« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
lac, clac, clac. Ses talons sur le goudron. Manhattan file à travers la ville, flèche colorée, sans s’arrêter. Elle a un but précis, aujourd’hui. Rien ne saurait l’en détourner. Pas même les quelques regards sur sa robe à fleurs, les sourires qu’on lui offre et qu’elle prend, sans les rendre. Un autre jour, elle n’aurait pas dit non pour quelques minutes au bras d’un autre, à glousser comme une conne et attendre qu’il accepte de lui payer quelque chose. Juste par principe. Pour un nouveau nom à glisser dans son agenda. Un numéro à appeler si elle a besoin de squatter. Ce qui arrive plus souvent qu’on peut le croire.
Pire qu’un papillon, la jeune femme aux cheveux roses passe d’appartement en appartement, sans se poser vraiment. Elle prend le temps de piétiner les pétales, de butiner jusqu’à ce que les autres soient épuisés et la jettent dehors à grands coups de pieds. Puis elle volette vers un autre, de sa démarche de prédatrice, de maîtresse du monde entier, comme un chat persuadé d’être roi, sur son territoire, d’être dieu pour ceux qu’il écrase. Elle sait qu’elle brille, Mana, plus fort que le soleil à son zénith. Elle sait qu’elle mérite l’attention qu’elle arrache aux autres. Enfin, ils ont cessé de l’ignorer, même s’ils continuent à se moquer.
Tout ceci, pourtant, ne suffit pas.
Elle rêve d’ailleurs. De grands immeubles. De belles propriétés au jardin parfaitement taillé. De centaines de drapeaux américains plantés dans les pelouses. Elle rêve de l’effervescence d’une ville pleine d’artistes, de personnes payées pour briller, comme elle. De ceux que personne n’ignore, qui sont bien souvent plus aimés que moqués. Enfin, un peu de reconnaissance, ça lui ferait du bien. Qu’on cesse de ricaner sur ses tenues extravagantes, sur sa manière de s’habiller pour aller au supermarché. Un temps révolu, rangé dans l’histoire qu’elle a quittée avant d’y être tuée. Mais les souvenirs sont bien là, accrochés à son crâne. Elle se souvient de la haine qu’elle leur a voué. De l’envie de le leur faire regretter.
Storybrooke ne se comporte pas mieux, en vérité. L’orpheline laissée seule dans son coin, à jouer des poings pour se faire une place, jusqu’à comprendre que ça ne l’aidera jamais, que personne ne voudra d’elle si elle frappe, si elle mord. Alors, elle a appris à caresser. Doucement, les égos et les corps pour mieux être aimée. Pour qu’enfin, on la regarde, on lui dise qu’elle est belle, qu’elle est douce, qu’elle ira loin. Loin, très loin de cette ville de malheur pour rejoindre la vraie vie, celle qui n’attend plus qu’elle.
Un premier pas, vers ce futur incertain, est de venir se planter devant un beau manoir, aux murs blancs. Manhattan lève ses yeux d’azur sur la bâtisse, fait une moue un peu déçue. Elle a vécu dans un château, à une autre époque, recueillie par ceux qui ont bien voulu d’elle. Deux crocs plantés dans la gorge. Le plus beau château qu’elle ait vu de sa vie, sans le moindre doute. Ce manoir est trop petit, à côté, mais il donne une idée de ce que pourrait obtenir la jeune femme, plus tard, quand elle en aura le droit, sur les hauteurs de Hollywood.
Pas impressionnée pour deux sous, Mana gravit les marches, fait claquer ses talons sur la pierre froide et rejointe le joli perron. Elle s’arrête devant la porte, replace ses cheveux roses, sur ses épaules et sonne. Elle attend, une main sur la hanche, que l’on vienne lui ouvrir pour expliquer ce qu’elle fait ici. Un mensonge rôdé, déposé sur sa langue, qui n’attend qu’à sortir de ses lèvres roses. Elle vient pour qu’on arrête de la faire chier, parce qu’elle en a soi-disant besoin, un caractère qui ne plaît pas à certains. Pour ce qu’elle en a à péter, elle. Mais en vérité, elle vient chercher celle qui travaille pour Gabriel Agreste, symbole de la mode dans ce village de péquenauds. Elle vient soutirer quelques informations.
Deborah Gust
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Le manoir que nous avons récupéré d'Aphrodite quand elle est partie vivre sur Olympe se situe dans le quartier nord de la ville, le plus riche qui soit, celui où on ne trouve que de belles maisons et de grandes propriétés. Et c'est bien normal : je n'aurai jamais imaginé que la déesse de l'amour en personne puisse accepter de se mélanger à la classe moyenne ou basse qui, comme leur nom l'indique, sont inférieures à ce(ux) que nous sommes. Accessoirement, en plus d'offrir un certain standing de vie qui n'est pas pour me déplaire, le quartier offre son lot de tranquillité, de sorte qu'en général rares sont les personnes qui frappent à notre porte. Et c'est tant mieux. Déjà que Sherlock Holmes a découvert où j'habite, je n'aimerais pas en plus apprendre que j'ai Dyson Walters pour voisin de pallier ou qu'il décide simplement de me rendre visite. Ce n'est pas tant que je n'aime pas la visite - j'adore la recevoir si elle est de qualité. Mais c'est plutôt que j'aime bien pouvoir filtrer et me dire que ma voisine la plus proche (Diane Moon, une autre déesse, celle de la chasse, presque aussi blonde et jolie qu'Aryana) si elle n'était pas divine aurait plus de 500m à parcourir avant de me déranger pour m'emprunter de la cannelle ou du sel le samedi soir quand j'ai autre chose à faire. Plus généralement parlant, il est de bon ton d'être inaccessible ou, disons, plus difficile à atteindre que la moyenne. En fin de compte, ce n'est pas rare que, dans un souci d'entretenir le paradoxe comme j'aime le faire, je laisse trainer une carte de visite ou que je laisse entendre où j'habite dans un endroit bondé. C'est toujours agréable de pouvoir dire, au beau milieu d'un service particulièrement agité chez Granny's, que, contrairement aux autres clients, on a les moyens de vivre dans un manoir. De toute façon, pour quelle raison des pécores viendraient-ils jusqu'à chez moi pour vérifier à quel point ma vie est mieux que la leur ? La plupart fait semblant que ça ne les atteint pas. Enfin bref. Maintenant que je vous ai dépeint le cadre dans lequel je vis, afin pour mon auteure de se remettre dans la peau verte de son personnage, il est temps d'en venir à nos affaires : la sonnette de l'entrée. Celle qui retentit par un samedi de mars plutôt couvert alors que nous n'attendions personne et que Colère s'était une fois de plus emporté contre l'aspirateur. Celle qui ne m'intrigua pas plus que ça, bien que je fus celle qui alla ouvrir, ce qui n'était ni plus ni moins qu'une règle que nous avions établie au sens de la colocation émotionnelle. Puisque j'étais la plus normale (et de loin) d'entre nous, j'étais celle qui s'adressait aux humains quand nous pouvions éviter de les exposer à de la tristesse, de la peur ou de la colère presque pure, en dépit de leur apparence humaine à eux aussi. Ca ne faisait évidemment pas de moi le majordome de la maison, ni l'intendante, mais bien l'hôtesse, celle qui, non contente de recevoir, était aussi, de fait, toujours au courant de ce qui se tramait. J'appelle ça une win-win situation. Cette fois, la porte s'ouvrit sur une jeune femme que je n'avais jusqu'alors jamais vue mais qui n'était pas désagréable à regarder. A en juger par sa pause de mannequin, elle avait une vague idée (notez l'euphémisme) de son sex appeal et n'avait pas peur de le mettre en avant en transpirant l'assurance, quitte à passer pour quelqu'un de hautain. Tout, chez elle, depuis la pointe de ses cheveux roses jusqu'à ses talons claquants (et clinquants) œuvrait dans un seul et même but : qu'on la remarque. Ce dont je ne pouvais pas lui en tenir rigueur. La plupart des gens veut se faire remarquer - pourtant, ça ne veut pas dire que la plupart des gens est remarquable - et elle y parvenait plutôt bien. Je ne pouvais que la remarquer et pas seulement parce qu'elle était sur le perron. Ainsi, je remarquai notamment sa posture de modèle pour les magazines, qui n'était pas un choix banal de posture d'attente. - C'est pas ici le défilé Chanel, fis-je observai, avec juste ce qu'il faut de narquois dans la voix. La demoiselle ne m'avait pas, pour le moment, donné de raisons d'être particulièrement désagréable et peut-être ne m'en donnerait-elle pas. Ou peut-être pas. Je sentais qu'avec elle, ce serait quitte ou double. Peut-être que bientôt, comme pour Sherlock, j'allais regretter qu'elle connaisse mon adresse. - Sauf si c'est ça le nouveau look des lycéennes qui vendent des cookies au porte à porte, poursuivis-je, mais je vois pas de boite de cookies avec vous. Donc je suppose que c'est pas pour ça non plus. Donc si vous me disiez plutôt ce qui vous amène ? suggérai-je avec un grand sourire, m'adossant dans l'embrasure de la porte, les bras croisés sur la poitrine.
atience. Une qualité qui ne lui colle pas franchement à la peau. Manhattan n’aime pas attendre. Elle aime obtenir sans délai, voir les choses se précipiter à ses pieds, les mains se tendre pour son bien, s’inquiéter de ses besoins. L’attente, c’est un bon moyen pour tomber dans l’oubli, pour qu’une autre pensée vienne parasiter son image, dans l’esprit de ceux qu’elle squatte. Mana ne peut pas se le permettre. Trop ont déjà rayé son nom de leur vie, par pur égoïsme, parce qu’ils pensent être plus intéressants qu’elle, avoir mieux à faire que de s’occuper d’elle. Ça la met en rage, la revenante. Ça lui donne envie de mordre à outrance. Mâchoires refermés sur les cous, les dents appuyées sur la carotide. Dommage qu’elle n’ait plus qu’une dentition humaine.
