Sebastian ressentit quelque chose d’étrange le traverser, faisant frissonner sa nuque et vibrer son échine sous une vague aussi chaude que glaciale. Un avis contraire. Une force antipathique et une caresse des plus doucereuse… Il cru un instant avoir fait quelque chose de mal : avait-il écrit ou songé d’une manière déplacée ? Avait-il patienté trop longtemps ou s’était-il montré trop ému ? Peut-être n’avait-il pas le droit de s’asseoir dans ce planétarium ?! Non, pourquoi Daemon l’y aurait amené si c’était pour ne pas pouvoir profiter pleinement de l’expérience ? Le gardien s’entortilla les doigts et se mordit l’intérieur de la joue, tentant de chasser cette sensation. Se ressaisir. Même si tout autour de lui semblait enclin à le laisser dériver dans des stratosphères éthérées…
Ses yeux contemplant l’abîme infinie, les constellations chantantes, Sab fini par reporter son attention sur son vis-à-vis pour l’observer des pieds à la tête à nouveau : costume impeccable, col pris dans un nœud de cravate qu’il avait desserré lors de leur repas, mocassins vernis, attitude altière, dos légèrement cambré, cheveux blonds repoussés soigneusement en arrière, bouche close dans un rictus amusé et des yeux… Ses yeux dans lesquels il se perdait malgré lui, fasciné, attiré et appelé par leur noirceur polaire et leur chaleur abrasive. Comment n’avait-il rencontré cet homme plus tôt ? Ou, pourquoi, l’avait-il rencontré aujourd’hui et pas à un autre moment ? L’aurait-il seulement aperçu, alors que Louise occupait sa vie et ses songes ? Aurait-il ressentit ces mêmes choses frémissantes parcourir sa peau, tremblant à l’idée d’imaginer ses mains se poser sur les siennes pour tout autre caresses que juste le saluer ? Il l’ignorait.
Mais il était curieux de savoir ce que l’avenir réservait à présent dans son lot de surprises.
Lorsque l’étranger – plus si étranger – bougeait, le marchand de sable ne pouvait s’empêcher de le suivre pour imprimer dans sa mémoire chaque geste. Chaque attitude. Etrange manière de connaître quelqu’un que de vouloir absolument tout retenir. Alors quand Daemon revint vers lui, se penchant de telle manière qu’il cru un instant à tout autre chose de sa part… Sebastian retint malgré lui son souffle. Son attention. Sa proximité était électrisante, agissant telle un aimant mais repoussant aussi toute possibilité autre. Il avait la très nette impression que quelque chose se communiquait dans le silence, mais rien ne fut suffisamment palpable pour parvenir à en donner le nom.
La chaleur de sa paume dans la sienne était étourdissante, mais la sensation des battements incessants qui retrouvèrent ses doigts au contact de sa chemise… Le gardien du se faire violence pour ne pas la retirer vivement, craignant d’être brûlé, dans un premier temps ; puis de ne pas la laisser glisser vers la gauche pour toucher ce torse qu’il sentait ferme sous le tissu. Chaud. Comme escompté. Comme… Imaginé ? Il se perdit dans ses sensations, accueillant ce contact comme quelque chose de nouveau, peut-être de positif, lui qui n’aimait pas la proximité. Lui qui n’aimait pas les étrangers et les foules. Lui qui n’appréciait pas d’être utilisé… Et pourtant, blâmerait-il ce directeur pour ça ?
Il l’ignorait.
Enfin il releva les yeux vers lui, se rendant compte de leur impressionnant rapprochement physique. S’il n’avait pas été encore assis, sans doute serait-il tombé en arrière sous la surprise ! Mais là, il ne sentait que le dossier moelleux du siège dans son dos et ne pouvait reculer. Fuir. Peut-être éconduire ? Il eut envie de se relever, de retirer sa main et de retourner dans cet abri personnel en mettant de la distance. Il aurait pu, il suffisait de se relever et d’accepter de le toucher davantage pour enfin s’en écarter… Mais en lieu et place, Sab resta immobile. Figé. Fasciné, sans doute un peu, par la tristesse profonde qu’il lisait en Daemon.
