Depuis quelques jours, Luca cherchait un moyen de construire une nouvelle de ses étranges inventions, sans réussir à mettre la main sur les bons matériaux. Ses dernières idées ne s’étaient pas toutes très bien terminées : il avait confié ses yeux lumineux à une inconnue et ses chaussures à roulettes n’avaient pas apprécié les cailloux, dehors. Il ne restait que le balancier de son lit, qu’il n’avait pas encore fixé sous le matelas, et dont il ne pouvait, encore, juger de la réussite ou de l’échec. Avec beaucoup d’optimisme (ce dont il ne manquait pas), l’ancien robot se persuadait que le système était parfait et qu’il pourrait, enfin, s’endormir en se balançant, comme autrefois, alors qu’il se casait en carré dans une étagère.
Cette fois, il se tenait devant une boîte carrée, posée sur un plan de travail, à laquelle il essayait, tant bien que mal, de fixer une trappe qui s’ouvrirait grâce à un petit bouton, afin d’accéder à l’intérieur creux. La boîte était imposante, mais il fallait au moins ça pour lui rappeler son bidon d’origine, tout carré, tout creux, tout métallique. Et pour le brun, même si elle était grosse afin de correspondre à la taille de son torse, elle n’était pas si lourde à porter. Une fois qu’il aurait réussi à mettre en place le mécanisme, il n’aurait plus qu’à trouver des sangles et les attacher sur les coins pour pouvoir porter sa boîte devant lui et courir partout comme un dingue. Il finirait, sûrement, par montrer à tout le monde son nouveau bidon tout creux et il vaudrait mieux, ce jour-là, qu’il ne croise pas trop les policiers du coin. Il serait plus vite envoyé à l’asile qu’en prison, à n’en pas douter.
Quoi qu’il en était, Luca avait bien du mal, pour le moment, à fixer sa petite trappe. Tout le reste de la boite était prêt, il ne restait que le mécanisme pour enclencher la porte. Ce qui ne fonctionnait vraiment pas comme il le voulait. Il eut beau retourner le problème dans tous les sens, le brun ne comprenait pas ce qui clochait. Ce n’était pas lui, dans son monde, qui s’était construit. Tout ce qu’il savait faire, c’était se réparer avec les pièces des mêmes modèles que lui. Ce qu’il ne pouvait plus faire dans ce monde-ci, soit dit en passant, et ne lui plaisait pas vraiment. Il aurait aimé pouvoir changer de pieds quand il le voulait ! Il changeait de chaussures, c’était déjà ça de gagné.
Dans un petit « Zut ! » soufflé sur sa boîte, il posa les deux mains sur les hanches et parcourut le hangar des yeux, à la recherche d’un signe de ce qu’il devait faire. Évidemment, il ne vit rien qu’un bordel sans nom qui le laissa sans voix, les lèvres pincées et les sourcils haussés sur le front. Il hocha même la tête plusieurs fois, impuissant, et se décida à laisser tomber pour la journée. Il avait mieux à faire, de toute façon, que se prendre la tête sur quelque chose qui ne fonctionnait pas ! Puis, depuis le temps qu’il était plié sur sa boîte, Luca sentait des petites fourmis (une expression qui lui avait fait un peu peur au début) courir dans ses jambes, pour lui signifier qu’il était temps d’aller se défouler.
Luca bondit à l’extérieur, referma les portes coulissantes de son hangar et s’empara de sacs en plastique qu’il fourra dans ses poches, avant de bondir dans les rues de la ville en trottinant, un grand sourire aux lèvres. Comme à son habitude, il laissa le portail de la déchetterie ouvert pour laisser entrer ceux qui voulaient déposer des déchets ou venir chercher des petits trésors. Dans les rues, le brun décida, pour l’une des rares fois, de ne pas s’attarder sur les docks, mais de tracer jusqu’au centre-ville. Luca avait trop tendance à prendre son temps, tout fouiller, tout ramasser, et il sortait rarement de son quartier. Pour une fois, il voulait aller s’occuper du centre-ville, persuadé qu’il devait y avoir des tonnes de déchets et de trésors à ramasser.
