SBLAM. SBLAM. SBLAM.

J’avais répété cela pendant une heure environ. Pour une personne normale, il lui aurait fallu la journée, mais pour moi c’était plus facile. Ma capacité divine me permettait d’être où je voulais, et quand je voulais. C’était un don précieux, que je n’utilisais pas à outrance. Mais ça facilité la vie. Sur la majorité des magasins de la ville, et endroit susceptible d’accueillir ma propagande, j’avais affiché l’annonce avec joie. Sur la dernière, qui était sur la porte de la Mairie, je relisais les quelques lignes que j’avais écris.

Avec une moue satisfaite, les mains sur les hanches, je contemplais ma petite affiche avec le logo représentant un tout petit moi dessiné avec une pétase sur la tête et des ailes dans le dos. Même en dessin, j’avais la classe. Tapant dans mes mains, comme pour signifier que le travail était terminé, je me téléportais.

Le fameux, Vendredi 11 Septembre.

Tous les préparatifs étaient faits. Mais j’avais cette manie de tout vouloir vérifier. J’étais dans l’immense hangar que j’avais acheté, aux abords de la ville. Il n’y en avait qu’un seul, mais je l’avais appelé hangar 42. Parce que tous les hangars avaient un numéro dans les films que j’avais vu, et que le nombre 42 était une référence que j’aimais plutôt bien. Je l’avais racheté à une entreprise d’aviation privée qui avait fait faillite, pour une bouchée de pain. C’était avant tout un lieu de stockage, où des grands bureaux et des opens space allaient voir le jour. On aurait même des tobogans, des babyfoots et des billards. Ca serait grandiose, j’en étais certains. Les mains sur les hanches comme Peter Pan, je regardais l’illusion de ce que j’avais en tête disparaître pour laisser place à la réalité…
Bien évidemment, aujourd’hui, ça ne ressemblait pas à l’idée que j’en avais. Le hangar, immense, était presque vide. Je n’avais pas encore parlé, mais j’étais sûr que si j’avais dit un truc, huit échos seraient apparus. Les deux grandes portes métalliques étaient ouvertes derrière moi, et laissaient entrevoir ce beau hangar plein de vide. Enfin… Pas tout à fait. J’avais fait des préparatifs. Déjà, j’avais bâché les deux petits avions biplaces que la compagnie avaient oublié et je les avais déplacé tout au fond du hangar. Je n’avais pas eu le coeur à m’en débarrasser, et qui sait, peut être qu’un jour ils feraient parti de la décoration. J’avais également laisser l’atelier, qui comportaient plusieurs caisses à outils, mais j’avais tout nettoyé. Et enfin, devant moi, une immense table que j’avais récupéré et plusieurs chaises que j’avais organisé pour faire attendre mes demandeurs d’emplois trônaient vaillamment. Sur la table, j’avais affiché « Hermès Express Corporation » avec une feuille et un feutre. Le graphiste n’avait pas encore fini la pancarte, mais je m’étais appliqué à écrire sur celle qui était provisoire. Sur la table, il y avait des feuilles et des stylos, parce qu’on m’avait dit que ça faisait pro. Et il y avait aussi des cookies. Brûlés, certes, parce que je n’étais pas bon en cuisine. Mais ils avaient le mérité d’exister. J’avais aussi pris des bonbons et des ballons bleus et blancs au couleur de l’entreprise.  Bon, il n’y avait que deux ballons, mais c’était quand même pas mal. Finalement, j’enlevais les bras de mes hanches et je les croisais sur ma poitrine. Fier. De ce petit bout de rien, qui ressemblait en fait à pas grand-chose. Mais, les employés épouseraient le projet, quand je leur en parlerai c’était certains. Avec calme, je me retournai vers l’extérieur, où ma moto était seule, garée devant. Cela faisait une heure que j’attendais. Mais les meilleurs personnes se font souvent désirer.
Bref. J’étais toujours optimiste. C’était ma Nature.
Mais… Plus les heures passèrent, plus je commençais à douter. Personne n’était encore venu. J’avais passé mon temps, finalement, à essayer de bricoler ma moto pour réparer ce bruit qui était devenu incessant. D’abord, j’avais juste pris une clef, et je m’étais accroupi. Persuadé que quelqu’un viendrait rapidement. Puis, au fil des minutes et des heures, j’avais presque abandonné l’idée de recevoir quelqu’un, et j’avais fini sous la moto, couvert de cambouis, plusieurs outils sous à côté de moi, le moteur totalement démontée et un énorme bidon d’huile noire renversé.
Absorbé, j’avais presque sursauté quand une voix avait retenti. Je n’avais pas bien compris ce qu’elle avait dit. J’étais souvent dans la lune. D’ailleurs, je m’étais cogné contre le cadre de la moto.

«  Aïe ! Pu***. »

J’avais juré par réflexe. Avec agilité, je m’étais extirpé de sous la voiture, pour faire face à une fille qui me regardait. Je savais qui s’était, mais je ne savais plus comment elle s’appelait. Je l’avais déjà vu, de loin, à Olympe. Vanina. Ou plutôt Vouala. Ou Virginia. Non, Valhalla. Je ne savais plus. Mais ça commençait par V, et ca finissait pas A.
Debout, je m’essuyais les mains dans un vieux chiffon, et je l’observais. Elle avait, malgré sa beauté et son teint mâte, une certaine pâleur et les traits tirés. Elle était très belle, mais la fatigue n’était pas en sa faveur. Je fronçais les sourcils. Je n’avais pas parlé alors qu’elle était là, et je me regardais. J’étais couvert de tâche.
Soudain, je me réveillais, et tendait les bras comme dans un film que j’avais vu avec un mec qui ressemblait à mon frère Hadès. Mon tshirt blanc et mon jean disparurent pour faire place à une super costume bleu impeccable. J’avais le sens du spectacle et de la mise en scène. C’était inné dans tous les mâles de ma famille.

« Bienvenuuue à Hermès Express Corporation ! Les entretiens d’embauches ont eu lieu toute la journée ! Mais… Exceptionnellement, je veux bien faire l’entretient pour toi ! »

Je ne savais pas trop mentir. De plus, derrière moi, les chaises étaient toujours bien rangé, et les feuilles blanches, posées sur la table. Avec une moue, je finis par dire :

« Bon, d’accord. Tu es l’unique candidate. Mais ça ne veut pas dire que tu es acceptée ! J’ai plusieurs questions à te poser. Et tu auras un test ! Par ici je t’en pris. »

Comme un businessman, je rentrais dans le hangar sur de moi. Il était hors de question que je prenne n’importe qui, même pour livrer des lettres ou des colis.

« Veuillez vous installer en salle d’attente ! »

Avec un grand sourire, je lui indiquais les chaises bien rangées. J’allais ensuite à la table qui était 5 ou 6 mètres plus loin, et je m’y installais. Rangeant mes feuilles blanches comme si c’était super important, j’en prenais une et un crayon à papier.

« Candidat numéro 1 s’il vous plaît ! »

Ca faisait officiel. J’attendais, avec un grand sourire. C’était la procédure, et je comptais bien l’appliquer. J’attendais qu’elle arrive, tranquillement, et je commençais à écrire. Mon écriture ressemblait un peu à celle d’un enfant, mais j’écrivais quand même vite…

« Alors… Nom et prénom s’il vous plaît ! Date de naissance, lieu de naissance, nationalité, situation maritale, adresse, adresse mail, numéro de téléphone... »

Concentré, j’écrivais « T-E-L-E-F-O-N-E. » Finalement, dans un soupire, je fis apparaître une règle pour le rayer proprement et écrire à côté « T-E-L-E-P-H-O-N-E ».

La science de l'emploi

Vous aimez le vélo ?

J'aimais le vélo. C'était d'ailleurs l'une des seules choses que j'avais gardée de Seattle, avec ma dépendance à la méthamphétamine et la morphine. On n'emporte pas que le meilleur avec soi.

