Stefan Vulpesco n'avait pas tort, particulièrement concernant les deux derniers siècles qui s'étaient passés et qui avaient vu s'accomplir des avancées scientifiques qui avaient fait gagner cinquante ans d'espérance de vie aux Hommes, permis la chute drastique de la mortalité en couches et la destruction de villes en une fraction de seconde, entre autres. Le progrès amenait le progrès. Il était probable que la technologie s'accélère encore davantage dans ce monde - comme cela avait été le cas sur Terre-2.
D'ailleurs, Honey ne out s'empêcher de répondre :
- Et moi j'ai environ cinquante ans d'avance sur cette planète.
C'était les faits, après tout. Evidemment, cette avance n'englobait que le monde scientifique, certainement pas la magie et le divin si présents dans cette ville. Dans ces domaines, Honey avait probablement des siècles de retard, au sens littéral.
Laissant cette réflexion de côté, Honey écouta son collègue décortiquer une partie de la liste - non exhaustive, elle s'apercevait, avec le recul, avoir omis certaines choses qui occupaient son temps libre, non pas que ce soit, à proprement parlé dramatique - qu'elle venait de lui fournir, s'attardant sur le dernier élément qu'elle s'en voulait à présent d'avoir évoqué, en dépit de la conclusion du professeur qui laissait place à plusieurs interprétations.
- C'est peu commun que les hommes de votre taille parviennent à maitriser le handicap que cette même taille représente pour danser gracieusement (ndlr : merci Danse avec les stars pour l'info), observa Honey. Mais... oui, j'imagine que de là où vous venez c'était commun de danser dans les soirées mondaines, poursuivit-elle, le regard dans le vide, perdue dans ses pensées. Vous avoisinez les deux mètres, non ? 1m95 environ, je dirais. C'est grand pour un danseur. Encore plus pour un bon danseur, appuya la scientifique avant de baisser le nez vers sa tasse de thé pour en savourer une autre gorgée. Vous avez l'air... bien renseigné, reprit-elle après quelques instants, essayant, une fois n'est pas coutume, de bien choisir ses mots pour avancer sur un terrain qui lui semblait de plus en plus potentiellement miné. Sur le handisport, je veux dire. Je sais déjà tout ça mais merci. Sauf pour le studio. Ca je l'ignorais. Je note l'information. Je pense que vous essayez de vous montrer encourageant et compatissant. Ca doit vous demander des efforts, observa Honey, pensive. Il semblerait que finalement nous n'ayons pas qu'un seul point commun, fut-elle même bien forcée de reconnaitre avant de mordre à nouveau dans sa succulente gaufre.
Une fois encore, elle était soulagée de pouvoir se réfugier dans la nourriture, qui lui offrait la meilleure des excuses qui soit pour ne pas parler et prétendre que le silence ne la dérangeait pas. Ce qui était faux, pourtant.
- Ma vie d'avant ne me manque pas, à propos, finit-elle par reprendre après plusieurs bouchées silencieuses. J'ai eu beaucoup de chance le jour où c'est arrivé. Et j'ai mieux récupéré que les médecins l'espéraient. En fait j'ai plus vraiment le temps et plus le partenaire, si vous voulez tout savoir. C'est comme ça. Les choses changent et j'ai encore environ huit décennies pour y remédier. On ne vit qu'une fois en général, comme vous dites, conclut Honey, de façon, sans doute, à lui signifier que la précision ne lui avait pas échappée.

Le vampire haussa un sourcil à ce que la scientifique avait à dire à propos de la dance. Elle était douée pour arriver aussi près de sa taille d’un simple coup d’œil. Il n’arrivait pas souvent que ce dernier soit épaté par quelqu’un, mais il ne pouvait pas nier que celle qu’il avait devant lui n’était clairement pas une deux de pique. Au contraire, c’était un génie et il adorait ces derniers. Lui-même se considérant assez intelligent, il s’ennuyait assez rapidement à discuter avec des gens qui n’en avaient pas.

