Affalé sur le canapé, Timothy regardait à moitié la télé, tout en plongeant, de temps en temps, la main dans un bol de pop-corn. Même s’il aimait bien le film Dinosaure, il devait avouer que ce n’était pas la première fois qu’il le regardait et, comme toutes les fois où Tim revoyait quelque chose qu’il avait déjà vu, il ne le faisait qu’à moitié, persuadé de perdre un peu son temps. Il pourrait tout aussi bien passer ces heures-là à faire autre chose, quelque chose de nouveau. Comme tester un jeu ou dessiner son prochain tome.

Il ne bougeait pourtant pas du canapé, bien installé au milieu des coussins, et il aurait été vain d’essayer de le sortir de là. Même les pauses pipi n’étaient pas si fréquentes, chez lui, comme si l’écureuil se mettait en pause à l’instant où il se préparait à une journée « flemme et glandouille ». Le même phénomène arrivait quand Timothy recevait un nouveau jeu et passait toutes les prochaines heures de sa vie à l’exploiter à son maximum.

Ce qu’il avait d’ailleurs fait avant de se retrouver dans ce canapé, devant Dinosaure.

Moignon avait passé les derniers jours à explorer un univers de science-fiction, inventé de A à Z, à essayer de débusquer les bugs, critiquer les dialogues qui ne lui plaisaient pas, les designs qui n’allaient pas. Il avait tant exploité la console qu’elle avait surchauffé et qu’il avait été forcé de l’éteindre pour quelque temps. Évidemment, en sortant de sa chambre, Tim s’était fait engueuler. La tête basse, l’air absent, il s’était contenté d’accepter les critiques sans les écouter vraiment. Il était adulte, bordel ! Il faisait ce qu’il voulait.

Ce qui passait par la fuite chez Ishanee. Au moins, elle, elle ne le jugeait pas s’il se jetait dans un canapé pour quelques heures, sans plus bouger ! Elle faisait comme lui et regardait les films qu’ils mettaient à la télé avec beaucoup d’intérêt. Enfin ! Enfin quelqu’un capable d’apprécier les mêmes choses que lui ! Bon, il ne se faisait pas d’illusions non plus. La jeune femme avait d’autres choses à faire de sa vie, elle, et elle n’était pas autant à fond que lui dans toute cette histoire, mais c’était déjà ça de gagné.

Voilà donc comment il en était arrivé à lui envoyer un SMS, sans trop trop lui demander son avis, en vérité, puisqu’il était presque à la porte de l’appartement quand il avait appuyé sur « envoyer ». Elle ne le savait peut-être pas, mais c’était le cas. À la base, ils ne devaient regarder qu’un film, pour détendre un peu Moignon et se faire oublier de ses colocataires. Puis ils avaient enchaîné sur le deuxième. Et le troisième. Et si personne ne bougeait Tim, il enchaînerait tout le weekend, ça ne le dérangeait pas, lui.

Les mots d’Ishanee arrachèrent Timothy à sa rêverie. Il n’avait pas beaucoup dormi, dernièrement, puisqu’il pensait que c’était une perte de temps affreuse et qu’il testait son nouveau jeu, alors il profitait d’un film qu’il avait vu pour somnoler un peu. Il ne dormait pas vraiment, mais ça rechargeait ses batteries et, bientôt, il pourrait repartir à fond la caisse pour le reste de la journée, de la nuit et du weekend aussi.


Haha ! Ouais…


Moignon lorgna sur ses propres mains et remua ses dix doigts. Il se souvenait parfaitement de l’époque où il n’en avait que huit et la longueur de ses bras… rivalisait avec ceux des Carnotaures, en vérité… Bon, proportionnellement parlant, Moignon n’avait pas l’air ridicule comme eux, avec leurs tous petits bras qui remuent sous leur grosse tête, mais il n’en était pas loin quand même. Et tout le monde se moquait de lui, à l’époque. Alors, forcément, la compassion d’Ishanee le mettait un peu mal à l’aise.

De toute façon, ils préfèrent sûrement manger cru, alors les barbecues, j’pense qu’ils s’en tamponnent pas mal, tu vois. Ça existait même pas, à l’époque. Les poêles non plus d’ailleurs.