Patienter, c’est pourtant ce qu’elle doit faire, devant la porte du manoir. Manhattan ne bouge pas d’un millimètre, la main posée sur la hanche, ses yeux bleus glissent d’un bout à l’autre du perron, regardent plus loin, jusqu’au ciel azuré de cette journée de printemps. Le même bleu qui brille dans ses yeux. Sweet Child O’ Mine qui vient chantonner dans son esprit. Mana sent la colère remonter le long de sa gorge, chauffer sur sa langue. Qu’il aille au diable, cet abruti fini ! Elle ne veut plus rien à voir avec lui et ses cheveux de pétasse. Elle ne sait même pas pourquoi elle y pense encore. Envie de se parer d’un air triste, peut-être. De jouer les victimes.
Mana repousse tout ceci d’un revers de main qui soulève ses cheveux roses et les repose sur ses épaules. Elle se tâte à enfoncer l’ongle sur la sonnette, encore et encore, jusqu’à ce qu’on daigne lui ouvrir, lui donner ce qu’elle réclame, ce qu’elle mérite. Un peu d’attention, dans ce monde égoïste, avant d’être oubliée tout aussi vite. Elle ne se fait plus d’illusions, la pétasse. Même dans ses beaux vêtements flashys, généralement affublés de quelques têtes de mort et autres joyeusetés, elle sait que le monde ne la verra que passer, sans essayer de la retenir. Ils finissent tous par abandonner. Par l’abandonner.
La porte s’ouvre au bon moment. La rage au ventre, Manhattan est à deux doigts de faire demi-tour, d’aller voir ailleurs si elle peut trouver une idiote à emmerder, un débile à frapper sans s’inquiéter d’être frappée en retour. Quelques bouts de chair sur lesquels refermer les mâchoires, pour le seul plaisir de les entendre crier. Mais la poignée tourne, la battant s’ouvre et Mana relève ses yeux bleus sur la rousse, plantée derrière. Sourcil haussé par-dessus ses lunettes noires, elle la toise de haut en bas. Un certain style, chez l’autre, qui n’échappe pas à Manhattan. Un style qu’elle préfère mépriser, par principe. Pour se persuader elle-même qu’entre elles deux, Mana est celle qui brille le plus fort.
Les mots claquent aussi fort que ses talons. La rose esquisse un sourire amusé. Allons, allons, le chaton mordille un peu, mais les crocs de Mana ont toujours été plus longs. Du moins, c’est ce dont elle aime se persuader, pour ne pas avouer que sa répartie a toujours laissé à désirer, qu’elle s’impatiente trop vite, susceptible jusqu’au bout de ses ongles rose pétant. Les mots choisis, eux, la forcent à relever le menton, hautaine, et repousser ses lunettes noires, dans ses mèches claires, pour pouvoir fixer la femme dans les yeux, sans détour. Sans se cacher, en un sens.
– Chanel a plus de goût, susurre-t-elle, avec un sourire moqueur.
Les yeux qui glissent sur la baraque, le jugement au fond du regard. Elle n’en pense pas un mot, mais elle fait semblant, minaude un peu. L’autre la défie et Manhattan aime les défis, le besoin de prouver qu’elle ne se laisse pas marcher sur les pieds. Jusqu’à ce qu’on la pousse vraiment et la piétine sans retenue.
– Oh. Je savais pas que Tatie Danielle habitait ici. J’ai dû me tromper de porte. Elles se ressemblent toutes, dans le quartier.
Nouveau mensonge balancé pour titiller l’autre. Manhattan en a presque oublié ce qu’elle vient faire ici, au départ. Elle ne doit pas se mettre à dos celle qui pourrait lui donner quelques informations utiles à se mettre sous la dent, mais elle ne peut pas s’en empêcher, c’est plus fort qu’elle. Les attaques lui échappent sans qu’elle ne fasse le moindre effort pour les retenir. Attaquer avant d’être attaqué, tuer avant d’être tué, des lois qu’elle aime respecter. Il n’y en a qu’une, qui manque à sa vie et a creusé un trou béant, au fond de son cœur pourri : abandonner avant d’être abandonnée.
– Je viens sur conseil d’un… ami, dirons-nous. Un abruti qui mériterait une baffe ou deux, pour lui remettre les idées bien en place, mais qui est trop utile pour que je ne m’abaisse pas, rien qu’une fois, à faire ce qu’il demande. Histoire de… l’amadouer, faire semblant d’être à lui pour qu’il n’ose plus me résister. Voyez ?
Aucune honte, au fond de ses yeux bleus, à avouer ce qui est presque sa vérité. Manhattan voit, chez l’autre, une dureté, dans le regard, une autorité, dans la posture, qui la poussent à croire qu’elles ne sont pas si différentes. Sur un point, du moins. Mana a plus de classe, sans le moindre doute. Mana aime croire qu’elle tient le monde, entre ses mains, alors qu’elle touche à peine le contrôle de sa propre vie.
– Ce débile est persuadé que je dois rencontrer une certaine… Gust. Parce qu’il n’a aucun contrôle sur moi, il est convaincu que j’ai de petits soucis de comportement. Ha ! Tôt ou tard, il apprendra à le regretter.
Sourire innocent, sur ses lèvres rouges. Manhattan hausse à peine les épaules. Elle ne ment pas, cette fois. La vengeance bien coincée au creux du ventre. Besoin irrépressible de lui arracher le respect qu’elle mérite. Elle a beau être jeune, habillée comme une pétasse, le menton fier de celle qui veut le monde, elle n’est pas une princesse. Un monstre toute la journée et une princesse quand personne ne peut en témoigner, encore un abruti qui s’est permis de polluer sa vie.
Deborah Gust
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Je souris, intéressée. C'est pas souvent que je rencontre quelqu'un qui a du répondant. Du mordant, si j'ose dire. A croire que dans cette ville y a que des soumis qui se laissent faire h24. Le syndrome du conte de fées, peut-être. Y aurait jamais eu Cendrillon, Blanche-Neige et toute la clique si ces nanas-là ne s'étaient pas un rebellées. En soi, ce n'est pas si étonnant qu'une ville de héros soit aussi une ville de niaiseux. Tatie Danielle n'était absolument pas un compliment et comme j'ai énormément de culture, je ne le savais que trop bien. Je savais aussi que j'étais mieux lookée, plus raffinée, plus classe, en fait, que Tatie Danielle et qu'elle pourrait, de fait, dire tout ce qu'elle voulait, ça ne m'atteindrait pas. Au fond, le style rosé pétant et le sarcasme à tour de bras n'étaient que la carapace que cette jeune demoiselle avait choisi pour masquer les fêlures d'en dessous. Comme Gabriel, en fin de compte. A croire que j'attirais ce genre de profils. Remarquez, c'est sans doute normal. Les pauvres âmes en perdition ont besoin d'un phare dans la nuit et je brille suffisamment pour l'être. Preuve en était, le Bonbon Rose et Mordant venait "sur conseil d'un ami" pour bénéficier de mes conseils. Alors elle pouvait bien lancer toutes les piques qui lui passaient par l'esprit, je n'étais pas dupe et je ne le serai pas. - Eh bien on dirait que t'as de la chance, j'crois que le nom de famille de Tatie Danielle, c'est Gust. Deborah Gust, en fait, pas Danielle, merci bien, ajoutai-je, pour éviter les malentendus futurs. On n'a pas tous la chance de pouvoir choisir son nom et son prénom. J'avais eu ce luxe. Mon identité humaine ne laissait rien au hasard mais seuls les esprits les plus malins s'en apercevaient. Il faut dire que je ne m'embarrassai pas de les aider, estimant que découvrir ce que j'étais véritablement ça se gagnait, ça se méritait. En aucun cas cela ne s'offrait. C'était déjà très bien pour tous les débiles présents en ville que je prodigue autant de conseils à autant d'idiot, j'allais pas non plus me lancer dans les œuvres de charité ! Non mais ! J'observai la jeune femme de la tête aux pieds puis dans le chemin inverse, comme j'aimais tellement le faire pour la jauger, l'évaluer, me faire une idée globale, quoique grossière encore pour le moment, sur le personnage en face de moi. Je n'avais pas encore décidé si je l'appréciais ou si je la méprisais. Ce que je pouvais dire c'était qu'elle m'intéressait. Y avait pas que ses cheveux roses pour marquer les esprits même si ça aidait forcément. - Une fille comme toi, qui traite les uns d'abrutis et les autres de Tatie Danielle aurait "des petits soucis de comportement" ? Vraiment ? demandai-je, narquoise, au comble de la jubilation. Je me demande dans quel domaine... Se pourrait-il que toute cette assurance, tout ce mordant et cette suffisante soient une manière de protéger la pauvre petite chose fragile qui se cache derrière ces lunettes noires et ces cheveux roses ? minaudai-je à mon tour. T'sais quoi ? Tu vas me raconter tout ça à l'intérieur, suggérai-je en m'effaçant pour la laisser pénétrer dans le manoir. Refermant la porte derrière elle, je la conduisis au salon et lui fis signe qu'elle pouvait s'asseoir. - On continue avec Tatie Danielle et je te file des scones tous secs à béqueter ou on part du principe qu'on est toutes les deux super classes et je sers quelque chose de plus festif ?
robabilité de tomber sur la bonne personne du premier coup ? Elle n’en a pas la moindre idée, mais elle se félicite de la coïncidence, même si ce n’est pas de son ressort. Ça lui fait gagner un temps fou, à la rose, un temps qu’elle n’a pas besoin de passer à se battre avec la mauvaise femme, à la forcer à l’inviter à entrer chez elle pour ne pas pourrir sur le perron. La question de l’invitation se pose, justement. Comment lui arracher les mots en gardant tout ceci le plus discret possible ? Manhattan sait ruser, mais elle a, tout de même, commencé par attaquer. Qui invite l’attaquant chez lui ? Tous ceux qui sont tombés entre ses griffes, dans son village, sans le moindre doute.