- Étonnant. Vous êtes très observatrice. Vous n’étiez pas loin de la réponse. 1m94 pour être exacte. Je dois être honnête, je ne connais pas le moins du monde l’handisport. La danse, par contre, n’a aucun secret pour moi. Effectivement c’est loin d’être évident de danser avec ma taille, mais j’ai appris avec le meilleur professeur. Un jour, peut-être, je pourrais vous montrer ce dont je suis capable. Effectivement, vous montrer de la compassion demande de l’effort, mais… Ce n’est pas aussi horrible que je l’imaginais, dit-il avec un sourire.

Évidemment, cette dernière phrase avait pour but de lui laisser croire qu’il voulait vraiment « changer » et qu’il faisait des « efforts » pour y parvenir. Dans les faits, ce qu’elle ressentait ne l’importait que peu tant qu’elle ne demande pas à ses copains de le tuer avec un pieu dans le cœur. Mais il devait avouer qu’elle l’intriguait et qu’il ne détestait pas sa compagnie.

- Vous êtes fortes. Vous pourriez déprimer et croire que la vie se ferme a vous. Pourtant, vous surmontez ces nouvelles difficultés avec tant de… facilité? Cela semble tellement naturel à vous regarder. C’est votre nouvelle réalité et vous l’accueillez les bras ouverts…

Il n’avait pas fait face aux difficultés comme elle avait su le faire. Lorsque sa femme était morte, la colère l’avait rongé jusqu’au point où il ne sache plus réellement qui il était en dehors d’un être rempli de haine et de violence. Qu’aurait été sa vie s’il avait fait la paix avec le deuil?

- Vous répéter en général… Je vois que vous avez soulevé. Je sais qu’aujourd’hui on considère que la mort se produit lorsque l’activité cérébrale n’est plus présente, mais de mon temps on ne le savait pas. Donc, on se fiait au cœur. Donc, quand je dis en général, je parle de ces gens dont le cœur a été remis en fonctionnement. Je pense qu’il est évident que l’on ne revient pas si facilement que l’on veut de la mort!

Le vampire finit sa tasse de thé, regrettant ne pas pouvoir y ajouter du sang pour pouvoir lui mettre un peu de goût. Une prochaine fois. Il serait regrettable que la demoiselle face à lui le remarque et comprenne qu’il était un vampire même s’il commençait à se demander si elle ne commençait pas un peu à se questionner à son propos.

- Je suis curieux. Vous allez sûrement me prendre pour un idiot, mais je n’ai pas connu les fusées. Ainsi, je me demandais une chose sur l’espace. Somme-nous la seule forme de vie dans cette galaxie et si elle existe, est-elle verte comme on le montre à la télévision?, il demande avec amusement, se moquant un peu de lui-même au passage.

