« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
« Bon... Maintenant qu'on a terminé Love Actually pour la troisième fois, tu veux pas qu'on change de film ? »
Basile soupira, affalé dans son fauteuil tandis que je m'appliquais à vider la boîte de chocolats qu'il m'avait ramené. Puisque toutes mes journées se ressemblaient depuis quelques semaines, il prenait le temps de venir me tenir compagnie quand Théodore et Michel-Ange n'étaient pas là. Il avait peur que je fasse une ''dépression'' si je restais seule. Je n'en étais pas à ce point-là. J'avais eu du mal à m'adapter à mon état c'est vrai, j'étais restée enfermée plusieurs jours sans vouloir sortir à mon retour de Magrathéa, mais maintenant je m'y faisais. J'attendais surtout patiemment que ce soit enfin terminé puisqu'il me restait moins de quarante huit heures à tenir.
« On peut mettre Dragons ? » proposais-je distraitement, tournant légèrement ma tête dans sa direction. « Godzilla Junior adore ce dessin-animé. »
Je ponctuais cet argument d'une caresse sur la tête écailleuse du lézard installé sur la couverture dans laquelle je m'étais totalement enroulée.
« On l'a déjà vu la semaine dernière, faut varier ta culture petite. » conseilla-t-il tout en cherchant dans la pile de dvds qui s'étalaient sur la table basse.
« On peut regarder Dragons 2. »
Je le vis clairement lever les yeux au ciel en grommelant des paroles incompréhensibles. Mon ouïe n'était plus aussi fine, et c'était assez énervant de ne pas être capable de l'entendre distinctement lorsqu'il marmonnait. J'entendis cependant clairement la sonnerie de mon portable qui me fit tendre le bras pour l'attraper sans conviction, mais je fus devancée par mon ami. Ça aussi, je n'appréciais pas. J'avais toujours de bons réflexes mais j'étais comme... diminuée. Et sans s'en rendre compte, il me le faisait inconsciemment remarquer avec ce genre de gestes.
« Qu'est-ce que c'est ? La pizzeria de Michel-Ange fait des promotions ? » soupirais-je en laissant ma tête retomber contre l'accoudoir du sofa.
Je n'étais pas très intéressée par les prix qu'ils pouvaient proposer puisque je pouvais tout avoir gratuit. C'était l'un des avantages que j'avais en étant la meilleure amie de l'un des propriétaires.
« Euh... Nan. » se contenta de répondre de le garde, une sorte de trouble dans sa voix attisant ma curiosité.
« Il s'est passé quelque chose ? »
Je m'étais totalement redressée, Godzilla Junior se décalant mollement pour monter sur le dossier du canapé, peu intéressé par notre conversation ou mon agitation. Est-ce que le commerce avait brûlé ? Est-ce qu'il y avait eu un accident ? Est-ce que quelqu'un était à l'hôpital ? Blessé, en danger, pire encore ? J'étais debout avant même de le réaliser. Après la fusillade qui avait eu lieu le mois dernier, j'imaginais rapidement les pires scénarios possibles. Et le fait de me sentir particulièrement impuissante ne m'aidait pas à relativiser.
Plutôt que de me répondre, il se contenta de me tendre l'appareil que je récupérais avec une certaine appréhension. Je n'étais pas prête à lire un tel message.
Je relevais la tête, les sourcils froncés et mon angoisse s'effaçant à présent au profit de l'incompréhension.
« C'est une blague. » estimais-je brutalement avant de jeter l'objet contre le canapé.
L'écran affichait encore la suite de messages remplis de smileys que je continuais d'envoyer de manière plus ou moins régulière au Psychopathe.
« Ou on lui a volé son téléphone, peut-être ? Ou il a été kidnappé et c'est une sorte de message codé ? Ou... c'est définitivement une blague. »
Je soupirais et croisais les bras, jetant des coups d'oeil perplexes en direction de mon portable. Est-ce que ça l'était ? Ce n'était pas... Il ne répondait jamais. Du moins jamais avant aujourd'hui.
« Je dirais plutôt que c'est... un rencard. »
Il prononça ce mot avec un air mystérieux et amusé, un sourire au coin des lèvres, en s'emparant du reste des chocolats. Ce n'était pas le genre de Balthazar. Ce n'était pas comme ça qu'il fonctionnait. Il n'avait pas... vraiment de fonctionnement en réalité. Après tout, il était bien venu ici quand j'avais cessé de lui donner signe de vie cet été, ce dont je ne l'aurai pas soupçonné être capable non plus. C'était pour cette raison que j'avais opté pour une méthode différente afin qu'il ne soupçonne rien pendant mes quarante-un jours de cohabitation avec une pieuvre alien : faire comme si tout allait très bien. Ou presque. Je gardais certaines distances frustrantes mais nécessaires pour qu'il ne mesure pas l'étendue de ma vulnérabilité actuelle. J'étais plutôt fière de moi, je me débrouillais très bien jusqu'à maintenant.
« Je ne vais pas y aller. » affirmais-je avec une assurance à peine feinte, persuadée que c'était plus prudent.
« Menteuse. »
« Non. »
« Si. »
« Non. »
« On va continuer comme ça longtemps ou tu vas aller chercher pendant trois heures ce que tu vas porter ? »
« Je dois... porter quelque chose en particulier ? »
« Tu vois j'avais raison : tu vas y aller. » ricana-t-il sans chercher à retenir son rire moqueur.
J'ouvrais la bouche, prise de court, et agissais avec maturité en attrapant le premier coussin à ma portée pour le lancer dans sa direction. Il le récupéra sans difficulté, m'offrant son plus grand sourire avant que je ne m'échappe dans ma chambre. Qu'il s'amuse de mon manque de force tant qu'il le pouvait, ça ne durerait pas.
* * *
J'étais loin d'être ponctuelle. Je ne supportais pas les horaires précis, qui sonnaient comme l'ordre d'être présente à tel endroit à tel moment, et mon esprit de contradiction naissant me donnait toujours l'envie de ne pas être à l'heure. Cependant, pour une fois, j'étais... en avance.
Cinéma. 20h. Ce soir.
J'avais beau lire et relire ce qu'il m'avait envoyé, je n'en comprenais pas le but. C'était stupide de réfléchir autant pour quelques mots. Il voulait aller voir un film ? Avec moi ? C'était l'évidence. La logique. La normalité. Ce n'était pas Balthazar Graves.
A plusieurs reprises, j'avais tenté une offensive par messages pour comprendre ce qui se passait. J'avais enchaîné les points d'interrogations dans un premier temps. Puis les petits bonhommes étonnés, avant de poursuivre par ceux qui sont énervés, puis ceux qui sont très énervés. Pour terminer par... des confettis. Je les avais envoyé par erreur et j'avais cessé après cela d'insister inutilement.
« Est-ce qu'il sait ce que c'est un cinéma au moins... »
Je marmonnais toute seule, plantée devant l'édifice en replaçant maladroitement l'écharpe autour de mon cou qui me démangeait et le bonnet posé sur ma tête. Ma sensibilité aux températures de la saison me déplaisait grandement. Je n'arrivais toujours pas à m'habituer aux collants sous mes jupes, ni à la couche supplémentaire que représentaient un pull et le manteau rembourré de fausse fourrure. J'avais fini par abandonner les gants, je ne les supportais pas et ils n'étaient pas pratiques. C'était plus commode d'en être débarrassée pour terminer de manger le bonhomme en pain d'épices que j'avais acheté.
Quitte à être de sortie, Basile avait accepté de m'accompagner un moment pour patienter au marché de Noël de la ville avant de me laisser seule. Il était bien plus agréable de s'y balader dans ce monde que dans celui du Clown et, même si je n'aimais toujours pas cette fête, j'admettais que les petits chalets étaient joliment illuminés à la nuit tombée. Et que la nourriture n'était pas mauvaise. Et que mon besoin viscérale d'acheter des choses inutiles avait été en partie satisfait. Maintenant j'étais encombrée d'un sac rempli de bougies que je n'utiliserai pas, de bijoux que je ne porterai pas et d'un cadeau pour une personne qui n'en méritait pas.
Les talons de mes bottes claquaient contre le sol à intervalles réguliers, preuve de mon agacement et de mon impatience, alors qu'une chorale répétait inlassablement les mêmes chants depuis de longues minutes à quelques mètres de là. J'étais agacée contre moi-même, d'être ici alors que j'aurai très bien pu ne le recroiser que le lendemain, en toute tranquillité. Et contre lui aussi, d'agir de manière si... intrigante. Pourquoi aujourd'hui ? Ou juste pourquoi ? Le pire dans tout ça, c'était sans doute qu'au fond, ça me plaisait.
« Un porte-clés acheté, un offert ! Et si vous en achetez deux, je vous fais un câlin !»
Je sursautais presque en entendant cette voix s'élever si près de moi et reculais par réflexe en tournant la la tête vers la vendeuse ambulante. Elle tenait dans ses bras un nombre impressionnant de petites babioles qui tintaient les unes contre les autres. Je me pinçais les lèvres, la détaillant de longues secondes. J'étais très méfiante envers tous les inconnus que je pouvais croiser. Trop, même. Sans doute à cause du traumatisme de Grand Sourire et de ma mortalité passagère. C'était en tout les cas une incroyable erreur d'être venue m'exposer ici. J'étais trop tendue.
« Je vais prendre celui-là. »
Je m'étais rapprochée de cette vendeuse pour pointer du doigt la petite chèvre sur l'un de ses portants. Je pourrais le donner à Hypérion ? Non. Pas tant qu'il ne s'était pas excusé comme il le devait. Je le garderai pour moi, ou je le rangerai dans un tiroir pour finir par ne plus me rappeler que je le possédais. Mais je le trouvais joli et je le voulais.
« Et celui-là, aussi. » poursuivais-je, les yeux pétillants. « Et celui-ci. »
Une tortue pour Michel-Ange et un dragon pour Théodore, pour ne pas faire de jaloux. Après ces achat impulsifs et stupides qui n'avaient pour but que me relaxer brièvement, je rentrerai me morfondre et maudire Balthazar d'avoir abusé de ma confiance en me faisant croire qu'il viendrait. Parce qu'il ne viendrait pas. Je l'imaginais capable d'être en train rire d'une façon diabolique avec son grand ami Moustache dans ses bras, au chaud dans son appartement, à se délecter de ma déception.
« Vous êtes adorable, mademoiselle ! Vous méritez deux câlins ! » s'exclama-t-elle avec un engouement presque agressif.
Je n'avais pas prévu que les bras chargés de la jeune femme viennent m'entourer subitement. Et je ne fus pas assez rapide pour m'extirper, peinant à prendre le dessus physiquement alors que j'avais la sensation d'étouffer. Je n'avais pas survécu autant de temps pour mourir asphyxiée à cause d'une étreinte excessivement reconnaissante ! Les gens de cette ville étaient vraiment... perturbés, en plus d'être dangereux. Je regrettais déjà profondément d'avoir quitté mon canapé rien que parce que ce barbier l'avait demandé.
black pumpkin
Balthazar Graves
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| Avatar : Ben Whishaw
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
DEMAIN DES L'AUBE.
| Conte : Sweeney Todd | Dans le monde des contes, je suis : : Mister T.
Confortablement installé dans son canapé élimé, Balthazar caressait son chat tout en émettant un son rauque et répétitif, tandis que le coin de ses lèvres tressautait par intermittence. Cela s'apparentait à un rire étrange et grinçant. Il jubilait à sa manière, car il avait atteint son but : déstabiliser la petite peste à distance, sans même l'approcher. Cela faisait plus d'un mois qu'elle avait un comportement encore plus bizarre que d'habitude et chose extrêmement curieuse : elle ne sollicitait plus de proximité particulière. Dès que l'électricité agissait entre eux, elle battait en retraite. Elle n'incitait plus, ne poussait plus au vice. Le barbier en éprouvait un manque qui virait à l'obsession. Il avait pris le temps de trouver une façon de piquer la curiosité de l'amazone, par une invitation aussi banale que surprenante -spécialement venant de lui. Il appréciait le sens de chaque détail et n'en avait négligé aucun. L'idée lui était venue quand, par un après-midi de profond abattement, il s'était retrouvé à comater devant un téléfilm de noël. Un rendez-vous galant. Quoi de plus absurde et ridicule ? Eulalie allait forcément mordre à l'hameçon. Elle avait fait mieux : elle avait carrément dévoré l'appât.
Le regard sournoisement rieur, Balthazar pencha la tête vers son téléphone qui montrait la liste de leurs textos. A son message conventionnel dépourvu d'émoticone succédait une invasion de smileys en tous genres, des plus étonnés aux plus énervés. Le cellulaire avait vibré toute la journée, jusqu'au point culminant : une pluie de confettis. A ce moment-là, le barbier avait froncé les sourcils. Il n'avait pas compris. Sans doute que l'amazone avait atteint un degré de rage trop élevé. Parfait.
Il jeta un coup d'oeil à sa montre : dix-neuf heures quarante cinq. Le cinéma n'était pas loin et bien qu'il soit ponctuel, il préférait ne pas arriver en avance. Il savait qu'Eulalie ne l'était jamais. Il repoussa Moustache qui émit un miaulement désapprobateur avant de sauter de ses genoux. Il se leva du canapé, attrapa une brosse afin d'enlever énergiquement les poils de chat sur son pull et son pantalon trop larges. Puis, il enfila son long manteau gris sombre, passa une écharpe qui portait les marques de griffes de Moustache et quitta son appartement. Juste avant d'entrer dans son véhicule, il alluma une cigarette. Il trouvait beaucoup plus agréable de conduire dans un habitacle enfumé.
Après un court trajet, il se gara sur le parking. Descendant de voiture, il remarqua un scooter appartenant à la pizzéria de Casquette. Tout en passant juste à côté, il le raya discrètement avec ses clés. Puis, il continua tranquillement sa cigarette tout en marchant d'un pas sec.
Eulalie attendait devant le cinéma, toute en fourrure et autres matières thermolactyles. Cela faisait plus d'un mois qu'elle s'habillait chaudement, ce qui ne correspondait pas avec son style habituel. Le barbier tiqua en baissant les yeux sur les collants opaques qu'elle portait. Il remarqua que sa jupe -en laine- était toujours aussi courte, en tous cas. Emmitouflée dans son manteau, son bonnet et son écharpe, elle était méconnaissable. Elle ne semblait pas l'avoir aperçu. Elle n'avait plus son sixième sens pour détecter les gens à des kilomètres à la ronde. Le barbier plissa des yeux et décida de se cacher derrière un chalet du marché de noël, de sorte à l'espionner à son insu.
Elle venait d'acheter des porte-clés à une vendeuse itinérante qui l'étreignit avec chaleur. Balthazar secoua la tête d'un air désabusé. Machinalement, il tapota contre la poche intérieure de son manteau ; la petite boîte y était toujours.
