« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
❝ Villainy wears many masks, none so dangerous as the mask of virtue. ❞
Samedi 31 Octobre 2020.
L'automne avait déposé ses jolies couleurs rouge, orange et or sur les arbres de Storybrooke. Depuis quelques semaines, des citrouilles trônaient sur les rebords de fenêtre ou sur le pas des portes. A mesure que le mauvais temps s'installa, la Grande Place subit des changements. Une tente qui avait l'aspect d'un chapiteau de cirque fleurit un samedi soir, à seulement quelques mètres du food-truck Tree Star, juste à côté du jardin d'enfants. Cette tente était loin d'être prétentieuse ou très imposante ; elle pouvait tout au plus contenir une dizaine d'adultes, et elle n'atteignait jamais son maximum.
J'y organisai mes séances hebdomadaires de spiritisme. La pluie et le vent ne permettaient plus d'invoquer les esprits en plein air, j'avais donc trouvé un moyen de les poursuivre en intérieur.
Un radiateur électrique tournait à plein régime non loin de la table ronde, en émettant un ronronnement continu. Sur la table, un ouija en bois était posé et autour de ce dernier, plusieurs bols contenant une soupe de potiron saupoudrée de muscade. L'odeur chaleureuse du breuvage flottait dans l'air. Des bougies avaient été placé à différents endroits, de sorte à créer un éclairage tamisé qui correspondait à l'ambiance. Une citrouille évidée souriait dans le clair-obscur, près du chaudron-thermos contenant la soupe.
"Il existe une histoire fascinante sur l'érosion." déclara un homme brun d'une trentaine d'années.
Assise au bord de ma chaise, la tête dans les mains et les coudes sur la table, je l'écoutai attentivement. Et j'étais bien la seule. Les deux autres personnes présentes -un couple d'une cinquantaine d'années- s'échangeaient des regards poliment agacés.
"Sous le nom générique de sable se cache en fait une multitude de compositions différentes." reprit le trentenaire d'un ton ampoulé. "Lorsque l'on touche le sable, on ne se rend pas toujours compte que ses grains ont parfois connu une longue histoire géologique au cours de laquelle ils ont parcouru de grandes distances."
Fascinée, je hochai la tête lentement.
"J'adore toujours autant vous écouter, Docteur Geller. C'est passionnant !"
Ross Geller était devenu un habitué du food-truck. Paléontologue de son état, divorcé trois fois, il faisait partie de ces humains au grand coeur qui vont de déception en déception. Un jour, je lui avais tendu la main -avec un muffin à la courgette- et depuis, il venait régulièrement et passait des heures à me parler de la science des êtres vivants ayant existé sur la Terre aux temps géologiques.
"Si vous voulez, je pourrais vous montrer mes fossiles autour d'un verre, à l'occasion..." proposa-t-il avec un sourire charmeur.
Je répondis poliment à son sourire afin de ne pas le froisser, puis m'écriai soudain :
"Oh, mais votre soupe va être froide !"
Epouvantée, je venais de baisser les yeux vers le bol de l'homme qui chassa ce détail d'un revers de main. Il ouvrit la bouche pour continuer son exposé, mais l'autre homme lui coupa la parole :
"Si monsieur Patate a fini, on pourrait peut-être passer à ce pour quoi nous sommes tous ici ?"
Le dénommé Ross Geller vit aussitôt rouge.
"Mon déguisement est une référence au satellite Spoutnik !" s'emporta-t-il.
En guise de défi, il fit tinter les antennes sur le saladier qu'il portait comme un chapeau. L'autre homme, déguisé sobrement en Superman, se retint de rire. Sa femme lui tapota le bras. Elle n'était pas costumée, sans doute qu'elle n'aimait pas Halloween. Quant à moi, j'avais choisi de devenir une abeille pour cette nuit très spéciale. Sur mes ailes transparentes, j'avais écrit en jolies lettres dorées :
Protégez la planète. Sauvez les abeilles !
