« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
« Parce que tu crois que tu es ma faiblesse Tu me blesses, me meurtris... »
... Et tu te joues de moi comme de toutes choses.
A quel moment la situation m'avait-elle échappée ? Probablement à partir du début. Trop assuré, j'avais cru maîtriser le tempérament fougueux de la sombre demoiselle. Elle n'avait fait qu'attendre l'instant le plus judicieux pour agir avec sournoiserie.
Toutes les chandelles étaient éteintes et sans la luminosité discrète des étoiles au-dessus de nos têtes, nous aurions été plongés dans une obscurité totale. Le chanteur s'était tu, le disque tournait de moins en moins vite alors que le lève-bras demeurait éloigné de lui.
Ce silence glaçant n'était entrecoupé que par les paroles de la jeune femme, de temps à autre, à peine plus hautes qu'un murmure. Elle m'avait incitée à lui faire face et je ne savais que penser de cette brusque proximité. A mesure qu'elle parlait, elle s'approchait encore. Bientôt, sa main froide autour de mon poignet inspira la mienne à venir effleurer sa cuisse. Je frémis, ayant par réflexe un mouvement de recul, qui ne fut que passager. Je déglutis avec peine au son de ses paroles caressantes, alors que ma main était invitée à découvrir des dessous dont je n'avais pas même commencé à rêver.
Je tentai de rassembler mes esprits, mais les rouages de mon cerveau étaient enrayés. Ma main contre sa hanche se stoppa net dès l'instant où la sienne quitta mon poignet pour se diriger vers mon torse.
Réagis, Jules. Réagis !
Je ne savais quel sens donner au conseil que je me prodiguais. Il m'apparaissait que la cohérence avait quitté pour de bon l'espace de cette chambre.
Le souffle court, je restai immobile tout fixant la demoiselle alors qu'elle s'éloignait enfin. Trop peu ou beaucoup trop. Quel était le point de vue adéquat ? Mon coeur tambourinait dans ma cage thoracique, mélange de crainte et d'envie tandis que j'observais cette femme aux intentions aussi tentantes que déroutantes.
Dans un éclair de lucidité, je notai qu'elle avait quelques griefs contre moi. Elle n'avait pas apprécié que je la traite de paresseuse, même si elle attribuait un nouveau sens à ce mot pour mieux se sortir de ce mauvais pas. Les femmes et leur susceptibilité... J'aurais pu m'excuser de l'avoir blessée dans son orgueil si elle n'avait tant mortifié le mien. D'ailleurs, elle avait fait bien davantage. Sa proposition suggestive n'était-elle qu'une mise en scène ou était-elle véritablement intéressée ? Pouvait-elle vraiment s'offrir ainsi à un quasi inconnu, avec une indifférence teintée de mépris ? Cette dernière remarque me conforta dans l'idée qu'elle avait besoin d'être secourue, mais elle ne le jugeait pas utile. Peut-être qu'un jour, peut-être... elle accepterait qu'on lui tende la main ? C'était une éventualité sur laquelle il n'y avait aucune certitude.
Mon souffle était redevenu plus ou moins régulier.
"Vous n'avez aucune envie de partir." déclarai-je tout en plongeant mon regard dans le sien. "Laissons le taxi où il est."
J'aimais l'once de déroute que je lisais dans ses yeux. Il y avait également autre chose, un éclat subtil d'anxiété qui s'accentua alors que je m'écartai de quelques pas. C'était étrange, mais mon confortai dans mon but.
"Allons-y." lançai-je d'un ton cordial.
Tranquillement, je me débarrassai de mon veston que je posai sur le dossier du fauteuil après l'avoir soigneusement replié.
"Vous ne m'en voudrez pas si je replie mes affaires correctement. Je déteste le désordre." précisai-je d'une voix entendue.
Avec application, j'enlevai chaque bouton de ma chemise puis fis de même avec ceux aux poignets. Je tournai brusquement la tête vers Mary, l'air surpris.
"Eh bien, déshabillez-vous ! Ne perdons pas de temps. Ce que je fais est assez original et nous occupera le restant de la nuit. C'est ce que vous souhaitez, n'est-ce pas ?"