Deborah Gust se tient bien devant elle, pour l’instant, et Manhattan lève un sourcil amusé, un sourire au coin des lèvres. Un nom pour le moins… intéressant, qui sent le nom choisi de toute pièce, inventé seulement pour elle. Comme Manhattan se cache derrière le prénom qu’elle donne à tous ceux qu’elle croise. Un Tyria lancé sans qu’ils n’en comprennent la signification, ces péquenauds qui s’habillent de guenilles et se permettent de la juger, elle. Il ne faut qu’un peu de cervelle, un effort d’imagination pour comprendre le jeu de mot de Gust. Là où il faut un peu de culture pour saisir Tyria en plein vol.
– Bien, Deborah pas Danielle Gust, on gagne un temps considérable. Tyria Potts, mais je suis sûre qu’on est d’accord pour dire que nos prénoms suffiront entre nous.
Manhattan s’embarrasse peu des noms de famille des autres, ni du sien qui remonte à une époque oubliée, des parents qui ont cessé d’exister. L’orpheline n’a de famille que le nom et n’aime pas l’entendre s’accrocher au prénom qu’elle s’est choisi pour oublier celui de ses darons. Deux idiots qui ont jugé bon de foncer dans un camion. Qui voudrait partager quoi que ce soit avec eux ? Pas elle, personne. Morts, ils ne lui sont plus d’aucune utilité et Mana peut croire en sa pseudo liberté.
Une fille comme elle, attends de voir, chérie, l’envie de cracher au fond du regard. Manhattan n’en fait rien, reste droite. Elle ne connaît pas de fille comme elle. Il n’y a qu’elle, les cheveux rose pétant qui se balancent dans le vent, les vêtements flashys et parsemés de designs un poil plus effrayants. Les canines prêtes à mordre, les poings serrés sur les coups qu’elle ne manque pas de donner. De recevoir, aussi, sans s’en inquiéter. Le besoin de danser, de toucher sans être touchée, l’envie de forcer le monde entier à la regarder pour ne plus la laisser sur le côté.
Un prénom aussi pourri que le sien.
Il n’y a que Manhattan pour être Manhattan, mais elle ne veut pas se laisser avoir, répondre à l’attaque. Elle attend la suite, l’écoute sans l’interrompre, se demande à quel moment elle compte regretter de l’avoir invitée. Parce qu’il s’agit d’une invitation à rentrer, elle n’en doute pas, la revenante. Elle a le droit, désormais, de poser les pieds dans la propriété privée, de fouler le manoir sans plus avoir besoin d’y être invitée.
Elle suit, la rose, le silence bien accroché à ses lèvres rouges, fendues d’un sourire malicieux qui dévoile ses dents blanches, les petites canines posées sur ses lèvres. Mana se demande si elle pourra retrouver, un jour, les crocs du démon qu’elle a été, pouvoir le leur faire, à tous, regretter. Croquer pour ne plus être emmerdée. Les ordres au creux de la gorge, les mains refermées sur les fils de ses nouveaux pantins. Mais elle n’a que ses dents humaines et elle se contente d’avancer dans l’entrée, de regarder autour d’elle le luxe du manoir, avant de revenir à Deborah et ses piques acerbes.
– La pauvre petite chose fragile, comme tu dis, a terrorisé un village entier. Je crains qu’il ne faille pas se laisser avoir par les apparences. Les princesses ont, parfois, un démon bien caché derrière maquillage et beaux vêtements.
Manhattan ricane, secoue ses cheveux roses et regarde Deborah de haut en bas. Elle exagère peut-être un peu la vérité, l’ancienne terreur japonaise, mais elle n’est pas loin de ce qu’il s’est véritablement passé. Les démons ont refermé leurs ongles sur les villageois et la panique les a poussés dans une folie furieuse qui a tout dévasté.
– Mais ce sont des apparats pour tromper les débiles, ce que nous ne sommes pas autant qu’ils aiment le croire, toi et moi. (Elle a un regard un peu plus dur, pour Deborah, que le regard de pimbêche écervelée dont elle se pare d’habitude.) N’est-ce pas ?
Elle essaie de ne pas s’arrêter aux apparences, la pétasse aux cheveux roses, mais il est toujours plus facile de juger aux habits de celui qui lui fait face, aux sourcils froncés sur ses manières, les bouches tordues pour lui dire de se taire. Faire exploser l’hypocrisie pour obtenir l’honnêteté, la haine qu’elle instille dans le cœur des autres pour leur donner une bonne raison de l’abandonner.
– Du champagne pour le goûter, susurre-t-elle, en se laissant tomber sur un siège. Il n’y a que les femmes super classes pour se le permettre.
Comme un défi lancé à Deborah, Manhattan sourit dans son coin, passe les doigts sur le rebord du siège, réfléchit à la meilleure manière de demander ce dont elle a besoin.
– Alors… ton métier c’est d’écouter des abrutis raconter, à longueur de journée, leurs « petits soucis de comportement » parce qu’ils n’assument pas d’être bêtes et méchants ? se moque-t-elle, un peu, sans craindre de se compter dedans. J’espère pour toi que c’est bien payé, mais vu la baraque…
Le plus beau quartier de Storybrooke, un manoir qui n’a rien à envier à ses voisins, des vêtements qui n’ont rien des fringues qu’on trouve en supermarché… Manhattan est presque tentée de se reconvertir, de changer de rêve pour prendre exemple sur elle. Sauf qu’elle aurait trop envie, elle, de leur raconter n’importe quoi, de les guider vers l’ombre plutôt que la lumière. Et quand on renie soi-même ses sentiments, c’est un peu compliqué de comprendre ceux des autres, en vérité.
– Ça t’arrive de les envoyer chier ? Ou de leur donner des conseils bidons histoire d’être payée ?
Elle fait semblant de s’intéresser, plus curieuse de la méchanceté de celle qui lui fait face, que de son métier qu’elle ne comprend pas vraiment et qui ne l’intéresse pas tant que l’autre, celui qu’elle fait mine d’ignorer. Ne jamais supplier pour obtenir de l’aide. Manhattan est assez grande pour se débrouiller toute seule. Elle aime le croire, en tout cas.
Deborah Gust
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Effectivement, nous gagnions du temps. Pour une fois que ça arrive, ça ne serait pas moi qui cracherait dessus, ah ça non ! Surtout que, entre nous, c'était quand même assez mal parti. Quand je l'ai vue, avec sa pose de bimbo et son air encore plus pénible que moi, je me suis demandée si nous arriverions à nous entendre. Je n'ai certes pas encore la réponse définitive à cette question mais je sais une chose : Tyria Potts, en plus de posséder un nom peu commun (à son image) et aux sonorités plaisantes, n'est pas le genre de personne dont la compagnie va m'ennuyer. Pour le meilleur comme pour le pire. Quoi qu'il advienne, cela vaudra toujours mieux que de conseiller ou renseigner une âme égarée qui n'a même pas un embryon d'idée de ce qu'elle veut ou de ce qu'elle cherche. - Tyria, c'est cool, approuvai-je avec un hochement de tête, sans pleinement signifier ce qui était cool : était-ce le prénom ou la plus ou moins familiarité avec laquelle nous allions nous parler ? Peut-être un peu des deux. De toute façon, personne n'a jamais pu me convaincre de l'appeler autrement que de la façon dont j'avais décidé de l'appeler. Je ne voyais pas pourquoi il en serait autrement avec elle. N'empêche que Tyria, c'était vraiment bien. Ca me changeait des aspirateurs et des pots de miel au citron. Tyria Potts ne se laisse pas marcher sur les pieds et sans doute pas dicter sa conduite. Ou presque pas, disons. Parce qu'elle est quand même venue ici pour faire autre chose que me montrer à quel point elle est géniale, pas vrai ? Elle a quand même pris note de ce qu'un abruti lui a dit. J'avais assez hâte d'en apprendre plus. De faire davantage que d'entrevoir ce qu'il y avait à découvrir sur cette petite terreur rose. - Tu as raison, concédai-je. J'ai du mal à t'imaginer dans le rôle de la jouvencelle en détresse. Tu es assurément trop bien pour ça. Trop au-dessus du lot, je dirais même. Et ça me va, j'ai assez donné dans le rayon des petites choses fragiles en perpétuel questionnement sur le sens de la vie. Un peu de changement, de... fraicheur, comme on dit, ça me plait bien. N'empêche que... comme tu l'as si bien dit, il a quand même un abruti d'ami, apparemment, pour te conseiller de venir me voir et au lieu de le terroriser pour qu'il abandonne l'idée... Manifestement tu es venue, conclus-je avec un sourire, les faits étant criants de vérité. Je dis seulement que c'est intéressant. Peut-être que c'est le destin. Je souris, avenante. L'instant d'après, je souriais toujours, appréciant le compliment à peine voilé qui se cachait derrière ses dernières paroles. "Mais ce sont des apparats pour tromper les débiles, ce que nous ne sommes pas autant qu’ils aiment le croire, toi et moi." - Tu m'ôtes les mots de la bouche, assurai-je, contentée, approuvant à la fois sa remarque le choix de son goûter. Le champagne, c'était au moins mille fois mieux que les cosmopolitans des filles de Sex and the City. Mais au lieu de l'abandonner pour aller chercher deux flûtes et la bouteille qui va avec, je m'installai gracieusement en face de Tyria. - Jaspeuuuuuuuuuur ? appellai-je bientôt. Quelques instants, des pas anxieux se firent entendre dans le hall d'entrée, amenant bientôt la grande asperge émotionnellement épouvantée au salon - même s'il se contenta seulement de passer une tête au coin de la porte, n'osant pas regarder