J’ouvris les yeux sur le ciel de ma chambre. En dépit de tout ce qu’il s’était passé, je me sentais curieusement reposée. Je me doutais que Hypérion y était pour quelque chose. Sans doute m’avait-il enveloppée de son aura afin que je trouve le sommeil.
Cette fois-ci, ce ne fut pas un petit lézard que je trouvai à mon chevet mais un homme asiatique d’une trentaine d’années. Nous échangeâmes quelques mots. Il s’appelait Socrate. Lorsqu’il mentionna son nom, mon cerveau raccorda le reste des informations : Socrate – le chat – le bibliothécaire d’Olympe - la créature de Hypérion. J'avais appris beaucoup de choses sur le domaine des dieux et des titans mais parfois, il me manquait un visage sur lequel mettre un nom. Je travaillais encore à tout mémoriser.
— Hypérion est occupé, précisa Socrate d’un ton quelque peu supérieur.
Je m’en doutais. Autrement, il n’aurait pas demandé à une tierce personne de me protéger. A moins qu’il ne soit trop gentleman pour veiller une jeune femme endormie ? D’un autre côté, mander un subordonné n’était pas des plus galants non plus. Même si je me doutais qu’il avait une confiance aveugle en Socrate pour lui avoir confié une telle tâche.
— Ca va aller ? Demanda-t-il après un petit silence.
Cette prévenance m’arracha un petit sourire. Soit Hypérion lui avait expressément demandé de s’assurer de ma bonne santé, soit il était foncièrement gentil.
— J’en ai bien l’impression, répondis-je plus à mes théories personnelles qu’à sa question. Vous pouvez retourner à votre Bibliothèque. J’imagine que vous avez beaucoup de travail. Il parut flatté par mes paroles. Il dressa le menton en l’air.
— Effectivement. Je n’ai pas une minute à moi. Enfin du moins, quand le Seigneur Hypérion ne me confie pas la noble tâche de s’occuper de mortels. — Il vous demande souvent de s’occuper de mortels ? Je ne pouvais passer à côté d’une telle occasion d’en apprendre davantage sur les petites habitudes du titan.
— Cela arrive de temps à autre. Il me confie une seule personne à la fois car il veut que je lui accorde toute mon attention. La dernière avant vous était Apolline Méléon. Je l’ai accompagnée jusqu’à New York. Apolline Méléon... la fille d’Aphrodite. Peut-être Socrate cherchait-il à me rendre jalouse, mais je me sentis au contraire plutôt flattée que Hypérion me place au même rang que cette demoiselle. Après m’avoir raconté tout ceci, le bibliothécaire prit congé.
Tout en buvant mon thé matinal, je rassemblai les différentes informations concernant l’affaire Willow Hill. Hypérion avait fait disparaître le coffre avant que ce dernier n’absorbe toute mon énergie. Il l’avait sûrement placé dans un endroit sûr afin que nul ne puisse y toucher. Il me fallait retrouver Aileen et la forcer à replacer les objets sacrifiés dans le coffre. Une question demeurait cependant : pour quelle raison avait-elle violé notre pacte ? Par vengeance ? Par fantaisie ? Par ennui ? Comment pouvait-elle se montrer aussi inconsciente sachant ce qui était arrivé la première fois ? Par sa faute, Lamb était morte. Et je risquais fort d’être la suivante. Je pouvais comprendre qu’elle ne me porte pas dans son cœur, mais tout de même, nourrir tant de rancœur après plus de vingt ans... C’était absurde.
Je finis ma tasse tout en observant le panier vide de Frank. Il me manquait beaucoup. Chaque matin, nous avions l’habitude de discuter. Que ce soient de ses affaires à Magrathea ou de mes arnaques en tous genres. Il était un réel ami, un appui inestimable dans ma vie ô combien solitaire. Heureusement, il serait bientôt de retour. D’une certaine manière, j’étais rassurée qu’il n’ait pas été victime du maléfice du coffre.
*
Quelques jours plus tard... — Hypérion n’est pas là, déclara Astrid.
Nul ne m’avait répondu lorsque j’avais sonné à la porte du cottage. Je l’avais donc contourné et avais trouvé la jeune femme dans le jardin. Elle était occupée à nourrir et soigner des lapins rassemblés dans une immense cage commune et circulaire posée à même le sol.
— Avez-vous une idée d’où je pourrais le trouver ? Demandai-je posément.
Elle secoua la tête mais assura :
— Il finira par revenir, ne vous en faites pas. Il revient toujours. Elle rehaussa un gros lapin gris dans ses bras et lui donna une feuille de laitue. Le rongeur la grignota avec appétit.
— Le pauvre ne mange pas tout seul, se désola-t-elle. Il est encore traumatisé. Il a failli être tué par son propriétaire. Ces gens qui entassent des lapins dans des clapiers devraient être condamnés à vingt ans de prison ferme ! Heureusement, je suis intervenue à temps. Je l’ai sauvé des griffes de cet horrible bonhomme. Elle approcha le museau du lapin de son visage et frotta ses joues avec ses moustaches en riant. Puis, elle me raconta qu’elle était entrée la nuit par effraction chez le voisin pour “sauver” le rongeur ainsi que ses six frères et sœurs. Je ne portai aucun jugement. Chacun a besoin de se sentir utile à un moment de sa vie. Après tout, les animaux devraient avoir les mêmes droits que les humains. En tous cas, c’était ce que défendait fermement Astrid.
