« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
Équipé avec ses cinq sens, l’homme explore l’univers autour de lui et appelle l’aventure scientifique. (Edwin Hubble)
"Tu vas voir, ça va être cool."
"Je ne suis pas certain que..."
"Jules, c'est une science occulte. On ne peut être sûr de rien. N'essaie pas de te trouver d'excuses. On dirait que t'es en train de te dégonfler."
Je tiquai, agacé d'être considéré comme un pleutre. Ma loyauté envers mes amis me plaçait de temps à autres dans des situations délicates. Elliot avait décidé d'invoquer un esprit malin pour une entreprise des plus nébuleuses. Tout d'abord, je n'avais posé aucune question. Cependant, plus le temps passait, et plus j'estimais que j'aurais dû davantage me renseigner.
"Je préfère les sciences exactes." ripostai-je tout en redressant fièrement la tête. "L'ésotérisme est impénétrable et énigmatique. Il est réservé aux initiés, ou plutôt aux pauvres fous qui s'y aventurent. Il ne me semble pas sage de nous y risquer."
"Trouillard." fit Elliot d'un ton railleur.
"Pas du tout !" me défendis-je aussitôt.
Je promenai un regard anxieux sur les ombres dansantes à la lumière des candélabres disposés dans ma chambre. D'ordinaire, le spectacle de l'obscurité vacillante n'éveillait aucune crainte en moi. Cette fois-ci, c'était différent. Le simple fait d'évoquer la présence d'une entité démoniaque me faisait dresser les cheveux sur la tête. Tout ce qui se rapportait aux fantômes ou aux phénomènes de possession me terrifiait inexplicablement. Pourtant, j'étais habitué aux choses irrationnelles depuis un certain temps, à présent. Il faut croire que certaines peurs se cristallisent avec le temps.
"Bon. On a un miroir. Des bougies. On a éteint les lumières." énuméra Elliot en se redressant. "On a de la bouffe."
Il jeta un coup d'oeil aux petits fantômes croustillants disposés dans un saladier, sur ma table de bureau, ainsi qu'à la boisson d'un vert criard qui pétillait dans deux verres cylindriques. Comment pouvait-il ingurgiter ce genre de choses ? Cela ne ressemblait pas à de la nourriture, de près ou de loin !
"On va pouvoir commencer." annonça-t-il avec un sourire qui lui donnait l'allure d'un diablotin dans la pénombre. "L'invocation a l'air simple. Je l'ai trouvée sur internet."
De mieux en mieux. Il agrémenta sa tirade d'un geste ample pour se saisir de quelques fantômes qu'il fit craquer sous ses dents. Pour ma part, je me rendis jusqu'au globe contenant l'équivalent d'un mini-bar et me servis un verre de scotch. Je le bus cul-sec afin de me donner du courage.
"Rappelle-moi pourquoi nous devons faire ce rituel ?" demandai-je d'un ton que je voulais détaché.
"Je t'ai déjà expliqué." soupira Elliot. "En faisant ça, tu es cool, Jules. Tu es super cool. Tous les jeunes font ça, en plus !"
"Vraiment ?" fis-je, sceptique.
Tous les jeunes gens d'aujourd'hui invoquaient-ils les puissances des ténèbres ? Si tel était le cas, c'était désespérant.
"Fais-le pour moi. Après, je ne te demanderai plus rien, promis."
Après tout, je pouvais bien prendre un peu sur moi. Elliot m'avait tant apporté. Cependant, je souhaitais éclaircir un dernier point.
"Pourquoi faut-il faire cela dans ma chambre ?"
"C'est pas possible de le faire chez moi. Je veux que personne ne soit au courant."
Il me tapota l'épaule et me tendit une bougie dont je me saisis à contrecoeur. Il en prit également une. Ensemble, nous pivotâmes vers la psychée que nous avions placée au centre de la pièce circulaire. Elle me renvoyait un reflet plutôt tendu, alors qu'Elliot paraissait décontracté. Beaucoup trop. Je devais me calmer. S'il n'était pas anxieux, cela ne valait sans doute pas la peine que je me mette dans tous mes états. Je ne craignais rien avec lui à mes côtés.
"Un, deux, trois..."
Elliot croisa mon regard dans le miroir. Nous prîmes une profonde inspiration et déclarâmes d'une même voix :
"Bloody Mary. Bloody Mary. Bloody Mary."
On ne pouvait faire plus simple comme rituel. Il devait être prononcé par trois fois à la lueur des bougies, en pleine nuit. C'était chose faite.
"J'arrive." lança Elliot sans aucun à propos. "Mec, faut que je te laisse. Lily a besoin d'un truc."
Je clignai des yeux tout en pivotant vers lui, estomaqué. Il ne pouvait pas me laisser seul maintenant ! Il me tapota l'épaule comme si cela suffisait à tout arranger.
"Si jamais elle apparaît, tu n'as qu'à lui expliquer ce qu'on attend d'elle. Allez à plus ! Je reviens dès que je peux !"
Il se volatilisa, me plongeant davantage dans la pénombre et l'effroi. Je tentai de recouvrer mon calme, mais ce fut un exercice plutôt ardu lorsque j'aperçus très nettement une silhouette féminine et ensanglantée dans le miroir. Elle se tenait juste derrière moi. Un sursaut me saisit et fit vaciller un bref instant la flamme de la chandelle toujours dans ma main.
Elle portait une sorte de linceul immaculé mais souillé à maints endroits de liquide écarlate. Son visage était également maculé de sang. Je retins mon souffle, la bougie tremblant de plus en plus dans ma main fébrile. C'était bien la première fois que je restai muet en présence d'une femme. En était-elle vraiment une ? S'agissait-il seulement d'un démon ?
"B-Bloody M-Mary." bafouillai-je enfin, pétrifié face au miroir. "Je... je suis endiablé de faire votre connaissance."
Le terme "enchanté" ne me semblait guère approprié étant donné les circonstances. Je redoublai d'efforts pour appeler Elliot mentalement, mais il restait sourd à mes prières. Etait-ce cette diablesse qui faisait barrage à mes pensées ?
Je n'osai me retourner, de peur que la vision de la réalité soit encore plus terrifiante que le reflet du miroir.
"Nous vous avons invoquée pour... une requête. Auriez-vous l'obligeance de nous aider ? Si cela vous agrée, bien entendu..."
J'avais rassemblé le peu d'éloquence que je possédais encore pour formuler cette phrase. Son silence était encore plus glaçant que son regard oblique. Je craignais de cligner des yeux et de me retrouver agonisant, gisant au sol. Sans doute aurais-je dû davantage me renseigner sur cette sombre demoiselle. Il était sûrement trop tard, à présent.
Elliot ! Reviens immédiatement ! pensai-je une fois encore, bien vainement.
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Mary Bates
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Elle ne s'y habituerait jamais. Même si elle commençait à reconnaître les signes juste avant que ça se produise. Comme une petite voix au fond de sa tête, à peine perceptible, puis un léger vertige, précédant le changement d'emplacement brusque et soudain. Au moins elle parvenait à présent à garder son équilibre autant que son calme quand elle arrivait chez ses « hôtes ». Les premières fois avaient été catastrophiques. L'étonnement et le choc ne formaient pas un bon mélange et sa rage avait été déversée sur tous les pauvres gamins qui avaient cherché à la rencontrer, avant qu'elle ne finisse par comprendre ce qui lui arrivait.
« Je... je suis endiablé de faire votre connaissance. »
Elle se retint de lever les yeux au ciel face à la fébrilité de cette voix, restant des plus immobiles en fixant l'homme dans le miroir. Première constatation : il ne s'agissait pas d'un de ces adolescents à la recherche de sensations fortes. Ils étaient faciles à punir, eux, ils se mettaient très vite à crier et à frôler le malaise. La seconde : ils n'étaient pas dans une salle de bain, ce qui fut en réalité presque un soulagement. Pourquoi tout le monde trouvait plus pertinent de l'appeler dans une pièce étroite, souvent fermée à double tour, ou elle était donc encore plus susceptible d'être énervée ? Elle n'appréciait déjà que moyennement la faible luminosité de la chambre.
La suite la laissa de marbre. En apparence, du moins. Nous ? Ses yeux se posèrent sur la table. Deux verres. Il était seul, pourtant. Ou abandonné. Cette perspective lui plaisait davantage. Il fallait être aveugle pour ne pas se rendre compte de l'angoisse qui habitait cet étranger. C'était l'effet que provoquait souvent son apparence dans la glace, quand il ne s'agissait pas de dégoût. Elle avait mit des semaines à se familiariser à son propre reflet, à la levée de la malédiction, le détestant tout d'abord pour tout ce qui lui rappelait, avant de s'en accommoder jusqu'à le trouver presque charmant. Il ne représentait que la réalité de ce qu'elle était, finalement.
« Il y a trois phases à l'évolution de la peur. » murmura-t-elle finalement, d'un ton des plus désinvoltes.
Un pas suffit à Mary pour se rapprocher de cet homme. Ce n'était pas courant que l'on réclame ses services. La plupart cherchait une expérience paranormale, une oreille attentive, une preuve de l'existence de sa légende. D'autres aimaient jouer avec la Mort. Ils étaient tous idiots, peu importe ce qui les motivait.
« La fuite, tout d'abord. Ensuite, c'est l'envie de lutter qui prend le dessus. Mais la plus intéressante, c'est la troisième. »
Maintenir une expression imperturbable était d'une facilité déconcertante, même si l'amusement prenait le dessus. Elle restait dans son dos, sur la pointe des pieds. Sa main s'agrippa à l'épaule de l'inconscient pour se redresser, son souffle se percutant contre sa gorge alors qu'elle maintenait son visage juste à côté du sien.
« Vous la connaissez ? »
Elle remonta juste assez sa prise sur sa gorge pour en étudier le pouls. Rapide. D'un souffle en direction de la chandelle qu'il tenait encore, la flamme vacillante s'éteignit. L'amusement qu'elle en retirait lui permettait de faire abstraction de l'anxiété que l'obscurité lui apportait.