Sans attendre de réponse, et tout en gardant ma chemise ouverte sur mes épaules, je me penchai afin d'ôter mes souliers que je disposai à angle droit dans l'alignement parfait de la table de bureau, au sol. J'enlevai mes chaussettes et les plaçai à l'intérieur des chaussures. Je décidai d'attendre un peu pour le pantalon. Malgré tout, j'avais adopté un rythme méthodique et régulier, extrêmement lent, afin de dérouter et d'impatienter la sombre demoiselle le plus possible.
Mon intention ultime était de l'inspirer à oublier sa proposition indécente. Je connaissais suffisamment les femmes pour savoir qu'elles détestent que tout soit planifié militairement. Et je ne pensais pas me tromper en estimant que le beaux sexe n'avait pas changé de point de vue au XXIème siècle. Le contraire aurait été étonnant.
La sombre demoiselle était à la fois fougueuse et arrogante : je faisais précisément le contraire de ce qu'elle réclamait en étant prévisible et décevant. Tant pis si je perdais la partie et qu'Apollon et Cassandre ne recevaient jamais la visite terrifiante de Bloody Mary. Il me tenait davantage à coeur de ne pas l'encourager dans ses turpitudes. On appelait cela du "bluff". Bientôt, l'on saurait si j'étais doué en la matière, ou pas.
Afin de parfaire la comédie, je fus contraint d'abandonner ma chemise pour la replier avec une lenteur infinie. Je la posai ensuite sur le dossier du fauteuil, juste à côté du veston.
"Prenez place sur le lit, je vous prie." dis-je d'un ton pincé, presque las, alors qu'en vérité, une part de moi se maudissait de ne pas profiter de cette occasion inespérée.
Jules, tu es définitivement trop idiot. Pourquoi respecter une femme qui ne réclame aucun égard ?
Il me faut justement la respecter deux fois plus qu'une autre.
Cette agaçante voix de la conscience avait étrangement celle de mon ami Elliot. Je secouai la tête et inspirai profondément, tout en fixant le mur obscur devant moi. Qu'allais-je trouver lorsque je me retournerai ? Je ne savais plus ce que j'espérais vraiment.
crackle bones
Mary Bates
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“I wish I were a girl again,
half-savage and hardy, and free.”
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all i need is to remember... how it was to feel alive ?
Feel it as the wind strokes my skin, I am moved by the chill.
Elle ne s'était pas attendue à ce qu'il écarte si prestement et sans hésitation l'option concernant le taxi. Elle masqua rapidement son étonnement, balayé par une désagréable inquiétude alors qu'il s'écartait hors de sa portée. Ce n'était pas le fait de ne plus avoir de prise sur lui qui la décontenançait, mais cette stupide idée de n'avoir personne à qui se raccrocher si l'obscurité se faisait trop pesante autour de sa propre personne. Son regard évitait de s'attarder sur les zones les plus sombres de la chambre ou sur ce qui pouvait s'y cacher, préférant suivre la silhouette de l'homme qui se découpait clairement dans le décor. Si elle avait eu l'esprit romantique, elle aurait pu dire de la plus niaise des façons que son aura irradiait la pièce d'une clarté rassurante. Cette simple pensée, en plus des paroles qu'il prononçait, lui arrachèrent un rictus désabusé.
Ses directives sonnaient à ses oreilles comme des moqueries à peine camouflées. Tentait-il de se jouer d'elle à nouveau avec cette méthode des plus discutables ? La scène qui se déroulait devant elle était affligeante. Sa main s'était inconsciemment agrippée au meuble où reposait le tourne-disque, tandis qu'elle ne pouvait s'empêcher de trouver son comportement loin d'être naturel. Il avait cette façon de replier chacun de ses vêtements qu'elle aurait pu définir « d'adorable », si elle n'était pas en même temps si agaçante. Il agissait comme un automate et elle restait figée à l'observer de haut en bas, sans réussir à définir ce qu'il cherchait à provoquer. Elle cernait par contre pleinement chaque détail de la musculature de son dos d'où elle se tenait. Il était étrange de constater qu'il était encore plus agréable à détailler lorsqu'il lui tournait le dos.
