« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
Par-dessus la brochure, Malcolm observait son père d’un œil soucieux. Mr Polstead grommela dans sa barbe en croisant les bras.
— Je ne suis pas convaincu, fils.
Malcolm soupira. Ce n’était que la onzième fois qu’ils avaient cette conversation. Il avait compté. Cette fois-ci, il décida de conserver le silence. C’était préférable à une discussion stérile.
— Franchement, quand tu m’as parlé de ton bazar, je me suis dit que c’était une bonne idée, mais maintenant qu’on y est...
Mr Polstead laissa sa phrase en suspens, puis afficha une moue dubitative. Ses cheveux fins étaient ébouriffés sur son large crâne et la chemise d’hôpital donnait à sa peau un aspect presque maladif. Assis dans un lit monté sur roulettes, il patientait dans le couloir de l’hôpital. Drixie, son daemon-épagneul breton, était couchée sur ses pieds, par-dessus la feuille de papier qui lui tenait lieu de couverture. Elle frissonnait de temps à autre, l’air abattu. Asta la réconfortait de son mieux en effleurant son museau de la pointe de ses moustaches. Elle ne s’autorisait aucune autre familiarité avec le daemon de Mr Polstead, tout comme Malcolm ne s’imaginait guère prendre son père dans ses bras. Leur affection était implicite, toute en retenue britannique et accentuée par leur éducation qui inculquait à tout homme de se montrer fort et distant en dépit des épreuves à traverser.
En les croisant, le personnel hospitalier leur jetait un regard curieux, car il était inhabituel de voir des personnes avec des compagnons à quatre pattes dans ce genre d’endroit. Une infirmière s’approcha d’eux et lança d’un ton réprobateur :
— Les animaux sont interdits, voyons, messieurs !
Elle dévisagea Malcolm, comme si elle le tenait responsable. Elle semblait se demander pourquoi ils n’avaient pas été chassés de l’hôpital. Très calmement, Malcolm replia la brochure et fournit l’explication :
— Nous avons une autorisation spéciale.
— Et nous ne sommes pas des animaux, précisa Asta en dressant fièrement sa queue en panache.
Ce genre d’intervention de la part d’un chat roux aurait paru déplacé dans une ville autre que Storybrooke. L’infirmière ouvrit des yeux ronds, car même si elle était habituée à côtoyer le surnaturel, entendre un félin parler fait toujours son petit effet, puis elle s’éloigna avec réticence.
— Elle ne t’a pas cru, déclara Asta à Malcolm quelques instants plus tard.
— Peu importe.
Le jeune homme balaya les propos de son daemon d’un revers de main. Il avait plus important en tête. Son père semblait regretter sa décision de seconde en seconde. D’un naturel taciturne, Mr Polstead avait pour habitude de ruminer en silence. Parfois, il en restait là. D’autres fois, il finissait par exploser. Malcolm redoutait que la tornade se déclenche au beau milieu de l’hôpital. Et il avait raison d’appréhender.
— C’est quand même un monde ! lança soudain Mr Polstead, morose. On me force à me déshabiller, à enfiler cette liquette aussi fine qu’une feuille à cigarette (il tira sur sa chemise d’hôpital), on me colle dans un lit et on me laisse dans les courants d’air ! Tu es bien sûr qu’il s’agit d’un endroit où l’on soigne les gens ? Parce que j’ai l’impression du contraire !
Les mains jointes autour de la brochure, Malcolm considéra son père d’un œil las. Depuis qu’ils étaient à Storybrooke, il avait l’impression que les rôles de l’enfant et de l’adulte étaient inversés. A croire que la crainte faisait régresser Mr Polstead, à moins que ça ne soit l’absence de son épouse. Lorsqu’il siégeait à son auberge, il paraissait beaucoup plus mature, à fumer la pipe au coin du feu ou à rénover tout ce qui lui tombait sous la main.
— En plus, j’ai faim ! se plaignit Mr Polstead. Je n’ai rien mangé depuis hier soir.
— Sur ordre du médecin, glissa Malcolm presque mécaniquement. Il faut être à jeun pour subir l’opération.
Mr Polstead émit une exclamation de gorge.
— C’est bien le mot : subir ! Ca n’a même pas encore commencé que je me sens déjà au supplice !
A ses pieds, Drixie eut un petit grognement de lamentation. Asta la considéra d’un air compatissant avant de croiser le regard de Malcolm. Tous deux, sans parler, ressentirent la culpabilité les envahir. C’était lui qui avait presque forcé son père à traverser les mondes pour soigner son cancer de la thyroïde. Incurable chez eux, cette maladie se soignait très bien ailleurs, grâce à une intervention chirurgicale. Malcolm était persuadé de l’aider, mais au seuil du moment fatidique, voilà qu’il doutait. Avait-il fait le bon choix ?
C’est juste une petite ablation... songea-t-il, désemparé.
Le regard d’Asta se fit plus apaisant. Malcolm détacha à regret ses yeux des siens pour offrir autant de réconfort que possible à son père. Ce dernier, bourru, demeura renfermé. Il détourna résolument les yeux, comme pour ignorer son fils qui pencha la tête, découragé.
Quelques minutes plus tard, un médecin brisa le silence entre eux.
— Nous allons procéder à l’anesthésie, Mr Polstead.
Ce dernier tressaillit mais se ressaisit très vite, affichant une moue si désinvolte à l’anesthésiste qu’il paraissait presque agressif. Malcolm était habitué à sa rudesse et il espérait que le personnel soignant ne s’en formaliserait pas.
— Bien, bien, marmonna-t-il. Finissons-en !
Drixie cachait de plus en plus mal son anxiété, ce qui démontrait celle qu’il tentait de cacher tant bien que mal derrière un masque de mépris. Asta sauta en bas du lit et se frotta brièvement contre la jambe de Malcolm pour lui apporter son soutien. Le jeune homme, raide comme un piquet, leva les yeux vers le médecin.
— Je vais attendre ici, dit-il d’un ton nerveux. Comment saurais-je quand il sera réveillé ?
— On vous préviendra dès sa sortie du bloc, ne vous en faites pas, assura le médecin, professionnel. C’est une opération relativement simple, qui comporte très peu de risques. Bien que le risque zéro n’existe pas.
Le mot “bloc” provoqua un frisson le long de l’échine du jeune homme, accentué par “risque” et “risque zéro”. Pour quelle raison les gens de ce monde cherchaient à se montrer rassurant en empirant les choses ? Dans ce genre de situation, mieux ne valait rien dire du tout. Il hocha plusieurs fois la tête, l’expression impassible du médecin n’aidant pas à croire en ses propos.
Malcolm doutait de plus en plus. Il avait rencontré tant de difficultés à convaincre son père d’accepter l’anesthésie générale ! Mr Polstead trouvait le procédé contre nature. Il craignait de ne jamais se réveiller.
— Je te promets que tout se passera bien, avait dit Malcolm. C’est une certitude scientifique. Ils sont beaucoup plus avancés dans ce domaine que nous.
