Sérieux... Il y avait des gens franchement cons. C'était le cas du type qui était en train de discuter avec son père. Ange observait, analysait. Cela faisait longtemps maintenant qu'elle suivait son père dans ses magouilles, même si parfois l'envie lui prenait de faire un travaill "honnête", histoire de rester dans le système malgré tout. Bref, elle avait déjà pas mal appris, mais cela ne faisait jamais de mal de continuer à fréquenter son paternel. En l'occurence, là, elle venait d'apprendre un truc bien sympa : ne jamais manquer une opportunité. Jamais.

Parce que le type avait osé insinuer qu'elle était une pute ou la nouvelle nana de Charlie voire les deux, le bookmaker se retrouvait à payer plus. Et ce con écoutait avec attention les conseils de son vis-à-vis. Putain mais qui croyait vraiment que Charlie était un as en matière de courses de chien ? C'était n'importe quoi ! Et un mec plus avisé l'aurait tout de suite percuté. Mais pas leur pigeon. Et franchement on allait pas trop le lui faire remarquer. Même si bon, on pouvait considérer que Charlie était expert vu que c'était un ancien clebs, tout comme elle...

- Je vois je vois... Et si le clébard perd, ça se passe comment alors ? Demanda-t-elle avec curiosité.

Des fois les gens réagissaient mal quand les choses n'allaient pas dans le sens qu'ils souhaitaient. Jusqu'à présent, elle n'avait jamais eu à se plaindre de gens venant s'en prendre à eux. Quand elle était petite, elle dormait dans la caravane, par sécurité. Même si parfois elle avait dormi à la belle étoile, faisant le mur quand ça la gonflait de rester enfermée. Depuis, elle squattait de temps en temps chez des potes, dormait dehors ou dans la caravane qu'ils avaient toujours. Elle aimait bien cette vieille caravane d'ailleurs, ça lui donnait l'impression d'avoir un chez elle. Et de temps en temps, ça lui plaisait d'avoir un chez elle. Chose qu'elle n'avouerait jamais à son père bien évidemment.

- Je... Commença-t-elle, hésitante. Je m'sens pas bien c'est vrai... Mais ça doit être normal. Puis j'ai pas envie d'aller voir un doc, ils donnent toujours des trucs dégueulasses à prendre et ils coûtent une blinde.... Et le fric que tu viens de me donner, je préfère le garder pour moi.

Fric qu'elle avait rapidement planqué quand Charlie le lui avait tendu d'ailleurs. 60 dollars, on ne crachait pas dessus... Et personne n'irait les chercher dans son soutif sans son consentement donc bon, elle était tranquille à ce niveau-là. Quoi qu'une fois un connard avait essayé. Ange lui avait pété le nez et écrasé les boules. On lui avait foutu la paix pendant des mois après ça. Malheureusement, les hommes, ça oubliait vite. Alors en général, elle prenait un malin plaisir à leur rafraîchir la mémoire, d'autant que Charlie ne lui avait pas appris à se battre à la régulière, mais à faire des dégâts rapidement...

Ange haussa un sourcil en l’entendant lui dire qu’elle n’avait pas compris. Si si, elle avait très bien compris l’arnaque, qui consistait à se montrer tellement sûr de soi que les autres n’y voyaient que du feu et sortaient le fric. Ce dont elle avait besoin, c’était de la suite. Là où son père improvisait tout le temps, Ange, elle, aimait bien avoir une idée des conséquences pour pouvoir s’y préparer. Libre comme l’air, elle n’en était pas moins quelqu’un qui réfléchissait soigneusement à ses plans.

- Ouais je sais. Dit-elle en souriant tout en dégustant la clémentine qu’il venait de lui donner. Je me demande juste comment ça se passe si tu te trompes. Même si c’est pas souvent, c’est bien arrivé une fois ou deux non ? Comment tu t’en sors face aux gus que t’as foutu sur la paille ?

La jeune femme haussa un sourcil, surprise du changement de sujet. Noël… Pour elle cette fête ne signifiait rien du tout, puisqu’ils n’étaient que deux et que souvent, son père lui offrait des trucs piqués à un idiot riche. Elle ne pouvait pas lui avouer ce qu’elle souhaitait réellement depuis qu’elle était toute petite… Impossible, il le vivrait trop mal.

- Faudrait que je soigne mon langage et ma démarche alors si tu veux que je passe pour une riche héritière. Faisable. Répondit-elle en réfléchissant. Mais faudrait une robe un peu plus sage que celle-là, les gens se souviendraient trop de moi sinon…

Et elle ne voulait pas finir en taule.

