Willie avait passé une longue soirée à discuter avec Blanche. Les derniers événements qui étaient survenus dans leurs vies, la leçon quotidienne sur pourquoi il est mal de tuer, tous les sujets y étaient passés. Sauf, bien évidemment, celui de la blessure au laser qui avait été infligée à la cadette. Willie faisait tout pour ne plus en parler, pour la simple et bonne raison que la dernière fois qu'elle l'avait fait, Blanche n'avait eu qu'une envie: arracher la vie à celui qui lui avait fait ça. Et Willie refusait qu'elle se débarrasse de quelqu'un, encore moins à cause d'elle.

La conversation aurait pu durer encore de longues minutes, si Blanche n'avait pas dû partir prématurément pour faire ce qu'elle faisait le mieux: tuer des gens. Willie serait rentrée directement si la lune n'était pas si belle ce soir-là. Elle décida d'aller se promener sur la jetée, pour observer la beauté du ciel nocturne se refléter dans les eaux sombres de la mer. C'était un spectacle qu'elle avait toujours apprécié, bien qu'elle préférait de loin contempler les étoiles allongée dans une clairière, au cœur de la forêt.

Willie n'avait jamais vraiment eu peur de la nuit, mais elle avait peur des malheurs qui s'y déroulaient. Ce n'était pas un secret, l'activité criminelle était plus intense lorsque toutes les lumières étaient éteintes, et que les seules personnes encore dehors devenaient des proies potentielles. Elle aperçu quelqu'un au bout de la jetée, une silhouette vêtue d'un long manteau noir et d'un joli chapeau. Elle s'appuya contre la rambarde qui l'empêchait de sombrer quelques mètres plus bas, avant de se tourner vers l'inconnu en souriant:

« Vous aussi, vous aimez la douceur de la nuit ? On voit toujours bien la lune dans ce coin du monde, même si une deuxième essaye visiblement de lui faire de l'ombre. »

Elle leva la tête vers les deux lunes qui ressemblaient ensemble à des yeux qui lui faisaient un clin d’œil. Mais était ce vraiment à elle qu'elles adressaient ce clin d’œil ? Willie allait reprendre le fil de son discours, quand une horrible douleur se déversa dans son corps. Elle entrevit l'homme ranger l'outil avec lequel il venait de l'électrocuter dans la poche de son grand manteau, avant que ses yeux se ferment et qu'elle perde connaissance. Finalement, les lunes avaient distrait Willie pour que son agresseur puisse passer à l'action. Elles étaient sournoises.

Willie dormait paisiblement, quand un corps maladroit la sortit brusquement de ses songes. Elle était allongée sur une surface bien trop dure pour que ce soit un matelas, et elle découvrit effectivement en ouvrant les yeux, qu'elle se trouvait bien loin de son lit douillet. Il lui fallut quelques instants pour reprendre ses esprits et se souvenir de ce qu'il s'était passé. Son corps endolori avait du mal à lui obéir, mais elle parvint tout de même à s'asseoir face à la grande silhouette qui l'avait heurtée, remarquant au passage que ses poignets étaient liés par des menottes. L'obscurité l'empêchait encore de discerner les traits de l'inconnu, sans compter que sa tête lui tournait terriblement, mais ses yeux finiraient par s'habituer. Soudain, elle entendit sa voix, avant même de voir son interlocuteur. Une voix qu'elle était très loin d'apprécier et qu'elle n'avait absolument pas envie d'entendre. Encore moins au réveil.

« Non. elle se frotta les yeux, Non non non non non noooon. »

La priorité de Willie n'était pas de savoir où, pourquoi, comment. En fait, elle avait une impression de déjà-vu, comme si se faire kidnapper lui était familier. La dernière fois qu'un tel scénario s'était produit, elle s'était réveillée aux côtés de Violette, super héroïne super sympa. Mais cette fois, la compagnie était beaucoup moins agréable, et c'est ce qui la choquait le plus. Elle s'étala sur le sol en remuant les jambes comme un enfant qui fait un gros caprice, priant pour se rendormir et découvrir que tout ceci n'était qu'un sombre cauchemar. Malheureusement, il fallait qu'elle se rende à l'évidence, elle était prise au piège avec Danny.