« L'inhibition. »
Ce n'était qu'un chuchotement lugubre à son oreille, son autre main remontant le long de la colonne vertébrale de son hôte, augmentant la pression à chaque millimètre parcouru.
« Votre corps finit par se soumettre face au danger sans que vous ne puissiez le contrôler. C'est mon moment préféré. »
Elle avait atteint l'arrière de sa nuque dans laquelle s'enfonçaient doucement ses ongles. Dans une autre vie, elle se serait fait un plaisir de l'égorger sans plus de cinéma. Une légère déception passa dans son regard à cette réflexion, avant de fixer celui de l'homme dans le miroir. Son rire exprima alors autant de mépris que d'agacement.
« Vous êtes extrêmement pâle. On pourrait presque croire que vous avez vu un fantôme. »
Elle se recula brusquement, lâchant un soupir tout en passant une main dans ses cheveux aux teintes mélangées de blond et de roux. Ils étaient encore très légèrement humides, elle sortait à peine de la douche. Elle aurait dû garder son peignoir plutôt que d'être dans une simple nuisette. Il s'agissait là des choses qu'elle ne pouvait décidément pas prévoir à l'avance.
Sans un regard supplémentaire pour l'image que lui renvoyait la glace, elle lui tourna le dos afin de examiner plus attentivement la pièce. Une chambre, à l'évidence. Drôle d'endroit pour invoquer un esprit malin.
« On ne vous a jamais apprit qu'il ne faut pas se fier aux apparences ? »
Ses doigts caressèrent un instant le bord du bureau avant de s'emparer d'un des verres. Elle en huma le contenu étrange, afficha une grimace, avant de le reposer. La même expression d’écœurement fut apporté aux petits gâteaux dont elle s'empara avant de les relâcher dans le saladier. Trop salé, trop chimique. Elle frotta ses mains l'une à l'autre, se pinçant les lèvres avant d'étudier le reste.
« Avant d'entamer la moindre discussion, j'exige une compensation pour avoir été dérangée. »
C'était la moindre des choses. Sans attendre de réponse, elle prit place sur le bord du lit, s'y appuyant légèrement pour en tester le confort. Acceptable. Il n'allait pas se plaindre qu'elle risque de le tâcher de sang, puisque aucune goutte ne la recouvrait en réalité. Il devait avoir fait cette constatation malgré le peu de lumière. A moins d'être un sombre idiot.
« Dans un premier temps, proposez moi à boire. Quelque chose de fort de préférence. »
Elle ne s'invitait pas, on l'avait appelé. Elle ignorait de toute façon où elle se trouvait exactement et n'était pas pressée de rentrer. Elle espérait qu'il aurait l'intelligence de lui proposer et de lui payer un taxi, au moins.
« Ensuite, vous pourrez éventuellement partager les raisons qui vous ont poussé à m'invoquer. De manière brève, évidemment, puisque je suis simplement curieuse et que je peux déjà vous affirmer que je ne vous aiderai pas. »
Autant que les choses soient claires dès le début. Sa tête se tourna vers lui, le fixant un instant avant de le détailler de haut en bas. Un léger sourire prit place sur ses lèvres, fugace, avant de disparaître.
« Même si il est toujours possible de trouver un arrangement. »
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Jules Verne
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Assurément, j'aurais dû davantage réfléchir avant d'inviter une sombre demoiselle dans ma chambre. Hélas, j'avais bien trop tendance à faire aveuglément confiance à Elliot. Ellie m'avait prévenu que cela risquait de me jouer des tours. Ce jour était arrivé. J'aurais pu la mander, mais mon orgueil m'interdisait de l'appeler au secours. Elle ne perdrait pas l'occasion de me faire la leçon et j'estimais être trop âgé pour cela. Non, j'allais trouver une solution par moi-même. Ne possédais-je pas un esprit aiguisé et une vive imagination ? J'étais doté des meilleurs atouts pour me débarrasser de n'importe quel démon femelle.
Cependant, je me sentis tétanisé alors que Bloody Mary se rapprochait pour me faire un exposé des plus éloquents sur la Peur. Visiblement, elle connaissait son sujet. Je frémis en sentant son souffle contre ma gorge. Elle était si près uniquement pour m'angoisser davantage. C'était bien joué. J'étais terrifié. Je fixais son visage baigné d'écarlate dans la psyché, espérant que cela soit suffisant au cas où elle déciderait de passer à l'attaque, afin de la parer. Possédait-elle une force surhumaine ou ne serait-elle qu'une femme animée par la haine ? Dans les deux cas, la perspective était angoissante.
Je m'aperçus que les deux premières phases de la Peur ne se vérifiaient pas chez moi. Je n'avais aucune envie de fuir. Au contraire, j'éprouvais plutôt une certaine paralysie, ainsi qu'une envie redoutable de la chasser de chez moi. Je ne souhaitais pas la tuer pour autant. Après tout, hormis ses ongles qui s'étaient enfoncés dans ma nuque en m'arrachant une grimace, elle n'avait pour le moment eu aucun geste agressif.
Quant à la troisième phase...
Je ne me soumets pas ! songeai-je, à la fois farouche et indigné.
J'eus un léger sursaut lorsqu'elle émit un rire méprisant. Elle s'écarta enfin de moi et j'en profitai pour tenter de calmer mes palpitations cardiaques. Avec une certaine irritation doublée de lassitude, je réalisai que c'était la première fois qu'une femme me touchait depuis longtemps. C'était consternant d'en arriver à une telle conclusion. Il fallait que ce soit une diablesse comme elle. Je passai une main dans ma nuque douloureuse avant de me retourner au son de sa question rhétorique. Je clignai des yeux en remarquant que toute trace de sang avait disparu de sa peau blafarde. Ses cheveux visiblement mouillés tombaient sur ses épaules. Je détaillai un peu trop longtemps le déshabillé qu'elle portait. Etait-ce de la soie ? Pourquoi me posais-je cette question ? Je secouai la tête, légèrement ahuri.
"Une illusion." conclus-je.
Je pivotai brièvement vers le miroir qui, incliné vers le lit, la montrait ensanglantée de la tête aux pieds. Puis, je la regardai de nouveau. Elle était nettement moins impressionnante ainsi. Elle ressemblait à une jeune femme plutôt séduisante. Malgré tout, je restai méfiant. La menace était toujours réelle.
Je n'appréciais que modérément qu'elle ait pris place sur mon matelas. Tandis qu'elle exposait ses exigences, j'allai poser la bougie éteinte sur mon bureau. Les autres chandelles éclairaient toujours faiblement la chambre, disposées aux quatre coins de la pièce. Je jetai un bref regard à la coupole en verre qui dévoilait la voûte céleste mouchetée d'étoiles. La dernière remarque de la sombre demoiselle me laissa presque méditatif. Je la dévisageai alors qu'elle venait de me détailler sans vergogne de haut en bas. Avais-je saisi le véritable sens du sous-entendu ou étais-je à côté de la plaque, comme d'habitude ?
"Une compensation." répétai-je un peu tardivement, pensif. "Pourtant, je croyais que c'était votre travail de répandre votre fureur dès que l'on vous sonne."
Peut-être était-ce une formulation trop crue et cavalière ? J'aurais voulu ravaler mes paroles mais il était trop tard. Mon éloquence était bien trop volatile, parfois.
"En somme, vous êtes une femme comme les autres. Dès que vous êtes contrariée, votre colère atteint des degrés d'exagération hors du commun."
Excellente idée de la provoquer, Jules. Ma curiosité dépassait la raison, parfois. J'étais intrigué de découvrir sa façon de procéder, tout autant que j'étais anxieux d'en être le spectateur. De toutes les façons, mes paroles n'étaient pas censées être mal interprétées. Ce n'était qu'une constatation. Néanmoins, je n'ignorais pas la susceptibilité du sexe faible. Un mot de travers et la scène de ménage survenait. Prévisible.
Je me dirigeai vers le globe et en soulevai le couvercle, révélant une collection imposante de bouteilles d'alcools des plus nobles. Au moins, je notai que Bloody Mary n'avait pas le même goût qu'Elliot pour les boissons acidulées aux couleurs de détergent.
"Single malt whisky. Scotch. Bourbon." énumérai-je en désignant chaque bouteille. "Ce sont tous des whiskys, la différence étant dans leur distillation. J'ai également un excellent Xérès d'Andalousie, ou un brandy, si vous préférez."
Je réfléchis quelques secondes avant de choisir pour elle. Je ne la connaissais pas, mais le peu qu'elle m'avait montrée suggérait un caractère bien trempé doublé d'un tempérament à toute épreuve. Elle serait donc le sujet d'une expérience : parviendrait-elle à garder la tête froide avec ce que j'allais lui servir ?
Le glouglou de la bouteille troubla le petit silence qui s'était installé. Je lui tendis ensuite le verre contenant un liquide ambré à l'odeur capiteuse.
"Le whisky le plus fort au monde." expliquai-je en me servant également. "Grâce à son processus très précis de distillation, il s'agit aussi du whisky le plus pur."
J'espérais qu'elle allait apprécier cette "compensation". Cet alcool était hors de prix. Je ne l'offrais pas à n'importe qui. D'ailleurs, je ne le proposais jamais à personne puisque nul ne partageait un verre dans ma chambre, habituellement. C'était un luxe que je m'autorisais après plusieurs heures d'écriture intensive, afin de me détendre. A ce moment-là, je laissais les petites bulles d'imagination s'évaporer de ma tête.
Gardant un oeil accru sur la jeune femme tout en observant une distance de sécurité, je m'appuyai de dos contre mon bureau, bougeant légèrement le verre dans ma main. Le liquide ambré remua.
"Cette invocation est une initiative de mon ami." déclarai-je enfin. "L'ésotérisme n'est pas une science à mes yeux. Jamais je n'y aurais perdu mon temps."
