« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
« Tant que le coeur conserve des souvenirs, l'esprit garde des illusions. »
(Chateaubriand)
Il est plus ardu qu'on ne le croit d'arpenter son passé. Ce n'est pas une preuve de lâcheté que d'attendre le bon moment pour voyager dans le temps. J'avais vu Paris au XXIème et j'avais été profondément déçu et peiné de constater que son élégance avait été détruite aux fondations et qu'à la place de hauts immeubles sans âme avaient été érigé. De ce fait, je nourrissais quelque crainte à l'idée de revoir Amiens, la ville que je chérissais plus que toute autre.
Grâce à quelques recherches, j'avais appris que la maison dans laquelle j'avais séjourné de 1882 à 1900, située 2 avenue Charles Dubois, était devenue un musée à ma mémoire. Le dépliant publicitaire indiquait que tout était resté en l'état comme de mon "vivant". Après de longues semaines d'hésitation, j'avais finalement demandé à mon ami Elliot de m'y emmener. Il avait bien compris que je souhaitais explorer seul mon passé, aussi il se contenta de me déposer devant le portail en fer forgé, avant de disparaître sur un commentaire des plus constructifs :
"Sympa, la baraque !"
Quelle ne fut pas ma surprise en entrant dans la cour intérieure ! Les écuries avaient été remplacées par une pièce sans âme qui faisait office de boutique et de comptoir de paiement ! Je pivotai sur moi-même, alerté à l'idée que le reste de ma demeure ait été défigurée sans vergogne. Une vaste toile représentant les inventions issues de mes différentes oeuvres était accrochée contre le mur de la cour. Bon, cela était acceptable.
J'adressai un sourire reconnaissant au prunier situé près du portail. Au moins, cet arbre était toujours là.
"Je te salue, vieille branche !" déclarai-je d'un ton guilleret tout en serrant une de ses ramifications comme s'il s'agissait d'une main. "Nous avons sensiblement le même âge, il me semble. Quoique... peut-être es-tu légèrement plus jeune que moi."
Un petit rire s'échappa de ma gorge. J'avais l'impression de retrouver un ami de longue date, bien qu'il ne puisse pas parler. Je remarquai alors qu'un homme m'observait depuis la pièce vitrée qui tenait lieu de boutique. Avait-il entendu mes paroles adressées à un arbre ? Je toussotai et plaçai les mains dans mon dos, désinvolte. Puis je me dirigeai tranquillement vers le jardin d'hiver, l'entrée de ma demeure. Cependant, la porte me résista.
"Monsieur !"
De nouveau l'homme, qui m'interpelait cette fois. Une ride contrariée barra mon front alors que je pivotai vers lui de mauvaise grâce.
"Qu'y a-t-il ?"
"Vous ne pouvez pas entrer par ici."
"En quel honneur ?" répliquai-je quelque peu sèchement. "C'est pourtant la porte d'entrée."
"Autrefois, oui. Maintenant, l'accès se fait par la boutique. Suivez-moi."
Je plissai des yeux. Décidément, j'appréciais modérément que l'on me dise comment me comporter chez moi. Malgré tout, j'emboitai le pas à l'individu... qui me contraignit à payer le droit d'arpenter ma propre maison ! Avec un sifflement agacé, je posai la carte bancaire contre le boitier qui bipa. Sept euros venaient de s'envoler dans l'espace. C'était ainsi que je me figurais l'argent que l'on ne pouvait toucher. Il se perdait dans le néant, sur des comptes bancaires tout aussi factices que le reste. Nous vivons à une époque où rien n'a de substance.
L'homme, qui se révéla être guide touristique, m'informa qu'une visite des lieux se déroulerait dans une dizaine de minutes et m'invita à y assister. Etant donné le regard insistant dont il m'enveloppait, je le soupçonnais de vouloir me garder à l'oeil. Ceci était parfaitement offensant. S'il savait qui j'étais...! Je répondis par une expression profondément arrogante et patientai dans le jardin d'hiver parmi quelques visiteurs. Une maquette du Nautilus trônait non loin d'une table ronde en métal ainsi que quelques chaises. De nouvelles plantes en pot étaient posées près des portes vitrées, et les assiettes en porcelaine qu'Honorine affectionnaient tant ornaient toujours les murs.
Le guide précisa que Jules Verne n'aimait pas cette décoration qui était à la grande mode au XIXème siècle.
"Pour lui les assiettes, c'est fait pour manger." précisa-t-il avant de se rendre dans la pièce suivante.
Décidément, je ne l'appréciais pas beaucoup, celui-là. Quelle image dépeignait-il de moi ? Certes, j'avais peut-être dit une phrase de ce genre une fois dans ma vie, mais ce n'était pas une raison pour l'afficher de la sorte, surtout sortie de son contexte !
Comme il était étrange de se redécouvrir les différentes pièces de ma demeure. La salle à manger demeurait presque inchangée, si ce n'est mon tire-botte qui avait été placé en vitrine et qui n'avait absolument rien à y faire. Lorsque le guide précisa que le plancher était d'origine et que le grand Jules Verne y avait marché, je réprimai un sourire amusé.
Il y marche actuellement, sombre idiot !
Quel effet cela aurait-il produit sur ces gens si j'avais proclamé mon identité à haute voix ? Sans doute m'aurait-on pris pour un fou. A chaque nouvelle pièce, les visiteurs prenaient quantité de photographies avec leurs téléphones portables.
Une fois dans le salon de musique, je m'arrêtai face au piano et en effleurai le bois du bout des doigts.
"Honorine aimait recevoir ses invités dans cette pièce conviviale." expliqua le guide. "Mais il était difficile de convaincre Jules Verne de jouer un morceau de piano. Il se retirait à vingt et une heure dans sa chambre car il se levait tôt."
"Ce n'est pas entièrement vrai." répliquai-je.
Jusqu'à présent, je m'étais retenu de corriger le guide, mais il en allait de mon honneur. Je ne pouvais le laisser raconter n'importe quoi. Les regards de tous se braquèrent sur moi. Imperturbable, je repris, la tête haute :
"Jules Verne jouait volontiers du piano. C'est juste que les amis de sa femme n'étaient pas forcément les siens. Je puis vous assurer qu'il était un vrai bout-en-train et qu'il savait s'amuser."
"Evidemment. D'ailleurs, dans la pièce suivante, vous verrez des clichés des bals costumés qu'il a organisés."
La voix du guide était légèrement contractée. Il semblait partagé entre le bonheur de rencontrer un passionné, et la méfiance que je lui inspirais depuis le début.