mon invitée. - Ou... oui ? bégaya-t-il. - Deux flûtes de champagne, s'il te plait. Et la bouteille qui va avec. Sans rien casser si c'est possible. - Mais... Connaissant l'énergumène, il allait au choix : demander si nous avions un éthylomètre afin de permettre à mon invitée de rentrer chez elle en toute sécurité si elle était venue autrement qu'à pied ou bien faire remarquer qu'il était un peu tôt, voire que c'était le premier pas vers les Alcooliques Anonymes ou le cancer, alors je coupai court en ajoutant : - Et sans discuter, merci beaucoup. Je ponctuai cette requête d'un grand sourire qui se changea, l'espace d'une fraction de seconde, en un regard noir qui convainquit Jaspeur d'obtempérer. J'aurais pu, évidemment, m'en aller quérir le champagne moi-même pour m'assurer que rien ne soit cassé. Mais en compagnie de Tyria c'était beaucoup plus marrant de surjoué mon côté pimbêche suffisante, sans compter que c'était excellent pour Jaspeur de lui confier régulièrement quelques petites missions simples à exécuter afin qu'il commence enfin à comprendre que tout n'était pas source de danger. - Il va faire vite, assurai-je, relativement confiance. Il avait de toute façon intérêt. Et il le savait. Il savait aussi qu'il avait tout intérêt à ne pas apporter le champagne de façon à m'interrompre parce que je dis toujours des trucs très intéressants qui ne doivent pas interrompus, particulièrement quand je me vante. Pardon, quand je parle de moi. Et justement, c'était le cas dans cette conversation puisqu'il était de mon devoir d'éclairer mon invitée sur le sens profond de mon métier ou, plutôt, de ma raison d'être. Etre le Dégoût en personne, qu'on se le dise, c'est davantage qu'un métier. C'est une vocation, un art de vivre, une façon d'être, une règle de base, une essence, pourrais-je même dire. Bref, ça allait beaucoup plus loin que "écouter des abrutis raconter, à longueur de journée, leurs « petits soucis de comportement » parce qu’ils n’assument pas d’être bêtes et méchants". - C'est vrai que ça m'arrive que des gens plus ou moins intéressants ou intelligents me racontent leurs petits problèmes insignifiants mais rassure-toi : quand c'est trop chiant je fais semblant d'écouter. De toute façon, j'ai pas besoin d'écouter la plupart des gens. Y en a très peu qui soient réellement mystérieux. Certains pensent l'être mais je vois clair dans la personnalité de la plupart des gens. C'est ce qui est arrive quand on est une pro du jugement. Mon œuvre c'est de montrer le chemin aux... disons à ceux qui en ont besoin pour les aider à, peut-être, devenir la meilleure version d'eux-mêmes ou à atteindre un but précis. Certains y arrivent, d'autres... moins. On n'est pas tous égaux dans la réussite, c'est triste mais c'est comme ça, commentai-je en haussant les épaules, absolument pas désolée pour ceux qui échouaient. Certains ne veulent pas écouter et dans ce cas tant pis pour eux. Mon temps est précieux et je n'aime pas me répéter. Disons, pour conclure, que je suis la personne idéale à consulter si on cherche à suivre socialement et métaphoriquement parlant dans le dangereux monde qu'est la société in. Je suis persuadée que tu vois de quel type de milieu je parle, ajoutai-je, pas gênée de la flatter un peu. Et oui, ça paye bien, précisai-je juste ensuite. Tyria n'avait pas besoin de savoir que le manoir appartenait, en fait, à la déesse Aphrodite et qu'elle nous l'avait laissé en partant sur Olympe pour vivre plus pleinement ses choix de vie lubriques (mais je ne jugerai jamais Aryana - sur rien - et je suis et je resterai Team Aryana Forever). Elle n'avait pas demandé à lire le bail, après tout, elle avait seulement inféré que mon travail permettait de vivre ici, ce qui, dans les faits, était véridique. Aryana, après tout, ne nous envoyait pas d'argent de poche une fois tous les mois. Si nous avions les moyens de garder le manoir en aussi parfait état c'était grâce à ma carrière émotionnelle florissante et à personne d'autre. Bon, peut-être aussi grâce à la nouvelle carrière de développeuse web de Sadie, parce que ça gagne bien aussi. En tout cas, ça n'était pas grâce aux garçons, trop occupés à avoir peur de tout ou à crier sur tout le monde. - Ce que je fais, c'est ma vocation, précisai-je, des fois que ça n'ait pas encore été clairement établi (ce dont je doutais). C'est plus qu'un travail. C'est un art d'être. En principe je ne donne pas de mauvais conseil. Après... si je fais un commentaire sarcastique ou ironique et que la personne en face est trop stupide pour comprendre ce que je voulais vraiment dire, ce n'est pas mon problème, conclus-je avec un sourire mesquin, presque carnassier. Et les gens que je supporte vraiment pas, j'essaye même pas de les conseiller. Trop de temps perdu. Pour moi, s'entend. Pour eux ce serait une chance inestimable, c'est vrai mais... Mes conseils, ça se mérite. Je suis pas la Croix Rouge. Le bénévolat, ça a jamais été mon truc. Le silence s'installa alors suffisamment longtemps pour permettre à Jaspeur de revenir au salon, portant avec toutes les précautions du monde, deux flûtes de champagne et la bouteille débouchonnée qui va avec. Il disposa les deux flûtes déjà remplies d'une main tremblante sur la table basse puis déposa, d'un geste sec, la bouteille au même endroit. Heureusement que c'est solide, un cul de bouteille. On aurait été bien s'il l'avait cassée - en public, de surcroît ! - Merci Jaspeur, tu t'améliores, l'encourageai-je avec un air approbateur. L'intéressé rougit jusqu'à la racine des cheveux et bégaya quelque chose qui ressemblait à un merci avant de quitter la pièce - ou plutôt de fuir très loin. Faisant comme si c'était normal (dans les faits, ça l'était un peu, en tout cas pour moi), j'attrapai ma flûte tout en poussant celle de Tyria vers et suggérai : - Et si nous trinquions à notre supériorité manifeste avant que tu ne me racontes un peu, ta vie, ton œuvre et tout ça ?
etit sourire, sur ses lèvres rouges. Manhattan aime entendre dire que son nom est cool. Il roule sur sa langue avec des sous-entendus bien cachés. Le papillon rouge qui remue dans son seul esprit n’a rien d’une créature effrayante, mais son surnom suffit à ravir la rose. Goutte-de-sang qui manque, à ses crocs, au fond de sa gorge. Elle en a au moins le nom, à défaut d’en avoir le mordant, privée de ce qui lui a été donnée, de ce qui a fait d’elle un monstre de la nuit, une créature pourchassée, les pieux levés haut au-dessus de la tête des hommes.
La jouvencelle en détresse en a, parfois, les airs innocents, sur le visage, dans ses gestes de pétasse qui ne sait pas calculer, mais elle cache, au fond du regard, une lionne qui n’attend qu’une main tendue pour mordre. Manhattan sait se défendre, faire parler les poings, les dents. Elle crache, mais ses menaces ne sont pas du vent. Ne jamais tenter les démons, les garder endormis est une meilleure solution. Le sien rugit, au creux de sa poitrine, attend le bon moment pour sortir. Un excès de frustration qu’elle a, parfois, besoin de laisser sortir. Pas face à Deborah. Entre femmes civilisées, la rose se pare de ses airs de princesse qui ne craint rien, ni personne. Du regard suffisant de celle qui ne se laisse pas marcher dessus.
Sauf qu’on l’a déjà écrasée.
– Ami est un bien grand mot pour désigner ce qui me relie à celui-ci, explique-t-elle, avec un petit rire désabusé. Pour l’instant, il m’est plus utile si je me plie à sa demande stupide. Plus tard… compte sur moi pour le lui faire regretter. La vengeance, c’est ma spécialité.
Sa vie tourne autour de ce mot. La vengeance comme un besoin vital, un souffle qui la maintient en vie dans la mort. Pour faire regretter à tous ceux qui l’ont méprisée, leur cracher à la gueule qu’ils n’auraient pas dû se moquer d’elle, la traîner par terre. À commencer par cette idiote de Kaori, qui ne mérite même pas qu’elle la tue elle-même. Non, Megumi a préféré pousser son propre père à sauter à la gorge de sa fille. Et elle aurait ri. Oh ! elle aurait ri, si cet abruti avait pu finir ce qu’il avait entrepris.
Manhattan apprend, un peu, de ses erreurs. Dans ce monde, elle se charge elle-même de ses ennemis. Elle tend sa patte de brebis et referme ses griffes de loups sur les doigts qui se laissent berner. Elle saura leur faire regretter, à tous ceux-ci, de l’avoir abandonnée, de s’être moqués, d’avoir cru valoir mieux, bien mieux qu’elle.
Deborah a cette assurance rafraîchissante qui la range, immédiatement, dans le même panier que la jeune femme. D’un revers de main, elle balance ses cheveux roses et pose un regard amusé sur la rousse, devant elle. Mana a appris, avec le temps, à jouer à l’innocente petite idiote qui a besoin d’une main plus forte, plus intelligente, pour avancer dans la vie. Les femmes intelligentes sont trop souvent abandonnées, jugées, moquées. Aucune main ne se tend vers celle qui n’a besoin de rien. Manhattan a trop souvent été jetée sur le côté, repoussée pour ses airs de chien méchant. Elle préfère jouer l’innocente, le petit ange écervelé qui n’inquiète personne. Pour que les gardes tombent et qu’elle puisse refermer son emprise sur le monde.
