Sur la plage abandonnée... Coquillages et crustacés...

Une drôle de chanson me trottait dans la tête, avec en rythme de fond le va-et-vient de la marée. Avais-je échoué sur la plage de Storybrooke après une nuit de beuverie ? Cela n'aurait pas été la première fois. Je plissai des yeux, car la chaleur me cuisait le visage comme si j'avais été placée sous une lampe à UV. Non, pas Storybrooke. Il ne faisait pas suffisamment chaud là-bas. Une fois, une seule, on avait atteint les trente degrés et le journal local en avait parlé pendant un mois. Cela ne m'empêchait pas de m'habiller avec des décolletés mais bon, ce n'était pas le sujet.

Je soulevai les paupières et mis ma main en visière. Le soleil était à son zénith, aussi ardent qu'en Floride. Je me redressai lentement, soutenant ma nuque car ma tete me semblait peser des tonnes. Je battis des cils sans rien voir, aveuglée par les rayons du soleil. Je baissais les yeux sur ma tenue. Je portais un mini short en jean à l'aspect usé, et dont les bords étaient effilochés, ainsi qu'un tee-shirt trop large qui dénudait mon épaule droite. Mes mains se refermèrent sur quelque chose de mou qui s'effritait entre mes doigts. Je passai une main sur mon front et dans mes cheveux défaits, constatant qu'ils étaient couverts de sable chaud.

J'écarquillai les yeux. Ma vue s'était enfin acclimatée à la forte luminosité et je regardai, médusée, le paysage de carte postale qui s'étalait devant moi. Je me trouvais sur une plage de sable blanc, non loin d'un cocotier qui balançait ses noix dangereusement dans l'air du vent léger. La mer, d'un bleu-vert intense, s'étalait à perte de vue, allant et venant dans un rythme cadencé qui me fis frémir de la tête aux pieds. J'avais trop envie de piquer une tête, surtout que la chaleur était accablante, mais tout d'abord, je devais comprendre ce que je faisais là.

Je secouai la tête pour chasser les grains de sable piqués dans mes cheveux et je sautai sur mes pieds nus. Bon, à première vue j'étais seule face à l'adversité, avec aucune arme pour me défendre au cas où. Mauvais plan.

Je regardais de tous cotés, en pleine réflexion, quand mes yeux s'arrêtèrent sur le cocotier dans les branches se balançaient d'un air alangui dans la brise. Je marchais vers ce dernier d'un pas décidé et posai mes mains sur l'écorce rugueuse de l'arbre. Après quoi je mis toutes mes forces à le remuer. Oui oui, je secouais le cocotier, et alors ?

Quelques secondes plus tard, deux noix de coco tombèrent dans le sable.

"J'suis trop forte." commentai-je avec un sourire.

Satisfaite de mon forfait, je me penchai pour en ramasser une, tout en évitant une autre qui s'enfonça dans le sable à quelques centimètres de mon pied gauche.

Je la coinçai sous mon bras et entrepris d'avancer au bord de la plage, à la recherche d'une quelconque explication, d'une âme qui vive, d'un truc à manger aussi, pourquoi pas. J'avais un petit creux, et comme je ne savais pas comment ouvrir la noix de coco, c'était plutôt ballot.

Subitement, j'aperçus quelque chose remuer à travers un petit groupement de palmiers.

Une bête ! songeai-je, salivant déjà à l'idée de manger un animal bien tendre.

Mon instinct de chasseuse revenant au galop, je levai la noix de coco, visai ma proie en plissant les yeux, ajustai ma trajectoire, pris mon élan, et lançai le projectile.

Il heurta la cible dans un grand "DONG !" en l'éclaboussant de lait. Je sautillai sur place, toute contente.

"And the winner is..."

Un grognement me répondit. Je cessai de sauter, l'oreille aux aguets et l'air indécis. J'avais frappé quoi, au juste ? Je m'approchai prudemment, me maudissant de ne pas avoir pris une autre noix de coco avec moi. J'écartai une branche de palmier qui me cachait la vue et laissait échapper une exclamation surprise en reconnaissant ma proie.

"Eugène ?" fis-je, stupéfaite. "Qu'est-ce que tu fais là, imbécile ?"

Je lui en voulais presque d'avoir gâché ma noix de coco. Je m'approchai de lui et me mis sur la pointe des pieds pour enserrer sa tête de mes mains.