Vous aimez le contact avec les gens ?

Tout dépendait des personnes. En règle générale, je ne faisais pas tellement d'efforts pour me lier aux autres. J'avais un blocage depuis... je ne me souvenais pas très bien. Sans doute depuis que j'étais arrivée dans ce monde. Quand j'étais à Rome et que je ne me souvenais pas de ma précédente vie, j'avais accepté le fait d'être seule. J'avais trouvé un job de serveuse et je tentais de me débrouiller. Puis, je m'étais rappelée d'absolument tout. A partir de ce moment-là, tout était parti en vrille. N'avoir personne, c'est triste, mais savoir que l'on a tout perdu, c'est encore pire. Comment se relever ? Comment continuer ? La découverte de mon pouvoir n'avait rien arrangé. J'avais explosé la seule chose de bien qui m'était arrivée. Alors, je m'étais enfuie. J'avais voulu préserver les gens qui m'avaient tendu la main. Ca aurait pu marcher pour moi à Seattle, si on n'était pas venu me chercher.

Regrettais-je Seattle ? Je ne savais pas vraiment. Je l'avais quitté sans réfléchir. Je n'avais rien construit là-bas. Vivre dans un squat, se défoncer, livrer quelques paquets -pas toujours légaux, ça n'aurait pas pu durer bien longtemps, de toutes façons.

Envie d’un travail qui associe activité physique, réflexion et bonne humeur ?

Pour la bonne humeur, on repasserait. Je n'avais pas envie de me shooter à l'hélium avant l'entretien d'embauche pour paraître joyeuse. En revanche, je ne manquais pas de jugeotte et je faisais du tae kwon do. Par conséquent, j'étais bâtie pour les travaux physiques.

Je me pointai au lieu du rendez-vous le vendredi 11 septembre, sans croire une seconde que j'allais décrocher l'emploi. Le logo figurant sur l'annonce dévoilait le dieu des messagers comme un espèce de plouc avec un chapeau à la noix sur lequel il y avait des ailes. Franchement...

Malgré tout, je tentais le coup. J'avais déjà été coursière à Seattle et puis, il fallait bien manger, payer les factures. Le studio que j'avais acquis récemment près du port, bien que d'un loyer modéré -je le sous-louais à un type louche- nécessitait que j'ai des rentrées d'argent régulières. Cette lopette de Hansel avait foiré mon approche avec le gang d'ados du coin, donc je devais me rabattre sur un emploi respectable. De toutes façons, c'était sûrement mieux d'essayer de retourner sur le droit chemin. Hypérion me donnerait un bon point. A cette idée, un rictus désabusé passa sur mon visage.

Je portais un jean noir, des Converse ainsi qu'un sweatshirt noir dont j'avais rabattu la capuche sur ma tête. Je n'avais pas fait d'effort vestimentaire particulier. Pour bosser dans une boîte de livraisons, inutile d'être sapé comme une princesse. Si j'étais venue en jupe, l'employeur aurait pu souligner que je n'avais pas la réalité de l'emploi.

L'entrepôt était plutôt craignos, ce qui était étonnant venant d'un dieu. N'avait-il pas les capacités de faire apparaître tout ce qu'il voulait ? Pourquoi choisir un endroit aussi décati ? Je n'étais pas surprise d'être la seule candidate : les potentiels volontaires avaient sûrement fui en courant en voyant l'état global du hangar. J'avais connu bien pire.

Je trouvai mon éventuel futur boss allongé sous une moto plutôt cool, couvert de cambouis.

"Hey ! Je suis là pour l'annonce." lançai-je afin de signaler ma présence.

Je n'avais pas l'impression d'avoir parlé très fort, mais il se cogna malgré tout contre sa bécane. N'avait-il pas un radar pour détecter les auras ? Décidément, cet Hermès était très étonnant. Je sentais par avance que la rencontre allait être mémorable. J'enlevai ma capuche, histoire de faire plus polie. Il paraît que la première impression est importante. J'avais beaucoup à dire sur celle que me faisait le dieu des messagers.

Une fois levé, il changea de tenue pour un costume bleu sur mesure. J'approuvai avec une moue, même s'il avait perdu toute autorité pour toujours à mes yeux. Je jetai un coup d'oeil à la table et aux chaises, ainsi qu'aux deux ballons, stylos, feuilles et cookies cramés. Par contre, les deux avions au fond du hangar attirèrent vivement mon attention.

"J’ai plusieurs questions à te poser. Et tu auras un test ! Par ici je t’en pris."

Encore un test ? Je haussai un sourcil et cachai mon anxiété du mieux possible. La dernière fois qu'un dieu m'avait fait passer un test, il s'agissait d'Hadès afin d'obtenir la nationalité Storybrookienne. J'avais été malmené par un minotaure (qui avait même voulu me faire passer un test anal) et m'étais enfuie pour au final répondre à des questions saugrenues posées par Violette. Au final, j'ignorais si j'avais obtenu ma carte de citoyenne de la ville, mais étant donné que personne n'était venu me déloger, c'est que ça devait être ok.

Méfiante, je m'installai une une chaise, en face d'Hermès. Il avait une façon de procéder vraiment étrange, mais ça ne me dérangeait pas : j'aimais les excentricités. Même si je redoutais le fameux test.

"Alors… Nom et prénom s’il vous plaît ! Date de naissance, lieu de naissance, nationalité, situation maritale, adresse, adresse mail, numéro de téléphone..."

Je clignai des yeux. Tout ça ? Il avait parlé si vite qu'on aurait dit une fusée. Par contre, pour l'écriture, ça n'était pas trop ça. Je remarquai qu'il avait une calligraphie plutôt enfantine et qu'il corrigea une faute à un mot pourtant simple. Je ne jugeais pas. Après tout, on a tous nos faiblesses. Pourquoi un dieu n'en aurait-il pas ?

"Vaiana de Motunui. Je suis née... c'est difficile à estimer sur le calendrier actuel, vu que là d'où je viens, on comptait les jours différemment mais... je me suis choisie le 26 juillet. Il fait souvent chaud et beau."

Je haussai les épaules. Si ça ne lui plaisait pas, c'était pareil.

"Je suis née sur l'île de Motunui. C'est en Polynésie, mais pas celle de ce monde." précisai-je comme si c'était d'importance capitale. "J'ai vingt et un ans. Je joue un peu de ukulélé. Et... je vais vous écrire le reste."

Je voyais qu'il galérait un peu à suivre la cadence. Je lui pris la feuille et attrapai un stylo pour noter mon adresse, mon mail mais arrivé au numéro de téléphone, je laissai ma main en suspens et levai les yeux vers lui. Mes cheveux étaient à moitié étalés sur la table, près de la feuille.

"C'est un entretien d'embauche ou un rencard ?" fis-je, suspicieuse.

Je me redressai sans cesser de le fixer.

"Parce qu'un employeur ne m'a jamais demandé ma situation maritale."

Cet Hermès cherchait une employée ou une conquête ? Je savais que j'aurais dû faire demi tour en voyant la dégaine du hangar... Pourquoi allais-je toujours contre mon intuition ?

Je redressais la tête en même temps que la jeune femme. Nos regards se croisèrent, elle était proche. Et au vu de sa question et de son regard suspicieux, je reculais tout de suite. Doucement mais sûrement. J’observais cette dernière d’un air étrange, comme si sa question m’avait vexé. Je restais donc, sur ma chaise, le buste droit et les sourcils froncés. J’y étais. J’avais compris.
J’avais compris, car en réalité, je réfléchissais souvent à l’envers. Ce qui faisait que par moment, certaines actions étaient incompréhensibles pour les autres. Certains pensaient que j’étais fou, ou simplement stupide. Mais ce n’était ni l’un ni l’autre. Je ne pensais pas pareil, et je n’étais pas dans les adages communs. C’était ça la différence.
En réalité, elle m’avait posé la question car le soucis ne venait pas de moi, mais certainement d’elle. J’avais juste eu besoin de passer un regard rapide sur elle supplémentaire pour comprendre qu’elle avait autrefois été en souffrance, et qu’elle était, tout simplement sur le qui-vive. Et elle avait bien raison.