« Quel plaisir de te voir... Ça ne m'étonnerait pas que tout ça soit de ta faute. Tu as l'air surpris, c'est pas le genre de choses auxquelles on s'attend quand on tire des lasers avec ses petits doigts boudinés ? »

Depuis leur rencontre, elle n'avait de cesse de le piquer à propos de ce qui s'était passé. Même si cela revenait également à parler de ce que Willie avait faillit lui faire ce jour-là... Ses sentiments avaient d'abord été très partagés quant à la façon dont elle devait appréhender l'incident, mais Danny avait décidé de se montrer hostile dès qu'ils s'étaient recroisés, alors Willie le détestait. Une haine qui n'était pas donnée à tout le monde, mais dont le jeune homme était l'heureux bénéficiaire.

Elle scruta la supposée pièce de bas en haut, fermée à toute discussion, même si au fond d'elle elle mourrait d'envie de noyer Danny sous un flot de questions comme elle le faisait avec tout le monde. Détester quelqu'un était un combat qu'elle menait contre sa gentillesse. Elle se releva, les sourcils froncés. Une pièce sans porte ? Voilà qui était étrange et peu concevable. Elle fit quelques pas en direction d'une paroi et toqua contre ce qui était censé être un mur. La luminosité ambiante ne lui avait pas permis de le remarquer avant, mais les murs étaient fait en bois, tout comme le sol et probablement le plafond.

« J'ignore ce que tu as bien pu faire pour qu'on veuille nous enfermer dans une caisse, mais nous y voilà. Une très grande caisse tout confort, elle brandit un poing en l'air et beugla avant de se jeter contre la paroi la plus proche: Et je vais nous en délivrer ! »

Monsieur J'ai-des-lasers-qui-me-sortent-des-mains aurait très bien pu s'en charger, mais Willie ne lui aurait demandé son aide pour rien au monde. Ignorant la douleur qui tiraillait déjà chacun de ses muscles, elle fonça. La grande surface, qui ne devait pas être très solide, céda immédiatement et la lumière du jour inonda l'intérieur de la caisse. Willie fut contrainte de fermer les yeux face à cette clarté qui lui brûlait les rétines, mais elle eut tout de même le temps d'apercevoir le bleu du ciel. Ils étaient dehors, bonne chose ou mauvaise chose, elle l'ignorait encore jusqu'à ce que les cris des mouettes viennent lui vriller les tympans. Ils étaient sur un bateau, en pleine mer.

« EH VOUS DEUX ! Qu'est ce que vous foutiez dans ma caisse ? Et surtout, où est passée ma cargaison ?! »

Oho... Willie avait à peine eu le temps de prendre connaissance des lieux, que les problèmes lui tombaient déjà sur le coin du nez. S'il fallait accuser quelqu'un, elle accuserait Danny. Elle n'aurait qu'à dire à Mabel, qu'une maladresse l'avait mené à finir dans la gueule d'un requin. La pauvre pleurerait un peu, mais ça irait vite mieux. Et Willie n'aurait plus à se le coltiner quand elle rendrait visite à sa meilleure amie au Mystery Hotel. Le plan parfait.

Willie n'avait pas pu jeter Danny dans la gueule d'un requin, ou entre les mains musclées du capitaine qui n'en aurait fait qu'une bouchée, ce qui était plus probable. Dommage. Ce n'était que partie remise après tout. Elle n'aurait accepté de l'admettre pour rien au monde, mais elle avait apprécié le tact dont Danny avait su faire preuve, avec l'homme à qui appartenait la caisse. Elle connaissait tout un tas de personnes, Blanche par exemple, qui n'auraient pas été aussi agréables.

Parfois, elle oubliait pourquoi elle n'aimait pas Danny, il avait pourtant l'air gentil, et il est vrai que parfois, elle se retenait de rire à ses blagues quand elle trainait avec Mabel et lui. Puis le souvenir de leur rencontre lui revenait en pleine tête. Elle n'avait pas véritablement envie de le détester, mais elle s'en sentait obligée. Ce qui l'agaçait le plus chez lui, c'est que aussi loin qu'elle se souvienne -et leur rencontre ne remontait pas à si longtemps que ça- il n'avait jamais cherché à s'excuser. Bon, elle ne lui avait pas fait d'excuses non plus, mais ce n'était pas elle qui était le plus en tord après tout. Danny n'avait pas gardé de cicatrice de leur rencontre, elle si. Bon, Willie la trouvait jolie et elle se disait souvent qu'elle avait l'air super badass en passant devant son miroir, mais il n'empêche que blesser quelqu'un n'était pas de bon ton.