Autant ne pas perdre mon objectif ultime : faire prendre conscience à la population de l'urgence environnementale. Depuis que j'avais débuté mon combat contre les usines et les polluants en tous genres avec mon amie Evelyn, je ne perdais jamais une occasion de glisser un éco-sujet par-ci, par-là. Comme l'avait dit le Docteur Geller, il existe toutes formes de sable, et le petit grain que je glissais partout où je passais allait finir par s'immiscer dans la tête des gens et leur faire prendre conscience qu'il fallait sauver la Terre. J'en étais intimement persuadée.
Sentant que la situation risquait de dégénérer, je décidai de revenir au but premier de cette soirée, à savoir les esprits.
"Décrispez-vous, nous allons commencer." annonçai-je gravement. "Respirez profondément et accueillez une paix intérieure."
Je profitai que mes invités fassent le vide dans leurs têtes pour me lever et rassembler les bols vides sur une petite desserte juste à côté, dans la tente. Ce serait plus pratique pour utiliser le ouija. J'entendis alors la femme demander :
"Le food-truck à l'autre bout de la place est fermé depuis un petit moment, non ?"
Je me rendis compte qu'elle attendait une réponse de ma part. Un peu crispée, je déclarai, évasive :
"Oui. Le gérant a eu des petits problèmes."
"C'est un euphémisme !" fit le Docteur Geller d'un ton un chouilla supérieur. "Le corps d'un homme a été retrouvé dans le camion ! Et ce Benjamin Clawhauser, au lieu de se blanchir, a préféré prendre la fuite ! C'est sûr qu'il est mêlé à toute l'histoire ! Aha, quelle histoire ! Ca a fait la une des journaux de Storybrooke ! Vous n'étiez pas au courant ?"
Le couple partagea la même expression pincée. De toute évidence, ils n'appréciaient guère d'apprendre cette information par le biais de "monsieur Patate".
Quant à moi, je restai pensive. A travers la mince ouverture de la tente, j'aperçus le food-truck à l'abandon. Etait-ce un effet d'optique ou les intempéries avaient-ils déjà terni la peinture rose et jaune du camion ? De l'herbe avait commencé à pousser autour des roues. C'était triste. Même si Benjamin et moi avions eu des divergences d'opinion, il avait le don de faire retrouver le sourire aux gens -avec ses donuts bourrés de graisse et de sucre. C'était une qualité fort louable. Peu de gens sont capables de rendre les autres moins amers et plus joyeux. Nous n'étions pas si différents, tous les deux. Nous avions une magie similaire, celle de rendre les gens heureux avec notre cuisine.
Où était-il, à présent ? Exerçait-il ailleurs ? Je peinais à croire qu'il soit un assassin. Cela ne correspondait pas à son profil. Il s'était montré désagréable avec moi à plusieurs reprises, puisque nous étions en guerre, mais cela ne le rendait pas foncièrement mauvais pour autant. Et pourtant... parfois les gens se révèlent redoutablement différents de ce à quoi on s'attendait.
J'empilai les bols les uns sur les autres et retournai m'asseoir. D'une certaine manière, nos affrontements réguliers me manquaient. La Grande Place était devenue bien trop calme.
"Vous êtes tous bien décrispés ?" demandai-je tout en reprenant place sur ma chaise. "Donnons-nous la main."
Nous nous exécutâmes. Puis je renversai la tête en arrière et respirai profondément afin de me détendre. Je remuai légèrement les épaules pour dénouer les muscles. Je restai ainsi, les yeux fermés pendant quelques instants.
"Pensez très fort à la personne que vous souhaitez contacter." murmurai-je.
La tension devint palpable sous la tente. Je sentais que nos esprits entraient tous en symbiose.
Soudain, un claquement nous fit tous sursauter (et les antennes de monsieur Patate s'entrechoquèrent). J'ouvris les yeux et mon coeur manqua un battement en apercevant une silhouette indistincte dans la pénombre, à l'entrée de la tente. Il me fallut quelques secondes pour comprendre que ça n'était pas une apparition, mais un retardataire.
"Oh, bonsoir et bienvenue !" dis-je avec un sourire plein de candeur. "Prenez place, je vous en prie. Vous arrivez juste à temps. Si vous voulez, il reste de la soupe au potiron !"
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Le Retour du Donut Démoniaque ☠ BENJAMIN LE VILAIN