre les yeux sur le monde. Je ne vois d'abord que lui. Il ne ressemble pas à l'image que j'en avais, mais son regard est exactement celui que j'imaginais. Je peux y lire à la fois si peu et tant de choses, mais tout ce qui s'en échappe n'est que pure bonté. Je sais maintenant que je ne suivrai que Lui, peu importe ce qui arriverait. Il est celui qui m'a donné la vie.
« Bonjour toi. »Je ne comprends pas vraiment pourquoi ses yeux ont l'air de briller alors qu'il me regarde.
« Bonjour. »Ma voix me plait beaucoup. J'aime bien cette douceur qui s'en échappe, même si ce premier mot est des plus banals. Il s'agit néanmoins de la moindre politesse de se présenter correctement. Seulement, bien que j'ai toute connaissance de son identité, ma bouche se met à former un rictus gêné, alors que je l'interroge silencieusement. Il ne peut décemment pas avoir choisi de me nommer simplement « toi », à moins que cela soit un moyen de faire de l'humour qui m'échappe. Je ne trouve pas que ce soit particulièrement drôle ou pertinent mais si tel est son choix, je ne pourrai que m'y plier.
« Tu es resplendissante... »Il murmure ce compliment et je me demande si c'est par pudeur ou parce qu'il est ému. Il m'est encore difficile de comprendre ce genre de subtilités. Ce que je remarque par contre, c'est ce c'est un d'œil lancé en direction de la femme en retrait. Elle est blonde, a l'expression émerveillée et semble être en admiration devant ce qu'elle voit. Suis-je si magnifique que ça ?
« Elle s'appelle comment ? »Ma tête se penche sur le côté alors que de sa main, elle me fait un signe que je reproduis dans l'immédiat. Elle semble jeune tout en ne l'étant pas. Apple.
« Bonjour toi ! »« Enchantée. »Je suis plutôt fière d'avoir trouvé une autre manière de la saluer, puisque le côté répétitif de la conversation aurait pu être ennuyeux.
A côté, un autre homme commence à s'avancer, me dévisageant en se concentrant uniquement sur mon visage. Je ne sais pas si c'est une impression mais il a l'air de lutter pour ne pas détourner son regard ailleurs. Pourtant, le simple drap qui me recouvre me permet de rester relativement distinguée, même si ce n'est pas non plus le meilleur des accoutrements, je peux le lui accorder.
« Impressionnant. »Son ton est teinté de respect, alors que sa stature ne laisse pas de doute quant à qui il est.
« Merci. »Est-ce à moi qu'il s'adressait ? Le fait qu'il se mette à rougir légèrement alors que j'avais prononcé ces mots me fit douter un instant. Il ne s'attendait pas à ce que je lui parle, il ne se montrerait pas gêné si tel était le cas.
« Elle a une trop belle voix ! »L'intervention d'Apple me coupe dans ma réflexion concernant le Gardien. C'est plaisant de savoir que je ne suis pas la seule à l'apprécier. S'étant rapprochée, elle se trouve maintenant tout près de moi, sans que je ne sache quelles sont ses motivations. La curiosité, certainement. Ses gestes sont hésitants et elle se retourne brièvement vers le Titan, qui lui sourit comme pour l'encourager.
Je vois alors sa main se rapprocher, sans la moindre once de brutalité. Simplement pour venir toucher mes cheveux, avec une certaine délicatesse.
« Ils sont trop beaux ! On a les même, mais pas de la même couleur. »Voyant la mèche qu'elle caresse, je remarque en effet la teinte rousse des miens. Mais ce n'est qu'un détail après tout.
« Eulalie. »Sa voix s'était élevée dans un chuchotement sans prévenir, me faisant relever les yeux dans sa direction. Il avait prit le temps d'y réfléchir.
« Ca signifie belle voix de là où je viens. Et tu as raison, Apple, elle a une magnifique voix. »Le regard qu'il pose un instant sur Apollon, qui n'a plus dit un mot, ne passe pas inaperçu.
« Ce nom te convient-il ? »Je hausse les sourcils, surprise par une telle interrogation. J'étais prête à être appelée "toi" pour le restant de mon existence et voilà que l'on me demande mon avis.
Mon visage affiche un air pensif, avant que je n'esquisse un sourire. Après tout, je la trouve jolie aussi, cette voix.
« Il est parfait. »Exprimer mon opinion est aussi une chose nouvelle qui ne me déplairait sans doute pas.
Mon identité est à présent complète. Du moins, en théorie, puisque le but initial que j'avais en tant qu'Amazone n'est pas l'un de ceux qu'Il veut me voir atteindre.
« Pourquoi suis-je là ? »Il doit certainement avoir une raison pour m'avoir fait venir. Il y a toujours une raison. Ce "là", d'ailleurs, me semblait assez vague. Mes yeux se posent tout autour, alors que je suppose qu'il s'agit d'Olympe, puisque je n'imagine pas d'autre endroit plus approprié à me voir venir au monde.
« Nous sommes dans un jardin. Celui des Hespérides. Je l'ai légèrement retravaillé. »Il n'a pas besoin de le préciser, le changement est visible. Du moins, de l'idée que j'en avais. Il m'a donné assez d'informations pour que je ne sois pas perdue en arrivant, mais je n'aurai pas reconnu ce Jardin s'il ne l'avait pas dit. J'étais persuadée que cet endroit était en ruines. Pourtant, la terre est fraîchement retournée, comme prête à être cultivée.
Tout en continuant à parler, il se retourne vers Apollon. Cherche-t-il son approbation ou simplement à ce qu'il comprenne aussi ?
« Apollon est le Gardien d'Olympe. C'est lui qui veillera sur toi quand je ne serai pas là. »Une… comment appelle-t-on cela ? Une nourrice ? C'est ce que serait cet homme pour moi ? Je n'en ai pas besoin.
« Et avec lui, on aimerait apprendre à te connaître. A mieux cerner ce que ma soeur a voulu faire avec ses Amazones. »Je me raidis quelque peu. Je sais que ses intentions sont bonnes, mais je n'arrive pas à cerner où il veut en venir alors qu'il me regarde à nouveau.
« Un jour prochain, on retournera sur Harmonia et tu leur diras ce que tu as appris sur nous et sur celui que tu es censée affronter. Peut-être que quand on les comprendra mieux, elles comprendront à leur tour que Thémis s'est trompée. »Je le fixe toujours, impassible. Qu'il parle de la cité ne me fait rien, je me suis faite à l'idée que ma place n'y est pas. Pas encore. Ce n'est pas ça qui me fait réagir. C'est ce qu'il dit à propos de Thémis. En quoi se trompe-t-elle ? Pourquoi pense-t-il ainsi ? Un pincement me prend à la poitrine tandis que cette phrase résonne dans ma tête. Je ferme les yeux, ne comprenant pas vraiment ce qui m'arrive.
Puis je hoche lentement la tête. Je n'ai pas vraiment le choix. Je ne peux rien dire, je ne peux le contredire. Tout comme je ne peux être d'accord. Le silence me semble être la seule réponse appropriée.
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