Réclamer du champagne, à une heure pareille, peut paraître exceptionnel, mais qui ne tente rien n’a rien, comme disent les autres. Manhattan s’amuse de voir la rousse ordonner à son… serviteur ? colocataire ? de leur amener de quoi jouer les divas, en plein après-midi. Elle a beau ne pas être touchée par les degrés d’alcool, la rose en apprécie la saveur et les idées que les verres font naître, dans les esprits embrumés des autres. Le champagne, elle n’a pas tant l’habitude d’en boire que ça. Fauchée, la rose ne peut compter que sur les autres, pour ses consommations, et ses victimes sont, généralement, radines à souhait.
– Je n’en doute pas, échappe-t-elle, avec un regard complice.
L’autorité de Deborah, sur ce fameux « Jaspeur », ne fait aucun doute. Elle a presque envie de le voir faire tomber son plateau, pour assister au drame, au brasier qui explose, à la façon qu’aurait la rousse de lui rappeler qu’il n’est qu’une erreur de la nature et qu’il ferait mieux de disparaître un temps. Pour le moment, néanmoins, Tyria se recentre sur Deborah et son étrange métier. Celui qui n’intéresse pas vraiment Mana, même si elle fait mine d’être très prise par l’explication.
– Oooh. J’aime ta façon de vivre, Deborah. Faire semblant d’écouter est un art subtil, mais très utile.
Manhattan passe des soirées entières à hocher de la tête, sourire, rire un peu ou poser une question totalement débile pour se raccrocher à des conversations qui ne l’intéressent pas le moins du monde. Elle a besoin de vivre, de bouger, de suivre son propre rythme. Les longues discussions sur le meilleur moyen d’élever des huîtres et d’en prendre soin n’éveillent, en elle, rien d’autre qu’un peu de mépris, beaucoup d’ennui.
– Ceux qui ne veulent pas écouter… je parie qu’ils ont mal à l’ego et qu’ils ne veulent pas admettre que tu les as percés à jour. Quand on se prend pour une citadelle imprenable, c’est dur d’admettre qu’on n’est qu’un livre ouvert sur des images, même pas des mots. (Elle rit un peu, avant de pincer sa lèvre inférieure avec l’une de ses canines.) Ceux-là, ce sont ceux que je préfère.
Ceux qu’elle peut détruire comme on l’a détruite, ou essayé de la détruire. Un instant, la rose détourne le regard, passe une main sur son sternum, pense à ce qu’elle a évité de peu. Quelques pages de plus, dans une histoire idiote, et elle ne serait plus là, aujourd’hui, pour jouer les grandes dames dans un salon inconnu. Un pieu enfoncé au fond du cœur, le corps passé sous les roues d’un pick-up. Quel drôle de destin, pour celle qui n’a jamais rien demandé d’autre qu’un peu d’attention.
Un nouveau rire lui échappe, presque trop sincère, à entendre Deborah parler de sa vocation, de ceux à qui elle ne veut pas donner ses conseils. Mana aime sa vision du monde, ce contrôle qu’elle a, sur sa propre vie, sur celle des autres, aussi. Elle ne s’en effraie pas davantage, persuadée, peut-être à tort, qu’elle est trop plongée dans son personnage, depuis tant d’années maintenant, pour que l’on remarque, sous ses airs de pétasse, le chaton errant, abandonné aux portes de son orphelinat, les lèvres retroussées sur ses crocs pour se défendre de toutes les mains qui l’ont rejetée.
– Sarcasme et ironie, quel bonheur de savoir qu’on marche sur la même voie, toi et moi. Si tu veux t’amuser un peu, je pourrais t’envoyer un idiot de première qui ne comprend rien du tout à ces concepts. Enfin… il en est à un tel point de stupidité que je ne te promets pas qu’il ne te donne pas envie de le frapper. Je ne sais pas moi-même ce qui m’a empêchée de le faire. (Elle fait mine de réfléchir et se pare d’une grimace dégoûtée.) Ah, si. De peur qu’il adore ça.
Jaspeur réapparaît, manque de faire tomber sa bouteille ou de la briser violemment contre la table, et disparaît aussitôt. Manhattan voit, en lui, une espèce de lâche comme ceux qu’elle déteste. Cet affreux pleureur qui n’a pas su saisir sa chance, dans son monde, ce gros débile qu’elle aurait mieux fait de ne pas mordre. Pourquoi a-t-il dû survivre ? Il aurait mieux fait de crever, comme les autres, et de ne jamais se relever de la mort. La honte des revenants, son premier rival et pire ennemi. Heureusement, Jaspeur semble beaucoup plus inoffensif.
– Cheers, siffle-t-elle avec amusement et malice.
Sa flûte levée pour claquer contre celle de Deborah, avec la délicatesse qu’il convient pour une verrerie si fragile. Puis elle porte la boisson à ses lèvres et goûte ce champagne. Pas n’importe quelle merde trouvée dans un coin, sans le moindre doute. Manhattan ne regrette pas d’avoir fait le déplacement, au moins pour se remplir l’estomac de champagne qui pétille, doucement, sur sa langue.
– Ma vie, mon œuvre, commence-t-elle, en réfléchissant à ce qu’elle peut raconter. J’ai grandi dans un orphelinat, à jouer des coudes pour me faire une place parmi les autres. C’est comme ça qu’on apprend à se défendre dès le plus jeune age. Les enfants sont plus cruels que les adultes aiment à le penser. (Un sourire un peu mauvais vient étirer ses lèvres, avant d’être remplacé par une moue déçue.) La reine des bagarreuses ne va pas loin, dans la vie. Il a fallu ranger les poings au vestiaire et profiter d’avoir… disons… gagné la loterie génétique. La beauté n’est pas donnée à tout le monde, mais elle ne m’a pas loupée, s’amuse-t-elle, en levant à nouveau le verre, cette fois à l’attention de Deborah, comme deux complices partageant le même butin. Alors, il est presque de mon devoir de faire profiter de cette beauté au plus de monde possible, n’est-ce pas ? Parader dans les rues, c’est pour celles qui n’ont pas notre classe. Je vise plus haut, beaucoup plus haut. Les tapis rouges déroulés sous nos pieds, les objectifs braqués sur nous pour leur rappeler que nous ne sommes pas tous égaux et qu’ils n’ont pas le quart de ce que nous avons. Tu vois, n’est-ce pas ?
Une partie de la vérité déroulée comme le tapis qu’elle mentionne. Manhattan ne sait pas pourquoi elle n’invente pas une autre histoire que celle de son passage à l’orphelinat, mais les mots sont donnés. Il est trop tard pour regretter. Au fond, ce n’est pas plus mal. Dissimuler ses mensonges derrière une vérité, c’est une bonne idée. Même s’il ne s’agit pas exactement de mensonges, mais plutôt d’exagérations. Mana aime se vêtir d’un ego surdimensionné pour dissimuler, au monde entier, que le sien est mort et enterré.
– C’est parce qu’ils ont du mal à supporter que je sois lucide sur ce que je vaux, qu’on me conseille de venir ici. La vérité leur fait mal, c’est délicieux à regarder.
Ce qui n’est pas exactement la vérité, mais Tyria se cache derrière cette demi-vérité, pour ne pas avouer qu’elle a quelques soucis d’attachement, de méchanceté, qu’elle a besoin de claquer des dents sur les mains qui se tendent. L’abandon accroché au cœur de la rose, elle ne fait plus confiance aux autres, ne veut plus se perdre en espoirs vains. Ils sont tous pareils. Ils finissent tous par tourner les talons et partir. Elle ne peut plus compter que sur elle-même et Manhattan ne veut plus revivre la douleur que c’est, de voir les autres tourner les talons et ne plus jamais revenir à elle.
Deborah Gust
« Sarcasm: punching people with words. »
| Avatar : Catherine Tate
- Youhou Deborah, regarde ce que je sais faire !
- C'est bon, je démissionne, j'en ai marre des débiles.