Il adressa un regard oblique à la chorale qui s'époumonait trop joyeusement près de ses oreilles. Il avait l'impression qu'elle s'était rapprochée. Il résista à l'envie de plonger la main dans sa poche afin de couper la voix à un ou deux individus. A la place, il sortit de sa cachette et s'éloigna rapidement de ces imbéciles qui glorifiaient un arbre de noël. Il détestait toutes les fêtes, mais celle-ci, depuis l'an passé, avait reçu la palme de l'abomination, sous tous les sens du terme. D'ailleurs, il redoutait le retour de Grand Sourire à l'approche du vingt-quatre décembre, même si une part de lui se doutait qu'il choisirait un autre moment, moins prévisible.
"Tu es venue." déclara-t-il froidement en s'arrêtant devant Eulalie, sa bouche libérant un panache de buée.
Le ton de sa voix était à la fois méprisant et narquois.
La vendeuse de porte-clés était toujours là mais il ne lui avait pas même adressé un regard. Elle n'avait aucune espèce d'importance.
Lentement, il porta la cigarette presque consumée à sa bouche et en aspira une bouffée tout en observant l'amazone de haut en bas, dans une sorte de fascination hypnotique. Il parvint difficilement à détacher son regard de ses bottes. Elles mettaient indéniablement ses jambes en valeur, malgré les collants. Jetant sa clope, il leva finalement les yeux pour plonger dans les siens, à peine visibles entre le bonnet et l'écharpe montée jusqu'à son nez. Avec un rictus, il coinça un doigt dans la laine et l'abaissa juste assez pour déceler ses lèvres fardées de rouge. La jeune femme s'était apprêtée. Ce n'était pas une surprise, mais il en retira une satisfaction particulière. Du bout de l'index, il chassa délicatement les miettes de pain d'épices qu'elle avait au coin de la bouche.
"Y a-t-il encore une amazone en toi ?" murmura-t-il, parfaitement conscient qu'elle lui cachait des choses qui risquaient fort de l'intéresser.
Il savait bien qu'elle ne répondrait pas. Cette fragilité latente était des plus exquises. Et ce serait encore plus jouissif de la mettre devant le fait accompli, le moment venu.
Pour l'instant, il se contenta de lui indiquer le cinéma derrière elle. Sachant très bien qu'elle le suivrait, il la contourna pour se diriger vers ce dernier. Il y entra, lui tint la porte et se planta ensuite devant le guichet. Son expression morose s'accentua alors qu'il voyait l'hôtesse arborer un bonnet de noël. Une véritable plaie, cette période de l'année...
"Bonjour monsieur dame !" dit-elle, enjouée.
"Deux places pour..."
Il se tut, pris au dépourvu. Il n'avait pas pensé à choisir un film. De toutes façons, ça importait peu. Ce n'était pas l'essentiel, ni le but de sa présence en un tel lieu.
"Vous n'avez pas encore décidé ce que vous voulez voir, les amoureux ?" fit l'hôtesse sans se départir de son aimable sourire. "Je peux vous suggérer Casse-Noisette. C'est un joli conte de Noël et..."
"Non." coupa-t-il tout net.
La femme cligna des yeux, surprise par le ton catégorique. Très professionnelle, elle poursuivit pourtant :
"Si vous aimez l'univers d'Harry Potter, il y a les Animaux Fantastiques..."
Le sourcil qu'il leva intima à son interlocutrice de ne pas insister. Il ne savait même pas à quoi elle faisait allusion, mais il avait l'impression qu'il allait détester.
"Il y a aussi Mortal Engines." énonça-t-elle avec beaucoup moins d'entrain. "Le Grinch, Le Retour de Mary Poppins, L'Exorcisme d'Hannah Grace..."
"Ca." dit-il tout en claquant son portefeuille sur le rebord du guichet.
L'hôtesse sursauta et encaissa en perdant totalement son sourire. Balthazar récupéra les tickets et s'éloigna dans le hall. Un exorcisme, ce serait toujours moins pénible à supporter qu'un film familial. Et si les circonstances lui étaient favorables, il n'aurait pas à rester durant la séance.
Il frotta sa moustache du bout des doigts puis tendit les tickets à un homme qui faisait barrage.
"Salle neuf." énonça-t-il en les lui rendant après avoir déchiré une partie.
Le barbier lança un coup d'oeil circonspect à l'écran en hauteur qui stipulait que la salle neuf était celle diffusant Le Retour de Mary Poppins. Il vérifia les tickets et se rendit compte que l'hôtesse s'était trompée de film. L'humeur de Balthazar, déjà exécrable, empira davantage. Il contracta la mâchoire et planta un regard acéré dans celui d'Eulalie.
"Tu as faim ? Bien sûr, tu as faim." grommela-t-il avec un agacement teinté de sarcasme.
D'un pas ferme et nerveux, il se rendit jusqu'au stand de confiserie et acheta un grand paquet de pop corn qu'il colla dans les mains de l'amazone sans aucune délicatesse. Après quoi il traversa le vaste couloir menant aux différentes salles.
"Ne traîne pas." maugréa-t-il.
Il restait sourd et aveugle aux autres personnes présentes. Il cherchait seulement un indice, la preuve qu'il n'était pas venu dans ce cinéma pour rien. Il se figea brusquement en voyant une directionnelle préciser, juste à côté d'une porte fermée :
SALLE 13 : SWEENEY TODD
Ce n'était pas un film à l'affiche. Il était sorti depuis des années même s'il ne l'avait jamais vu. Un frisson parcourut le barbier de la tête aux pieds tandis qu'il fixait les lettres portant son propre nom, ou plutôt le pseudonyme qu'il s'était attribué à l'époque. Eulalie savait-elle qui il était en réalité ? Elle avait compris qu'il était un psychopathe. Il ne s'en cachait pas en sa présence. Peut-être aurait-il dû faire plus attention...
"C'est ici." articula-t-il dans un filet de voix.
Il déglutit avec peine, incapable de bouger. Qu'allaient-ils trouver de l'autre côté ? Qui avait orchestré cette étrange mascarade ? Dans quel but ? Brusquement, le barbier songea qu'il venait peut-être de tomber dans un piège. Il s'était enorgueilli d'avoir aisément convaincu Eulalie de l'accompagner, mais en réalité, c'était lui, le véritable appât. Il se mordit les lèvres à cette pensée.
Trop faible. Trop... curieux.
Cela ressemblait à du Holmes. Ses pulsions meurtrières dé-raisonnées se réveillèrent brusquement et il cramponna son rasoir dans sa poche de manteau, ses yeux lançant des éclairs inquiétants.
acidbrain
Eulalie
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| Avatar : Holland Roden
"Qu'est-ce qu'elle me veut encore celle-là..."
"Coucou TortueMan, je t'ai manqué ?"
"Je sais que j'ai une mauvaise réputation
mais de là à garder une distance de sécurité..
tu abuses, Emmet."
♡
| Conte : Famille Divine | Dans le monde des contes, je suis : : Capitaine Amazone Sexy
There's a hole in the world like a great black pit, and the vermin of the world inhabit it.
Si en pratique j'arrivais généralement à vivre ma vulnérabilité de manière correcte -comme avec cette vendeuse qui m'avait enfin relâchée-, tout se compliquait dès que Balthazar se trouvait dans le périmètre de sécurité invisible que j'imaginais m'entourer. J'avais été prise de court par son arrivée, déstabilisée l'espace d'une seconde. Je sentais tout son jugement peser sur ma personne. Quand il me détaillait de la sorte, j'étais toujours partagée entre le fait d'être flattée ou exaspérée. La plupart du temps, c'était la satisfaction qui l'emportait largement.
Je me persuadais que la cause du frémissement qui me parcourait était le froid et non pas son simple contact. Il ne faisait jamais en sorte que le moindre rapprochement... conséquent ait lieu, mais un simple frôlement était rapidement capable de m'embrouiller. La retenue dont je devais faire preuve était tout sauf naturelle et il s'avérait parfois très délicat de résister aux pulsions qu'il pouvait inspirer. La question qu'il posa eut au moins le mérite de brutalement les étouffer. Est-ce qu'il se doutait de quelque chose ? Non. Il n'aurait pas attendu aussi longtemps pour le faire remarquer. Il ne faisait que me provoquer et si j'osais répondre, ce serait lui donner raison.
J'avais remercié la vendeuse et ranger les divers porte-clefs dans une poche de mon manteau lorsqu'il s'était finalement éloigné, pénétrant à sa suite à l'intérieur du cinéma, la tête haute. Apollon disait souvent que l'assurance était le plus grands des atouts. Je pouvais faire absolument n'importe quoi, tant que c'était avec aplomb et confiance, rien ne pouvait m'arrêter. C'était un enseignement que je me répétais environ toutes les cinq minutes, comme pour me rassurer et me convaincre que ce n'était pas si stupide que cela d'être là.
L'envie de protester quant au choix du film m'avait envahi alors qu'Harry Potter avait été évoqué mais je décidais de rester en retrait près du barbier. Je l'observais en conservant le silence, lâchant parfois un soupir face à son manque évident d'entrain. Il ne prenait aucun plaisir à être ici et même cet exorcisme ne semblait pas l'enchanter. Si son air morose le rendait attrayant sans que je ne me l'explique, cette moustache qu'il arborait le vieillissait. J'esquissais une moue désabusée à cette pensée, tout en baissant les yeux vers mes bottes.
Je ne prêtais plus qu'une attention secondaire à ce qui se déroulait en continuant de le suivre sans engouement. Pourquoi est-ce qu'il était venu ? Quelque chose devait forcément m'échapper.
« J'ai soif, surtout... » fis-je remarquer dans un chuchotement inaudible alors que je rattrapais maladroitement le paquet qu'il avait prit la peine d'acheter.
Cela dit, c'était un principe que j'avais de ne jamais refuser de la nourriture. Balthazar avait beau agir avec gentillesse en pensant à ce détail, il ne dégageait aucune amabilité. C'était habituel chez lui, mais ça n'en restait pas moins affreusement perturbant et agaçant.
Je me stoppais net en manquant de le cogner alors qu'il s'était brutalement arrêté. Je fronçais les sourcils, indécise, avant de suivre la direction de son regard.
« Ce n'est pas le film que tu as demandé. Ni la salle 9. » prononçais-je simplement. « Et je n'aime pas ça. Le nombre 13 alors que nous sommes un vendredi, c'est comme... un mauvais présage. »
Je développais des tendances paranoïaques qui n'avaient pas toujours lieu d'être, persuadée que ça ne pouvait être un hasard. Ce nom me disait vaguement quelque chose en plus de cela. Je devais en avoir le dvd à la colocation. J'étais convaincue de l'avoir également entendu quelque part, j'avais juste quelques difficultés à m'en souvenir avec exactitude.
Je me contentais de hausser les épaules et hésitais à l'interroger à ce sujet, mais cette idée s'effaça bien vite lorsque je me tournais vers lui. Il était tendu. Je devinais parfaitement quel objet il pouvait bien tenir serrer entre ses doigts, dissimulé dans sa poche.
« Tu vas bien ? » l'interrogeais-je sans réfléchir, d'une voix trop basse et indécise.
C'était une question d'une stupidité monumentale. Il était parfois excessif dans ses réactions, je ne voyais pas ce qui pouvait justifier qu'il soit nerveux alors qu'il était celui qui m'avait amené là. Je me pinçais les lèvres, trouvant encore plus idiot le fait de rester plantés devant une porte fermée. Est-ce que Balthazar jouait encore à un jeu avec moi ?
Mon sentiment de ''mauvais présage'' s'accentuait et j'hésitais à faire demi-tour. J'aurai pu le faire. Mais je n'avais pas envie de le laisser non plus, même si je ne comprenais pas ce qui se passait. Quoi qu'il dise, je restais une amazone. Je n'optais jamais pour la fuite... sauf quand cela risquait de me mettre dans une position de faiblesse évidente.
« Au point où j'en suis... peu importe le film. » soupirais-je finalement en secouant légèrement la tête.
Je frottais négligemment ma main libre contre mon manteau avant de passer mon bras sous le sien avec une certaine douceur. Ce n'était pas comme si je pouvais faire preuve d'une grande brutalité ces derniers temps.
J'entamais un pas en direction de la porte fermée avant de sentir une résistance prononcée de sa part. J'insistais, le tirant pour l'entraîner à ma suite. C'était comme traîner un poids mort derrière moi. Ma contrariété devait aisément se lire sur mes traits, tandis qu'il ne m'avait jamais paru si lourd avant aujourd'hui. Ma prise sur lui se serra aussi fort que possible -autrement dit, beaucoup trop peu à mon goût- et je serrais les dents en parvenant difficilement à le faire bouger. Cet acte anodin me demandait bien trop d'efforts.
J'avais manqué de faire tomber le paquet que je tenais en ouvrant la porte et je ne pouvais m'empêcher de marmonner pour évacuer ma frustration grandissante. Cela dit, je conservais une confiance exagérée qui m'était indispensable si je ne voulais pas laisser de place aux doutes. La salle presque déserte ne dégageait après tout rien d'inquiétant. Sans attendre son avis, je continuais de le tirer péniblement vers les places les plus proches - rester près de la porte, c'était garder un accès de sortie facile à portée, juste au cas-où.
« Assieds-toi. » ordonnais-je presque à l'attention de Balthazar qui semblait définitivement ailleurs. « S'il te plaît ? »
J'aurai dû mettre un peu plus d'aplomb dans ma voix pour ne pas paraître aussi indécise. Je tentais tant bien que mal de l'y inciter, avant de me résoudre à le relâcher pour déposer mon sac et le manteau qui pesait sur mes épaules sur l'un des fauteuils. Le bonnet et l'écharpe suivirent rapidement alors que je soupirais d'aise, soulagée d'être débarrassée. La température de la salle n'était pas parfaite, mais elle était bien plus supportable que celle de l'extérieur.
« Je ne pensais pas que ce film serait un jour de nouveau à l'affiche ! C'est super cette initiative de la Pellicule Ensorcelée de rediffuser d'anciens films ! »
Je tournais la tête en direction des deux individus assis quelques rangées plus loin. Dans un espace clos et restreint il était aisé d'entendre les conversations des autres sans grande difficulté, surtout puisque nous étions les seuls, tous les quatre, à nous trouver à cet endroit. Je connaissais ce cinéma, mais je n'avais pourtant jamais entendu parler de cette... entreprise ? A moins que ce ne soit une association. Ou une fabuleuse arnaque.
« Dans quoi est-ce que tu m'as embarqué... » murmurais-je sans véritablement attendre de réponse de la part du barbier.
Toutes les lumières étaient encore allumées et la diffusion n'avait pas débuté. J'étais de plus en plus intriguée, autant que méfiante. Encore plus en étant dépourvue de ma capacité à percevoir les auras environnantes. N'importe qui pouvait se cacher n'importe où. Je n'aimais pas ça.
