Il est bon pour un politicien de savoir flatter son auditoire de façon à remporter tous les suffrages. Et cette technique peut aussi s'appliquer dans d'autres circonstances. En l'occurrence, Regina aurait très bien pu être en train de faire son numéro pour s'assurer de garder le poste. Mais on disait depuis un moment que la méchante reine voulait changer et Amelia y croyait. Amelia avait de toute façon toujours voulu voir le meilleur chez les gens - à ses dépends, parfois, certes. Peut-être que Regina était une bonne comédienne, après tout, mais elle ne le pensait pas et elle accepta son compliment pour ce qu'il était: un simple compliment.
- Je tâcherai de ne pas vous décevoir, chère élève, répondit-elle pour filer la métaphore.
Sans d'autre commentaire, la jeune femme la laissa préparer sa spécialité, vaquant à ses autres occupations. Et elle avait largement de quoi faire pour que la boutique tourne rond! Comme souvent, elle multipliait les allers retours entre l'arrière boutique et la boutique pour remplir les présentoirs, préparer ce qui devait l'être et, bien sûr, servir les clients.
Elle repassait justement dans l'arrière boutique quand Regina lui annonça que le chausson serait bientôt prêt... et qu'elle pouvait la tutoyer. Amelia cligna des yeux, un peu surprise. Tutoyer la reine? C'était... disons qu'elle n'en avait pas encore eu l'idée et que Regina la prenait de cours. A ses yeux, elle était encore cette importante un peu crainte par les gens qui méritait d'être respectée pour que tout se passe bien. Mais comme elle le savait aussi, cette époque était révolue et Regina tâchait de le montrer tous les jours... alors oui, il était surement temps de la considérer comme une personne aussi normale qu'elle!
- D'accord! s'écria Amy après quelques secondes. Va pour le "tu". J'ai hâte de goûter ce chausson en tout cas! ça sent drôlement bon, d'ailleurs! C'est bon signe, d'après mon expérience.

Regina avait, en quelque sorte, eu les mêmes craintes qu'Amelia. Mais elle avait également raison sur un point: elle était aujourd'hui une citoyenne comme les autres. Et si Amy n'avait pas trop de mal à dire "tu" à la plupart des gens, elle ne devrait pas se formaliser avec l'ancien maire. Surtout si c'était elle qui voulait enfin être considérée comme Madame tout le monde.
- Oui, tu es comme tout le monde, approuva Amelia. Sauf que tu fais de la magie et moi pas, ajouta t-elle avec un sourire entendu.
La seule magie qu'elle pouvait espérer exécuter, c'était faire plaisir aux gens qui mangeaient ses créations. Les capacités d'Amelia s'arrêtaient là, contrairement à celles de Regina. Nul doute que c'était pratique pour faire le ménage même si ce n'était pas le but premier de la magie. Ni le but de Regina, à n'en pas douter.
Son but actuel était plutôt de nouer un lien avec Amelia, ce qu'elle faisait plutôt bien, d'ailleurs. Il semblait que les deux femmes étaient déjà complices, d'une certaine façon, à en croire leur échange de sourire et les conseils qu'elle se donnait déjà.
Regina avait l'ouïe fine. Elle avait donc prêté attention à l'arrivée de nouveaux clients dans la boutique qu'Amelia s'empressa d'aller servir, sur les conseils de l'ancienne méchante reine. Pour le coup, elle lui laissait littéralement les clés de sa chère cuisine et le soin de la ranger. Si ça ce n'était pas un début de confiance!
Les clients en question étaient des habitués qu'Amelia avait donc appris à connaitre. Elle prit alors le temps de prendre de leurs nouvelles pendant qu'elle leur montrait les nouveautés susceptibles de les séduire. Et la magie opéra sans trop de difficulté car Amy prenait un soin tout particulier à connaitre ses clients, autant personnellement que gustativement.
D'autres clients arrivèrent après eux, si bien qu'Amelia ne retourna pas tout de suite dans l'arrière boutique. Mais comme mue par un timing intérieur, elle y remit les pieds pile au moment où Regina sortait le chausson du four. Elle venait à peine de l'envelopper dans une serviette, attention délicate vis à vis des doigts de sa patronne.
Amelia sourit et s'empara du chausson avant de mordre dedans pour suivre le conseil de Regina. Après avoir déglutit, elle déclara:
- Tu n'as pas menti, il est vraiment bon ce chausson. Tu veux qu'on essaye de le commercialiser ici? proposa t-elle spontanément.

La proposition d'Amelia eut l'effet escompté, pour le coup. Jamais elle n'avait vu de sourire plus radieux illuminer le visage de l'ancien maire de la ville. Regina était presque métamorphosée par cette idée, irradiant littéralement de bonheur. Amy aimait à croire que c'était de son fait, parce qu'elle se sentait toujours incroyablement bien de rendre les gens heureux - ou de croire qu'elle les rendait heureux, du moins.