Willie continua d'écouter les paroles de leur interlocuteur, esquissant une petite moue désolée quand il mentionna le fait qu'ils voyageaient sans billets. Ce qu'elle avait vraiment retenu de cette conversation, c'est qu'ils se rendaient à Neverland, et ça c'était fantastique ! Elle aurait adoré s'y rendre plus tôt et en meilleur compagnie, mais ses amis étaient visiblement trop occupés pour lui accorder du temps. Finalement, le monde était tellement bien fait, qu'elle s'était retrouvée sur le bateau nuage sans le vouloir. Tant pis pour ses amis, elle vivrait cette aventure toute seule puisque c'était ça ! Elle aurait tellement voulu écouter son cœur et partager sa joie avec Danny, mais elle ne devait pas ignorer ce que son esprit lui rabâchait: elle ne l'aimait pas. Et puis, vu la tête de cent pieds de long qu'il avait fait pendant que le capitaine leur exposait la situation, il ne devait pas être ravi. Il était donc inutile qu'elle partage son grand bonheur avec un rabat-joie pareil. Willie avait déjà oublié qu'elle avait été kidnappée, c'est qu'elle commençait à avoir l'habitude à force. Le bus, le train ou même la trottinette électrique ? C'était dépassé tout ça, en 2020 un petit enlèvement et on vous déplaçait d'un point A à un point B, sans même voir le temps passer. Ah le progrès.

D'après ce qu'avait dit le marin, il leur faudrait une demi-heure pour arriver sur l'île. Trente magnifiques minutes à profiter de l'air marin, pouvait-on rêver mieux ? Bien sûr, il suffisait d'ajouter des discussions intéressantes, et ce petit voyage en bateau se transformait en une balade des plus agréables. Willie était de nature sociable, parler était un besoin absolument vital pour elle, alors rester une demi-heure au milieu d'autres personnes sans piper mot était inconcevable. Elle s'approcha de la femme la plus proche et s'introduit poliment:

« Bonjour, excusez moi de vous déranger, mais c'est à dire que je n'ai pas vraiment pu préparer mon voyage. Sauriez-vous m'indiquer les endroits incontournables de Neverland ? Les atouts charmes de l'île ? »

Son ainée lui adressa un large sourire, et commença à lui indiquer plus ou moins précisément où se trouvaient les points d'intérêt. Puis le sujet divergea, et elle passèrent le reste de la demi-heure à converser de tout comme de vieilles amies. Quand le bateau atteint l'île, Willie ne put s'empêcher de sursauter, le voyage était passé si vite ! Elle descendit aux côtés de sa nouvelle rencontre du jour, échangeant quelques ultimes paroles avant de sûrement se quitter pour toujours.

« Fais attention à toi Willie, la jungle n'est pas peuplée uniquement de gens qui te voudront du bien. »

« Oh ne vous en faites pas pour moi, je suis coriace ! Souhaitez bonne chance à Henri de ma part, je suis sûre que votre fils fera des merveilles ! »

Sociable ? Le mot était faible pour qualifier Wilhelmina Klein. Mais maintenant que la foule s'était dissipée, elle se retrouvait seule face à la jungle. Enfin seule... Pas tout à fait puisque Danny était là, lui aussi. Qu'est ce qu'il attendait ? Soudain, il s'approcha et fit tomber la corde qui liait ses propres mains. Elle crut d'abord qu'il voulait la narguer avec ses super pouvoirs de fantôme, jusqu'à ce qu'il retire également le lien qui se trouvait autour de ses poignets. Elle demeura interdite pendant un long moment, observant tour à tour ses mains à présent libres et Danny. Pourquoi se montrait-il tellement sympathique avec elle ? Son cœur lui hurlait de pardonner son erreur et de devenir son ami. Et étrangement, Willie commençait à le concevoir, mais c'était sans compter sur les paroles qu'il s'apprêtait à prononcer et qui gâcheraient tout. Dire qu'il était innocent était une chose que Willie était à même de croire, une chose qui était acceptable. La traiter de gamine en revanche... Disons que ça avait légèrement tendance à l'irriter. Danny était de dos, il n'avait donc pas pu contempler la réaction de Willie, mais ça valait le coup d'être vu. Son visage s'était décomposé au fur à mesure qu'il parlait et l'outrage se lisait à présent sur ses traits.

