« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
À quatre pattes par terre, Luca remontait, lentement, la longue file indienne de minuscules fourmis noires, qui s’échappait de sous une pile de débris et rejoignait la suivante. Il eut beau suivre leur piste dans un sens, puis dans l’autre, il ne fit que tourner en rond autour des tas de détritus sans jamais trouver le début de la file, ni même la fourmilière de laquelle elles s’étaient échappées. L’information n’aurait, sûrement, servi à rien, mais Luca avait envie de savoir, poussé dans un curiosité maladive envers le monde entier. Au moins il avait pu constater que les fourmis ne s’aventuraient jamais du côté du portail. Personne ne risquait de les écraser, elles ou leur reine, en entrant dans la déchetterie.
Quand il en eut marre, l’ancien robot se releva, s’étira longuement, faisant craquer ses os, et tapota ses vêtements sales pour en enlever la poussière. Observer les animaux, c’était toujours très intéressant, mais il avait, aussi, besoin de s’occuper autrement, de s’occuper vraiment. Alors, il se détourna de la longue procession et s’intéressa, plutôt, aux piles de déchets qui parsemaient sa déchetterie. Il avait beau essayer de tout trier, de faire des zones selon les matériaux, ses efforts semblaient vains. À chaque nouvelle livraison, il devait tout recommencer et il était, même, persuadé que certains objets changeaient de pile ! Il n’avait toujours pas compris comment, mais il trouverait, il n’en doutait pas.
Pour l’heure, il préférait se concentrer sur une toute petite pile de déchets, qu’il avait poussée dans le milieu de la cour, et qu’il essayait d’organiser comme il le pouvait. D’abord, les grosses affaires en dessous, pour équilibrer la base. Il plaça, donc, deux caisses en bois et coinça, au milieu de chacune d’elles, une barre de fer qu’il pencha vers le milieu de sa structure, comme deux jambes affublées de sabots. Là, il les lia entre elles avec du fil de fer et planta, sur le dessus, une autre caisse en bois pour lui faire un corps tout carré. Alors que tout tenait par miracle, Luca se recula et tapota son propre ventre, en se demandant où était passée sa ferraille, sa petite porte ventrale, la caisse qu’il accrochait dans son dos.
Et ses chenilles, évidemment. Vroum vroum dans la poussière.
Petit sourire aux lèvres, l’ancien robot échappa un fredonnement gai, alors qu’il s’apprêtait à reprendre son travail. Soudain, derrière lui, il entendit plusieurs cliquetis, pour accompagner la chute d’un objet en métal. Luca se retourna d’un seul coup, perdit un peu l’équilibre et fit tomber sa statue, en se rattrapant. Obnubilé par l’origine du bruit, il ne s’y intéressa pas et galopa entre les piles de déchets, dans l’espoir de prendre sur le fait celui qui venait fouiller dans sa déchetterie. Au fond, ce n’était pas interdit. Luca laissait toujours le portail ouvert pour que les habitants puissent fouiner dans les affaires ou en déposer, même s’il n’était pas présent. Néanmoins, le brun s’était posé devant le portail, pour faire sa sculpture, et il n’avait vu entrer personne.
Loin de s’effrayer des histoires de fantôme, Luca voulait, surtout, constater de ses propres yeux qui était le chapardeur indésirable, puisqu’il se doutait que, malheureusement, à défaut de rencontrer EVE dans un endroit pareil, il devait s’agir d’un animal. Et il aimait les animaux. Parce qu’il n’y en avait plus un seul, dans son monde à lui, et qu’il n’avait eu qu’un seul ami pour l’accompagner dans sa routine : un petit cafard qu’il n’avait plus revu depuis. Même si Luca en avait plusieurs qui couraient dans sa maison, il savait que ce n’était pas le même que le sien.
Au détour d’une montagne de voitures, l’ancien robot découvrit le fauteur de troubles : un beau raton-laveur qui referma ses petites pattes noires sur un enjoliveur brillant. Les deux se regardèrent un instant, sans bouger, puis le raton poussa un petit cri et prit la poudre d’escampette. S’il avait abandonné l’enjoliveur trop lourd, il s’était empressé de s’emparer d’un gamelle rouillée et Luca le poursuivit, déterminé à récupérer son bien. Il pouvait lui donner bien mieux qu’une écuelle fêlée ! Il devait revenir !
À courir comme un cinglé après un animal, Luca finit par se prendre les pieds dans les déchets qui traînaient et il s’étala de tout son long par terre. L’élan le fit glisser dans la poussière, jusqu’à une carcasse de voiture, posée sur un côté, et sa tête émit un bong étrange en percutant le pare-choc. Le raton-laveur s’était enfui sans attendre. Il ne restait que le brun, affalé au sol, qui se frottait la tête pour faire passer la pointe de douleur, dans son crâne. Il n’avait rien, heureusement, mais il lui fallut quelques secondes pour reprendre tout à fait ses repères.
– Qu’est-ce que… c’est que ça ? souffla-t-il, en tendant le bras.
