Et voilà, Eugène retombait dans le mélo. C'est terrible ces gens qui ne parviennent pas à casser avec le monde des contes ! Je fus tout de même impressionnée de le voir s'arracher le coeur pour me le montrer. Je me forçai à ne pas détourner les yeux, même si c'était carrément écoeurant. Sa pompe aortique battait dans sa main, chose molle et gluante de couleur rose parsemée de noirceur. J'approuvai tout ce qu'il me disait. Je ne voulais pas le contredire, j'avais trop peur qu'il fasse un arrêt cardiaque et quand on a le coeur sur la main, le risque est plus grand, je pense.

Il finit par "ranger" son coeur dans sa cage thoracique. Je clignai des yeux face à ce spectacle déroutant. Au moins, grâce à son "exploit", on était désormais surs d’être dans un endroit qui n'existait pas vraiment. Dans la réalité, on ne pouvait pas dégainer son coeur à tout va pour montrer à quel point il était tout visqueux. J'en gardais l'image très nette en tête. Franchement, c'était affreux de mettre tous les sentiments là-dedans. C'était vraiment moche comme organe. Ca me rappelait un épisode de The Walking Dead que j'avais vu la semaine passée, lors de mon bref séjour à New York. En tous les cas, ça ne donnait vraiment pas envie d'aimer ni d’être aimée.

Je fis une moue dégoutée, avant de lever les yeux au ciel car il n'avait pas terminé son discours. Je sentis une colère sourde s'emparer de moi à mesure que ses paroles intensifiaient mon sentiment de défaite.

"Je ne t'apporte aucune lumière ?" répétai-je, abasourdie. "C'est pas étonnant ! Moi, Monsieur, je n'ai pas le luxe de posséder une chevelure qui brille dès que je pousse la chansonnette ! On n'a pas tous cette chance ! Il y a des princesses qui sont plus gâtées par la vie que d'autres ! C'est comme ça ! Mais tu sais ce que tu es en train de faire ? Tu... tu fais de la discrimination capillaire ! Voilà !"

Pour bien montrer mon mécontentement, je lui tirai la langue avant de lui tourner le dos sur mon rocher, les bras croisés et la tête haute. Je ne voulais pas lui montrer que j'avais été touché par ses propos. Et plus encore par le fait qu'il me considérait comme une bonne amie. Quelqu'un voulait donc être proche de moi ? Malgré tous mes travers et mon tempérament de feu ? Le seul véritable ami que j'avais, je l'ai fait tellement souffrir qu'il ne veut plus entendre parler de moi. J'évitai délibérément de parler de ça. Ce n'était pas le meilleur moyen pour créer des liens.

C'est alors qu'un autre type entra en scène. Intriguée, je me tournai vers lui, l'observant d'un air curieux par-dessous mes sourcils froncés. Il était sexy, dans le genre inquiétant. Un peu vieux peut-être, mais wouaaah quel charisme ! Il me fit frémir jusque dans des endroits que je ne soupçonnais même pas. Je fus quelque peu outragée qu'il ne m'accorde meme pas un regard. Il semblait subjugué par Eugène, auquel il confia une épée. Une belle arme en plus !

L'injustice me piqua en plein coeur -C'est moi la guerrière ! Lui n'est qu'un voleur de pacotille ! C'est comme confier un restaurant à un vendeur d'électroménager !- mais des bruits agitèrent brusquement la jungle. Je me redressai d'un bond, reconnaissant les pas précipités et les voix des indigènes. Oh non...

Le gars vieux mais sexy disparut face à l'armée des cannibales. Je déglutis avec peine et sautai sur mes pieds. Le temps était venu de se montrer pragmatique.

"Bon déjà, je tiens à dire que je ne sors PAS avec Juju !" dis-je fermement. "Il affabule, il dit n'importe quoi. Il est tellement vieux qu'il gatouille ! D'ailleurs... il est passé où ?"

Je regardai de tous cotés, remarquant avec une frayeur non dissimulée qu'il s'était fait la malle !

"Oh l'espèce de... chou-fleur tout pourri !"

Je ne savais pas depuis combien de temps il était parti. Tout semblait avoir été absorbé par l'apparition de l'homme mystérieux. A présent qu'il s'était évanoui dans l'air, c'était comme si le temps avait repris son cours habituel. Peut-être même qu'il accélérait, car les cannibales s'élançaient déjà vers nous, plus belliqueux que jamais.

"ON S'ARRACHE !" criai-je à Eugène. "Tu testeras ton jouet un autre jour !"

Je faisais référence à son épée. Je l'attrapai par la main et l'entrainai à ma suite à travers la foret. Nous courûmes très peu de temps, vite stoppés par une nouvelle falaise qui se terminait de façon abrupte. Je fixai le vide, bouche bée. La falaise s'érigeait en dent de scie contre laquelle, à une centaine de mètres en contrebas, se heurtaient des vagues furieuses. Si nous sautions, nous nous écraserions contre les rochers, à moins que le claquement de nos corps contre l'eau ne fasse exploser nos organes. Réfléchis Hope, réfléchis.

Une phrase du vieil homme trop canon me revint en mémoire.
"La chute ne nous conduit pas toujours vers notre mort." Je me répétai ces paroles plusieurs fois à voix haute, cherchant une solution. Il nous indiquait clairement de sauter. Je me mordis les lèvres jusqu'au sang, avant de me tourner vers Eugène pour lui faire face.

Les cannibales nous avaient rattrapé et nous cernait, dans un demi-cercle macabre, agitant leurs armes vers nous. Ils commencèrent à courir dans notre direction. Dans moins de vingt secondes, ils s'abattraient sur nous et nous déchiquetteraient...

Je plongeai mon regard dans celui d'Eugène. Ma main tremblait dans la sienne.

"On le fait ensemble." dis-je sans détour.

Sans prévenir, je le poussai dans le vide avant de sauter à mon tour, sans le lâcher. La chute était vertigineuse, la nuit prenait des couleurs plus claires tandis que nous tombions, tombions, tombions...

Le sol se déroba sous mes pieds. Je tombai à plat ventre contre quelque chose de dur qui sentait très mauvais. Je roulai lentement sur le dos, grimaçant et pestant contre le monde entier.

Le ciel était encore clair, même si la nuit menaçait de tomber. L'air était nettement plus frais, le soleil moins chaud. Je tournai la tête vers la droite et vis la tour de l'horloge qui indiquait 19H06. Storybrooke. La grande place.

J'esquissai un sourire soulagé avant de porter les mains à mon visage.

"Home sweet home..." murmurai-je.

Un regard du coté gauche m'apprit qu'Eugène avait atterri à mes cotés. Son épée reposait sur le bitume, entre nous. Je m'en saisis et la levai avec difficulté, car elle était vraiment très lourde.

"Wouah... respect, chevalier Gégène !" dis-je d'un ton haletant, encore bouleversée par l'émotion forte que je venais de vivre.