Soudain, elle les vit. Ces deux yeux verts. Un frisson parcouru tout son être et elle eut, sans le vouloir, un petit mouvement de recul. Chat échaudé craint l'eau froide, dit le dicton, eh bien c'est exactement ce qu'elle vivait là. Danny ne l'attaquait pas, et elle avait bien évidemment conscience qu'il n'en avait pas l'intention, mais revoir ce regard qu'elle ne pensait plus jamais croiser... Ça n'était pas agréable. Elle n'avait écouté qu'à moitié ce qu'il lui avait dit, retenant simplement qu'il n'avait pas voulu la tuer ce soir-là. Ça lui aurait tout de même enlevé une épine du pied, puisque l'on ne s'excuse pas à un cadavre. Par contre, on s'excuse à une Willie toujours bien vivante. Elle fronçait les sourcils comme une petite fille boudeuse, observant Danny se transformer complétement. Malgré son agacement, elle ne pouvait s'empêcher d'assister à cela avec toute l'attention du monde, elle était admirative c'était plus fort qu'elle. Il s'envola devant ses yeux avant de lui adresser une réplique cinglante, dont il était probablement extrêmement fier, et de disparaître complètement.

Se débrouiller toute seule ? Mais c'est bien ce qu'elle comptait faire, elle avait décidé de se rendre à la Caverne aux Secrets, un lieu qu'avait mentionné Agatha -la femme rencontrée à bord du bateau nuage- parmi les lieux incontournables. C'était apparemment une caverne où les vœux se réalisaient, mais elle lui avait également bien précisé de se méfier car ils ne se réalisaient pas toujours de la façon dont on les avait rêvés. Willie n'avait pas de souhait en particulier, elle était surtout extrêmement curieuse et comme toute chose qui attirait son attention, elle avait besoin de l'avoir sous les yeux. Elle entra donc dans la jungle, suivant approximativement la direction qu'on lui avait indiquée.

Après dix bonnes minutes de marche, elle dut se rendre à l'évidence, la flore était bien différente de celle de Storybrooke et si elle continuait à éviter chaque petite plante avec minutie, elle ne verrait jamais l'entrée de la Caverne. Bafouant ses doux principes, elle s'empara d'une branche et commença à se frayer un chemin à travers les larges feuilles qui lui barraient la route. Elle passa dix autres minutes à s'excuser encore et encore pour le mal qu'elle faisait à ces pauvres arbres qui n'avaient rien demandé. Quelques larmes roulèrent même sur ses joues. Sa peine s'évanouit dans l'air quand elle repensa à Danny, qui l'avait abandonnée face à la jungle. Pas qu'elle ait besoin de quelqu'un, mais elle ne pouvait s'empêcher de remarquer qu'il n'était pas très gentleman. De son temps, les hommes tenaient la porte aux dames et les aidaient avec les pans de leurs robes. Bon, ils les abandonnaient aussi avant le mariage et assassinaient leurs frères, mais ce n'était qu'un détail.

« Comment ose-t'il me traiter de gamine ? Moi, Wilhelmina ! J'ai sûrement un siècle de plus que lui, non mais, c'est lui le petit gamin ! Et ça vole par-ci ça vole par-là, pfff, un gros frimeur. "Je vais examiner l'île", elle venait d'imiter la voix de Danny, mais bien sûr, dis plutôt que tu avais peur de t'aventurer dans la jungle. »

Soudain, un froissement de feuille.

« Très drôle, c'est pas comme ça que tu vas réussir à me faire peur. »

Puis un autre, à l'opposé.

« Danny ? J'ai mentit, c'est pas drôle, arrête maintenant. »

Et sans crier gare, elle se retrouva la tête en bas à pousser un cri strident qui avait sûrement alerté toute la jungle. Si ce n'était pas l'île au complet.

« Eh bah, elle a de la voix celle-là ! On voit pas des pirates crier aussi fort tous les jours, c'est dommage on rigolerait bien ! »

« Hiiiiii ! » fit un autre en plaquant ses mains sur ses joues, était-il en train de l'imiter ?