Elle n'avait peut-être pas prévu, cependant, que Regina se sentirait d'attaque pour commencer à le mettre en vente tout de suite et le produire à la chaine. Mais comme son enthousiasme était vraiment plaisant et contagieux, la jeune femme ne pouvait que se laisser embarquer dans la frénésie de Regina et se réjouir. Cette nouvelle spécialité, qui serait pour le coup la première non création d'Amelia, pourrait très certainement séduire les clients, ou du moins les intriguer, dans un premier temps. Et différencier la boutique de la concurrence, ce qui n'était pas non plus déplaisant.
- Eh bien, ça c'est de l'enthousiasme, commenta la jeune femme, souriante, elle aussi. On est pas obligées de lancer la production de masse tout de suite cela dit, ce n'est que ton premier jour! Tu as le droit de démarrer en douceur! Mais je suis sûre que tes pâtisseries pourraient plaire à nos clients, nous différencier de la concurrence et faire rentrer de l'argent dans les caisses, ce qui n'est pas une mauvaise chose, ma foi. Surtout si je peux les goûter avant tout le monde. Ce sera ma seule exigence si tu veux me proposer de diversifier mon offre. Parce que d'une je suis curieuse et de deux c'est moi le patron! conclut Amelia dans un éclat de rire.
C'était la première fois qu'elle pouvait s'affirmer en tant que patronne puisque c'était la première fois qu'elle avait quelqu'un sous ses ordres qu'elle allait payer pour qu'il vienne travailler. L'expérience était donc nouvelle, mais serait très certainement enrichissante (dans les deux sens du terme) et reposante pour la jeune femme qui portait depuis le début la boutique toute seule sur ses deux frêles épaules.
Et pendant que la jeune femme se faisait ces plaisantes réflexions, Regina avait déjà remis la main à la pâte, s'emparant cette fois-ci de fraises. Apparemment, la pomme n'était pas le seul fruit qu'elle savait transformer.
Amelia la regardait attentivement préparer une mousse qu'elle lui proposa ensuite de goûter. Amy sourit alors, peu habituée à jouer les goûteuses, même si ce rôle commençait à lui plaire.
- Délicieux, commenta t-elle en ayant vidé une cuillère de la préparation. C'est marrant de jouer les goûteurs de sa propre boutique, commenta t-elle ensuite. Ca me change, ça fait du bien, j'ai l'impression de vivre un renouveau! C'est presque magique, continua t-elle comme pour filer la métaphore. Tu crois que c'est quoi qui est magique chez moi? demanda t-elle finalement sans avoir l'air d'y toucher, curieuse de savoir comment Regina la percevait.

- De toute façon il s'agit de ma boutique, je suis la reine ici et tu ne vendras rien sans mon approbation, déclara Amelia en prenant l'air le plus snob possible.
Venant d'elle, ce n'était pas tellement réussi, d'ailleurs. Il aurait sans doute fallu que Regina lui donne des cours en la matière. Elle était bien plus convaincante, de ce côté là. Mais il était aussi plaisant de la voir aussi motivée pour développer les affaires de sa nouvelle patronne.
- Plus sérieusement, reprit donc Amy, je suis ouverte à toutes les suggestions si tu as des idées pour la boutique. Du moment que c'est bon et que ça reste dans l'esprit de mon commerce, je ne vais surement pas dire non! Et donc fatalement, ça implique de goûter, conclut-elle.
Heureusement, la jeune femme avait un bon métabolisme qui lui permettait de réguler facilement son poids. D'autre part, même si elle travaillait le sucré toute la journée, elle n'était pas spécialement gourmande. Amelia savait qu'elle venait dans sa boutique pour travailler, occasionnellement créer une nouvelle recette, mais en aucun cas pour passer la journée à manger. Elle laissait le soin à ses clients et proches de manger pour elle.
Mais la magie du plaisir gustatif savait tout de même opérer sur Amelia, notamment depuis que Regina s'était mise en tête de lui faire goûter toute sa gamme de spécialité.
- Je n'ai pas l'impression d'être sous hypnose depuis que je t'ai embauché, plaisanta t-elle. Je suppose que c'est bon signe. Cela dit, pour la st Valentin on pourrait toujours imaginer de créer un philtre d'amour, lança t-elle avant de rire. Non, bien sûr, je plaisante, faut pas déconner avec les sentiments, expliqua t-elle le plus sérieusement du monde.
En effet, les sentiments étaient quelque chose que la jeune femme chérissait particulièrement, notamment ceux qu'elle portait à son mari, Wyatt et ce, même si elle ne l'avait plus vu depuis ce qui semblait une éternité. Mais elle ne perdait pas la foi, jamais. C'était la faute de son optimisme éternel, assurément.