« Peut être que vos employeurs ne payaient pas d’impôts, mais c’est quelque chose qui est généralement demandé. Célibataire, mariée, ou veuve. Vos petits amis ne comptent pas. Si vous en avez un, vous êtes considéré comme célibataire aux yeux de la loi... »

Je me levais, et je la laissais terminer les papiers. Je me retins de faire quelque chose de stupide, car quand j’agissais trop vite, j’en faisais généralement une belle. Non, là il s’agissait de ma nouvelle vie, hors de question que je mette tout en l’air. Je devais balayer ses soupçons d’un seul coup de revers.

« Et généralement, je les préfère plus proche des femmes que des jeunes femmes. Et si ça avait été un rencard, il y aurait des mariatchis. »

Oui, cette espèce de groupe de musique loufoque mexicains. Je les adorai, et j’avais toujours voulu en voir à des rencards. Les sourcils toujours froncés, je poursuivais.

« Et, de toute manière, c’est mieux pour vous qui l’en soit ainsi. J’ai tendance à… Comment dire. Fuir les problèmes de coeur. Même si c’était le cas, mon honneur vous direz de partir sur le champs car je ne suis pas un bon parti. »

J’avais eu plusieurs histoires. Aphrodite, dans mon monde, Athéna, ici et maintenant Galatée. Toutes c’étaient soldés d’échecs à cause de ma façon de fuir. Pour la première, c’était complexe et différent. Et j’avais préféré l’Aphrodite de ce monde, lui laissant penser que dans le miens, nous étions des parfaits inconnus. Pour Athéna, je n’avais pas supporté sa manière de faire, et pour Galatée… C’était encore très compliqué. Alors tenter le coup avec la première venue, c’était hors de question. Mais mes réflexions internes ne passèrent pas inaperçus, car j’avais la bouche ouverte, et je regardais dans le vide depuis plusieurs secondes. Ca aussi, c’était un problème qui était dans ma Nature. J’étais très distrait.

« Désolé, je suis lunaire. Bien. Passons à l’entretient immédiatement. »

Je tapais dans mes mains et je me retournais. L’endroit faisait peine à voir. En réalité, je l’avais acheté comme ça, et c’était pour une raison bien particulière. Je détestais tout faire seul. La solitude n’était pour moi que des moments de réflexions, et il y en avait beaucoup. Je poussais vers elle, doucement, une feuille blanche et je lui laissais le crayon.

« Ici, sera notre entrepôt, notre bureau et notre lieu de vie sur le temps de travail. Dessiner le. Je veux qu’il allie l’utile, à l’agréable. Le merveilleux, à l’efficace. Vous n’avez pas besoin d’avoir fait les beaux arts. Un dessin ou un schéma annoté de l’endroit me suffit. »

Et, j’avais pris une des deux chaises, et j’avais croisé les pieds sur la table. Pas pour me donner un air de patron, simplement parce que c’était confortable. J’avais également fait apparaître un livre. « Cyrano de Bergerac ». C’était mon livre du moment et il était passionnant.

« Si vous avez des questions, posez les. N’importe lesquelles. En rapport avec l’examen ou non, je n’ai que ça à faire de toute façon. »

Je commençais la lecture. Il ne m’en fallait pas beaucoup pour me plonger immédiatement dedans. J’étais dans l’avoeux des sentiments de Roxane à Cyrano pour un certain Christian de Neuvillette. Alors que je continuais à parcourir les verres, plusieurs tiques sur mon visage apparurent. Visiblement, quelque chose me dérangeait. En réalité, je lisais ce livre car il était une référence en terme d’histoire d’amour. Vu que j’avais beaucoup de problème de ce genre, je m’étais tourner vers les livres, comme le font les sots sans amis et famille. Enfin si, j’avais une famille et c’était aussi mes amis. Mais quand on y réfléchissait, seul mon frère Hadès avait une relation stable. Un, c’était hors de question de lui demander des conseils, je savais comment ça finirait. Deux, j’étais encore un peu en froid avec lui depuis notre dernière escapade. Enfin, je n’avais surtout pas pris le temps d’en parler avec lui.
Après une légère plainte, je levais finalement le nez, le visage un peu triste.

« Que trouve Roxane à ce malheureux de Neuvillette ? Il n’a rien pour lui. C’est donc ça que les femmes recherches ? Un physique ? Si je pouvais en changer, je le ferai. Si c’est ça qui plait. C’est triste. Pourquoi c’est si compliqué l’amour ? J’y comprends rien. »

Et, j’avais fermé le livre. Ca m’agaçait. J’étais pour Cyrano. Mais l’ouvrage lui semblait contre. En même temps je n’avais lu que le début. Quelque soit le Temps, l’époque, le monde c’était la même chose. Je regardais Vaiana.

« C’est très joli. »

J’en savais rien. De là ou j’étais, je regardais même pas. En fait, j’avais juste le sentiment et l’intuition que cette personne manquait juste de confiance en elle. Je savais repérer ce genre de personnes. Et j’aimais beaucoup les mettre en valeurs. Car, tout ce qui d’or ne brille pas. Et c’était valable aussi pour Cyrano. Si seulement ce crétin avait dit la vérité dés le début. Je soupirai.

La science de l'emploi

Des mariatchis ? C'était officiel : ce type était officiellement chelou. Je lui souhaitais bien du courage s'il parvenait à emballer quelqu'un avec des musiciens de ce genre. D'un côté, vu qu'il avait dit être branché femme d'âge mûr, ça fonctionnerait peut-être...

A quel moment en était-on venu à faire sa psychanalyse ? Plus le temps passait, et plus je regrettais d'avoir répondu à cette offre. Le boulot risquait d'être cher payé. Je n'avais pas les compétences nécessaires pour écouter ce genre de trucs ! A moins que justement, il faisait style de démentir pour le rencard alors que ça en était quand même un ? Etait-il le genre de divinité vicieuse comme Aphrodite ? On m'avait dit de me méfier d'elle, mais pas d'Hermès. Apollon m'avait assuré que c'était un gars réglo. D'un côté, le Gardien d'Olympe avait un petit grain, lui aussi. C'était probablement de famille.

Peu de temps après, il commença à donner l'impression de gober les mouches, le regard dans le vide. A ce moment-là, j'hésitai franchement à partir, mais il s'anima subitement en expliquant qu'il était "lunaire". Ca, je croyais que c'était réservé à Diane. Décidément, il m'embrouillait complètement.

Ensuite, il me donna un exercice à effectuer. Je haussai un sourcil vers lui. Un dessin, vraiment ? Qu'allait-il me demander, après ? De chanter une chanson ? Il se désintéressa rapidement de moi pour se focaliser sur un livre. Je lus le titre : Cyrano de Bergerac. Ca sonnait ronflant et français. Ca ne me disait rien.

Je tapotai le crayon contre la table, en manque totale d'inspiration. Que devais-je dessiner, déjà ? Ah oui, la manière dont je voyais notre "futur lieu de vie au travail". Je posai ma joue contre mon poing, le coude sur la table. Autant me demander de dessiner un gibet ! Avait-il une idée encore plus barbante ?

Etant donné qu'Hermès ne me calculait plus -et qu'à dire vrai, je ne tenais plus tellement à obtenir ce job- je gribouillai distraitement sur la quelque chose qui me plaisait.

Soudain, le dieu des messagers émit une légère plainte. Indécise, je levai les yeux de ma feuille. Il me lança un regard attristé.

"Que trouve Roxane à ce malheureux de Neuvillette ? Il n’a rien pour lui. C’est donc ça que les femmes recherches ? Un physique ? Si je pouvais en changer, je le ferai. Si c’est ça qui plait. C’est triste. Pourquoi c’est si compliqué l’amour ? J’y comprends rien."

