I WILL SURVIVE,
I KNOW I WILL STAY ALIVE.

D'autres personnes continuaient d'arriver tandis que cette étrange jeune fille lui tendait un second présent. Un mouchoir cette fois. Elle lui annonçait aussi qu'il allait saigner... oh, rassurant. Il ne savait pas s'il devait la prendre au sérieux ou se dire qu'elle avait un problème malgré son air adorable, mais il n'eut pas le temps d'y réfléchir très longtemps. Avant même que Will ait put identifier les nouveaux venus, le noir complet tomba dans la pièce. Elliot murmura quelques mots mais il n'y prêta pas attention, il pensait que c'était dans le thème, que tout était prévu, ça devenait marrant. L'obscurité était loin de le déranger, il l'avait côtoyé à bien des reprises ces dernières semaines.

Un décor d'extérieur se planta alors devant ses yeux. Très vite, il remarqua « copain de Morri » et Mumu le dragon près de lui, sans oublier celle qui lui avait offert de jolies choses... oh et le maire, imposant de tout son charisme, semblant paumé. Ah mais oui, normal qu'il y est le maire si c'est fait pour la mairie ! Il souriait comme un enfant, il était content, il avait voté pour lui. Ça avait l'air d'être quelqu'un de bien, il l'observa plus que ne prit attention à ses paroles et ne réagit que lorsqu'il se mit à crier. « ET TOI ! REVIENS ! » Mais j'ai rien fais Monsieur j'ai pas bougé ! … On ne lui parlait pas. D'accord. Il ne voulait pas commencer à faire n'importe quoi dés le début. La partie lui semblait mal commencer si un de leur groupe décidait de faire bande à part... Attendez. Il faisait pas seulement bande à part, il se suicidait ce con. Il allait les faire perdre ! Et l'esprit d'équipe tu connais ? La solidarité ? La compétition ? Idiot ! Abandonner comme ça alors qu'ils n'avaient encore rien fait, c'était lâche, horriblement lâche. Heureusement qu'il avait décidé de laisser tomber au final... ce qui était plus étrange, c'était la manière dont il avait décidé de se faire éliminer. Se jeter en pâture aux zombies, qui étaient plus proches que ce qu'il s'était imaginé, y'avait plus classe. Du genre, se tirer une balle ou sauter d'un immeuble, au moins on a pas l'impression d'être réduit à l'état de repas primaire. Le sang, les tripes, l'odeur nauséabonde ne le choquait pas tant que ça, il avait déjà senti des cadavres, déjà poignardé quelqu'un à en voir presque ses organes, tout ça ça lui rappelait juste quelques souvenirs désagréables, au pire.

Tout le monde commença à paniquer chacun de son côté – il fut presque amusé du dragon qui se rendait compte qu'elle était un dragon, en fait - et Will ne sut dire qu'une chose : « Mais c'est le jeu. Enfin, il est mort. C'est pour ça qu'on est là non?

Dans sa tête, il était comme sur une sorte d'interface, lorsque leur vie les quittait dans la plate-forme, il revenait dans leur véritable corps et tout allait pour le mieux. Il ne fallait juste pas perdre tout ses points de vie. C'était ce qu'il avait comprit dans les reportages sur les jeux vidéos.
Voyant que ses partenaires avaient tous quelque chose en main qui était mystérieusement apparu, Willy se mit à fouiller ses poches, prenant garde à ne pas abîmer la feuille qu'il gardait dans sa poche... pour y trouver une pince à épiler. Il la fixa longuement, sceptique, légèrement déçu.

« Si au moins j'avais le miroir avec. » Il la montra bien à tout le monde, la tendant devant lui, avec une expression incertaine... Mhm, pas certain que ce soit d'une grande utilité. Et vous jeune homme ? Hein ? Ah, son nom. « Wilson. Et elle, c'est Pinsbie. Pour pince-zombies. » Non, ne cherchez pas, vraiment, ça ne sert à rien.

Il écouta distraitement les propositions de l'autre jeune homme quant à l'utilité de sa pince, hochant de la tête machinalement pour marquer une sorte d'approbation. Il était manuel, mais plus dans l'électronique lui, les bouts de bois et encore plus les tampons, ce n'était pas son domaine. J'aurai bien aimer un taser. Les tasers c'est marrant. Dans un jeu, pas dans la vraie vie bien sûr, mais ici ça ferait de mal à personne.