"Aie. Tu vas avoir une sacrée bosse." commentai-je, nullement navrée. "Tu devrais t'allonger un peu."

Pour illustrer mes propos, je lui pris énergiquement la main et m'agenouillai pour qu'il me rejoigne sur le sable. Mais je le lâchai en voyant l'état de la noix de coco.

"Elle s'est ouverte !" m'écriai-je. "T'as la tête tellement dure que tu l'as cassée ! C'est trop cool ! On va pouvoir manger ! Je sais pas toi, mais moi j'ai la dalle !"

Je pris une moitié de noix et posai l'autre juste à coté de moi avant de tapoter le sable, lui faisant comprendre que s'il la voulait, il fallait qu'il me rejoigne. Puis je bus le lait et ajoutai, sans m'apercevoir que ça me dégoulinait sur le menton :

"Avoue-le, c'est toi qui m'as amené ici ! Tu as utilisé un sortilège pour m'avoir rien qu'à toi. Une plage déserte, un homme, une femme... Sea sex and sun."

Je haussai les sourcils d'un air aguicheur tout en lui donnant un petit coup de pied pour le faire basculer sur le sable.

Pff... il n'était vraiment pas marrant. Je grignotai l'intérieur de ma noix de coco tout en affichant une moue contrariée. Pas que ça m'aurait intéressée de passer du bon temps avec lui sans chemise sans pantalon. A première vue, il n'y avait rien pour éveiller mon intérêt. De plus, il avait la sale manie de garder toujours sa chemise bien fermée jusqu'au col. On était sur une plage, bon sang ! Et avec la chaleur qu'il faisait, je ne lui donnais pas longtemps avant de faire sauter quelques boutons... Je serais la première à regarder, bien entendu. De toutes façons, il n'y avait personne dans cet endroit pour me jeter la pierre. Pas de Raiponce à l'horizon, pas de dieu encombrant...

"Faux !" m'écriai-je en levant subitement le doigt en l'air. "Samuel non plus n'a jamais cherché à me voir toute nue ! Il a lutté des années durant ! Mais il a fini par craquer, comme tous les z'hommes ! C'est ton destin, mon petit, et on ne peut rien contre le destin..."

Je lui lançai mon regard le plus mystérieux par-dessus ma noix de coco coupée en deux. Puis je lui envoyai un petit coup de poing dans l'épaule. Après quoi, je laissai tomber ma noix de coco dans le sable. Il m'aurait fallu un couteau pour couper de petits morceaux. Avec les dents, ce n'était pas tellement évident.

Je profitai qu'Eugène soit assis pour me rapprocher de lui en petits sautillements, tout en restant sur les fesses. Imperceptiblement, j'avais fait plusieurs centimètres. Résultat, nous étions épaule contre épaule. Poussant le vice un peu plus loin, j'enroulai mon bras autour du sien tout en soupirant, les yeux tournés vers le rivage :

"Aaah... c'est vrai que c'est beau. Je te crois quand tu dis que tu n'y es pour rien, même si je pense que c'est tout à fait ton genre de planter un tableau romantique comme ça. Mais bon, c'est pas pour moi. Tant pis, c'pas grave..."

Je haussai les épaules tout en baissant les yeux. Je me détachai de lui pour commencer à dessiner des formes imprécises dans le sable du bout de l'index, dans le petit espace qui se trouvait entre nous. C'était fou que les types de son genre ne s'intéressent jamais à des nanas comme moi. Pourtant, j'avais tout ce qu'il fallait où il fallait. Je penchai la tête sur mon décolleté avant de faire une moue convaincue. Visiblement, ce n'était pas ça qu'il attendait chez une femme. Il suffisait de voir Raiponce pour le comprendre. Une sainte nitouche de première classe. Je lui aurais bien demandé où en était leur mariage mais plutôt avaler un gobelet rempli de verre pilé plutôt que de l'avouer. J'avais encore une once de fierté. En plus, la dernière fois qu'il m'avait vue, je ne mesurais même pas un mètre et je réclamais du Crunch. C'était normal que je n'éveille plus aucun intérêt chez lui.

