« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
Je me souviens de cet instant. Je ne me sentais pas d'y aller. Je ne voulais pas affronter la réalité. Ils étaient tous là, réunis dans cet endroit créé par mon frère. Ils étaient tous rassemblés, prêt à rendre un dernier hommage à l'amazone. Je ne voulais pas être là. Je ne pouvais pas être là.
Je savais quand je lui avais donné vie, qu'un jour je la verrais partir. Il y aurait eu ces nombreuses fois où elle serait tombée et où j'aurai pu lui venir en aide. Mais je m'étais préparé au jour où elle chuterait pour de bon et où aucune main pourrait l'aider à se relever. Je pensais partir avant elle. Voir peut-être même pour elle. Il en avait été décidé autrement.
Il faut se donner le Temps. Le Temps d'accepter la mort d'un proche pour reprendre le cours de notre vie.
J'ai vécu beaucoup de périodes de tristesses, d'incompréhensions et d'interrogations. J'ai souvent eu beaucoup d'émotions qui se sont bousculés dans mon esprit, laissant place à une immense confusion. J'ai longtemps tenté comme Elliot, de changer les choses. De les penser autrement. Mais la mort fait partie de la vie.
Tout commence toujours de la même manière. Le choc. Celui où on ne peut pas agir. Où on est sidéré, voir anesthésié par l’annonce de la mort. Puis vient le déni. Le moment où on se dit que tout ceci n'est pas réel. Où on pense que ça n'aurait pas pu arriver. Que même si on s'y était préparé, c'était pour quelque chose qui se passerait dans plusieurs années, siècles, millénaires. On pense qu'on avait encore le Temps de de vivre des moments inoubliables avec cette personne, de prendre le Temps. Aujourd'hui, quand on fait la connaissance d'une personne, elle est bien plus éphémère qu'avant. Les rencontres ne durent qu'un Temps. On reporte tous les bons moments qu'on pourrait passer avec, à plus tard. Et quand elle meurt, on se rend compte que nos souvenirs avec elle sont infimes comparé à ce qu'ils auraient pu être.
La Nature a créé la vie. Chaos a créé la mort. Chronos nous a donné une raison d'espérer. De croire que la mort n'est pas la fin de toute chose. Mais peut-être que sans la mort, nous ne prenons plus conscience de la chance que nous avons d'être vivant. Nous ne nous lions plus aussi facilement aux autres. Nous ne bâtissons plus rien avec eux. Nous ne profitons plus de chaque instant que la Nature nous offre. Nous ne vivons plus.
C'est ce qui nous pousse à éprouver de la colère. C'est quand on se rend compte qu'il est impossible de revenir en arrière. Quand on n'accepte plus l'inacceptable. Qu'on est pris de remords. Qu'on rejette la faute sur les autres, sur soi. Quand on se sent coupable. Quand on se sait coupable. On veut changer les choses. On veut tout faire pour les changer. Mais quelle que soit ce qu'on entreprend, on en est incapable. La vie est faite ainsi. C'est une continuité qu'on ne peut briser. Qu'on ne doit pas rompre.
L'avenir nous semble fou, terne. Les sentiments de tristesse et de désespoir prennent le dessus. Notre colère laisse place au chagrin, à la douleur. On ne peut rien y changer. On baisse les bras face à la vérité. Cet être qu'on aimait, qui comptait à nos yeux, il est mort. C'est la vie, il faut faire avec et avancer. Il n'y a pas de retour possible en arrière. Ce qu'on a loupé, qu'on n'a pas vécu avec cette personne est perdu à jamais.
« Ce n'est pas ta faute. Ce n'est pas notre faute. »
Elle est partie. Je me souviens de quand elle est venue me voir la toute dernière fois. Elle avait l'air si confiante, si sûr d'elle. Elle avait grandit. Quelle qu'a été la durée de son existence, aussi bref a t'il été, elle l'a vécue pleinement. Elle a découvert, aimé, partagé. Elle était accomplie. Elle avait confiance en elle. Confiance en l'avenir. C'est cette image que je garderais à jamais d'elle. Mon amazone.