« Ce n'est pas un rencard, n'est-ce pas ? Basile a dit que c'en était un. Mais quand j'ai eu un avec Billy, il avait apporté des fleurs. Pas toi. Donc je suppose que ce n'en est pas vraiment un, même si ce n'est peut-être pas une obligation. »
Je me laissais tomber mollement sur le siège derrière moi. Je n'avais pas à être perturbée, c'était simplement une salle, avec un écran, une projection, ce serait terminé dans deux heures, grand maximum. Il n'y avait rien de dangereux à tout ça. J'évitais de le regarder tout en ne pouvant m'empêcher de finir par l'observer. D'un côté, j'étais curieuse de savoir ce qui l'avait motivé et j'aurai aimé qu'il m'explique pourquoi il avait prit cette initiative, mais de l'autre, je préférais rester dans l'ignorance pour ne pas risquer d'être déçue par ses éclaircissements.
« J'espère que ce n'est pas un film muet. Ils me font toujours pleurer. » précisais-je en attrapant distraitement quelques popcorns.
Je le savais depuis le temps : tenter d'entamer la moindre conversation avec Balthazar était un défi de taille et perdu d'avance. Il s'agissait plus souvent d'un dialogue que je tenais à moi seule en parlant pour deux. Je voulais juste... le détendre, d'une façon ou d'une autre, puisqu'il avait cet air de torture intérieure que je ne pouvais pas comprendre. Je jetais un coup d’œil en direction de mon sac, me demandant si lui offrir quoi que ce soit maintenant pourrait lui permettre de se sentir mieux. Je n'étais pas convaincue par cette perspective. Très peu de choses pouvaient contenter un psychopathe.
Soudainement, je manquais d'être en train de m'étouffer à cause d'un grand de maïs avalé de travers. Je commençais à tousser d'affolement, ma main se plaquant par réflèxe contre ma bouche alors que j'attirais malgré moi l'attention des deux autres personnes présentes. Il me fallut de longues secondes pour me reprendre, cette absence d'air entrant dans mes poumons me laissant quelque peu haletante, tout autant que la réflexion qui venait d'éclairer mon esprit.
« C'est... » débutais-je, avant de m'interrompre subitement à l'entente de ma voix enrouée.
Doucement, je me raclais la gorge pour me redonner une certaine contenance. Malgré cette asphyxie passagère, je devais arborer une expression des plus neutres. Ce n'était pas très concluant. Mon regard reflétait mon étonnement et mon trouble naissant, tandis que mon cœur s'emballait fatalement. Comment est-ce que je n'avais pas pu faire le rapprochement plus tôt ? Est-ce que c'était pour ça qu'il m'avait demandé de venir ici ? A moins qu'il ne s'agisse que d'un hasard bien placé ? Évidemment que non. A Storybrooke, il n'y avait pas de place pour les coïncidences.
« C'est toi. » articulais-je dans un murmure. « C'est... ton film. C'est toi ce Monsieur Todd. »
Je m'étais instinctivement redressée sur mon siège, les sourcils froncés et mon regard l'étudiant avec inquiétude et curiosité.
Il n'avait été appelé ainsi qu'une fois devant moi, presque un an plus tôt, par celui qui était supposément le frère de Penny. Tony ? Donny ? Quelque chose qui y ressemblait. Ce n'était pas l'élément important. Cela expliquerait au moins ses réticences, mais ça ne faisait que m'embrouiller davantage. Ça n'avait pas de sens. Si c'était vraiment le cas, il ne m'aurait jamais emmené ici. Du peu que je connaissais de lui et de son existence passée, elle n'avait pas été des plus heureuses. La voir diffusée sur un grand écran ne devait pas être engageant.
« Je sais que ce n'est pas juste un rendez-vous entre... toi et moi. Ce n'est pas comme si tu étais mon petit ami romantique et attentionné, capable de m'inviter sans arrières-pensées. Même si c'est déjà arrivé, je crois, une fois. Ou deux. Mais tu vas me dire tout de suite ce qu'on fait exactement ici, parce qu'il doit forcément y avoir une raison. » lâchais-je avec brutalité et rapidité, plus fort que ce que j'avais anticipé. « Sinon... »
Je laissais ma phrase en suspens et clignais des yeux, la bouche ouverte dans une expression incertaine, réalisant que je m'étais rapprochée de lui dans un automatisme tout en parlant. Est-ce que j'avais dis "petit ami" ? Ce n'était qu'une comparaison. C'était ce dont il se rapprochait le plus, si j'en prenais la définition. Mais ce n'était pas ce qu'il était non plus. Peu importait à cet instant. Je me rendais surtout compte que je n'avais aucun moyen de pression. Vraiment aucun. J'aurai pu le menacer de lui voler son bien le plus précieux si il ne parlait pas, toutefois je préférais éviter le moindre rapport de force. Et à dire vrai, sans rapport de force, j'étais complètement... démunie.
« Sinon tu le regrettera. » achevais-je enfin sans conviction, la bouche pincée.
Je conservais un peu de ma fierté même si je devais avoir l'air idiote. Je n'oubliais pas la règle d'or : rester confiante en toutes circonstances. Même si je commençais à perdre totalement le contrôle de cette situation. Je tentais vainement d'appeler Basile à la rescousse mais il restait sourd à mes appels. Sans doute parce que mes faibles capacités m'empêchaient de le contacter avec efficacité... Il avait dit qu'il voulait me laisser "profiter" et "me détendre", mais il aurait dû venir avec moi. Je me serai sentie bien plus en sécurité avec un garde olympien pour tenir la chandelle et me servir de bouclier derrière lequel j'aurai pu me cacher. Au moins j'avais toujours mon paquet de popcorn pour faire barrière entre nous.
black pumpkin
Balthazar Graves
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Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
DEMAIN DES L'AUBE.
| Conte : Sweeney Todd | Dans le monde des contes, je suis : : Mister T.
Can we take it to the next level, baby, do you dare?
'Cause if you can say the words, I don't know why I should care
Poussé par la curiosité, il avait tout de même consenti à entrer dans la salle. A présent, il en scrutait chaque centimètre carré, à l'affût du moindre détail troublant. Il trouvait l'endroit beaucoup trop sombre à son goût, même si des lumières éclairaient de façon tamisée. La salle était désespérément ordinaire. Se pouvait-il qu'il cherche des coïncidences là où il n'y avait que du hasard ? Le film Sweeney Todd était-il à l'affiche depuis plusieurs jours ? Il se maudit de ne pas avoir vérifié la devanture du cinéma, trop accaparé qu'il l'était par Eulalie à ce moment-là.
Il adressa à peine un coup d'oeil à l'amazone, remarquant seulement qu'elle s'était débarrassée de toutes ses couches de vêtements. La chaleur faillit l'obliger à faire de même, mais il s'obstina à garder son manteau. Après tout, il n'avait pas l'intention de rester. A mesure que les minutes passaient, il finit tout de même par enlever un tour de son écharpe et par ouvrir les boutons de sa veste.
La petite peste ne pouvait s'empêcher de parler. Sa voix aiguë l'agaçait prodigieusement, alors qu'il aspirait au calme afin de se concentrer sur les éventuelles étrangetés de la salle. Toujours rien de suspect. Il entendait les murmures de la conversation des deux seules autres personnes, ainsi qu'une musique de fond sans aucun rapport avec le film à venir. L'écran demeurait vierge.
Soudain, un frisson imperceptible le parcourut. C'est... ton film. C'est toi ce Monsieur Todd. Sa mâchoire se contracta alors qu'il fixait l'écran blanc devant lui. Eulalie avait compris. Il ne se sentait pas aussi nerveux et furieux qu'il l'aurait cru. Au contraire, ces mots lui inspiraient plutôt une sorte d'apaisement étrange. Etait-ce en raison de sa façon de le dire ? Sans aucun reproche ni jugement ? Elle semblait au contraire anxieuse et intriguée. Avec réticence, il tourna la tête croisa son regard, dans lequel il lut les mêmes expressions que dans son intonation.
"Petit ami..." répéta-t-il dans un grommellement exaspéré.
Pourquoi s'était-elle sentie obligée de se rapprocher de lui pour prononcer ces paroles ? Voilà qu'elle le menaçait. De mieux en mieux. Son manque de conviction lui arracha le début d'un rictus sardonique. Elle n'était plus que l'ombre d'elle-même. Il l'avait parfaitement compris. C'était juste qu'il n'avait pas jugé utile de le lui faire remarquer auparavant. Le parfum de la petite peste s'insinua sournoisement dans ses narines ; il inspira profondément et bloqua ses poumons l'espace de quelques secondes, tentative absurde de la garder jalousement au plus près de lui. Enivré. Puis, il reprit une respiration normale.
"Que vas-tu me faire ?" murmura-t-il, provoquant, tout en jouant avec une boucle rousse proche de son visage.
Il était curieux de savoir de quelle façon elle allait s'y prendre pour lui faire regretter son absence de coopération, étant donné qu'elle n'avait plus la pleine possession de ses capacités physiques. Puis, estimant que son expression troublée et ridiculement farouche était suffisante, il plongea la main dans la poche de son manteau et en sortit son téléphone. Il choisit le message à lui montrer qui stipulait :
Le chemin de l'assassin Est pavé de bonnes intentions. Rendez-vous en décembre, le vingt et un Au cinéma, pour plus d'informations.
Le passé reviendra... avec ou sans vous. Il vaut mieux que vous soyez au rendez-vous.
"C'est un numéro privé." précisa-t-il, contrarié.
L'invitation était si bien ajustée qu'il avait tout d'abord pensé au détective, mais il avait changé d'avis au fil des minutes car ce dernier n'aurait jamais pris autant de temps avant de parader, fier de mettre le barbier au pilori.
Il aurait pu ignorer le message, mais cela avait fini par l'obséder, comme beaucoup de choses qui entraient dans sa tête pour ne jamais en ressortir. Quelqu'un connaissait la vérité sur lui et il avait décidé de ne pas quitter le cinéma avant de le trouver et de le faire taire définitivement.
"Quelqu'un sait." dit-il dans un filet de voix tout en rapprochant son visage de celui de l'amazone. "Je ne partirai pas d'ici avant de lui avoir fait rendre gorge."
Une lueur de démence déterminée brilla au fond de ses pupilles, alors que ses doigts quittaient enfin la chevelure d'Eulalie pour venir se refermer autour du rasoir, dans sa poche.
A présent, que faire ? Il pivota sur son siège, observant avec insistance les deux personnes à plusieurs rangées de là. Ces dernières finirent par cesser de discuter, remarquant cet homme étrange qui les détaillait d'une façon inquiétante. Balthazar laissa échapper un petit soupir. Non, il s'agissait de gens ordinaires. Trop vite effarouchés par un regard intimidant.
Fallait-il se contraindre à regarder tout le film ? Devait-il se plier aux exigences de son ennemi ? Il en avait assez de se comporter ainsi face à ses adversaires : Le clown, la fille Sandman, qui d'autre encore ? Il n'était pas un vulgaire pantin.
Ironie du sort, les lumières de la salle baissèrent à cet instant, alors qu'une publicité pour une boutique de la ville était diffusée à l'écran. Balthazar se crispa instantanément. Plus que jamais, il se sentait pris dans un guet-apens. Une autre publicité apparut bientôt :
"Vous avez perdu contact avec un de vos proches depuis la fin de la Malédiction et malgré vos recherches, vous ne l'avez jamais retrouvé ? La Pellicule Ensorcelée peut vous aider. Pour plus de renseignements, rendez-vous à l'accueil de votre cinéma."
La publicité était accrocheuse. Elle était en couleurs, montrant plusieurs personnes visiblement égarées qui finissaient par retrouver les leurs. Au fil des secondes, l'image ralentissait jusqu'à prendre des couleurs sépia. Puis, les mots suivants apparurent à l'écran, répétés par une voix off :
"Avec la Pellicule Ensorcelée, le passé revient."
Balthazar se leva d'un bond. Il n'y avait plus aucun doute à avoir. Là résidait l'indice supplémentaire concernant l'étrange message envoyé par son adversaire. Sans attendre, il quitta la salle, repoussa la porte brusquement et traversa le vaste couloir pour retourner à l'accueil.
L'idiote qui s'était trompée de film ne se trouvait plus au guichet. Elle avait été remplacée par une jeune fille qui buvait une boisson chaude dans un gobelet tout en feuilletant un magazine. Lorsque l'ombre du barbier tomba sur elle, elle releva les yeux et les écarquilla car au même instant, elle venait de s'étrangler avec sa boisson... qui lui ressortit par le nez. Ce qui s'apparentait à du chocolat chaud se répandit sur le magazine ouvert.
Balthazar ne masqua pas son dégoût et hésita à faire demi tour. Décidément, cet endroit était géré par de véritables incompétents. Il crut que la fille allait tousser interminablement mais elle finit par se calmer. Elle essuya son nez et ses yeux brillant de larmes dans un mouchoir en papier, renifla, inspira profondément et demanda d'un ton éraillé :
"Je peux vous aider, monsieur ?"
"La Pellicule Ensorcelée." grinça-t-il entre ses dents.
La fille battit des cils. Le barbier montra son impatience par le biais d'un soupir prononcé. Il avait l'impression que ses yeux étaient traversés par un vide abyssal. Le gérant de ce cinéma choisissait-il ses employés selon un critère de d'imbécilité spécifique ?
"Vous êtes intéressé ?"
Non, j'avais seulement envie de me promener dans le hall du cinéma. songea-t-il sombrement alors que son regard devenait assassin.
Utiliser son rasoir le démangeait plus que jamais. La fille déglutit et se mordit les lèvres.
"Appelez-moi un responsable." dit-il froidement. "J'en ai assez de parler à des idiots."
Elle tressaillit et pourtant, leva fièrement le menton alors qu'elle précisait d'un ton hautain :
"Je fais partie de La Pellicule Ensorcelée. Je suis la mieux placée pour vous renseigner. Pour commencer, nous donnons toujours un échantillon afin que vous jugiez de la qualité du service. "
Elle s'anima subitement pour refermer son magazine trempé et le repousser ainsi que son gobelet. Ensuite, elle pivota sur son siège pour se placer devant un écran d'ordinateur. Balthazar la trouvait très jeune pour travailler, mais peut-être était-elle stagiaire ou apprentie. Il chassa très vite cette interrogation, car cela ne l'intéressait pas.
"Votre nom ?"
Il resta impassible. Elle tourna la tête vers lui, attendant qu'il décline son identité.
"Sans votre nom, je ne peux pas trouver de pellicule vous concernant."
Le barbier sentait plus que jamais le piège se refermer sur lui.
"Balthazar Graves." maugréa-t-il enfin.
La jeune fille entra son nom dans l'ordinateur. Quelques secondes plus tard, un bruit émana d'un tuyau suspendu le long du plafond et dont la bouche se situait au niveau du guichet, juste à côté de l'ordinateur. Il était peint de la même couleur que le reste du hall, si bien qu'il se fondait parfaitement dans le décor. Le bruit se rapprocha, à la fois rapide et diffus et quelques instants plus tard, un objet en dépassa. La jeune fille s'en saisit, révélant une pellicule de cinéma plutôt petite, enroulée sur elle-même. Elle la fit glisser vers Balthazar, en dehors du guichet.
