Les écoles ont toujours pris tout un tas d'initiatives pour montrer à leurs élèves ou étudiants qu'il existe un autre monde par delà leurs murs. Ces dernières années, elles commençaient de plus en plus tôt en demandant aux parents d'élèves d'intervenir lors des journées des métiers pour expliquer aux camarades de leur progéniture ce qu'ils faisaient pendant qu'eux apprenaient les divisions. Au collègue, on remettait le couvert, souvent juste avant le lycée, pour que les jeunes commencent à réfléchir au sens qu'ils voulaient donner à leur vie, en espérant sans doute susciter des vocations çà et là. Enfin le lycée, c'était la dernière chance pour initier des élèves plus ou moins passionnés au merveilleux monde du travail avec 25 jours de congés payés et pas de RTTs si on n'avait pas le statut de cadre.
A voir la motivation du système scolaire, Anastasia se demandait s'ils allaient essayer de les recruter dès la maternelle bientôt, pour savoir s'il fallait commencer à habituer Abigaëlle ou non.
Dans tous les cas, ce n'était pas l'école de sa fille qui l'avait sollicitée mais le lycée dans lequel travaillait son fiancé, Dimitri, qu enseignait la littérature anglaise. Au poste, on avait sans doute jugé qu'un profiler avait plus de temps pour ce genre de choses alors c'était elle qu'on avait envoyé pour présenter la police en général (et en faire l'éloge, cela allait sans dire) puis son métier, tant qu'à faire, dans un second temps.
Anastasia n'avait pas réellement pu dire non mais avait décidé de voir les choses du bon côté : ça pouvait être intéressant de remettre les pieds au lycée, bien que son séjour ici ne soit qu'une succession de faux souvenirs.
Pour éviter les situations embarrassantes, elle n'avait pas prévenu Dimitri. Les ricanements des lycéens sur sa relation avec leur prof de litté, très peu pour elle. Anya tenait à ce que sa visite demeure purement professionnelle.
Anastasia, comme tous les intervenants, avaient été accueillie par la proviseure du lycée et une partie des cours avaient été suspendus pour les élèves les plu âgés afin qu'ils puissent déambuler dans le hall de stand en stand pour rencontrer les professionnels. Anya avait écopé du stand entre celui de l'hôpital et celui des pompiers et constata rapidement que ces stands avaient la côte. Comme quoi, ce n'était peut-être pas du temps perdu : c'était plutôt agréable pour l'égo de la rouquine de voir qu'elle était capable d'impressionner et que des élèves regrettaient qu'elle ne soit pas venue armée - ce qu'elle n'aurait jamais fait, elle n'était pas totalement inconsciente !
Alors qu'elle discutait avec des filles de première, Anastasia aperçut Dimitri du coin de l'œil et se demanda pourquoi il n'était pas en cours ou dans la salle des profs. Elle aurait vraiment préféré éviter que ça puisse devenir gênant. Mais à présent c'était mal barré.

Dimitri jouait avec un crayon, alors qu'il était dans son bureau. L'ustensile tournoyait dans sa main tandis que des bruits ne cessaient de troubler sa paix. Malheureusement pour lui, il ne pouvait pas mener ses cours comme il en avait l'habitude. Un événement de découverte des métiers avait cours dans son établissement, provoquant les migrations incessantes des élèves entre les différents étages. On lui avait demandé d'être présent afin d'accueillir les élèves ayant des questions concernant leur orientation. Dim' n'avait rien contre diriger les élèves, mais il préférait largement donner ses cours et discuter avec les élèves. Il se consolait en pensant au fait qu'il pourrait au moins renseigner les élèves souhaitant devenir professeur.

La matinée s'était donc déroulée de manière très ennuyeuse pour le jeune professeur. Aucun élève n'était venu le voir, rendant ses longues heures pénibles. Il n'avait même pas la chance de pouvoir corriger quelques copies. Ni de pouvoir discuter avec quelques collègues autour d'une machine à café. Sauf en plein milieu de la matinée, où deux jeunes filles de sa classe vinrent le voir :

"Bonjour monsieur."

"Bonjour mesdemoiselles. Puis-je vous aider ?"

Elle vinrent s'asseoir en face du bureau de Dimitri. Il était parfaitement rangé. Pas un seul crayon ne dépassait. Il tenait absolument à garder une image de professeur modèle et ceci passait par l'ordre et la maîtrise. Les demoiselles expliquèrent qu'elles souhaitaient exercer un métier en rapport avec la protection des autres. Elles souhaitaient absolument être dans l'action, et non simple employée de bureau. Depuis quelques années, certains adolescent se découvraient des pouvoirs qu'ils utilisaient soit pour des farces, soit par vocation purement héroïque. Soit, se disait le jeune professeur. Il vérifia la brochure comportant les différents secteurs proposés et l'emplacement des stands. Il proposa le métier de pompier, la base militaire, et d'un coup, un nom lui apparut. Un nom très familier.