Mais apparemment, sa générosité était aussi à l'oeuvre, au grand étonnement de la principale intéressée. Cette dernière avait en effet demandé, un peu nonchalamment et surtout sans arrière pensée, si Regina voyait quelque chose de magique chez elle. Après tout, si une personne était bien placée pour le lui dire, c'était sans doute l'ancienne méchante reine, qui en connaissait un rayon en matière de magie.
Bien entendu, Amy savait qu'elle n'avait pas de pouvoirs et qu'elle n'en aurait jamais. Elle avait en fait cru que Regina vanterait son talent culinaire, qui avait après tout des vertus thérapeutiques puisque le chocolat est connu pour atténuer les états de déprime. Mais Regina n'en fit rien. Elle posa sa main sur le coeur d'Amelia, geste pour le moins étrange et déconcertant, et vanta sa générosité, son pouvoir de percevoir le meilleur chez les gens.
- C'est très gentil, commenta Amelia, les yeux brillants. C'est un pouvoir pas toujours très fiable, cela dit. Parfois je me plante, je vois du bon chez des gens où il n'y en a pas. Ca m'est arrivé récemment. J'ai fait confiance à la mauvaise personne et cette personne a voulu tuer ma soeur ainée. Rien que ça... Mais hormis ça, c'est cool de se sentir un peu magique! s'écria t-elle pour conclure sur une note positive.

Regina avait raison. Amelia avait grandement besoin de cours de snobisme si elle voulait être un tantinet plus crédible dans ce rôle. L'offre que lui faisait sa nouvelle salariée pourrait donc se montrer intéressante... Ou pas. Depuis quand Amy avait-elle une once de snobisme? C'était plutôt le contraire. Et quand elle s'essayait à ce trait de caractère pour le moins incompatible avec sa personnalité, ce n'était que pour mieux le forcer.
- Je tâcherai de m'en souvenir, commenta t-elle simplement avec un sourire, ne doutant pas que Regina était meilleure qu'elle à ce jeu.
Surement à cause de son ancienne position dans le hiérarchie et de son côté obscur, d'ailleurs. Deux facteurs qu'Amelia n'avait jamais expérimenté. Elle avait toujours été trop gentille et n'avait jamais accédé au trône d'une quelconque façon. Amelia était plutôt en coulisses que sur le devant de la scène et elle s'y sentait bien. Jamais elle n'avait envié sa soeur lorsque celle-ci était devenue reine, tout comme elle n'aurait surement pas jalousé Regina si elles avaient vécu dans le même royaume.
A ce titre, elle préférait largement la Regina normale qui se tenait en face d'elle que la Regina reine qu'elle s'était souvent imaginée, ne manquant pas de se dépeindre une femme froide et hautaine. Tout le contraire de la Regina en face d'elle, souriante, qui mettait en avant son sens de l'humour, même si celui-ci était un peu douteux.
- J'espère bien que tu plaisantes, approuva t-elle avec un sourire. Sinon ça voudra dire que tu es en passe de retourner du côté obscur et je serais obligée de te tuer à l'air de cette cuillère en bois, poursuivit-elle sur le même ton.
Amelia savait qu'elle n'était pas non plus crédible quand il s'agissait de menacer quelqu'un. Sauf peut-être ses enfants s'ils la poussaient à bout. Mais ce n'était pas arrivé depuis leur enfance, quand ils n'en faisaient qu'à leur tête. Elle avait donc perdu l'habitude.
Mais les voir grandir lui avait aussi permis de se consacrer à sa carrière, à défaut de mener une vie de femme palpitante. Elle avait donc pu se dévouer corps et âme à sa boutique et leur laisser croire qu'ils volaient de leurs propres ailes. Sa vie sociale s'en était même développée, ce dont elle ne se plaignait pas. Amelia avait commencé à avoir le sentiment d'appartenir pleinement à la communauté de la ville et d'être majoritairement appréciée. Mais parfois, elle avait eu tort.
Heureusement, cela arrivait même à Regina, qui n'avait pourtant pas l'air de se planter bien souvent. En tout cas, elle avait prodigieusement bien réussi son sort noir, par exemple. Mais c'était rassurant de savoir que les puissants n'échappaient pas à l'erreur.
- Je préfère quand c'est moi qui roule quelque chose dans la farine, enchaina la jeune femme tout en se mettant au travail. Et ce ne sont pas des personnes que je roule dans la farine, précisa t-elle avec un air entendu. C'est à mon avis plus sain. Mais mes soeurs n'arrêtent pas de me dire que je suis naïve et trop optimiste et que je devrais apprendre à voir le monde comme il est et non comme je voudrais qu'il soit. Elles ont sans doute raison. Si j'étais plus méfiante, ça ne ferait de mal à personne. Mais bon... Chassez le naturel, il revient au galop, comme on dit. J'ai presque quarante ans c'est plus maintenant qu'on me changera je pense! Mais c'est chouette de savoir que même toi tu t'es faite avoir. Par qui, d'ailleurs? demanda t-elle en ne pouvant résister à la curiosité.