Il ne préféra pas soulever le fait que, même avec des bras parfaitement proportionnés, sur un grand corps comme le sien, attraper des poêles n’était pas toujours la chose la plus aisée au monde… Timothy était loin d’être un bon cuisinier et il avait, d’ailleurs, interdiction de tenter quoi que ce soit avec la gazinière de la colocation. Juste au cas où…

Mais justement ! s’emporta-t-il, un peu. C’est comme les serpents ! Avant, ils avaient des pattes pendant hyper longtemps et comme ça leur sert à rien, tu vois, ils en ont plus maintenant ! Ils ont peut-être pas eu le temps d’évoluer, c’est tout.

Ce qui lui donna soudain envie de jouer à Pokémon. Mais il se retint de sortir la console portable, dans sa poche, qui ne le quittait jamais. Juste au cas où. Un peu comme les vêtements pour certains ou les armes pour d’autres. Il se sentait nu sans son téléphone et sa console. Et Timothy n’était pas franchement à l’aise avec la nudité, ni la sienne devant les autres, ni celle des autres.

En plus, ils ont pas la bonne taille, dans ce film. Ils étaient carrément plus petits, normalement. Mais faut voir le bon côté, tu vois : ils ont la classe, avec leurs cornes, du coup, ils sont dans pleiiins de choses. Enfin, ils ont inspiré, quoi. Comme dans Monster Hunter.

Même s’il était largement customisé pour le bien du jeu, mais ce n’était pas Tim qui allait critiquer. Le Glavenus a trop la classe, on en oublie ses petits bras ridicules.

Un peu perdu lui-même dans des pensées qui n’avaient pas lieu d’être, Timothy essaya de se persuader qu’il n’avait rien à voir avec un Carnotaure et que la compassion d’Ishanee, à leur sujet, ne pouvait pas correspondre à son corps d’origine. Ce qui était bien mieux ainsi. Tim n’avait pas besoin de compassion. Il avait été ce qu’il avait été et il ne regrettait rien. Ce qui le dérangeait le plus était d’avoir été moqué, constamment, comme la seule chose évidente à faire, à l’époque. Bon, il devait bien avouer qu’il méritait plus ou moins, mais quand même !

Il se tira de ces pensées, ne voulant plus s’attarder sur le sujet, pour plonger tête baissée dans l’explication des Carnotaures incapables de faire à manger. Ce n’était pas comme s’ils en avaient envie, de toute façon. Tim croyait dur comme fer que les dinosaures étaient bien contents de tout bouffer cru et qu’ils ne cherchaient pas à faire autrement. Tout comme lui pouvait manger des noisettes sans s’arrêter, même à peine sorties de leur coquille. C’était à peu près la même chose, non ? Peut-être pas, mais ça lui donna envie de manger des noisettes.

Ishanee enchaîna, à l’instant où Timothy se perdait dans le souvenir bleuté d’un beau Glavenus, avec cette lame mortelle au bout de la queue. La bête était impressionnante et il adorait partir à la chasse au Glavenus, dans Monster Hunter. Même s’il ne s’agissait pas de son monstre préféré du jeu. L’écureuil papillonna des yeux pour s’arracher au souvenir du bruit des dents du Glavenus contre sa lame, pour l’aiguiser, et se concentrer sur ce que son amie lui disait.

Je pense qu’ils s’en tamponnaient pas mal. Même pas sûr qu’ils aient vraiment été intelligents à ce point. C’est juste des gros animaux, au final.

Timothy haussa les épaules, persuadé que les choses seraient finies là. Même un frigo, il était sûre que les dinosaures n’auraient pas su quoi en faire. D’ailleurs, venant d’Ishanee, il ne s’attendait pas vraiment à ce genre de réflexion. Faisait-elle cuire des trucs, elle, dans son monde ? Il en doutait fortement. Lui, par contre, il avait déjà utilisé des barbecues, mais ça finissait toujours très mal. Soit Moignon foutait le feu, soit M. Chat mettait Coin-Coin au feu… Les barbecues, du coup, c’était pas franchement sa tasse de thé.

L’asiatique se perdit à nouveau dans le film et dans une sorte d’état second qui lui permettait de recouvrer des forces. Pour lui, la conversation était terminée. Peu importait, au fond, que les Carnotaures ou les T-Rex aient eu de tout petit bras ! Les dinosaures n’existaient plus et ce n’était qu’un film, qu’ils regardaient. Rien de vraiment fidèle à la réalité, sinon les T-Rex auraient des plumes et les Iguanodons des becs. Ce qui n’était pas le cas.