Honey retint un gloussement. Elle arqua un sourcil mais resta silencieuse. Quand elle ne savait pas comment gérer une interaction sociale ou un fait, elle avait tendance à faire comme s'il n'existait pas. Il lui sembla même que, soudainement, sa tasse de thé était devenue incroyablement intéressante. Suffisamment, en tout cas, pour occuper toute l'attention de Honey pendant quelques instants réflexifs durant lesquels ses méninges s'activaient, incapabes, cependant, de déceler le flirt sous-jacent à ce commentaire.
La jeune femme n'était pas particulièrement surprise d'apprendre qu'il manquait de pratique pour ce qui était de témoigner de la compassion à son prochain, Stefan Vulpesco ayant été parfaitement clair à ce propos lors de leur première rencontre. Peut-être était-elle flattée, malgré elle, d'être en mesure de lui inspirer ces sentiments, même si elle ne comprenait pas comment elle avait pu s'y prendre.
Paradoxalement, bien que très peu douée en interactions sociales, Honey était douée d'énormément d'empathie. Elle s'estimait chanceuse de ne pas être comme son collègue sur ce point. Honey se préférait solaire et avenante, douce comme le miel et pétillante comme un agrume. La froideur la mettait mal à l'aise, à vrai dire.
- Je pense que je sais faire preuve de résilience, oui, confirma Honey. La vie se déroule rarement comme on le prévoyait. Il faut savoir faire avec, je suppose, avança la scientifique. Il n'y a pas que les bons moments qui nous font avancer, il y a aussi les cicatrices, les épreuves dont on se relève. Enfin j'imagine, je n'ai pas fait de thèse à se sujet, conclut-elle avec une moue presque contrite.
Honey n'aimait pas qu'on la plaigne d'être en situation de handicap. Elle ne souffrait pas, contrairement à ce que les personnes ordinaires avaient l'air de croire. Sa vie n'était pas non plus terminée. Honey avait un travail, des amis, elle avait eu un petit-ami après son accident... Pourquoi la plupart des personnes ordinaires s'imaginaient le handicap comme la pire des malédictions ? La scientifique avait cessé de se poser la question car elle était bien incapable de trouver une réponse satisfaisante.
La chimiste s'attela à terminer sa gaufre et laissa son collègue enchainer, notant mentalement que ses connaissances historiques étaient exactes et sa rhétorique loin d'être mauvaise. Cependant, Honey demeurait méfiante. Craignant de soulever un débat dont elle n'avait présentement pas envie, elle se garda bien de lui demander pourquoi quelqu'un voudrait revenir de la mort.
Etait-ce de toute façon un sujet de conversation convenable dans un salon de thé ?
D'aucun s'offusquaient parfois que Honey considère normal de parler d'absolument tout et son contraire quelles que soient les circonstances. Avec le temps, elle avait constaté que certaines personnes préféraient que certains sujets soient ignorés dans certains contextes et elle acceptait volontiers de jouer le jeu avec les personnes qu'elle connaissait mal.
Comme Stefan Vulpesco.
La vie extra-terrestre, en revanche, c'était plus abordable vu la situation. Particulièrement dans cette ville où ils habitaient et où plus personne ne s'étonnait de rien. Honey n'était pas certaine de comprendre par quelle logique la conversation avait dévié sur ce sujet mais accepta de s'y attaquer tout de même.
- Ce n'est pas idiot de poser la question mais ma réponse risque d'être technique, prévint la jeune femme.
Et comme si elle était en face d'un amphithéâtre plein, l'enseignante commença son discours :
- Vous êtes au centre de votre propre univers visible dont le rayon est de 13,8 milliards d'années lumières soit 1,30558080522e+23 kilomètres. Passée cette distance la lumière ne nous parvient plus car elle a été émise dans un Univers trop dense pour la laisser filtrer. Notre Univers est en expansion continuelle et cette expansion ne fait que s'accélérer. Imaginez le nombre de planètes, d'étoiles, de galaxie, d'amas de galaxies et de corps célestes qui peuvent être contenus dans cette immensité. C'est un chiffre tellement immense que l'esprit ne peut pas se le représenter. C'est impossible que la Terre abrite la seule forme de vie de tout l'Univers. On a trouvé des traces d'eau sur Mars. C'est l'élément essentiel pour permettre à la vie de naitre. Il est probable que la vie ait existé sur Mars bien avant qu'elle n'apparaisse sur Terre. Mais il ne faut pas croire tout ce qu'on voit à la télévision. Si la vie existe elle existe de façon quasi certaine à l'état de bactérie. Pour ce qui est de trouver des formes de vie aussi ou plus avancées que la nôtre, pour le moment la science n'a rien prouvé. Pas dans cet Univers, en tout cas. Mais j'ai un peu voyagé et j'ai rencontré plusieurs formes de vie extra-terrestres d'intelligence supérieure. C'était chouette, assura Honey en opinant vivement.