Ange soupira face au temps de réaction de son père. Décidément, sur certains trucs, on ne pouvait pas compter sur lui. Ceci dit, l’inquiétude qu’il manifesta était sincère et la brune en vint presque à culpabiliser. Presque, parce que c’était lui qui lui avait appris à mentir de la sorte et que ça ne lui faisait pas de mal de tester à sa propre médecine…

- Je me porte comme un charme. Répondit-elle avec une voix légèrement hautaine, s’entraînant à la riche héritière. Sérieux Dad… Soupira-t-elle. Le gynéco ? Tu penses vraiment que je te parlerais de problèmes liés à ça ? Le questionna-t-elle en le fixant d’un regard aussi noir que le lui permettaient ses yeux bleus. Nan mais… Je me paye ta tronche. Je me suis demandée si tu me filerais le reste du fric si je te disais que j’étais malade, mais non. Je dois encore travailler ça apparemment…

Peaufiner la technique. Ange se fit songeuse, se demandant quoi rajouter pour venir à ses fins. Après tout, le jour où elle arriverait à arnaquer son père, plus personne ne pourrait lui résister…

Manifestement, elle avait réussi. Son paternel y avait vraiment cru ! Mais à tel point qu’il avait totalement paniqué. Ce qui n’avait pas été le but d’Ange en faisant cette petite expérience. La jeune femme avait juste voulu lui soutirer un peu plus de tune, pas le rendre complètement dingue. Mais bon, son père réagissait parfois bizarrement…

- Je suis sur la bonne voie, c’est cool. Un jour je t’arnaquerai tranquillement… Le prévint-elle. Tu pourras prendre ta retraite à ce moment-là. Le taquina-t-elle.

Puis elle l’écouta plus sérieusement, hochant la tête, comprenant enfin le coup de ces entraînements à la course. Ceci dit, la course, c’était temporaire. Même s’ils sillonnaient la ville pour faire leurs petits coups, ils revenaient toujours à un moment ou à un autre au même endroit et retombaient sur les mêmes gens. C’était plus là que les choses pouvaient se gâter à son humble avis…

- Et quand tu reviens trafiquer dans le coin où l’arnaque s’est mal passée ? Demanda-t-elle. Y en a jamais qui t’ont cassé la gueule ?

Elle ne se souvenait pas avoir déjà vu son père revenir à l’endroit où ils créchaient avec des blessures. Mais peut-être que ça avait dû arriver et qu’elle n’avait rien vu à l’époque. On pouvait dire ce qu’on voulait de Charlie, menteur, tricheur… Il n’empêche qu’il avait toujours pris soin d’elle et qu’il l’avait constamment protégé, ici ou dans le monde des contes. Même si Ange regrettait parfois certaines choses, elle ne changerait de père pour rien au monde.

- Pourquoi tu crois que je m’entraîne à courir avec des talons ? Répliqua-t-elle en croisant les bras. Toi, t’es tranquille, t’as toujours des chaussures fermées aux pieds. Moi j’ai parfois des talons…

Au moins, après quelques fois où elle s’était cassée la figure, Ange pouvait se vanter de savoir aussi bien courir avec des baskets qu’avec des talons.

- J’étais pas au courant qu’on faisait un coup aujourd’hui, puis franchement, c’est sage comme tenue !

Une robe, un legging et des ballerines aux pieds. Bon, la robe était un peu voyante niveau couleur, mais c’était tout. Enfin, avec les bijoux, elle avait l’air d’être la fille de quelqu’un avec pas mal de fric. Le contraire de son père donc, qui était habillé en pouilleux. Elle l’attendit alors qu’il partait se changer, en mode Superman qui arrache sa chemise pour révéler son costume de super-héros caché en-dessous.

Puis tous deux filèrent vers un magasin de montres de luxe. Ange se faufila à la suite de son père, mais dans la direction opposée. Elle faisait mine de regarder les montres tout en cherchant en réalité la marque que son père avait déposé. Là ! Elle l’avait trouvé. Ok… L’autre souci, c’était le fait que de ce côté-là, les montres étaient sous vitrine. Avisant le panneau « Privé » juste derrière elle et étant toujours dans l’angle mort, la brune se faufila à l’intérieur et trouva une veste avec le logo du magasin. En la soupesant, elle la sentit plus lourde : les clés étaient là ! Enfilant le vêtement, Ange ressortit et fit mine de frotter la vitrine avec sa manche, comme pour enlever une saleté sur la vitre. Puis elle ouvrit la vitrine et commença à changer les montres de place. Les plus exposées restaient bien en vue, mais les trois qui étaient à l’extrémité de la vitrine, elle les vola. Ange avait bougé toutes les montres, les replaçant à l’aide d’un chiffon pour qu’il n’y ait pas ses empreintes et les mettant de façon à ce qu’aucun vide ne soit visible. Elle effaça ses traces sur la vitrine, sur la serrure et sur la clé avant de tout remettre en place, même la veste. Puis la jeune femme croisa le regard de son père et lui fit comprendre qu’il fallait y aller.

Telle une ombre, elle sortit du magasin en flânant, puis se mit dans un recoin non loin pour que son père puisse la rejoindre, les montres volées bien planquées.