Ce fut sans compter sur Ishanee qui revint à la charge avec une drôle d’illumination qui, sans aucun doute, n’aurait jamais popé dans l’esprit de Timothy. Lui, il se tenait loin de ce genre de pensées-là. Tout ce qui se rapprochait de près ou de loin à l’accouplement ou la sexualité ne le regardait pas ! Ça ne l’intéressait pas vraiment, non plus. Même s’il ne se cachait pas une certaine attirance pour la gente féminine, il préférait faire semblant que ces choses-là ne le touchaient pas.

Les mains plaquées sur le visage pour cacher le rouge à ses joues et, surtout, essayer de s’extirper des images que les mots d’Ishanee faisaient naître dans son esprit, Timothy soupira un grand coup. C’était mort, il n’y arrivait pas. Maintenant, il s’imaginait des choses qu’il ne pouvait pas voir et Tim avait toujours été connu pour son imagination débordante… Super. Traumatisé à souhait, le petit écureuil roux. Il préféra attendre un peu, le temps de se calmer, avant de répondre.

Ce qui laisse le temps à Ishanee d’enchaîner sur les Iguanodons et leur drôle de gueule. Timothy écarta les doigts pour regarder la télé. C’était vrai qu’aucun d’eux ne se ressemblait, mais de son avis à lui, il ne voyait pas le problème. Est-ce qu’il ressemblait à ses frères et sa sœur ? Il s’agissait pourtant de sa famille et personne ne pourrait lui dire le contraire. Un sujet qui réussit parfaitement à calmer la panique de Tim et ramener un éclair de lucidité dans son crâne.

Il paraît que les bras des T-Rex ne pouvaient pas leur servir à attraper leur proie, donc j’imagine que c’est pareil avec les Carnotaures, commenta-t-il, en passant une main dans ses cheveux noirs, le temps de réfléchir. Pour le reste… euh… faudra demander à quelqu’un d’autre, hein. (Surtout que parler de chat lui faisait immédiatement penser à son frère et il ne valait mieux pas.) Ils étaient peut-être plus grand avant, leurs bras. Ou c’est juste une erreur de mutation, comme un test, pour voir si ça servirait, puis non, donc ça a viré. Je sais pas.

Cette histoire de bras était trop compliquée pour que Timothy apporte une réponse claire à son amie. Elle devrait se contenter de ce qu’il savait à peu près ou demander à un vrai spécialiste. Si elle le voulait vraiment, il pourrait peut-être lui trouver les coordonnées d’un pro des dinosaures et comme ça, elle pourrait s’amuser à parler accouplement reptilien avec lui autant qu’elle le voulait. Tant que c’était pas avec Tim, tout allait bien.

C’est des monstres, pas dragons, la corrigea Tim, avec une grimace. Certains ont la forme de dragons, oui, mais pas tous. Le Glavenus, c’est un dinosaure. Il y a même un gros requin, un ours et une licorne. Mignon, par contre, je sais pas…

Les seules bêtes de Monster Hunter qui auraient pu être « mignonnes » aux yeux du monde, seraient sûrement Poogie le petit cochon, les Felynes ou les Melynx, et pour les plus cinglés des gens : les Moofah. Sauf que Timothy détestait les moutons, donc il ne pouvait pas être d’accord avec ça.

C’est qu’un film pour les enfants, c’est pas fidèle à la réalité, commenta-t-il, en pointant un doigt vers l’écran. Les Iguanodons, déjà, ils avaient un bec dur. Puis les bosses, c’est pour les différencier, sinon ils se ressembleraient trop et les enfants seraient perdus dans les personnages. Par contre, t’as pas tort, au fond. Les T-Rex avaient des bosses, sur la tête, qui grossissaient avec l’âge, donc on peut partir du même constat pour eux. Même si je doute que les vrais Iguanodons aient eu des bosses. Disons que le bosses, là, ça donne un air méchant aux méchants et un air un peu plus virile à Aladar par rapport à Neera. Je crois pas qu’il faille chercher plus loin.

Oui, bon. Timothy avait eu sa période dinosaure, voilà.

Par contre, si tu regardes bien, normalement, Bruton devrait te faire penser à un acteur de la télé, qui a réalisé des films, aussi. Bon, c’est vite fait, hein, t’attends pas à une ressemblance frappante non plus. Un dinosaure ça peut pas ressembler à un humain.