"Voici l'échantillon."
"Je veux tout le film." dit-il, catégorique.
Hors de question que quelque chose le concernant reste en possession de cet établissement.
"J'ai bien peur que ça ne soit pas possible." dit la fille, contrite. "C'est très intense pour la personne concernée de visionner ce que contiennent ces pellicules. Certains ont perdu la tête en les regardant. C'est toujours dur de regarder en arrière, vers son passé. Commencez par un court passage."
Balthazar prit la petite pellicule entre son pouce et son index, la retournant délicatement. Il était très tenté de menacer cette idiote afin d'obtenir l'entièreté du film, mais après tout, il s'agissait sûrement d'une copie. Il avait besoin d'avoir l'original afin de le détruire. Etait-ce le fameux Sweeney Todd diffusé actuellement dans la salle 13 ? Ou était-il question de quelque chose de plus personnel ? Il ne comprenait pas comment son véritable passé aurait pu se retrouver sur une pellicule. Par magie, probablement. Le pire poison après le divin.
Il fronça le nez, lugubre et remarqua alors qu'Eulalie se trouvait près de lui. Depuis combien de temps ? Il l'ignorait. Il avait tendance à occulter tout le reste quand il avait l'esprit focalisé sur une idée fixe. Le film ne l'intéressait pas suffisamment ? Tant mieux. Moins elle en saurait sur lui, mieux ce serait.
Sardonique, il lui montra la pellicule entre ses deux doigts.
"Il est peut-être encore question d'une souris blanche.Tu veux passer tes nerfs dessus, comme sur le colis ?" fit-il, pernicieux.
La veille, il avait reçu du courrier mais il avait été intercepté par une amazone en furie. Par la fenêtre, il l'avait vue froisser un colis ouvert tandis que le facteur s'éloignait tout en lui jetant des coups d'oeil anxieux et étonnés. Le barbier avait ouvert la porte et Eulalie lui avait remis le carton abîmé avant de partir à grands pas énervés. Il y avait trouvé une lettre d'Angelika ainsi qu'une boule à neige représentant une souris blanche. Cette dernière diffusait une jolie musique à l'aide d'un mécanisme. Balthazar s'était figé après la lecture, à la fois touché et déstabilisé par l'attention. Avec du recul, la réaction de la petite peste l'amusait énormément.
"Si... si vous voulez visionner la pellicule maintenant, nous avons une salle de projection privée. Suivez-moi." intervint la jeune fille d'un ton incertain.
Balthazar braqua son regard sur elle. Il avait presque oublié sa présence. Elle était sortie de la cabine en verre et les observait tous deux avec lassitude, comme si elle avait mieux à faire de sa soirée. D'ailleurs, elle ne les attendit pas pour pivoter sur ses pieds et se diriger vers le couloir.
"Rentre chez toi." fit Balthazar à l'adresse d'Eulalie, abruptement. "Ce n'était pas un rencard. Je voulais seulement te faire venir, parce que ça m'amuse de te voir rappliquer dès que je te sonne."
Il esquissa un rictus torve tout en l'observant d'un oeil perçant. C'était là le meilleur moyen de l'empêcher de regarder la pellicule. Il ne souhaitait pas qu'elle l'accompagne.
"Tu es suffisamment ridicule, ça me suffit pour cette fois." ajouta-t-il tout en toisant ses collants, sa mini-jupe en laine ainsi que son pull.
Sur cette réplique, il referma sa main autour de la pellicule et emboîta le pas à la jeune fille qui avait disparu à l'angle du couloir.
Il la retrouva devant une porte dépourvue de numéro, aussi grise que le reste du mur. Elle venait de l'ouvrir à l'aide d'une clé sur un trousseau. Elle poussa la porte et lui indiqua d'entrer. Vu d'ici, la pièce semblait vide, exiguë et ne possédait qu'une rangée de dix sièges dirigés vers un petit écran faisant tout de même toute la largeur de la paroi. Un projecteur Super 8 était posé derrière les sièges, sur une table surélevée.
"Vous savez comment ça fonctionne ?" demanda-t-elle.
Le barbier hocha la tête et esquissa un pas pour pénétrer dans la pièce.
"Dans ce cas, je vous laisse. Nous mettons un point d'honneur à respecter la vie privée de nos clients. Le film que vous allez voir n'a jamais été visionné et ne le sera que par vous, et ceux que vous souhaitez."
Elle eut un sourire crispé avant de s'éclipser. La porte était toujours ouverte. Balthazar n'était pas encore complètement entré. Il hésitait. Il avait l'impression que la pellicule pesait incroyablement lourd dans sa main. Un petit morceau de plomb. Etait-il vraiment prêt à affronter son passé ? Le manipulait-on encore ou avait-il surpassé son adversaire ?
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"Qu'est-ce qu'elle me veut encore celle-là..."
"Coucou TortueMan, je t'ai manqué ?"
"Je sais que j'ai une mauvaise réputation
mais de là à garder une distance de sécurité..
tu abuses, Emmet."
♡
| Conte : Famille Divine | Dans le monde des contes, je suis : : Capitaine Amazone Sexy
What do we conceal ? What do we reveal ? Make that decision every day.
Exténuant. Horripilant. Irritant. Aucun adjectif n'était en réalité assez fort pour décrire Balthazar Graves. Après presque une année complète à le côtoyer, j'estimais que lorsqu'il daignait m'adresser la parole, il y avait approximativement quatre vingt dix pour-cent de chance que j'ai envie de le frapper suite aux mots qu'il prononcerait. C'était le cas à cet instant précis, en tout cas.
Je devais admettre qu'il n'avait pas totalement tord : j'étais complètement ridicule. Rien que parce que je n'avais pas pu m'empêcher de courir après lui pour savoir ce qu'il cachait. Qu'est-ce que j'espérais en venant ici en fin de compte ? Je savais que ça devait encore être quelque chose qui me dépassait, et j'en avais eu la confirmation avec cette histoire de pellicule que je ne comprenais pas. Sans parler de cette fameuse souris. Il s'était senti obligé de l'évoquer pour me rendre encore plus furieuse ? Il n'avait pas besoin de ça. Sa simple proximité m'enrageait suffisamment par moment.
Les bras croisés, mon regard passait du couloir qu'il venait d'emprunter à la direction de l'endroit dont je venais. Je pouvais très bien l'ignorer et aller voir le film diffusé, qu'il s'agisse de son histoire ou non, et qu'il soit présent important finalement peu. J'avais laissé toutes mes affaires dans la salle en plus de cela, il aurait été plus réfléchi de ma part de prendre au moins le temps de les récupérer. Je soupirais et secouais la tête, tandis que chacun de mes pas faisaient rageusement claquer mes bottes contre le sol. Depuis quand est-ce que j'étais une personne réfléchie ? Je n'avais pas cédé face à un Titan, ce n'était pas un barbier qui parviendrait à me faire flancher.
J'adressais à peine un regard à l'employée que je croisais et mon expression fermée laissait transparaître tout mon agacement. Je n'étais peut-être plus dotée de ma force mais ma discrétion jouait en ma faveur et il avait cette fâcheuse tendance à être incapable de se concentrer sur plusieurs choses en même temps. Balthazar était un passionné. Obsessionnel était le terme adéquat. Il restait obnubilé par une tâche jusqu'à la considérer comme achevée. Même si cela pouvait s'apparenter à un défaut, c'était l'un de ces détails que je préférais chez lui.
Je le bousculais sans ménagement tandis qu'il restait figé à l'entrée de la salle et pénétrais à l'intérieur sans me départir de mon aplomb fragile. Et sans que ma rage ne s'atténue également.
« Tu croyais réellement qu'une réplique cinglante suffirait à me faire fuir ? » lançais-je, sarcastique, en pivotant dans sa direction. « Tu me déçois. Je pensais que tu me connaissais mieux que ça. »
Je ne cherchais même pas à cacher le portable que j'avais subtilisé dans sa poche en le heurtant. Si le message qu'il avait reçu était des plus intrigants, ce n'était pas ce qui m'intéressait. Je n'apprendrai rien de plus que ce qu'il m'avait montré de toute façon. Ce serait cependant mentir de dire que je n'étais pas tentée de savoir qui il pouvait contacter, quand et pourquoi. Avait-il tendance à envoyer davantage de messages à Sherlock ? Ou à cette Angelika ? Ou à une autre personne encore plus proche de lui dont j'ignorais l'existence ?
Ma curiosité se limitait à ces questions que je me posais silencieusement. Je n'allais pas pousser le vice jusqu'à fouiller. Au fond, je trouvais plus appréciable d'en apprendre davantage quand il osait se confier à haute voix plutôt que par d'autres biais moins directs, comme par ce satané colis, même si c'était... extrêmement rare.
« Tu ne pourra plus me sonner, maintenant. » prononçais-je avec un détachement forcé tout en posant mon regard sur lui.
Ayant développé une certaine maîtrise de ce genre d'objets technologiques, il ne m'avait fallu que peu de temps et de manoeuvres pour atteindre mon objectif. C'était comme si jamais je ne l'avais contacté d'une quelconque manière à présent. Plus de messages, plus de contact enregistré, tout avait été effacé et mon efficacité m'impressionnait. Mon impulsivité aussi. Est-ce que j'avais bien fais ? Puisqu'il ne pouvait avoir retenu de mémoire mon numéro -que je ne connaissais pas moi-même- il faudrait simplement que je résiste aux envies subites de lui renvoyer le moindre smiley pour qu'il ne puisse plus ''s'amuser'' à mes dépends. J'en serai capable, par pure fierté.
« Mais je vais quand même rester. » annonçais-je d'un ton assuré tout en me rapprochant. « Si tu comptes vraiment commettre un meurtre ce soir, je veux être là. L'observation peut faire partie de mon apprentissage, non ? »
J'affichais une moue faussement méditative, tout en étant consciente que ce n'était pas ce qui me retenait dans cette pièce à ses côtés. Il ne s'agissait que d'une excuse que je me donnais. En plus de ne pas voir ce qui justifiait pour l'instant une finalité si extrême à cette histoire, je partais du principe que si elle était la seule que lui envisageait, il ne pouvait pas prévoir comment les choses tourneraient. Il n'avait aucune idée de l'identité de ce quelqu'un qui savait tout. Ni même de tout ce que cet individu savait exactement. Ou du danger auquel lui s'exposait. Ce n'était pas surprenant, Balthazar ne pensait jamais à sa propre sécurité parce qu'il se fichait de sa propre vie. Ce n'était pas mon cas. Je m'étais mise à le détailler sans m'en rendre compte. Même quand j'étais au plus bas, je parvenais à trouver le temps de me soucier de lui. C'était pitoyable.
Je ne m'attardais pas davantage près de lui après avoir replacé son portable dans sa poche et je me détournais afin de me diriger vers l'objet curieux au fond de la pièce. Sa fonction se devinait aisément, bien que je ne voyais pas exactement comment le mettre en marche. Ça ne devait pas être très compliqué. Je relevais la tête et tendais ma main dans sa direction, comme pour l'inciter à me confier cette pellicule à laquelle il s'accrochait. Ou du moins à en faire usage au lieu de rester immobile de la sorte. Peut-être que ma présence avait fait passer son désir de visionner ce film qui le concernait personnellement ?
« Tu sais pratiquement tout de moi. Je n'ai jamais hésité à me confier à toi. Et la moindre des choses serait que tu m'accordes un minimum de confiance en retour. » énonçais-je dans un soupir après être restée un instant à attendre une réaction de sa part.
Je me reculais finalement pour m'adosser contre l'un des sièges et replaçais une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Je tentais de faire disparaître le mélange de colère et d'irritation qui devait se lire sur mes traits, sans grand résultat. Il était tellement... frustrant. A tant de niveaux différents. Qu'est-ce que ça pouvait lui apporter de me faire subir tout ça ?
« A moins que... tu aies peur. » murmurais-je pour moi-même.
Tout le monde pouvait être effrayé, c'était un fait. Il n'était pas une exception, même si j'avais longtemps penser le contraire à son sujet. Il avait beau être un psychopathe tourmenté et dérangé, il restait profondément humain. Et la jeune fille l'avait dit : ce n'était pas aisé de regarder en arrière. Si je considérais que peu de choses seraient encore capables de me choquer avec ce que je savais déjà à son sujet et les déceptions que j'avais dû encaisser concernant d'autres de mes proches, je pouvais néanmoins le comprendre.
« C'est possible que tu n'aies pour une fois pas envie d'être seul face à... je ne sais pas vraiment quoi, en réalité, mais que ton orgueil t'empêche de bien vouloir l'avouer. »
Ma tête se pencha sur le côté à cette réflexion. L'idée que ce ne soit pas simplement pour se distraire et se moquer qu'il m'avait demandé de venir, ce malgré ce qu'il prétendait, n'était pas si aberrante. Je n'allais pas jusqu'à penser qu'il avait besoin de moi, cela aurait été idiot de sa part comme de la mienne, mais il m'avait malgré tout montré l'invitation qu'il avait lui-même reçu. Tout comme il avait exprimé son désir d'assouvir ses pulsions de psychopathe sans gène. Je ne l'y avais pas forcé. Il l'avait fait de lui-même.
« Je me trompe certainement. C'est probable. Je ne suis pas douée en déductions, contrairement à d'autres. »
Je secouais la tête, réalisant l'absurdité de mes propos. Me permettre de telles suppositions était déplacé. Il était si changeant, si inconstant, que je ne pouvais être certaine de rien dès que ça le concernait de près ou de loin.
« Je ne te demande pas d'admettre quoi que ce soit. » poursuivais-je tout en me mordant les lèvres, tendue plus que je ne l'aurai souhaité. « Je n'attends rien de particulier. »
Distraitement, je tirais sur les manches de mon pull et osais reposer mon regard sur lui. J'aurai aimé savoir comment agir sans avoir à réfléchir plus que n'importe qui d'autre. Je ne savais jamais si je faisais les choses comme il le fallait. M'imposer de la sorte ne paraissait ne pas être la meilleure des manières de lui faire accepter ma compagnie. J'aurai dû me contenter de le frapper et m'en aller, comme je l'avais d'abord pensé, c'était tout ce qu'il méritait. J'étais persuadée que je n'aurai pas été satisfaite de ce scénario, je n'aurai pas pu mettre assez de rage dans un seul coup. Lui accorder mon soutien était quand même trop gentil, finalement. Et il n'en voudrait pas. Cela dit que je le lui accorde malgré tout le contrarierait, ce qui me convenait aussi.
« Tu peux toujours me faire sortir de force si l'idée que je puisse voir un simple échantillon de ton existence te déplaît à ce point. » marmonnais-je, un brin agacée face à cette observation. « Je ne pourrai pas t'en empêcher, tu le sais pertinemment. »
J'avais été bien sotte de penser que j'étais capable de le berner pendant plus d'un mois. Il n'était pas idiot. Dans mon état actuel, je ne représentais pas la moindre menace pour lui et il en avait pleinement conscience. Il avait juste eu... la gentillesse de ne pas me mettre devant le fait accompli ?