Le choc avait fait bouger la voiture et un objet non-identifié venait de tomber par terre. Il était, jusque là, coincé dans un coin de la carrosserie. Luca tendit le bras et s’empara de la chose enroulée dans un sac plastique. Adossé à la voiture, il prit le temps d’ouvrir lentement, très intéressé par sa nouvelle trouvaille.
– Un… bras ?
Luca leva le bras devant ses yeux et le secoua un peu pour voir la main bouger, au bout. Il eut beau regarder de très près, il ne vit aucun mécanisme, aucune tache d’huile, ni ressort, ni engrenage. Seulement la peau tachée, bouffée par le temps, les ongles cassés, et l’os saillant, au bout, là où il y aurait dû y avoir une épaule.
Pas vraiment effrayé, il se fit la réflexion que, au contraire de son monde, les humains n’étaient pas interchangeables et un bras de l’un ne pouvait pas aller sur un autre. Du moins, de ce qu’il en savait. Il se devait donc de retrouver, coûte que coûte, le propriétaire de ce bras pour lui redonner. Vivre avec un bras en moins, ce ne devait pas être pratique ! Ce fut pour cette raison qu’il emballa à nouveau le bras dans son sac plastique, referma les portes de son habitation et s’en alla de la déchetterie, en chantonnant un vieil air entendu dans un film.
Le voyage fut plutôt long, pour rejoindre le cimetière, étant donné qu’il s’arrêta quelques fois, en chemin, pour ramasser une ou deux bricoles qu’il mit dans son sac, avec le bras. Heureusement, aucun policier ne l’arrêta en route pour lui demander des explications et il entra dans le cimetière le sourire aux lèvres. Un bras en mauvais état ne pouvait aller qu’avec un corps en mauvais état, dans sa logique toute à lui, alors il lui semblait être arrivé au bon endroit.
– Bonjouuuur ? Il y a quelqu’un ? Je cherche un corps.
Ce n’était peut-être pas la meilleure idée du siècle, mais Luca y mettait toutes les bonnes intentions du monde, c’était déjà, ça, non ?
Aguistin R. Marban
« J'ai pas trouvé où on peut demander un rang personnalisé... ! »
| Avatar : Andrew Scott
| Conte : Folklore européen ۩๑ L'étrange Noël de Mr Jack | Dans le monde des contes, je suis : : Le Porte-Parole de Madame La Mort & sa personnification ☘ La muse d'Egdar Allan Poe ☘ Le porteur de poisse ☘
Il ne savait pas trop ce qu’il devait demander, exactement, pour qu’on puisse l’aider à trouver le propriétaire de ce bras perdu. C’était bien la première fois, de souvenir, qu’il tombait sur un tel déchet, dans sa décharge, et il n’était pas certain de savoir ce qu’il devait en faire. Peut-être qu’un humain l’avait jeté là parce qu’il ne lui était plus utile. Néanmoins, l’ancien robot en doutait fortement. À une certaine époque, oui, il savait qu’il pouvait s’enlever un œil pour le remplacer par une pièce plus neuve, mais dans ce monde, les choses ne fonctionnaient pas de la même manière. Déjà, pour s’arracher un bras, il fallait forcer ! Il avait beau tirer sur sa main, il savait que son épaule ne se décoincerait pas d’un coup, pour qu’il puisse remplacer la pièce par une autre. Ça ne marchait pas ainsi.
Sauf qu’il avait, tout de même, un bras, dans son sac plastique. Un bras visiblement coupé d’un corps. Il était persuadé, le brun, qu’il n’y avait aucun corps de coincé dans la carcasse de voiture, dans sa déchetterie. Et une voiture n’avait pas besoin d’un bras humain. Les pièces ne collaient pas ensemble. Chaque chose a sa propre utilité. Il ne pouvait pas, lui, se greffer des chenilles au bout des pieds, même s’il en aurait rêvé. Alors, une voiture ne pouvait pas voler un bras d’homme ou de femme (pour ce qu’il en savait) et se promener avec mine de rien. Ça n’aurait aucun sens et ne fonctionnerait même pas ! Il essaya, un peu, d’imaginer une voiture avec un bras, mais tout ce qu’il put imaginer ne lui plut pas vraiment, pour tout avouer.
Une grimace aux lèvres, à cause des images qui naissaient dans son esprit, Luca se faufila dans le cimetière et se demanda comment avaient cessé de fonctionner toutes ces personnes enterrées. Son papy s’était endormi et le lendemain matin, il ne se réveillait plus. Batterie à plat, les piles usées que rien ne pouvait remettre en marche. Il avait bien essayé de le mettre au soleil, de lui tapoter les joues gentiment, de lui montrer son film préféré, de lui parler. Rien n’y faisait. Luca avait dû se faire à l’évidence : son papy, à l’image de tous les WALL-E bloqués dans sa ville d’autrefois, ne parcourrait plus le bâtiment en ronchonnant sur toutes les babioles que récupérait son petit-fils adoptif. Il ne lui dirait plus d’arrêter de sauter du toit, de grimper dans les déchets, de manger n’importe quoi.
Le silence avait pris possession du bâtiment, quand son papy s’était arrêté.