Perdue dans mes pensées, je fronçai les sourcils en m'apercevant que les formes imprécises dans le sable s'étaient transformées en deux silhouettes qui s'embrassent. Je ramenai en vitesse mes jambes contre moi et effaçai les dessins avec mon pied, évitant méthodiquement le regard d'Eugène. Pas question qu'il me prenne pour une fleur bleue. C'est trop banal d'être sentimentale... J'entourai mes genoux de mes bras et posai ma joue dessus.

"A ton avis, qui nous a amenés ici ? Et dans quel but ? C'est quand même bizarre que..."

Des chuchotements dans les branches des palmiers me firent taire. Je tendis l'oreille, tout en disant "Chut !" à Eugène alors que c'était moi qui parlais. J'entendais des raclements dans le sable, comme si quelqu'un, ou quelque chose se traînait.

"ça vient vers nous ! C'est une bête !" chuchotai-je en pivotant sur moi-même pour me mettre en position accroupie. "Il faut se cacher !"

Je commençai à creuser mon trou, battant follement des mains, le sable sortant entre mes jambes à la façon d'un petit chien. Après quelques instants d'effort intense, constatant qu'Eugène ne semblait pas enclin à m'aider, je le poussai dedans et entrepris de le recouvrir de sable.

"Non !" fis-je, sachant qu'il allait se plaindre. "C'est la seule solution ! La bête va nous repérer au flair ! Si on se planque sous le sable, elle ne nous sentira pas ! C'est pas que tu pues, mais... ton après-rasage cocotte un peu quand même !"

Je continuai de creuser, puis me jetai dans le trou à mon tour, avant de ramener tout le sable sur nous en vitesse. Désormais, seule la tête d'Eugène dépassait du sable, ainsi que la mienne et mes bras. Nous étions oreille contre oreille, et sous le sable, je le sentais remuer. Il faut dire que dans ma hâte, je m'étais presque allongée sur lui.

"Euh... j'ai pas pensé au problème des têtes." avouai-je, dépitée. "Espérons que la bête ne nous flaire pas !"

J'ignorai de quelle sorte d'animal il s'agissait. J'espérais que ça soit un truc qui n'ait pas d'odorat, c'était la seule façon de se sortir de ce mauvais pas.

"Eugène... je sens un truc dur et je ne pense pas que ça soit un bout de bois..." le taquinai-je en levant les yeux au ciel, un sourire mutin au coin de mes lèvres.

La bête tardait à se montrer. Peut-être avais-je tout imaginé ? Oh, ça serait tellement mal, tellement mesquin de prétexter une attaque pour se rapprocher d'un homme presque marié... mais j'avais fait déjà bien pire. Et puis c'était d'Eugène dont on parlait !

L'air de rien, il a une sacrée force, le Gégène. Il avait réussi à m'extirper du sable alors que je me trouvais sur lui, puis à sortir également du trou. J'époussetai mes vêtements et mes cheveux, la mine maussade.

"Oui bon, tu ne vas pas pleurnicher non plus ! Dans l'histoire, c'est encore moi qui vais avoir le plus gros du boulot. Tu imagines à quel point c'est compliqué de démêler des cheveux pleins de sable ?" fis-je en lui tendant une mèche rousse toute ensablée. "Ca fait des noeuds, du coup quand tu passes une brosse dedans ça arrache la moitié et ça fait un mal de chien."

Autant m'adresser à un mur. Forcément, des histoires de cheveux emmêlés, ça ne l'intéressait en rien. Je me consolai en songeant qu'il avait lui aussi les cheveux longs -du moins pour un homme- et qu'ils étaient constellés de grains de sable. Aha ! Il allait souffrir dès qu'il essayerait de passer un peigne là-dedans. Enfin, si on parvenait à rentrer chez nous, car si on restait dans cet endroit, il y avait peu de chance de trouver un nécessaire de toilette.

D'ailleurs, où étions-nous exactement ? Une plage, une foret tropicale qui s'étalait sur ce qui paraissait plusieurs kilomètres, un océan turquoise... Tout donnait l'impression d'etre sur une île. Mais était-elle déserte pour autant ? Le mieux à faire était de trouver des habitants, qu'ils soient hostiles ou amicaux. Ca ne servait à rien de rester sur place à se regarder dans le blanc des yeux.