« Vous procédez toujours de cette façon ? »
Le ton était intrigué, presque amusé. Elle avait croisé bon nombre d'individus aux préférences bien marquées – certaines même qu'elle avait préféré oublier. Ce côté rigide, maniaque et contrôlé n'était pas si peu courant. Elle se retint de faire remarquer qu'avec un tel mode de fonctionnement, il n'était pas étonnant qu'il n'ait plus passé de nuit avec une femme depuis « fort longtemps », comme il l'avait précédemment fait remarquer. Toutes devaient s'endormir avant que ça commence à devenir véritablement intéressant. Ou elles fuyaient. Ou elles ne venaient même jamais jusqu'à cette chambre.
« Vous êtes trop conventionnel. » prononça-t-elle finalement tout en secouant la tête, lâchant son appui provisoire après un court moment d'incertitude.
Ses pas la ramenèrent près du bureau, dont elle se mit à parcourir le bord de sa main. N'importe qui d'autre aurait sauté sur l'occasion à peine sa proposition évocatrice prononcée. Elle se rappelait de ce pauvre Michel-Ange qui avait foncé tête baissée, même si ses intentions pendant cette soirée avaient été bien différentes. Cet écrivain n'était pas aussi stupide et ne serait pas blessé par l'histoire d'une seule nuit. Mais pourquoi faire autant d'effort pour rendre l'instant formel ?
Elle releva sa tête vers lui, se penchant juste assez pour que son bras balaye plusieurs des éléments se trouvant sur la table face à elle. Les deux verres qui y étaient toujours posés se brisèrent contre le parquet, le recouvrant de leur contenu pétillant, tout comme la bouteille finit sa route en morceaux à même le sol. Les nombreuses feuilles de papier les avaient rejoint, sans doute déjà abîmées par la profusion de liquide, se mélangeant aux gâteaux qui s'étaient échappés du saladier dans leur chute.
La moue désolée qu'elle afficha alors était bien trop exagérée. Il n'aimait pas le désordre, elle se plaisait à le lui offrir. Elle ne voyait pas en quoi les préférences de l'écrivain devaient passer en priorité, qu'elle soit chez lui n'étant pas un argument suffisant à ses yeux. Elle pivota juste assez pour s'appuyer sur la table, se surélevant afin de s'y asseoir sans aucune gêne. Ses jambes se croisèrent et elle passa sa main sur le bas de sa nuisette, en déplissant distraitement le tissu.
« Vous êtes un auteur, vous avez une imagination débordante, mais vous suggérez... le lit. Je trouve ça triste de choisir ainsi la facilité. »
Son regard posé sur lui était insistant alors que ses mains restaient posées au bord du bureau. Elle faisait volontairement écho à ses paroles, déformant ses propos en les changeant totalement de contexte.
« Je vous inspire donc si peu ? »
Le ton était presque déçu, révélant une pointe de frustration. Mary n'était pas prétentieuse mais estimait malgré tout pouvoir réveiller les ardeurs de la gente masculine plus vivement, généralement. Plusieurs expériences le lui avaient confirmé et elle restait indécise quant à cette sorte de lassitude exprimée par son hôte. Ses pieds se balançaient dans le vide, ce détachement l'atteignant plus qu'elle ne se l'admettait. Elle n'en était pas vexée, il lui en fallait bien plus, mais... Si elle était incapable de faire preuve de la moindre passion, elle avait besoin de la ressentir de l'autre côté. C'était une façon de se rapprocher des émotions qu'elle n'était plus capable d'atteindre avec l'esprit clair. Elle aurait tout aussi bien accepté un refus direct, mais pas cette manière qu'il avait d'aborder la chose. Ça ne lui convenait pas. Si il faisait preuve d'autant de distance qu'elle, où était la distraction ?
« Je ne me déshabillerai pas. » énonça-t-elle alors le plus calmement possible. « Pas ici. »
Elle aurait pu croire qu'il n'en avait pas envie. C'était une possibilité. Mais dans quel but se donnerait-il la peine de faire semblant à ce point ? Et si il ne désirait rien, il se serait contenté de la faire partir, du moins elle aurait agit de cette façon. Pourquoi ne pouvait-il pas être comme tous les autres, aux intentions si faciles à décrypter ? Il était charmant et d'une gentillesse extrême. C'était sans doute pour cette raison qu'il refusait de profiter de l'occasion qu'elle lui donnait. Mais elle était intimement persuadée qu'il ne se résumait pas qu'à ça.