« Et maintenant on fait quoi ?
Maintenant ? (suspens insoutenable) Maintenant, on cherche la sortie. »

La sortie ? Mais ils étaient dehors, techniquement y'a pas de sortie. En tout cas, c'était bien fait, la reproduction de Storybrooke, les alentours du laser game... Beau boulot. Les zombies aussi avaient l'air réaliste. Un peu trop. Ils étaient moches comme ceux des films. Et ils avaient l'air d'avoir faim comme ceux des films aussi.

« On a même pas eu de prologue. On devait faire quoi, à la base ? Juste taper sur des gens ou y'a un objectif ? C'est ça la sortie des jeux vidéos, non ? Faut réussir la mission. » Il rangea sa pince à épiler dans sa petite poche, se redressa, souriant comme pas permit, tout aussi enthousiaste que Mumu.

« If we hold on together. I know our dreams will never die... »

Je clignai des yeux. Je me trouvai ailleurs, à l'extérieur, alors qu'une seconde plutot j'étais encore dans la pièce mal éclairée de laquelle s'échappait une musique épouvantable. Je chancelai, déstabilisée par ce changement brutal, même si je me sentais nettement plus en sécurité entourée par les arbres et le ciel.

Je levai les yeux vers celui-ci. Il était calme, sans nuage, même si la lumière était grisâtre. Je soupçonnai qu'il allait pleuvoir. Je sentais mes écailles craqueler. Je sais que je n'en ai plus, mais j'ai comme l'impression de toujours les sentir à la place de ma peau.

Une certaine agitation me fit baisser la tête, découvrant qu'un Deux Jambes, un peu plus loin, était en train de jouer en compagnie d'un autre à l'aspect maladif. Brusquement, des serpentins d'un rose violacé sortit de son ventre. J'ouvris de grands yeux ronds, perplexe face à ce spectacle improvisé. Puis un liquide rouge s'échappa de sa gorge quand le Deux Jambes malade le mordit au cou. Ensuite, ils tombèrent tous les deux au sol dans un bruit de gargouillis.

Je déglutis avec peine, ne sachant pas très bien quoi en penser. Les autres Deux Jambes qui m'entouraient avaient l'air de trouver que tout ceci n'était pas normal. Instinctivement, je me rapprochai de Monsieur Aloysius. C'était le seul visage connu dans toute cette incompréhension. Sur un conseil de Granny, j'étais allée le voir peu après mon arrivée à Storybrooke. Grâce à lui, j'avais compris énormément de choses de cet univers qui m'échappait. Il était tellement gentil avec moi qu'en secret je l'appelais mon ange gardien.

« Oh par Freyja … on va tous mourir. »

"Je vous avais prévenu." dis-je au Haricot Vert qui venait de parler.

La jeune femme rousse ajouta autre chose, mais je n'y prêtai pas vraiment attention. Je suivis le reste de la discussion d'une oreille distraite, me dirigeant vers l'arbre le plus proche afin de l'entourer de mes bras. Là, je fermai les yeux, la joue posée contre l'écorce rugueuse. Il fallait que je demande conseil à Maman. Elle, elle saurait quoi faire pour nous aider.

D'ordinaire, il suffisait que je pense à elle pour qu'elle soit avec moi, dans les étoiles d'arbre ou dans le vent. Cette fois-ci, elle resta muette. Je m'aperçus avec déchirement qu'elle n'était pas là. Je ne sentais pas sa présence. J'étais définitivement seule.

Les voix entremêlées prenaient toute la place dans ma tête. Elles étaient moins fortes qu'à l'intérieur de l’entrepôt. A présent, elles n'étaient plus qu'un murmure diffus, une lamentation sans fin. J'étais persuadée que c'était cela qui empêchait le contact avec Maman.

Perdue, je soulevai les paupières et me détachai de l'arbre, me mordant les lèvres. Chacun avait un objet entre les mains. Tout le monde sauf moi. J'aurais bien demandé à Monsieur Aloysius d'en avoir un aussi, mais comme c'était malpoli de quémander, je me contentai de croiser les mains dans mon dos et de lui emboiter de pas, accompagné du Deux Jambes aux cheveux bouclés.

"Tu l'as toujours avec toi, n'est-ce pas ?" lui demandai-je à voix basse. "L'Etoile d'Arbre. Ne la perds surtout pas. C'est notre seul lien avec le monde extérieur."