Après moult conversations plus ou moins musclées, son père avait choisi de lui faire confiance. Cette lourde responsabilité pesait sur les épaules de Malcolm. Que se passerait-il, si...? Non, il ne devait pas y penser. Il fallait garder la tête froide.
Le risque zéro n’existe pas.
En tant que théologiste, il le savait déjà. Néanmoins, cette phrase résonnait en écho dans sa tête. Impossible à déloger. Comme un mauvais pressentiment.
Tandis que le médecin s’apprêtait à emmener Mr Polstead, le jeune homme déglutit. Il se raidit brusquement quand il sentit un contact sur sa peau. Son père venait de saisir son poignet. Il le fixait avec une telle rudesse que le jeune homme n’osait plus ni respirer ni cligner des yeux. Tétanisé, il ouvrit la bouche, la referma. Jamais son père ne lui avait montré un geste d’affection avant ce jour-là. Asta semblait tout aussi perdue. Sa queue battait de manière saccadée tandis qu’elle observait Mr Polstead. Drixie avait redressé la tête et regardait Malcolm de son œil vitreux.
Mr Polstead ne prononça pas un mot. Il serra le poignet de Malcolm pendant plusieurs secondes avant de le lâcher, et le médecin le fit passer des double-portes dont l’accès était interdit à ceux qui n’étaient pas soignants.
Le cœur de Malcolm battait de façon désordonnée. Chamboulé par ce moment si précieux, ce moment fané avant même d’avoir éclos, il se sentait à la fois heureux et plus angoissé que jamais.
— Va t’asseoir, lui conseilla Asta. Ca risque de prendre du temps et tu sembles sur le point de t’évanouir.
Les propos moqueurs du daemon eurent tôt fait de ramener Malcolm à la réalité. Lui décochant un regard indigné - auquel elle répondit par une expression malicieuse – il prit place sur l’un des sièges de la salle d’attente. Elle sauta aussitôt dans ses bras, ce qui montrait à quel point, plus que de le taquiner, elle cherchait du réconfort, elle aussi.
— Tout va bien se passer, déclara Malcolm en se composant une expression déterminée.
Il n’aurait pas pu se tromper davantage.
***
Quelques heures plus tard...
— On devrait demander des nouvelles.
La voix veloutée d’Asta sortit Malcom de sa quasi-somnolence. Il se redressa d’un bond sur la chaise et grimaça en sentant son dos protester. Les moustaches de son daemon chatouillaient sa joue, sa patte avant posée contre son épaule.
— Le médecin a dit qu’on me préviendrait, dit-il d’un ton ensommeillé.
— Ca ne gâche rien de se renseigner, rétorqua-t-elle.
Elle avait raison. Le temps filait et l’inquiétude s’insinuait dans ses veines à mesure qu’il reprenait pieds dans la réalité. Aussi, il se releva en même temps qu’Asta sautait souplement sur le sol. Ensemble, ils se rendirent jusqu’au comptoir de la standardiste, situé au bout du couloir.
— Bonjour, je voudrais savoir si Mr Reginald Polstead est sorti du... bloc.
Il prononça le dernier mot d’un ton hésitant, car il lui semblait curieux. La réceptionniste pianota sur l’ordinateur situé près d’elle. Elle fronça les sourcils, resta silencieuse quelques instants tandis qu’elle observait l’écran, puis répondit :
— Je regrette monsieur, il n’y a aucun Reginald Polstead enregistré dans mes dossiers.
Malcolm cligna des yeux. Indécis, il insista :
— Il y est peut-être sous le nom de Reggie Polstead ?
Elle pianota de plus belle.
— Non plus.
— C’est insensé ! Il est passé par cette porte il y a plusieurs heures de ça !
D’un geste raide, il désigna la double-porte menant au bloc opératoire. La standardiste l’observa patiemment par-dessus ses lunettes rectangulaires.
— Tous les patients qui subissent une opération chirurgicale sont enregistrés dans la base de données.
Malcolm la dévisagea. Sous-entendait-elle qu’il avait tout inventé ? Comment pouvait-elle se fier uniquement à ce que contenait son fichu ordinateur ? Dans ce monde, les hommes avaient pris la décision de conserver les informations importantes dans le ventre des machines. Le jeune homme estimait que c’était absurde. Tout était stocké de manière dématérialisée. Autant dire que rien n’existait vraiment. Par conséquent, Malcolm comprenait très bien que la standardiste n’ait aucune trace du passage de son père dans ses dossiers. Pour autant, cela ne prouvait pas que son père n’avait jamais mis les pieds dans cet hôpital. Ça, c’était concret. Malcolm l’avait emmené lui-même. Il s’en souvenait. Aucun fichier informatique ne pouvait remettre en question cette certitude absolue.
— Regardez encore une fois.
— C’est inutile, monsieur.
Irrité, il plissa des yeux. Perdant patience, Asta prit son élan pour sauter sur le comptoir. La réceptionniste poussa une exclamation scandalisée que le daemon ignora. Souple et légère, elle se plaça près de l’ordinateur pour parcourir le fameux fichier du regard.
— Elle a raison. Il n’est pas enregistré, dit-elle, anxieuse.
— Tout de même ! râla la standardiste.
Afin de la contrarier, Asta s’assit sur son arrière-train sur la table de bureau et la toisa d’un œil dédaigneux.
— Qu’est-ce que ça veut dire ? s'enquit Malcolm, dérouté.
— Ca signifie que votre Mr Polstead n’est pas au bloc, articula la femme d’un ton acide.
— Où est-il, dans ce cas ?
La panique le gagna brusquement. Il plaqua les mains sur sa bouche et croisa le regard alarmé de son daemon.
— Qu’est-ce que j’en sais, moi ! soupira la standardiste. Bon, maintenant reprenez votre chat. Je suis allergique.
Elle attrapa un stylo pour éloigner Asta qui, indignée par son comportement, cracha dans sa direction avant de sauter dans les bras de Malcolm. Elle était si énervée qu’elle enfonça ses griffes dans sa peau. Le jeune homme grimaça. Trop tourmenté pour avoir mal, il se mit à faire les cent pas dans la salle d’attente avec Asta dans les bras. Les rares personnes présentes les observaient d’un air intrigué ou amusé, car il donnait l’impression de ne pas tourner rond. Certains changèrent de place sur son passage, craignant que son mal fût contagieux.
— Que va-t-on faire ? chuchota-t-il à son daemon.
Il se sentait aussi démuni qu’un petit garçon. Il savait son père dans l’hôpital mais dans l’incapacité de le retrouver.
— Ce que l’on fait quand quelque chose est impossible : on va au cœur des choses, murmura Asta.
Il devina ce qu’elle avait en tête, car c’était ce qu’il planifiait aussi. Parfois, il leur arrivait d’avoir les mêmes idées.
On doit trouver de l’aide, songea-t-il.