Elle se redressa subitement, passant derrière lui pour effleurer son dos avant d'aller attraper sa main. Elle ne lui laissa pas l'occasion de se dérober, rejoignant la porte de la chambre qu'elle ouvrit sans attendre, se retrouvant prise de court par l'obscurité bien plus prononcée à l'extérieur de la pièce. Elle ferait avec, allumer la moindre lumière modifierait bien trop l'atmosphère qui s'était instaurée.
Sa prise se fit néanmoins plus insistante lorsqu'ils entamèrent la descente de l'escalier. Mary s'appliquait à le maintenir proche d'elle tout en gardant son regard rivé sur les marches, se retenant pour ne pas se montrer trop pressée. Elle ne prononça pas un seul mot jusqu'à atteindre le rez-de-chaussée, seul moment où elle se décida à commencer à ouvrir les portes qui se présentaient à elle. Elle ne fit pas preuve de patience, ne prenant pas la peine de détailler les pièces qu'elle découvrait. Elle s'arrêta brusquement dans ce qui lui semblait être un genre de salon de musique, la décoration lui rappelant vaguement une période lointaine.
Elle se pinça les lèvres et lâcha la main de l'écrivain pour s'approcher du piano. Un léger sourire se forma sur ses lèvres alors qu'elle le frôlait à peine. Elle n'en avait pas touché depuis longtemps.
« Là. Ce sera parfait. » lâcha-t-elle dans un murmure.
Elle parvint à garder le contrôle sur la fébrilité naissante de son corps, s'écartant de l'instrument pour retourner près de l'homme.
« J'espère que vous vivez seul, ou l'on risque de nous surprendre. Je ne fais pas dans la discrétion. »
A vrai dire, cela lui importait bien peu. Il serait le seul à en être dérangé. Ses doigts se portèrent au bas de sa nuisette tandis que ses yeux se relevaient vers les siens et elle fit preuve d'autant de lenteur que lui pour se défaire de ce simple bout de tissu. Malice et provocation étaient trop tentantes avec cet individu. Ne lui restait alors plus que les fines broderies d'un dessous qui persistait à la couvrir - mais qui en dissimulait si peu, finalement.
« Je vous laisse la plier et la ranger où bon vous semblera. »
Elle laissa le vêtement tomber à ses pieds, son expression espiègle s'effaçant lorsqu'elle lui tourna le dos. Elle n'attendit pas d'autorisation pour se placer ainsi peu vêtue face aux touches qu'elle dévoila à ses yeux. Elle n'aurait su dire si cela lui provoquait un quelconque sentiment. La nostalgie lui était inconnue, pourtant elle se sentait comme traversée par... un vide, en étant assise ici.
« Aimez-vous la musique, Monsieur le Thanatonaute ? »
Elle lui retournait cette question à laquelle elle n'avait pas apporté de réponse, d'une voix douce et lointaine, tout en s'appliquant à appuyer les premières notes. Depuis quand n'avait-elle pas pratiqué ? Des années, probablement, mais Mary n'avait pas pu oublier. Elle retrouvait les mouvements qu'elle avait apprit par cœur, qu'elle avait tant apprécié, le sourire en coin qu'elle laissa échapper s'atténuant au fil des secondes. Elle avait toujours trouvé ces sons nobles et purs, finissant par en maîtriser le maniement jusqu'à l'excellence. Même si elle n'en avait pas eu le choix, sa mère toujours prête à la remettre sur la bonne voie en cas de faux pas. Quant à James, il passait des heures à l'écouter, son jugement pesant sur ses épaules. Il n'était pas là cette fois, elle n'avait pas à avoir peur.
Mary poursuivait le morceau sans que la cadence effrénée de son cœur ne parvienne à retrouver son rythme constant. Ses doigts se mirent à frapper plus fortement les touches, dans l'espoir de chasser les souvenirs. Et elle rata un accord. Un seul. Ses mains se stoppèrent immédiatement. Elle rouvrit ses yeux qu'elle n'avait pas eu conscience d'avoir fermés. Et elle interrompit son souffle saccadé d'une longue inspiration.
« Jouez avec moi. »
Ce n'était pas un ordre. Pas une requête. Juste un chuchotement isolé résonnant dans le silence.
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Jules Verne
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Le piano est l'instrument qui se joue avec nos émotions, bien plus qu'avec nos dix doigts.