"La police ?" dit-il, les yeux écarquillés en voyant le nom de la représentante. "Anastasia Romanov"

"La police ? Ah mais oui, c'est génial ! Pourquoi on n'y a pas pensé ? Merci monsieur ! C'est en salle..."

"208" répondit Dimitri qui tentait de garder son calme.

Les deux jeunes filles s'éclipsèrent et Dimitri leur emboîta le pas pour vérifier de ses propres yeux ce qu'il prenait pour une petite trahison. Pourquoi ne lui avait-elle pas dit qu'elle venait au lycée ? De surcroît pour parler en bien d'un métier bien trop dangereux pour elle ? Oui, Dim' a été vexé quand il a vu que sa femme ne lui avait rien dit. Et il trouvait même ceci assez suspect. Mais soit. Il savait se tenir tout de même. Il vit ainsi sa femme parler avec les jeunes filles, et d'autres élèves de sa classe. Il regardait de loin afin d'éviter tout rapprochement entre lui et sa femme. Il s'approcha lorsqu'il ne restait plus beaucoup d'élèves autour du stand.

"Ah ? Vous êtes là monsieur Chostakovitch ? Vous devriez écouter madame Romanov. Elle fait un travail incroyable à la police. Je ne savais même pas qu'on pouvait être profiler linguistique !"

"J'en suis tout aussi étonné." dit-il en faisant un faux sourire. Une vieille habitude du monde des contes, qu'il a prise lorsqu'il s'agissait de séduire la personne en face de soit. "Vous avez eu tout ce qu'il vous faut mademoiselle Romanov ?"

La situation réjouissait hautement Anastasia qui ne se réjouit que davantage lorsque les élèves de son fiancé lui firent par de leur admiration à son égard. La rouquine ne put, bien sûr, s'empêcher d'arborer un large sourire fier, telle la Grande Duchesse qu'elle était. La situation n'aurait pas pu lui plaire plus. Le faux sourire de Dimitri valait véritablement le détour. Les élèves ne s'en doutaient pas mais elles assistaient à une véritable farce qui avait quelque chose de réellement burlesque. Ou qui tenait du théâtre de boulevard, peut-être aussi. Anya ne creusa pas davantage la comparaison : du théâtre, elle en avait fait enfant avec ses sœurs et son frère mais elle n'avait jamais cherché à en comprendre toutes les subtilités de genre. Des pièces, ils en avaient écrit et peu importait alors le style car ils écrivaient, de leur point de vue, des chefs d'œuvre.
Et la scène, justement, qui se jouait dans ce couloir, en était certainement un aussi.
Anastasia n'était pas étonnée que Dimitri ne dissipe pas le malentendu car elle le sentait vexé de découvrir au dernier moment qu'elle était là. Soit. Elle aussi était bonne actrice.
D'un air décontracté, elle étira son cou en soupirant avant de répondre :
- Ca va. Vos collègues de l'administration ont été aux petits oignons. Mais la matinée découverte n'est pas encore finie, reprit la jeune femme en se rasseyant sur la chaise derrière la table qu'on lui avait allouée.
Machinalement, elle remit en place les flyers qu'elle avait apporté, embarquant tout un peu au hasard ce qu'elle avait trouvé à l'accueil du poste en partant.
- Après tout, la matinée se termine à midi. Enfin, si j'en crois le polycopié qu'on nous a remis au café de bienvenue ce matin à 9h. Des polycopiés. En 2019. C'est fou, les lycées ne changent jamais. Ca me rappelle mes faux souvenirs de la malédiction. Enfin... vous vouliez peut-être aussi des informations sur la police de Storybrooke ?
Si le forum battait encore son plein, pour le moment il n'y avait aucun élève en attente pour parler avec Anastasia. Par contre, trois garçons étaient vivement intéressés par le stand des pompiers, mais suffisamment loin et concentrés pour ne pas prêter attention à leur drôle d'échange.

Voyant sa femme jouer le jeu, Dim' se disait qu'il pouvait se permettre de continuer cette farce. APrès tout, sa femme semblait bien prendre le fait qu'il soit vexé. Il adressa un bref regard à ses élèves qui ne comprenait évidemment pas la situation mais profitait plutôt du sentiment de découverte qu'ils ressentaient actuellement. Il prit une des chaises prévues pour les élèves et s'assit dessus avec une désinvolture feinte. Affichant un sourire à Anya, les élèves pensaient à ce moment qu'ils se contentaient de faire connaissance, voire de flirter pour les plus fleur bleue d'entre eux. Bien sûr ils n'en était rien, mais les ragots étaient réguliers chez les élèves. Lui aussi avait connu la joie de se moquer et de théoriser sur la vie de ses professeurs dans ses jeunes années.