Puis je me penchai sur toute leur conversation, me plongeant dans ma mémoire dinosauresque. Qui a dit qu'un diplodocus a une petit tête ? J'avais la capacité de me rappeler du moindre détail, tout du moins si j'en jugeai l'utilité. J'avais volontairement mis de coté leur discussion, mais à présent, je devais me souvenir. Chaque détail était important.

Pour commencer, je répétai plusieurs fois dans ma tête les prénoms de chacun. Mure, Wilson, Théodore... Mure, Wilson, Théodore... Je ne savais pas quel nom correspondait à qui mais je n'allais pas me focaliser là-dessus maintenant.

Ensuite, je réfléchis aux dernières paroles du Deux Jambes juste à coté de moi. « C'est ça la sortie des jeux vidéos, non ? Faut réussir la mission. » Une évidence me sauta alors aux yeux.

"Nous ne sommes pas dehors." déclarai-je d'une voix blanche. "Ce n'est pas normal, ici. Les arbres ne sont pas habités par les esprits. Le vent ne chante pas. Je sais ce que je dis. J'ai vécu toute ma vie en plein air."

Je me sentais parfaitement stupide de m'exprimer ainsi, mais je ne voyais pas comment m'y prendre autrement. Tout me dépassait. Brusquement, je tirai le maire par la manche et lançai d'un ton assuré, une fois qu'il se fut retourné :

"Les morts nous entourent, mais ils ne parlent pas uniquement dans ma tête. Ils marchent, ils se déplacent. Je les entends... Ils arrivent..."

Je me mordis à nouveau les lèvres, en proie à une angoisse sans précédent. Ces morts-là me faisaient peur. Ils ne disaient rien de gentil.

"Monsieur Aloysius, nous devons sortir d'ici. Il faut se rendre là où ils sont le plus nombreux pour mettre un terme à tout ça."

Cette idée me terrifiait, mais c'était la seule alternative possible. Ces morts souffraient. Le moyen de leur rendre la paix était d'aller à la source. Je me rendis compte que je tirai toujours le maire par la manche, comme un doudou. C'était pire que d’être poursuivi par Dent-Tranchante, car les morts étaient partout. Plus les minutes s'égrenaient, et plus j'entendais de nouvelles voix se mêler aux autres dans le murmure diffus de mon esprit.

I WILL SURVIVE,
I KNOW I WILL STAY ALIVE.

Son attention était tout sauf portée sur le maire. A vrai dire, il s'inquiétait plus de ce que pouvait penser la blondinette de lui, il hocha bien fortement la tête quand elle lui demanda pour l'étoile d'arbre – qu'il supposa être la jolie feuille – afin qu'elle ne pense pas qu'il était négligent et sans sentiments. Non, la nature, c'est sacré ! Alors que bon, les zombies, personne ne les vénèrent, ça passe au second plan. Wilson ne prit donc guère en considération les remarques d'Aloysius, c'était rentré par une oreille et ressortit par l'autre sans avoir le temps de vraiment s'installer. Il le comprit le nécessaire, en tout cas, que le final se trouvait à l'hôpital – banal – et qu'il ne fallait pas que leur petit groupe reste ici sans rien faire. Théo devait fabriquer ses armes et... améliorer Pinsbie. Hum, il lui faisait confiance, c'est bon, c'était un viking s'il croyait en Morri. Les vikings, ça sait y faire. En plus, s'ils se trouvaient réellement dans un autre monde, comme le disait Astrid – il connaissait son prénom maintenant – Pinsbie ne devait pas être réelle... Seulement une création... Techniquement, elle ne risquait rien. Et non, cette annonce de l'absence des esprits dans les arbres, tout ça, ça ne le choquait pas. Depuis le début il le disait, que c'était un jeu, qu'ils avaient des objectifs à atteindre et que pof, tout le monde allait « reset » à l'endroit de base.... Il fallait qu'il prenne tout ça au sérieux pour gagner, quand même, ça ne l'empêcherait pas de se donner à fond pour ne pas mourir avant la fin de partie (louper la cinématique ça l'embêterait).

«  Hey, Willy-Will, ça te dis un petit concours ? Celui qui tuera le plus de zombies aura droit à une caisse entière de pâtisserie. 
- T'as l'avantage de l'arme avec toi, c'est injuste... Si tu gagnes tu me donnerai un éclair au chocolat quand même ? »

Elle ne pouvait pas le lui refuser. Il était tellement naturel dans ses réponses, comme si pour lui tout ça n'aurait pas réellement d'impact dans le futur, que s'en était soit... touchant, ou alors gravement déprimant. On pourrait le croire trop naïf, c'est seulement qu'il en avait vu de toutes sortes et qu'à chaque fois, ça c'était bien terminé, pourquoi pas aujourd'hui ? Il préférait faire preuve d'un peu de décontraction et d'optimisme, plutôt que de se morfondre et de se planquer dans un coin.