Un lointain souvenir me revint. Je me revis autour d'une table, entouré par plusieurs aristocrates curieux. Nous joignions tous nos mains à la lueur d'une unique chandelle posée au centre de la table ronde. Une femme nous avait proposés une séance de spiritisme. Elle s'était dit médium. La table avait bougé à maintes reprises, la bougie s'était éteinte. Les aristocrates avaient senti une présence glaciale et inconnue autour d'eux. Affolés, ils avaient ensuite complimenté la médium qui était restée hautaine et distante. Quant à moi, j'en avais profité pour regarder sous la table et observer les ingénieux mécanismes de rouages et de fils qui étaient attachés discrètement à ses chevilles. Il lui suffisait de les remuer pendant la "séance" pour que le meuble soit pris de convulsions. Quant à la flamme de la bougie... cela demeurait un mystère. Une heureuse coïncidence pour parfaire son numéro, sans nul doute.
Désormais, je ne pouvais nier l'existence des évènements occultes. Quand on habite Storybrooke, on se doit d'accepter l'inacceptable. J'étais moi-même un exemple parfait d'improbabilité mathématique. Pourtant, je respirais toujours.
"Nous voulons que vous effrayiez quelqu'un." soupirai-je, estimant cette invective encore plus ridicule qu'elle ne l'était dans ma tête. "Il s'agit d'un certain Apollon. Vous ne pourrez le tuer même si vous vous y essayez. Ce n'est pas le but recherché, de toutes manières. Nous voulons seulement qu'il ait très peur. Si vous parvenez à terroriser sa fiancée dans la foulée, vous aurez mon respect éternel."
J'avais ajouté cette phrase avec un petit sourire espiègle. C'était principalement Elliot qui souhaitait causer une peur viscérale au dieu des arts. Pour ma part, je trouvais la tentative inutile. Il avait sûrement connu bien pire qu'une diablesse furieuse dont le reflet ensanglantait les miroirs. Depuis qu'il avait appris que le dieu allait épouser sa fille, il redoublait de stratagèmes pour lui causer la vie dure par voie interposée. En bon ami, je me devais de le soutenir. C'était divertissant, d'une certaine façon. Un jour ou l'autre, il finirait pas se lasser et par accepter l'inévitable.
"Comment puis-je vous motiver ?" repris-je tout en la fixant, les yeux plissés.
J'avais parfaitement compris qu'elle devait être convaincue.
"Fixez un prix pour vos services. Je m'y tiendrai."
Ma voix était posée et déterminée. Plus le temps passait et plus mon anxiété s'amenuisait. Il était agréable de pouvoir converser. En somme, si l'on enlevait sa capacité à hanter les miroirs, cette jeune femme était aussi normale que l'on pouvait l'être dans cette ville.
Je levai mon verre dans sa direction comme pour trinquer avant de le porter à mes lèvres, l'incitant à faire de même. L'alcool me brûla la gorge. Habituel.
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Mary Bates
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Misogyne. Pathétique. Suicidaire ? Nombreux étaient les termes qui lui passaient à l'esprit pour décrire cet homme à la critique facile. Une femme comme les autres. Ce n'était pas totalement faux. A quelques détails près. Si toutes lui étaient semblables, le monde avait du soucis à se faire.
Les dents serrées, Mary observait sa manucure parfaite, ne faisant aucune remarque. Son silence lui semblait être la meilleure des réponses face aux suppositions de son interlocuteur. Il pouvait construire autant de théories qu'il le souhaitait à son sujet si ça le divertissait. Il lui rappelait son père. Plein de préjugés et certain de détenir la vérité.
Elle étouffa un soupir à sa propre constatation, levant ses yeux en posant un regard curieux sur le nombre respectable de bouteilles. Au moins il ne lésinait pas sur la qualité, c'était un détail à prendre en compte. Même si ça ne suffisait pas à lui faire oublier son insolence. Elle avait eu l'occasion à bien des reprises de s'essayer à tous les spiritueux que pouvaient contenir cette ville, des plus ignobles aux plus trompeurs. Ce n'était pas par plaisir ou par intérêt, plutôt par nécessité. Elle resta un instant à observer le liquide dans le verre qu'elle tenait, s'interrogeant sur l'efficience de ce dernier. Avec le temps, elle avait réalisé que les effets de l'alcool étaient de moins en moins suffisants et acceptables, comme si son corps s'amusait à provoquer son agacement en améliorant sa résistance.
Sa tête se releva alors que l'imprudent faisait part de son avis sur les sciences obscures. Bien qu'elle non plus ne leur aurait jamais donné un tel nom. Ce n'était qu'une sorte de magie.
« Une perte de temps. » murmura-t-elle malgré tout, un sourire au coin des lèvres.
Etait-ce donc ainsi qu'il la voyait également ? Mary ne prit pas la peine de poser la question, la réponse ne l'intéressait pas. Croisant les jambes, elle écouta avec un détachement certain la raison de sa présence, émettant un léger rire à l'évocation d'Apollon. Un dieu, à moins d'avoir été la victime de parents aux goûts prononcés pour la mythologie. Le fait de ne pas pouvoir le tuer jouait en faveur de la première hypothèse. Elle avait douté de leur existence, les prenant longtemps pour des charlatans ou des êtres à l'égo simplement surdimensionné, avant de finir par admettre que tout était possible, dans cette ville. Il y en avait bien un à la mairie, non ? Elle ne prêtait que peu d'attention à ces gens-là.
Elle mima le geste de son hôte, appréciant certainement un peu trop la chaleur du liquide dans sa gorge. Délectable.
« Vous devriez mieux choisir vos amis. »
Passant sa langue sur ses lèvres, elle choisit de se redresser, le verre nonchalamment tenu entre ses doigts. Les principes de la camaraderie lui échappaient, mais elle était au moins certaine que pour l'avoir laissé seul ici, il ne méritait pas qu'il le considère ainsi.
« Répandre ma fureur n'est pas un travail, comme vous semblez le penser. »
Elle s'était rapprochée du bureau sur lequel il s'était appuyé. Il la traitait avec bien trop de familiarité. Fixez un prix pour vos services. Il n'avait rien comprit.
« C'est plutôt une sorte de passe temps. Mais ça fait des années que je ne me suis pas autorisée de nouveaux bains de sang. »
Elle afficha une moue pensive, avant de reprendre une gorgée de l'alcool offert. Ce geste fut accompagné d'un autre, alors qu'elle attrapait sèchement la main libre de son hôte. Ses doigts l'étudièrent lentement, la retournant pour suivre les lignes de sa paume que ses yeux inspectaient.
« Écrivain. »
Son ton n'exprimait qu'une constatation, et une légère déception. Elle ne le lâcha pas pour autant, remontant pour entourer son poignet d'une façon plus délicate.
« J'adorais la lecture, avant. » lâcha-t-elle, presque songeuse. « Puis j'ai réalisé que les histoires racontées dans les bouquins n'étaient que des mensonges qui ne valaient pas la peine d'être lus. »
Elle avait bien cherché dans une autre vie à se perdre dans les mondes proposés par les fictions et les nouvelles, mais avec le recul, elle ne voyait là qu'une tentative vaine de fuir la réalité. Ça ne servait à rien. L'imagination était le domaine des faibles.
« Si ce n'est pour que l'auteur soit flatté de savoir son œuvre reconnue et appréciée. »
Elle leva ses yeux, non sans qu'une lueur espiègle ne s'y remarque, pour les planter dans les siens. Sa main eut tout le temps de remonter le long du bras de cet homme, l'effleurant à peine pour s'arrêter au niveau de son coude. Elle s'était vivement rapprochée, son visage touchant le sien alors que sa bouche se portait à son oreille.
« Une nuit. »
Un murmure à l'intonation sinistre dans l'atmosphère étrange procurée par la pièce. Et elle resta dans cette position, pressée contre lui, profitant de la surprise de cette proximité.
« C'est mon prix. »
Elle ne faisait que parler plus bas, ne bougeant pas pendant de longues secondes avant de s'écarter. Elle demeura néanmoins face à lui, son verre se portant de nouveau à ses lèvres alors que son regard se faisait amusé.
« Si vous ne parvenez pas à me faire rester ici jusqu'au levé du soleil, l'accord est annulé. Et ne pensez même pas à m'enfermer, il faut que je reste de mon plein gré. »
C'était cher payé, mais elle s'en fichait. Il n'avait pas donné de limites. Tout ça pour effrayer un dieu... Devait-elle préciser qu'elle ne pourrait pas accéder à leur requête si leur cible ne l'appelait pas d'elle-même devant un miroir ? Non. Elle se garderait de faire cette remarque pour l'instant. Tout comme elle ne jugea pas utile d'avouer qu'elle se donnait le droit de revenir sur sa parole à tout moment. Elle doutait qu'il parvienne à la retenir si longtemps. Elle savait déjà que ce ne serait pas le cas. La seule chose qui la faisait pour l'instant rester, c'était son envie de trouver un moyen de lui faire regretter son arrogance.
« Vous pouvez commencer par me raconter votre histoire. Pas une de celle que vous avez pu écrire, la vôtre. » proposa-t-elle, s'éloignant pour reprendre place sur le lit.
Non pas assise à son bord cette fois, mais s'y allongeant à moitié, croisant ses jambes devant elle comme s'il était le sien.
« Passez les moments de bonheur, c'est trop niais, je ne veux connaître que les détails tristes. »
Il était toujours intéressant d'écouter les phases douloureuses d'une vie. Tout le monde en avait. Ce ne serait certainement pas assez pour la divertir, mais elle s'en accommoderait pour commencer.
« Et n'oubliez de remplir mon verre, quand il sera vide. »
Ce qui ne tarderait pas à arriver.