Les interrogations d’Ishanee avaient ce petit quelque chose d’étrange qu’il n’arrivait pas à expliquer. Elle ne posait même pas vraiment les questions à l’écureuil, mais il se sentait obligé de répondre, comme un fanatique de dinosaure pas du tout assumé. Ce qu’il n’était pas, évidemment. Il avait juste eu sa période dinosaures, comme tous les enfants, non ? Bon, il avait, peut-être, poussé les choses un peu plus loin que les autres gamins, mais Timothy aimait, étrangement, s’intéresser aux choses au-delà de leurs apparences. Pour lui, c’était cool de savoir que les T-Rex avaient des plumes, les Iguanodons des becs et que les bosses sur la tête des premiers servaient à leur donner un âge approximatif.

Néanmoins, la nouvelle interrogation d’Ishanee qui se perdit entre eux sur des airs de réflexion, il ne fut pas sûr de devoir y répondre. Il ne sut même pas ce qu’il devait répondre à ça. Les dinosaures étaient énormes et ils sont devenus tout petit. Les joies de l’évolution, oui. N’y avait-il pas une autre explication ? Sans trop savoir lui-même, Timothy haussa les épaules et donna l’explication qui lui semblait, à lui, la plus logique. Ce qui aurait pu se résumer à une seule idée, mais donna très vite un méli-mélo d’explications.

Bah ! ils étaient moins, non ? Comme sur les îles, t’sais ? Les créatures sont plus petites, parce qu’il y a moins de place. Donc peut-être qu’ils sont devenus plus petits, parce qu’ils étaient trop nombreux ? Ou c’est simplement à cause du changement climatique ? Dans tous les cas, ils se sont adaptés, quoi, sinon il n’y aurait plus eu de vie sur Terre.

Et plus de vie sur Terre, ça voulait dire au revoir Moignon et au revoir Ishanee, ce à quoi il ne préféra pas penser. C’était bien mieux comme c’était. Parfois, ça ne servait à rien de se poser trop de questions. Lui, il se contentait d’accepter que les dinosaures aient pu évoluer d’une manière ou d’une autre puisque tout, ensuite, menait à lui, à ce qu’il était aujourd’hui. Eux-mêmes ne faisaient-ils pas partie d’une drôle d’évolution ? Tiens, c’était peut-être ça, le problème des dinosaures : une sorcière s’était amusée à leur lancer un sort et pouf ! Tous des piafs !

L’écureuil remua un peu, sur son bout de canapé, ce qui ne ressembla pas à grand-chose, mais traduisit une partie de son malaise. Il ne fut pas sûr que les excuses de son amie arrangèrent la situation. Là où il pensait que ça passerait discret, sans que personne ne revienne sur la question, elle appuya directement sur son malaise en indiquant qu’elle s’en était rendue compte. Malgré lui, il échappa une petite grimace qu’il tenta, tant bien que mal, de transformer en sourire. Elle ne pouvait pas deviner tout ce qui se jouait dans l’esprit du geek, après tout. Ce n’était pas vraiment de sa faute à elle, elle avait le droit de se poser des questions. Il fallait juste éviter de les lui poser à lui.

T’en fais pas, c’est rien, rejeta-t-il, avec un sourire un peu plus franc. Y’a des sujets sensibles pour tout le monde, c’est la vie. Faut juste éviter de parler de chat, de grenouille, de crapaud, de canard et d’écureuil et tout devrait bien aller.

Ou presque. Animal ou pas, la reproduction n’était pas son sujet préféré et Timothy était plutôt du genre à éviter la moindre allusion qui allait dans ce sens. Il avait, au fond du cœur, cette petite innocence qui le forçait à rougir devant une infirmière, alors pour le reste… imaginez. Il laissait volontiers ce genre de sujets à M. Chat qui, sans le moindre doute, devait être très à l’aise avec. Lui, il préférait les dinosaures, les jeux-vidéos et tout ce qui faisait de lui le petit geek du fond de la classe qui ne suit rien au cours.

Je t’ai dit, certains ont la forme de dragons, oui. Mais pas tous. Tu m’écoutes ou pas ? ronchonna-t-il, soûlé qu’elle ne fasse pas un peu plus attention à lui. Parce que c’est un monstre ! Roh ! Mais fais un petit effort ! (Il boudait un peu parce qu’elle critiquait indirectement son jeu.) Cette licorne, elle attaque, elle veut tuer, c’est pas une petite jument tranquille qui attend dans son coin. Le Kirin est très joli, ceci dit. Pas mignon, mais il pue la classe. Sauf qu’il est dangereux et chiant à chasser, voilà.