"Oh, mais je trouve que vous vous débrouillez bien pour l'instant."

Anya continua à jouer le jeu et fit référence à ses jeunes années vécues lors de la malédiction. Il pourrait passer heures à se souvenir des petits détails de sa jeunesses, en constatant à quel point tout avait bien changé, non seulement depuis qu'il exerçait sa profession, mais aussi depuis que des souvenirs de sa vie en Russie ont refait surface. Il se souvenait du temps passé au palais, puis à la pauvreté. Il avait déjà fait part de ce genre d'expériences à Anya, mais le fait qu'elle en parle de manière aussi légère montrait que ce genre de choses n'étaient devenus qu'un fragment du passé qui n'a plus d'importance. Autant ne pas briser ce moment innocent.

"J'aimerais savoir si vous avez toujours eu ce métier dans le sang. Qu'est-ce qui vous a motivé à rentrer dans la police ?"

Bien sûr, il connaissait déjà la réponse mais il préférait vérifier si ses élèves avaient les mêmes motivations. Il restait le professeur principal de ces élèves après tout.

Anastasia éprouvait un nouveau type d'excitation qu'elle ne connaissait pas encore. Peut-être était-elle en train de se découvrir une passion pour le jeu de rôles. Le plus excitant, dans toute cette mascarade, c'était bien sûr que seul Dimitri et elle connaissaient toutes les données du scénario. En l'occurrence, le voir s'installer avec cette nonchalance feinte l'amusait beaucoup. Il était loin d'être mauvais acteur - c'était d'ailleurs par ce même talent calculateur qu'il l'avait convaincue, elle qui n'était alors que la rêveuse caractérielle Anya l'orpheline, de le suivre à Paris pour devenir la Grande Duchesse Anastasia. Il avait eu du flair en proposant son arnaque à la bonne rouquine (qui n'était pas au courant), mais il était bon de se rappeler que ce n'était que le hasard couplé à ses talents de persuasion charmants qui les avaient mené ici. Ca plus quelques péripéties incroyables.
Des péripéties, il y en avait encore dans le temps présent, avec ou sans ce métier. Et puisque c'était de ça qu'il était question...
Anya reprit elle aussi son rôle et s'assit sur la table d'un air au moins aussi nonchalant avant de lui répondre :
- Hmm... Eh bien, non, je n'ai pas toujours fait ça, concéda Anastasia. C'est une bonne question, en fait. Merci de l'avoir posée, vous êtes le premier. Mais autant vous prévenir, ça va être une longue histoire.
Comme si ce dernier mot, "histoire", avait un pouvoir surnaturel, la tête de Pierre Gringoire, le poète et prince des rues de Paris telles qu'imaginées par Victor Hugo, poppa parmi l'assistance. Il sourit, de cet air bienheureux et rêveur qui lui allait si bien.
- Une histoire ! N'est-ce pas fantastique ? J'adore les histoires, on dirait que je tombe à pic !
Gringoire tira une chaise et s'installa au premier rang. Il croisa les mains sur ses genoux, prêt pour écouter. Puis il observa l'assistance et son œil vif se posa immanquablement sur Dimitri.
- Oh Dimitri, vous êtes là aussi, constata-t-il. Vous avez bien raison, je sens que cette histoire sera passionnante. Mademoiselle Anastasia est une femme passionnante.
Le poète se rappelait que, bien qu'il l'ait accueilli à sa sortie du roman dont il était un personnage, Dimitri ne l'appréciait pas particulièrement - peut-être en partie à cause de ce genre de commentaires sur Anastasia. Pour la rouquine, ce qui comptait avant tout c'était que Gringoire n'ait pas réellement dérangé leur petit jeu. Il l'avait tout au plus retardé.
- Je disais donc, reprit finalement Anya comme si de rien n'était, que c'était une longue histoire car j'ai d'abord commencé une carrière dans la traduction et l'interprétation, du fait de mes origines russes. Et puis j'ai été interprète lors d'une expédition dangereuse en Russie où j'ai pu révéler d'autres compétences que je n'avais plus utilisées depuis le monde des contes. Des compétences telles que l'ingéniosité, un peu d'improvisation, un certain instinct de survie et de l'analyse. Les enquêtes, c'est 99 % d'analyse et 1 % d'action, quoique les films puissent montrer. J'ai donc candidaté quand Robyn Candy a été élue shérif en proposant mes services de profiler avec, là encore pour des raisons évidences, une spécialisation dans l'analyse linguistique. Quant à mes motivations elles sont simples : j'aime défendre ce qui est juste. Et être plus maligne que les méchants, probablement par orgueil, sourit Anastasia.