| Conte : Inside Out | Dans le monde des contes, je suis : : Disgust
Je souris. La vengeance n'a jamais été ma spécialité. En fait, si vous avez un peu suivi depuis le début de cette histoire, ma spécialité c'est le dégoût. Mais j'ai fondamentalement rien contre les âmes vengeresses. Au contraire. J'aime bien les connaitre parce qu'en général il vaut mieux les avoir avec que contre soi. Je sentais que Miss Broadway et moi pourrions aller loin si nous associions nos génies respectifs. Et puis j'aimais bien son état d'esprit : la manipulation, y a pas qu'à Koh Lanta que ça fonctionne. Comme l'a dit Shakespeare avant moi (ndlr : oui, je peux passer de Koh Lanta au barde lui-même dans le même paragraphe, ça s'appelle le talent) : la vie est une pièce de théâtre dont nous sommes simplement les acteurs. Si on veut avoir le premier rôle, c'est évident qu'il faut accepter de marcher sur quelques pieds. On a rarement vu quelqu'un arriver en haut de l'échelle en faisant des câlins. - Bel état d'esprit, la commentai-je simplement d'un air appréciateur. Manhattan était probablement aussi peste que moi et j'avais conscience que notre entrevue pourrait aboutir à un affrontement de vipères. Il était aussi possible qu'elle feigne l'intérêt, puisqu'elle approuvait avec emphase l'un de mes nombreux talents qui était de faire semblant d'écouter quand le discours ne m'intéressait pas. C'était le risque à courir avec ce genre de personnalité. Mais le risque valait la peine d'être couru car ce type de rencontre était bien plus divertissant que les autres. De toute façon, je n'allais pas pleurer si nous ne devenions pas amies. Je n'ai pas absolument besoin d'amis, je m'ai, moi. Mais je suis pas foncièrement contre l'amitié. C'est bien, si c'est choisi avec soin. On verra bien. J'ai pas encore réellement dit que je veux Manhattan dans mon équipe. Déjà, on est pas à The Voice. Mais de toute façon, même si on y était, je préfère me faire désirer ou réserver mon jugement, comme ces chaînes télévisées qui lancent une page de pub au pire moment. En tout cas, je dois bien admettre que Manhattan a le sens des images. Et je ne pus m'empêcher d'opiner d'appréciation à celle du livre avec images. C'était si vrai que j'en aurais presque été émue. Parce que ça se faire rare les gens qui ont des choses originales à dire. - Je les aime bien aussi. L'odeur de la défaite est l'une de mes préférées. Et puis de toute façon, je sais que j'ai raison, assurai-je fermement. J'aurais pu dire "quand" j'ai raison mais j'aurais menti. Il n'est pas utile de préciser le moment où j'ai raison puisqu'il se produit en continu. - C'est assez jouissif d'étudier chaque micro-expression d'une personne percée à jour en deux secondes mais qui se raccroche à l'idée - fausse, évidemment, ajoutai-je bien que ce soit inutile de le préciser (mais ça me faisait mousser), que leur personnalité est complexe. Complexe, répétai-je. Les gens aiment bien ce mot. Sans doute parce qu'il y a un X dedans, ça doit donner l'illusion qu'ils sont au-dessus des autres. Sauf que les émotions de personne ne peuvent être au-dessus de moi. Je ne doutais pas d'être en mesure de cerner immédiatement l'idiot que Manhattan me promettait et trouvai l'idée de rencontre un tel énergumène assez intrigante. Ca existait vraiment, les gens incapables de saisir ironie et sarcasme ? A une époque j'aurais pu me demander si ces personnes n'étaient pas trop pures pour ce monde mais en fait je pense qu'elles sont trop connes pour ce monde. Pas besoin d'avoir vu Orange mécanique pour savoir qu'il faut savoir se faire violence ou, à minima, se forger une carapace pour survivre dans le monde. - Tu peux me l'envoyer, confirmai-je. Je suis persuadée que ce sera intéressant. Mais pas ici. Manquerait plus qu'il décide de revenir par la suite, ajoutai-je en roulant des yeux. On peut pas prédire ce qui va se passer dans la tête d'un idiot. Je préfère être prudent que de le voir camper devant chez moi parce qu'il pense que je l'aime bien. Cette seule perspective me révulsait. J'ai déjà atteint ma limite de boulets avec les trois qui habitent au manoir avec moi. Les autres n'ont qu'à se trouver un autre manoir. Mes boulets, au moins, peuvent se montrer un peu utile et vaguement attachants. La preuve : Jaspeur avait réussi à rapporter le champagne et maintenant nous trinquions comme si nous étions les reines du monde. Ce qui était un peu le cas. Bien sûr que je suis la reine de mon monde. Dans mon monde on boit du champagne quand on veut et le bruit du cristal des flûtes qui tintent et un son délicat que je n'entends pas qu'à nouvel an. - Cheers, rétorquai-je non sans snobisme avant de boire lentement une première gorgée de champagne et d'en savourer chaque arôme avant de l'avaler. C'était à Manhattan de raconter sa vie, son œuvre, ce qui me permettait de savourer le contenu de ma flûte à mon aise. Mais rassurez-vous, mes commentaires pertinents ne sont jamais loin. Le premier ne se fit d'ailleurs pas attendre. Il avait suffi que Manhattan parle de la cruauté des enfants pour que j'éprouve le besoin d'exposer mon opinion : - Les enfants sont plus cruels que les adultes, point final, à la ligne, si tu veux mon avis. Evidemment, certains, une fois adultes, continuent de l'être et gagnent, pour les meilleurs, en subtilité. Mais sous-estimer un enfant serait une erreur de débutant. Manhattan avait raison : ses débuts dans la vie avaient indubitablement forgé une partie de sa personnalité. Elle avait sans doute compris plus rapidement que les autres qu'il fallait savoir jouer des coudes et sortir ses atouts au bon moment pour s'en sortir ou, à défaut, survivre. Je ne fus pas étonnée d'apprendre que Manhattan avait très vite compris quelles cartes étaient dans sa main et avait su les abattre. Oui, elle était ravissante et savait se faire remarquer physiquement. J'opinai, approbatrice, estimant que ce simplement mouvement de tête suffisait à cette étape de son parcours et continuai de savourer mon champagne. - Evidemment que je vois, lui répondis-je quelques instants plus tard, sans avoir loupé une goutte des rêves de gloire et de grandeur de Manhattan. Il y a assez peu de gens dignes d'intérêt devant lesquels on peut se parader en ville. Le reste... Bah, il comprend rarement ce qu'il a sous le nez, ajoutai-je avec un ample mouvement de la main. Ca ne m'étonne pas que tu vises plus haut. Le contraire m'aurait étonnée. Toi tu as l'étoffe d'une star et la personnalité pour survivre à ce milieu. Storybrooke n'est pas assez bien pour toi, je pense. En tout cas, elle devait franchement le penser et j'aimais bien dire aux gens ce qu'ils ont envie d'entendre. C'était une autre façon de percer les individus à jour. En outre, l'assurance et les goûts de luxe de Manhattan ne me trompaient pas. Elle n'avait pas rêvé de vivre dans un trou perdu du Maine. Personne de sensé ne rêvait de vivre dans un trou perdu du Maine. Je n'avais pas rêvé de vivre dans un trou perdu du Maine. Et je pensais effectivement qu'elle avait les épaules pour survivre à l'impitoyable New-York ou la démoniaque Los Angeles. Manhattan avait soif de gloire et ne serait rassasiée que lorsque le monde serait à ses pieds. On ne pouvait pas dire qu'elle manquait d'ambition, ce qui me plaisait énormément. C'était bien plus intéressant d'aider quelqu'un à atteindre les étoiles, ce qui m'avait conduite à devenir la conseillère de communique d'un styliste, pas du boulanger du coin. Je lui souris, amusée, non pas par son discours - sensé au demeurant - mais par sa vision des choses qui était similaire à la mienne. - Comme je le dis toujours : y a que la vérité qui blesse, ajoutai-je en levant ma flûte comme pour porter un toast à cette maxime que je répétais à qui avait besoin de l'entendre. Selon moi c'est la première leçon à apprendre pour survivre en société et je vois que tu la maitrises déjà très bien - non pas que ça m'étonne. T'en fais pas, moi aussi je suis lucide sur ce que tu vaux. Comme je l'ai dit juste avant, tu vaux mieux que Storybrooke. Comme quoi... tu es peut-être venue ici sur le conseil de quelqu'un qui se voile la face sur sa propre vérité et est manifestement ébloui par la vérité que tu lui renvoies mais... Tu as trouvé quelqu'un qui pense sensiblement comme toi. Et qui offre du champagne en pleine après-midi. C'est pas si mal, non ? Après un nouveau sourire contenté, je demandai nonchalamment : - Tu as une petite idée du chemin que tu souhaiterais prendre pour briller aux yeux du monde ? J'étais certes très forte mais je ne pouvais pas deviner les projets secrets des uns et des autres. Pourtant j'étais persuadée que Manhattan avait une idée bien précise de ce qu'elle voulait pour briller davantage que l'étoile polaire et j'avais bien envie de savoir. De son côté, elle savait sans doute bien envie de vanter son plan aussi bien réglé que du papier à musique - voire de me demander conseils et piston. D'un certain point de vue, c'était gagnant-gagnant.
a suffisance de Deborah titille son intérêt, sa curiosité. Comme un défi lancé à la rose, pour lui susurrer de se laisser tenter, de trouver la faille et de s’y plonger toute entière pour l’entendre cracher, grogner, la pousser dehors. C’est peut-être ça, finalement, son problème à Mana. Non pas l’assurance qu’elle soit la meilleure du monde, qu’elle mérite les tapis rouges et les caméras braqués sur son corps de rêve, mais son besoin de se venger de ceux qui ne lui ont rien fait. Ou encore rien fait. De cette envie constante de planter les crocs, d’arracher des cris et du sang. Le monde est un champ de bataille et Manhattan refuse d’en être la victime. Elle attaque pour ne pas avoir à se défendre. Pour ne plus avoir à se défendre.
Évidemment, elle n’en dit rien. Les yeux clairs braqués sur les cheveux roux de son interlocutrice. Elle sait ce qu’elle ne peut pas avouer, ce qu’elle doit garder pour elle. Elle n’a pas besoin de conseils sur ses envies. Mana est, plus ou moins, lucide sur ce qui vibre au fond d’elle, sur ce qui a toujours éveillé de mauvais sentiments en elle. Abandonnée, critiquée, sans cesse moquée, pourquoi ne choisirait-elle pas, aussi, la méchanceté ? La gentillesse ne fait avancer personne, dans la vie. Elle préfère écraser les autres sous ses pieds, comme on l’a écrasée, jetée dans la forêt, à moitié crevée.
– Complexe, répète-t-elle, aussi, l’air pensive. Je peux comprendre l’attrait du X, ceci dit. (Petit sourire innocent bien loin des sous-entendus qu’elle tend.) Ils ont sûrement peur d’être trop… simples. Il n’y a rien de plus ennuyant qu’un problème qui se résout d’un claquement de doigts.