Alors que tous se dirigeaient dans le sens de la visite, je restai quelques instants de plus. J'enveloppai d'un regard tendre le tableau représentant ma plus jeune soeur, Marie. Avec le temps, les détails de son visage s'étaient amoindris dans ma mémoire, mais la toile venait de tout raviver. Je déglutis avec peine et me mordis les lèvres. Les photographies de mes parents m'avaient beaucoup moins ému que ce tableau si vivant... Y avait-il un cliché de mon frère Paul ailleurs dans la maison ? J'aurais tant aimé le revoir, lui aussi...
"Qu'est-il arrivé au fumoir ?" m'écriai-je en pénétrant dans la petite salle jouxtant le salon.
J'avais plaqué une main contre mon coeur, terrassé par cette pièce dépourvue d'identité. Des clichés des différents bals avaient été encadrés aux murs. Où étaient donc passés les élégants fauteuils moelleux ? Plus aucune odeur de tabac ne flottait dans l'air. J'en fus si saisi que j'en sortis la boîte en métal de mon veston pour l'ouvrir et attraper un fameux cigare. Le guide ne vit pas mon geste et poursuivit la visite. Nous nous trouvions désormais dans une salle plus vaste consacrée à mes oeuvres et mes voyages en mer. Au centre, un escalier en métal noir, en colimaçon. J'en restai bouche bée, le cigare collé tout au bord de ma lèvres inférieure. Cet escalier n'existait pas de mon temps !
"On ne fume pas ici !" fit le guide en m'arrachant le cigare, outré par mon comportement. "Monsieur, si vous ne respectez pas le règlement intérieur, vous devrez sortir."
Je roulai des yeux, peu impressionné et regardai les visiteurs monter les marches pour se rendre au premier étage. Depuis quand était-il interdit de fumer dans ma maison ? Quel toupet !
"Pourquoi ne pas emprunter l'escalier de la tour ?"
Je craignais que le guide me réponde qu'il était condamné ou une autre fantaisie du même acabit.
"Nous l'utiliserons pour descendre." répondit-il simplement.
Cela ne me convenait pas. S'il était accessible, pourquoi ne pas l'emprunter dans les deux sens ? Le reste de la visite me déplut et enfonça un éclat de verre supplémentaire dans mon coeur vacillant. Le premier étage ne comportait plus les chambres mais la reproduction de la librairie de mon éditeur. Malgré tout, je ressentis une vive émotion en reconnaissant son bureau, identique à mon souvenir. Pierre-Jules Hetzel avait été un ami et un mentor. Son absence me pesait encore aujourd'hui.
Au second étage, je découvris avec "bonheur" que ma chère bibliothèque qui abritait plus de douze mille ouvrages, avait été vidée. Jouxtant cette dernière, mon petit bureau qui avait été conservé à l'identique. J'observai à travers l'embrasure les reliefs de ma table de bureau, disposé face à la fenêtre, ainsi que du lit en fer sur lequel trônait un chapeau de haute forme ainsi qu'une paire de gants blancs. Une corde empêchait à quiconque d'entrer plus avant.
J'attendis que le guide poursuive sa visite en compagnie de son groupe de curieux pour décrocher la corde et pénétrer dans la pièce. Cela me semblait saugrenu de ne pas saluer cet endroit tout particulier dans lequel j'avais écrit la majorité de mes oeuvres. Avec délicatesse, je caressai le bois de la table et mes doigts rencontrèrent la surface polie et froide du coupe-papier en ivoire. Je me souvenais parfaitement de cet objet. Tout naturellement, je m'en saisis et le glissai dans ma poche de pantalon. Puisque je ne pouvais rien revendiquer de cet endroit, j'étais au moins dans la capacité d'en garder une infime partie auprès de moi. Ce coupe-papier avait accompagné mes séances d'écriture depuis l'instant où l'on me l'avait offert, en juin 1864. Il m'était très précieux. Je n'étais pas supersticieux, pourtant il me semblait que j'écrirai beaucoup mieux en l'ayant en ma possession.
Satisfait de mon acquisition, je pivotai sur mes pieds pour ressortir de la pièce. Je me stoppai net en apercevant une silhouette féminine qui me bloquait l'accès. Plutôt grande et famélique, elle me fixait d'un regard accusateur et presque... méchant, si bien que je le soupçonnais de vouloir me dévorer. Peu impressionné, je lui adressai une expression hautaine.
"Je souhaitais voir de plus près." expliquai-je posément.
Après tout, elle ne m'avait sûrement pas vu prendre le coupe-papier. Je n'allais donc pas m'accuser. Qui plus est, ce n'était pas un crime d'entrer dans une pièce bloquée par une vulgaire corde !
crackle bones
Caroline G. V.
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« Rentrant au logis, le soir, l’oreille attentive
Aux plaintes de Philomèle, et l’oeil
Epousant la course d’un petit nuage brillant qui passe,
Il se lamente qu’un tel jour ait pu si vite s’enfuir,
S’enfuir comme une larme répandue par un ange
Qui tombe dans la transparence de l’éther, silencieusement. »
| Conte : ➹ Humaine | Dans le monde des contes, je suis : : ✲ Non, je ne suis pas divine. Sinon je le saurais, on m'en aurait parlé...
« S'il y a du vert dans le Paradis, ça ne peut être que ce vert-là, qui est, sans doute, le vrai vert de l'Espérance ! » lu-je dans ma tête avant de fermer le bouquin d'un geste délicat de la main et de lever les yeux en direction de l'homme qui venait de franchir le seuil du fumoir.
Je me trouvais dans un coin de la pièce, assise sur une petite chaise qu'on mettait à disposition des touristes. Ils pouvaient ainsi s'asseoir quelques instants dans le but de se reposer ou de méditer sur ce lieu qui fut jadis la demeure du grand Jules Verne. Je tenais un de ses ouvrages dans mes mains, le Rayon Vert. Il m'arrivait assez souvent, en dehors de mes heures de travail, de venir ici, de m'installer à proximité de cette gigantesque carte dessinée sur le sol, et de lire un des romans de l'auteur dont on visitait les lieux.
A diverses reprises, j'avais contemplé d'autres personnes qui faisaient de même. Certains fermaient simplement les yeux et restaient ici, assis jusqu'à la fermeture du domaine. D'autres, fixaient la carte et contemplaient les périples de Phileas Fogg. Quant à cet homme là, que je venais de voir entrer dans le fumoir, il se permettait une chose que personne d'autre avait osé par le passé. On n'avait déjà eu des visiteurs désireux d'entrer dans les salles interdites, mais aucun était allé jusqu'à franchir le seuil de l'une de ses portes. Je m'étais levé pour lui dire que ce n'était pas bien et de faire demi tour, mais il était déjà entré dans la pièce et ce avant même que je puisse ouvrir la bouche. Par conséquent, je l'avais suivi et j'étais resté dans l'embrassure de la porte, l'observant et le voyant récupérer après un petit instant, un objet ayant appartenu à notre hôte.