Je n'avais pas desserré les dents depuis que Mary avait balayé le contenu du bureau d'un revers de main. Impuissant, j'avais vu mes croquis et mes idées couchées sur papier s'imbiber de whisky hors de prix, parmi les éclats de verre. Le parquet était fichu. Voilà ce qu'il coûtait d'invoquer une sombre demoiselle. Je n'allais pas manquer d'envoyer la facture du plancher à Elliot. Quant à mes feuilles abîmées... j'aurais pu me précipiter afin d'en sauver le plus possible, mais cela aurait sans doute ravi la jeune femme, trop fière d'avoir réussi à me contrarier. Aussi étais-je demeuré de marbre, me contentant de la fixer d'un oeil perçant, les poings serrés. Si elle avait éveillé une once de désir en moi, il n'en était plus rien, désormais. Elle m'avait atteint en plein coeur en réduisant mon art à des déchets tout juste bons à être jetés au sol. Je savais qu'elle n'allait pas apprécier mon impertinence, mais j'avais pensé, à tort, qu'elle réaliserait son erreur.
Je fus surpris de la sentir glisser sa main dans la mienne. Je voulus me dérober, croyant à une nouvelle tentative de séduction, mais à la place, elle m'entraîna à sa suite dans l'escalier de la Tour. Il était enténébré mais le connaissant par coeur, je n'avais aucune difficulté à m'y repérer, tout comme dans le reste de ma demeure. En revanche, Mary semblait hésitante, presque effarouchée. Plusieurs fois, je sentis sa main se crisper dans la mienne. Avait-elle peur du noir ? J'avais établi cette hypothèse dès l'instant où je m'étais éloigné d'elle dans la chambre, et qu'une étrange lueur craintive avait voilé son regard teinté d'indifférence. L'idée m'avait semblé saugrenue étant donné sa nature d'épouvante. Pourtant, à mesure que le Temps passait, j'envisageais de plus en plus cette possibilité. D'ailleurs, cela me confirmai qu'elle n'avait pas l'âme aussi noire qu'elle voulait le prétendre.
Elle lâcha enfin ma main en arrivant dans le salon de musique. Les faibles rayons de la lune peinaient à éclairer la pièce. On ne devinait que les formes des meubles. Mary se dirigea tout naturellement vers le piano et l'espace d'un instant, je craignis qu'elle ne s'assoit dessus, tout comme elle l'avait fait sur mon bureau. Je n'aurais guère apprécié. Mon instrument de musique n'était pas un perchoir. Elle s'en éloigna pour revenir vers moi. Ses paroles m'arrachèrent un frisson. Ainsi, elle ne s'était pas détournée de son but. Prenait-elle en compte que je n'étais plus intéressé ? A chaque seconde, j'avais la désagréable impression de sentir les feuilles s'imbiber de plus en plus de whisky, transformant en taches d'encre imprécises ce que j'avais écrit et dessiné à la plume... Il n'existait rien de moins inspirant que cette horrible vision.
La jeune femme abandonna sa robe de nuit, dont le vêtement volatile sembla resté suspendu dans les airs quelques secondes avant de tomber au sol, tout en agrémentant son geste d'une tirade amusante. Malgré moi, l'ombre d'un sourire naquit au coin de mes lèvres. C'était là son premier trait d'humour en ma présence. Pouvait-on juger qu'il y avait eu amélioration ?
Elle s'installa face au piano, vêtue plus légèrement que jamais. J'aurais menti si je prétendais ne pas avoir regardé. Etait-ce un mal ? Après tout, elle me montrait son corps en connaissance de cause et j'avais des yeux pour voir.
Sans prévenir, elle débuta une sonate de Beethoven avec une dextérité saisissante. Cette qualité inattendue me laissa perplexe, et j'observai ses doigts caresser les touches, alors qu'en parallèle, une nouvelle crainte s'imposait à moi.
Je jetai des coups d'oeil frénétiques vers les différentes portes, craignant qu'Anatole ou Ellie n'entrent à l'improviste. Je faillis les prévenir mentalement de ne pas se rendre dans le salon de musique, mais me ravisai. Ces paroles pouvaient au contraire les inciter à se déplacer, surtout que j'aurais eu bien du mal à masquer l'anxiété qui me saisissait. Comment pouvais-je justifier la présence d'une jeune femme en lingerie dans le salon de musique, quand moi-même j'étais torse nu ? Instinctivement, je portai une main devant moi, me maudissant de ne pas avoir pensé à emporter une chemise avant de quitter la chambre.