Des enfants ? Même si Willie voyait tout à l'envers, elle était tout de même encore capable de faire la différence entre une bande de barbares sanguinaires et un groupe d'enfants. Eux par contre, ne savaient visiblement pas distinguer une jeune femme tout à fait normale d'une pirate. La surprise étant passée, elle était disposée à prendre la situation avec bonne humeur, comme à son habitude. Elle ignorait comment ils avaient pu savoir qu'elle tomberait dans leur piège, mais une corde attachée à l'une de ses chevilles la maintenait à présent dans les airs.

« Désolée pour vous mais je suis loin d'être une pirate. »
« T'es quoi alors ? »
« Je suis un fantôme. »

Ça l'amusait de dire ça, elle ne s'en vantait habituellement jamais et très peu de monde était au courant, mais les enfants prenaient toujours les choses du bon côté, alors elle ne voyait pas le problème avec le fait de leur dire. Et puis ils lui faisaient penser à Siméon, le fils de Solal qu'il lui arrivait de garder. Ça faisait un moment qu'elle ne l'avait pas vu d'ailleurs. Enfin bon, le problème avec les adultes c'est qu'il sont toujours tellement sérieux. Willie avait besoin de légèreté et de rires !

« Prouve-le. »

Ah. Voilà qui risquait d'être compliqué, surtout que le sang commençait à lui monter à la tête.

Willie se demandait bien comment elle allait pouvoir prouver à la bande d'enfants perdus, qu'elle était bien un fantôme. Le seul pouvoir qu'elle possédait aurait pu être un très bon témoignage de sa nature, malheureusement, si elle l'utilisait il ne resterait personne pour admettre qu'elle était bel et bien un fantôme. Soudain, un mouvement dans les feuillages attira son attention. Danny ? Qu'est ce qu'il pouvait bien faire ici, est-ce qu'il la suivait depuis le début ? Elle n'eut pas le temps d'émettre plus d'hypothèses, avant qu'il lui adresse un clin d’œil. Il avait su piquer la curiosité de Willie qui se demandait bien ce qu'il comptait faire. Après qu'elle l'ait vu libérer ses poignets de leurs entraves, et même si elle croyait toujours fermement qu'il s'était envolé pour frimer, elle n'était plus prête à penser qu'il allait l'abandonner. Alors qu'elle attendait que quelque chose se passe, elle se sentit portée dans les airs. Un immense sourire naquit sur ses lèvres, alors que les enfants perdus l'observaient hébétés. Willie volait. Enfin... On pouvait dire qu'elle volait, autant que l'on peut dire d'un enfant en trotteur qu'il marche. Si ce n'est moins car elle n'avait absolument aucun effort à fournir, elle se laissait simplement porter par Danny, devenu invisible. Elle fut déposée délicatement sur le sol, affichant un air triomphant. Il aurait été étonnant que les enfants aient quelque chose à redire après cela.

Danny, qui était redevenu visible, fit irruption à proximité du groupe, faisant mine d'arriver alors qu'il était déjà-là depuis quelques minutes. L'accueil des enfants perdus était à mourir de rire, ils étaient méprisants au possible. Willie ne put s'empêcher de pouffer un peu, avant d'adresser un sourire reconnaissant au jeune homme. Sans lui, elle serait encore pendue à un arbre, et puis son idée avait été très ingénieuse. Elle se sentit tout de même plus à l'aise en voyant ses cheveux redevenir bruns, son apparence fantomatique n'étant pas celle qui éveillait en elle les meilleurs souvenirs. A la mention des pirates, Willie fronça les sourcils, elle avait évidemment été informée qu'ils menaient une guerre perpétuelle contre Pan et les enfants perdus, mais elle avait l'espoir que ce ne soient que des mensonges. Est-ce-que c'était d'eux que voulait parler Agatha, en l'avertissant que certaines personnes lui voudraient du mal ?