Quant il s'était tourné, il avait enfin remarqué ma présence. Se stoppant net, il m'avait observé quelques instants, voyant que je lui bloquait l'accès et que je le regardais avec un air accusateur. Est ce qu'il comptait réellement partir en pocession de cet objet ? La seule réponse qu'il avait faite à une question inexistante, c'était qu'il voulait voir le bureau de plus près, sans évoquer le dit objet. Je n'avais pas détaché mon regard du siens, croisant les bras et m'adossant contre la paroi à côté de moi.
« On a une belle vue d'ici. » dis-je d'une voix calme et posée.
La maison à la Tour dominait le quartier. Face à elle se tenait un grand parc et on pouvait appercevoir la ville au loin. D'ailleurs, à plusieurs rues de là se trouvait la cathédrale, ainsi qu'une maison juste en face et un petit appartement mansardé où je vivais. Rien que d'y penser, ça me faisait sourire. Mais pas là. A cet instant précis, je fixais simplement le voleur sans sciller.
« Jules Verne a fait apparaître deux maisons à la tour dans ses romans. Il s'est inspiré de celle où il a vécu. »
Je m'étais accordé un bref regard de bas en haut chez l'homme, afin de voir comment qu'il était vêtu et si c'était bien le genre d'homme auquel je songeais. Les verniens. Un peu trop accroc et adeptes au point de tenter de voler un objet.
« C'est la dernière demeure de l'écrivain qui a été conservée. Le public y a accès pour rendre hommage à l'auteur. Au fil de la visite, on devine aisément pourquoi il devait se sentir bien ici quand il écrivait ses romans. C'est dans cette pièce qu'il en a écrit la plupart. »
Me détachant du mur contre lequel j'étais appuyé et décroisant les bras, je m'étais avancée en direction du bureau et j'avais fait glisser ma main dessus, passant à proximité de l'homme.
« Quand on tend un peu l'oreille, on entend encore le bruit de la plume sur le papier. » affirmai-je en fermant délicatement les yeux et en redressant la tête, tout en laissant échapper un petit sourire.
Car oui, je l'entendais encore. Ou du moins, je l'imaginais. C'était sur ce papier, avec cette plume, qu'il avait couché tant de mots plus inspirants les uns que les autres. C'était ici qu'Helena avait pris vie. Dotée d'un tempérament poétique et rêveur à l'extrême. C'était ici qu'Oliver avait croisé son regard pour la toute première fois, et qu'ils s'étaient regardés au moment le plus romantique de toutes les oeuvres de l'auteur. C'était dans ce bureau qu'il avait été décidé que le rayon vert ne serait plus la chose la plus importante à leurs yeux, mais tout autre chose d'encore plus merveilleux.
« « Avez-vous quelquefois observé le soleil qui se couche sur un horizon de mer ? » demandai-je à l'homme, sans la moindre hésitation et en ouvrant les yeux. « Oui ! sans doute. » répondis-je à sa place.
« L'avez-vous suivi jusqu'au moment où, la partie supérieure de son disque effleurant la ligne d'eau, il va disparaître ? C'est très probable. Mais avez-vous remarqué le phénomène qui se produit à l'instant précis où l'astre radieux lance son dernier rayon, si le ciel, dégagé de brumes, est alors d'une pureté parfaite ? Non ! peut-être. »
Je m'étais avancé du voleur, le fixant droit dans les yeux. Il avait quelque chose de doux dans le regard, même si ce n'était qu'un monstre pour avoir voulu dérober un objet aussi précieux. Mais ça ne m'empêchait pas de poursuivre le jeu des questions/réponses.
« Eh bien, la première fois que trouverez l'occasion - elle se présente très rarement - de faire cette observation, ce ne sera pas, comme on pourrait le croire, un rayon rouge qui viendra frapper la rétine de votre œil, ce sera un rayon « vert », mais d'un vert merveilleux, d'un vert qu'aucun peintre ne peut obtenir sur sa palette, d'un vert dont la nature, ni dans la couleur des mers les plus limpides, n'a jamais reproduit la nuance ! »
J'avais dit cela en posant une main sur son torse. Et en tentant de capter toute son attention. Je n'hésitais pas, je récitais tout simplement, comme si j'avais moi même écrit ces mots.
« S'il y a du vert dans le Paradis, ce ne peut être que ce vert-là, qui est, sans doute, le vrai vert de l'Espérance ! » conclu-je en faisant glisser ma main discrètement dans la poche de son pantalon, et en sortant le coupe papier en ivoire qu'il y avait enfoui quelques minutes auparavant.
« Il n'est pas à vous. » lui dis-je le plus calement possible. « Déroberiez vous l'essence même de ce lieu à un auteur que vous considérez comme talentueux ? Ca serait comme lui enfoncer ce coupe papier dans le coeur. » ajoutai-je en pointant le coupe papier sur le coeur de l'homme. « Ou brûler l'intégralité de son oeuvre. Cet objet fait partit de son vécu et prouve son existence. Il passionne, il attise la flamme en chacun d'entre nous. Vous vous comporteriez comme un monstre. Et il n'y a pas de monstres dans les oeuvres de Jules Verne, juste des êtres malaimés ou incompris. »
Retirant le coupe papier de contre son coeur, je l'avais remis à sa place, avant d'indiquer la sortie de la pièce à l'homme qui se tenait toujours là face à moi.
« Caroline ? C'est toi qui a activé l'alarme ? » demanda une jeune femme qui venait de passer la tête par l'entrabaillement de la porte.
J'avais hésité un instant, tandis qu'elle faisait des vas et viens entre l'homme et moi.
« Tout va bien. Le coupe papier en ivoire était tombé. J'ai du entrer pour le remettre en place. »
Chaque pièce était équipée d'une alarme silencieuse au cas où quelqu'un, comme à cet instant précis, franchirait la corde. Ca avait alerté l'accueil, mais j'étais déjà sur place. Je fixais l'homme, tandis que ma collègue s'en était allé. Il attendait quoi pour sortir ? Ca ne serait pas moi qui quitterait cette pièce en première... j'étais à ma place ici. Pas lui.
