"Alors... Si je supprime le régulateur intégré et que je me contente d'un rhéostat qui envoie un courant d'excitation constant... ça devrait fonctionner."

Je réfléchissais à haute voix. Ca m'arrivait très souvent. Je m'étais rendu compte depuis longtemps que cela m'aidait à me concentrer. Bien souvent, les gens me lançaient de drôles de regards quand ils me surprenaient à parler toute seule, mais je ne m'en souciais pas. Et de toute manière, à cette hauteur, nul ne m'entendait.

J'étais assise à califourchon sur une installation que j'avais créée moi-même, au beau milieu de la Grande Place, juste à côté de mon food-truck, et j'en étais extrêmement fière. Il s'agissait d'une éolienne verticale confectionnée avec un bidon en fer de 200 litres coupé en quatre. Elle se dressait au-dessus du camion et était alimentée par un alternateur de voiture. Afin de la faire fonctionner, elle était reliée à différents appareils que j'avais rassemblés. Le tout s'apparentait à un bric-à-brac plus ou moins rouillé qui oscillait dangereusement dans le vent.

Depuis que l'automne s'était sérieusement installé sur la ville, j'avais trouvé le moyen de créer une énergie verte afin de générer le courant nécessaire pour alimenter la petite terrasse chauffée se situant à quelques mètres de mon food-truck. De cette manière, mes clients pouvaient s'installer tout à leur aise en dégustant soupe au potimarron, gâteau à la citrouille et gratin de courgettes. Je m'évertuais à leur donner tout le confort possible, sans pour autant utiliser l'électricité, polluante au possible. Je voulais montrer par ce biais qu'il était tout à fait faisable de se chauffer sans pour autant encourager les centrales nucléaires à perdurer.

Ce matin-là, lorsque je m'étais levée, j'avais remarqué que l'éolienne avait calé. En me renseignant dans différents livres, je m'étais rendu compte que le problème venait de la batterie. Je l'avais débranché et jeté par terre.

"Je n'en ai pas besoin !" avais-je annoncé à une mésange qui s'était posée sur une aile de l'éolienne immobile, et qui m'observait avec curiosité.

Puis, en parcourant davantage mon livre, je m'étais aperçue qu'au contraire, elle était indispensable au bon fonctionnement de l'installation. J'étais donc retournée la chercher et avais peiné à la hisser, car elle était très lourde.

Ensuite, j'avais relié le rhéostat. Le courant se produirait en circuit fermé. Je n'avais besoin que du vent.

"Voilà ! Je n'ai plus qu'à connecter le rhéostat à l'éolienne et ça..."

TZING !

Je fus coupée en plein élan par un coup de jus. Il me vrilla la tête. Perplexe et hagarde, je réalisai que j'étais allongée par terre, sur le dos, à plusieurs mètres de l'éolienne.

"Oh, bonjour Hypérion !"

Depuis le sol, je reconnus le titan qui lui était debout juste au-dessus de moi. Je me remis vite de mes émotions, car j'avais compris ce qui venait de m'arriver.

"Quand le courant s'échappe, il traverse le premier circuit qu'il trouve et le corps humain est conducteur." déclarai-je. "Pourtant, j'ai mis des chaussures avec des semelles en caoutchouc, mais ça n'a pas été suffisant."

Même si j'étais encore un peu sonnée, j'esquissai un sourire à Hypérion et m'assis par terre. Là, je remis correctement mon bonnet sur ma tête et constatai que mes cheveux avaient légèrement frisé. Conséquence logique d'une électrocution. J'avais beaucoup de chance d'être encore en vie !

"Vous saviez que Nikola Tesla a inventé une énergie non polluante, mais que les gros bonnets de l'époque ont étouffé l'affaire car ça ne leur aurait pas autant rapporté que le courant alternatif ? Vous imaginez dans quel monde on vivrait s'ils avaient cru en lui ?"

Une planète saine avec des poumons -les arbres- vibrant de vie. Dans un soupir, je tournai la tête vers l'éolienne toujours immobile.

"J'avais espéré que ça marcherait. Je ne comprends pas ce qui coince. J'ai lu tout ce qu'il fallait, pourtant..."

J'aimais bricoler. Je pouvais passer des heures à réaliser quelque chose. Ca rejoignait un peu mon obsession pour la cuisine. Je me sentais toujours un peu triste quand j'échouais, car ce n'était pas dans mes habitudes. Cependant, je décidai de ne pas le montrer à Hypérion. Il avait ses propres soucis et je ne souhaitais pas le déranger avec les miens.

"Qu'en pensez-vous ?" demandai-je en désignant mon installation d'un geste empreint de fierté.

De temps à autre, l'éolienne grinçait dans le vent et le reste des objets formant l'installation était peu reluisant. Cela m'avait valu beaucoup de menaces venant de la mairie, mais pour rien au monde je ne comptais céder. J'estimais que le véritable danger venait plutôt des innombrables guirlandes électriques suspendues dans les rues et de l'immense sapin qui avait été installé sur la grande place pour les fêtes de fin d'année.

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