Oh la la... Fallait-il que je réponde ? Attendait-il quoi que ce soit de ma part ? Et voilà que je me retrouvais à endosser le rôle d'un psy. Si tel était le cas, il faudrait qu'il revoit mes honoraires à la hausse.

"Euh..."

Il adressa ensuite un compliment à mon dessin, et je baissai les yeux sur la pirogue approximative que j'avais croqué. De toute évidence, il n'avait pas regardé de quoi il s'agissait, sinon il aurait eu un avis beaucoup moins positif.

Il avait l'air si misérable que je trouvai trop moche de le laisser dans sa galère. Aussi je déclarai d'un ton que j'espérais convaincant :

"Faut pas changer de physique pour plaire. C'est vraiment pas la solution. On est comme on est."

Je lui adressai un sourire vacillant. Je n'étais vraiment pas la mieux placée pour tenir ce genre de discours.

"Vous trouverez la bonne personne un jour. Chaque noix de coco a son cocotier !"

Je tentai d'être optimiste. Le pauvre, il me faisait un peu de peine... mais il me faisait également flipper. Je restai toujours sur mes gardes au cas où tout ceci soit de la drague sous camouflage.

"Personnellement, je suis pas focus sur le physique." fis-je en haussant les épaules. "Ca entre forcément en ligne de compte, mais... je pourrais avoir un crush sur quelqu'un qui n'a pas le nez au milieu du visage. Un peu comme vous."

Soudain, je réalisai ce que je venais de dire. Je me redressai d'un bond sur ma chaise, serrant le crayon dans ma main crispée.

"Je veux dire que... vous aussi vous pourriez avoir un béguin pour quelqu'un de pas forcément super beau. Je voulais pas dire que vous étiez moche... Parce que vous ne l'êtes pas. Mais je suis pas intéressée !"

J'avais l'impression de m'enfoncer tellement qu'une fois arrivée au fond, je creusais encore. Je tordis le crayon entre mes doigts et le plaquai brusquement contre le table pour me lever.

"J'attends votre appel !" fis-je, espérant couper court à cet entretien qui devenait de plus en plus bizarre (et par ma faute, cette fois !).

Si ça continuait, il allait croire que c'était moi qui lui faisais des avances. Au secours ! Quelle galère...

J'ai un joli petit lot de noix de coco, dibidibi qui se suivent comme des numéros, des grosses, des maigres, tous à la file indienne.
J’avais cette chanson dans la tête à partir du moment où elle avait parlé de noix de coco. Je ne me rappelais plus exactement de manière précise où je l’avais entendu, mais elle était insistante dans mon esprit. Une fois la musique chassée, je restais assis sur ma chaise en l’observant les sourcils froncés. Elle avait une certaine forme de sagesse dont elle même devait ignorer l’existence… Un cocotier pouvait surtout avoir plusieurs noix de coco. Et c’était le cas de Galatée, en l’occurrence. Ce n’était pas si idiot. Mais ça me renvoyer à ma propre condition et une mine triste passa sur mon visage. La suite s’enchaîna. Plus elle parlait, plus elle s’enfonçait. Je fronçais les sourcils d’un air un peu curieux et étrangement amusé. Un sourire espiègle, digne d’un enfant de 5ans apparu sur mon visage. C’était drôle.

« Donc, si je résume, tu veux dire que, tu pourrais avoir un crush sur moi, et que je n’ai pas le nez au milieu du visage. Mais qu’étrangement, tu trouves que je ne suis pas vilain. Donc que j’ai le nez au milieu du visage. Donc qu’aucun crush n’est possible. Vu que tu as dit que j’étais pas intéressé. »

Je tapais dans mes mains. La situation était assez drôle. Enfin, elle aurait pu l’être si cela ne l’avait pas mise mal à l’aise. Fronçant les sourcils quand elle se leva, j’étais assez surprise. Qu’est ce qui s’était passé ? Je repassais encore ses paroles dans ma tête. Elle me trouvait moche et avait un crush ou elle me trouvait beau et n’était pas intéressé ? C’était devenu un peu gênant, pour un entretient d’embauche. Avec calme, quand elle se leva, et dit qu’elle attendait son appel, je me contentais de hocher la tête.

« Comme tu voudras. »

Puis, avec une rapidité digne d’un animal sauvage, toujours assis, je pianotais le numéro de Vaiana sur mon téléphone. La fiche de renseignement était sous mes yeux. Alors qu’elle était encore en face de moi, je me contentais de dire :

« Oui, bonjour Vaiana. C’est Hermès, le dieu des messagers. C’était juste pour te dire que tu pouvais repasser au hangar. Le plus rapidement serait le mieux. Oh, ne t’inquiète pas, ça ne sera pas long. »

Et je raccrochais. Alors dans un air faussement surpris, je levais mes yeux vers Vaiana.

« Ouaw. Quand je disais le plus rapidement possible, je ne m’attendais pas à une telle efficacité. Un point pour toi. »

Et je griffonnais, « un point pour Vaiana. » sur sa fiche de renseignement. Bien. Finalement, je me levais, et je m’approchais d’elle, à une bonne distance quand même. Un bras, voir plus. C’était suffisant pour qu’elle ne se fasse pas de film. Après tout, peut être que j’étais moche et qu’elle avait un crush.

« C’est de l’humour, reste, j’ai à te parler un peu plus sérieusement. J’ai tendance à blaguer sur tout et n’importe quoi, car je ne suis pas sur le même plan social que vous. »

En même temps, c’était la vérité. Je n’avais pas besoin d’argent, donc pas besoin de travail. Je faisais ça parce que j’en avais envie et pour m’amuser. Mais pour d’autres personnes, ce n’était pas le cas. Si Vaiana avait besoin d’un travail, c’était parce que c’était nécessaire.

« Je voulais que tu fasses un croquis, car je ne compte pas travailler seul en tant que Chef d’Entreprise. Pour moi, le travail d’équipe sur un même pied d’égalité est essentiel et positif. Le croquis avait pour but de voir comment tu voyais l’endroit. Car la représentation spatiale, l’organisation, et la mise en place est un outil indispensable pour un métier comme le notre. Si tes colis sont à l’opposé de tes bons de reçus, tu feras de la distance inutile. C’est ça que je voulais. Mais c’est de ma faute, je n’ai pas décliné les objectifs de cet examen. »

Aussi, avec douceur et calme, pour lui redonner un peu confiance, je prenais son dessin et observait la pirogue d’un œil intéressé. Pour moi c’était un bateau traditionnel. Mais c’était très joli. Mais hors propos. Cependant, j’allais vers le mur le plus proche et je fis apparaître un rouleau de scotch pour l’afficher.

« C’est très joli. Il reste ici. On rajoutera tous les plans envisagés et les projets à côté. On le regardera avec mélancolie, au milieu de toutes les cartes heuristiques. Et on se souviendra du bon vieux temps, où tout à commencer entre toi et moi. »

Alors, avec un clin d’oeil, je revins vers elle, lui tendit la main et je me contentais simplement de dire d’une voix tout à fait normal.

« Bienvenue dans l’entreprise, partenaire. Tutoie moi, appelle moi Hermès. Si bien sûr tu acceptes… Je te fais signer un contrat de travail. »

Je tendis l’autre main et fit apparaître un contrat et un stylo. A cette vue, je me mis à ricaner.

« Rassure toi, ce ne sont pas les même que mon frère Hadès. Ce contrat stipule que tu seras payer quatre fois plus qu’un SMIC américain. Soit 30 dollars de l’heure. Ca devrait te mettre à l’abri pour quelques temps. Tu disposes également de deux jours de congés par semaine, et de 8 semaines de congés annuels. Il comprend une mutuelle, et un assurance santé assez cool. Tu peux le lire, et tu ne le signes, que si tu en as envie, et que si tu es sûre de toi. »

Aux derniers mots, j’avais un peu penché la tête pour la regarder d’un regard un peu plus pénétrant. Je sentais que cette jeune fille avait des soucis. Et qu’elle prenait des décisions un peu aléatoire de temps en temps. Je sentais ce genre de chose. Aussi, je voulais lui faire comprendre qu’ici, elle serait en sécurité sur tous les plans. Y compris en sécurité affective.