« C'est la seule option que tu as de toute façon. » achevais-je dans un haussement d'épaules.
Il pouvait même me faire taire à jamais si il le désirait, c'était d'ailleurs assez surprenant qu'il n'ait pas déjà sauté sur l'occasion de m'égorger. Je ne ressentais pour autant aucune angoisse à cette perspective. Il savait que des divins lui feraient payer cet acte et c'était peut-être cette sécurité qui me permettait de ne pas me sentir menacée par son coup de rasoir. Ou ma stupidité.
Je contournais alors la rangée de sièges pour aller m'installer sur l'un d'eux, mon cœur battant trop vite à mon goût. Fort heureusement, la petite pieuvre qui m'adorait tant semblait toujours réagir pour m'apaiser dans ce type de situation. Cela avait été dérangeant dans les premiers temps, mais ce n'était pas désagréable. Je me sentais au moins soutenue par elle en toutes circonstances. Elle me manquerait peut-être un peu une fois qu'elle partirait. Vraiment très très très peu.
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Balthazar Graves
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Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
DEMAIN DES L'AUBE.
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La petite peste s'était imposée. Evidemment. Balthazar n'en était pas surpris. Il avait plus ou moins anticipé sa réaction. S'il avait réellement souhaité qu'elle ne le rejoigne pas, il se serait montré plus ferme. D'ailleurs, il pouvait encore la jeter dehors. Pour une fois, il en avait la capacité. L'idée d'avoir le dessus sur elle était diablement grisante, mais il préférait laisser ces absurdes petits jeux de côté pour l'instant. Il avait plus important à faire.
Il avait à peine sourcillé quand elle avait supprimé son numéro de téléphone de son répertoire. Il se doutait qu'elle serait la première à regretter ce geste. Toujours trop impulsive, ardente, incontrôlable. Un mélange exquis et volatile. Dans ces moments-là, elle lui inspirait une poudrière sur le point d'exploser, dont il aurait volontiers contemplé la combustion.
Impassible, il l'observa s'agiter, se diriger vers le projecteur, exiger la pellicule d'une main autoritaire. Il se contenta d'émettre une ébauche de soupir désabusé. Il tenait au creux de sa paume une infime partie de sa vie. Il n'avait aucune envie de la lui confier. Elle était si maladroite qu'elle risquait de l'abîmer. Peut-être aurait-ce été mieux ? Il n'était pas certain de vouloir visionner le contenu. Se remémorer. Réouvrir la plaie plus largement. Souffrir à nouveau. Revoir l'homme qu'il était alors. Il n'était pas sûr de parvenir à contempler les lambeaux de sa vie.
Je ne te demande rien. songea-t-il rageusement en réponse à ses paroles. C'est toi qui te livres trop aux autres. Un jour, tu te rendras compte que tu deviens une proie facile en agissant ainsi. Tu t'en mordras les doigts.
Un imperceptible frisson parcourut son échine lorsqu'elle évoqua sa potentielle angoisse. A cet instant, ses yeux morts s'animèrent d'une lueur de défi et de curiosité. Depuis quand était-elle aussi perspicace ? Bien entendu, il était terrifié. Elle ne pouvait pas comprendre ; elle n'avait pas de passé à revisiter. Rien pour glacer ses rêves au bout de la nuit.
Elle venait de s'asseoir sur un fauteuil. Lentement, il se plaça devant et se pencha au-dessus d'elle, posant ses mains sur chaque accoudoir de sorte à l'empêcher de bouger.
"C'est tentant." admit-il tardivement à sa proposition de l'éjecter de la salle. "Tu n'attends que ça : que je sois violent."
Je n'ai pas envie de te donner satisfaction. pensa-t-il, lugubre.
Il la fixa encore quelques secondes avant de s'éloigner progressivement. Avec réticence, il se rendit jusqu'au projecteur. Il l'observait comme s'il s'agissait d'un terrible prédateur qui allait le mettre à mort. D'un geste fébrile et précautionneux, il accrocha la pellicule au réceptable et en déroula délicatement quelques centimètres pour la passer autour de l'autre encoche. Son esprit logique, qui comprenait facilement les différents mécanismes, n'avait pas trouvé l'exercice fastidieux. Il suffisait ensuite de trouver le bouton d'allumage. La mâchoire contractée, il appuya sur ON. Immédiatement, le projecteur se mit en marche dans un claquement, envoyant une forte lumière contre l'écran. La bobine tourna sur elle-même.
Le barbier s'empressa de rejoindre Eulalie et prit place dans un fauteuil juste à côté d'elle.
"Pas un mot." ordonna-t-il d'un ton étranglé.
La nervosité se traduisait par le tressautement compulsif de sa jambe gauche. Il s'en rendit seulement compte quand la petite peste posa sa main dessus. A cet instant, il tressaillit. Le tremblement s'interrompit et lui donna l'impression de s'engouffrer dans tout son corps. Instinctivement, il captura cette main pâle dans la sienne et la serra plus qu'il ne l'aurait voulu. Peut-être lui faisait-il mal ? Pourquoi cela lui importait-il ? De toutes façons, il était incapable d'affaiblir sa poigne. Son corps tout entier s'était crispé.
"Merci..."
D'avoir insisté. D'être là. De t'être rendue compte que... j'ai besoin de toi.
Ce petit mot, à peine murmuré, encore moins prononcé, mourut sur ses lèvres alors que des images tremblotèrent sur l'écran à la façon d'un vieux film. Les tons sépia accentuait l'impression de vétusté. Les doigts de Balthazar remuèrent compulsivement autour de la main d'Eulalie et s'y accrochèrent avec davantage d'ardeur.
Ne me lâche pas. implora-t-il mentalement.
Ebranlé, il contempla les contours de plus en plus précis d'un marché en plein air. Happé par cette image, il ne s'aperçut pas tout de suite qu'il l'observait à 360° degrès. Hébété, il cligna des yeux et tourna la tête vers Eulalie. Ils étaient entrés dans la pellicule. Désormais, l'image avait une teinte plus actuelle, même si elle gardait des couleurs fanées.
Le coeur du barbier manqua plusieurs battements lorsqu'il l'aperçut, pâle, blonde et magnifique. Lucy, sa tendre Lucy, vêtue d'une robe de mousseline rose pâle. Un élégant chapeau était piqué dans son chignon compliqué qu'il s'enorgueillissait de faire chaque matin. Avec une violence mêlée de tendresse, il se souvint avec quelle adoration il aimait la coiffer. Elle était encore plus belle que dans n'importe lequel de ses souvenirs. La pellicule lui redonnait consistance. Désormais, une tache de lumière ne tombait plus sur son visage, le rendant inaccessible. Elle était là. Si criante de vérité que Balthazar leva une main vers elle dans l'espoir de toucher son bras... mais ses doigts ne rencontrèrent que du vide. C'était à la fois terrible et merveilleux. Il n'essaya pas de se faire voir par elle. Elle l'ignorait, elle n'avait pas remarqué Eulalie non plus. Ils se situaient dans un souvenir. Ils ne pouvaient interférer. Peut-être était-ce mieux ainsi.
Le barbier ne parvenait pas à détacher son regard de sa femme. Il sentit ses yeux s'embuer de larmes à mesure qu'il la contemplait. Si rayonnante, si parfaite... Comment avaient-ils pu en arriver là ? Pourquoi le destin avait-il décidé de ruiner leur bonheur ?
Tout ce qu'elle faisait était empreint de magie. Elle se tenait devant le stand de fruits. La façon dont elle tenait son ombrelle avec une sorte de désinvolture élégante, la manière dont elle se saisissait de chaque fruit pour en humer le parfum avant de le reposer. Les marchands lui souriaient. Elle n'était qu'enthousiasme et légèreté.
"Bonjour, madame Barker !"
Et elle les saluait d'une élégante inclination de la tête avant de poursuivre son chemin.
"Madame Barker, goûtez cette pomme !" l'invita un marchand tout en lui tendant un quartier. "Elle est si sucrée qu'elle pourrait provenir du jardin d'Eden !"
"Oh, quelle vile tentation vous me faites là !" dit-elle d'un ton faussement désapprobateur.
Malgré tout, elle se saisit du morceau et le porta à ses lèvres roses. A cet instant, l'ombre d'un homme tomba sur elle.
"Madame Barker, c'est un véritable plaisir." dit une voix caverneuse et suave à la fois.
Le sang de Balthazar se glaça instantanément dans ses veines. Le rêve venait de prendre fin alors qu'il posait un regard acéré sur l'homme imposant et bien habillé, qui gardait des traces de poudre sur son épaule. Sa main libre se referma sur son rasoir. Comme il aurait aimé l'enfoncer à nouveau dans la gorge de cet être immonde ! Une fois n'avait pas suffi.
"Monsieur Turpin !" lança Lucy alors qu'un aimable sourire arquait sa bouche. "Le plaisir est partagé. Comme vous pouvez le constater, je fais des emplettes."
Puis, se tournant vers le marchand, elle commanda quelques pommes. Lorsque ce dernier les lui tendit dans un petit cageot, le juge Turpin la prit de vitesse et s'en saisit.
"Je ne pourrais souffrir de vous voir porter un tel fardeau jusque chez vous." se justifia-t-il.
"Vous êtes si obligeant."
Le juge esquissa un sourire contrit. Ensemble, ils marchèrent le long des différents étalages en faisant la conversation.
"Comment se porte la justice ?" demanda-t-elle.
"Mal, je le crains." répondit-il, soucieux. "Cependant, je m'efforce de la rendre au mieux. Certaines lois devraient être abrogées au profit de nouvelles. Hélas, les conservateurs sont nombreux. Le changement effraie bien souvent."
"Les gens se sentent plus confortables dans leurs habitudes, même si elles se révèlent nocives." appuya Lucy d'un ton entendu.
"Et comment se porte votre mariage, madame ?"
Cette question plus qu'indiscrète sembla dérouter la jeune femme durant quelques secondes. Elle expira un peu d'air, offusquée.
"Monsieur Turpin, cette conversation prend une tournure inconvenante !" fit-elle remarquer un peu sèchement.
"Le changement effraie bien souvent." répéta-t-il, fataliste.
Elle plissa des yeux dans sa direction avant d'esquisser un sourire, mi-incertain, mi-amusé. Turpin sourit à son tour.
"Mon mariage est au beau fixe." répliqua-t-elle enfin tout en redressant fièrement le menton. "Bien que cela ne vous regarde en rien. Benjamin est un homme admirable et méritant. Il est vraiment gentil, très gentil."
"Trop gentil ?" supposa le juge.
"Vous êtes perspicace." reconnut-elle après un petit silence, tout en baissant les yeux. "Voyez-vous, mon mari se montre trop bon avec certains clients qui abusent de sa gentillesse. Il leur fait crédit alors que nous aurions besoin de davantage d'argent, surtout avec..."
Elle se tut, mais sa main se posa instinctivement contre son ventre. Le juge tiqua presque imperceptiblement tout en l'observant. Pourtant, ce fut d'un ton plein de sollicitude qu'il parla :
"Lui avez-vous fait part de vos craintes ?"
"Bien sûr. Hélas, Benjamin est obstiné en plus d'être optimiste : il est persuadé que la chance sourit toujours aux audacieux." soupira-t-elle, désabusée.
"La fougue de la jeunesse." commenta Turpin en secouant lentement la tête. "Cela lui passera, vous verrez."
"Pourvu que ça soit avant qu'il ne nous mène à la ruine."
"Ne désespérez pas." dit-il tout en posant brièvement une main contre son avant-bras.
Lucy esquissa un sourire reconnaissant.
"C'est si agréable de discuter avec vous. J'ai l'impression que je peux tout vous dire."
"J'aurais toujours une oreille attentive pour vous, Madame." dit-il, affable et bienveillant.
La jeune femme sembla s'apercevoir seulement à cet instant qu'ils venait d'arriver jusque devant chez elle, à Fleet Street. Elle jeta un coup d'oeil vers son mari qui exerçait son art, visible à travers les vitres de son salon, au rez-de-chaussée. Ses gestes étaient empreints d'enthousiasme et de passion. Un soupir échappa à la jeune femme. Il ne la voyait pas, trop accaparé par la barbe et les favoris de son client. Quand il travaillait, plus rien n'existait autour. Et il travaillait beaucoup.
"C'est ici que nos chemins se séparent." déclara le juge, et cela sembla la sortir de sa rêverie.
Il lui baisa la main et voulut se détourner, mais à cet instant, il se rappela qu'il portait toujours le cageot de pommes. Il eut un petit rire confus auquel Lucy répondit. Elle récupéra son bien et déclara, toujours souriante :
"Au plaisir de vous revoir bientôt, cher monsieur."
Il inclina la tête et prit congé. A cet instant, Fleet Street redevint seulement une image projetée sur l'écran. Puis se volatilisa alors que la bobine tournait dans le vide avec un claquement continu.
Balthazar respirait par saccades. Il était toujours assis sur le fauteuil, et les jointures de ses doigts bleuissaient tant ils étaient crispés autour de la main d'Eulalie. Lorsqu'il la lâcha enfin, ses os craquèrent. Il fixait toujours l'écran, incapable d'esquisser le moindre geste supplémentaire.
Il ne pouvait croire ce qu'il avait vu. Il ne pouvait croire que Lucy pensait tout cela de lui. A présent, il se souvenait de quelques discussions qu'ils avaient pu avoir autour de l'argent, mais jamais il n'avait songé qu'elle en avait autant souffert. Pourquoi s'était-elle confiée à Turpin ? Elle avait été trop naïve pour voir qu'il la manipulait. Cette réflexion lui fit serrer les poings si fort qu'il sentit ses ongles s'enfoncer dans sa chair.
"Salaud." articula-t-il, tremblant de rage.
Le projecteur qui claquait derrière eux faisait palpiter son coeur plus fort, bien que ce dernier menaçait déjà d'exploser. Il avait l'impression d'être dépossédé de toute volonté. Il s'était préparé à tout voir, excepté ceci.
"Trop gentil." répéta-t-il, à la fois consterné et écoeuré.
C'était ce qu'elle avait dit. L'aurait-elle préféré comme il était présentement ? Froid, calculateur, lugubre ? Désormais, il ne faisait plus crédit à personne et ses prix atteignaient des degrès audacieux concernant certaines prestations. Inconsciemment, il était devenu l'homme qu'elle avait toujours désiré. Benjamin Barker avait été trop doux et lisse pour elle. Cette constatation le contraignit à fermer les yeux. Le coeur au bord des lèvres, il se pencha en avant, terrassé par le dégoût et l'amertume.
Jamais il n'aurait dû remuer la fosse aux souvenirs.
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Eulalie
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"Qu'est-ce qu'elle me veut encore celle-là..."