Jules Verne
« J'ai pas trouvé où on peut demander un rang personnalisé... ! »
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(Chateaubriand)
Tout d'abord, je fus contrarié que l'inconnue cherche à entamer la conversation. D'ordinaire, ma sociabilité naturelle ne me faisait jamais défaut, mais le fait de retrouver mon vieux cabinet de travail me donnait l'envie d'observer un silence presque méditatif. Les objets, les meubles, tout avait une histoire. Mon histoire. En prêtant l'oreille, je pouvais presque entendre de nouveau ma plume caresser le papier...
Les paroles de la jeune fille dépassèrent mes pensées. Surpris, je la dévisageai, oubliant toute bienséance. Elle m'avait étonné au plus haut point en traduisant verbalement ce sur quoi je méditais. Elle semblait fort bien renseignée à mon sujet. J'étais indéniablement l'un de ses auteurs préférés, si ce n'était pas le seul. Mon orgueil en fut tout étourdi, car cela faisait toujours plaisir de rencontrer une passionnée. Ellie l'était de façon plus discrète mais tout aussi charmante. De toutes les manières, notre relation était très différente. Quant à cette jeune fille, une dureté dans son regard m'intimait à la prudence. Elle prenait un peu trop ses aises dans mon cabinet de travail ; elle avait caressé la table de bureau.
Elle avait continué son chemin en citant plusieurs passages du Rayon Vert. Cet ouvrage semblait l'avoir marquée, alors que je n'en gardais que de vagues esquisses en tête. Quand on écrit autant, on ne peut tout avoir en mémoire.
Elle s'avança de plus en plus tout en me fixant de ses yeux perçants et glacés. Je soutins son regard sans ciller, à la fois intrigué et provocateur. J'eus un léger sursaut lorsqu'elle posa une main contre mon veston. Cette brusque proximité était incongrue. Tandis qu'elle continuait de réciter l'article fictif du journal que j'avais inventé dans le roman, le Morning Post, sa main se faufila jusqu'à mon pantalon. J'en restai profondément choqué et pétrifié. Une seconde de plus et j'aurais interrompu son geste, si je n'avais compris très vite son but : récupérer le coupe-papier en ivoire que j'avais glissé dans ma poche.
Elle le pointa ensuite en direction de mon coeur en m'accusant d'être un voleur et un blasphémateur. J'étais obligé de noter que la jeune fille défendait Jules Verne d'une façon enflammée qui me plut énormément. Ah, j'aurais tant souhaité lui dévoiler mon identité ! Hélas, à ses yeux je ne resterai qu'un cambrioleur. C'était d'un triste !
Visiblement, elle était connue par une employée qui fit son apparition avant de repartir.
"Travaillez-vous ici ?" demandai-je à la jeune fille, de plus en plus intrigué. "Vous êtes fort bien documentée sur monsieur Verne. C'est épatant ! Puis-je récupérer ce coupe-papier, à présent ?"
Je tendis la main afin de m'en saisir mais elle l'éloigna brusquement en fronçant les sourcils. Son expression faciale me fit frémir.
"J'admets que je me suis mal comporté. Votre prix sera le mien. J'ai une carte bancaire pour vous dédommager. Je suis certain que nous pouvons trouver un arrangement." affirmai-je d'un ton entendu. "Voyez-vous, ce coupe-papier a une histoire très symbolique que vous ne connaissez sûrement pas. En tant que passionné de Jules Verne, je rêve de l'acquérir depuis des années."
J'étais prêt à le payer un bon prix. Elle aurait été sotte de refuser. Comme pour montrer ma bonne foi, je sortis de la pièce exiguë pour retrouver la bibliothèque vidée de sa substance. Au sol avait été installé une large carte géographique montrant les périples de Phyleas Fogg et Passepartout à travers le globe. J'appréciais cette innovation, bien que l'absence de tous les ouvrages qui emplissaient autrefois les étagères me laissait une sensation de vague à l'âme.
"Que sont devenus tous les livres entreposés ici ?" demandai-je en m'efforçant de paraître désinvolte, alors qu'en réalité, j'avais presque envie de verser une larme. "Autrefois, cette pièce contenait plus de douze mille ouvrages. Charles Dickens, William Shakespeare côtoyaient Fenimore Cooper et Alexandre Dumas. Et ne parlons pas de la Géographie Universelle d'Elysée Reclus ou de celle de Malte-Brun sans lesquelles je... Jules n'aurait pas pu se documenter !"
J'avais corrigé mon erreur en vitesse, me mordis les lèvres, et fixai la jeune fille d'un oeil réprobateur, les bras croisés. Puis, réalisant qu'elle n'y était sans doute pour rien, je laissai échapper un soupir. Je prenais tout ceci trop à coeur. Je savais que revenir dans cet endroit serait une erreur, mais comme tout pécheur, je n'avais pu résister.
"Il adorait cette demeure." déclarai-je, la tête basse, les yeux rivés sur la carte à mes pieds. "C'est la seule dans laquelle il se sentait véritablement chez lui. Sans sa blessure à la cheville, il y serait resté jusqu'à sa mort."
Un voile obscur passa devant mon regard troublé. Les premières années suivant l'attaque de mon neveu, j'avais éprouvé mon corps, insisté pour grimper marche après marche en boitant, mais j'avais été contraint de m'avouer vaincu au bout d'un moment. La balle logée dans ma cheville me faisait souffrir continuellement. Impossible de lutter davantage. L'escalier de la tour était devenu mon pire ennemi. Je me voyais encore, appuyé de tout mon poids sur ma canne, à trembler et haleter sans parvenir à rejoindre le premier étage... Quitter cette maison avait été un véritable crève-coeur. La retrouver était douloureux, comme une plaie qui se réouvrait peu à peu. Ellie m'avait offert un logis pratiquement identique à Storybrooke, mais malgré tout, ce n'était pas la même chose. Dans celle-ci, tout était encore à écrire. Alors que dans celle dans laquelle je me trouvais présentement, les souvenirs se superposaient à ma vision actuelle.
"Le coupe-papier est un cadeau qu'on lui a offert." dis-je en éludant l'identité de la fameuse personne. "Il y tenait beaucoup. Je ne partirai pas sans cet objet. Fixez un prix et je m'y tiendrai."
L'idée de payer un bien m'ayant appartenu était farfelu mais je ne pouvais le détenir autrement. Je lançai un regard déterminé et intransigeant à la jeune fille. Elle semblait seulement à l'aube de sa vie. J'étais toujours aussi surpris de constater que mes romans intéressaient davantage les filles que les garçons en ce siècle. A mon époque, c'était tout le contraire. J'avais eu envie d'écrire davantage d'histoires avec des personnages féminins, mais mon éditeur avait craint que cela rebute les lecteurs. Le Rayon Vert était ma petite victoire contre lui, car il avait connu le succès en dépit de son "handicap". Certes, il n'était pas aussi populaire que Le Tour du Monde en quatre-vingt Jours ou Vingt Mille Lieues sous les Mers, mais le fait d'avoir entendu tant de ferveur dans la bouche de cette jeune fille me confortait dans l'idée que cela était un bon roman.