Sans la concerter davantage, le jeune homme posa son daemon au sol. Astra trottina à ses côtés tandis qu’il se rendait jusqu’à l’ascenseur. Mille pensées flottaient entre eux, dans le silence du petit espace qu’ils occupaient.
Quittant l’hôpital, ils se dirigèrent à grands pas vers le commissariat.
Les policiers sont habilités à faire les mêmes choses ici et chez moi, raisonna le jeune homme. Si je déclare une disparition, ils m’aideront. Ça fait partie de leur travail.
Malgré tout, il demeurait à demi convaincu. Dans son monde, les forces de l’Ordre étaient corrompues. Elles étaient devenues une milice au service du Magisterium, qui traquaient ceux qui osaient penser différemment. Il avait passé peu de temps à Storybrooke, à peine un mois, mais le fait que nul ne l’ait mis en garde contre la police de la ville l’encourageait à garder espoir. De toutes façons, Asta possédait une bonne intuition. Elle n’hésiterait pas à lui confier ses doutes au cas où.
En apercevant le commissariat, il courut presque sur les derniers mètres. Le temps était compté ! Il ouvrit la porte si brusquement qu’elle claqua contre le mur, et fit sursauter le policier qui, la tête dans la main, se dressa comme un ressort sur sa chaise. Se faufilant dans l’entrée, Asta déboula avant Malcolm pour sauter sur le comptoir, entre un gobelet de café vide et une boîte de donuts entamée. Le policier poussa un cri aigu, croyant à une attaque de bête sauvage. Soudain, Malcolm sentit l’espoir s’amoindrir. Il aurait souhaité un représentant des forces de l’ordre plus inspirant.
Passé l’instant de panique, le policier se ressaisit et épousseta sa chemise couverte de miettes. Il jeta ensuite un coup d’œil à Asta qui le fixait avec une expression perçante, assise sur le comptoir, sa queue battant dans l’air.
— Wow, tout doux, dit-il tout en levant les mains vers eux. C’est pas trop recommandé d’agresser un représentant des forces de l’ordre. Ça pourrait vous coûter cher.
Tandis qu’Asta reniflait les vestiges de donut d’un air dubitatif, Malcolm décida d’éluder les propos de son interlocuteur. Il tapa du poing sur la table et lança, téméraire :
— Mon père a disparu ! On l’a emmené au bloc opératoire et il n'en est jamais ressorti !
— En êtes-vous bien sûr ? Il a peut-être décidé de partir en balade sans vous prévenir.
— Je l’ai emmené à l’hôpital ! Il était prêt à être opéré !
— Il a peut-être changé d’avis, hasarda le policier en haussant les épaules.
Médusé, Malcolm en perdit la parole. Pourquoi les discussions dans ce monde partaient-elles dans l’absurde ?
— Bon, dans tous les cas, il faut attendre quarante-huit heures avant de signaler une disparition, reprit le policier d’un ton plus professionnel.
— Pourquoi attendre aussi longtemps puisque je sais qu’il lui est arrivé quelque chose ? s'écria le jeune homme, indigné par cette injustice.
— Parce que c’est la procédure, c’est comme ça, alors revenez dans deux jours.
La queue d’Asta claqua contre le comptoir et un grognement gronda depuis son museau fermé. Le policier la considéra avec un mélange d’inquiétude et de méfiance. Elle semblait sur le point de lui sauter au visage. Malcolm plaqua les mains sur le comptoir et planta un regard tout aussi inflexible dans celui du policier rondouillard.
— Je ne partirai pas d’ici sans qu’on m’apporte l’aide que je demande ! dit-il, décisif et implacable. En votre âme et conscience, vous ne pouvez me laisser ainsi !
L’autre afficha une moue agacée, presque blasée.
— Continuez comme ça, et je vous assure que vous passerez même la nuit au poste.
A cet instant, Malcolm aperçut une jeune femme rousse qui venait d’entrer. Elle venait d’un couloir du commissariat. Sans doute qu’elle avait été alertée par la conversation qui montait en puissance. Sans détour, le jeune homme pivota vers elle :
— Mon père a disparu. Ça fait plus de quarante-huit heures. J’ai besoin de vous.
Sa voix était à la fois tendue et maîtrisée, mais surtout pleine d’audace teintée de folie. Du coin de l’œil, il vit le policier de l’accueil ouvrir la bouche comme pour démentir ses propos, mais il le devança :
— Ca fait bel et bien quarante-huit heures. J’ai omis de vous le dire.
Un petit mensonge n’était rien s’il lui permettait de sauver son père. Le policier haussa les épaules. De toute évidence, il n’en avait rien à faire. Révolté, Malcolm se désintéressa de lui pour se focaliser de nouveau sur la jeune femme. Il espérait qu’elle se montre davantage impliquée. Elle portait un pantalon, par conséquent elle devait être habilitée à exécuter les mêmes tâches que ses collègues masculins.
— Par quoi commence-t-on ? s'enquit-il, afin de ne pas lui laisser le temps de riposter.
Asta et lui avaient braqué sur elle le même regard incisif. Deux paires de yeux verts qui la fixaient façon rayon laser.
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Jessie James
« Jessie never gives up, Jessie finds a way! »
Elle va être sympa cette mairie, j'le sens bien... On va s'entendre copains comme cochons...
Edition Août-Septembre 2020
| Conte : Toy Story | Dans le monde des contes, je suis : : Jessie, l'écuyère
Asta et Malcolm se renvoyèrent un regard avant qu’elle saute dans ses bras. Dans ce cas de figure, ils ne faisaient confiance à personne mais au moins, cette jeune femme semblait plus impliquée que “Bob”. Elle les conduisit jusqu’à son bureau dont elle ferma les stores. Malcolm trouva ce geste curieux. Craignait-elle qu’on les espionne ? Avait-elle une peau trop fragile pour les rayons du soleil ? Elle était rousse comme lui ; par conséquent ils partageaient sûrement les mêmes soucis d’épiderme. Cependant, cela aurait été cavalier de le mentionner en guise de préambule. De toute manière, elle ne lui laissa pas le temps de parler : elle lui indiqua de ne pas bouger avant de s’éclipser.
Asta remua dans les bras de Malcolm, tandis que celui-ci prenait place sur une chaise face à la table de bureau. Tous deux observaient la pièce avec un mélange de scepticisme et de prudence. Le daemon se montrait beaucoup plus méfiant, flairant l’air, ses yeux verts réduits à seulement deux fentes.
— Si ça se trouve, elle nous a emmenés ici pour se débarrasser de nous, déclara-t-elle.
— Tu exagères...
Malgré tout, Malcolm rentra la tête dans les épaules tout en jetant des coups d’œil appuyés au plafond et sur les parois, cherchant à distinguer des pièges magiques.
— Elle ne va peut-être jamais revenir. Il ne nous arrivera rien, soupira Asta que le comportement du jeune homme consternait. Hormis le fait d’être ignorés. Nous allons repartir bredouille, c’est sûr et certain.