Les enfants la coupèrent dans sa réflexion, visiblement préoccupés par la présence des pirates à proximité. Willie était honorée d'être invitée à se joindre à eux, même si elle ignorait où se trouvait cette base dont ils parlaient. Mais elle déchanta rapidement en voyant qu'ils n'étaient pas aussi ouverts quant à la venue de Danny. Le pauvre, ils ne pouvaient tout de même pas le laisser en proie aux pirates ! Ces enfants avaient peu de compassion, ce qui ne pouvait que blesser le petit cœur optimiste de Willie. Enfin, s'il n'avait qu'à prouver qu'il était un fantôme, cette histoire serait vite pliée, ce n'est pas comme si Danny ne possédait pas plein de pouvoirs très chouettes. Mais au lieu de voler, banalement, il fit virer la couleur de ses yeux au vert. Le cœur de Willie loupa un battement, quand pourrait-elle enfin faire face à ces prunelles émeraude sans se pétrifier ? Des flashs survinrent dans son esprit, elle revit le sang et l'aiguille avec laquelle Weenonah avait dû la recoudre tandis qu'elle était tout à fait consciente. Elle secoua doucement la tête, comme pour chasser ses visions afin de se reconcentrer sur la scène qui se déroulait sous ses yeux. Le regard de Danny était redevenu tout à fait normal, et un enfant perdu s'approchait à présent de lui. Il semblait être en train de juger du sort qu'il lui réservait, mais Willie ne s'en inquiétait pas trop, après tout ce n'étaient que des enfants, que pouvaient-ils bien lui faire ? Soudain, celui qui se tenait devant Danny se tourna et fixa Willie dans les yeux:

« C'est à notre mère de décider de son sort. C'est un des nôtres ou un paria, maman ? »

Elle haussa les sourcils, troublée, mais pas de la façon dont on aurait pu l'imaginer. Maman. C'était un mot qu'elle n'avait jamais vraiment eu l'habitude de prononcer, ou d'entendre. Le monde des contes l'avait privée de sa mère très tôt, et la malédiction n'avait pu lui accorder que quelques années supplémentaires en sa compagnie. Elle ne savait pas réellement ce que c'était que d'avoir une maman, alors au fond, elle comprenait un peu ce que les enfants perdus pouvaient ressentir. Ils en faisaient des jeux, mais Willie n'y voyait que le besoin désespéré d'avoir quelqu'un pour s'occuper d'eux. Peu disposée à leur faire de la peine, elle décida d'accepter ce rôle le temps qu'elle resterait à Neverland. La question était maintenant de savoir ce qu'elle allait faire de Danny, puisque c'était visiblement à elle de décider.

La petite moue compatissante qu'elle affichait jusque-là, céda sa place à un sourire malicieux. La dernière fois qu'elle avait joué les chipies, c'était avec Altana et ça c'était plutôt mal terminé, mais cette fois-ci c'était une taquinerie imaginée par Willie. Donc à mille lieues, de la blague avec le sceau rempli de sang et de boyaux que la rouquine avait imaginée. Tous les regards étaient braqués sur elle, attendant son jugement. Elle fit signe au plus jeune des enfants de s'approcher, et lui chuchota quelque chose dans le creux de l'oreille. L'instant d'après, il était en train de se dresser sur la pointe des pieds pour répéter ce qu'elle avait dit au plus grand.

« Notre mère a décidé que tu pouvais venir avec nous, à condition que tu t'occupes de préparer le repas. »

« Ouiii, on a faim ! »

Elle étouffa un petit rire, le regard posé sur Danny. Ce n'était qu'une gentille contrainte, histoire de le titiller un peu, une petite blague qui collait bien à Willie. Il ne lui en tiendrait sûrement pas rigueur, et puis s'il n'acceptait pas il finirait probablement disséqué par des pirates, alors il avait tout intérêt à opiner du chef. Le soleil serait bientôt à son zénith et l'estomac de Willie criait famine, déjà qu'elle n'avait pas pu avoir de petit déjeuner, elle ne comptait pas sauter un autre repas. Les petites fringales n'étaient visiblement pas comprises dans la formule enlèvement, tant pis, elle venait de désigner le cuisinier du jour.

« Suivez moi ! »

Willie hocha la tête et emboîta le pas à l'enfant, pressée de découvrir l'endroit où tout le petit groupe vivait. Et puis, s'ils échappaient aux pirates par la même occasion, ça ne pouvait qu'être une bonne chose. Tandis qu'ils progressaient à travers la jungle, elle réalisa qu'elle ne connaissait même pas leurs prénoms. Mère indigne. Elle tapota l'épaule de celui qui menait la bande jusqu'au repère, et lui demanda en souriant:

« Comment est-ce que vous vous appelez ? »

« Moi c'est Castor, et les deux autres c'est Lupin et Finn » expliqua-t-il en désignant le plus jeune, puis le grand.