J'espérais qu'elle allait vite accéder à ma requête afin que nous puissions parler plus avant. Sa conversation était des plus agréables.
crackle bones
Caroline G. V.
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Epousant la course d’un petit nuage brillant qui passe,
Il se lamente qu’un tel jour ait pu si vite s’enfuir,
S’enfuir comme une larme répandue par un ange
Qui tombe dans la transparence de l’éther, silencieusement. »
| Conte : ➹ Humaine | Dans le monde des contes, je suis : : ✲ Non, je ne suis pas divine. Sinon je le saurais, on m'en aurait parlé...
« Pourquoi les écrivains ne lisent pas davantage ? »
« Ce n'était pas uniquement la demeure qu'il appréciait. » dis-je tout en observant l'homme qui, même si il semblait être un fervant passionné de l'auteur, m'agaçait à vouloir voler l'homme qu'il avait été.
Pourquoi il ne pouvait pas y avoir des verniens sains d'esprits. Au moins un... Je n'en avais pas encore côtoyé un seul qui n'avait pas voulu dérober un objet dans cette demeure ou qui n'avait pas tenté de me faire la cour. C'était déprimant à souhait.
« Il avait rêvé d'un Amiens parfait et plaisant à vivre. Il en a même écrit un roman, Une Ville Idéale. » ajoutai-je en m'avançant vers la fenêtre pour jeter un oeil au dehors. « Jules avait des projets d'aménagements visionnaires. »
Je pouvais l'appeler Jules. Ca rendait notre relation plus proche. Me détachant de la fenêtre, j'avais à mon tour croisé les bras pour toiser l'homme. Ce que Jules, de son époque, n'avait pas pu prévoir, c'était que la capitale de Picardie serait en partie détruite par la Seconde Guerre Mondiale. Néanmoins, en dépit des reconstructions, la ville porte encore l'empreinte profonde du siècle de l'écrivain. C'était pour cela que j'aimais tant vivre ici et que je comprenais ce qui lui avait plu dans cette demeure.
« C'est sa femme qui l'a conduit ici. Elle trouvait la société cordiale et lettrée. Et puis, ce n'était pas très loin de Paris. »
C'est plus de cinquante romans qu'il écrivit ici même. Le lieu l'inspirait plus que n'importe quelle autre ville au monde. Il était resté dans cette maison pendant dix huit longues années, avant de finir ses jours dans un lieu plus facile d'accès pour l'homme qu'il était devenu.
« Si il tenait tant que ça à cet objet, vous êtes vraiment un sans coeur. » conclu-je.
Car voler un bien précieux à une personne, en sachant pertinement que c'était quelque chose à quoi il tenait, c'était un acte cruel qui ne méritait aucun pardon. Je m'en étais retourné devant la table du bureau de l'auteur, afin de poser l'objet à la place qu'on lui avait attribué. Puis, j'avais fait reculer l'homme qui m'avait suivi, jusqu'à la pièce voisine où se trouvait la grande carte dessinée au sol, n'oublions pas de remettre derrière moi, le cordon qui empêchait l'accès au bureau de Jules.
« Citez moi la personne qui compte le plus à vos yeux et fixez un prix à votre attachement. » dis-je à l'homme tout en croisant une nouvelle fois les bras, tout en faisant un geste de la tête pour ramener mes cheveux en arrière.
J'espérais juste qu'il n'était pas monstrueux au point de réellement pouvoir répondre à une telle question. Mais avec les verniens, il fallait parfois s'attendre à tout.
« Mesdames et messieurs, la maison Jules Verne s'apprête à fermer ses portes. Nous vous prions de bien vouloir rejoindre le hall d'entrée. Demain, nous serons ouvert dès dix heures du matin et jusqu'à dix sept heures. Pour des raisons de ré aménagements, l'accès au grenier sera fermé. Merci de votre compréhension. »
Une voix s'était faite entendre dans les haut parleurs. Cela provenait de l'accueil, tout en bas de la maison, dans la partie qui était à l'époque consacrée aux écuries. J'avais pris l'homme par le bras sans lui laisser le temps de dire quoi que ce soit, et on s'était dirigé vers un grand escalier derrière une porte fermée, qui menait directement jusqu'en bas. C'était l'escalier d'origine de la maison qu'on utilisait en fin de visite guidée. Est ce que je travaillais ici ? Peut-être. Est ce qu'il devait sortir ? Surement.
« Ce fut un plaisir de ne pas appeler la police. Et si vous avez autant d'argent que vous le prétendez, n'hésitez pas à acheter un livre ou bibelot - disponible et non pas unique - à la vente. »
Ce qui n'incluait pas ceux présent dans la maison et notament un coupe papier en ivoire. Car ce dernier n'était pas à vendre, quel que soit le prix qu'il était prêt à mettre. Passant devant l'accueil, j'avais indiqué du doigt une bibliothèque contenant divers ouvrages.
« Je vous conseil vivement Satania, Ame Perdue chez Jules Verne. C'est un roman de Claude Tillier. Le monsieur assis là bas. » ajoutai-je en indiquant du doigt le guide de la maison et aussi mon ami. « Vous pourrez même vous le faire dédicacer. »
J'avais conclu par un franc sourire, essayant de le convaincre de faire une emplette avant d'aller embêter quelqu'un d'autre. C'est à ce moment là que j'avais entendu des murmures au loin, provenant justement de l'auteur qui guidait les gens à travers cette maison. Levant les yeux au ciel, je sentais que j'allais devoir encore une fois prendre sur moi.
« ...c'est vrai ? Mais c'est fantastique ! » s'exclama un passionné que j'avais croisé dans la maison quelques heures auparavant.
Il faisait partit de ceux qui venaient pour la première fois, afin de passer toute leur journée dans la demeure à contempler l'oeuvre de l'artiste, mais aussi à méditer sur leur propre existence. C'était comme ça que je voyais ces gens là. Quoi qu'il en soit, il s'était approché de moi avec un roman dans les mains. De ce que je voyais de la couverture, il s'agissait de 20.000 lieues sous les Mers, l'un des seuls romans de l'auteur dont je n'étais pas spécialement fan. Au loin, je voyais déjà Claude me faire un sourire compatissant.
« Est ce que... enfin si vous acceptez... vous pourriez peut-être... »
Sans lui laisser le temps de finir sa phrase, je lui avais adressé un sourire forcé et j'avais pris son stylo. Puis, j'avais ouvert le livre et avant d'écrire quelque chose dedans, je lui avais avoué quelque chose dont j'espérais qu'il était conscient.