« J’ai l’air un peu étrange, mais c’est parce que je ne viens pas du même monde et aussi parce que je suis comme ça. Mais tu peux me faire confiance. Il n’y a aucune arrière pensée, ou coup fourré. Tu peux prendre le temps d’y réfléchir. »

Toujours face à elle, je posais simplement le contrat et le stylo sur la table, et finalement avec un sourire en coin je la taquinais à nouveau.

« Et, au passage, tu n’es pas vilaine non plus. Loin de là. Mais si on suit ton raisonnement., malheureusement, tu as le nez au milieu de la figure… Et une bonne amie m’a conseillé de côtoyer plutôt des gens qui ne l’avait pas au milieu. Tu en connais ? »

Je ricanais un peu à cette vanne, qui était là pour briser la glace et détendre l’atmosphère. C’est vrai, qu’à y regarder de plus prêt, elle n’était pas si moche que ça. Elle était même très belle. Mais ça n’avait rien à voir avec un crush. D’ailleurs je venais de découvrir ce mot. Elle était belle, simplement parce qu’elle devait être liée à la Nature d’une façon plus étroite que je ne l’aurai imaginé. Et c’était agréable à contempler.

La science de l'emploi

Aïe aïe aïe... C'était encore pire que ce que j'appréhendais : voilà qu'Hermès analysait mes propos. Pourquoi n'agissait-il pas comme n'importe quel type ordinaire, soit en changeant de sujet, soit en se lançant dans de la drague pure et dure ? Non, il fallait qu'il choisisse la troisième option, celle que je ne comprenais pas. Il réagissait probablement ainsi car il n'était pas quelqu'un d'ordinaire. Un dieu ne répond à aucune logique, il se crée ses propres règles. A force d'en côtoyer, j'aurais dû être habituée.

Je sursautai quand je sentis mon téléphone vibrer dans la poche ventrale de mon sweatshirt, puis fronçai les sourcils lorsque je vis qui en était l'émetteur. Sans grand entrain, je décrochai et écoutai ce que racontait Hermès. Sa plaisanterie m'arracha l'ombre d'un sourire. Je pivotai vers lui tandis que je rangeai mon portable.

Ensuite, il accrocha mon dessin sur le mur nu du hangar. Il faisait carrément tâche, mais je me gardai bien de le dire, car ça avait l'air de faire plaisir au dieu des messagers. Je trouvai le concept de son entreprise plutôt cool. Bosser sur le même pied d'égalité avait quelque chose de motivant, même si dans la majorité des cas, ça ne se révélait jamais vrai. Malgré tout, j'avais bien envie de faire un essai. Sans pour autant aller jusqu'à le tutoyer ni l'appeler Hermès. On avait franchi trop de frontières en moins d'une heure pour que je me permette des familiarités. J'ignorais encore si je pouvais avoir confiance en lui.

Je louchai sur le contrat qu'il venait de faire apparaître. Plus d'un mètre nous séparait, ce qui rendait la lecture difficile. J'écarquillai les yeux quand il donna les modalités. Payée quatre fois plus qu'un SMIC ?

"Sérieux ?" laissai-je échapper, estomaquée.

Trente dollars de l'heure... Avec un tel salaire, j'allais pouvoir me payer un appartement tout confort dans les beaux quartiers de Storybrooke ! N'avait-il aucune notion de l'argent ? Sans parler des huit semaines de congés par an, la mutuelle et tout le reste !

"Pourquoi vous montrez-vous si généreux ?" demandai-je d'un ton suspicieux. "Je sais que vous pouvez vous le permettre, parce qu'il vous suffit de faire apparaître autant d'argent que vous voulez mais..."

Sa réponse me persuada qu'il était juste... profondément gentil. Ce qui me perturba d'autant plus. Personne n'est comme ça. Cela cachait forcément quelque chose. Tout le monde a une part d'ombre. Je soutins son regard sans ciller. Son expression me déstabilisa encore plus que tout le reste.

"On dirait que vous sortez d'un dessin animé." estimai-je finalement, ne trouvant pas d'autre explication. "Vous êtes sûr que vous ne venez pas du monde des contes ?"

Il aurait pu postuler pour le rôle du prince charmant, mais je décidai de garder cette pensée pour moi-même : il y avait eu suffisamment de sous-entendus entre nous pour aujourd'hui.

Je baissai les yeux vers le contrat qu'il avait posé sur la table. Evidemment, j'étais tentée de signer. Mais tout paraissait trop beau. Mon intuition me chuchotait de faire très attention.

L'entretien était presque redevenu "normal", du moins jusqu'à ce qu'Hermès me fasse un compliment sur mon physique et me demande si je connaissais "des gens qui n'avaient pas le nez au milieu de la figure". Avais-je la tronche d'une agence de rencontres ?

"Euh... déjà ça dépend. Vous êtes plutôt fille, garçon, ou peu importe ?"

N'y avait-il aucun moyen de restaurer une relation employeur/employée entre nous ? Dans ces conditions, je n'étais pas prête de signer, en dépit de tous les avantages évoqués. Et surtout, pourquoi continuais-je cette conversation ? Pourquoi n'y coupais-je pas court ? Je me grattai la tête, de plus en plus embarrassée.

"Je ne suis pas ici depuis très longtemps, et... je n'ai pas subi la Malédiction, donc je ne connais pas grand-monde. A part vous conseiller de sortir avec une déesse, mais je suppose que vous les connaissez..."

J'ignorais s'il s'agissait d'un sujet épineux ou pas pour lui. Après tout, il venait d'un autre monde -parallèle au nôtre, si j'avais bien compris- qui était parti en fumée (plus ou moins), donc il tous ceux qu'il connaissait avaient disparu à jamais. C'était sûrement encore très douloureux pour lui. Ca nous faisait un point en commun, car mon peuple avait été décimé, et j'en garderai la blessure à jamais.

Soudain, mon regard s'illumina.

"Oh, je connais quelqu'un !"

Je venais de totalement penser à autre chose, plutôt que de me déprimer au sujet des Explorateurs.

"Il se donne un air de détective privé, il a les cheveux longs -donc, ça fait un peu fille- il est brun. Ok, il est plutôt bien fichu et il a le nez au milieu de la figure, mais je vous assure que c'est annulé par sa maladresse et son obstination à jouer le héros sans en avoir l'envergure. Son nom ? Hansel Fürst... Fürsten... enfin ça sonne allemand."

Si Hermès était branché mec, il n'y avait pas meilleur parti. En plus, avec un peu d'espoir, ça allait matcher entre eux et Hansel finirait par m'oublier, car il se montrait extrêmement envahissant avec son obsession à me traquer sans cesse. C'était même surprenant qu'il ne m'ait pas suivie jusqu'ici. Probablement que c'était son jour de congé.

"Bref, montrez un peu le contrat."

Je contournai la table d'un pas vif pour me planter juste à côté du dieu des messagers. Autant revenir dans le vif du sujet. C'était dingue que la discussion puisse dériver à ce point ! Je me penchai dessus et le parcourus méticuleusement, tapotant les feuilles avec la pointe du stylo. A première vue, il n'y avait rien de tordu. D'ailleurs, il était rédigé de façon très simple, sans mot tarabiscoté qui ne voulait rien dire.

"C'est un CDD ou un CDI ?"

La question m'était venue brusquement. Autant savoir dans quoi je m'engageais. Jusqu'à présent, je n'avais jamais eu de contrat à durée indéterminée. Il faut dire que je n'étais pas super fiable. A Seattle, j'avais travaillé pour trois sociétés différentes de coursiers. Les pannes de réveil avaient été fréquentes. Devais-je préciser à Hermès qu'il risquait de se mordre les doigts de me choisir ? Ca travaillerait contre moi, mais s'il était aussi gentil qu'il le prétendait, ça me ferait de la peine de ne pas être à la hauteur de ses espérances.