Puisqu'il ne lui retourna pas la question, elle en conclut qu'elle resterait "Maman", et que Danny serait toujours appelé "le vieux". Ce dernier surnom avait tendance à beaucoup amuser Willie, qui n'hésiterait pas à le réutiliser pour plaisanter. Elle jeta un coup d’œil par dessus son épaule pour apercevoir le fantôme, avançant aux côtés de Finn qui le fixait les yeux plissés. Elle secoua doucement la tête, amusée par la situation, mais surtout pressée d'arriver. C'est alors que Castor écarta une large feuille, dévoilant l'entrée de ce qui ressemblait à une grotte.

« Vous ne vivez pas dans l'arbre du pendu ? »

Willie avait vu le début du dessin-animé avant d'être interrompue par ses voisins, et possédait donc certaines références concernant Neverland. Elle fut donc assez surprise en découvrant la grotte. Lupin, qu'elle apercevait du coin de l’œil, secoua négativement la tête.

« Peter nous a disputés parce qu'on a perdu des affaires à lui, il a dit qu'il voulait plus jamais nous revoir de toute la vie ! »
« Du coup, on vit ici. »
« Oui... Mais Peter me manque beaucoup... »

Willie était vraiment désolée pour eux, non mais pour qui se prenait ce Peter Pan ? Elle comprenait que la perte de ses biens avait dû l'agacer, mais laisser de pauvres enfants livrés à eux-mêmes était un sort bien trop dur à ses yeux. Elle fronça les sourcils, une chose était sûre, elle ne repartirait pas de cette île tant que ces enfants n'auraient pas retrouvé leur foyer. Ils étaient tous entrés dans la grotte, au fond de laquelle des torches brûlaient, éclairant plus ou moins les lieux.

« Bon, je meurs de faim, » déclara Finn comme pour rappeler à Danny ce qu'il avait dû accepter.

Willie esquissa un petit sourire et s'installa sur un tabouret. La grotte n'était pas très grande, mais le mobilier était bien mieux que ce qu'elle imaginait, il y avait même de la décoration. Au centre, se trouvait une table entourée par des tabourets et sur laquelle trônaient des fleurs. Au fond à droite, il y avait trois lits recouverts de fourrures qui semblaient extrêmement confortables, malgré leur origine probablement animale. Willie reporta son attention sur Lupin, qui s'avançait jusqu'à Danny pour lui dévoiler le contenu d'un grand sac, commentant:

« Hé le vieux, regarde, c'est ce qu'on a volé aux pirates ! »

Curieuse, Willie se leva pour aller jeter un coup d’œil à tout cela. Elle fut surprise de découvrir des légumes, des épices, et même du riz, Gordon Ramsay aurait été aux anges ! A présent, tout ce qu'elle espérait était que Danny sache cuisiner. Elle l'observa un instant sortir des aliments du sac, avant de suivre Finn qui la tirait par la main. Il lui indiqua l'un des lits, sur le bord duquel elle s'assit, puis il rejoignit Finn et Castor qui étaient assis par terre, en tailleur.

« Comment t'es devenue un fantôme ? »
« Nous aussi on veut, c'est trop cool ! »
« Ça veut dire que t'es morte ? »

Elle se racla la gorge, un petit peu mal à l'aise, comment pouvait-elle expliquer à des enfants que c'était le chagrin qui l'avait tuée après que son fiancé l'ait abandonnée ?

« Eumh... Je suis devenue un fantôme à cause d'un monsieur très vilain, et oui, je suis morte... Mais si vous me rapportez trois draps blancs, je pourrai vous transformer en fantômes, qu'en dites vous ? »

C'est dans des effusions de joie, et avec de grands sourires ravis qu'ils s'élancèrent en dehors de la grotte. Willie leur avait dit de faire attention aux pirates, et de ne surtout pas aller dans la direction où ils se trouvaient. Après tout, Danny avait fait leur rencontre il y avait déjà un moment de cela, peut-être qu'ils s'étaient un peu éloignés depuis. Elle se leva et se dirigea vers le jeune homme, à petits pas de souris:

« Tu veux de l'aide ? »