« Je ne suis pas l'auteur. »
On ne savait jamais. C'était un vernien après tout. Puis, quand il m'avait dit son nom, j'avais écrit un petit mot dedans, signant Caroline G. V. à la fin. Je signais toujours de cette manière. Quelque part, même si cet exercice m'embêtait considérablement, je prenais mon mal en patience, car j'avais la sensation de poursuivre un peu plus l'oeuvre de mon aïeul. Me stoppant là, et regardant le passionné partir, j'avais adressé un regard à l'homme qui n'avait même pas jugé utile de se présenter. Puis, j'avais fait un signe de tête en direction du livre que je lui avais conseillé, en me montrant insistante du regard, afin qu'il l'achète.
Jules Verne
« J'ai pas trouvé où on peut demander un rang personnalisé... ! »
La jeune fille demeurait sur ses positions. Elle reposa le coupe-papier à sa place et m'entraîna vers l'escalier de la tour. Ainsi, je pus constater qu'il était toujours utilisé. Cela m'emplit de satisfaction. Ils n'avaient pas entièrement tué l'âme de cette demeure, même si les écuries n'existaient plus et que mon cher fumoir n'en avait plus que le nom.
La police ? Pour quelle raison cette demoiselle l'aurait-elle prévenue ? Avais-je commis un acte répréhensible ? Je n'en avais pas l'impression. On n'interpelait pas quelqu'un pour avoir franchi un espace gardé par une corde. C'était ridicule !
Je suivis du regard l'homme qu'elle me désigna, assis derrière le comptoir. Un auteur, qui à en juger par la couverture de son ouvrage, écrivait sur moi. C'était flatteur, mais je m'en désintéressai vite quand un visiteur s'approcha de la jeune fille, muni d'un stylo et d'un exemplaire de Vingt Mille Lieues sous les Mers. Il semblait à la fois intimidé et ému. Stupéfait, je vis la demoiselle se saisir du stylo pour écrire sans vergogne quelque chose sur la première page du roman.
"Sapristi ! Que faites-vous, malheureuse ?" m'écriai-je.
Je n'avais pu réprimer mon indignation. Qui blasphémait, à présent ? Elle venait de couvrir un de mes livres de graffitis ridicules !
L'expression émerveillée du visiteur s'évanouit aussitôt alors qu'il posait un regard indécis sur moi. Ignorant la jeune fille qui me montrait le livre de son collègue un peu plus loin, j'arrachai l'exemplaire de Vingt Mille Lieues sous les Mers au simple d'esprit et l'ouvrit à la première page, afin de constater l'étendue des dégâts.
Caroline G. V.
Ces lettres étaient dessinées de façon penchée et nerveuse sur le papier d'excellente qualité. Il s'agissait d'une édition ancienne, datant probablement de mon siècle. Je restai focalisé sur le prénom ainsi que sur les initiales, mon esprit fonctionnant si vite que je me figurais de la fumée s'échappant par mes oreilles.
Elle se prénommait Caroline, ce qui était ravissant. J'avais connu une Caroline dans mon enfance, pour laquelle j'avais entrepris de partir sur un long-courrier afin de lui rapporter un collier de corail. Sans l'intervention de mon père -et sa correction à la hauteur de ma fugue- j'aurais vécu sans doute une grande aventure périlleuse. Uniquement pour les beaux yeux de ma cousine.
Cependant, toute mon attention était focalisée sur le fameux "V". Il ne fallait pas être devin pour comprendre que si elle signait l'un de mes ouvrages, c'était parce qu'elle...
Je levai la tête et plongeai mon regard dans le sien, profondément troublé. Le visiteur en profita pour récupérer le livre en grommelant des paroles sans aucun intérêt, puis s'éloigna.
"Vous êtes..."
Je ne parvins pas à achever ma phrase. J'étais soudainement intimidé face à elle. Je détaillai son visage, cherchant des similitudes avec des personnes de ma famille. Je n'en trouvai aucune. Sans doute que je ne l'examinais pas suffisamment attentivement, mais je ne pouvais le faire sans l'effrayer. Le moins que l'on puisse dire, c'est que nous avions très mal débuté, tous les deux. Je décidai de commencer par réparer cette erreur.
Clignant des yeux, je me redressai et lui tendis la main afin la saluer comme il se doit -le baise-main étant trop vieille France.
"Mademoiselle Verne, je suis absolument ravi de vous rencontrer. Vous ne pouvez imaginer à quel point..."
Comment paraître moins subjugué en sa présence ? Jusqu'à présent, le seul de mes descendants que je croyais encore en vie était dans un coma dépassé. Qui était-elle ? Qui était donc son aïeul ? Mon frère ou l'une de mes soeurs ? Je voulais lui poser toutes ces questions mais la politesse m'obligeait à attendre.
"Je m'appelle... Gabriel Robyn." dis-je après une hésitation.
J'avais choisi mon second prénom. Quant au nom de famille, il m'était venu tout naturellement en songeant à une certaine personne du beau sexe.
"Vous avez tout à fait le droit d'écrire dans ses ouvrages." repris-je après un petit silence afin de garder toute son attention. "Je me suis quelque peu emporté mais j'aurais dû comprendre tout de suite à quel point vous êtes... spéciale."
Derrière nous, l'homme au comptoir se leva et attrapa des clés, nous faisant comprendre que la maison allait fermer pour la nuit. Plus personne ne se trouvait dans la boutique à part nous. Je fus saisi par une angoisse subite. Pivotant de nouveau vers la dénommée Caroline, je plantai un regard frénétique dans le sien et demandai sans préambule :
"Voulez-vous boire un verre en ma compagnie ?"
De nos jours, une demoiselle pouvait sortir sans chaperon, fréquenter les troquets et même travailler. Malgré tout, j'espérais que Caroline avait reçu une éducation honorable. Je ne nourrissais pas de doute particulier : elle ressemblait en tous points à une jeune fille accomplie. Elle effectuait un travail honorable et se comportait convenablement.
"Je connais un restaurant très sympathique accolé au Cirque." précisai-je avec un sourire avenant.
J'espérais qu'il existait toujours, autrement elle allait me prendre pour un fou. De mon temps, j'aimais y prendre un brandy durant l'entracte. C'était un lieu agréable.
Je priais surtout pour qu'elle accepte. Pour rien au monde je ne souhaitais la quitter. Pas maintenant que je savais. Je voulais tout connaître d'elle.