"Coucou TortueMan, je t'ai manqué ?"
"Je sais que j'ai une mauvaise réputation
mais de là à garder une distance de sécurité..
tu abuses, Emmet."
♡
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What do we conceal ? What do we reveal ? Make that decision every day.
Je n'osais pas dire un mot, restant muette comme il me l'avait demandé sans savoir si je pouvais à présent m'exprimer. Le silence était pesant. Inquiétant, presque. Habituellement, je le comblais grâce aux mille et une questions qui ne cessaient de se bousculer dans mon esprit bouillonnant, mais aucune n'était à l'instant en train de m'agiter intérieurement. C'était curieux. Ce calme plat qui m'habitait.
Je m'acharnais toujours à tout compliquer en transformant chaque moment de ma vie en une suite d'interrogations entêtantes interminable. Ma curiosité, vice détestable, me poussait à la recherche constante de réponses. J'estimais que mon ignorance était un fardeau qui m'empêchait de bien juger ou de réagir de façon cohérente aux actes et paroles auxquels je me retrouvais confrontée. Mais elle ne pouvait pas me décevoir, me choquer, m'attrister ou me blesser. Il n'y avait que la connaissance et l'expérience qui provoquaient ces émotions que j'avais déjà pu éprouvé et que j'observais parfois chez les autres. Que j'observais chez lui. Sans doute devais-je plutôt m'estimer chanceuse d'être si innocente, au lieu de constamment m'en plaindre. Même si cela signifiait ne pas comprendre. Ne pas le comprendre.
Je ressentais encore le malaise qui m'avait saisit dès les premières secondes. Je ne m'étais pas sentie à ma place dans les vestiges de ce passé, ce qui n'avait rien d'étonnant. Il s'agissait d'une époque où je n'existais même pas. Pour atténuer mon embarras, je m'étais focalisée sur l'aspect. Le moindre détail, des protagonistes de cette scène de vie au décor qui nous avait entouré, étaient enregistrés dans ma mémoire. Est-ce que c'était cette étrange façon dont le ''film'' nous avait été montré qui m'avait tant troublée ? Ou la réalisation que cette femme ne pouvait être que Lucy ? A moins que ce ne soit de voir celui qu'il avait été, si différent, l'espace de quelques secondes. Non. Ce n'était pas non plus la manière qu'il avait eu de la regarder, ou de chercher à la toucher. Si mon cœur se serrait si péniblement à mesure que les secondes continuaient de se dérouler, au rythme du bruit du projecteur, c'était simplement à cause de ce que j'avais lu dans son regard.
Je massais le dos douloureux de ma main qu'il avait tenu, mes yeux baissés vers elle. Elle me paraissait quelque peu meurtrie par le contact subit, sans que ça ne m'inquiète ou ne me révolte pour autant. Je faisais abstraction de toute la peine physique que je pouvais encore ressentir. Ce n'était que passager. Ce n'était pas important. Il y avait pire souffrance que celle-ci.
« Tu veux en voir plus ? » murmurais-je d'un ton incertain après ce qui m'avait semblé être une éternité.
Si une seule scène avait pu ainsi le perturber, je n'étais pas certaine de désirer voir ce qu'il en serait après plusieurs. Se mettre face à trop de souvenirs, qui n'en étaient pas même vraiment puisqu'il s'agissait de faits qu'il ignorait, avait de quoi rendre fou. Il l'était bien assez naturellement. Il n'avait pas besoin de s'en imposer davantage.
Je me demandais même comment ce cinéma pouvait être en possession de telles choses. Ce n'était pas très correct pour les habitants de conserver et dissimuler ainsi des brides de leurs passés. Qui assurait que c'était bien réel et qu'il ne s'agissait pas de manipulations ou de pures fabrications, d'ailleurs ? Je supposais que ce serait se donner beaucoup trop de mal pour tromper inutilement des personnes qui n'avaient rien demandé.
Relevant doucement la tête, je le détaillais sans gêne, plus préoccupée que je ne voulais me l'admettre. Ma main s'était levée pour s'arrêter à hauteur de son épaule, avant même de le frôler.
« Ce n'est peut-être pas une bonne idée. » estimais-je pour moi-même, les lèvres pincées, sans savoir si j'évoquais mon geste inachevé ou l'entièreté de cette situation.
Les deux certainement. Tout, si j'y réfléchissais juste un peu, quand ça le concernait lui. Moi. Nous. Je me demandais de temps à autre comment les choses auraient pu évoluer, de son côté comme du mien, si je ne l'avais jamais rencontré. Mais mon imagination n'allait jamais bien loin quand elle s'évadait sur ce chemin. Elle ne parvenait pas à construire le moindre scénario sans Balthazar pour y jouer un rôle.
Peu importait finalement. Ma paume se posa délicatement et prudemment sur son dos. Je ne souhaitais pas le brusquer et prendre le risque qu'il réagisse impulsivement avec un coup de rasoir mal placé. Il était si tendu que ça ne m'aurait pas surprise qu'il cherche ainsi à extérioriser toutes les émotions qui devaient l'envelopper.
« Ça ne change rien. » prononçais-je néanmoins avec une pointe d'incertitude que je peinais à masquer. « On peut aimer quelqu'un malgré les défauts qu'on lui trouve. Alors... ce qu'elle a dit, ça ne change rien à votre histoire. »
Je lâchais un soupir à peine audible tandis que mes doigts continuaient de caresser le haut de son dos avec une certaine douceur. Comment pouvais-je être aussi sûre de ce que j'avançais ? Je doutais que ce soit une consolation suffisante, ou même celle qu'il attendait réellement, que d'avoir mon avis à ce sujet. En quoi était-ce un problème qu'elle le désigne comme ''trop gentil'' ? Il en avait l'air abattu. J'avais certes des difficultés à comprendre en quoi cela le qualifiait, mais c'était parce qu'elle ne parlait pas de lui en vérité. Je ne connaissais pas Benjamin. Uniquement Balthazar. Ce n'était plus le même, à l'évidence.
Ma main se stoppa sous sa nuque, se mêlant à ses cheveux pour l'inciter à tourner sa tête dans ma direction. Dès qu'il n'allait pas bien, il donnait l'impression de s'enfermer comme pour ne plus être atteint par quoi que ce soit. C'était pourtant bien dans ces moments-là qu'il devait comprendre qu'il n'avait pas à être seul.
« Tu as besoin de prendre l'air. »
C'était une constatation. Pour être plus précise, j'aurai pu dire qu'une cigarette ne lui aurait pas fait de mal – ou plutôt aurait continué d'augmenter le risque qu'il attrape un cancer mais aurait apaisé un instant ses tourments intérieurs. Je ne lui proposais pas de rentrer non plus, je savais que ce n'était pas une option envisageable tant qu'il ne saurait pas qui l'avait attiré ici.
J'esquissais un faible sourire et écartais ma main de sa joue pour attraper la sienne, en desserrant le poing pour parvenir la presser faiblement. J'eus à peine le temps de me relever. La lumière du projecteur m'aveugla presque tandis que mes yeux s'étaient tournés vers lui. La bouche ouverte d'étonnement, je ne pus que me détourner vers l'écran où une nouvelle image s'apprêtait à se dessiner.
« Il n'y avait pas qu'un seul échantillon ? » le questionnais-je, suspicieuse et quelque peu déboussolée par cette mise en route imprévue de l'appareil.
A peine le décor s'était-il formé tout autour de nous que je sentis ma cage thoracique se compresser de nouveau. Ce n'était pas agréable d'être dans un endroit qui n'était pas familier. Il ne s'agissait pas de la rue, cette fois, mais de l'étage d'un appartement que j'aurai pu qualifier d'agréable, bien que la décoration était clairement d'un temps révolu. L'endroit était lumineux, encore une fois un peu terne à cause de la consistance du film mais ce n'était pas le plus dérangeant.
« Pourquoi ça ne bouge pas ? »
Je sentais mon corps entier se crisper à cette constatation. J'osais à peine chuchoter, comme si je craignais que tout ne s'active soudainement au son de ma voix. Tout était figé dans la rue en contrebas que j'observais à travers la grande fenêtre, comme un arrêt sur image. Les sourcils froncés, je remarquais que c'était le cas de la cheminée à l'intérieur également, tout comme de Lucy, seule dans cette pièce, assise en train de broder. Il n'y avait pas un seul mouvement. Et cette absence d'agitation, autant que de bruit, éveillait chez moi une angoisse certaine.
Un instant, je gardais mes yeux rivés sur la jeune femme installée sur le fauteuil, dont le ventre rond ne laissait aucune place au doute quant à l'avancement de sa grossesse. Il y avait un berceau près du lit. C'était le logement d'une famille prête à s'agrandir.
« Je suppose qu'on doit attendre. » lâchais-je dans un souffle en secouant légèrement la tête, le fuyant du regard. « Tu crois... tu crois que c'est cassé ? »
Je me sentais gênée. Anxieuse. Soucieuse. Qui avait arrêté la pellicule ? Ou qui l'avait même lancé ? Je sentais la panique s'emparer de tout mon être. Ce n'était pas Grand Sourire qui agissait, n'est-ce pas ? Dans mon état actuel, je n'étais pas prête à lui faire face. Je n'aimais pas ça. Je me sentais mal, enfermée entre quatre murs. Je me mordais les lèvres pour ne pas parler davantage. Cet immobilisme m'oppressait.
Je m'affolais à une rapidité impressionnante et je le laissais aisément transparaître. C'était stupide. Je ne craignais rien. Ce n'était qu'un film défectueux, ça pouvait se produire. C'était simplement plus impressionnant lorsque ce dernier était magique et vous donnait l'impression de vous avoir emportés. La jeune employée pouvait venir le débloquer, puisqu'elle savait que nous étions là. Il y avait même certainement moyen de "s'échapper" de ce film sans avoir besoin d'attendre qu'il se termine. Comme une issue de secours. Il aurait été idiot de ne pas en prévoir. Je me faisais du soucis pour rien.
black pumpkin
Balthazar Graves
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| Avatar : Ben Whishaw
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
DEMAIN DES L'AUBE.
| Conte : Sweeney Todd | Dans le monde des contes, je suis : : Mister T.
Garder la tête froide. Ne surtout pas céder à la panique.
Les dents serrées, Balthazar tentait de demeurer sourd aux trop nombreuses questions de la petite peste. Elles accentuaient son malaise car il nourrissait les mêmes inquiétudes.
Nous sommes piégés à l'intérieur. songea-t-il alors qu'un imperceptible frisson le parcourait.
Existait-il meilleur châtiment que de l'enfermer à jamais dans son ancien appartement, là où il avait engendré la vie et commis tant de morts, dont celle de...?
Il détourna les yeux de sa femme, à la fois si menue et si appliquée dans sa broderie. Il ne pouvait supporter la vue de son ventre rebondi, encore moins celle du berceau près du lit. Sa culpabilité atteignait des degrés inouïs. Si son coeur avait eu une voix, il aurait hurlé sans discontinuer. Celui ou celle qui l'avait piégé dans cette Pellicule Ensorcelée avait trouvé une vengeance adéquate, et devait le haïr encore plus qu'il se détestait lui-même.
A présent qu'ils étaient de retour dans le film, Balthazar prenait conscience de détails subtils qui lui avaient échappés lors du premier "saut" : l'endroit était dépourvu d'odeurs. C'était comme se déplacer dans une photographie en mouvement ; rien n'avait véritablement de consistance. La lumière était fanée, les sens amoindris. Quel était le parfum de Lucy ? Il se rappelait une vague fragrance empreinte de douceur et de subtilité. Une fleur. Laquelle ? Les roses blanches étaient ses préférées mais elle préférait les contempler.
Il se souvenait avec difficulté que le plancher sentait la cire d'abeille, et ce de façon plus prononcée quand sa femme le nettoyait. Mais plus encore que les odeurs, c'était les scènes qui se superposaient dans son esprit : l'appartement de Benjamin Barker, lieu de bonheur, et le salon de Sweeney Todd, charnier embaumant l'eau de Cologne. Avec horreur, il s'aperçut qu'il avait décidé d'installer le fauteuil à bascule -utile pour jeter les cadavres ensanglantés directement à la cave- à l'exact emplacement où Lucy aimait s'asseoir pour broder, juste sous la verrière afin de bénéficier d'autant de lumière que possible. Avant cet instant, jamais il n'avait fait le parallèle. Il chancela légèrement, écoeuré par son sens instinctif du détail.
Il devait impérativement s'occuper l'esprit afin de ne pas se laisser entraîner par les assauts de la démence. Tout lui évoquait des réminiscences qu'il pensait perdues à jamais : des images floues de lui, assis aux pieds du fauteuil, occupé à lire le journal alors que Lucy brodait en souriant aux fantaisies qu'il prononçait -car autrefois, il aimait enjoliver les nouvelles maussades. Un autre souvenir s'anima, volatile, devant ses yeux : il se revoyait rentrer du travail et piquer un baiser dans le cou de son épouse qui était occupée à préparer un bon repas. Nul besoin de film en mouvement : cette image fixe suffisait à alimenter son calvaire.
Il passa une main contre ses paupières et l'écartant, sentit ses doigts humides. Il se détourna pour de bon de l'intérieur de l'appartement pour se focaliser vers la large vitre inclinée. Eulalie n'avait pas menti : toute la rue en contrebas était figée. Les passants étaient immobiles, interrompus dans leurs mouvements, tout comme Lucy.
"Ce n'est pas cassé par accident." répondit-il tardivement à l'amazone.
Il déglutit sans cesser de fixer la rue.
"C'est intentionnel."
En revanche, il n'avait aucune envie d'attendre que quelque chose se passe. Ils n'avaient déjà que trop tardé ici, tous les deux. La vue de cet appartement lui était insupportable. D'un pas nerveux, il traversa la vaste pièce pour se planter devant la porte d'entrée. Là, il hésita quelques secondes, se mordant les lèvres, cherchant une solution. Puis, il leva la main et se concentra pour la poser sur la poignée. A son grand étonnement, elle ne passa pas au travers. En revanche, il n'éprouvait aucune sensation de toucher. Il fronça les sourcils.
"Je ne peux pas l'ouvrir." reconnut-il dans un grognement agacé.
Comment donner une impulsion à un objet dont il ne parvenait à juger l'ampleur ou la texture ? Il savait qu'il s'agissait d'une porte, mais elle n'était pas dans le même plan dimensionnel que lui. Elle restait inaccessible, comme tout le reste du souvenir.
Soudain, une idée lui traversa l'esprit. D'un geste sec, il se saisit de la main d'Eulalie, inspira profondément tout en jetant un regard méfiant à la porte en face de lui. Ensuite, il ferma les yeux, et avança de plusieurs pas. Il sentit que l'amazone était incertaine, car sa main devenait moite dans la sienne, mais il la serra davantage et l'incita à le suivre d'un mouvement brusque.