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S'agissait-il de badinage ou la jeune femme était-elle seulement dérangée ? Ma préférence alla vers la seconde hypothèse. D'ordinaire, j'appréciais les rapprochements et je me familiarisais de plus en plus avec les gestes affectueux -parfois provocateurs- de cette époque. Cependant, je restais méfiant vis-à-vis de cette sombre demoiselle. J'appréhendais son sans-gêne à toute épreuve. Elle s'était saisie de ma main pour la manipuler avec lenteur, ses doigts suivant les lignes tracées à l'intérieur de ma paume. Si elle cherchait mon chemin de vie, elle risquait d'être fort surprise par son étonnante longueur. Au contraire, elle sembla déçue de sa découverte. Rien ne paraissait être suffisamment extraordinaire à ses yeux. Une part de moi commença à la plaindre. Elle était entière, toute en démesure. Ce n'était pas une déception feinte, comme celle qu'arborent certaines femmes pour que leur galant se surpasse et les éblouisse avec un trait d'esprit ou un compliment. Non, chez elle, la désillusion était grande. Abyssale, peut-être. C'était triste chez un être d'apparence si jeune. Mon impression se renforça alors qu'elle dénigrait les romans et leurs auteurs. Je me sentis piqué à vif par sa remarque, bien qu'il y ait un fond de vérité indéniable. Tout écrivain aime voir son travail reconnu, puisqu'il est si ardu de parvenir à être lu et apprécié. Ce n'est pas de l'arrogance, seulement une quête de reconnaissance. J'aurais aimé lui exposer mon point de vue mais à cet instant, sa main remonta le long de mon bras alors qu'elle déclarait deux petits mots qui enrayèrent les rouages de mon esprit pourtant bien huilé.
Une nuit. Une nuit. Comment cela ?
Perplexe, je la dévisageai. Elle restait plaquée contre moi dans cette attitude étrangement sinistre et grisante à la fois, me laissant pétrifié. Que me proposait-elle, exactement ? Je forçai mon cerveau à se remettre en marche et profitai de l'éloignement de la jeune femme pour boire le reste de mon verre d'une traite. Pendant ce temps, Bloody Mary exposa ses conditions tranquillement, tout en retournant s'installer sur le lit d'une façon encore plus familière. Elle était pratiquement allongée sur la couverture de velours bleu nuit, et son déshabillé était légèrement trop relevé sur ses jambes croisées. Je déglutis et décidai de focaliser mon regard ailleurs, même si l'observation des livres entreposés dans l'étagère à ma gauche était nettement moins intéressante.
Après un moment de silence, je déclarai d'un ton faussement détaché :
"Il y a fort longtemps que je n'ai plus passé de nuit avec une femme."
Estimant que ma phrase pouvait prêter à confusion, j'ajoutai précipitamment :
"En tout bien tout honneur, évidemment, car d'ordinaire, je suis un vrai bout-en-train."
Tout compte fait, peut-être aurait-il été préférable de ne rien dire du tout. Il n'est pas utile de se vanter, surtout auprès d'une femme dépourvue de complexe. Cela risquait de m'attirer des ennuis.
Je posai mon verre sur le bureau et m'installai dans le fauteuil, le faisant pivoter au préalable vers lady Mary sans pour autant la regarder. Son apparence était toujours beaucoup trop préoccupante et troublait la concentration naturelle de mon esprit. Je décidai de fixer un point juste au-dessus d'elle, de sorte à ne voir que le haut de sa chevelure blond cuivré.
Suffisait-il vraiment que je relate quelques faits de mon existence pour l'enjoindre à jeter un maléfice sur Apollon -et Neil ? Cela me semblait bien trop aisé. Il y avait forcément une entourloupe. Poussé par la curiosité, je me lançai malgré tout.
"Mon histoire est extrêmement longue et je doute qu'elle vous plaise. Elle contient beaucoup trop de passages heureux. L'on peut dire que j'ai eu une vie bien remplie et exemplaire à bien des niveaux. Une existence d'artiste riche et reconnu de son vivant. Qui peut se féliciter d'avoir autant ? Après tout ceci, il est difficile à présent de n'être plus que... l'ombre de moi-même."
Je frottai pensivement la ride apparue entre mes yeux pendant que je parlais. Jetant un coup d'oeil à la dérobée à la sombre demoiselle, je repris, la tête penchée :
"Quelque chose devrait être susceptible de vous intéresser : j'ai créé le malheur des autres à de nombreuses reprises. Cela doit être le prix à payer lorsque l'on est au sommet. On piétine sans s'en apercevoir. J'ai fait souffrir mon fils au lieu de l'écouter, j'ai agi égoïstement envers mon neveu..."
Je me tus, sentant une douleur fantôme élancer ma cheville à cette évocation du passé. Je grimaçai et étendis la jambe dans l'espoir d'atténuer la souffrance qui m'avait saisie un bref instant. Elle finit par disparaître, mais ma culpabilité resta, comme toujours, intacte.
"En mars 1886, mon neveu Gaston a commis un attentat sur ma personne. Il a voulu me tuer, mais n'a réussi qu'à atteindre ma jambe. Une balle s'est logée dans ma cheville et m'a rendu infirme. Il a été jugé fou ; je n'ai jamais démenti. C'était plus commode. Je ne voulais pas risquer qu'une sale affaire n'entache mon rang. La vérité n'a jamais été sue. J'aurais voulu l'emporter avec moi dans la tombe mais comme vous pouvez le constater, je suis un cadavre ambulant et vous parle à cercueil ouvert."
J'écartai légèrement les bras avec une moue sans joie, teinté d'amère ironie. Remarquant que le verre de la sombre demoiselle était vide, je me levai, m'emparai de la bouteille de pur whisky et lui en servis une bonne lampée. Après quoi, je me redressai et restai pensif, la bouteille en main.
"Que dire d'autre ? La seule femme que j'ai jamais aimée est morte en couches, donnant naissance à une fille que je n'ai jamais eu le loisir de voir. Elle était probablement de mon sang. Une petite Marie, comme vous..."
Je lui adressai un demi sourire avant de lever les yeux au ciel, cherchant d'autres informations sur ma vie susceptibles d'éveiller son intérêt. Au-dessus de nous, les étoiles scintillaient à travers la coupole de verre. C'était une nuit magnifique.
"Lorsque j'étais piégé à bord du Nautilus, je me suis suicidé un nombre de fois incalculable."
Comme il était étrange de parler de tout ceci avec aisance. D'ordinaire, je taisais toutes ces choses, toute cette part d'ombre. Je préférais ne montrer que la lumière aux autres ; c'était ce que l'on attendait de moi en tant qu'explorateur de l'imaginaire.
"J'ai toujours été ramené par une force invisible." poursuivis-je, soucieux. "Si bien que je m'interroge sur mes aptitudes à défier la mort. Etait-ce le submersible qui me maintenait en vie ou suis-je une sorte de Thanatonaute, un pionner destiné à repousser les frontières de l'univers connu ?"
Mon regard tomba sur mon livre de chevet. Il s'agissait des Thanatonautes de monsieur Werber. Un auteur de talent, un inventeur de probabilités qui n'était pas sans me rappeler quelqu'un. M'en saisissant, je repris d'un ton plus enthousiaste :
"Je me documente de mon mieux sur le sujet. Excellent livre, d'ailleurs. Il devrait vous plaire. Il aborde la mort d'un point de vue naturel et sans demi-mesure. D'ailleurs, il n'est pas tout à fait écrit comme un roman."
J'appréciais énormément monsieur Bernard Werber pour avoir lu bon nombre de ses ouvrages. La plupart m'avait transportée. Il repoussait les limites de la science actuelle, m'aidant à mieux les comprendre et à les envisager. J'avais la nette impression qu'il marchait dans mes pas, qu'il empruntait la voie que j'avais ouverte des siècles plus tôt avec les idées limitées à mon époque. D'ailleurs, il me citait fréquemment dans ses romans, ce qui n'était pas sans me flatter. Après la lecture du Sixième Sommeil, j'avais été si transporté que, enhardi, je lui avais écrit une lettre signée de ma véritable identité, dans laquelle je le congratulais sur ses recherches et ses références à mes oeuvres. Evidemment, je n'avais obtenu aucune réponse de sa part. Sans doute avait-il cru qu'un fou se prenant pour Jules Verne avait cherché à établir un contact. Je ne lui en tenais pas rigueur : j'aurais eu la même réaction si de mon temps, j'avais reçu un pli de Molière.
J'ouvris le livre à la première page et lus la définition indiquée à voix haute :
"THANATONAUTE, nom masculin (du grec thanatos, mort, et nautês, navigateur). Explorateur de la mort."
Puis, le refermant :
"Je pense en être un, sauf que je n'ai pas encore la bonne clé pour ouvrir les souvenirs se rapportant à mes nombreux voyages dans ce monde inconnu."
Tendant le livre à la jeune femme, je lançai sans détour :
"A votre tour, à présent."
Puis, constatant qu'elle ne semblait pas comprendre -ou ne le voulait pas- je croisai les bras tout en la fixant.
"Racontez-moi quelque chose d'heureux vous concernant. Je suis persuadé que votre vie contient au moins un souvenir agréable."
Cela m'apparaissait comme une bonne démarche : je lui racontais mes malheurs pendant que nous apprendrions à collectionner ses petits bonheurs. Elle ne pouvait pas être aussi lugubre indéfiniment. J'étais certain de parvenir à la faire sourire, tôt ou tard.
Ce simple rituel d'invocation prenait des tournures de séance de psychiatrie. C'en était presque exaltant ! Je retournai vers le fauteuil pour le rapprocher du lit, de sorte à prêter une oreille des plus attentives. J'avais toujours un fond d'anxiété, mais je me sentais également libéré d'un poids. Il suffit parfois de se savoir écouté pour se sentir mieux.
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Mary Bates
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i've been such a fool for colors, now i can't see a thing.
But I suppose if I had everything and everything had me, then I would be a dreamer but dreams don't mean a thing.