Malcolm ouvrit la bouche pour répliquer quelque chose comme : “ne sois pas défaitiste” mais il fut de nouveau coupé dans son élan par la jeune femme qui était de retour. Il se contenta de baisser la tête vers Asta pour lui lancer un regard cinglant. Le Daemon l’ignora d’un port de tête altier. Bientôt, une agréable odeur de chocolat chaud enveloppa la pièce. Le jeune homme se pencha vers le gobelet fumant posé devant lui. Ignorant le verre d’eau, il attrapa le gobelet et souffla plusieurs fois dessus, après avoir remercié la gentille policière. Il écouta attentivement ses recommandations, tout en buvant plusieurs gorgées. Ainsi revigoré, il prit enfin la parole :
— Avant toute chose, je tiens à préciser que ce chocolat est délicieux.
Il eut un petit sourire au coin des lèvres, qu’il perdit vite en entendant le soupir las d’Asta.
— Je suis Malcolm Polstead. Mon père s’appelle Reginald Polstead. Il a été admis à l’hôpital aujou... il n’y a pas longtemps, rectifia-t-il en vitesse. Pour une ablation d’une partie de la thyroïde. Il a un cancer. Le souci, c’est que plusieurs heures après son opération, le personnel de l’hôpital n’a plus eu aucune trace de lui. Ils ont même insinué que je me moquais d’eux. Pourtant, j’ai vu mon père entrer dans le bloc opératoire ! Il n’en est jamais ressorti. J’ignore où il se trouve, encore moins s’il...
L’angoisse remontant crescendo, il passa une main sur son visage comme pour effacer cet affreux cauchemar de son esprit.
— Dans le cas d’un décès, les proches sont prévenus, n’est-ce pas ? demanda-t-il d’un ton éteint.
Beaucoup d’us et coutumes étaient différents dans ce monde, mais il partait du principe qu’une chose aussi grave bénéficiait forcément d’un suivi. Terrorisé à cette idée, il se mordit les lèvres et reposa le gobelet à moitié plein sur la table. Asta se pelotonna contre lui, sans cesser de fixer la jeune policière d’un œil perçant.
— Il ne voulait pas se faire opérer. Je l’ai convaincu de le faire et...
Il baissa les yeux sous le regard sévère de la jeune femme. Elle lui avait demandé de se montrer honnête. D’après elle, c’était le meilleur moyen de retrouver son père au plus vite. Il savait qu’elle avait raison. Mais pouvait-il lui faire confiance ? Allait-elle réagir comme “Bob” et la secrétaire de l’hôpital dès qu’il exposerait tous les faits ? D’un autre côté, avait-il une autre alternative ? S’il conservait des secrets, l’enquête ne mènerait nulle part. Il inspira profondément et avoua :
— J’ai emmené mon père à l’hôpital ce matin pour une ablation de la thyroïde. Je l’ai accompagné aussi loin que je le pouvais. Plusieurs heures plus tard, on m’a dit qu’aucun Reginald Polstead ne figurait dans les fichiers. L’hôpital de Storybrooke a volé mon père.
Il avait conscience que cette phrase sonnait de manière absurde, pourtant il leva la tête et croisa le regard de la jeune policière avec détermination. C’était la vérité brute, telle qu’elle l’avait demandée. Elle avait affirmé toujours trouver une solution et ne jamais abandonner. Il lui apportait un défi à sa mesure, dans ce cas.
Son audace fut brusquement ébranlée à l’évocation du “chat thérapeutique”. Perplexe, il cligna des yeux sans comprendre puis observa la photo du chien qu’elle lui montra. Saisissant enfin le quiproquo, il étouffa un rire qui vexa Asta, dont le poil de l’échine s’était hérissé.
— Il a l’air sympathique, dit-il en parlant du chien. La mienne s’appelle Asta.
Il tapota le flanc du daemon qui poussa un grognement hargneux. Puis, elle lança d’un ton hautain :
— Les gens d’ici ont des photos encadrées de leurs animaux de compagnie, c’est ridicule.
Malcolm eut un sourire crispé. Que fabriquait-elle ? Avait-elle oublié qu’il fallait se montrer très gentil avec la policière afin qu’elle les aide ? Jouant le tout pour le tout – et craignant surtout que son daemon ne se rende coupable d’un nouvel affront – il expliqua :
— Je viens d’un autre monde. Un monde au-delà de l’aurore. Peut-être que c’est pour cette raison que l’hôpital a volé mon père. Peut-être que les médecins veulent comprendre ce qu’il a de différent. C’est pour ça qu’il faut agir vite ! J’ignore à quel point le délai des quarante-huit heures est important pour vous. Tout ce que je sais, c’est que le temps est compté pour mon père. Il est seul, livré à un monde qu’il ne connaît pas, et il est malade.
Malcolm était de nouveau si anxieux qu’il en avait oublié de finir son chocolat chaud, désormais froid.
— Si vous ne m’aidez pas, vous aurez sa mort sur la conscience.
Ses paroles eurent l’effet d’un couperet sur lui-même, car plus que d’accuser la policière, il se sentait plus coupable que jamais d’avoir entraîné son père dans toute cette histoire. Le cœur gros, il ajouta à mi-mot que ce genre de soin n’existait pas dans son monde et que c’était pour cette raison qu’il avait convaincu Mr. Polstead de venir à Storybrooke.
— S’il vous plaît, Mademoiselle... Vous êtes mon dernier espoir, acheva-t-il à mi-mot, la tête basse.
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Elle va être sympa cette mairie, j'le sens bien... On va s'entendre copains comme cochons...
Edition Août-Septembre 2020
| Conte : Toy Story | Dans le monde des contes, je suis : : Jessie, l'écuyère
— C’est peut-être ridicule pour toi, Asta, mais tu sauras que parfois c’est tout ce qu’il reste aux gens dans cette ville et qu’aucun ne mérite d’être moqué pour ça.
Asta était vexée. Malcolm le perçut sans mal car sa queue en panache battait l’air de façon saccadée. Elle conserva un silence appuyé afin de montrer son mécontentement, qui donna l’impression au jeune homme que l’air dans la pièce avait pris la consistance du plomb. Plus qu’agacée, il devinait qu’elle était embarrassée d’avoir ravivée une plaie sans doute douloureuse pour la policière. Le daemon avait un caractère affirmé mais il n’était pas méchant par nature, en raison de l’attitude profondément humaniste de Malcolm. Lui-même se sentait peiné d’être indirectement la cause de cette réplique. Il ouvrit la bouche pour s’excuser mais la referma. Ce serait sans doute malvenu. Mieux valait arrêter les dégâts.
En tous cas, la jeune policière se montrait très professionnelle et pragmatique. Elle pianotait si vite sur le clavier de son ordinateur que Malcolm en eut le tournis. Elle avait quelque chose qui mettait naturellement en confiance. A mesure que les minutes passaient, le jeune homme se décrispait. Il avait envie de croire qu’ils pouvaient y arriver, ensemble !
— Vous avez pas l’air d’être d’ici, vous avez une chambre au moins ? Un truc au cas où l’enquête serait un peu plus longue ?