J'en étais là de mes réflexions lorsque j'entendis les propos d'Eugène. Je ne l'écoutais qu'à moitié -j'avais tout de même noté qu'il avait dit qu'il m'aimait bien, normal je suis adorable- mais en revanche, le reste de sa phrase résonna dans ma tête. Je levai brusquement les yeux vers lui, fronçant les sourcils en le voyant plaquer la main sur sa bouche comme un personnage de dessin animé. Il s'en voulait, genre il avait fait une méga gaffe. Sourcils toujours arqués, je fis un pas vers lui, la bouche crispée, et demandai finalement :

"C'est à ce moment-là que je dois te féliciter d'avoir réussi à comprendre comment fonctionnait ta tuyauterie ?"

Cette question ne méritait aucune réponse. J'entendais presque les rires enregistrés comme dans les sitcoms, lorsque l'un des protagonistes vient de se faire casser verbalement par un autre. J'esquissai un sourire un peu méchant.

"Bah... étant donné que tu as demandé Raiponce en mariage, je trouve ça cohérent qu'elle soit en cloque. Il n'y aurait pas de raison autrement pour lui passer la bague au doigt."

CQFD. Je fis une moue convaincue avant de faire quelques pas dans le sable, les mains dans le dos. Le soleil commençait à se coucher, striant le ciel de rose et d'or. La mer prenait peu à peu une teinte bleu foncé presque hypnotique. J'aurais bien proposé une baignade improvisée mais nous avions plus important à faire, comme Eugène venait si sportivement de le souligner.

"Tu veux carrément vivre avec moi... ici ?" fis-je, incrédule. "Mais... et ta future femme, alors ? Et ton marmot ? Franchement, je n'arrive plus à te suivre..."

Je lui tournai le dos, les bras croisés, contemplant le coucher du soleil. Puis soudain, je pivotai si vite vers lui que je m'empiégeai dans le sable. Je me rétablis plus ou moins adroitement et marchai d'un pas fulminant vers lui, un doigt accusateur levé vers lui :

"Je te préviens... Ne compte pas sur moi pour te reproduire ou je ne sais quoi ! Même si on est les seuls derniers spécimens de l'espèce humaine et qu'on est sur une île déserte, je refuse d'être une mère poule ! Enfin... une mère porteuse ! Le sexe, oui ! Les bébés, non ! Et... interdiction de m'appeler Raiponce, mon coeur ou mon sucre d'orge ! C'est pas négociable ! Bon, maintenant que les règles sont établies selon les souhaits de Môsieur Eugène, pourrait-on bouger d'ici ? On va explorer l'île. Si ça se trouve, on est à deux kilomètres d'un village et c'est pas en restant plantés là comme des choux qu'on va s'en sortir !"

Joignant le geste à la parole, je m'élançai d'un pas énergique vers la foret, l'attrapant par la chemise pour le forcer à me suivre. J'entendis son vêtement se déchirer mais je n'en prêtais pas compte. On verrait plus tard pour le mater. Pour l'instant, il fallait trouver la civilisation, un abri, un truc à manger. La nuit tombait et je voulais être en sécurité avant que les bestioles ne se mettent à chasser.

Il ne semblait pas très en forme. D'ailleurs, il était très très vert. Je touchais du bout du doigt son cou gélatineux. Beurk. Gluant. En plus, des mouches tournaient autour de lui. Il avait pratiquement l'air mort. Je me redressai pour demander à Eugène, sans le regarder :

"Tu crois que ce crapaud est comestible ?"

Nous nous trouvions à la lisière de la foret tropicale et déjà, une bestiole morte pour nous accueillir. Absolument charmant. J'avais tellement faim que j'aurais été capable de le faire griller au bout d'une pique. Problème numéro un : trouver du bois. Problème numéro deux : faire un feu. J'avais beau connaître quelques rudiments de la vie à la dure, je n'avais pas eu besoin d'allumer un feu par moi-même depuis des années. Comme quoi, la malédiction n'avait pas que du bon.

Sans me laisser démonter par si peu, je m'engageai vers un palmier, histoire de lui arracher quelques branches, quand je sentis Eugène s'appuyer sur mon épaule.

"EEEEH ! Mais qu'est-ce que tu f... ?"

La suite sembla se dérouler au ralenti, comme un film d'horreur. C'est impossible de décrire une telle abomination. L'odeur, la sensation... Je restais de marbre, la mâchoire contractée, les poings serrés. Je fermai les yeux pour me persuader que c'était juste un cauchemar, mais en baissant les paupières, un liquide visqueux tomba de mes cils pour tartiner mes joues déjà bien imbibées.