Il suffisait de lui demander pour qu'il débite une quantité de paroles incroyable. Ça collait au profil de l'égocentrique dans un sens, satisfait de pouvoir étaler son existence « bien remplie et exemplaire ». Mary anticipait déjà la frustration et l'amertume que cet échange lui apporterait, le trouvant au moins perspicace pour reconnaître que son histoire ne lui plairait pas. Ce fut peut-être volontairement, qu'elle remonta légèrement le tissu le long de sa cuisse. Juste pour voir si ça le décontenancerait, lui qui n'avait à l'évidence plus apprécier la compagnie d'une femme depuis longtemps, même s'il cherchait à faire croire le contraire.
Malheureusement, il était si obnubilé par ses propres mots qu'il n'y prêta pas un quelconque intérêt. Elle retint une moue désabusée, ignorant le récit de ce mensonge d'une banalité affligeante. Tout le monde mentait. Tout le monde trompait. Elle aurait préféré qu'il en soit la victime plutôt que l'initiateur, le point de vue de ceux ayant subi était toujours plus intéressant. Ce ne fut pas à cause de cette anecdote lamentable qu'elle lui accorda finalement un regard curieux.
Il n'avait pas dit son nom. Cette constatation la frappa de plein fouet. Il connaissait le sien, mais elle ne savait rien. Aucune des informations qu'elle avait retenu ne lui donnait d'indications sur son identité. Il n'y avait qu'une date. Les individus ne parlaient pas de leur passé en dates, ici, ce n'était qu'en endroits aux noms étranges, comme s'ils racontaient la vie d'un autre. « Quand j'étais une princesse », « Quand je combattais des méchants sorciers ». Des manières qui lui donnaient la nausée. Il ne s'y prenait pas de cette façon. Il n'était pas comme les autres.
Elle ne l'interrogea pas, le détaillant d'une manière nouvelle, l'évocation de cette petite Marie la laissant insensible. Le Nautilus. Elle connaissait ce mot. Si elle n'en laissa rien transparaître, ses réflexions s'enchaînaient pour trouver une logique, s'imprégnant de chaque parole prononcée. Un explorateur de la Mort, si ce n'était pas son jour de chance. Elle s'empara du livre, ne lui prêtant pas d'importance à cet instant, continuant d'épier le moindre mouvement de son hôte.
« Ça ne fait pas partie de l'accord. »
Mary se détourna du bouquin qu'elle laissa posé à côté d'elle, sur la couverture, secouant légèrement la tête. Elle ne se sentait pas obligée de satisfaire sa demande simplement parce qu'il s'était montré généreux en informations. Elle vida son verre d'un trait, le posant sur la table de chevet sans attendre qu'il réagisse pour se servir à nouveau. Elle ne le récupéra pas pour autant, se redressant afin de s'asseoir en tailleur face à lui, faisant abstraction de l'inconfort de cette position dans la tenue qu'elle portait.
« D'où venez-vous ? »
Loin de l'autorité, c'était l'enthousiasme qui prenait le pas. Une sorte de curiosité pleine d'indiscrétion, alors que ses suppositions lui laissaient penser qu'il venait de ce monde et non pas d'un des nombreux autres emportés par la malédiction. Malédiction qui, paradoxalement, l'avait sorti de son existence obscure sans que ce ne soit plus palpitant pour autant.
Son silence lui fit se pincer les lèvres, dans une moue pleine de frustration où pointait un léger agacement. Elle pouvait le forcer à le parler de bien des manières, ça ne la dérangerait pas. Il avait beau masquer sa crainte, elle imaginait qu'il restait en alerte et que le tourmenter davantage serait d'une facilité déconcertante. Elle n'en fit rien, pourtant, restant immobile sur le lit. La seconde option se présentant à elle était de partir et de laisser derrière elle le mystère qu'il avait crée sans même s'en rendre compte autour de sa propre personne. Ce qui ne lui convenait pas non plus.
« Vous êtes tenace, Monsieur le Thanatonaute. » lâcha-t-elle d'un ton presque éteint. « J'imagine qu'on peut dire que c'est une qualité. »
Oser lui tenir tête était une chose qu'elle admirait autant qu'elle l'exécrait. Cet homme, en réalité, lui inspirait autant d'exaspération de part son comportement que d'attrait par sa nature inconnue. Un sentiment dérangeant d'opposition, mais elle était habituée à l'aspect dérangé de ses idées.
« Un seul, dans ce cas. »
Son visage prit l'expression de la réflexion, puisqu'il lui en faudrait pour trouver quoi que ce soit à raconter. Un mensonge, peut-être ? Leurs visions d'un souvenir heureux ne se rejoignaient certainement pas, dans un premier temps, puisque les meurtres de ses géniteurs étaient les plus marquants à ses yeux. Tout comme ils avaient eu lieu après sa mort en un sens, cela le discréditaient forcément. De son vécu, rien ne lui semblait correspondre. Tous les vestiges qui lui restaient lui étaient cernés d'imposture, chaque plaisir teinté de déception. Au moins un...
« Un homme tenait une volière près de l'endroit où je vivais. Magnifique. La volière, pas l'homme. » précisa-t-elle avec un rictus dégoûté, après un long moment de mutisme.
Elle leva presque les yeux au ciel, ennuyée par ses propres mots, choisissant ce moment pour récupérer son verre qui ne serait pas de trop dans cette affaire. Elle en contempla le contenu, sa main s'y crispant légèrement.
« Il possédait toutes sortes d'espèces. Des échassiers, des passereaux, des imitateurs... Il en récupérait à tous les coins de la planète dès que l'occasion se présentait. Il avait cette chouette lapone, elle était grandiose. Vous en avez déjà vu ? »
Elle ne lui accorda qu'un coup d'oeil, cette question n'attendant pas de réponse.
« Je passais des journées et des soirées entières à la regarder ou à lui parler. J'étais persuadée qu'elle me comprenait. J'ai presque grandi avec elle. Je lui avais même donné un nom... mais je ne sais plus lequel. »
Elle secoua négligemment la tête, ne cherchant pas à recouvrer cette information. Elizabeth avait toujours éprouvé une certaine admiration pour tous ces volatiles, sans doute parce qu'ils représentaient une chose qu'elle n'avait jamais réussi à atteindre.
« Son propriétaire était dévasté le jour où elle a disparu. Il n'a pas apprécié que je la laisse partir. »
Se remémorer la peine que l'égoïste avait ressenti lui arracha un sourire serein. Elle n'avait pas eu conscience de la peine causée à l'époque mais ça ne rendait en définitive que le moment plus agréable, si on occultait la douleur qui avait suivi. Elle ne le regrettait rien.
« Elle avait été emprisonnée toute sa vie et a pu retrouver sa liberté. Certains n'ont jamais cette chance. »
Son ton était détaché tandis qu'elle prenait une gorgée brûlante de la boisson. Cela ne suffit pas à faire passer le goût amer qui s'installait dans sa gorge à peine ces mots prononcés. Elle se pinça brièvement les lèvres, dépliant ses jambes pour les ramener devant elle. Elle ne comptait pas s'attarder sur son propre récit, elle n'était pas comme lui à vouloir en étaler les causes et les conséquences. Il avait eu ce qu'il voulait, du moins c'est ainsi qu'elle le voyait, il n'avait pas besoin de plus.
« Où est-ce qu'on en était déjà ? »
Son regard pétillait de nouveau de cette avidité de connaissances. Il ne lui fallait pas beaucoup de temps pour renfermer toutes les images qui lui étaient revenues, l'espace de quelques minutes, dans un coin de sa tête.
« Vous semblez plutôt jeune pour un cadavre ambulant. »
Mary se pencha juste assez pour le détailler de plus près. On ne pouvait pas échapper à la mort sans que ça ait un prix. Elle avait connu la solitude et l'obscurité pour avoir voulu l'éviter. Elle savait à présent que c'était une fatalité et ne la craignait pas, ayant presque hâte de voir ce qui se passerait. Est-ce qu'elle serait toujours condamnée à devoir rendre visite aux imbéciles qui l'appelaient, même une fois que son corps serait en train de se décomposer ? C'était une question qu'elle se posait parfois.
« Vous étiez le seul piégé à bord de ce sous marin, c'est ça ? Combien de temps ? Pourquoi ? Comment en êtes vous sorti, si ce n'est pas en vous tuant ? »
Elle n'attendit pas de réponses avant de se laisser tomber en arrière sur le matelas. La vue était plutôt agréable. La perspective d'y passer la nuit lui déplaisait de moins en moins.
« Vous êtes plus passionnant que ce que j'imaginais. Il nous faudra peut-être plus d'une nuit, finalement. »
Et c'est elle qui osait dire qu'il ne fallait pas se fier aux apparences...
black pumpkin
Jules Verne
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« Every night I lie in bed. The brightest colors fill my head. »
A million dreams are keeping me awake I think of what the world could be.
J'avais réussi. Je m'auto-congratulai mentalement d'être parvenu à arracher un souvenir heureux à cette sombre demoiselle. Nul n'est entièrement dépourvu d'allégresse. C'est tristesse de constater que le bonheur n'est jamais distribué en quantité égale chez les gens. Mary faisait partie de ceux qui possèdent un lourd bagage et qui sont trop accaparés par ce dernier pour songer à s'en délester. J'aurais aimé le matérialiser d'une quelconque façon afin de l'en libérer. Le jeter par la fenêtre aurait été une bonne alternative. Hélas, personne n'est capable d'une telle prouesse, pas même un dieu ou un titan.
Je m'étais laissé tomber contre le dossier du fauteuil tout en l'écoutant avec attention, jouant distraitement à faire onduler le liquide au fond de mon verre. Mon regard était focalisé sur elle. J'avais vu son visage pâle se décrisper à mesure qu'elle se plongeait dans son agréable réminiscence. Il me semblait entendre les battements d'ailes des oiseaux qu'elle décrivait avec nonchalance. Je les distinguais à travers ses yeux, formes gracieuses et avides de liberté.