À l’instant où la conversation tournait autour des jeux-vidéos, de petites étoiles venaient danser dans les yeux de Timothy qui, sans même s’en rendre compte, s’était redressé dans le canapé. Il aurait été capable de sortir sa DS, là, tout de suite, pour lui montrer, sur son Monster Hunter de DS, que le Kirin était vraiment classe, mais par respect pour son amie (afin de s’éviter ce genre de digression), l’asiatique l’avait laissée dans sa chambre, bien au chaud quelque part. Il préféra, donc, sortir son téléphone, activer les données mobiles et surfer sur Google à la recherche de quelques images de Kirin. Google Images était plein de photos et fanarts de Kirin, ce qu’il lui montra en lui confiant son smartphone (preuve indéniable de son amitié pour elle, puisqu’il ne le confierait pas à n’importe qui).

Y’a beaucoup d’animaux qui jouent leur vie juste pour pondre des œufs dans un coin et prier pour qu’il y en ait au moins un qui survive. J’ai jamais compris, mais c’est la vie. Si tu veux un conseil, regarde pas les documentaires animaliers, c’est pas vraiment fait pour toi, à mon avis.

Il avait bien essayé, lui, dans ses insomnies passées sur la console à regarder, tout en même temps, la télévision (il était multi-tâches pour ce genre de choses). Mais l’écureuil avait bien vite arrêté. Déjà, entendre parler des races qui squattaient le même appartement que lui, ça le dérangeait. Puis il s’était vite rendu compte que la vraie vie était, parfois, trois mille fois plus violente que son monde à lui. Ce qui n’était pas rien…

On peut mettre… Dylan contre les ninjas zombies ! Le retour des carottes mutantes ! La vengeance de Zéphyr, le crabe bicéphale ! (Tim se para d’un grand sourire, conscient que ce genre de films n’existait que dans son monde à lui.) C’est bon, je déconne. Ooh, je sais, j’ai une idée. T’as déjà vu La Véritable Histoire du Petit Chaperon Rouge ? Franchement, si à la fin, t’es pas grave amoureuse de Secousse et que t’as pas la chanson du bouc dans la tête, je comprendrai pas.

Et il bouderait, sûrement, aussi, mais ça, il ne préférait pas le dire.

Vas-y, mets-le, tu verras, c’est drôle. Puis, tu devrais pas te poser trop de questions au moins, ça reposera ton cerveau, haha !

Ce qu’il dit sans méchanceté, juste comme ça lui venait. Des fois, lui, il aimait bien ne plus avoir à penser à rien.

Il pouvait bien être d’accord avec elle sur un point : Ishanee était toute petite. Minuscule à côté de Moignon et de son mètre quatre-vingt huit. Si petite qu’il adorait se tenir à côté d’elle pour se rappeler à quel point son corps était grand, dans ce monde-ci. Dans l’autre monde, Moignon avait été le plus petit de tous, moqué pour ça autant que pour le reste. Maintenant, il pouvait faire chier Bran sur sa taille, faire chier Ishanee sur sa taille et faire chier à peu près le monde entier sur sa taille. Ce n’était pas si souvent qu’on croisait des gens plus grands que lui.

Il n’en dit rien à son amie, mais ses pensées pouvaient, plus ou moins, se voir dans son regard un peu hautain. Sans méchanceté, évidemment. Il essayait juste de se rattraper à ce qu’il pouvait pour penser, enfin, qu’il n’était plus le petit raté de son monde et que les choses étaient différentes, ici. Au moins, on ne le moquait plus pour ça. Ce qui ne voulait pas dire qu’on ne le moquait plus du tout, mais c’était déjà ça de gagné, pour lui.

Timmy s’en voudrait sûrement de rappeler à Ishanee qu’elle était toute petite, à côté de lui, s’il savait qu’elle n’appréciait pas de l’être. Ça n’était pas le cas pour l’instant et il pensait juste qu’il avait le droit de se moquer, puisqu’il ne pouvait, de toute évidence, se moquer que de ça, lui, alors que tout le monde pouvait se moquer de tout le reste à propos de lui. Bon, OK, il s’en voulait déjà un peu. Même quand il rappelait à Bran qu’il était plus petit, Tim sentait une pointe du culpabilité au fond de son cœur. Mais merde ! Il avait le droit.


J’veux bien, ouais.