Lorsqu'il souleva de nouveau les paupières, ils se trouvaient tout en haut de l'escalier menant à l'appartement, à l'extérieur. Ils avaient traversé la matière immatérielle du souvenir.
"Ici, nous sommes des fantômes." réalisa-t-il dans un rictus nerveux.
Lâchant la petite peste, il s'empressa de dévaler les marches, accentuant machinalement ses gestes comme pour contrebalancer l'intense malaise que lui évoquait tout l'immobilisme de la scène en contrebas. Il joua des coudes parmi les passants figés en plein élan, traversant certains, en heurtant d'autres. Cette anomalie existait-elle en raison de la Pellicule abîmée ou était-ce parce que le barbier et l'amazone prenaient une part trop importante au souvenir ? Etaient-ils en train de se faire... absorber ?
Il repoussa cette théorie mais son visage de plus en plus pâle et ses traits anxieux trahissaient son angoisse.
Il s'arrêta net en apercevant son double à travers une vitre déformée du salon. Benjamin Barker était évidemment immobile, comme son client dont le menton et les joues étaient couverts de crème blanche. Balthazar se rapprocha davantage, dévorant des yeux l'autre barbier qui était figé en plein élan, le rasoir levé, avec un sourire rayonnant. Dans un état second, il toucha ses propres joues, essayant de se rappeler de quels muscles il fallait utiliser pour simplement sourire. C'était quelque chose d'instinctif qu'il n'avait plus.
"Toi aussi, tu l'aurais trouvé... trop gentil ?"
Cette question ne fut guère plus qu'un murmure. Il l'avait posée sans cesser de fixer son double dont il enviait tant le bonheur. Il aurait tant aimé pouvoir entrer en contact avec lui, lui révéler son avenir, l'inciter à se méfier de Turpin. Tout aurait pu être si différent...
A cet instant, il y eut un bruit étrange, comme le claquement diffus d'une ampoule. Au même moment, la rue autour d'eux disparut et réapparut en l'espace de trois secondes, avant de se volatiliser totalement. Ils étaient de nouveau assis dans la petite salle de cinéma, face à un écran vide. Le projecteur venait de s'éteindre.
Balthazar cligna des yeux et se leva d'un bond. Cette fois-ci, il ne voulait pas risquer que tout recommence. Il courut presque jusqu'à la machine afin de récupérer la pellicule qu'il rangea dans sa poche -pour que personne ne la visionne. Après quoi il sortit de la salle.
"On s'en va." précisa-t-il à Eulalie sans l'attendre pour autant.
Il marcha à grands pas énergiques à travers le hall, le regard braqué sur la porte de sortie du cinéma, même s'il ne notait pas pour autant l'absence de tout employé. L'établissement semblait avoir été déserté. Personne au guichet ni au stand confiseries. Le barbier eut une moue assassine mais pas étonnée : il s'attendait à ce genre de rebondissements. La personne qui le manipulait n'avait pas le cran de l'affronter en face. Ce n'était pas grave. La patience était l'une de ses seules qualités. Il attendrait, il reviendrait. Et il obtiendrait vengeance.
Il poussa la porte du cinéma si fort qu'elle claqua contre le mur. Un bruit de verre brisé le fit se retourner : la violence du choc avait produit une fleur craquelée sur la vitre. Il secoua la tête et s'en désintéressa, préférant observer la rue illuminée et beaucoup plus vivante que celle qu'il avait laissé derrière lui. Son premier geste fut d'allumer une cigarette. Le vent glacial s'engouffrait par les pans ouverts de son manteau, mais c'était presque une bénédiction en comparaison de ce qu'il continuait de vivre à l'intérieur de sa tête. Il aurait aimé enfermer les souvenirs dans la salle de projection, mais c'était impossible. Ils l'accompagneraient où qu'il aille.
Il fumait si frénétiquement qu'il avait presque fini sa cigarette quand Eulalie le rejoignit. Il lui jeta un coup d'oeil, remarquant qu'elle avait récupéré ses multiples couches de vêtements. Il expira un peu d'air dans un panache de fumée, tiqua et commença à marcher d'un pas vif. Il avait besoin de mettre le plus de distance possible entre lui et cet endroit maudit. Il ne demanda pas à l'amazone de l'accompagner. Il ne demandait jamais rien. Malgré tout, il ressentit un pincement particulier dans sa cage thoracique en entendant le bruit de ses bottes dans son dos, et son coeur s'accéléra alors que du coin de l'oeil, il remarqua bientôt qu'elle marchait à sa hauteur.
Il jeta la première cigarette consumée et en alluma une seconde. Arrivée à la troisième, il n'avait toujours pas prononcé un mot. Il s'aperçut qu'il en avait assez de marcher, et Eulalie peinait à le suivre, car dépourvue de ses capacités d'endurance supérieures à la moyenne, elle se fatiguait plus vite puisqu'elle avait de plus petites jambes que lui. Aussi il poussa la porte d'un dinner sur le chemin et indiqua à l'amazone d'entrer.
"Tu avais soif, non ?" grommela-t-il.
Il pénétra à sa suite et s'installa à la première table venue. Il jeta pêle-mêle manteau et écharpe avant de se diriger vers les toilettes. Cependant, au lieu d'y entrer, il resta caché à l'angle du couloir menant aux sanitaires. Là, il attendit plusieurs minutes. Il savait qu'elle finirait par venir. Soit pour faire la retouche maquillage habituelle, soit pour vérifier qu'il allait bien puisqu'il ne revenait pas. Il ignorait quelle raison l'emporta sur l'autre et il ne chercha pas à savoir. Cela importait peu.
Dès l'instant où elle passa dans son champ de vision, il sortit de la pénombre et l'attrapa par le bras. Elle se retourna, surprise, alors que les mains du barbier enlaçaient déjà sa taille. Il l'attira vers lui et l'embrassa avec un mélange de fougue et de fébrilité générée par la douleur latente qui l'habitait toujours. Il se pressa contre elle, ses mains remontant lentement jusqu'à sa nuque alors qu'il murmurait, leurs souffles haletants se mêlant l'un à l'autre :
"Ne te dérobe pas."
Déjà, il capturait de nouveau ses lèvres. Ses mains s'insinuèrent sous le manteau ouvert qu'il chercha à lui faire enlever. Il voulait sentir la chaleur de son corps, la douceur de ses caresses. Il souhaitait oublier l'indifférence et la froideur des souvenirs. C'était le seul moyen. Il n'y avait qu'avec elle qu'il éprouvait un tant soit peu de... volupté.
"Je te veux telle que tu es." chuchota-t-il à son oreille, les paupières closes.
Elle risquait de résister. Sans ses pouvoirs, elle se sentait sans doute trop vulnérable. Il ne voulait pas la forcer. Seulement l'inciter. La convaincre.
Le manteau tomba au sol dans un bruit diffus. Il l'écarta d'un coup de pied et, plongeant son regard dans celui de l'amazone, articula avec une lenteur étudiée, tout en gardant ses doigts enlacés autour de son cou :
"Je pourrais te faire tout ce que je veux sans que tu puisses m'en empêcher."
Ces paroles, prononcées comme une menace, étaient en réalité empreintes de délicieuses promesses. Une lueur démente, ardente, éclairait ses pupilles. Ses mains caressèrent sa nuque pour descendre sur ses épaules puis le long de ses bras. Il se pencha de nouveau vers elle pour l'embrasser encore, et encore, tandis qu'il libérait une main afin de pousser la porte des toilettes.
A l'instant où il accentua le baiser, une chose curieuse se produisit, que ni le barbier ni l'amazone ne remarquèrent, puisqu'ils avaient tous deux les yeux fermés. L'étrangeté se dissipa bien avant que Balthazar n'entrouvre les paupières. Ses mains avaient déjà glissé sous le pull d'Eulalie, en quête de chaleur, de contact, de sa peau dont il voulait humer l'odeur et sentir la douceur. Son obsession avait un goût de sang et la couleur du désir.
acidbrain
Eulalie
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"Qu'est-ce qu'elle me veut encore celle-là..."
"Coucou TortueMan, je t'ai manqué ?"
"Je sais que j'ai une mauvaise réputation
mais de là à garder une distance de sécurité..
tu abuses, Emmet."
♡
| Conte : Famille Divine | Dans le monde des contes, je suis : : Capitaine Amazone Sexy
I wanna be alone, alone with you - does that make sense ? I don't know what feels true, but this feels right so stay a sec.
Souvent, j'avais l'impression d'être celle de nous deux qui allait trop vite, qui s'empressait, qui s'agitait sans raisons apparentes. La fougue, l'impatience, la frénésie faisaient partie intégrante de ma nature et j'avais fini par m'y habituer, même l'apprécier. J'avais conscience que je lui imposais parfois ma cadence effrénée. Cette fois pourtant, il m'avait considérablement devancé.
Je manquais d'air. Atrocement. J'étais essoufflée par l'effort que je devais accomplir pour parvenir à m'accorder à son rythme. Celui de ses pensées, celui de ses actes, celui de ses... envies. Était-ce aussi difficile pour lui, quand nos positions étaient inversées, de parvenir à conserver un semblant de lucidité ?
« Arrête. » prononçais-je difficilement, dans un murmure à peine articulé.
J'avais dû me faire violence pour m'imposer d'écarter mon visage du sien. Je n'osais pas relever mes yeux dans sa direction, ma tête s'acharnant à rester baissée pour ne pas lui laisser l'occasion de m'empêcher de respirer convenablement une seconde de plus. Malgré tout ce que me dictait ma conscience, je ne m'étais néanmoins pas écartée. Ma main plaquée contre son torse tremblait tandis que mes doigts crispés s'accrochaient désespérément à son pull.
« Je ne peux pas. Pas comme ça. »
Mes paroles n'étaient que des suites de syllabes imprécises et confuses, dénuées de la moindre trace de volonté. J'étais incapable de faire abstraction du contact de ses mains contre ma peau. Ma mâchoire se serrait au moindre frôlement et mes yeux se fermèrent avec une telle violence que j'en sentais mes paupières douloureuses. Pouvais-je véritablement lui reprocher quoi que ce soit ? Habituellement, j'étais celle qui cherchait constamment à l'enjôler, à le captiver, à le faire chavirer. Ce n'était qu'un juste retour des choses.
« N'importe qui... N'importe qui pourrait nous surprendre. »
Et alors ? Ça avait été le cas à la roseraie. Comme dans mon propre appartement. Ce n'était pas une excuse suffisante. Au contraire, cette constatation prononcée à haute voix me faisait frémir de plus belle et je maudissais mon corps d'être aussi sensible. Il avait raison et tord à la fois : je pouvais l'empêcher d'agir si je le désirais vraiment, sauf que ce n'était pas le cas.
Je le repoussais péniblement d'un geste sec, gardant mon bras quelque peu tendu devant lui afin de m'imposer une distance dont j'étais plus agacée que soulagée. Trop de choses se bousculaient dans ma tête. Je n'arrivais pas à me remémorer l'enchaînement qui nous avait mené à cet endroit. Je savais que j'avais toujours soif, que je n'avais pas même pris la peine malgré tout de commander, que je l'avais laissé m'entraîner, que ses mots m'électrisaient dès que je me les remémorais. J'avais envie qu'il continue. Je n'attendais que ça. Qu'il me touche, qu'il me fasse sienne. Je me fichais du moment, de l'endroit, de la manière. Tant que j'étais avec lui, le reste ne comptait pas.
Je relevais la tête pour le dévisager avec curiosité. Et une avidité que je ne pouvais décidément pas dissimuler. Le contempler avec autant d'insistance ne m'aidait pas à mettre de l'ordre dans le fil incohérent de mes pensées. Je ne m'inquiétais plus au sujet de mon propre état. A la place, de nouvelles interrogations venaient me troubler plus que je ne l'étais déjà. La seule réponse dont j'avais véritablement besoin me frappa de plein fouet, comme une évidence que j'avais été trop stupide pour ne pas remarquer pendant mon regard se perdait dans le sien.
« Ce ne sera pas assez. » laissais-je échapper dans un chuchotement emprunt d'autant de frustration que de douceur. « Tu le sais. »
Pas assez pour lui faire oublier tout ce que nous avions pu voir. Pas assez pour refermer toutes les plaies qu'il gardait cachées. Ça ne l'avait jamais été. C'était tout juste suffisant pour... le faire se sentir vivant, au moins l'espace d'un instant. C'était sans doute ce qu'il souhaitait. Après tout ce qu'il venait d'endurer, ça ne me surprenait pas. Je revoyais encore défiler devant mes yeux ces visages inconnus, ces scènes figées d'un autre temps. Je pouvais même ressentir mon angoisse reprendre naissance à ces simples réminiscences mais elle était si futile face à ce qui avait dû le traverser.
Je pouvais lui refuser cette faveur. Le faire languir comme il se délectait sans cesse à me le faire subir. Laisser s'attiser sa douleur. Le laisser seul. Non. Il s'infligeait sa propre peine sans que je n'ai besoin de l'y aider.
Et je ne pouvais pas mieux l'aider à en sortir. Pas comme n'importe qui d'autre l'aurait fait. J'étais incapable de lui dire ce que Benjamin m'inspirait alors que je n'en avais eu qu'un bref aperçu. Je ne savais de lui que ce qu'en avait dit Lucy, ou encore ce Turpin, ce n'était pas suffisant. Je ne me serai jamais permise le moindre jugement à son sujet. Que ce soit celui qu'il était maintenant, ou celui qu'il avait été et que je ne connaîtrais jamais. Ce n'était de toute manière pas pour ce dernier que mon corps entier vibrait. Pas pour lui non plus que mon cœur pulsait furieusement, menaçant d'exploser, sans que je ne puisse le calmer.
Une certaine irritation s'empara de moi lorsque, baissant mes yeux, je réalisais que je n'entendais pas le sien battre aussi précisément qu'à l'accoutumée. Je n'en percevais pas la mélodie déchaînée. Être privée de ce son qui me rassurait et m'exaltait tout à la fois me dérangeait étrangement, tant que je l'attirais de nouveau vers moi, plus fiévreuse encore qu'auparavant. A défaut de pouvoir me fier à mon ouïe pour la capter, je choisissais de faire usage du toucher. Ma paume brûlante se fraya un passage sous les habits qui dissimulaient son torse à ma vue, s'y apposant avec délicatesse, et je cessais de tenter de l'empêcher de m'atteindre.
« Je ne suis pas assez ? » l'interrogeais-je avec une moue contrariée.
Ce n'était pas le moment pour que de telles questions m'envahissent. M'imaginer que je ne lui étais utile que quand il le désirait et que je ne valais rien de plus me plongeait dans un état de rage sourde. C'était forcément plus complexe que ça. Ça l'était, pour moi. Je n'attendais aucune réponse de sa part et, comme pour m'assurer qu'il n'en donnerait aucune, mes lèvres retrouvèrent les siennes avec une impatience et une frénésie que je ne cherchais plus à contenir.