Elle coupa court à son récit, se redressant afin de me détailler de plus près. J'eus un léger sursaut, déstabilisé par son regard inconvenant. Fort heureusement, elle se laissa bientôt retomber en arrière sur le lit, le désordonnant de plus en plus. Cette constatation me fit tiquer. Je détestais me coucher dans un lit défait. D'un autre côté, quelque chose me disait que je n'étais pas prêt à dormir, ce soir-là. La nuit promettait d'être longue. Si j'avais su, j'aurais préparé un café bien noir au lieu de nous servir du whisky.
Ses indiscrétions concernant mon passage à bord du Nautilus m'arrachèrent une moue malicieuse. Ainsi, elle me montrait de l'intérêt. Elle n'y était pas contrainte, puisqu'elle avait elle-même établi les règles du "jeu". Pourtant, elle insistait sans en avoir l'air. J'appréciais cette curiosité hautaine qui la caractérisait. Je pris tout mon temps pour lui répondre, humectant mes lèvres tout en me penchant en avant :
"Cent onze années."
J'attendis que ces mots fassent leur petit effet avant de poursuivre, presque las :
"Cent onze années dans une cage de métal pressurisée. Pourquoi ? Je ne suis pas certain d'en connaître la véritable réponse. Je tenais un carnet répertoriant chacun de mes suicides. L'imagination prend un détour vertigineux quand il faut trouver des morts plus épouvantables les unes que les autres pour s'arracher à une prison. J'ai fini par atteindre mes limites. Cependant, mon corps n'a jamais atteint les siennes."
Conscient de me répéter, j'enchaînai avec le fin mot de l'histoire :
"Des aventuriers sont arrivés et m'ont sauvé. Avec une intervention divine, tout semble soudain beaucoup plus facile."
Je ne parvins pas à esquisser un sourire, malgré tous mes efforts. J'avais appris depuis que les Olympiens avaient eux aussi leurs limites, et que les enjeux étaient d'autant plus effrayants qu'insurmontables. Nous étions tous voués à disparaître dans une apocalypse imminente. Souvent, je me demandais quel est le but de l'existence. A quoi bon s'être échappé d'un submervible pour assister à la fin de toute chose ? Il n'y avait aucune logique mathématique là-dedans. Rien d'autre qu'un malheureux hasard à l'humour suspect.
"Mais laissons cela." fis-je en posant mon verre sur la table de chevet.
Je joignis ensuite les mains sur mes genoux, toujours assis sur le fauteuil.
"Savez-vous à quoi je m'emploie lorsque la solitude m'est trop pénible ?"
Ma question sembla flotter entre nous. Je lui laissai le temps de parvenir jusqu'à la demoiselle figée comme une statue de cire.
"Je repense aux beaux jours passés. Je les revois, je les remodèle dans mon esprit. Je recolore les souvenirs flétris."
Un peu mécaniquement, je me levai et fis le tour du lit. J'accrochai le regard de Mary. Après une hésitation, je décidai de m'y asseoir, puis de m'allonger aux côtés de la jeune femme. Bien entendu, j'établis une distance d'une quarantaine de centimètres, autant que me le permettait le matelas heureusement fort large. Je n'avais aucune mauvaise intention. Je souhaitais seulement pousser l'exercice plus loin et lui permettre une plus grande éclaircie sur ses réminiscences. J'avais la sensation de lui avoir fait accomplir une chose inédite. Grâce à cela, elle m'apparaissait désormais comme une demoiselle douée de fragilité et non plus comme une créature du diable. La frontière entre l'une et l'autre et mince, je n'en étais pas surpris. Il en est souvent ainsi avec le beau sexe.
"Je m'allonge et je m'accroche aux belles choses que j'ai vécues. Elles m'aident à anticiper les jours sombres. Retrouver l'amère déception de l'existence actuelle devient plus aisé. Voulons-nous essayer ?"
Sans attendre de réponse particulière, je tournai la tête vers la coupole de verre dévoilant le ciel nocturne moucheté d'étoiles.
"Fermez les yeux. Vous n'êtes plus dans ma chambre, à Storybrooke. Vous vous trouvez tout en haut de la volière, près de la maison de votre enfance. L'air est pur, le vent souffle de temps à autre à travers les différentes ouvertures grillagées. Les rayons du soleil caressent votre peau. La chouette laponne hulule près de votre oreille, mordille vos cheveux. Elle est le centre de vos rêves. Vous êtes redevenue une enfant."
Je marquai une pause, la laissant s'imprégner de l'histoire émanant directement de son esprit. Je n'osais tourner la tête, de peur qu'elle ne sente un mouvement et n'arrête l'exercice. J'ignorais si elle avait cherché à accomplir ce que je lui demandais. Après tout, le choix lui appartenait.
Je passai la langue sur mes lèvres, à demi perdu dans la contemplation des étoiles. Quand j'étais petit, j'aimais m'allonger dans l'herbe, je levais ma plume et j'imaginais la tremper dans l'encre du ciel pour y dessiner toutes mes rêveries. J'adorais revenir à ce moment de mon existence. Là où tout était encore possible.
"Il y a un petit garçon non loin. Vous le remarquez car il a escaladé le toit de la volière pour y observer le ciel. Le soleil couchant annonce que la nuit va bientôt tomber. Pour la première fois, vous vous rendez compte que vous n'êtes pas seule."
Pourquoi cherchais-je à l'aider ? Nous partagions la même désillusion. Peut-être était-ce pour voir apparaître un sourire sur son visage ? S'agissait-il d'un simple défi ? Je n'aimais pas deviner la détresse chez quelqu'un. Je me sentais aussitôt investi de la mission de lui venir en aide.
"Vous imaginez un peu, si nous pouvions remodeler les souvenirs et changer le passé par notre seule volonté ? Nous serions invincibles." murmurai-je alors que j'imaginais deux enfants discuter au sommet d'une volière, il y a fort longtemps. "Dites-moi à présent... que fait la petite fille ?"
C'était à elle de réécrire la suite de son passé. Tout pouvait prendre une tournure différente si elle le décidait. Qu'importe si cela ne restait que des pensées ? Elles étaient capables d'influer beaucoup sur le mental.
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all i need is to remember... how it was to feel alive ?
Feel it as the wind strokes my skin, I am moved by the chill.
Est-ce qu'il supportait réellement l'alcool ou est-ce que son niveau d'ébriété avait déjà atteint un niveau critique ? Cette question lui effleura sérieusement l'esprit. Non pas parce qu'il prétendait avoir été seul cent onze années – elle avait dépassé les cent cinquante, personnellement – mais à cause du comportement qui suivit. Ses paroles avaient le goût amer de ces chimères capables de lui donner de l'urticaire. Elle ne dit pas un mot, abandonnant son verre avec le sien et le suivant du regard tandis qu'il s'installait à côté d'elle. Seule sa tête se tourna légèrement pour l'observer, un rictus amusé passant sur ses lèvres face à la distance qu'il imposait. Elle s'efforça à garder le silence et ravala toutes les remarques qui tentèrent de passer la barrière de ses lèvres.
Sa proposition provoqua un froncement de sourcils immédiat. Que cherchait-il finalement ? Il l'avait appelé pour un service qu'elle avait plus ou moins accepté de rendre en échange d'une soirée divertissante. Mary n'était pas mécontente de ce qu'il avait pu proposer jusque là, seulement la tournure entamée ne l'enchantait guère. Après le souvenir, le voilà qui désirait qu'elle se laisse aller à cette sorte de méditation douteuse. Elle n'obéit pas lorsqu'il lui intima de fermer les yeux. Au contraire, elle continuait de le fixer, le visage à peine retourné. Elle ne décelait aucune noirceur dans ses actes, rien qui aurait pu éveiller sa méfiance, pourtant elle ne pouvait s'empêcher de se montrer défiante.
Elle ne voyait pas l'intérêt de cette mise en scène, elle n'en décelait pas le but, si ce n'était pour chercher à l'agacer ou à la contrarier. Tout son corps se contracta alors qu'il s'adonnait à son récit. L'avait-il travaillé ou était-il simplement doué d'un talent naturel pour décrire les histoires qui germaient dans sa tête ? Elle se sentit étrangement décontenancée alors qu'il remodelait ses propres souvenirs, y ajoutant des faits qui ne s'étaient jamais produits. Ça n'avait aucun sens. Aucune utilité.
Son interrogation murmurée lui fit porter son regard sur le ciel étoilé. Invincibles. Ce pouvoir ne faisait donc pas partie des choses que ces divins l'ayant sauvé pouvaient accomplir ? Ce n'était pas étonnant. Personne n'était capable de changer le cours d'une existence. Elle l'aurait sans doute fait, si on lui en avait donné le talent. Qui n'aurait pas essayé ?
« La petite fille aurait dû terminer la bouteille de whisky avant de se lancer dans un tel exercice. » chuchota-t-elle finalement, presque railleuse.
Mary inspira longuement avant de fermer les yeux. Elle ne se fermait pas aux nouvelles expériences, même si ses motifs demeuraient obscurs. Elle se rappelait avec une précision presque trop poussée des détails sur le plumage de la chouette, elle savait exactement à quoi ressemblait cette volière. Malgré cela, elle n'arrivait pas à se figurer ce décor chaleureux qu'il avait dépeint comme si il s'y trouvait. Le soupir qu'elle lâcha alors dégageait une pointe de frustration.
Jamais elle n'avait vu un coucher de soleil lorsqu'elle était enfant. La première fois qu'elle assista à ce phénomène, ce fut bien des années plus tard, avec James. Il le lui avait décrit à de nombreuses reprises avant qu'elle ne le voit de ses propres yeux, subjuguée par le mélange des couleurs qui se produisait dans le ciel. Elle se maudit de se faire cette réflexion tandis que le visage qu'elle prêtait à ce petit garçon qu'il évoquait se mêlait à celui de l'homme.