Ils arrivèrent près d'un bâtiment qu'il n'avait jamais visité et le jeune homme se contenta de suivre au pas, comme les autres. Quand le chef de leur équipe – oui, c'était évident – plaça dans les mains d'Astrid une arme tranchante... Il tiqua légèrement. Non mais bien sûr, donner une arme de corps à corps à une fille de sa carrure, c'est intelligent, lui filer ton arme ce serait bien aussi, même si elle sait certainement pas s'en servir, le scalpel elle aura pas le temps de le planter qu'elle sera déjà au sol. Il se rapprocha d'elle, par instinct de protection sûrement. « Dis, je sais que c'est pas le moment mais, tu l'a connu comment Morrigan ? »  Il leva la tête, un petit sourire aux lèvres, prêt à répondre à ses questions mais ils furent un peu interrompus, dirigés par le maire en direction de la cave. Jolie cachette. Un peu sombre et lugubre, mais au moins il n'y avait qu'une entrée/sortie à surveiller et si jamais des zombies se pointaient dans la baraque, ils les entendraient venir avant.
Il eut envie de continuer de discuter avec celui qui s'appelait Théodore, mais ce dernier dut aller faire... ces trucs à lui, lui piquant Pinsbie au passage. Tant pis. Le voilà maintenant sans défense, alors que tout le monde a eu le droit à son jouet. C'était pas cool, pas cool du tout. En plus il n'avait aucune idée des endroits stratégiques de la ville, à part aller au zoo et libérer tous les animaux pour qu'ils prennent les créatures horribles qui traînaient dans la ville comme repas, et qu'ensuite eux puissent se frayer un chemin tranquillement jusqu'à l'hôpital, il ne voyait pas. Ah... mais les animaux voudraient sans doute les manger aussi, c'est vrai. Donc, mauvaise idée. Mumu se révéla beaucoup plus réfléchie que lui sur ce terrain.

Il était toujours près de la blondinette – on ne sait jamais, elle pouvait se couper, se mettre à saigner, attirer des bébêtes, mourir à cause du sang qui coule et de son manque de fer en découlant... découlant, c'était le mot – lorsqu'un bruit sourd attira son attention sur le côté. Il n'eut pas le temps de paniquer, voyant devant lui le jeune Théo fou de joie d'avoir réussi à faire fonctionner sa machine et, vu que la lame s'était quand même bien enfoncée dans le mur, il ne doutait pas une seule seconde de son efficacité.  « C'est la mini arbalète. Je te donnes le paquet de lames dans un instant. C'est facile. Tu mets la fente sur la corde, tu tires au maximum, tu vises et tu lâches. C'est pas grand chose, mais ça a plus d'utilité que la pince seule. » Une expression d'excitation et de contentement intense illumina le visage du robot. Son arme s'était la plus classe, maintenant.

« Admirez tous, Pinsbie vient de gagner un niveau ! » Il la tendit devant lui, stupéfait du travail effectué, et l'observa un moment, commençant à la tendre dans toutes les directions avec des bruits de ninjas. Il avait l'air idiot, complètement, mais pour lui c'était plus un jeu qu'autre chose. « Merci beaucoup », finit-il par ajouter quand Théo l'interrompit dans son spectacle, lui tendant des tuyaux modifiés. Maintenant, il était armé !

« Donc l’hôpital c'est ça ? Mais une fois là bas ? Vous êtes sur que tout va s’arrêter ? Il ne faudrait pas retrouver Elliot avant ? Après tout, c'est lui qui as fait ça, il a sans doute un moyen de nous sortir de ce cauchemar ? »  Il haussa les épaules, indécis. « Elliot est dans l'autre équipe. On doit pas le retrouver, on doit juste arriver avant lui. Après, ce sera terminé pour lui aussi et on le retrouvera. Vous inquiétez pas, ça va bien se passer ! » Il était sur de lui sur ce point là.