Elle a toujours préféré le mystère, les non-dits qui crient trop fort, qu’on essaie d’ignorer, mais desquels on ne peut se détourner. Les secrets donnent envie d’être dévoilés, décryptés, pour accéder à une personnalité trop voilée. Pourtant, elle sait, elle sait que les énigmes sont plus intéressantes quand personne ne les trouve. À une autre époque, elle s’est plu dans le mystère d’un autre, dans cette aura opaque qui le recouvrait tout entier. Si le masque était tomé, si, du jour au lendemain, il avait tout avoué, que serait-il advenu d’eux ? Il a préféré s’enfuir dans son nuage de fumée. Au fond, c’est peut-être mieux ainsi. Ne pas avoir à s’inquiéter, à se demander s’il viendra, ce soir, s’il n’a pas été tué. Ha ! rien à foutre, sérieux, le déni est plus attirant que la vérité.
Manhattan échappe un rire amusé, aux mots de Deborah. Elle aime sa prudence, ce besoin de s’assurer qu’il ne vienne pas squatter devant chez elle, parce qu’elle aura daigné lui montrer un peu d’intérêt. Elle ne sait pas si celui à qui elle pense en serait capable. Il a un petit poids à la place du cerveau, à n’en pas douter, mais il semble se complaire, lui-même, dans la solitude qui le tient à l’estomac. Elle en connaît un autre, en revanche, qui n’est pas foutu de comprendre quand on ne veut pas de lui, quelles limites à ne pas dépasser et qui commence, sincèrement, à lui taper sur le système. Mana est un électron libre qui s’accroche à peine et tout le monde le sait. Les autres s’y font, l’acceptent, ne font pas mieux qu’elle, en vérité. Mais lui… à la prochaine marque d’affection, elle n’est pas certaine de ne pas le frapper.
– Ça devrait aller avec celui-ci, mais si tu veux me débarrasser d’un parasite, en l’envoyant en prison pour avoir squatté ta pelouse, je dis pas non.
En vérité, elle ne veut pas que Deborah se débarrasse de ses boulets. Manhattan est assez grande pour s’en charger toute seule. Quand elle l’aura décidé, quand il sera temps, il ne sera qu’un souvenir diffus, quasiment oublié à l’instant où elle détournera les talons pour ne plus le voir. En attendant, elle supporte, teste le terrain, essaie de voir s’il osera, s’il aura l’audace ou la folie de la faire chanter avec tout ce qu’il a deviné d’elle. Mais quelle preuve a-t-il, de toute façon ? C’est ce doute qui la maintient, encore, à son bras.
Il vaut mieux se détourner de toutes ces questions et ne parler que d’elle. Mana en avoue plus qu’elle ne le pensait, au départ, en se présentant à la porte, mais elle ne voit pas le danger. Ce ne sont que des mots lancés au hasard, pour cacher ses mensonges derrière des vérités. Elle essaie, du moins, de se persuader qu’elle ment, qu’elle ne dit pas que la vérité. Elle n’a rien d’une enfant faible, à peine capable de mettre un pied devant l’autre sans tomber. Pourquoi aurait-elle besoin de se confier sur ce qui a été ses vies ? Non, ce n’est qu’un stratagème pour atteindre Deborah, la persuader qu’elle a confiance, qu’elle vient en toute innocence.
Reste-t-il une seule once d’innocence chez Manhattan ?
Ton avis ? Petit rire au fond de ses yeux clairs. Elle n’en dit rien, la rose, mais les mots se pressent contre ses lèvres et elle les avale lentement. Ne pas attaquer, ne pas attaquer, répété comme un mantra pour ne pas craquer. Elle se contente d’un sourire entendu, devant la meilleure affirmation qu’elle ait entendue, aujourd’hui. Peut-être, même, depuis le début de sa semaine. Les enfants n’ont pas les limites imposées par l’age adulte, la prise de conscience du bien et du mal. Ils écrasent parce qu’ils le peuvent, sans réfléchir, et Manhattan n’a pas voulu se laisser faire, devenue la reine de l’arène. Elle a frappé des poings, claqué des dents, jusqu’à comprendre que les jupes attirent plus que le sang.
Elle voit, Mana n’en doute pas. La suite, en revanche, la force à détourner le regard, prendre une gorgée de champagne le temps de réfléchir à ce qu’elle dit. Ou, plutôt, d’essayer de se soustraire aux questions, aux idées, aux images qui s’imposent dans son esprit. Devant qui a-t-elle paradé, comme s’il en était digne, avant qu’il ne se détourne et qu’elle ne le voit plus jamais ? Tch, elle ne veut pas y penser, mais elle passe son temps à y penser, comme s’il pouvait surgir, soudain, la main tendue pour attraper la sienne, les doigts serrés pour lui taper le front et lui cracher à quel point elle l’emmerde. Moi aussi, moi aussi tu me saoules, mais au fond, ses grondements lui manquent autant que ses cheveux rouges, au bas de la fenêtre de l’orphelinat.
Ce qui la ramène à Deborah et ses cheveux roux. Storybrooke n’est pas assez bien pour elle, Manhattan approuve d’un hochement de tête. Même si elle sait, au fond, qu’elle a surtout besoin de fuir, de se perdre dans la foule pour ne pas penser à une ville si petite que les indésirables se croisent à tous les coins de rue. À force de mordre et de griffer, sans cesse, ceux qui acceptent de tendre les doigts vers elle, Mana aura tôt fait de n’avoir plus que des ennemis. Et elle sera, alors, peut-être jetée à nouveau entre les pins géants, à cracher son dernier souffle sans personne pour la récupérer.
– C’est pas si mal, accorde-t-elle, avec un rire ravi. Tu remontes le niveau de cette ville de campagne. C’est à se demander pourquoi tu perds ton temps ici. Les habitants ne sont pas, franchement, rattrapables. Remarque, tant qu’ils continuent de croire le contraire, alors ils casquent et le champagne n’est plus un plaisir si rare, pas vrai ?
Pomper l’argent des idiots, ce n’est pas une si mauvaise idée, au fond. Heureusement pour Manhattan, elle a négocié pour ne pas être celle qui paiera cette petite visite à Deborah. Elle n’en a pas les moyens, l’orpheline incapable de se trouver un job stable. Elle papillonne d’un travail à un autre et n’obtient même pas de quoi séjourner dans son propre appartement. Elle est, sans doute, un parasite, elle aussi, mais elle assume totalement. Ce n’est, selon elle, qu’un mode de vie temporaire, puisqu’elle aime obtenir elle-même, sans demander d’aide. Elle en a besoin pour ne plus dépendre de ceux qui ne veulent pas d’elle.
– Comme tu t’en doutes : je vise le top du top. Si haut qu’il faudra être complètement idiot pour ne pas savoir qui je suis. (D’un geste plein de suffisance, elle repousse ses cheveux roses.) J’aurais pu devenir model, mais ce n’est clairement pas assez. Qui connaît leur nom et leur visage, à part les rares qui s’y intéressent ? Le véritable pouvoir, la véritable influence ne vient plus de ceux qui font la mode, mais de ceux qui la portent sur les plus grands écrans possibles. Tu me suis ?
Manhattan prend le temps de finir sa flûte, pour remettre ses idées en place, et trouver les mots qu’elle peut donner, ceux qu’elle doit cacher, la meilleure manière d’obtenir ce qu’elle veut sans avoir besoin de le réclamer. Ne rien devoir à personne est, sans doute, la deuxième leçon de vie qu’elle a apprise.
– Je pourris ici le temps d’avoir assez d’argent pour m’envoler jusqu’à L.A., la ville des stars, c’est pas trop haut viser, les autres sont juste jaloux. Ils aiment pas trop comprendre que je leur échappe et qu’ils m’arrivent pas à la cheville. Qui perdrait son temps ici quand il y a tant de possibilités ailleurs ? Ils me sous-estiment et pensent que je vais m’effondrer comme toutes les autres pétasses qui tentent leur chance. Mais elles ne savent pas y faire, elles. Moi, je sais. En un rien de temps, je suis sûre que j’aurai trouvé l’agent qui comprendra tout ce qu’il a à gagner à travailler avec moi. Ceux qui ne le comprennent pas ne me méritent simplement pas.
Et elle hausse les épaules, innocente. Au fond, elle est fière de son coup, mais fait mine de rien. Ce n’est vraiment qu’une coïncidence, toute cette histoire. Un malheureux hasard qu’elle n’a pas prévu, si, si.
Deborah Gust
« Sarcasm: punching people with words. »
| Avatar : Catherine Tate
- Youhou Deborah, regarde ce que je sais faire !