Pris au dépourvu, Malcolm l’observa en clignant des yeux. Lui proposait-elle de venir chez elle ? Était-ce la procédure des policiers de ce monde ? Puis, réalisant que c’était absurde, il répondit :
— Je loge au-dessus de la librairie d’Alexis Child. Je ne sais pas si vous connaissez. C’est temporaire, bien sûr.
Pourquoi précisait-il que c’était temporaire ? Il donnait l’impression d’avoir laissé sa phrase en suspens, comme s’il attendait une invitation de la part de la policière. Subitement mal à l’aise, il se racla la gorge et baissa les yeux, tandis que ses joues se coloraient un peu. Asta le fixa d’un œil perçant mais ne fit – heureusement – aucun commentaire.
Puis, il fut question de retourner à l’hôpital, dans le but d’obtenir davantage de renseignements. Malcolm était prêt à promettre tout et n’importe quoi. Cependant, il n’était pas certain de savoir tenir sa langue comme le "shérif James” le lui demandait. Il était surpris qu’une personne comme elle occupe une telle fonction. Il savait qu’un shérif, en Amérique, était le plus haut gradé d’un commissariat. Elle avait dû s’illustrer à résoudre de nombreuses affaires compliquées, ce qui le conforta dans l’idée qu’il pouvait lui faire confiance.
Il l’accompagna donc et resta silencieux tout du long de l’échange avec les différents membres du personnel de l’hôpital. Asta observait le même silence, mais avec le regard plus inquisiteur.
Ils visionnèrent les caméras de surveillance et le shérif James remarqua que l’image était figée. Malcolm ne s’en aperçut pas de suite mais trouva effectivement que quelque chose était étrange. La jeune femme lui chuchota brusquement :
— Vous vous souvenez du nom du médecin qui devait opérer votre père ? Nous devrions aller l’interroger... La personne ou le groupe de personne qui ont fait cela ont le bras suffisamment long pour avoir des accès privilégiés à l’hôpital et le médecin est peut-être dans le coup...
Malcolm se creusa la tête. Bon sang, quel était le nom du maudit médecin ? Il ne s’en rappelait plus !
— Stravapoulos... Christopoulos... Je ne me souviens plus bien. Ca terminait par “os”.
— C’était le docteur Anselm, intervint Asta à voix basse.
Puis, elle lança un regard consterné à Malcolm qui fronça les sourcils. Se pouvait-il qu’il se soit trompé à ce point ? Il ne mit pas les paroles de son daemon en doute ; elle possédait une meilleure mémoire que lui. Aussi, il se contenta d’adresser un bref sourire contrit au shérif James, comme pour confirmer les dires d’Asta.
Puis, son regard se figea par-dessus l’épaule de la jeune policière.
— Si vous voulez lui parler, il me semble que c’est le moment rêvé.
Sans un mot de plus, il se leva d’un bond et fixa d’un œil mi-perplexe, mi-déterminé, le docteur Anselm qui venait d’entrer dans la pièce. Apercevant Malcolm, ce dernier stoppa net, sembla hésiter, puis fit demi-tour pour courir en sens inverse. Le jeune homme s’élança à sa suite, Asta le devançant allègrement de par sa nature féline. Il ignorait si le shérif James leur avait emboîté le pas. En tous cas, il n’allait certainement pas laisser passer sa chance d’interroger ce chirurgien. S’il s’enfuyait, c’est qu’il avait quelque chose à se reprocher.
Ils traversèrent plusieurs couloirs, essuyèrent les exclamations affolées et indignées du personnel qu’ils rencontrèrent, surtout lorsque le docteur Anselm chercha à barrer la route à Malcolm en se servant d’un lit... sur lequel se trouvait un patient.
En un bond gracieux, Asta sauta par-dessus mais Malcolm n’eut pas le temps de l’éviter : il heurta le lit et tomba à moitié sur le pauvre patient.
— Oh, par tous les saints ! s'écria-t-il, le souffle court, en se redressant. Je suis désolé, monsieur ! Vraiment, je...
Asta n’avait pas arrêté sa course, et il sentait déjà le lien invisible qui les reliait être mis à rude épreuve. Il grimaça, une douleur vive irradiant de toutes parts, à l’intérieur et l’extérieur de lui.
— Bon dieu de bois ! Qu’attendez-vous pour faire sa fête à ce connard ? lança le patient tout en désignant le médecin qui continuait de s’enfuir.
Malcolm ouvrit des yeux ronds. Il ne s’attendait pas que cette personne prenne son parti. Après tout, en y réfléchissant, le docteur Anselm s’était servi de son lit comme d’un “bouclier”. C’était plutôt logique d’être furieux.
— Comptez sur moi ! dit Malcolm d’un ton farouche.
Luttant contre la douleur qui le tenaillait, il poussa aussi doucement que possible le lit contre le mur du couloir, avant de se remettre à courir. A mesure qu’il se rapprochait d’Asta, il sentait ses poumons s’ouvrir davantage et la souffrance s’atténuer, remplacée par une vague de soulagement.
Alors que le docteur Anselm ouvrait une porte, Asta se faufila entre ses jambes afin de lui faire perdre l’équilibre, ce qui laissa le temps à Malcolm de le rattraper. Le médecin était en train de se relever quand il le saisit par la blouse et le plaqua contre la paroi. A côté d’eux, le daemon poussa un sifflement de chat furieux.
— Que me voulez-vous ? hoqueta le docteur Anselm, apeuré.
— C’est un peu fort ! répliqua Malcolm, tentant de reprendre son souffle. Vous savez très bien ce que je veux, autrement vous ne vous seriez pas enfui. Où est mon père ?
Il le secoua un peu avant de le cogner contre la paroi. Paroi très étrange d’ailleurs, maintenant qu’il s’en apercevait. D’innombrables tiroirs en métal la recouvraient. Le reste de la pièce n’était guère plus accueillant : plusieurs tables en métal trônaient au centre. L’endroit ne disposait que de minuscules fenêtres, à l’image de celles présentes dans les caves. Sur une desserte, plusieurs outils étaient soigneusement rangés.
— Je... je ne vois pas de qui vous voulez parler, répondit enfin le médecin.
— Reginald Polstead.
— Qui ?
A bout de patience, Malcolm saisit un instrument de torture sur la desserte – du moins c’est ce qu’il pensait que c’était - et le pointa vers la gorge de l’homme qu’il maintenait toujours.
— Ça vous revient, maintenant, ou dois-je vous rafraîchir la mémoire ? fit-il, menaçant. J’ai déjà fait parler des gens de cette manière. Beaucoup de gens. Ne vous pensez pas privilégié.
Le ton de sa voix était à la fois calme et téméraire. Le médecin perdit le peu de couleurs qui lui restait. Assise sur l’une des tables en métal, Asta le fixait sans ciller.
— Je... je ne sais rien, je... On m’a payé pour servir de couverture. Je... je ne sais rien, je vous jure !