Grand sourire aux lèvres, comme à son habitude, il fredonnait, parfois, une vieille chanson entendue dans l’un de ses films en noir et blanc, tout en ramassant, au fur et à mesure, les déchets qu’il trouvait par terre. C’était dingue de voir tout ce que tout le monde pouvait jeter
à côté des poubelles, mais il ne voyait pas trop le problème, lui. Il était fait pour ramasser, alors il ramassait, sans se poser de questions, très content de pouvoir s’amuser. Par moment, il relevait la tête, regardait les passants, et se demandait si, comme autrefois, il boucherait la circulation en se plantant droit comme un i sur leur route. Heureusement, il n’osait pas et se contentait de retourner à ses affaires.
Luca avait l’habitude de s’occuper lui-même de tout ce qu’il trouvait et que personne ne vienne, jamais, le déranger. « Déranger » était un bien grand-mot, étant donné que le brun ne crachait jamais sur un peu de compagnie. Il avait beau être habitué à la solitude, il n’en restait pas moins avide de compagnie et adorait passer un peu de temps avec les autres. Ça lui rappelait, au fond, qu’il n’était plus tout seul sur son bout de planète, à essayer de nettoyer une ville impossible à nettoyer.
Ce qui ne l’empêchait pas d’être surpris quand on entrait, soudain, dans sa petite bulle. Luca sursauta en entendant une petite voix, par-dessus son épaule. Il se figea sur place, accroupi par terre, et pris quelques secondes avant de se retourner très lentement. Il tomba, alors, nez à nez avec une jeune blonde qui parlait tout bas et lui tendait une boîte mystérieuse. Elle avait, dans les bras, un joli tigre qui ne manqua pas d’attirer le regard sombre de l’ancien robot. Il connaissait les tigres de nom, puisqu’il l’avait appris petit, mais il devait bien avouer qu’à part dans les films, il n’en avait jamais vu.
– Par… terre… hmmmm… (Luca regarda autour de lui, les yeux plissés.) Mais je suis déjà passé là. Non ? Si ? Hmm.
Le brun était sûr d’être passé, mais il n’avait pas vu la boîte, sinon il l’aurait ramassée. Enfin, il n’était pas tout à fait sûr. Un peu trop pris par l’exercice, il en oubliait, parfois, de faire très attention à ce qui l’entourait. Il n’aurait, par exemple, jamais pu dire que la blonde était assise sur un banc, à quelques pas de lui, encore une minute avant.
– Si c’est à jeter, tu peux jeter là, affirma-t-il, en désignant le sol. Comme tout le monde. Après, je ramasse, compte sur moi !
Un sourire fier aux lèvres, Luca leva un pouce et se décida, enfin, à se remettre debout. Il se gratta la tempe, pensif, en lorgnant la petite boîte qu’elle lui tendait.
– Mais elle a l’air trop cool, cette boîte ! Pourquoi tu veux la jeter ? Je peux la garder ?
Délicatement, Luca s’empara d’un bout de la boîte et attendit de voir si elle acceptait de la lui confier. Même si elle venait s’en débarrasser, il savait qu’on pouvait, parfois, changer d’avis d’un seul coup et préférait prendre ses précautions. Il ne voulait pas être accusé de vol ! Son papy lui avait dit que le vol, ce n’était pas bien.
– Regarde, c’est trop bien, ça glisse ! Zip, zip, zip.
La boîte levée devant ses yeux, il fit glisser l’ouverture, une petite planche qui coulissait dans des rails, avec le bout de l’index. Ouverte, fermée, ouverte… Il continua sans se lasser, très intéressé par le mécanisme. Si tant était qu’on pouvait appeler ça un mécanisme. L’écrin ne devait, de base, contenir qu’un stylo ou un bijou, mais Luca ne regarda même pas à l’intérieur, tout concentré qu’il était sur l’ouverture qui le fascinait.
– Au fait… (Il releva les yeux de sa petite boîte pour regarder la blonde.) Moi, c’est Luca ! Et toi ? Elle est jolie ta peluche.