« Pourquoi est-ce qu'il reste ? Il devrait la laisser seule. »
Les dents serrées, elle laissa échapper ces quelques mots tout en se crispant davantage. Il n'existait pas. Il n'était qu'une illusion. Tout comme cette gamine aux cheveux blonds, au sourire éclatant et aux espoirs révoltant. Elle se nourrissait des contes et des aventures d'autrui, elle s'inventait un avenir rayonnant. Tout était à sa portée, tout en étant désespérément inaccessible.
« Elle choisirait de partir à sa place. Elle partirait aussi loin que possible. »
Non. La petite Elizabeth avait toujours adoré être entourée. Son appétit de découvertes la menait à se lier à tout ceux qui se présentaient sur sa route. Elle n'aurait jamais ignoré un petit garçon. Elle s'y serait accrochée. Elle lui aurait raconté tout ce qu'il souhaitait entendre, si ce n'est plus. Elle se serait livrée sans réserve ni pudeur jusqu'à ce qu'il la supplie d'arrêter.
« Mais elle ne connaît rien au monde. Elle ne survivrait pas si elle osait. »
Mary ressentit une étrange palpitation, déchirante et pleine d'affliction. Elle repoussa les images qui lui revenaient, qui s'associaient, avant qu'elles n'aient pu prendre réellement forme. Il ne resta plus que l'obscurité derrière ses paupières closes. Elle était préférable à toutes ces fables. Envahissante et rassurante. Pesante.
« La fin de cette histoire ne sera pas heureuse. »
Ses yeux s'ouvrirent à nouveau après ce qui lui semblait avoir été une éternité. Elle sentit son souffle se faire plus court. Comme un automatisme, elle chercha du regard la première bougie se présentant, se raccrochant à la flamme vacillante. Elle se sentait haletante et oppressée dans cette pièce à la clarté voilée.
« Vous êtes un incorrigible rêveur, n'est-ce pas ? »
Elle pivota juste assez pour se tourner vers lui. Ce n'était pas surprenant de la part d'un auteur, elle aurait plutôt été étonnée du contraire. Elle ne jalousait pas cette capacité, elle l'avait abandonné il y a bien longtemps. Tout était beaucoup plus facile depuis.
« Je ne suis pas comme vous. Personne n'est venu me sauver. » poursuivit-elle dans un murmure.
Sur bien des points ils étaient d'exacts opposés. Elle s'était rapprochée, effaçant une partie de la distance qui les séparait sur le matelas. Sa main alla jusqu'à frôler son bras dans un geste lent tandis que ses yeux détaillaient la silhouette de cet homme dont elle ignorait toujours le nom.
« Si vous cherchez à me connaître, ce n'est pas cette petite fille qui devrait vous intéresser. Mais celle que vous avez vu dans le miroir. » précisa-t-elle sans hausser le ton de sa voix. « Celle qui a choisit la solitude et la vengeance. Celle qui a tué ceux qui prétendaient faire partie de "sa famille", et d'autres encore, qu'elle ne connaissait même pas. C'est elle qui est là. »
Ce n'était pas parce qu'elle n'en avait pas l'apparence qu'elle en était différente. Elle n'était en réalité ni celle de sa vie d'avant, ni celle d'après, juste une évolution constante qui avait mené à un résultat des plus discutables, confus et incomplet.
« Votre esprit est peut-être capable de se raconter des récits légers et radieux... mais le mien ne sait que créer des cauchemars. »
Ses nuits étaient la plupart du temps agitée par les souvenirs obscurs, jamais par cette chouette qu'elle avait un jour apprécié. Et elle se disait avoir dû en imposer bien d'autres, dans les songes des inconnus qu'elle avait parfois épargné. Mais elle les supportait déjà bien assez lorsqu'elle dormait, elle n'avait pas envie de les raviver alors qu'elle était éveillée.
« Est-ce que le petit garçon souhaite toujours rester, maintenant ? »
Elle n'essayait pas de l'angoisser, même si l'impression qu'elle donnait pouvait paraître tout autre. Elle voulait juste lui faire comprendre que la réalité était bien différente de ce qu'il espérait.
black pumpkin
Jules Verne
« J'ai pas trouvé où on peut demander un rang personnalisé... ! »
Vous êtes votre seul refuge, il n'y en a pas d'autre.
"Le petit garçon reste parce qu'il pense qu'il y a encore de l'espoir." déclarai-je tardivement à sa première pensée formulée à haute voix. "Ils pourraient partir ensemble, elle et lui. Le monde est toujours moins impressionnant lorsqu'on est plusieurs à l'explorer."
C'était pour cette raison que mes aventuriers étaient toujours au moins trois. Quand je dessinais le squelette d'un nouveau roman, je l'articulais forcément autour d'un personnage central, souvent un professeur curieux ou un érudit friand de nouvelles découvertes. Je le flanquais ensuite d'un compère amusant, un peu fat ou sot, susceptible de déclencher l'élément comique. Enfin, j'ajoutai parfois une tierce personne, comme un éminent capitaine d'un sous-marin avant-gardiste ; une figure d'autorité et de sagesse. Le trois est un excellent chiffre. Le deux n'est pas si mal pour débuter une grande aventure. C'est ainsi que fonctionnent les belles histoires.
Je restai songeur vis-à-vis des paroles de la jeune femme. Elle ne se prêtait pas à l'exercice de la façon dont je l'avais escomptée, mais elle y réfléchissait, ce qui était plutôt positif.
"Il ne suffit pas d'être sauvé. Il faut encore se sauver soi-même ensuite. Nul ne peut le faire à votre place. La volonté est votre seule alliée."
J'avais l'étrange impression de prêcher un vieux serment d'église. Je secouai légèrement la tête sur l'oreiller. Je n'avais jamais été très croyant, malgré mes longues heures perdues à la messe durant mon enfance. Je croyais aux prouesses humaines, aux aptitudes de l'Homme à repousser les limites du possible. Il faut forcément avoir foi en quelque chose, sans quoi vivre demeure vain. Peut-être était-ce pour cette raison que la demoiselle se révélait si pessimiste ? N'avait-elle plus rien à attendre de l'existence ?
Un frisson parcourut mon échine alors qu'elle évoquait ce qu'elle avait fait, toutes ces vies qu'elle avait prises. Je m'en doutais. On ne devient pas une créature du diable sans raison. Je me souvins seulement à cet instant que la jeune femme que j'avais invitée sous mon toit était dangereuse. J'avais tant tenté de la cajoler que je l'avais presque oublié. Elle s'était rapprochée ; j'étais resté à ma place, immobile alors qu'elle frôlait mon bras de sa main. Sans doute cherchait-elle à m'intimider. Je ne souhaitais pas lui montrer que c'était le cas. J'avais affronté bien trop de choses pour me laisser effrayer par si peu.
Aussi je hochai une seule fois la tête à sa question. Bien entendu que le petit garçon allait rester. Je n'allais pas interrompre l'exercice au premier obstacle. Avais-je déjà mentionné mon entêtement ?
"Une personne n'est jamais entièrement lumière ou ténèbres. Nous sommes tous affectés et transformés par les expériences que nous traversons." lançai-je avec conviction. "C'est à nous de décider de quel côté faire pencher la balance à chaque fois."
Je la considérai d'un oeil accru.
"Je vous comprends : c'est plus commode d'emprunter la voie obscure. Elle est plus séduisante et plus facile."
Mon expression devint légèrement méprisante.
"Je trouve que c'est triste. Vous avez le potentiel en vous de rendre le monde meilleur, comme tout à chacun, et vous ne faites rien. Vos cauchemars pourraient devenir des rêves si vous ne vous montriez pas aussi... paresseuse."
Oui, je venais de la rabaisser. J'en assumerai pleinement les conséquences. Je cherchais seulement un moyen de provoquer un déclic en elle. Quitte à en payer le prix fort. Après tout, qu'avais-je à perdre hormis la vie ? Et encore, sur ce dernier point, je risquais de revenir. Alors en ce cas, autant rester optimiste jusqu'au bout !
"Ah ouais d'accord..." fit une voix masculine.
Je me redressai, apercevant Elliot debout devant le lit, à nous fixer avec des yeux éberlués. Je remarquai qu'il avait les cheveux encore plus ébouriffés que d'habitude et les traits de son visage détendus. Nul besoin d'être détective pour comprendre l'urgence de Lily... J'en étais à la fois amusé et indigné. Et si j'avais été dans une situation périlleuse ?
Elliot nous observa encore quelques secondes, avant qu'un petit sourire naisse au coin de sa bouche. Evidemment, nous voir tous deux allongés côte à côte ne laissait que peu de place à l'imagination.
"Surtout continuez ! Faites comme si je n'étais pas là ! D'ailleurs, je m'en vais !"
Il plaça une main devant ses yeux et précisa en aparté, à l'adresse de Mary :
"J'adore ce que vous faites ! Et je vous imaginais plus flippante. Plus habillée aussi... enfin c'est pas une critique, hein !"
Il me fit ensuite un clin d'oeil et me désigna la table de chevet avec un manque de discrétion déconcertant.
"J'avais mis des trucs là-dedans y a un moment, au cas où. Faut pas hésiter à s'en servir."
Il hocha la tête plusieurs fois d'un air entendu puis disparut aussi vite qu'il était venu. Je fermai les yeux et inspirai, profondément consterné.
Merci Elliot pour cette intervention qui vient d'anéantir tous les précieux conseils que je tentais d'inculquer à la demoiselle. songeai-je amèrement.
Mon ami me répondit aussitôt par la pensée :
Mais faut pas essayer de donner des conseils dans ces moments-là, faut juste se laisser aller ! T'es vraiment rouillé, mon vieux !