J'en étais là de mes réflexions quand le stylo m'échappa de la main et tomba en direction du dieu. Machinalement, j'eus le réflexe de le rattraper. Je n'avais pas calculé à quel endroit le crayon avait chuté... Ma main s'égara malencontreusement vers un point précis de son anatomie divine. Je me redressai d'un bond, et jetai le stylo trois mètres plus loin. Les joues cramoisies, je m'éloignai en crabe, la tête penchée -et cachée par mes cheveux volumineux.

"Je... je ne voulais pas toucher votre..."

Pouvait-on se trouver dans pire galère ?

"C'est la faute du stylo ! Tout est de sa faute !" m'écriai-je en désignant l'objet inanimé qui avait heurté le sol à l'entrée du hangar.

Tout en mettant un point d'honneur à ne plus JAMAIS regarder Hermès, je fixai le contrat sur la table. Devais-je signer ? Non, il valait mieux poser la question autrement : voulais-je être mal à l'aise chaque jour en me rendant au travail ? La réponse était limpide.

"Si je signe, ça va très mal finir." marmonnai-je afin de me raisonner. "Vu à quel point ça a déjà commencé..."

Je n'osais toujours pas tourner la tête vers Hermès. Etait-il choqué ? Traumatisé ? Enjoué ? O_o En des millions d'années, il avait dû connaître pire que ça. Non ? Je déglutis. J'étais vraiment une catastrophe ambulante, par moments.

Je la regardais bizarrement, avec le contrat dans les mains. Je haussais aussi les sourcils à cette question. Pourquoi j’étais aussi généreux. Fronçant les sourcils, je levais les yeux au ciel et essayait de me souvenir. Même si en l’état, je savais que je ne pouvais pas me souvenir de tout correctement.

« D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été comme ça. Je suis gentil, ça s’arrête là… Oh mais crois moi, c’est plus une qualité qu’un défaut. »

Quand on est trop gentil, on a tendance à se faire manger. Ca m’était déjà arrivé, notamment avec les autres dieux. Et à chaque fois, j’étais tellement humilié que je préférais fuir et me cacher plutôt que de me rebeller ou combattre.

« Je ne pense pas que je vienne du monde des contes. Là d’où je viens, n’a rien d’un conte pour enfant crois moi. »

J’affichais un sourire triste. Ce n’était pas un reproche que je venais de faire, plus un constat sur moi même et d’où je venais. Je n’en parlais pas beaucoup, mais en même temps, ça n’intéressait personne depuis que j’étais arrivé dans ce monde. Aucun d’entre eux ne m’avait posé des questions. Ni les Dieux et surtout pas les Titans. Ce manque d’intérêt pour cette particularité m’avait d’abord vexé, puis j’étais passé outre. Ce devait être quelque chose de normal pour eux.
Quand elle parla de sortir avec une déesse, mes joues rosirent un peu. Elle pointait là où ça faisait mal. Le faisait-elle exprès ? Non, si on y réfléchissait bien, c’était logique. Beaucoup de dieux étaient ensemble, tout simplement parce que nous étions immortels. Et qu’à la fin, il ne resterait que nous. Enfin eux. Je fronçais les sourcils et l’observait d’un air interrogatif. Elle voulait me caser avec un mec. Levant une main, celle dans laquelle je n’avais pas le contrat, je l’interrompis.

« Euh… D’aussi loin que je me souvienne, encore une fois, je crois que j’aime les filles. »

J’avais essayé, d’embrasser un garçon, il y a fort longtemps et dans mon monde, mais ça n’avait eu aucun effet sur moi. Pourtant j’étais un homme d’expérience, mais j’avais arrêté car l’échec était total.

« Et je ne connais qu’un seul détective dans cette ville, c’est Sherlock Holmes. Les autres sont juste des mecs qui veulent espionner votre femme, ou votre mari quand vous êtes pas là. »

J’avais ricaner. C’était la vérité, j’avais eu affaire une ou deux fois à Sherlock et j’avais rencontré en lui un vrai pro. Ca avait l’air totalement différent de ce qu’elle me proposait avec ce Hansel… Tenant toujours le contrat dans ma main, je commençais à m’impatienter. J’avais une crampe. Quand enfin elle me délivra de ma position stable à laquelle je ne voulais surtout pas m’octroyer de peur de manquer de panache(cette phrase est vraiment bien tournée avec des mots compliqués j’adore, j’espère que je les ai tous bien utiliser.), j’eus un mouvement de respiration jubilatoire. Puis elle me posa la question sur le type de contrat.

« Ah ! C’est quoi ça un CDI ? C’est pas un endroit où on va chercher des livres dans un collège ? »

Soudain, je me tapais le front par ma propre stupidité. Je venais de comprendre. Elle voulait savoir si son contrat était à durée limitée ou non. Je m’étais un peu renseigné avant de monter une entreprise quand même.

« C’est un emploi définitif, avec une période d’essai de 3 mois, pour voir si je peux te faire confiance. Je suis gentil, mais j’ai quand même appris que tout le monde ne l’était pas. »

J’offrais un sourire amusé et navré à Vaiana. Tout en l’observant, je la vis bouger et faire échapper le stylo. Alors… Alors… Ce dernier décrivit une trajectoire droite vers mes parties et… Y arriva, en même temps que sa main.

« Par les ailes de Pégase. »

Je me téléportais, immédiatement à deux mètres en arrière, couvert aussi de honte et tout aussi surpris qu’elle. Mes joues s’empourprèrent et je ne pus que dire…

« Je ne voulais pas que tu touches… mon… ma... »

J’avais parlé en même temps qu’elle. Bon, il fallait avouer que c’était pas la première fois que ça arrivait. Mais dans des circonstances pareilles, c’était… Un peu gênant. Passant une main derrière ma nuque, je l’observais, accuser le stylo. Comment dire ? Que faire ? J’étais pris au dépourvu le plus total.

« Ok. Ok… »

J’avais tendu mes mains en signe d’apaisement. Je voulais vraiment que cette situation ne dégénère pas, et c’était mal parti. Avec humour, car ça avait toujours été ma meilleure arme, je finis par dire en rigolant devant la situation.

« Je te touche les seins, et on est quitte ? »

Puis, je finissais de rire à pleins poumons. Au final, c’était assez drôle. Une fois la honte passée, ça allait beaucoup mieux.

« Je déconne ! Je veux pas te toucher les seins ! Je suis pas un pervers ! Bon euh... »

Allez. C’était parti. C’était le moment où je faisais une connerie. Je le sentais venir gros comme une maison. Dés que j’étais sous pression, je faisais n’importe quoi. Il fallait que je fasse apparaître un truc, ça c’était dans mes cordes. Mais pas n’importe quel truc. Un truc malin. Drôle. Eurêka.
La seconde d’après, un coquille de protection des parties génitales, que les joueurs de Hockey avaient pendant les match apparue autour de ma ceinture.

« Là c’est bon. C’est du passé. Et le passé, c’est douloureux. Je vais faire comme s’il ne s’était rien passé. Signe, si tu acceptes le contrat, et je te montre ton nouveau vélo, si tu veux en changer. Et je t’expliquerai les détails du métier. Si tu veux toujours, on photocopie le contrat, sinon, on le brûle et on fait comme si on ne s’était jamais connu. C’est pas ma solution préférée. Surtout depuis qu’on est intime. »

Je m’enfonçais. Je tapais des mains. Aussitôt, et plus tôt que prévu, un superbe vélo électrique apparu. Il était bleu, avec des écritures blanches et dessus on pouvait lire…

« LE HERMES 3000 ! UNE POINTE DE 60KM/H QUAND TU ES EN RETARD ! GENIAL NON ? »

Bon. Il y avait une gêne. Il fallait trouver une issue. J’aurai pu appeler Hadès, mais là clairement, il se serait moqué de moi.