Toute inconsciente que j'étais, je l'incitais à se débarrasser de ce pull qui le couvrait, entraînant le moindre bout de tissu qui enveloppait son buste. Je n'aimais pas la manière dont il s'habillait. Je le détestais d'opter pour ce qui était trop large et difforme. Cela ne m'empêchait pas de connaître par cœur le corps qu'il dissimulait, mais ce n'en restait pas moins insatisfaisant de ne devoir me référer qu'à ma mémoire. De légers grognements s'échappaient presque de ma gorge alors que j'aurai voulu pouvoir tout arracher sans avoir à briser le moindre contact.
« Tu me fais perdre la tête. » pestais-je au moment où ses vêtements tombaient sur le sol.
Je n'attendis pas qu'il se décide à faire endurer le même traitement à ceux que je portais moi-même, retirant avec hâte le haut que je portais jusqu'à ce qu'il ne reste que de la dentelle superflue. Je n'étais jamais rassasiée de ses baisers. Ni des caresses de sa peau contre la mienne qui m'embrasaient. Mes mains se retenaient à sa nuque pour me plaquer contre lui autant que je le pouvais, chacune dans le simple but de me hisser davantage à sa hauteur. Elles redécouvraient cette proximité dont elles avaient tant manqué et j'étais de plus en plus survolée à chacun de mes mouvements.
Difficilement, j'avais réussi à me séparer de mes bottes et me cramponnais à ses épaules pour agripper mes jambes contre sa taille dans un halètement empressé. Une plainte m'échappa malgré moi à l'instant où je réalisais la présence d'une barrière supplémentaire inhabituelle. Il devrait me rappeler de ne jamais porter à nouveau de collants de ma vie.
« Déchire-les. » parvins-je par miracle à articuler, mon visage si près du sien que j'en avais des vertiges.
Ce n'était pas un ordre. Une simple suggestion, à la rigueur. Ou l'assurance que je le ferai certainement s'il ne s'en occupait pas lui-même. Je me rendais compte que ma constitution était différente. Me maintenir collée à lui me demandait de faire usage autrement du peu de force que je possédais, je me reposais davantage sur sa propre énergie. J'étais grisée par cette sensation nouvelle, euphorique et oppressante à la fois. Celle d'être faible entre ses bras.
« Ne te retiens pas. » susurrais-je , fébrile, tandis que l'une de mes mains venait s'attarder contre sa joue. « Ne te retiens jamais avec moi. »
Je pouvais accepter beaucoup. Sa colère, son indifférence, sa cruauté, sa délicatesse. Sa fragilité. Son déséquilibre. Il me faisait bouillonner, il m'attendrissait, il m'emportait, il m'apaisait. Il était tout et son contraire, aussi captivant qu'horripilant, et j'adorais ses excès autant que ses silences. Il n'était jamais trop à mes yeux.
« Profites-en. » poursuivais-je, ma bouche déposant de furtifs baisers contre son cou. « Dès demain, tu ne pourra plus rien m'imposer. »
Je le lançais comme un défi, une provocation au creux de son oreille. Mes lèvres frôlèrent la ligne de sa mâchoire jusqu'à être assez proches des siennes pour l'embrasser avec une tendresse trop fougueuse. Ma prise autour de ses hanches se resserra et je m'agrippais à ses cheveux pour ne pas vaciller.
Je n'avais pas à confier toutes ces choses qui m'animaient et me bouleversaient. Encore une fois, il était considérablement en avance sur moi, n'est-ce pas ? Il les avait forcément deviné. Il en était conscient avant que je ne parvienne à me l'avouer. Il avait tenté de l'empêcher, il m'avait mise en garde. Ça me paraissait si évident à présent. Mais je n'avais aucune maîtrise. Ce n'était pas de ma faute. Ni de la sienne. Il n'y pouvait rien si, aussi déraisonnablement et purement que j'en étais capable, je m'infligeais le doux supplice de l'aimer.
black pumpkin
Balthazar Graves
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Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
DEMAIN DES L'AUBE.
| Conte : Sweeney Todd | Dans le monde des contes, je suis : : Mister T.
Look around you. Look at the mess we’ve made. Look at me.
Elle avait raison. Dans toute sa démesure, son insolence et sa naïveté : elle n'était pas suffisante. Balthazar l'entrevoyait depuis longtemps et ne pouvait rien contre cette absolue fatalité aussi brutale qu'implacable. L'amazone ne suffirait jamais à comprimer la plaie de sa souffrance, car elle était hémorragique. Le chagrin et la douleur s'échappaient continuellement de son coeur en lambeaux et jamais rien ne l'amoindrirait. Il n'y avait aucune échappatoire, aucune fin heureuse pour lui. Tout ce qu'elle était en mesure de lui apporter n'était que quelques instants de répit avant un nouvel assaut d'horreur.
Elle n'était pas aussi sotte qu'elle en avait l'air, puisqu'elle l'avait compris toute seule. Elle l'avait empêché de répondre en l'embrassant. Si déraisonnable qu'elle était... Elle acceptait son sort et en redemandait. Etait-ce lui qui la faisait développer un côté dangereusement masochiste ? Il écarta cette question. Ce serait à elle de s'en repentir. Ce n'était pas son problème si, comme elle le prétendait, "il lui faisait perdre la tête". Des mois auparavant, il avait tenté de l'éloigner, mais elle avait insisté. A présent, il était temps qu'elle assume sa décision. Qu'elle en paye le prix. Il n'était pas responsable de l'ascendance qu'il avait sur elle. Même si, dans le fond, il l'avait suffisamment tourmentée pour qu'elle soit à sa merci.
Elle s'était débarrassée en grande majorité de leurs vêtements à tous les deux. Il ne lui restait que son pantalon et elle, ses collants qui provoquaient une barrière désagréable entre eux. Il la sentait se cramponner à lui et trembler légèrement de par sa force diminuée. Cette constatation lui arracha l'ombre d'un rictus satisfait, qui se mua en expression surprise lorsqu'elle le supplia de déchirer les collants qu'elle portait. Ses autres invitations chuchotées caressèrent son oreille. Un fourmillement électrique le parcourut. Le barbier devenait ardent sous ses caresses et ses paroles.
Ses mains se plaquèrent contre ses cuisses et il souleva la jeune femme pour l'asseoir près d'un lavabo. Il la sentit sursauter légèrement (sans doute était-ce un peu froid, contrastant avec leurs corps brûlants), mais imperturbable, il se pencha juste assez pour attraper les bords du collant et le faire glisser doucement afin de l'enlever.
"Impatiente." articula-t-il d'un ton rauque tout en l'observant.
Une fois débarrassé du vêtement encombrant, il fit remonter ses mains le long des jambes de l'amazone, jusqu'à les écarter pour se plaquer de nouveau tout contre elle. Dès qu'il s'éloignait un peu trop longtemps, il éprouvait un manque. L'appel du vide. Un silence oppressant. Un claquement sourd, lointain et répétitif. Il ne voulait pas écouter.
Il glissa une main dans sa nuque et captura ses lèvres. Il ne serait jamais rassasié. L'abîme de son désir était bien trop absolu. Aveuglé par son envie, il parvint tout de même à murmurer :
"Tu as vu juste... tu n'es pas assez."
Pourquoi avait-il prononcé ces mots ? Lui-même l'ignorait. Son esprit confus et tourmenté peinait à comprendre l'enchaînement de ses propres actes. Le souffle court, il resta plaqué contre elle, plongeant son regard désorienté dans le sien, alors que leurs coeurs menaçaient d'exploser.
"Mais tu n'es pas rien pour autant." reprit-il avec un mélange d'amertume et d'incertitude. "Tu es... autre chose."
Sans s'éloigner, il libéra une main pour caresser les boucles rousses de la jeune femme, une lueur fascinée et absente au fond des pupilles.
"Ma douce petite folle..." prononça-t-il, songeur.
Sa chevelure avait presque des reflets dorés dans la lumière vive disposée autour des lavabos. Il ferma les yeux à demi, serrant Eulalie contre lui tout en l'embrassant avec fougue. Ses mains avaient quitté sa nuque pour effleurer tout son corps et s'abandonner sur ses hanches. Là, ses doigts se glissèrent sous la dentelle.
"Soulève-toi." suggéra-t-il d'un ton incisif.
Il n'attendit pas qu'elle obtempère et s'en occupa lui-même, la saisissant brusquement par la taille pour l'inciter à se relever, de sorte à faire glisser la dentelle superflue... mais cette dernière resta à sa place alors que la luminosité de la pièce venait de changer radicalement.
Balthazar cligna des yeux, ahuri et se sentit basculer en avant sur quelque chose de mou, entraînant Eulalie qui avait elle aussi perdu l'équilibre. Ses mains s'enfoncèrent sur un matelas de plumes, de chaque côté de la tête de l'amazone qui le dévisageait. Il jeta des coups d'oeil affolés de tous côtés, reconnaissant l'appartement qu'il occupait avec Lucy, autrefois. D'ailleurs, elle était de nouveau là, assise à son fauteuil, leur tournant le dos, occupée à broder.
Les sensations étaient présentes, désormais. Les couleurs étaient toujours fanées, mais il pouvait sentir, toucher, ressentir... tout le poids de la honte. Un nouveau châtiment pour sa mauvaise conduite. Un jugement de plus.
D'un bond, il s'écarta d'Eulalie et heurta un meuble. Le bruit sourd que cela provoqua fit tourner la tête de Lucy mais au même moment, on frappa à la porte. Balthazar respirait par saccades. Sa femme l'avait-elle entendu, perçu d'une façon ou d'une autre ? Il baissa les yeux sur son corps à demi dévêtu, et jeta un regard empli de rancoeur à l'amazone, qui se pavanait en lingerie sur le lit conjugal. Il ne pouvait l'accuser : cette fois-ci, c'était lui qui l'avait poussée au vice. Et le destin se gardait bien de le lui faire payer en lui offrant ce tableau insoutenable.
Il fut pris d'un haut-le-coeur et se saisit la gorge, à moitié étranglé. Ainsi, jamais ils n'étaient sortis du film ? La pellicule était abîmée et continuait de se dérouler bon gré mal gré, de façon intempestive ? Il plaqua les mains sur ses tempes, cherchant à tous pris une solution de s'échapper.
Chancelant, il observa Lucy se lever péniblement pour aller ouvrir. A travers la porte vitrée se devinait la haute silhouette imposante du juge Turpin.
"Non..." grogna-t-il entre ses dents, incapable d'en soutenir davantage.
Comme en réponse à ses supplications, la réalité se déforma de nouveau. Court-circuitée, elle vacilla, changea de luminosité, n'eut plus aucune substance l'espace de quelques secondes, avant que les néons des toilettes du dinner ne se matérialisent autour d'eux.
Hagard, le barbier posa son regard flou sur le miroir face aux lavabos, sur lequel était écrit en lettres de sang savamment tracées :
FELICITATIONS, VOUS AVEZ ETE ENVOUTE ! MERCI D'AVOIR FAIT CONFIANCE A LA PELLICULE ENSORCELEE !
L'ironie de ce message provoqua un violent sursaut presque spasmodique chez le barbier. Il le fixa un long moment sans ciller, les poings serrés, le corps parcouru de tremblements furieux. Puis, les lettres s'effacèrent lentement, dans le silence le plus total.
Sans accorder un regard à Eulalie, Balthazar ramassa ses affaires et commença à se rhabiller. Il le fit en toute hâte, indifférent à tout le reste.
"Ce n'était pas la solution..." marmonna-t-il soudain d'un ton sourd, fixant le mur devant lui. "De te vouloir."
Il avait l'impression de n'être plus qu'une enveloppe vide. Comme c'était étrange de passer de tout à rien si rapidement. Quelques minutes plus tôt, il avait cru s'embraser. A présent, il sentait à peine pulser la vie dans le caveau de son corps. Il passa la langue sur ses lèvres, goûtant au souvenir coupable de la bouche de l'amazone contre la sienne.
"Parce que c'est elle que j'imagine quand..."
Il n'acheva pas sa phrase. Il supposait qu'elle avait compris. Cela n'avait pas toujours été le cas, mais cette fois-ci, il s'en était rendu compte. Les lumières vives donnaient toujours un éclat doré à la chevelure cuivrée d'Eulalie. Il n'osait plus la regarder. Cette similitude avec Lucy... S'agissait-il encore d'un sortilège ?
Il déglutit et se dirigea vers la porte. Il espérait qu'en quittant cet endroit maudit qui avait failli être l'épicentre du désir, il laisserait derrière lui le maléfice. Tout était-il terminé, à présent ? Il redoutait de se tromper. Comment savoir s'ils étaient bel et bien de retour dans la réalité ?
Dans le couloir menant aux toilettes, il croisa une femme âgée. Elle lui adressa un sourire sympathique auquel il ne répondit évidemment pas. A la place, il fondit sur elle, la saisit par la gorge et la plaqua contre le mur. Elle poussa un couinement terrifié alors que ses mains squelettiques cherchaient ridiculement à lui faire lâcher prise. Il la maintint ainsi quelques instants avant de la libérer.
"Réel." estima-t-il, le visage fermé.
Il considérait qu'un maléfice n'était pas capable de reproduire une angoisse profonde à la perfection, et ce qu'il avait lu dans les yeux de la vieille dame reflétait exactement ce qu'il aimait y voir. Elle n'était pas une illusion ou une marionnette. La femme porta les mains à sa gorge tout en émettant toujours de petits couinements terrorisés, le fixant de ses yeux larmoyants et globuleux derrière ses lunettes de travers.
"Je... suis sorcier. Vous aviez le diable sur vous." inventa le barbier sans se donner la peine de prendre une intonation convaincante -au contraire, sa voix monocorde inspirait plutôt la crainte. "Il est parti, maintenant."
Sans un mot de plus, il s'éloigna à grands pas tourmentés. L'avait-elle cru ? Aucune importance. Il avait seulement cherché à ne pas s'attirer d'ennuis après avoir agressé quelqu'un sans motif. A Storybrooke, ce genre d'explication était monnaie courante. Il s'était même surpris d'avoir trouvé un mensonge si facilement.
D'une certaine manière, il avait dit la vérité, puisqu'il était le diable en personne et qu'il venait de quitter les lieux.
Sombrement, Balthazar pencha la tête, accusant la bise glaciale alors que son manteau ouvert claquait au vent. Il regagna sa voiture, bien décidé à rester éloigné de toute forme de vie jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Instinctivement, sa main était venue se lover autour de la Pellicule Ensorcelée, dans sa poche. Il la serra à tel point qu'il entendit bientôt un craquement sec, tandis qu'une vive douleur élançait sa paume. Il jeta l'objet cassé par la fenêtre et prit soin de faire une marche arrière et de rouler dessus, afin de s'assurer que le charme était bien rompu. Quand il est question de magie, mieux vaut mettre une double dose.
"Saloperie." conclut-il, hargneux.
Après quoi, il posa son front contre le volant autour duquel il avait les mains crispées, et ferma les yeux en exhalant un gros soupir qui affaissa ses épaules.