L’écureuil ne dit pas qu’il aurait préféré des noisettes, mais en effet, il aurait préféré des noisettes. Sauf que Timothy ne reculait jamais devant la nourriture. Aussi se pencha-t-il un peu vers Ishanee pour plonger la main dans le pot de pop-corn. Il fronça un peu les sourcils, persuadé d’avoir vu une chose étrange, sous les cheveux de son amie, dans sa nuque. Il n’en dit rien et se contenta d’enfourner une main entière de pop-corn dans sa bouche. Il faillit bien s’étouffer, oui, mais il s’en fichait. Il se contenta de toussoter et de manger. La mort ne l’arrêterait jamais de manger.

Face aux protestations de son amie, Tim ne put faire qu’une chose : une mine tout à fait outrée. Qu’elle était têtue ! Mais Timmy l’était aussi et il refusait de dire que les monstres de son jeu étaient mignons. C’était des monstres, point barre. Ça ne servait à rien d’aller chercher plus loin. Il préférait dire qu’ils avaient la classe, oui, ou que certains étaient franchement dégueulasses. Mais mignons, non. Mignon, ça brisait tous les mythes. Tim ne voulait pas être mignon. Comment ça, on ne parlait pas de lui ? Oui, bon, voilà. Ses monstres non plus n’étaient pas mignons et puis prout.

Oui, on peut le capturer, mais on le possède pas pour autant. Ça le donne à d’autres gens. Ouais, t’as raison, pas leur faire du mal, c’est vrai. C’est pas comme si les monstres essayaient de défoncer ton personnage et de tuer absolument toutes les autres bêtes sur la map, hein. C’est pour de faux, de toute façon, faut pas le prendre tant à cœur.

Malgré ses airs de je-m’en-foutiste, Timmy pouvait comprendre ce que voulait dire Ishanee et il essaya de la rassurer… à sa façon tout à fait bancale. Il savait que les jeux faisaient parfois perdre la tête à certains (sa propre sœur, en vérité) mais lui, il ne perdait jamais de vue le faire que ces choses n’étaient pas réelles et que ça ne servait à rien de s’énerver dessus. Ce qui l’énervait, lui, c’était le sort qui s’acharnait sur lui, pas les jeux en eux-mêmes. Sauf quand on lui demandait de tester des jeux de merde auxquels il ne voulait même pas penser… ou ce jeu pourrave que Sanada préparait. Une pensée qui le fit grimacer et ramena, en tête, la chose étrange sous les cheveux d’Ishanee.

Haha ! T’as pas vu les autres, va. (Mais ça l’amusait, au fond, ce soudain intérêt pour son jeu, et ça lui faisait plaisir.) Ouais, la vie, hein. C’est comme ça, que veux-tu. La survie des uns au prix de celle des autres. On peut pas vraiment comprendre ces choses-là, toi et moi.

Enfin, lui, en tout cas, il ne le pouvait pas, alors que dans son monde, personne ne mourait jamais. Enfin, si, une fois, un yaourt de Coin-Coin. Et il se rappelait de la tombe de sa grand-mère. Pour le reste… combien de bombes s’était-il mangé sans crever ? Sans parler de Coin-Coin l’indestructible et de M. Chat, parfois plié en quatre, littéralement, par Bad Ka.

Bah ! Tu dis ça, là, mais si tu les avais vus, ce serait pas pareil. (Après tout, au PTM, personne ne les aimait.) Nah, j’ai pas envie de me faire chier avec ça, perso. Y’a déjà pleins de films très bien, ici, puis j’ai autre chose à faire de ma vie. On a des métiers, je te rappelle. Perso, j’ai grave pas le temps quoi.

Oui, il exagérait un peu, mais il adorait faire semblant d’être très occupé. Ça lui donnait un peu d’importance et ça lui permettait de ne pas penser au fait que, dans le clan PTM, il était sûrement le plus grand des glandeurs.

Non, s’teuplait, on va éviter, hein ? (Il passa une main sur son visage, rien qu’à imaginer Ishanee chanter la chanson du bouc.) Allez, vas-y, mets-le.

Timothy rit un peu en voyant Ishanee essayer, en vain, de hausser un sourcil. Les siens, à lui, étaient très mobiles sur sa tête. En vérité, son visage entier était très expressif, ce qui l’empêchait de mentir à qui que ce soit, sur n’importe quel sujet que ce soit. Néanmoins, il s’inquiétait, quand même un peu, qu’elle croit vraiment qu’il essayait de se moquer d’elle. Il ne pensait pas à mal et ce n’était pas lui qui allait critiquer une bonne journée passée à buller sans avoir à penser.