La science de l'emploi

J'avais écarquillé les yeux quand il m'avait proposé un deal pour le moins conventionnel, puis je laissai échapper un soupir de soulagement en réalisant que c'était une plaisanterie. De toute manière, jamais je ne l'aurais laissé faire. Le fait qu'il fasse apparaître une coquille de protection sur son entrejambe accentua sensiblement le malaise de mon côté. Je savais que c'était de l'humour, et sans doute une tentative désastreuse de détendre l'atmosphère, mais je me sentais si embarrassée que rien n'aurait pu me décrisper.

Le dieu des messagers me proposa une nouvelle fois de signer le contrat. Pour m'inciter à le faire, il fit apparaître un vélo électrique flambant neuf. La peinture bleu métallisé étincelait presque dans les rayons du soleil qui filtrait par l'entrée du hangar. Il était carrément canon. Le genre de bécane dont j'avais toujours rêvé. Je n'étais pas fan du côté électrique, car je considérais que c'était un vélo pour les fainéants, mais cela pouvait se révéler utile pour les pentes très raides, en fin de journée -ou quand je serais trop raide pour pédaler.

Histoire d'en finir vite, j'attrapai un autre stylo sur la table et griffonnai mon nom d'un geste sec et fébrile. Après quoi, je reposai le stylo et m'éloignai d'un bond. Depuis qu'Hermès s'était téléporté en urgence, deux bons mètres nous séparaient l'un de l'autre, mais je craignais que ça ne soit pas suffisant. Etant donné de quelle façon avait débuté notre rencontre, j'avais peur que tout et n'importe quoi puisse arriver.

"Je suis désolée." marmonnai-je. "Et je suis pas du genre à accepter les promotions canapé, même si les apparences jouent contre moi."

Je déglutis et osai enfin croiser le regard d'Hermès. Je me sentais complètement stupide.

"Le vélo a l'air très cool. Ce qui est écrit dessus envoie du lourd !"

En faisais-je trop ? Certainement. J'essayais juste de me montrer aussi gentille que lui. De toute évidence, ça n'était pas inné chez moi. Je m'approchai du vélo et enlevai la béquille pour l'enjamber et m'installer sur la selle. Il était pile poil réglé à ma taille. Hermès avait sacrément le compas dans l'oeil.

"Vous voulez que je commence maintenant ? Je n'ai rien de prévu aujourd'hui. Ca me permettrait de tester le vélo et de me repérer en ville."

Je haussai les épaules avec une moue pour montrer que ça ne me gênait vraiment pas. Je connaissais un peu Storybrooke mais j'avais surtout hâte de voir ce que ce deux roues avait dans les circuits.

"Vous pouvez m'accompagner, si vous en avez envie."

Qu'est-ce que j'étais en train de faire ? Pourquoi, dès que tout commençait à redevenir 'normal' entre nous, il fallait que je propose un truc super louche ? Autant lui dire de s'asseoir derrière moi et de m'enlacer, tant que j'y étais !

"Enfin... Sur un autre vélo !" ajoutai-je précipitamment. "Comme deux personnes qui ne se toucheront plus jamais."

Cette phrase était vraiment bizarre. Jamais je n'aurais dû la prononcer. J'esquissai une grimace et tapotai des doigts contre le guidon. Après quoi, je l'évaluai du regard.

"Vous savez faire du vélo ?"

Je n'aurais aucun jugement si jamais ça n'était pas le cas. Après tout, on ne peut pas être doué en tout, même quand on est un dieu. D'ailleurs, s'il était nul en cyclisme, cela expliquerait qu'il ait besoin d'employés pour livrer les colis, car peut-être que la téléportation le fatiguait, à la longue.

"Y a pas de problème si vous ne savez pas. Moi par exemple, je ne sais pas choisir les bons fruits pour les cocktails. Ma mère en faisait des excellents mais à chaque fois que j'essaie, ça rate. Je n'arrive pas à les presser comme il faut."

A cet instant, mon regard dériva inexplicablement vers la coquille, puis mes yeux remontèrent aussitôt. Tétanisée, je précisai :

"Les fruits. Je sais pas presser les fruits."

C'était un cauchemar ! Et pourquoi avait-il gardé cette fichue coquille ? Forcément que j'avais posé les yeux dessus ! Le faisait-il exprès ?

Sans un mot de plus -puisque je ne voyais pas quoi dire pour faire oublier cette nouvelle bévue- je m'élançai sur le vélo et quittai le hangar. Libre à lui de me suivre ou pas.

Je ne bougeais pas. Je la regardais fixement. Mon regard ne voulait absolument rien dire. J’étais impénétrable. D’ailleurs au vu de tout ce qu’elle disait, il valait bien mieux pour moi. Je haussais les sourcils, sans l’interrompre et finalement je m’exclamais d’un air réjouis quand elle signa enfin le contrat.

« BIENVENUUUUUUUEEEEEE ! »

Je tapais dans mes mains, je fis disparaître le contrat. La seconde d’après, des confettis apparurent, ainsi qu’une suite d’explosion de pétard qui étaient prévu pour exploser au sol. Une corbeille de fruit apparu sur la table avec le petit mot « BIENVENUE EMPLOYE.E ! MERCI D’AVOIR CHOISI HERMES EXPRESS ! »
Je toussais, et chassais la fumée en gesticulant comme un malade. Je roulais précieusement le contrat et je le fis disparaître. La fumée se dissipa un peu, et j’arquais un sourcil. Elle avait dit des choses. Des choses bien. Et des choses moins bien. Il fallait vraiment que j’éclaircisse tout ça.

« Bien sûr que les vélos sont cools. Je suis pas peut être le plus fort des dieux, mais je pense que j’ai un certains sens du goût que d’autres non pas. Faut pas déconner. »

J’époussetais mon costume pour me donner contenance et paraître un peu classe. Alors, je l’observais. Toujours de mon regard impassible. Il y avait eu beaucoup d’allusions aujourd’hui. Beaucoup trop. Et trop pour que ce soit simplement un concours de circonstance. Il avait un ticket. C’était presque certains.

« Bon. Ce que je te propose, c’est qu’on s’emballe, et on en parle plus. »

J’avais mis les mains sur les hanches, très sérieux. Je devais lui avoir taper dans l’oeil. Mais il fallait quand même que je m’explique, car dit comme ça… Ca pouvait paraître bizarre et pervers. Je passais une main sur ma tempe, juste pour dire qu’en réalité, j’étais un peu gêné. Comme d’habitude, je m’étais mal exprimé.

« Je rigole. Je ne suis pas très doué non plus pour parler, et je dis pas mal de bêtises. C’est bien, on se ressemble et on va pouvoir travailler ensemble. Mais il faut dire que tu as dit pas mal d’âneries. Y’a deux solutions, soit tu me fais du rentre dedans, soit tu es un peu maladroite… Si c’est la première solution, me proposer d’aller boire un verre suffit tu sais. Et si c’est la deuxième, alors faut consulter, parce que les références sexuelles s’accumulent de manière un peu trop tendu dans cette conversation... »

Pour augmenter l’aspect dramatique de la scène, j’avais fait apparaître un éventail et je commençais à me ventiler. C’est vrai que ça m’avait un peu donné chaud. Toute cette discussion et ses sous-entendus. Puis elle avait touché mes parties ! Même par accident ça faisait toujours bizarre. Il fallait être honnête.
Finalement, j’enlevais mes mains de mes hanches et je tapais encore une fois dans ces dernières. Cette fois-ci, rien ne se produisit. C’était juste que je ne pouvais plus tenir en place. Ah, si, l’éventail disparut. Finalement, je me prêtais à sourire. Elle avait raison, j’avais un air de Cartoon de temps en temps.