C'est à ce moment là, face à son cercueil que j'ai compris pourquoi j'étais venu. Ce n'était pas pour moi. Ce n'était pas pour elle. C'était pour lui. Il était là, debout, un peu à l'écart. Il observait le coeur du domaine, comme tout le monde. Il ne savait pas où était sa place, ni si elle était ici. Il se sentait coupable. Aurait-il pu y changer quelque chose ou serait-il mort avec elle si il avait été présent aux derniers instants d'Eulalie ? Il aurait sans douté préféré être là, même si ça l'aurait tué. Ca aurait été mieux pour lui. Ca lui aurait évité de devoir vivre avec sa mort sur la conscience. Ce n'était pas sa faute. Il fallait qu'il se laisse le Temps de faire son deuil. François n'était pas responsable de tout ça.
C'était pour lui que j'étais là. Mais je ne l'avais pas compris. Ca venait à peine de me traverser l'esprit. Je lui avais parlé par la pensée. Il n'avait pas levé la tête. Il n'avait pas bougé. Je pouvais voir de là où je me trouvais, quelques gouttes d'eau perler sur sa joue. Il était triste. Mais il n'était pas seul. Il le serait jamais.
Aujourd'hui...
« Donne toi du Temps. » c'était ce que je voulais dire à la jeune femme, mais je ne l'avais pas fait.
Elle cachait toujours ses sentiments. Elle ne laissait rien paraître. A peine elle avait appris la nouvelle de cette mort, qu'elle avait voulu se rendre immédiatement ici. Elle avait posé une foule de questions, tenté d'en apprendre plus sur ce qui était arrivé. La mort était suspecte. Mais ce n'était pas ça. C'était autre chose. La personne qui était là, allongé dans la salle qu'on venait de quitter, elle comptait pour Eurus. Sans doute plus qu'elle le laisser entendre. Et je ne pouvais pas lui venir en aide. Car elle ne me laissait pas lui tendre la main. Elle ne me permettait pas d'entrer dans cette partie là de sa vie.
J'aurais voulu l'aider. J'aimais aider. J'avais besoin d'aider, surtout en ce moment. J'ignorais à quel moment du deuil je me situais. Pour Eulalie, j'avais réussi à aller de l'avant. Mais j'avais récemment perdu bien plus et j'ignorais si un jour je pourrais le retrouver.
Le plus dur n'est pas de voir les autres partir, mais de sentir qu'une partie de nous est déjà partie et que l'autre attend, sans trop savoir pourquoi. Le plus dur est de ne plus s'accepter. De ne plus avoir foi en soi. On a tendance à trop me faire confiance, à trop se fier à moi. Peut-être que c'est l'image que je renvoi. C'est dangereux. Dangereux pour eux.
Précédemment...
« Ce n'est qu'une chèvre. Ca ne devrait pas m'affecter à ce point. » dis-je en regardant l'horizon au loin.
Ils se lèvent la nuit pour pleurer dans leur salle de bain. Ils se créent un gouffre dans leur couple, dans leurs familles, leurs amitiés. Ils se laissent envahir par le chagrin et sombrent. Les mortels accusent le coup comme ils le peuvent. Ils sont morts nés. Ils ont une vie. Une seule et ils ne peuvent pas se permettre de laisser passer un seul instant de bonheur.
La période de deuil est longue, compliquée. On ne peut ni l'accélérer ni prendre des raccourcis. Il faut faire avec, sans détours. Si on trompe le deuil, on se croit tiré d'affaire et on fini par rechuter. On se laisse prendre par un chagrin intense qui nous submerge totalement. Certains deuils ne prennent jamais fin.
Je tournais la tête légèrement sur le côté, sentant une main se glisser dans la mienne. Sans rien dire, je la serrais. Ca faisait du bien ce contact. Ca me rappelait que j'étais toujours vivant.
« Ce n'est pas que elle... » lui avouais-je en sentant cet immense chagrin monter et me submerger totalement.
« Je sais. » murmura Thémis en gardant toujours sa main dans la mienne.
J'avais besoin de m'aérer l'esprit. De sortir prendre l'air avec elle. Quand on était encore à Titania, on n'était pas si proche que cela. Elle était du genre à être plus détachée de nous. Plus différente. Limite rebelle. C'était sans doute chez Merida, mon amie, que je retrouvais un peu de Thémis. Et que je profitais pleinement avec elle de ces instants que je n'avais pas pu vivre avec ma soeur. Elle était partie pendant de longs moments, à suivre son pirate. Je ne comprenais pas tout ce qui la poussait à agir de la sorte. Je ne voyais pas les choses de la même manière qu'elle. En prenant plus le Temps de tenter de la comprendre, de l'écouter, peut-être que j'aurais pu découvrir une personne dont j'aurais pu être très proche. On n'était pas si différent que ça, elle et moi. Je regrettais ces moments perdus.