"Eugène..." articulai-je d'un ton étonnamment calme.

Je m'approchai de lui comme un pingouin. A chacun de mes mouvements, le liquide visqueux dégoulinait un peu plus le long de mon corps, et mouillait même l'intérieur de mes vêtements. Jamais je n'aurais pensé vivre un jour un truc pareil. J'hésitai entre le castrer et l'étouffer la tête dans le sable. Je ne savais pas lequel des deux allait primer sur l'autre. En tous cas, j'allais faire un truc, c'était obligé. Son crime n'allait pas rester impuni.

"Eugène..." répétai-je, menaçante.

J'avançais comme un zombi dans sa direction. Une fois plantée devant lui, je ne lui laissais pas le temps de réagir et lui barbouillai la figure et les vêtements de vomis. Voilà, bien fait. Puis je lui lançai un regard de triomphe, avant de porter une main à ma bouche. L'odeur était si insupportable qu'elle me donnait envie de rendre le peu que j'avais sur l'estomac.

"Viens." le pressai-je en l'attrapant par la chemise.

Je lui fis traverser la plage à grandes enjambées, laissant une violente odeur de vomis dans mon sillage, et poursuivis mon chemin jusque dans l'eau. Je le lâchai et plongeai tête la première dans l'océan. Aaaaah ça faisait tellement de bien... J'ignorais s'il m'avait suivi mais c'était la seule façon de se laver des impuretés. Je restais quelques instants sous l'eau avant de remonter et de faire l'étoile, les bras et jambes écartés, la tête levée vers le ciel rose et or.

Puis, comme je n'avais pas encore exécuté ma vengeance, je me remis à la verticale, ne laissant que ma tête dépasser de l'eau, et lançai un regard mystérieux à Eugène.

"Tu n'as rien trouvé de mieux pour m'inciter à me déshabiller, hum ?"

Tandis que je parlais, j'enlevai mes vêtements un à un avant de les poser sur un rocher juste à coté de moi. J'y posai en dernier ma culotte en dentelle, avec une lenteur bien calculée afin qu'il puisse la regarder tout à loisir. L'eau couvrait toujours mon corps jusqu'aux épaules. Je m'esclaffais.

"Tu vas devoir te nettoyer, toi aussi." dis-je d'un ton malicieux. "Alors allez, on enlève les vêtements et plus vite que ça. Je promets de ne pas regarder. Pas beaucoup..."

Je pris un air pensif avant de nager vers lui, tout en restant pudiquement sous l'eau. Il n'avait pas le choix. Il n'allait pas rester couvert de vomis. Ce n'était pas concevable pour un homme comme lui. Avait-il vomi sur commande uniquement pour me voir toute nue ? Non, ça paraissait plutot dingue. En tous les cas, il ne perdait rien pour attendre... J'avais vraiment plus envie que jamais de m'amuser avec lui... d'une façon légèrement différente, peu-etre.

Eugène approchait. Il était entré dans l'eau, il... mais non ! Que faisait-il ? Interloquée, je le voyais s'avancer vers le rocher sur lequel j'avais posé mes vêtements. Pendant une seconde, je crus qu'il allait s'en emparer pour s'enfuir en courant avec. Ce serait un coup bas, surtout venant d'un gentil petit agneau comme lui, mais il fallait s'attendre à tout avec les gens. D'un coté, cette activité aurait été bien marrante. Je m'imaginais le poursuivre sur la plage en tenue d'Eve. Tout ceci finirait certainement dans le sable...

Je pris comme une douche froide en constatant tout le contraire. Vous voyez ce que vous ressentez quand vous vous apprêtez à regarder un bon film programmé à la télévision, et qu'en l'allumant, vous constatez qu'il a été remplacé par du football ? Eh bien voilà, ce que je ressentais, c'était cette exacte déception cumulée avec une sacrée dose d'indécision. Sous mes yeux effarés, Eugène Fitzherbert était en train de... écoutez bien... laver mes vêtements.

"Tu trouves vraiment que c'est le moment de faire la lessive ?" lui fis-je remarquer. "Tu veux peut-être de l'adoucissant ? Regarde dans ma culotte, tu vas sûrement en trouver."