Je n'avais pas répondu à sa question, estimant que la présence du piano se suffisait à elle-même. Un accord manqué me troubla, et en fit autant auprès de la sombre demoiselle qui stoppa net la sonate, visiblement contrariée et outrancièrement songeuse. Elle souleva les paupières qu'elle avait fermées, me demandant dans un murmure de jouer avec elle. Elle réclamait enfin mon soutien. Je crus entendre les trompettes du triomphe résonner dans ma tête mais j'y restai sourd, ne préférant pas afficher ma satisfaction d'avoir réussi.
A la place, je lui adressai un sourire bienveillant et m'installai sur le tabouret à ses côtés.
"Je commence et vous me suivez dès que vous le sentirez." lui proposai-je.
Etant face à l'extrémité gauche du clavier, j'avais donc accès aux notes les plus graves. Ce qui était un avantage pour la musique que j'avais à l'esprit. Il s'agissait d'un classique loin d'être difficile. Elle connaissait forcément. J'entamai donc une suite de deux accords de croches cadencés, l'invitant à poursuivre avec des double croches plus aiguës. Nos doigts parcouraient et caressaient les touches sans jamais se rencontrer. Chacun à sa place. Chacun dans sa bulle de musique. Pour créer une harmonie.
Les notes couvraient le bruit imperturbable du balancier de l'horloge posée sur l'âtre de la cheminée, et semblaient enfler dans toute la maison silencieuse. Fort heureusement, les occupants ne dormaient jamais. J'étais l'unique exception à avoir besoin de sommeil puisque Vaiana n'était pas là en ce moment. De toutes les façons, il m'aurait été impossible de dormir, cette nuit-là.
Quelques minutes plus tard, notre interprétation de la Danse de la Fée Dragée toucha à sa fin, sur un dernier accord parfait. J'exhalai un petit soupir d'aise. Je laissai passer quelques secondes afin que l'harmonie se dissipe dans l'écho et la résonnance du piano, puis je déclarai tout en tournant la tête vers Mary :
"Je crois que nous ne pourrons trouver d'harmonie plus parfaite entre nous ce soir."
Je posai le regard sur son visage dont l'exercice avait légèrement coloré les joues. Mon sourire en coin s'accentua et je me levai du tabouret pour me diriger vers le sofa. Là, je me saisis de la petite couverture vert pâle dont Ellie aimait se couvrir lorsqu'elle lisait et la plaçai sur les épaules de la sombre demoiselle.
"Vous avez la chair de poule." dis-je pour expliquer mon geste.
Je marquai une pause et me penchant vers elle, je demandai :
"Est-ce l'obscurité qui vous effraye ou la certitude d'avoir passé un bon moment ?"
Elle ne pouvait nier l'étincelle d'exaltation qui brillait au fond de ses yeux. Je n'avais rien lu de tel lorsqu'elle m'avait fait sa proposition indécente. A cet instant, elle ne pouvait demeurer indifférente. Les rides au coin de mes yeux tressaillirent d'amusement : j'étais persuadé d'avoir visé juste.
"Vous avez oublié que le plaisir se trouve dans bon nombre de choses, pas uniquement dans l'amour physique."
J'avais été contraint de l'apprendre, et je ne lui faisais pas la leçon, je voulais simplement la faire raisonner. Pour ma part, j'estimais que notre morceau à quatre mains était bien plus enivrant que ce que nous aurions pu faire dans la chambre. Au moins, la sombre demoiselle semblait être revenue à la vie.
Imperturbable, je me redressai et lui tournai le dos pour me rendre jusqu'à la porte qui cachait en réalité une étagère intégrée au mur. C'était là que je rangeais mes partitions. J'en parcourus plusieurs jusqu'à trouver celle que je cherchais.
"Vous sentez-vous d'attaque pour quelque chose de plus enlevé ?" proposai-je tout en retournant auprès d'elle afin de lui montrer la partition de la Radetzky March de Johann Strauss. "En allegro agitato, évidemment."