« Il y a une fissure en chacun d'entre nous. Avec le Temps la lumière s'y frayera un chemin. » avait-elle ajoutée en se tournant légèrement vers moi afin de poser son autre main sur mon épaule, d'un geste doux, amical.
Je penchais la tête légèrement pour la poser tout contre sa main. Ce contact. Cette chaleur. Je me ressourçais avec elle.
Aujourd'hui...
Une fissure s'était créée en elle. Si je pouvais l'aider, c'était bien en y faisant entrer le soleil. Je lui avais par conséquent souris. Au lieu de parler de ce qu'elle venait de vivre, des obstacles qu'elle allait devoir surmonter, je m'étais décidé à lui changer les idées. C'était sans doute ce qu'il fallait faire pour lui venir en aide. Et pour me venir en aide...
J'avais fait apparaître un vêtement sur elle, afin de lui tenir chaud. Elle semblait avoir froid. J'avais opté pour une couleur sombre, mais pas noire. Quelque chose de neutre, afin de ne pas lui rappeler qu'elle était en deuil.
« Puis-je te prendre la main ? » lui demandais-je. « Je n'y étais pas préparé la dernière fois. Je pense que maintenant je suis capable de t'empêcher de voir. Et de m'empêcher de regarder. » la rassurais-je.
J'avais envie de lui remonter le moral. Quand ma soeur m'avait pris la main, cette fois là, ça m'avait fait le plus grand bien. Je pouvais rendre la pareil à quelqu'un. Je connaissais la méthode. Mais je voulais être sûr qu'elle l'accepte.
« Nous sommes comme tu le dis, deux personnes étranges qui n'évoluent pas dans le même monde. Mais on est capable de s'apprivoiser. De comprendre l'autre. Et de s'adapter. » ajoutais-je. « Je n'attends rien de vous, mademoiselle Holmes. » poursuivis-je avec un petit sourire. « J'ai juste besoin de... »
Je me stoppais, laissant ces mots en suspend. De quoi avais-je besoin ? De m'émerveiller encore une fois ? De faire mon deuil ? De réapprendre à me connaître, à m'aimer, à m'accepter tel que je suis ? De quoi avais-je besoin réellement ? Je la regardais dans les yeux, me posant cette question, encore et encore. De quoi avais-je besoin dans ma vie ?
J'ouvris la bouche, pour la refermer. Hésitant.
« J'ai besoin de vivre. » achevais-je.
C'était ainsi que je le ressentais. Je partageais son envie. Celle de distraction. De rendre la vie moins terne. De la rendre grandiose !
En tournant la tête sur le côté, avec la sensation que quelque chose attirait mon regard dans cette direction, je fus surpris de voir un de mes plus récents amis. Il venait tout juste d'arriver, légèrement essouflé. Me cherchait-il ? Etait-il arrivé quelque chose ? Ma première pensée fut pour Socrate... c'était étrange, n'est ce pas ? Il était peut-être la dernière personne si proche de moi qui me restait sur cette Terre. Je l'avais créé par le passé. Et même si je lui avais confié de grandes et lourdes tâches que je n'aurais pas confié à d'autres personnes, je n'avais pas pris autant soin de lui qu'il le méritait. Puis, je songeais à Lyra, Malcolm et Asta. Leur était-il arrivé quelque chose ? S'agissait-il d'Astrid ? Toutes ces personnes qui vivaient avec moi au Cottage et qui pouvaient justifier la présence de Pantalaimon juste ici, en face moi.
Je le regardais, attendant de savoir pourquoi il avait fait le chemin jusqu'ici, dans le but de me retrouver. J'ignorais si c'était la crainte, l'angoisse d'une nouvelle fois devoir faire face à la dure réalité de la vie, qui m'avait poussé à glisser ma main dans celle de la jeune femme. Je n'avais pas attendu son accord. Je m'étais laissé aller. J'avais besoin de réconfort. La sensation que j'avais ressentis avec Thémis était revenu. Un contact. Un doux et tendre contact...