Naaah ! J’oserais pas, voyons ! (Il joua des sourcils pour se moquer un peu, ok, mais gentiment, promis.) J’aurais dit pareil à tout le monde, t’en fais pas.

Ce qui était vrai. Timmy se contenta d’un haussement d’épaules et s’apprêtait à se concentrer sur un film qu’il aimait bien et, surtout, sur Secousse qu’il adorait, quand il remarqua, à nouveau, cette chose étrange, sur la nuque d’Ishanee. Cette fois, alors qu’elle se penchait un peu, il ne pouvait pas faire mine d’avoir rêvé et les images que le bout du tatouage, faisaient naître dans son esprit le forcèrent à virer rouge tomate. À l’écran, il ne voyait même plus Secousse, tant Timothy avait bugué.

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Toute cette histoire de monstre, Timothy préférait largement la mettre de côté. Il avait son avis sur la question et Ishanee avait le sien, mais il savait que leur amitié n’en prendrait pas un coup pour autant. Il n’essayait pas de lui imposer sa vision des choses, juste de lui faire comprendre qu’ils ne pouvaient pas être mignons. Ce qu’elle ne pourrait, certainement, pas piger avant d’avoir vu l’affreuse gueule du Khezu et cette manière qu’il avait de tendre son cou élastique pour attaquer. Le Khezu, c’était sûrement le pire de tous.

Quoi qu’il en était, le jeu fut écarté de la conversation et Timmy se concentra plutôt sur les films qui existaient dans son monde, mais ne trouveraient jamais leur public dans celui-ci. Là-bas, il était le seul à les avoir vus et le seul à en être fan. Ici, il ne doutait pas que ce fut toujours le cas, même s’il pourrait, peut-être, compter sur un ou deux tordus pour être d’accord avec lui. Parce qu’il fallait être tordu, sans le moindre doute, pour aimer les mêmes films que lui. C’était, du moins, ce que les autres avaient toujours essayé de lui faire comprendre.

Dans ce monde, les choses étaient différentes et Tim préféra dire à Ishanee qu’il n’avait clairement pas le temps de se lancer dans le tournage de film. Ce qui était vrai, au fond. Puis, de toute façon, il n’était pas réalisateur et l’écureuil laissait volontiers sa place aux professionnels. Il n’avait pas le talent nécessaire pour mettre en place ce genre de projets et surtout pas la moindre autorité pour diriger les acteurs. Il se ferait écraser en dix secondes, sans le moindre doute. Alors, il préféra décréter que son emploi du temps de ministre était trop chargé et qu’il avait mieux à faire à côté. Ce qui était presque vrai.

Il aurait peut-être dû s’attendre à ce qui arriva, ensuite, comme une évidence qu’il oubliait pourtant de prendre en compte. Moignon ne savait pas pourquoi il continuait d’espérer que le monde en sache assez sur lui pour savoir que, non, tester des jeux-vidéos, ce n’était pas vraiment son métier. Il finissait toujours par se prendre la vérité en pleine face : personne ne connaissait sa véritable occupation. Malgré lui, ça le fit grogner, un peu, et il remua sur son bout de canapé. Il savait, lui, qu’Ishanee était psy, même s’il ne savait pas comment elle avait pu se lancer dans une carrière aussi bizarre. Et s’il ne savait pas qu’elle était, aussi, mannequin, c’était surtout parce que son innocence en prendrait un gros coup dans le ventre.

C’est même pas mon métier, souffla-t-il, vexé. Puis tester des jeux, c’est pas si compliqué ! Je suis le meilleur, de toute façon, donc je vois pas le problème. (Se flatter tout seul lui permettait de passer un peu de pommade sur la blessure à son ego.) Ça me prend pas tant de temps que ça, en plus !

Si on oubliait de préciser que Tim ne dormait pas beaucoup, bloqué sur ses jeux-vidéos ou ses BDs ou ses films ou tout ce qu’il pouvait faire, parfois tout à la fois. Mais les vraies insomnies étaient assez rares, en vérité. L’écureuil pouvait veiller très tard et s’endormir finalement au petit matin, pour ne se réveiller qu’une poignée d’heures plus tard et recommencer. Passer la nuit entière, puis la journée sur le même jeu, c’était une chose qui ne lui arrivait que de temps en temps, quand le jeu lui plaisait assez pour que l’envie de dormir disparaisse.

Mais ce n’était, tout de même, pas son métier.