« Allez. J’arrête de t’embêter. Bienvenue dans la boîte. Et je le répète. Si tu m’trouves canon, on fait comme font les gens normaux, même si on n’a pas l’air net. On propose un rendez vous. »

J’avais posé ma main sur son épaule et je lui avais fait un petit clin d’oeil avec un sourire en coin. Je l’aimais bien au final. Car cette façon de vouloir paraître irreprochable à mes yeux me plaisait beaucoup. Elle avait vraiment envie d’un travail. Et puis, elle avait bon fond, j’en étais certains. Il ne fallait pas que je la fasse fuir. Me tournant de dos, et faisant un geste négligent de la main, je fis apparaître un vélo rose bonbon, le même modèle que Vaiana.

« Bien sûr que je sais faire du vélo. Je suis un dieu. Je sais tout faire de naissance. »

Je n’étais jamais monté sur ce genre d’engin. Il n’y en avait pas sur mon monde. Mais j’avais appris à tenir en équilibre sur une moto et je me débrouillais plutôt bien. Le vélo, c’était la même chose sauf qu’il fallait pédaler. Pas de quoi en faire tout un plat.

« Je sais faire de la moto, ça doit être pareil. »

J’enfourchais ce dernier et je fis sonner la petite clochette en ricanant. J’adorais.

« Allez. Regarde ça, et prends en plein la vue. »

Et… Je mis un coup de pédale. Sauf que… Bah… Le vélo, c’était pas du tout comme la moto. En fait, en théorie, et en pratique, c’était plus dur. Beaucoup plus dur. Pourquoi ces crétins d’humains laissaient faire du vélo à leurs enfants et pas de la moto ? C’était complètement idiot. Comme moi. Car au premier coup de pédale, je me retrouvais à glisser et tomber sur le côté comme un gros rocher. Mon épaule toucha le sol un peu violemment mais pas de quoi me casser quoi que ce soit. Par contre, je me mis à gémir. De douleur, car ca faisait mal, et aussi de honte.  Je tremblais un peu, sur le côté et je finis par me retourner, le vélo toujours sur moi.

« Aïe ! Bon sang mais c’est super dur ! On avait un colis à livrer pour la Mairie ! Un truc assez important en plus ! On y arrivera pas si on prend pas les vélos ! J’aurai pas le temps ! Je vais perdre mon appel d’offre ! Je vais faire couler la boîte ! On est foutu ! »

Qu’est ce que j’étais idiot. Je pouvais me téléporter. Et faire téléporter le colis. A cette pensée, je me calmais. Parfois j’oubliais que j’étais un dieu depuis que j’étais là et depuis que je n’avais pas ma régénération. J’avais appris à être prudent. Je me mettais sur les fesses. Je regardais Vaiana. Très sérieux.

« Pour l’instant, je me chargerai de livrer les colis sans vélo. En revanche, tu vas devoir m’apprendre. Y’a un certains mystère là dedans. Voilà ta première mission d’employé. Je veux faire de ce truc correctement. »

Je soupirais. En désignant le vélo.

« On aurait moins perdu de temps à se rouler des gamelles. »

Oui, j’étais chiant. Mais en même temps, c’était super drôle. Mais j'étais ridicule. Il fallait bien que je me défende.

La science de l'emploi

Oulah... Voilà qu'il se faisait des films. Ok, je l'avais peut-être encouragé sans le vouloir, mais il fallait absolument que je mette les choses au clair, car ne c'était vraiment pas mon intention de le draguer. Je choisis soigneusement mes mots avant d'ouvrir la bouche, histoire de ne pas faire une nouvelle bavure.

"Peut-être que vous avez raison : il faudrait que je consulte parce que je n'ai vraiment pas voulu vous faire du rentre-dedans."

Je haussai les épaules avec une moue, les mains toujours sur le guidon, avant d'ajouter :

"J'ai jamais prétendu être équilibrée psychologiquement."

J'agrémentai ma phrase d'un petit sourire espiègle. Après tout, c'était lui qui m'avait fait signer le contrat sans essayer d'en savoir davantage sur moi au préalable ! Etant donné la première impression -discutable- que je lui avais faite, il aurait dû se montrer plus prudent. Tant pis pour lui.

Ensuite, il se produisit ce qui devait arriver : en principe, quand quelqu'un se vante de savoir tout faire, il se prend une gamelle. Dieu ou pas, la règle est universelle. Ca ne loupa pas avec Hermès qui, à peine avait-il enfourché son vélo, se retrouva par terre. Il avait l'expression d'un gamin de cinq ans qui vient de faire son premier essai et qui est tout étonné d'avoir échoué.

Je le rejoignis en trois coups de pédale et stoppai à son niveau.

"Y a du boulot." estimai-je.

Fait étonnant, le dieu commença à paniquer. Il déclara qu'il avait un colis pour la mairie et que son incapacité à tenir sur un vélo allait mener son entreprise à la ruine. Je fronçai les sourcils. D'un côté, ça n'était pas un peu stupide de se lancer dans un job de coursier quand on ne sait pas pédaler ? Pourtant, il savait se téléporter, non ? Il m'en avait fait la démonstration quelques minutes plus tôt. A ce souvenir, mes joues rosirent légèrement. Je descendis de mon vélo, actionnai la béquille pour qu'il reste debout, et m'approchai d'Hermès toujours assis par terre.

"Je dois vous apprendre à faire du vélo ?" lançai-je, déconcertée.

C'était pour le moins déroutant. En me levant ce matin-là, jamais je n'aurais pu envisager que ma journée prenne une telle tournure.

A sa dernière réplique, je plaçai les mains sur les hanches et le considérai d'un oeil réprobateur.

"Et qui fait des propositions indécentes, maintenant ?"

Je plissai des yeux dans sa direction.

"En fait vous êtes comme un moteur Diesel : vous êtes long à chauffer mais une fois que c'est fait, on ne vous arrête plus !"

Encore une allusion ? Oh, j'avais décidé de ne plus m'attarder dessus. Mieux valait aller de l'avant.

"Vu à quel point vous n'êtes pas doué, il vaudrait mieux faire apparaître des roulettes sur la roue arrière." estimai-je. "Ca vous permettra de trouver une certaine stabilité. D'avoir confiance en vous."

Et surtout, ça m'éviterait de devoir le toucher ou l'approcher de trop près pour lui montrer comment trouver son équilibre.

"Vous pourrez m'accompagner, comme ça !"

J'esquissai un sourire encourageant. Ca n'avait rien de honteux. Il y a un début à tout.

"Je n'ai jamais fait de moto. Vous pourrez m'apprendre, à l'occasion."

En mon for intérieur, je songeai que c'était hors de question étant donné la proximité que cela demandait, mais je voulais me montrer sympathique et m'intéresser à quelque chose dans lequel il était doué, afin de minimiser l'impact des roulettes.

"On tente un essai ?" proposai-je.

Je retournai jusqu'à mon vélo et l'enfourchai.

"Si vous ne pouviez prendre qu'une seule chose sur une île déserte, ça serait laquelle ?"

Ma question n'avait aucun à-propos, mais j'avais envie de la poser depuis un moment déjà.

"J'aime bien demander ça aux gens que je rencontre. Ca en dit long sur une personne."

C'était surtout une manière plus naturelle de faire connaissance -plutôt que d'une façon tactile. Qui plus est, focaliser l'esprit d'Hermès sur un sujet radicalement différent du vélo permettrait peut-être de lui rendre l'apprentissage de ce dernier plus facile. Il aurait peut-être moins d'appréhension ?

"Vous avez dit que dans votre monde, il n'y avait pas de vélo... mais il y a quoi comme trucs qui n'existent pas ici ?"

Serait-ce douloureux pour lui d'en parler ? Je n'aurais peut-être pas dû, mais j'étais curieuse. Probablement que j'aurais dû attendre pour enchaîner sur ce sujet, car il risquait d'être troublé et de ne pas gérer le vélo du tout. Tant pis, maintenant c'était dit.