- C'est bon, je démissionne, j'en ai marre des débiles.
| Conte : Inside Out | Dans le monde des contes, je suis : : Disgust
Moi, en tout cas, je n'avais pas peur d'être "trop simple". Globalement, je n'avais peur de rien. Et surtout je savais que je n'avais pas besoin d'un X pour être complexe. Je l'étais, point final, à la ligne. Le seul fait que seuls de rares esprits parvenaient à deviner qui j'étais réellement ne faisait que me conforter dans cette conclusion. Je rendis son sourire à Manhattan et murmurai que oui, ça devait sans doute être ça, ne m'attardant pas sur le fait qu'un problème qui se résout en un claquement de doigt c'est quand même parfois bien pratique. Evidemment, quand on est soi-même le problème, ça fout un sacré coup au moral si on est perçu à jour trop rapidement. Je le conçois mais, comme je le disais plus haut, je ne comprends ce problème que de très loin, puisqu'il ne me concerne pas. D'une certaine façon, les "parasites" comme les appelaient Manhattan, comptaient parmi ces problèmes qui se résolvaient assez facilement et la perspective d'avoir suffisamment de pouvoir pour envoyer quelqu'un en prison pour violation de domicile parce qu'il avait pénétré sur ma propriété me rendit quelque peu rêveuse. Avais-je réellement autant de pouvoir ? Je voulais naturellement y croire mais c'était sans compter sur la police de Storybrooke qui ne fonctionnait définitivement pas comme toutes les autres polices. Pas sûre, malheureusement, qu'elle n'accepte d'envoyer quelqu'un en prison pour si peu. Sinon j'aurais sans doute déjà réussi depuis longtemps à faire enfermer à vie Dyson Walters au motif que je le trouve très laid. - Si la police est prête à coopérer pour enfermer un nuisible, pourquoi pas, répondis-je tout de même à Manhattan, un sourire mesquin sur les lèvres, même si je ne comptais pas réellement dessus. Ca ne nous interdisait pourtant pas de fantasmer, moi au pouvoir que je pouvais obtenir, elle à la meilleure façon de se débarrasser de son nuisible. Toutefois, elle ne semblait pas être le genre de femme qui préfère laisser à autrui l'immense satisfaction de mettre ses ennemis KO. Et elle avait bien raison ! Ca faisait partie des petits plaisirs de la vie, ceux dont on se délecte en souriant diaboliquement parce qu'on a gagné la partie. La vie, c'est un peu comme une partie d'échecs, de toute façon. Et manipuler les pions, personnellement, j'adore. Je n'envisageais toutefois pas Manhattan comme un pion. Je ne pensais pas qu'elle pourrait m'apporter autre chose qu'un peu de répondant verbal (qui était très apprécié, cela dit) et savais que c'était elle qui était venue me trouver. Dans cette configuration, c'était plutôt à moi de veiller à ne pas devenir sa petite marionnette qui exécute ses moindres désordres. J'étais une sorte de petite voix de la conscience améliorée, pas Cendrillon, ne mélangeons pas tout. Et j'avais, je crois, cerné certains aspects de Manhattan. Non pas que ce soit tellement difficile. On ne se pavane jamais sans raison et Manhattan en avait une excellente : elle était une star, si non aux yeux du monde, au moins aux siens, ce qui était un début prometteur. On ne peut de toute façon pas être aimé des autres si on n'arrive pas à s'aimer un peu soi-même, à au moins s'apprécier ou, si vraiment c'est trop difficile, à au moins se supporter. La confiance et la détermination sont des qualités primordiales pour évoluer dans un panier de crabes comme l'est le show business. Ca pouvait être intéressant pour moi aussi de suivre cette ascension. Les profils comme les siens étaient rares à Storybrooke, alors que c'était, paradoxalement, la ville qui concentrait le plus de têtes couronnées au monde. Et pourtant, en dehors d'elle et d'Erwin (un autre de mes chers amis), je ne voyais personne prêt à conquérir le monde, exception faite de Gabriel (un autre cher ami) mais lui avait déjà réussi son coup. Il avait conquis le monde de la monde. Quant à moi, je n'avais pas tenté ma chance au delà des frontières de la ville, détail qui ne manqua pas d'échapper à Manhattan. J'avais anticipé cette remarque et j'appréciais qu'elle l'ait faite. Le contraire m'aurait, en fait, profondément agacée. Nous ne nous étions pas lancées dans une cascade d'auto-congratulations mutuelles pour que ça n'aille que dans un seul sens. Sinon, par définition, ça ne serait plus mutuel, CQFD. - Je reste ici pour dénicher les rares talents prometteurs qui méritent que je m'intéresse à eux et que je les aide à devenir la meilleure version d'eux-mêmes, répliquai-je sans ciller. C'était plus ou moins la vérité. Je n'allais pas lui raconter que j'étais une émotion qui ne vivait que pour "émotionner" chez les autres, les piloter et les guider sur le chemin mal pavé qu'est la vie. Je n'allais pas non plus lui confier qu'en dépit de mes allures de star, ma véritable vocation était de mettre tout mon talent et mon savoir-faire au profit d'un autre - idéalement un hôte et, faute de mieux, quelqu'un en quête de la perfection. - C'est vrai que les gens comme toi sont rares, poursuivis-je en sirotant ma flûte de champagne. Ceux qui te sont inférieurs sont bien plus nombreux, ce qui me permet de financer un train de vie qui, comme tu en fais l'expérience, est plutôt confortable. Les choses me conviennent comme ça pour le moment et quand j'en aurai marre, j'irai sans doute faire un tour à Hollywood ou prendre la place d'Anna Wintour. Ces perspectives ne me déplaisaient absolument pas mais je savais qu'elles m'éloigneraient incontestablement de Dégoût. Or j'aime suffisamment Dégoût pour parler d'elle à la troisième personne. Je vous laisse donc compléter vous même le raisonnement, je pense que c'est à votre portée. Manhattan, elle, ne pouvait pas avoir conscience de tout ceci. Pour elle j'étais seulement celle qui faisait payer ses conseils très chers, qu'ils fonctionnent chez qui les quémandait ou non. C'était pas mon problème si les gens ne voulaient pas ou ne pouvaient pas s'améliorer. Je ne faisais pas dans la charité et je l'avais suffisamment clamer haut et fort pour espérer que toute la ville soit au courant. De ça, elle devait sans douter et elle avait, sans doute, trop de fierté pour espérer de la charité de ma part. La jeune femme continua donc de m'exposer ses hautes aspirations. Le top du top, rien de moins. C'était raccord avec tout ce que j'avais déjà appris et déduit de sa personnalité. J'opinai toutefois pour réaffirmer que j'entendais et comprenais sa volonté. Mais je ne pus m'empêcher bien longtemps de me fendre d'un rire méprisant. - Eh bien il y aura encore plein de monde pour ignorer qui tu es quand tu seras au top du top. Parce que si on mettait tous les cons dans un placard y aurait plus grand monde pour fermer les portes, raillai-je. Et quand je pense qu'on est plus de sept milliards sur Terre, je vous laisse imaginer le paquet de cons qu'on se traîne sur la planète. - Mais je te suis, oui. Tu as clairement les courbes et la gestuelle pour être model mais ce n'est pas vraiment le mannequin qu'on veut regarder et ce n'est assurément pas lui qu'on envie. C'est le créateur derrière. On fait défiler les vêtements sur des personnes pour que ce soit plus attrayant mais les vraies stars seront toujours l'habit et son styliste. J'accompagnai cette remarque d'une longue gorgée de champagne puis reportai mon attention sur Manhattan. Elle avait (volontairement, je le sentais) laisser le silence s'installer, comme pour nous préparer au vif du sujet et l'aborder de la meilleure des façons. Ce qui lui permettait aussi de soigner son effet, le silence faisant partie intégrante de la conversation. J'attendis donc patiemment et eu finalement la révélation. Los Angeles. La Cité des Anges. J'acquiesçai. Manhattan n'était clairement pas la première et certainement pas la dernière à vouloir s'y établir. Mais c'était, une fois encore, raccord avec ses ambitions. - Quand on a de pareilles ambitions, il faut être prête à se défaire des poids qui nous ralentissent. Accepter parfois - souvent - de le faire brutalement, de tracer la limite entre ce qui est classe - toi - et ce qui ne l'est pas - ceux qui ne t'arrivent pas à la cheville. Et puis c'est mieux, personne n'a envie qu'un ami d'enfant gênant vienne raconter ses pires moments au Saturday Night Live. Parce que la honte, la vraie, de vraie, ça peut te suivre comme une ombre, affirmai-je. J'aurais aussi pu affirmer que je voyais clair dans son jeu. Que la mention nonchalante de l'agent dont elle aurait besoin n'avait rien de nonchalante. Qu'elle était aussi calculée que tout ce que je fais et tout ce que je dis. C'était bien joué, en plus. Demander sans demander, c'est l'une des choses que je préfère. C'est encore mieux quand on arrive à faire croire que la personne à qui on a demandé sans demandé est à l'origine de l'idée. Elle a la sensation d'être un génie alors qu'elle vient de se faire manipuler comme un bleu. - Oh je ne doute pas qu'il y ait des TAS de raisons de vouloir devenir ton agent, repris-je pour abonder dans son sens. A long terme, financièrement ce sera sans doute très intéressant parce qu'il te prendra 10 % de tous tes cachets. Alors, bien sûr, 10 % de rien ça reste rien... Mais nous savons toutes les deux que tu accompliras bien plus que rien. Et LA, ça devient intéressant. A court et moyen terme, tu as évidemment une tonne de potentiel. Je parie que tu peux tout faire ? que tu as tous les talents ? que tu es mieux qu'Anna Hathaway ? plus populaire que Jennifer Aniston ? Mais la vraie question c'est : pourquoi tu parles d'avoir un agent ? Je veux dire, sans vouloir te paraître cavalière, hein, en toute sincérité, tu as l'air tellement brillante et au fait de comment les choses fonctionnent que tu pourrais aller au top du top toute seule, non ? Et puis... Tu m'as pas trop l'air partageuse, accessoirement. Je t'apprends rien quand je dis qu'un agent c'est comme un associé. C'est un partenaire. Il faut lui faire confiance. Accepter ses remarques et surtout ses critiques. Si malgré tout ce que je connais de toi tu penses quand même que tu réussiras mieux avec un agent, à mon avis, y en a pas des masses qui sauront t'affronter sans y laisser des torrents de larmes et leur confiance en eux. J'avais volontairement évité de parler de besoin. Je sentais que ce mot révulsait Manhattan et ce n'était pas mon but. Je voulais seulement la tester. Voir ce qu'elle avait à dire à quelqu'un qui ne marchait pas tout droit dans la direction qu'elle avait pavée pour lui. Parce qu'en soi, même si c'est pas mon taf, je peu très bien devenir agent. Je peux tout faire. Suffit que j'en ai envie et c'est là que le bat blesse. Mais j'avais aussi sous-entendu que très peu de personnes lui conviendraient, ce qui revenait à dire "je sais que tu ne peux pas te passer de moi mais la réciproque n'est pas forcément valable".