— Ne parlez pas par énigmes ! lança Malcolm, abrupt.
Dans son monde, l’expression “servir de couverture” n’existait pas. Par conséquent, il était persuadé que le médecin cherchait à gagner du temps. Il approcha davantage le scalpel de sa joue et...
La porte claqua. Quelqu’un était entré. Il espérait que ça soit le shérif James. Après tout, la jeune femme savait sans doute tout des rudiments de la salle de torture légale dans laquelle ils se trouvaient. Elle saurait en faire bon usage.
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Jessie James
« Jessie never gives up, Jessie finds a way! »
Elle va être sympa cette mairie, j'le sens bien... On va s'entendre copains comme cochons...
Edition Août-Septembre 2020
| Conte : Toy Story | Dans le monde des contes, je suis : : Jessie, l'écuyère
La shérif James avait remarquablement géré cette affaire. Elle n’avait omis aucun élément et fait subir un interrogatoire en règle au docteur Anselm. Un peu à l’écart, Malcolm avait assisté à tout l’échange, et observait la téméraire jeune femme d’un œil fasciné. Il n’était pas intervenu car il avait jugé qu’elle s’y était très bien prise. Asta, près de lui, fixait le médecin sans ciller, sa queue battant de façon saccadée. Le daemon traduisait la nervosité et la rage contenue de son humain.
Lorsque la shérif perdit son self-control, Malcolm fit un pas vers elle. Il craignait que le docteur riposte et pour rien au monde il n’aurait toléré qu’on frappe une femme. Des souvenirs d’enfance se superposèrent à sa vision. Malgré lui, il revit une amie très chère aux prises avec un sadique fou furieux... Sa mâchoire se contracta et il secoua la tête pour chasser ces effroyables réminiscences. Il voulut s’approcher de la shérif, mais un policier surgit et la souleva presque de terre afin de la placer hors de portée du criminel. Un autre policier passait déjà les menottes au “docteur”. La situation était sous contrôle. Néanmoins, Malcolm ne parvenait pas à calmer ses palpitations. Ses poings demeuraient aussi serrés que sa mâchoire. Une boule lui obstruait la gorge. En dépit de ses efforts, il repensait à son amie. Alice, si jeune, si innocente... Aucun enfant ne mérite un tel traitement.
Dans un état second, il entendit à peine la shérif énoncer des ordres concernant la suite de l’enquête. Il resta debout, ses souvenirs l’ayant happé et le rendant plus mort que vivant. Quelque chose frôla sa jambe et il cligna des yeux, puis pencha la tête. Asta s’était frottée contre sa jambe afin de le réconforter. Il s’efforça de déglutir et de paraître décontracté face à la shérif James. Il se devait de faire bonne figure. Flancher maintenant risquait de tout compromettre. Son père comptait sur lui. Il ne devait pas laisser le passé l’engloutir.
— Un être ignoble... lâcha-t-il dans un filet de bile. Vous avez bien fait de le frapper. Il mérite bien pire.
Il coula un regard acrimonieux en direction de la porte par laquelle les policiers avaient fait sortir le docteur Anselm.
— Aucun enfant ne devrait à subir des choses pareilles...
Cette phrase avait été murmurée dans un soupir. Il inspira profondément et s’efforça de se composer une expression plus engageante.
— Bien. Nous sommes loin d’en avoir fini. Comment vous sentez-vous ?
Sans réfléchir, il saisit délicatement la main de la jeune femme dans les siennes. Il la plia doucement puis la lâcha.
— Elle n’est pas cassée. Vous auriez pu vous faire très mal étant donné la force que vous avez mise...
Il croisa son regard et esquissa un sourire en demi-teinte. Il était reconnaissant qu’elle s’implique autant mais il craignait qu’elle se blesse avant la fin. Même si elle semblait étonnamment robuste, il ne souhaitait pas qu’elle pousse dans ses derniers retranchements. Il en était là de ses réflexions quand l’un des policiers revint dans la morgue.
— Shérif ! On a localisé l’ambulance !
Immédiatement, il mit de côté toutes ses réflexions et s’élança à la suite de la shérif. Plus rien d’autre ne comptait. Une fois sur le parking, il monta à bord de la Jeep de la jeune femme sans même attendre d’invitation. Toutes ses pensées étaient focalisées sur son père. Pourvu qu’ils arrivent à temps... Pourvu qu’il soit sain et sauf.
Les dents serrées, il se cramponna au rebord de la portière et s'abîma dans un silence pesant, durant tout le trajet. Sur ses genoux, Asta semblait tout aussi tendue, observant le paysage à travers la vitre.
Lorsque la voiture fut sur le point de stationner aux abords de docks, Malcolm n’attendit pas qu’elle soit à l’arrêt pour descendre. Il entendit une protestation électronique de la part du véhicule. Le visage fermé, il observa les alentours, Asta faisant de même. Il lui faisait davantage confiance pour repérer une agitation suspecte, car elle possédait une meilleure vue.
— Là-bas ! lança-t-elle soudain.
Un peu à l’écart, une ambulance était stationnée près d’un bateau de taille modeste. Asta s’y précipita à vive allure et disparut à l’intérieur, par l’une des portes entrouvertes. Malcolm courut afin de la rattraper. Ouvrant en grand l’une des portes de l’ambulance, il constata qu’elle était vide. Jessie avait eu le temps de les rattraper.
— Le bateau !
Il n’eut pas le temps de pivoter vers ce dernier que quelque chose frôla son oreille et heurta la porte de l’ambulance dans une forte détonation. Des coups de feu ! Il eut le réflexe de placer une main sur le dos de la shérif afin qu’elle se baisse. On leur tirait dessus. Heureusement, le reste de la “cavalerie” arrivait en renfort : plusieurs voitures de police déboulèrent dans des crissements de pneus. Les forces de l’ordre en sortirent pour riposter envers l’attaque, se servant des portières des véhicules pour se protéger des projectiles. Les ennemis n’étaient pas nombreux, mais bien équipés et redoutablement bien placés à bord du navire. A l’abri derrière la portière de l’ambulance, Malcolm compta trois hommes armés chacun d’une mitraillette.
La shérif s’étant jointe à la fusillade, Malcolm profita qu’on ne se souciait plus de lui pour contourner l’ambulance prudemment, Asta marchant à pas de velours à ses côtés. Les policiers étaient efficaces mais les ennemis pouvaient quitter le port à tout moment. Le jeune homme devait agir avant de perdre l’avantage.
Sans se concerter, Asta se faufila sous l’ambulance afin d’avoir une meilleure vision d’ensemble. Parmi les détonations, Malcolm l’entendit soudain :
— Un des hommes est tombé. Un autre est blessé. Le troisième recharge. C’est maintenant ou jamais.