Afin de ne pas l'effrayer, je la fixai avec un peu moins d'insistance, car je m'étais aperçu que mes yeux écarquillés ne la mettaient sûrement pas en confiance.
crackle bones
Caroline G. V.
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« Rentrant au logis, le soir, l’oreille attentive
Aux plaintes de Philomèle, et l’oeil
Epousant la course d’un petit nuage brillant qui passe,
Il se lamente qu’un tel jour ait pu si vite s’enfuir,
S’enfuir comme une larme répandue par un ange
Qui tombe dans la transparence de l’éther, silencieusement. »
| Conte : ➹ Humaine | Dans le monde des contes, je suis : : ✲ Non, je ne suis pas divine. Sinon je le saurais, on m'en aurait parlé...
« Pourquoi les écrivains ne lisent pas davantage ? »
Souriant tout en secouant la tête de gauche à droite, j'avais fini par lever les yeux au ciel avant de me tourner sans répondre à l'homme, et d'aller prendre ma petite veste sur le dossier d'une des chaises qui se trouvait derrière la caisse. C'était pas croyable. Je le pensais il n'y avait même pas cinq minutes. Dès que je tombais sur un vernien et qu'il savait qui j'étais, il perdait totalement les pédales et se mettait à me faire la cour. Parfois, c'était de manière bien plus crue. Au moins lui, il avait du tact et il dissimulait ses envies. Car de boire un verre, on était très vite passé, mais de manière détournée, à un bon restaurant.
Quand j'étais revenu vers lui, il me regardait toujours avec ses yeux écarquillés. J'étais passé devant lui, suivant les derniers touristes jusqu'à la porte de sortie. Une fois en dehors du complexe, j'avais machinalement pris la route descendant la rue. Ce n'était pas dans le but de me rendre au restaurant dont parlait le vernien, mais uniquement parce que je rentrai toujours par cette direction. Seul hic, je n'avais pas envisagé qu'il me suivrait. Et quand j'avais tourné la tête, il était toujours là, en train de marcher à quelque pas de moi, comme si on se promenait ensemble. J'avais une nouvelle fois secoué la tête et... sourit. Puis, je m'étais arrêté, j'avais sortit les mains de mes poches et je lui avais fait signe de s'arrêter.
« Attendez. Vous comptez me suivre jusqu'à chez moi ? »
Pure coïncidence. Oui, c'était une pure coïncidence si je l'avais fait s'arrêter juste devant deux statues de lions. Ces statues indiquaient l'entrée du restaurant. De toute façon il n'était que 17h et ça n'ouvrait que dans deux petites heures.
« J'admets que vous le faites avec un certain charme, qui change des dragues habituelles employés par les verniens ou tout autre garçons que j'ai croisé. Mais avouez que vous avez un sacré culot. »
Je ne pouvais pas m'empêcher de sourire devant cet homme qui se comportait comme si il sortait tout droit d'un autre siècle. Quand il me regardait, ce n'était plus du tout avec le même regard qu'auparavant. Il n'était plus un voleur, mais un poète ? Enfin il y avait de la poésie dans sa façon de faire. Mais ça n'empêchait pas qu'il avait tenté de dérober un bien précieux et que de toute façon, je n'étais pas intéressé.
« Je dois rentrer chez moi. Mais... » dis-je en me mordant les lèvres avant de soupirer. « J'ai rien mangé depuis hier soir. Et je ne suis pas venu ici depuis un bon millénaire, voir même deux. »
J'hésitais, car cet homme avait un mauvais côté que j'avais repéré aux premiers abords. Ce n'était pas très encourageant pour la suite. Cela dit, mon estomac criait famine et je n'avais pas envie de passer au magasin pour faire quelques emplettes. Qui plus est, Sidonie n'était pas dispo ce soir. Hum... je pouvais aisément me laisser tenter. Ca ne m'engageait en rien. Et puis, on ne pouvait pas dire qu'il était mon genre d'hommes.
« Je serai là à 19h. Et arrêtez de me suivre. J'ai pas envie de vous retrouver au bas de ma porte tous les matins. »
Je lui avais adressé un petit hochement de tête avant de m'éloigner. Je veillais bien à divers moments qu'il ne me suive pas. Car je ne voulais pas que lui ou quiconque sache où j'habite. Un vernien serait capable de venir le matin m'apporter des croissants ou de rester devant ma porte jusqu'à ce qui me viendrait l'idée d'ouvrir la porte. Je n'avais vraiment pas envie d'avoir un de ces cinglés à mes bottes. Un repas oui, mais ça s'arrêtait là. D'ailleurs pour la soirée, après m'être douchée de retour chez moi, j'avais enfilé une tenue des plus écontracté qui n'enverrait aucun mauvais message au gentleman. Un haut noir, un jeans déchiré au niveau des genoux, des petites bottines et une veste en cuir.
Il faisait déjà nuit. Je venais d'arriver juste devant le restaurant et ça m'avait pris là comme ça. Je n'avais plus envie de manger ici. A dire vrai, je connaissais un petit vendeur de sushis pas loin d'ici. Il ne me restait qu'à attendre l'homme pour lui indiquer la direction. Je n'avais pas promis qu'on mangerait ici de toute façon. Et puis, ça serait dommage de prendre un grand repas que je ne mangerai pas. Non, valait mieux se faire un bon sushis. Et tiens... il venait justement d'arriver, vêtu de la même manière et j'avais pu le détailler un peu le temps qu'il s'arrête devant moi. Il était plus grand que j'imaginais. Faut dire que je n'étais pas petite, du haut de mes 1,73 mètres. Il n'avait aucun signe distinct des verniens, tel qu'un badge, un tshirt de 20.000 lieues sous les mers, ou un livre sous le bras. C'était dur à croire, mais n'importe où dans la rue, on pouvait les remarquer. Lui, il était différent, ce qui rendait la soirée un peu plus sympathique.
« Il y a un sushis. » lui dis-je en lui indiquant une rue un peu plus bas.
Au début, il m'avait regardé intrigué. Puis, je m'étais vite rendu compte que ma phrase pouvait être interprété de différentes manières.
« Un vendeur de sushis. C'est bon. » ajoutai-je, avant de conclure.
Sans attendre sa bénédiction, j'avais enfouis les mains dans les poches de ma veste en cuir et je m'étais mise à marcher en direction de la rue où se trouvait le vendeur. Il n'était pas très loin et il ne faisait pas réellement froid. A ce moment là, mon portable se mit à vibrer. Je le sortis rapidement de ma poche et je décrochais tout en adressant un regard désolé à l'homme qui se tenait là. Je n'aimais pas couper une conversation, mais comme on se disait rien, ça ne devrait pas le déranger.
« Cara. » dis-je en décrochant.