Comme d'habitude, il n'avait rien compris. Je décidai de ne rien lui répondre, me détournant de Mary pour me lever. C'était le mieux à faire étant donné les circonstances. Tout en contournant le lit, je jetai un coup d'oeil oblique en direction du tiroir de la table de chevet. J'avais deviné de quoi il s'agissait mais je trouvais que mon ami ne manquait pas de toupet de se permettre des ajouts dans ma propre chambre. Il aurait fallu inventer un verrou divin pour empêcher les Olympiens d'entrer à l'improviste.
Quelque peu emprunté, je me dirigeai vers le tourne-disque et choisis un vinyle au hasard afin de détendre l'atmosphère. Je ne pensais pas commettre d'erreur en proposant une chanson de monsieur Aznavour. J'aurais dû en lire le titre avant de la lancer, car les paroles étaient plutôt équivoques :
Toi, parée de mille et un attraits Je ne sais jamais qui tu es Tu changes si souvent de visage et d'aspect Toi, quel que soit ton âge et ton nom Tu es un ange ou le démon Quand pour moi tu prends tour à tour Tous les visages de l'amour
Je levai la main vers le lève-bras, prêt à interrompre la musique, mais mon geste resta en suspens.
Toi, si Dieu ne t'avait modelée Il m'aurait fallut te créer Pour donner à ma vie sa raison d'exister Toi qui es ma joie et mon tourment Tantôt femme et tantôt enfant Tu offres à mon coeur chaque jour Tous les visages de l'amour
Ces paroles m'évoquaient une personne que je ne parviendrais jamais à oublier. Une histoire inachevée. Ce n'était pas pénible à écouter, seulement triste, désormais.
"Aimez-vous la musique ?" demandai-je à Mary, tout en observant le disque tourner sur le plateau.
Après tout, cette chanson n'était pas un mal. Ne parlaient-elles pas toutes d'amour, au final ? Sans l'intervention d'Elliot, je n'aurais pas trouvé d'embarras dans le fait de l'écouter. Autant continuer ainsi.
"Ou irait la petite fille, si elle choisissait une destination ?"
J'avais conscience que l'exercice avait tourné court, mais je n'en restais pas moins intrigué.
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Mary Bates
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| Avatar : Evan Rachel Wood
“I wish I were a girl again,
half-savage and hardy, and free.”
| Conte : Folklore | Dans le monde des contes, je suis : : Bloody Mary
all i need is to remember... how it was to feel alive ?
Feel it as the wind strokes my skin, I am moved by the chill.
Qu'il remercie Dieu de l'arrivée de son ami à cet instant puisqu'elle aurait pu, dans un accès d'hystérie lui étant propre, se mettre à l'étouffer avec un de ses oreillers. L'intervention était d'ailleurs bien divine, du peu qu'elle avait pu entendre parler de ces êtres, étant donné son apparition si soudaine et imprévue dans la chambre de l'écrivain.
Elle ne fit que hausser un sourcil face à ce nouveau venu, prenant ses remarques comme des sortes de compliments étranges et maladroits. C'était donc lui l'initiateur de l'invocation qui l'avait amené ici ? Il donnait l'impression d'avoir complètement oublié ce détail, s'imaginant à l'évidence un scénario bien éloigné de la réalité face à la scène qu'il observait. Mary se retint de lever les yeux au ciel à sa remarquer sur ces « trucs » mis dans la table de chevet. Elle se fit un instant la réflexion qu'elle aurait sans doute préféré passer quelques heures en compagnie de cet homme à l'évidence plus jeune et plus amusant, finalement. Le fait qu'il ne s'attarde pas la laissa presque déçue.
Son regard se porta à nouveau vers son hôte, mesurant le poids de sa provocation et celui de la valeur qu'elle apportait à ce jugement bien arrêté qu'il avait émit. Elle s'était redressée, n'écoutant qu'à moitié cette chanson des plus niaises qu'il avait choisit. De la variété française. Elle avait bien cru percevoir dans son accent que s'il ne venait peut-être pas d'un autre monde, il était d'un autre continent. Elle resta muette à sa première interrogation, qu'elle accueillit d'un bref rictus tout en se relevant pour s'emparer de la bouteille qu'il avait laissé. Elle ne jugea pas utile de s'encombrer d'un verre cette fois.
« Ça ne vous regarde pas. » lâcha-t-elle finalement après avoir laissé planer un léger silence.
Sa seconde question était encore plus insignifiante que la précédente, elle ne méritait pas qu'elle y prête de l'intérêt... ou Mary ignorait-elle peut-être simplement quelle réponse lui apporter. Elle enchaîna les gorgées de whisky, placée devant le miroir qui trônait dans cette chambre, ses yeux étudiant avec autant de précision que de lassitude son reflet. Elle avait accepté de lui laisser le bénéfice du doute à travers son exercice étrange. Elle estimait avoir perdu assez de temps à suivre ce jeu stupide.
Sa main reposa brutalement la bouteille contre le bureau. Elle hésita un instant à vider ce qu'il en restait comme contenu sur les documents éparpillés, mais un geste aussi puéril ne lui apporterait aucune sorte de satisfaction. Elle les étudia néanmoins, plus par principe que par réelle curiosité, avant que ses pas ne l'en éloignent pour la mener près des chandelles toujours disposées à certains recoins de la pièce. Ses doigts en éteignirent les flammes et elle fit de même avec les suivantes, sans dire un mot.
« Vous êtes gonflé d'espoir et de bonnes intentions. » murmura-t-elle dans un soupir, soufflant sur la dernière bougie après un temps d'hésitation.
Il ne restait plus que le ciel étoilé au-dessus de leur têtes pour leur apporter un semblant de clarté tandis qu'elle se plaçait derrière lui. Son bras ne fit que le longer pour aller stopper soudainement la musique dans laquelle la pièce s'était retrouvée plongée, seuls les battements violents de son cœur persistant à ses oreilles. Sa main s'accrocha à lui dans un geste assuré pour le forcer à lui faire face. Elle resta posée contre son coude tandis qu'elle relevait sa tête vers lui.
« Je ne trouve pas que mon existence actuelle soit triste. Elle n'est pas non plus grandiose. Mais les ténèbres, ou le néant, appelez ça comme vous le souhaitez, me conviennent parfaitement. »
Ses doigts étaient redescendus jusqu'à son poignet afin de délicatement l'entourer et elle se rapprocha sensiblement. Sans brusquerie, elle incitait la main de l'homme à effleurer sa peau, juste au niveau de sa cuisse. Elle sentait la tension dans chacun de ses muscles, partagée entre vigilance et frénésie. Si elle s'amusait de ce moment, elle n'avait pas été totalement sincère. Elle ne supportait que difficilement l'oppression procurée par l'obscurité. Elle s'y était habituée, c'est tout. C'était là que se jouait son équilibre, dans sa capacité à rester impassible alors que l'angoisse s'installait lentement au creux de son ventre. Au moins, elle ressentait quelque chose. C'était bien plus efficace que les récits extravagants de cet homme.
« Est-ce que ça fait de moi une mauvaise personne ? Peut-être. Est-ce que votre avis sur la question m'intéresse ? Absolument pas. »
Sa voix n'était plus qu'un murmure, sans qu'elle ne cherche à se montrer lugubre. Elle avait cessé de se soucier de l'avis des autres il y a longtemps maintenant et les choses étaient bien plus simples ainsi. Ne prenant pas la peine de paraître subtile, elle continuait lentement à guider ses gestes, poursuivant le contact de sa peau contre la sienne jusqu'à ses hanches, sous le tissu soyeux de sa nuisette. Sa propre main s'agrippait à la taille de son hôte, s'y serrant plus que nécessaire.
« Mais ce désir que vous avez de vouloir changer les choses... »
Elle atteignait ses côtes à présent et ne trouvait pas si déplaisant la chaleur dégagée par le corps de l'homme. Elle qui était constamment glacée reconnaissait que c'était une sensation délicieuse.
« C'est à la fois terriblement irritant et étrangement excitant. »
Son visage à quelques centimètres seulement du sien, elle le lâcha finalement, le laissant libre de poursuivre comme il le souhaitait seulement pour appuyer sa main sur son torse. Il avait l'air si frêle, au premier coup d’œil, mais ce n'était pas totalement le cas de ce qu'elle percevait à présent. Elle se servit de ce simple appui pour se redresser, collant son visage au sien jusqu'à ce que sa bouche soit assez proche de son oreille.
« Vous avez un charme naturel indéniable. Ne le gâchez pas en prononçant des paroles qui pourraient me blesser. » articula-t-elle dans un simple chuchotement.
Il n'était pas du genre à se laisser berner facilement, c'est bien pour cette raison qu'elle n'essayait même pas de faire semblant. A quoi bon se faire passer pour la gentille et innocente Elizabeth alors que c'était bien Mary qu'il avait appelé ?
Elle se recula juste assez pour le fixer à nouveau, se concentrant sur son regard pour ne pas se focaliser sur le manque de luminosité qui risquerait de lui faire perdre son assurance. Elle y lisait cette volonté à laquelle il avait fait allusion. Il avait été seul, lui aussi, et il s'accrochait. Il résistait. Elle le terrifiait certainement encore dans une certaine mesure, mais il ne céderait pas, elle en avait la certitude.
« C'est à vous de choisir la voie que vous allez emprunter maintenant. »
Son sourire était teinté de malice, sa manière de le toucher enveloppée d'une douceur à peine forcée.
« Vous pouvez vérifier par vous-même que je suis loin d'être paresseuse... »
Ses yeux étaient redescendus, sa tête se penchant légèrement sur le côté tandis qu'elle pouvait presque voir son pouls s'affoler au niveau de sa jugulaire.
« Ou appeler un taxi pour que je puisse rentrer chez moi. » précisa-t-elle sur le ton de l'indifférence.
Elle l'avait prévenu : il lui fallait une distraction pour passer la nuit. Et la discussion ne l'intéressait plus. Elle lui laissait le choix, c'était déjà bien aimable de sa part. Peu importait la finalité, elle se considérait comme gagnante de cette soirée.