Les poing serrés, Malcolm quitta sa cachette pour s’élancer à découvert sur les docks, parcourant le plus vite possible la petite distance qui séparait l’ambulance du bateau. Asta sauta à bord bien avant lui, qui dut éviter les balles de l’ennemi blessé qui continuait de tirer en hurlant. Il comptait sur les policiers pour neutraliser les agresseurs. Ces derniers ne pourraient s’en prendre à lui tant que la fusillade avait lieu. Cela lui laissait le loisir de s’enfoncer dans les profondeurs du navire. Il cassa la vitre renfermant une hache, juste au cas où il ferait de mauvaises rencontres en chemin, puis avança à vive allure à travers le premier corridor.
Asta et lui se séparaient autant que possible, et autant que leur lien le leur permettait, afin de couvrir davantage de terrain. Enfin, en ouvrant une porte - à coup de hache puisqu’elle était verrouillée - il trouva son père. Ils se renvoyèrent un regard paniqué, car M. Polstead avait sûrement angoissé en voyant la hache fendre le bois, sans savoir qui était aux commandes. Passée la seconde de silence perplexe, Asta se précipita vers Drixie. Les deux daemons se touchèrent du bout du museau. L’épagneul breton semblait en forme, bien que fatigué. Reginal Polstead l’était tout autant. Quand il croisa le regard soulagé de son fils, qui baissa enfin sa hache, la première chose qu’il prononça fut :
— C’est quoi ce monde de fous dans lequel tu m’as emmené ?
Une remontrance. Pour une fois, Malcolm la reçut en plein cœur, car au moins, son père était en vie. Malgré tout, il ne le prit pas dans ses bras. Il n’eut aucun élan d’affection. Ce n’était pas comme ça entre eux.
Le jeune homme ouvrit la bouche mais la referma en entendant les détonations cesser brusquement. Était-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Quel camp l’avait emporté ?
— Qu’est-ce qui se passe, bon sang de bois ? grommela M. Polstead.
— Ils ne t’ont rien fait ? s'enquit Malcolm.
Son père haussa les épaules d’un air grincheux.
— J’ai l’air d’avoir été opéré ? Je me suis réveillé y a plusieurs heures dans cette cabine. Au début, j’ai cru que j’étais toujours à l’hôpital, mais j’ai eu beau appeler, personne n’est venu. Qu’est-ce que c’est que ce cirque ? Tu vas m’expliquer ou...?
Malcolm lui fit signe de se taire. Des bruits de pas se faisaient entendre depuis l’escalier. Il déglutit, demanda à son père de s’éloigner dans un coin de la pièce par signes muets, puis se posta contre le mur, près de la porte défoncée. De manière à être bien placé pour voir les ennemis arriver et frapper, au besoin.
Lorsqu’une silhouette pénétra dans la cabine, Malcolm abaissa sa hache mais eut la présence d’esprit de retenir son coup.
— Shérif James ! s'écria-t-il, à la fois anxieux et soulagé. Vous auriez dû vous annoncer. J’ai failli vous...
… raccourcir d’une tête.
Il esquissa un sourire contrit puis enchaîna :
— J’en déduis que la situation est sous contrôle, là-haut ?
Son père se racla la gorge, ce qui le poussa à faire les présentations :
— Voici mon père. Il va bien. Je m’en suis déjà assuré. Et voici Drixie.
Méfiant, l’épagneul breton montra les crocs. Quant à Reggie Polstead, il plissa des yeux en direction de la shérif et du policier qui l’accompagnait.
— Ils sont de notre côté, père. Ils m’ont aidé à te retrouver.
— Mouais... fit M. Polstead, suspicieux. On rentre ? J’en ai jusque-là de ce monde de péquenauds.
Malcolm se sentit quelque peu embarrassé par le comportement de son père. Il pouvait comprendre sa mauvaise humeur, mais ce n’était pas courtois vis-à-vis des personnes qui avaient œuvré pour le retrouver. D'une certaine manière, c'était même ingrat. Il agita mollement la hache au bout de sa main avec une moue.
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Jessie James
« Jessie never gives up, Jessie finds a way! »
Elle va être sympa cette mairie, j'le sens bien... On va s'entendre copains comme cochons...
Edition Août-Septembre 2020
| Conte : Toy Story | Dans le monde des contes, je suis : : Jessie, l'écuyère
Un peu déboussolé par les récents évènements, Malcolm tentait au mieux de paraître inébranlable. Il devait donner l'impression que cet épisode ne l'avait pas atteint, surtout pour que son père reste confiant vis-à-vis de la suite. Hélas, c'était loin d'être gagné. Il l'entendait ronchonner de là où il se trouvait, entouré par plusieurs soignants. Malcolm restait près de lui, mais il fut plutôt soulagé de voir Jessie arriver. Elle assura que Storybrooke était bien plus accueillante qu'elle semblait, et Reginald se contenta d'émettre une expression maussade.
Tout en emboîtant le pas à la shérif, il essaya de rester serein vis-à-vis de tout ce qu'il avait entendu : les ennemis étaient tous morts, soit par balles, soit en ingurgitant du poison. Cette réalité faisait froid dans le dos. Cette bande était redoutablement organisée. La police suffirait-elle à garder son père en sécurité ? Ou devaient-ils repartir au plus vite chez eux ? Il tiqua, songeant que son père avait besoin d'une opération impossible à pratiquer dans son monde. S'il voulait avoir une chance de survivre, il fallait rester à Storybrooke.
Malgré tout, il prêta une oreille attentive aux paroles de la shérif, tressaillant légèrement en entendant les termes "cellule de soutien psychologique". Acquiesçant, il précisa tout de même :
— Je doute que mon père soit friand d'aller dans une cellule, vu ce qu'il vient de vivre. Je comprends qu'il s'agit de quelque chose censé aider à passer outre le traumatisme, mais il n'entendra que le mot "cellule". Le mieux que je puisse faire, après la déposition, c'est de le ramener chez nous.
Il resta volontairement évasif sur le sens des mots "chez nous", car il se sentait un peu perdu. Mentionnait-il l'appartement d'Alexis ou son monde ? Dans un état second, il perçut à peine Asta qui frottait son pelage contre le bas de son pantalon. Elle faisait cela quand elle cherchait à le réconforter. Les propos de Jessie lui remontèrent un peu le moral. Elle était déterminée à remonter la piste - très mince - laissée par les kidnappeurs. Il la croyait sur parole. Depuis le début des recherches, elle était la seule à s'être montrée aussi investie. Il ouvrit des yeux ronds lorsqu'elle proposa de donner son numéro, puis il se saisit de la petite carte cornée qu'elle lui tendait. Il se souvint alors de ce qu'était le téléphone, cet appareil capable de transmettre des ondes longue portée avec une précision et une clarté remarquables. Alexis lui avait montré comment s'en servir, car l'appartement qu'elle lui prêtait comportait ce dispositif.
Curieusement, Jessie sembla brusquement embarrassée et justifia sa décision de lui donner quelque chose d'aussi personnel - du moins, c'est ce que Malcolm en déduisit - en précisant que c'était au cas où des éléments de cette journée abracadabrante reviendraient à son père.