Stupéfaite, je le vis se saisir de mon sous-vêtement. Okay, là, je venais de basculer dans la quatrième dimension. Eugène, le futur mari de Raiponce, était en train de frotter ses mains mouillées contre la dentelle de ma culotte ! D'accord, c'était pour en enlever le vomi, mais tout de même ! C'était surréaliste comme scène ! Je le regardai faire, trop surprise pour trouver une réplique bien sentie. Il avait le mérite de m'avoir cloué le bec pour un temps. Il trempa la culotte plusieurs fois dans l'eau avant de l'essorer. J'avais envie de lui dire d'y aller mollo car c'était délicat comme tissu, mais il me coupa le sifflet une fois de plus avec sa remarque.

"QUOI ? UN TROU DANS MA CULOTTE ?" m'exclamai-je d'un ton aigu. "Pas étonnant, tu fais la lessive comme un homme de Cro-Magnon ! C'est du linge délicat, ça !"

Puis j'entendis le reste de sa phrase, comme un écho. J'étais en train de nager vers lui mais je me stoppai net, manquant de boire la tasse.

"Tu veux réparer ma culotte ?" répétai-je en grimaçant. "C'est quoi cette blague ? Tu veux t'y prendre comment ? Avec un tournevis et un marteau ?"

Je m'avançai encore, suspicieuse, puis je m'appuyai contre le rocher, remuant les jambes dans l'eau. Soudain, mon regard s'éclaira.

"Tu as des talents cachés de couturière ?" fis-je en m'esclaffant. "Eugène la couturière ! Je te vois trop avec une aiguille et du fil dans les mains ! N'empêche, ça veut dire que tu es habile de tes mains..."

Je me penchai vers ses mains pour mieux les contempler. Mes cheveux mouillés flottaient devant moi, de sorte à ce qu'il ne puisse voir ce qui, j'en étais sure, lui aurait fait perdre tous ses moyens. Je pris un air faussement fascinée tandis que je relevai les yeux vers lui. Puis je me mordis les lèvres.

"Tu es habile avec le reste ?"

Sans attendre de réponse, je l'attrapai à deux mains par le dos de sa chemise et l'entraînai avec moi. En chemin, je lui agrippai les cheveux et lui maintins la tête sous l'eau. Même s'il se débattait, j'avais eu l'avantage de le prendre par surprise. Résultat, j'avais une bonne prise sur son crâne tandis que mon autre main entravait ses poignets. Je le forçai à garder la tête sous l'eau un bon moment et enfin, je le relâchai, nageant à quelques mètres de lui pour éviter de quelconques représailles.

Je n'attendis pas qu'il reprenne son souffle pour lui lancer d'un ton revêche :

"Ca c'est pour m'avoir gerbé dessus, tronche de chinchilla !"

Je passai une main dans mes cheveux trempés et esquissai un sourire devant son allure de chien mouillé.

"Bon, maintenant pour te faire pardonner, tu vas me faire à manger. Apparemment, t'es le parfait homme au foyer alors je veux une démonstration de tes talents."

J'ondulai autour de lui, mes longs cheveux flottant autour de moi. Pour une fois, ils donnaient l'impression d'être lisses, mes boucles étant alourdies par le poids de l'eau.

"T'étais sérieux quand tu disais que tu voulais garder ma culotte ? C'est quoi pour toi ? Un genre de... souvenir sentimental ? Enfin, vas-y, fais-toi plaisir. Si tu veux la prendre, prends-là."

Je haussai les épaules. Je n'allais pas me formaliser pour si peu. Après tout, les hommes m’avaient déjà demandé pire comme faveurs. Soudain, un éclair fourbe passa dans mon regard. Je nageai vivement jusqu'à Eugène pour le saisir par les épaules. Je me trouvais derrière lui. Mes jambes frôlèrent son dos tandis que je lui murmurai à l'oreille :

"Je te laisse ma culotte uniquement si tu me donnes ton caleçon."

Puis je m'éloignai, ricanant devant son air ahuri.

"Bah oui, réfléchis un peu ! Je ne vais pas remettre mon short sans rien en dessous ! C'est très inconfortable le jean à cet endroit-là ! Tss... tu sais vraiment rien sur rien, toi !"

Il était trop marrant. Il aurait du savoir, depuis le temps, que rien n'était gratuit avec moi.