L’ancien robot regarda le bras, au fond de son sac plastique. Il n’y avait plus que les doigts qui dépassaient, sous les déchets qu’il avait posés par-dessus. Aurait-il pu remplacer le cœur de son papy par un autre, comme ce bras défaillant avait, potentiellement, été remplacé par un bras fonctionnel ? Il n’était pas certain de vouloir la réponse à cette question, Luca. Maintenant qu’il s’était habitué à la solitude, cette solitude qu’il connaissait sur le bout des doigts (sans mauvais jeu de mot… quoi que), il ne voulait pas croire qu’il avait pu passer à côté de l’occasion de retrouver du bruit, dans sa vie quotidienne. Beaucoup de bruit et de compagnie. De la vie.
Une voix l’arracha à ses pensées. Luca releva un regard un peu triste, sur l’homme qui se présentait à lui. Il dut se concentrer pour retrouver la raison exacte de sa présence dans le cimetière et les mots de l’inconnu ne l’aidèrent pas à faire cet effort. Les sourcils un peu froncés, les lèvres pincées, Luca prit le temps de la réflexion, avant de répondre. La voix de l’autre lui plaisait bien. Toute douce, elle glissait gentiment dans son oreille et évinçait, délicatement, le silence pesant dans l’esprit du robot. Maintenant qu’il avait quelqu’un à qui parler, Luca ne savait même plus ce qu’il devait dire.
Il ouvrit bien la bouche, une fois, et la referma aussitôt, en passant une main dans sa nuque, le temps de comprendre ce qu’il devait dire. Ce qui laissa le temps à Aguistin de se présenter. Luca braqua ses yeux sombres sur lui, sur le beau corbeau sur son épaule, et sur le reste du cimetière. Il sentait un courant d’air, passer dans ses cheveux, et il n’était pas certain qu’il s’agisse, véritablement, d’un coup de vent. Quelque chose lui disait que c’était différent, mais il ne savait pas à quel point. Était-il défaillant ? Pourtant, il eut beau se tâter le crâne, découvrir la petite bosse laissée par le choc avec la voiture, il ne trouva rien d’autre. Pas même une ouverture, une faille, quelque chose qui puisse laisser passer le vent. Étrange, mais bon. Luca se posait rarement trop de questions.
– M’aider, oui, reprit Luca, d’un coup, comme s’il sortait d’un songe. Oui, oui, c’est pour ça que je suis là. Je cherche un corps. C’est ce que j’ai dit. Ce que je cherche. C’est peut-être pas ici, mais il me semble que si. Il y en a pleins, ici, non ? (Luca se gratta la tempe, le temps de réfléchir.) Une tombe… une tombe… Si c’est là qu’on trouve un corps, alors oui, je cherche une tombe. Mais c’est le corps qui m’intéresse.
Il croyait se souvenir que les tombes étaient ce dans quoi on mettait les corps, avant de les enterrer. À moins que ce ne soit autre chose. C’était, peut-être, l’ensemble du trou, du corps et de la jolie pierre posée à côté ? Il n’était pas bien sûr. Son papy n’avait pas eu de tombe. Luca s’était contenté de faire un trou, dans un coin, et de poser doucement son papy dedans, puis de refermer. Un peu comme il aurait planté une plante, pour tout avouer.
– Oh ! Tant mieux ! J’en doute pas ! s’extasia Luca, face à Aguistin. Je suis Luca, le gardien des déchets et le gérant de la décharge, sur les docks.
Luca tendit la main, les anses de son sac plastique passées autour du poignet. Sauf que ses yeux noirs tombèrent sur ses doigts sales, sa peau tachée de crasse et de poussière, et il reprit immédiatement sa main, pour la frotter sur son pantalon. Il eut beau frotter frénétiquement, les taches ne partirent pas. Avec une moue mi-déçue, mi-désolée, Luca releva les yeux sur Aguistin, avant de lui sourire gentiment.
– En fait, j’ai trouvé ça, chez moi, et je voulais le rendre à celui qui l’a perdu.
D’un coup, il ouvrit son sac plastique et plongea la main dedans pour fouiller. La langue pincée entre les lèvres, il poussa tous les déchets qu’il avait remis par-dessus, sans penser que ça allait le gêner, avant d’atteindre, enfin, la peau – un peu dépassée – du bras qu’il empoigna à pleine main. Puis il le sortit de son sac et le présenta, tout content, alors que la main morte retombait mollement sur le poignet.
– Tu crois que ça vient de chez toi ? Je me suis dit que, peut-être, un raton-laveur l’a déterré et volé. Il y en a un qui traîne, dans ma déchetterie, et je n’arrive pas à mettre la main dessus. La main, haha ! (Il secoua, un peu, le bras, avant de reprendre un semblant de sérieux :) Je sais pas trop ce que je dois en faire, tiens.
Et, sans plus de cérémonie, Luca tendit le bras mort à Aguistin. Il était la meilleure personne pour répondre à sa requête, non ? Alors, il devait le débarrasser de ce bras. C’était lui qui l’avait dit.