— Je suis honoré d'avoir votre numéro, shérif James, déclara-t-il afin de calmer l'embarras de la jeune femme. Ne vous en faites pas, je ne l'utiliserai qu'en cas de nécessité. Et je sais qu'il y a des gens qui nous veulent du bien, ici. Vous en êtes un exemple probant.
Il lui adressa un sourire reconnaissant, tout en sentant une chaleur monter jusqu'à ses joues. Ce fut à son tour d'être mal à l'aise. Il baissa la tête et jugea préférable de retourner voir son père. Asta, trottinant sur ses pattes, observait un silence bienvenu. Il se doutait qu'elle réfléchissait à beaucoup de choses, sans doute davantage que lui-même. Elle avait une façon de raisonner très pointue. Ce serait utile quand ils en parleraient ensemble.
Son père avait sa tête des mauvais jours. Malcolm conclut que son humeur s'était empirée pendant qu'ils se trouvaient avec l'équipe de soignants.
— Je vais vous emmener au poste de police, pour votre déposition. Nous prendrons ma voiture, vos animaux peuvent venir avec.
Reginald lança un regard oblique à Malcolm qui lui intima discrètement de ne faire aucun commentaire. Jessie ignorait ce qu'était un daemon, et il jugeait inutile de l'en informer présentement. Ils avaient vécu suffisamment de choses pour l'instant.
Une fois qu'ils furent correctement installés (Reginal et Drixie à l'arrière, Malcolm et Asta à l'avant), la shérif posa une question qui arracha une grimace presque vexée au père Polstead :
— Vous avez l’air d’aimer les animaux dans la famille... J’ai un chien, moi aussi. Il parle, le vôtre ? Asta parle après tout...
— Drixie ne parle pas pour ne rien dire, grommela-t-il. Pas comme la majorité des gens. Pourtant, y en aurait qui gagneraient à la fermer plus souvent.
Malcolm ouvrit la bouche, choqué que son père attaque aussi ouvertement Jessie, alors qu'elle s'était démenée à le retrouver.
— Excusez-le. Il a passé une mauvaise journée, dit-il du bout des lèvres, honteux.
— Et ça s'est pas vraiment arrangé quand on m'a soit-disant secouru ! Une bande de nigauds a voulu me déshabiller !
Le jeune homme soupira.
— Père, ça fait partie de leur travail...
— De me déshabiller ? Eh ben, c'est du joli !
— Ils voulaient seulement s'assurer que tu allais bien.
— Me poser la question, ça ne suffit pas ? C'est quoi ce monde où on ne croit pas la personne quand elle dit qu'elle va bien ?
Malcolm tourna la tête vers la vitre. Il avait l'impression que Jessie avait accéléré, sans doute pour arriver le plus vite possible au commissariat. Il ne pouvait lui en vouloir ; elle devait se sentir très mal à l'aise, prise au coeur d'une dispute qui ne la concernait pas vraiment.
— Et j'ai rien à déposer, ronchonna Reginald de plus belle. J'ai plus rien à vous dire.
— Ca fait partie de la procédure... Plus tu racontes ce que tu sais, et plus les policiers auront de chances de trouver les coupables.
Il marqua une courte pause avant d'ajouter d'un ton froid :
— Tu ne ferais pas tant de manières si c'était le CDC qui t'interrogeait.
Assis sur la banquette arrière, le père croisa les bras. Drixie, la tête posée sur sa cuisse, avait le regard vide et malheureux. Le coeur de Malcolm se serra de les voir ainsi. Il leur avait promis que tout se passerait bien... Et tout avait empiré. Il regretta aussitôt sa dernière phrase.
— Bon. Je répéterai ce que je sais qu'une seule fois, concéda Reginald. Vous avez intérêt à bien écouter.
Il jeta un regard perçant à Jessie dans le rétroviseur. La jeune femme gara bientôt sa Jeep aux abords du commissariat. Une fois au poste de police, elle écouta la déposition à laquelle se prêta Reginald, avec tant d'application que Malcolm, surpris, songea qu'il éprouvait peut-être un peu de culpabilité d'avoir été si exécrable.
Quand Jessie proposa de les raccompagner, Malcolm refusa. Elle s'était montrée plus que serviable et il ne souhaitait pas abuser de sa bienveillance.
— Nous habitons à seulement quelques rues d'ici. Une promenade nous fera le plus grand bien, assura-t-il.
Son père et son daemon attendaient à quelques mètres. Craignant qu'il perde patience, Malcolm décida d'écourter le moment.
— Eh bien, merci pour tout. Infiniment. Sans vous, je pense que nous serions encore en train de nous débattre avec le secrétariat de l'hôpital.
Il eut un sourire crispé. Il aurait aimé rester encore un peu auprès de la jeune femme plus que sympathique, mais il n'avait plus aucun argument en poche.
— J'espère que nous vous reverrons, intervint Asta afin de couper court au petit silence qui s'était installé.
— Ca nous ferait très plaisir, renchérit Malcolm sans réfléchir.
Ses joues se colorèrent de plus belle et Asta secoua la tête tout en s'éloignant.
— Je ne manquerai pas de vous contacter au moindre problème, marmonna-t-il tout en réfléchissant déjà à un motif suffisamment crédible. En tous cas, prenez soin de vous. Et de votre équipe.
Il avait ajouté la dernière phrase précipitamment afin de ne pas sembler trop familier. Cela aurait pu être mal interprété. Après un dernier signe de la tête agrémenté d'un sourire sympathique, il se détourna de la shérif pour rejoindre son père. Une fois qu'ils eurent fait quelques pas, Reginald articula :
— Ne dis jamais à ta mère que tu fais le joli coeur avec une fille qui porte des pantalons. Elle ne s'en remettrait pas.
Malcolm eut un petit rire. Il était certain que Jessie ne les entendait pas à cette distance, alors il se sentait plus détendu. Et c'était plutôt surprenant de discuter d'un sujet aussi personnel avec son père. Jusqu'à présent, ils ne parlaient que du travail ou des réparations à faire à l'auberge, qu'ils se répartissaient.
— Je comprends mieux pourquoi tu aimes tellement ce monde, poursuivit son père. Si j'étais jeune, moi aussi...
Malcolm lança un regard outré à son père qui roula des yeux, avant de prétendre le contraire. Cependant, Drixie émit une sorte de jappement qui en disait long. La jeune homme préférait ne pas savoir.
Ils retournèrent jusqu'à l'appartement situé au-dessus de la librairie d'Alexis. Malcolm se sentait curieusement libéré d'un poids, malgré tout ce qui restait à accomplir. Il faudrait tôt ou tard mentionner une prochaine opération à son père et lui faire comprendre qu'ils ne rentreraient pas chez eux de suite. Mais pour l'instant, il souhaitait savourer la brise légère, le fait de se sentir vivant et d'avoir réussi, avec une aide précieuse, à accomplir l'impossible.
Au milieu de son flot de pensées, l'image d'une jeune femme intrépide s'imposait de plus en plus dans son esprit.