— Et qu’allez-vous en faire, à présent ? Je désignai les lapins du menton. Astrid tapota le flanc de celui qu’elle avait dans les bras, pensive.
— Je suis sûre que Hypérion sera ravi de les avoir chez lui. Ils sont bien trop adorables ! Je ne préférai pas donner mon avis. De toute manière, elle connaissait mieux le titan que moi. Après une bonne heure à soigner les rongeurs –j'avais trouvé cela plutôt divertissant, je retournai à mes occupations initiales. J’avais pris le parti de suivre le conseil d’Astrid : ne pas chercher Hypérion.
Je me trouvais chez l’antiquaire quand un papillon translucide se manifesta à travers la vitrine. Elégant et malicieux, il effectuait des mouvements gracieux dans l’air. Il semblait m’inviter à le suivre. Intriguée, je le laissai me conduire jusqu’à un parc. Je ne fus pas réellement surprise de trouver le titan assis sur un banc en bois.
Dès l’instant où je m’approchai de lui, le papillon transparent se volatilisa. Je décidai de rester debout devant Hypérion. Il débuta par des excuses, puis il déclara vouloir m’apporter son aide dans mon enquête. Il prétendait y avoir songé à chaque instant ces derniers jours. Je l’observai parler, le visage fermé, les mains jointes devant moi.
Disait-il tout ceci pour se donner bonne conscience ou était-il sincère ? Il me semblait qu’il était suffisamment omniscient pour ne pas s’encombrer de personnes qui ne représentaient rien pour lui.
— J’imaginais votre daemon exactement de cette manière, déclarai-je tardivement, sans aucun à-propos. Je suis touchée que vous me l’ayez présenté, même si je suppose qu’il s’agit seulement d’un écho. Un pâle sourire fendit enfin mon visage. J’étais profondément heureuse de le voir. Je pris place à côté de lui sur le banc et croisai les jambes. Je ne nourrissais aucun ressentiment pour ces quelques jours sans nouvelle. Chacun menait sa propre existence. Il avait beaucoup à faire et je ne pouvais faire partie de tous ses projets. Tout comme à l’inverse. J’appréciais de garder un immense jardin secret.
— Rompre ce qui a été scellé serait une excellente idée, mais pour se faire il faut rassembler les objets sacrifiés. Hélas, j’ai une mauvaise nouvelle... Un soupir contrarié m’échappa.
— Il y a deux jours, Aileen est morte. D’après la police, il s’agit d’un suicide. Elle se serait allongée sur les rails du trajet Storybrooke-New York. Le train l’a fauchée. Je n’ai rien pu faire pour l’en empêcher. Quand je l’ai appris, il était déjà trop tard. J’affichai une moue soucieuse, les yeux rivés sur mes jambes nues. Malgré le vent relativement frais, je portais une robe printanière ainsi qu’une veste en jean noir.
— Je ne crois pas à la théorie du suicide. Aileen avait sacrifié une petite locomotive rouge et comme par hasard, elle finit sur les rails... L’étau se resserrait. J’étais la prochaine sur la liste, la toute dernière.
— Je n’ai pas encore mis la main sur les objets sacrifiés. J’ai fouillé son appartement –de manière illégale, je dois l’avouer- j’ai interrogé ses proches. Personne n’a vu ces objets. Je crains qu’elle les ait brûlés ou détruits d’une autre façon... Si tel était le cas, mon temps était compté. Je ramenai une mèche derrière mon oreille. Mon cœur palpitait, malgré tous mes efforts pour sembler détendue. Subitement, je posai la main sur celle de Hypérion, elle-même abandonnée sur le banc entre nous.
— Je tenais à vous voir car il est important que je vous dise de ne pas vous battre pour moi. Quoi qu’il arrive, je suis condamnée. Si ça n’est pas le coffre aujourd’hui, ça sera ma tumeur demain. Je n’en ai plus pour longtemps. Et, pour être tout à fait honnête... Je baissai la tête en me mordant les lèvres.
— Quitte à choisir, je préfère mourir brusquement plutôt que de me réveiller un matin avec la mémoire effacée. C’est ce que me réserve la tumeur. Je deviendrai amnésique. Je ne saurai plus qui je suis, je ne reconnaîtrai plus personne. Cela me terrifie bien plus que de mourir physiquement. Je serrai davantage sa main dans la mienne et gardai l’esprit ouvert afin qu’il puisse vérifier ce que j’avançais, s’il en éprouvait le besoin. En cet instant, je ne jouais pas. J’étais sincère. Je venais d’avouer la chose qui me terrifiait le plus. Afin qu’il comprenne à quel point il était important de me laisser partir.
Ce n’était pas de la résignation, il s’agissait au contraire d’un choix mûrement réfléchi.