En voyant tout les objets que le viking avait utilisé pour fabriquer ses armes, il tiqua sur le scotch épais dont il restait une quantité respectable. Curieux, il s'en approcha, le prit dans ses mains, le tourna un peu dans tous les sens avant de commencer à s'en enrouler autour des bras et des jambes, plusieurs couches qui faisaient qu'il en avait une certaine épaisseur. Ce n'était pas très agréable au-dessus de ses vêtements, alors il ne tenta pas d'en mettre au niveau de son cou ou de ses mains – ce qui l'empêcherait aussi de bouger comme il le souhaitait. Son action pouvait paraître étrange aux yeux de ses coéquipiers – il était enroulé dans du scotch, quand même. « On sait jamais. Ca peut protéger des morsures, je pense, non ? » On sait jamais, mieux vaut tenter le coup, ça doit être moins facile à percer qu'un simple tee-shirt par des dents de cadavres.

« If we hold on together. I know our dreams will never die... »

Les paroles réconfortantes d'Aloysius ne m'apaisaient pas pour autant. J'étais la seule à les entendre, il ne comprenait pas... J'avais l'impression que si je restais une minute de plus au même endroit, ils allaient me dévorer l'esprit...

Terrifiée, je le suivis sagement tandis qu'il s'engageait sur la route incertaine de notre propre fin. Un peu perdue, je m'aperçus que la Deux Jambes aux cheveux couleur de feu m'avait pris la main. Mure, oui ça devait être elle, Mure. Drole de nom. Une mure, c'était noir et tout petit, normalement, alors qu'elle était toute en couleurs. Je l'aurais plutôt prénommée Cerise, mais je préférais garder ma réflexion pour moi. J'avais appris à mes dépens que certains Deux Jambes étaient très susceptibles. Si je l'appelais comme ce fruit en rapport à ses cheveux, elle risquait de mal l'interpréter. Et avec notre situation désespérée, mieux ne valait pas créer de discordes entre nous.

Je baissais les yeux sur nos mains liées, me demandant la raison qui la poussait à les faire aller d'avant en arrière. Probablement la nervosité. Je la laissais faire. Quelque part, ce petit mouvement m'amusait. Et si ça pouvait lui faire plaisir, je n'allais pas la contredire.

Levant la tête, je fixai de nouveau l'horizon. Tout était gris et triste, comme si l'on approchait des Montagnes qui Brulent. Pourtant, aucune odeur de fumée. C'était simplement la maladie de ce monde qui transparaissait dans le paysage. Je sentis un étau me prendre à la gorge ; je déglutis avec peine.

"Il va pleuvoir." les informai-je, le nez en l'air pendant quelques secondes.

Fort heureusement, Monsieur Aloysius nous trouva un abri. Il nous fit entrer dans un endroit que je reconnus aussitôt pour y être venue quelquefois. J'enlevai ma main de celle de Mure pour m'approcher du canapé. Par réflexe, je m'allongeai dessus, prête à une nouvelle analyse mentale. Je me redressai soudain en m'apercevant que ce n'était pas le moment pour ça. Un peu gênée par mon propre égarement, j'évitai le regard de tout le monde, et mes yeux tombèrent alors sur l'objet brillant sur lequel Monsieur Aloysius venait de refermer ma main. Il s'agissait d'une petite chose longue et fine, très légère. Très jolie.

"Merci, c'est... vraiment c'est trop." balbutiai-je. "Et je n'ai même plus d'Etoiles d'Arbre sur moi !"

Épouvantée, je cherchai dans mes poches au cas où je n'en aurais pas mise une dedans à tout hasard... mais non. Je lui lançai un regard désolé. Je me sentais honteuse de ne pas avoir de cadeau à lui offrir en retour. Je ne voulais surtout pas paraitre impolie.

Mais il s'en allait déjà, flanqué des autres. Je sautai sur mes pieds et les suivis jusqu'à une pièce souterraine mal éclairée qui sentait fort le moisi. Je fronçai le nez après avoir descendu l'escalier. Non vraiment, je n'aimais pas trop ce lieu. Je préférais l'air pur, mais demander de sortir était idiot : Monsieur Aloysius venait de nous enfermer.

Aussi je déambulai dans la pièce, serrant fermement mon objet brillant dans ma main. J'observai avec grand intérêt Théodore s'affairer, restant debout à coté de... Wilson. Oui, c'était ça. Wilson. Sur trois prénoms, il n'en restait qu'un. Donc c'était forcément lui. Théodore était aussi excité qu'une grenouille dans une mare -sa tenue toute verte renforçant cet effet. Je poussai un "Oooh..." impressionné lorsqu'il termina son "arme", comme il disait. C'était quoi, une arme ? Je préférais rester silencieuse, je le saurai bien assez vite.