Montrais-je trop d'enthousiasme ? Il est si rare de trouver une pianiste de talent pour jouer à quatre mains. Je n'avais aucune envie de la voir partir, désormais. Qui plus est, le contact du piano semblait lui être bénéfique autant qu'à moi. Nous pouvions très bien jouer le restant de la nuit. Ainsi, je remporterais le défi. Que demander de plus ?
Il y a toujours une éclaircie dans les ténèbres. Toujours.
crackle bones
Mary Bates
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we all are living in a dream, but life ain't what it seems
And all these sorrows I have seen, they lead me to believe that everything's a mess.
Elle n'aurait pas dû l'accompagner après qu'il ait débuté ce morceau. Il aurait été plus sage, plus judicieux, de le laisser se débrouiller seul et de ne pas le suivre – et ce, même si elle avait été celle en demande... En demande. Elle hésitait à serrer les dents jusqu'à s'en casser la mâchoire en se répétant inlassablement ces simples mots. Tout ce qu'elle avait réussit jusque là à éviter, elle le lui offrait par le biais d'une simple mélodie.
Elle percevait cette sorte de fierté et de contentement dans le son de sa voix, décidant de ne pas se tourner vers lui en le sentant se relever. Ses mains s'étaient vites écartées tandis que les sons résonnaient encore dans un coin de sa tête, entêtants, déstabilisants. Mary esquissa malgré tout l'ombre d'un sourire, amusée par sa manière de voir les choses. Elle savait qu'elle jouait plus que décemment. Il en était de même pour lui, elle ne pouvait le nier. De là à parler d'harmonie... Elle se crispa au contact de la couverture sur ses épaules, retenant de justesse un sursaut.
Ses yeux se baissèrent sur ses bras pour constater qu'il ne mentait pas. Elle ne s'en était pas rendue compte. Elle en était aussi surprise que dérangée. Pas par malaise ou par gêne, plutôt parce qu'elle ne s'expliquait pas cette réaction de son corps à cet exercice. Cela avait bien réveillé une certaine crainte, écho d'une autre époque, mais elle était persuadée d'avoir réussi à l'étouffer. Ou plutôt... la présence de celui qui se décrivait comme un ''cadavre ambulant'' avait estompé celles des spectres d'un autre temps.
Elle s'était appuyé sur l'écrivain et à présent, il le lui faisait regretter, en ayant l'indélicatesse de faire mention de cette anxiété qu'il n'avait pas manqué de remarquer. L'évocation d'un ''bon moment'' lui paraissait exagéré, sa constatation sur le plaisir bien déplacée. Ses yeux se relevèrent dans sa direction alors qu'il s'était approché à nouveau, dans une expression aussi irritée qu'intriguée.
Mary tourna la tête, le mouvement mêlant condescendance et soupçon de déroute, sans doute. Elle resta silencieuse à sa question, sa posture répondant pour elle. Elle adoptait l'air du défi, lâchait un soupir face à sa lenteur pour démontrer son impatience. Un tempo plus rapide lui convenait, à condition qu'il soit à la hauteur.
« Je n'ai pas oublié. » articula-t-elle distinctement tout en entamant les premières notes.
Elle imposait une distance à sa voix tout en prononçant ces mots, ses yeux posés sur la partition s'en détachant parfois pour se perdre dans les couloirs sinueux de sa mémoire. De vagues traces d'allégresse perduraient sous les tourments. Ce n'était pas grand chose, c'était futile. C'était là, pourtant.
J'ai sacrifié les bonheurs éphémères pour échapper aux douleurs éternelles.
Elle ne se faisait cet aveu qu'à elle-même, dans de rares moments de lucidité. Il se trompait en prétendant qu'elle avait choisit le chemin le plus facile à emprunter. Il n'y avait rien d'aisé à s'écarter de toutes attentes et de toutes espérances. Elle avait mit du temps, beaucoup trop de temps, avant d'y parvenir.
Elle enviait cet écrivain capable d'atteindre la félicité sur la base de rien, elle jalousait cette simplicité. Elle aurait aimé pouvoir la lui arracher aussi facilement qu'elle l'avait déjà fait avec d'autres. C'était ainsi qu'elle parvenait à se maintenir à flots, en frappant de réalité les idéalistes qui croisaient son chemin. Leur montrer le monde comme elle le voyait. Brut. Sombre. Violent. Destructeur.
