« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
Debout devant le miroir de son armoire, Dipper terminait de boutonner sa chemise grise. Il n'avait pas fière allure avec son jean un peu trop large et ses baskets, mais il comptait sur Mabel pour éblouir tout le monde. Ce n'était pas son intention d'attirer les regards. D'ailleurs, s'il avait pu éviter d'aller à cette fête des anciens lycéens, il l'aurait fait. Hélas, sa jumelle l'avait supplié tant et si bien qu'il avait fini par céder.
C'est juste un mauvais moment à passer, s'encouragea-t-il.
Il n'était pas obligé de rester toute la soirée. Si jamais l'ennui se faisait trop ressentir, il pouvait toujours prétexter qu'il était en retard sur ses révisions. Tournant la tête vers sa chambre en désordre, il embrassa d'un regard attristé tous les livres ouverts qui jonchaient le sol, le bureau et même une partie du lit. Ce soir-là, il n'allait pas pouvoir s'adonner à sa principale passion : apprendre, apprendre et encore apprendre.
Soudain, la porte s'ouvrit en trombe sur Mabel. Même s'il désapprouvait qu'on entre dans sa chambre sans frapper, il ne broncha pas car il savait qu'elle ne changerait jamais. En tous cas, il fut ébloui par sa tenue, dans tous les sens du terme : elle portait une robe bleu ciel sur laquelle elle avait collé plein de leds aux couleurs de l'arc-en-ciel. Ses talons étaient assortis à sa robe. Il n'y avait qu'elle pour oser autant de fantaisie. Dipper esquissa un sourire rêveur : elle était la lumière, l'excentrique de leur duo, alors que lui préférait rester dans son ombre et briller uniquement lorsqu'il était question de partager son savoir ou de les sortir d'une situation dangereuse.
Cependant, son sourire s'évanouit à l'instant où elle déclara, tout en l'observant de haut en bas :
— J'espère que tu ne comptes pas sérieusement y aller comme ça ?
Aussitôt, il sentit les ennuis se profiler à l'horizon. Il baissa les yeux sur sa tenue ; certes, elle était beaucoup moins flashy que la sienne, mais elle lui convenait.
— Ce n'est pas une remise des Oscars, Mabel. C'est juste une soirée d'anciens élèves. A laquelle tu me forces de participer, je te rappelle.
— Tu ne vas pas à la fête des anciens élèves mais à un enterrement, rétorqua-t-elle, fermement campée sur ses positions. Tu n'as pas des couleurs plus gaies dans ton armoire ? Où est la superbe chemise rose que je t'ai offerte ?
Il grimaça au souvenir de cette fameuse chemise. Il l'avait accrochée à un cintre et collée contre la paroi gauche de sa penderie, dans l'espoir que cette dernière finirait par l'absorber et la faire disparaître. Mabel fouilla sans ménagement dans ses affaires et finit par exhumer le vêtement maudit.
— Et par pitié, mets un sourire sur ton visage, on dirait que je t'ai kidnappé.
Elle marqua une pause, réfléchissant, puis reprit, malicieuse :
— Cela dit, c'est peut être vrai. Mais passons ! C'est un événement heureux ! Alors soit le aussi !
Pour toute réponse, Dipper leva les yeux au ciel. Puis, il esquissa un sourire crispé vers sa soeur, qui ressemblait davantage à une grimace.
— C'est pas mon truc les soirées comme ça... grommela-t-il.
Il faisait déjà l'effort d'y aller, alors pourquoi ajoutait-elle une condition de plus ? Ne pouvait-il s'y rendre vêtu de la manière qui lui plaisait ?
Soudain, sa soeur jeta la chemise rose sur le lit défait et s'approcha de lui. Il lui jeta un regard méfiant tandis qu'elle plaçait ses mains sur chacune des joues de son jumeau afin de le forcer à sourire.
— Tu n'auras qu'à imaginer que tout les gens sont des énigmes que tu dois élucider ! Ou alors, dis toi qu'ils sont tous des nachos geants. Tu verras, ca sera beaucoup plus amusant comme ça.
Des nachos ? Il haussa un sourcil. Sceptique, il soupira :
— Si tu le dis...
Bien souvent, il déclarait forfait avec elle. Cela évitait des chamailleries interminables. Il la laissa jouer avec ses joues quelques secondes, en ayant la désagréable impression d'être de la pâte à modeler sous ses doigts, avant de la repousser fermement, mais sans brutalité.
— Tu comptes rester là pendant que je me change ?
Mabel afficha une moue tout en répliquant :
— Ce n'était pas comme si je ne t'avais jamais vu nu. On est jumeaux, Dipper !
Il tiqua. Ce n'était pas une raison valable. Ils avaient partagé beaucoup de choses étant enfants, dont des bains, mais désormais, c'était différent. Qui plus est, il était extrêmement pudique, au point de porter une serviette de bain autour de la taille quand il était seul. Vaincu, il tourna la tête vers la chemise rose sur le lit. Ce fut à son tour d'esquisser une moue sceptique.
— Elle est quand même TRÈS rose.
D'un geste confiant, sa soeur saisit la chemise et lui tendit.
— C'est jamais TROP rose.