"ATTENTION A CERISE !" m'écriai-je quand la lame se planta dans le mur, évitant la jeune femme de peu.

Embarrassée d'avoir oublié de ne pas l'appeler ainsi, je me tordis les mains et préférai m'éloigner d'elle un maximum. Je me sentais déjà coupable de l'avoir probablement peinée ou énervée. Puis je fronçai les sourcils en observant Wilson s'agiter sans raison avec son "arme" à la main. A quoi cela rimait-il ? Décidément, j'étais vraiment hermétique aux moeurs et coutumes des Deux Jambes. Pour essayer de m'intégrer, je tendis mon objet brillant en l'air et imitai le moindre de ses mouvements. Je levai la jambe, la baissai, pliai le genou en avant, lançai un bras, puis l'autre, dans une sorte de chorégraphie désordonnée. Je lui jetai des regards de coté, histoire de bien m'adapter, de bien copier chacun de ses gestes. Un sourire naquit à la commissure de mes lèvres. C'était vraiment trop amusant ! Ca me rappelait les jeux avec Becky...

Subitement, Théodore me tendit un fil tout dur et tout bizarre, me coupant dans mon élan. Un peu déçue, je louchai dessus, même si toute mon attention était focalisée sur Wilson le rigolo. Je ramenai une mèche de cheveux derrière mon oreille et tentai de paraitre impliquée.

« Je vous présentes les lassos de la mort. Vous lancez, vous agrippez, vous tirez, et vous arrachez. »

"D'accord, mais... on agrippe, on tire et on arrache quoi ?" demandai-je en observant le fil d'un air perplexe.

Trop de questions dans ma tête, il fallait au moins que j'en pose une. Tant pis si j'avais l'air stupide. Ils pouvaient comprendre que ce monde était tout nouveau pour moi et que si j'avais quelques connaissances, je n'arrivais pas à tout assimiler de suite !

Ils commencèrent à parler d'un certain Elliot, celui apparemment à cause de qui on se trouvait là. Je ne voyais pas de qui ils parlaient. Je n'avais pas la mémoire des visages. Pour moi, les Deux Jambes se ressemblaient tous, ou presque. Je me dirigeai vers une chaise qui trainait là et m'assis dessus, observant avec grand intérêt les jeux de lumière sur la lame de mon petit objet. C'était réellement fascinant. Délicatement, j'effleurai la pointe de mon doigt. Elle était très coupante. J'enlevai mon doigt en vitesse avant de me blesser. Je devais garder précieusement cet objet. Il était un cadeau de mon protecteur. C'était comme un talisman qui garantirait ma sécurité.

Une goutte aussi rouge qu'une toute petite cerise perla au bout de mon doigt. Oups, finalement je m'étais coupée quand même... Je portai le doigt à ma bouche et le suçai avec une grimace. Le gout était métallique. En plus, ça piquait.

Je me levai de mon siège, rangeai mon talisman brillant -un peu méchant- dans la poche arrière de mon pantalon et rejoignis les autres. Je constatai que Wilson s'était amusé sans moi, cette fois.

"Tu aurais pu m'attendre." lui fis-je remarquer, un peu déçue qu'il ne m'ait pas proposé de m'enrouler dans le ruban tout collant.

Je pris le rouleau entre mes doigts, le déroulant en le fixant avec émerveillement, mais je plissai des yeux sous le picotement quand le ruban se colla contre mon doigt blessé. Je l'enlevai délicatement, observant le bout de mon doigt d'un air accru.

"Il faudrait qu'on sorte d'ici... Ils sentent notre présence. Ils vont venir. Je crois que l'on n'est en sécurité nulle part. Le plus sage est d'aller à l’hô-pi-tal." articulai-je avec application -nouveau mot oblige. "Mais avant... quelqu'un pourrait souffler, s'il vous plait ? Ca fait mal..."

Joignant le geste à mes paroles, je levai haut mon doigt blessé pour l'exposer à la vue de tous. Puis je le remuai légèrement. C'était faux, je souffrais à peine, mais j'avais besoin de réconfort. C'était une façon de dire que je voulais faire partie de l'équipe, moi aussi. Je savais que je n'avais pas vraiment le choix, mais je souhaitais me rendre utile, même si j'ignorais encore comment.