À l’évocation du talent de son amie pour le chant et la musique, Timmy grimaça un peu. Non pas qu’il ne la croyait pas, bien au contraire, mais il se sentit une nouvelle fois écrasé, comme des coups assénés sur le haut de son crâne pour l’enterrer, toujours plus profondément. Moignon n’avait aucun talent, mais tous ses amis étaient dotés de tant de talents que ça en devenait presque indécent. Oui, il était un peu jaloux, et ce même si savoir chanter ne l’intéressait pas le moins du monde. Mais, d’un autre côté, dans sa contradiction la plus importante, Timothy était, aussi, très fier de son amie et de ce qu’elle était capable de faire d’un claquement de doigts. On ne le changera pas.

Il n’en dit rien et se contenta de rire un peu. Avant de planter. Écran bleu et tout le bordel. Le vide complet dans l’esprit de l’écureuil, mises à part quelques images qu’il ne voulait pas voir, mais qu’il ne pouvait s’empêcher de regarder. Des photos qu’il avait eues le temps de voir, chez Sanada, et qu’il n’avait pas eu envie de voir. Tim était comme ça, avec cette innocence à lui qui le tenait loin des femmes en bikini. Si, de base, le jeu du Japonais lui avait semblé débile, comprendre qu’un des modèles était basé sur son amie… ça l’acheva. De la fumée aurait presque pu sortir de sa tête.

Quand Ishanee pencha une nouvelle fois la tête, Timmy ferma les yeux, comme si ça suffisait à le soustraire à la vision de ses tatouages qu’il n’avait jamais remarqués. Ou peut-être les connaissaient-ils, mais avait-il voulu se persuader du contraire, pour ne pas être traumatisé. Mais c’était trop tard, maintenant. Moignon était complètement traumatisé et le rouge à ses joues ne pouvait que le prouver. Il bondit du canapé en même temps que Secousse traversait l’écran de la télévision, avec la même vitesse, le besoin vital de s’écarter du danger. Puis, il pointa un doigt sur Ishanee et ouvrit plusieurs fois la bouche sans arriver à parler. Quand il réussit, enfin, à articuler, ça ne ressembla pas à grand-chose :



Le disque était rayé, bon à jeter. Moignon ne savait pas comment affronter la vision d’horreur (et ce n’était pas une critique contre Ishanee, mais contre la tenue portée sur les photos de Sanada) et dut prendre de grandes inspirations pour essayer de se calmer. Ce qui ne fonctionna pas du tout, évidemment. Paniqué comme rarement, il plaqua les deux mains sur son visage et se frappa un peu les joues, dans l’espoir de retirer tout ce qu’il voyait dans son esprit, ce qui ne marcha pas non plus. Finalement, il ouvrit les doigts pour regarder Ishanee, les mains toujours plaquées sur la tête, comme si ça suffisait à faire disparaître le rouge à ses joues.

Mais c’est quoi, ce bordel !!! cria-t-il, en revenant enfin sur Terre, ou presque. Depuis quand t’es tatouée ? Avoue que c’est des faux ou pour copier une fille que t’aimes bien. Ouais, voilà ! C’est ça ! C’est une imitation, hein ? C’est pas vraiment les tiens. Tout va bien.

Et les mains sur les hanches, il acquiesça plusieurs fois, comme pour se persuader lui-même de ce qu’il disait. Ce n’était pas des photos d’Ishanee en sous-vêtements qu’il avait vues, c’était une idole d’Ishanee, une fille qu’elle trouvait très jolie et à laquelle elle voulait ressembler, voilà. Comment ça, c’était débile ?

Hahahaha ! Tout va bien, oui, oui, tout va bien. Je me suis trompé, mais j’ai rien vu du tout. T’inquiète. Reprenons le film.

Mais Timothy était planté au milieu du salon, à quelques pas du canapé, et n’arrivait plus à bouger. S’il s’asseyait à côté d’elle, rien ne lui disait qu’il ne reverrait pas ses tatouages et les images que ça amenait avec eux, dans son esprit. Il ne voulait pas. Non merci. Néanmoins, stressé comme pas permis, Timmy eut soudain le besoin de manger, de mâcher pour se détendre, à défaut de pouvoir mordre la première chose qui lui passerait sous la main. Alors, il s’approcha à nouveau et, le regard un peu fou, il plongea la main dans le pot de pop-corn et enfourna le tout, qu’il mâcha frénétiquement. Une vieille habitude qui lui collait au corps. Stressé, faut que je morde. Combien de fois l’avait-il répété ? Ça n’avait jamais changé.