Cette fois, elle ne menait pas la cadence. Le dernier accord résonna et la laissa fiévreuse. Ses mains demeuraient en suspens sur les touches, son regard cherchait une accroche, un point de repère, n'en trouva pas. Elle humecta ses lèvres, silencieuse, cligna des yeux, désorientée. Des picotements au bout de ses doigts l'agacèrent, lui faisant les ramener contre elle, et elle les serrait désespérément les uns aux autres. Mary n'adressa pas un regard à l'homme, mais lui intima de ne pas bouger en appuyant finalement sa main contre sa cuisse, sans que d'aucune façon ce geste ne soit suggestif. Elle resta de longues secondes immobile, s'assurant qu'il ne ferait pas un seul geste, avant de se relever.
Elle rattrapa la couverture qui menaçait de tomber contre ses épaules et, se fiant à ce qu'elle avait entendu précédemment, trouva cette étagère où il rangeait ses trésors. Elle ne fit pas le même effort que lui, s'emparant des premières feuilles qui passaient sous ses doigts. Et toujours muette, elle reprit place pour toutes les poser face à lui.
« Encore. »
Son timbre indifférent claquait dans la petite pièce. Il lui semblait entendre d'autres bruits lointains : des griffes sur le parquet, le vent contre la fenêtre, le balancier régulier. Elle les ignorait sans difficulté.
« Et ne prononcez plus un seul mot. »
Elle ne se sentit pas plus légère à mesure que les partitions s'enchaînaient, mais envahie d'une sorte d'avidité face à tout ce qu'il dégageait. Elle n'avait jamais joué que pour quelqu'un, avant ce soir. Pas avec. La satisfaction temporaire qu'elle en retirait était aussi terne et amer que tout le reste. Mais elle l’enivrait et l'étouffait. Son cœur miné menaçait d'exploser, perturbé par la sensation d'ivresse qui n'était en rien lié à la moindre substance. Était-ce le manque qui se manifestait ?
Ses muscles s'engourdissaient, son crâne la lançait, les minutes ou les heures défilaient. Elle commença à ressentir les prémices des vertiges, le contre-coup de l'exaltation. Ses mouvements étaient moins fluides, ses erreurs plus nombreuses. Son regard appuyé sur l'auteur après chacun de ses égarements lui interdisait de faire la moindre remarque ou le plus petit reproche.
L'euphorie passagère finit par être dépassée par la frustration. La colère. L'anxiété. Elle avait retiré ses mains du piano au milieu d'un morceau, gardant cette expression fermée qui ne la quittait plus en suivant des yeux les gestes incessants de ce partenaire improvisé.
« N'arrêtez pas. »
Elle marqua une hésitation avant de se détourner, ses jambes semblant enfin bien vouloir coopérer pour la mener jusqu'au sofa. Elle ne s'encombra pas de la couverture, la laissant sur le bord avant d'elle-même s'allonger. Sa tête resta tournée en direction de l'homme, appuyée sur sa main.
Elle était décidée à attendre le lever du soleil. Elle ne dormirait pas, elle ne parvenait jamais à cet exploit sans lumière. Quelle ironie. Ce n'était pas ce qui comptait. Elle n'avait pas non plus oublié leur accord, si insignifiant. Elle n'était pas certaine de le tenir encore malgré tout. Quoi qu'avoir la possibilité d'être crainte par un dieu était flatteuse, et l'éventualité de pouvoir en retirer certains bénéfices attrayante. Elle ignorait la manière dont elle procéderait, si elle décidait de respecter le marché. Ce n'était que des détails sur lesquels elle s'attarderait plus tard.
« Jouez ce que vous voulez, mais n'arrêtez pas. Sauf si c'est pour me ramener un café. »
Mary se fichait de la fatigue de son hôte. N'avait-il pas dit que le petit garçon ne la laisserait pas seule ? Ce n'était que des paroles, des mensonges. Elle n'y croyait pas, ce serait bien stupide de sa part, mais elle pouvait en tester les limites. Comme elle le faisait à chaque fois qu'elle trouvait un nouveau moyen de bousculer brièvement le vide qui l'habitait. Elle était consciente que ça ne durerait qu'un temps. Elle tirerait sur cette corde sensible qu'il avait animé jusqu'à le lasser, l'épuiser, ou le faire flancher. Jusqu'à ce que, inévitablement, elle finisse par se rompre.