Peu convaincu, il prit le vêtement du bout des doigts et attendit qu'elle quitte la pièce. Juste avant de partir, elle glissa d'une voix malicieuse :
— Dépêche toi de te changer, que je puisse te rajouter des paillettes dans les cheveux.
Il écarquilla les yeux et décida de fermer la porte à clé. Après s'être changé, il déclara à travers la porte :
— Mabel... Je n'ouvrirai que si tu me promets sur la vie de Dandinou que tu n'as aucun spray à paillettes dans les mains.
Sa voix filait vers les aigus, trahissant son angoisse, mais il s'éclaircit la gorge pour se donner une contenance. Guettant le moindre mouvement de l'autre côté de la porte, il en avait oublié que leurs chambres attenantes possédaient une autre porte qu'il avait omis de verrouiller, et par laquelle Mabel était passée. Elle s'avançait à pas de loup, un large sourire aux lèvres, le spray dans la main.
Lorsque Dipper entendit le "Pschiiit !" fatidique, il était trop tard. Il poussa un cri de protestation et eut le réflexe - très mauvais - de se retourner. Une partie des paillettes fut projetée sur son visage. Il ferma les yeux de justesse tout en battant des mains dans le vide, dans l'intention dérisoire de confisquer le spray à sa soeur.
— Mabel, arrête ! MAIS ARRETE !
Elle cessa enfin, au bout de quelques secondes beaucoup trop longues au goût de son jumeau. Il souleva les paupières et grimaça en sentant ses pupilles le brûler.
— T'as failli me rendre aveugle !
A grands pas, il se rendit jusqu'à la salle de bains pour tamponner une serviette mouillée sur ses yeux douloureux. Lorsqu'il y revit enfin, il constata que ses joues étaient constellées de paillettes argentées, en dépit de ses efforts pour les faire partir. Quant à ses boucles brunes, elles ressemblaient à un ciel nocturne envahi par les étoiles. Il étouffa un grognement misérable. Lui qui ne voulait pas se faire remarquer... c'était râpé.
Dans le miroir, il adressa un regard rancunier à sa jumelle. Et s'il reprenait une douche ? Cela mettrait Mabel en retard sur l'horaire fixé. Il hésita avant de se résigner. Non, elle trouverait sûrement un moyen de lui remettre un coup de spray, d'une manière ou d'une autre.
Il ne desserra pas les dents pendant le trajet jusqu'au gymnase du lycée, lieu où se déroulait la fête. C'était une façon de montrer son mécontentement. De l'extérieur, on percevait les basses de la musique, qui se décuplèrent dès l'instant où les jumeaux pénétrèrent dans la vaste salle.
— On ne reste pas longtemps, d'ac...?
Brusquement, Dipper s'aperçut qu'il parlait seul. Il regarda de tous côtés : Mabel n'était plus là. Anxieux à l'idée qu'elle se soit fait enlever ou pire encore - Storybrooke n'était pas loin d'égaler Gravity Falls niveau danger - il la chercha des yeux. Il l'aperçut alors sautiller à une dizaine de mètres. Visiblement, elle avait retrouvé d'anciennes amies. Bientôt, elle s'éloigna en leur compagnie et il ne vit même plus les leds multicolores sur sa robe. Elle avait été aspiré par la fête. Ce n'était rien d'inquiétant, seulement désespérant. Jusqu'au bout, Dipper s'était fait avoir.
Il hésita à faire demi tour (après tout, sa soeur ne s'apercevrait même pas de son absence) quand il reconnut un ancien élève. Lors de sa scolarité, il avait tissé peu de liens avec les autres car il était vu comme le "fayot" puisqu'il avait les meilleurs notes dans beaucoup de matières. D'ailleurs, il avait quelquefois essuyé les "plaisanteries" de quelques camarades plus musclés que lui (ce qui n'était pas difficile), verbales ou physiques. Autrement dit, la période lycée avait été beaucoup moins rose pour lui que pour Mabel. Même s'il n'avait plus peur de Rick Martin, le caïd qui lui en avait fait voir de toutes les couleurs, il se demandait s'il était présent à cette soirée.
Quoi qu'il en soit, il adressa un signe de la tête à Dyson Parr, un garçon plus jeune que lui de quelques années à qui il avait donné des cours de soutien tant bien que mal, car ce dernier s'avérait être une véritable pile électrique. Quoi qu'il en soit, il n'était pas méchant et Dipper conservait un bon souvenir de lui.
Il marcha donc dans sa direction et lui lança un sourire crispé.
— Salut, tu te rappelles de moi ? Dipper Pines. Je te donnais des cours à domicile...
Du coin de l'oeil, il remarqua que les gens qui passaient près de lui riaient sous cape, sans doute à cause des paillettes. Ces dernières brillaient d'autant plus sous l'effet des différents projecteurs de lumière colorée qui balayaient le gymnase, lui donnant l'air d'un elfe échappé des bois. Dyson allait-il se moquer, lui aussi ? Dipper était prêt à encaisser. Il se disait qu'il était au-delà de tout cela, que rien de ce qui concernait le lycée de près ou de loin ne l'atteignait, désormais... même si ce n'était pas entièrement vrai. Il avait beau être un étudiant respectable, dans le fond, il demeurait quelque peu handicapé lorsqu'il s'agissait de se comporter en société.