« Si ce ne sont des cauchemars, peut-être deviendront-ils des songes un peu plus apaisés ? »
Ecrivit le sable, dansant entre eux lorsque le gardien recula enfin la tête pour s’appuyer contre le dossier. Résister. Et pourtant, l’appel de ses lèvres pour les siennes avait été si clair, si intense, si impérieux qu’il ne savait que trop bien pourquoi il n’y avait pas répondu : la décence, la bienséance, et ce petit quelque chose de pudique qui l’empêchait de comprendre lorsqu’une invitation se profilait de la sorte. Il n’était pas de ceux qui s’élançaient sans savoir ou qui se disaient confiant de leurs ressentis ; s’il pouvait partir à l’aventure par pure curiosité, il n’en était pas de même pour son cœur qu’il protégeait bien davantage depuis que son amour s’en était allée dans une implosion de lumière.
Il devait se préserver. Il devait aussi avancer. Et ça n’avait rien d’évident quand aucun chemin ne se traçait devant vous… Ou plutôt, lorsqu’il y en avait tant qu’il était impossible de choisir/
« Je n’ai pas prétention de croire que je saurais résoudre la tempête de votre esprit. Mais si je peux vous aider à apaiser un peu votre… âme, alors j’essayerai. »
Une espèce de promesse, une sorte de ligne de conduite. Au moins pour quelque chose… Si ce n’était la seule chose qu’il était capable d’effectuer correctement ? Ses sourcils se froncèrent, incertain, inquiet soudain.
« Mais… M’avez-vous fait venir en sachant qui j’étais depuis le départ, afin de m’utiliser pour vous ? »
La perspective fut terrifiante, le prenant comme un étau à la gorge tandis qu’il retirait soudain sa main de son torse. Il s’appuya sur les accoudoirs et consentit à se lever, son corps rencontrant le sien malgré lui dans un contact si suffoquant, si particulier, qu’il cru un instant défaillir et se ruer sur sa bouche pour l’embrasser ainsi que tout son être le lui ordonnait. Mais il se retint à ses épaules, appuya légèrement et décala ses hanches pour se retrouver dans l’escalier de l’allée. Droit. Digne. Mais emplit d’un doute sinueux et venimeux.
Une intuition. Un déjà-vu. Une sensation infime et pourtant présente.
« Nous nous connaissons. »
Affirma le sable, quand Sebastian hocha la tête comme en accord avec lui-même et ses pensées.
« Nous nous sommes déjà rencontrés, pourtant votre visage, Daemon, ne m’est pas familier. Mais je suis certain de vous avoir déjà rencontré. Plusieurs fois. De… Nombreuses fois. »
Il se souviendrait de si beaux traits à l’attrait dur, de la douleur au fond des iris claires et du style indémodable qui le rendait tout chose rien que d’y songer. Le sable voletait autour de lui, remontant le long du dos de son interlocuteur et venant frôler les cheveux, la nuque, dans une chaleur apaisante mais aussi remplie d’informations. De transmissions. De… possibilités et de souvenirs affluents sans ordre ni préférence. Des moments volés. Des moments imagés, imaginés ou réels.
L’image de son propre visage claqua comme un souvenir gravé. L’odeur aseptisée qui allait de paire était inquiétante. Il retint un hoquet de surprise, secouant la tête avant de reporter son attention sur l’homme qu’il avait envie de toucher à nouveau, de prendre sa tête entre ses paumes pour apposer son front et écouter ses pensées, mais que la décence l’empêchait de considérer comme acquis. Ou simplement proche. Pas encore. Bientôt ?
« … Où nous sommes-nous connus ? »
Etrangement, cette question sortie aussi vivement que lourdement. Comme la prémisse de quelque chose, l’évidence et le flou artistique à la fois. Sebastian n’était pas sûr de vouloir la réponse, pourtant sa curiosité mourrait d’être éclaircie. Et l’honnêteté requérait la vérité.