Cara c'était moi, pas celle qui était à l'autre bout du fil. J'avais pris pour habitude de dire mon prénom quand je décrochais. C'était comme quand on était au boulot. C'était plus facile pour s'y retrouver, même si on était très peu nombreux. La personne au bout du fil avait entamé la discussion et je l'avais laissé parler.
« C'est super. Je ne bosse pas demain. »
Elle avait poursuivi, tandis qu'on arrivait devant le bar à sushis. Il ne me restait plus qu'à couper la communication.
« Je viens chez toi, on sera plus tranquille. » ajoutai-je. « Moi aussi. » conclu-je.
J'avais rangé le téléphone avant d'adresser un regard à l'homme. Vue qu'il ne disait rien, je lui avais indiqué la porte d'entrée du bar à sushis. Il avait quelque chose contre cet endroit ? Pourtant tout le monde aimait les sushis...
Jules Verne
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Je ne parvenais pas à détacher mon regard d'elle. Depuis que je savais son appartenance à ma famille, il me semblait primordial de tout connaître d'elle : le moindre détail de son visage, la moindre petite manie, au risque de paraître inquiétant. Je haussai un sourcil indécis lorsqu'elle employa le terme "drague". Avait-il le même sens que de mon temps ? Je voulus éclaircir ce point mais la demoiselle me prit de vitesse en me donnant rendez-vous à dix-neuf heures. Mon coeur s'emballa et je lui adressai un sourire radieux.
Pendant les deux heures qui suivirent, je déambulai dans les rues d'Amiens, redécouvrant avec nostalgie, parfois tristesse, des endroits qui étaient devenus si différents en plus d'un siècle. Fort heureusement, le cirque demeurait le même que dans mon souvenir ; sauf qu'à la nuit tombée, il était illuminé à maints endroits, ce qui le sublimait davantage. En avance de presque vingt minutes, j'attendis sagement près de la statue d'un des lions qui gardaient l'entrée. Un doute me saisit brusquement : et si Caroline ne venait pas ? Avait-elle convenu d'un rendez-vous dans le but que je ne la suive pas et qu'elle puisse s'enfuir ? Je déglutis avec difficulté, jetant des coups d'oeil frénétiques sur le boulevard. Les voitures circulaient à vive allure, balayant ma silhouette de leurs phares avec indifférence.
L'angoisse montait crescendo en moi, même si je me persuadais de retourner dans mon ancienne demeure le lendemain si jamais Caroline ne venait pas ce soir. J'espérais qu'elle ne m'ait pas menti. J'aurais vécu cet affront comme une trahison.
Soudain, je l'aperçus et me redressai d'un bond de la statue contre laquelle j'étais adossé. Elle marchait d'un pas alerte dans la rue éclairée. Elle avait changé de tenue. Je tiquai en m'attardant sur son pantalon troué aux genoux. C'était d'un laid ! Sachant que nous allions au restaurant, pourquoi n'avait-elle pas revêtu une robe élégante pour l'occasion ?
Quant à moi, je portai les mêmes vêtements que lors de notre rencontre. J'avais hésité à contacter Elliot afin d'enfiler un costume mais cela aurait soulevé quantité de questions qui me semblaient difficiles pour le moment. Qui plus est, je souhaitais vivre cet instant par moi-même, le savourer pleinement. J'aurais tout le temps ensuite de raconter cette fabuleuse histoire à mes amis. De toutes les façons, le pantalon droit, la chemise, le veston et le long manteau gris que je portais passaient pour des habits de noble tournure à cette époque. Ce qui montrait l'absence de bon goût des gens du futur, eux qui préféraient arborer des pantalons déchirés et des vestes informes.
« Il y a un sushis. » dit-elle en indiquant une rue un peu plus bas.
"Certes." approuvai-je en fixant les trous à ses genoux. "Nous avons un souci conséquent."
Elle insista avec le "sushi" avant de commencer à s'éloigner du Cirque. Cela signifiait donc que nous allions manger ailleurs ? Dépité, je lui emboitai le pas. D'une certaine façon, je me sentais privilégié et chanceux qu'elle me fasse découvrir NOTRE ville. A dire vrai, j'étais simplement ravi par sa présence. Je l'aurais suivie n'importe où, même jusqu'au centre de la terre !
A cette idée, un sourire rêveur naquit sur mes lèvres, qui disparut très vite en entendant une sonnerie de téléphone. La demoiselle décrocha en se présentant sous le diminutif "Cara". Je continuais de marcher à ses côtés alors qu'elle dialoguait avec quelqu'un d'autre. Ce genre d'impolitesse me faisait toujours un peu grincer des dents. N'était-ce pas malvenu de converser avec une personne invisible en ignorant celle présente à votre droite ? Visiblement, tout était excusable au XXIème siècle.
Fort heureusement, Caroline ne resta pas longtemps "au téléphone". Elle rangea son appareil et me désigna la vitrine devant laquelle elle venait de s'arrêter. Sur l'enseigne était écrit : "Tokyo Sushis" en lettres roses illuminées. Je plissai des yeux, réfléchissant. Tokyo était une ville japonaise. Cet endroit était donc un restaurant proposant de la gastronomie asiatique. C'était curieux en plein centre ville d'Amiens mais plus rien ne finissait par m'étonner.
"Manger japonais en France... voilà qui est pour le moins saugrenu." songeai-je à haute voix.
Malgré tout, j'ouvris la porte et m'effaçai tout en faisant signe à la demoiselle de passer. Elle parut stupéfaite par ma galanterie. C'était si rare de nos jours ! Cela me confortait dans l'idée que nous perdions des valeurs importantes.
Une fois qu'elle fut entrée, je pénétrai à mon tour dans l'atmosphère du restaurant. Il y régnait une douce chaleur. Une odeur de poisson loin d'être désagréable flottait dans l'air. J'attendis devant l'entrée qu'un serveur vienne nous placer. Je pivotai donc vers Caroline et en profitai pour déclarer d'un ton entendu :
"Je tiens à éclaircir un point important : je ne vous fais pas la cour. Je suis simplement très intéressé par vous et j'espère que nous pourrons devenir amis, s'il plaît à dieu."
Mentalement, j'adressai une petite prière à Artémis, la seule déesse que je connaissais suffisamment pour me permettre ce genre de familiarité. Si elle l'entendait, elle ne comprendrait sans doute pas grand-chose mais je lui expliquerai en temps venu.
Afin de ne pas m'apesantir sur le sujet et créer une gêne, je baissai les yeux sur les trous autour des genoux de Caroline.
"Ce pantalon..." fis-je remarquer avec une moue. "C'est une façon de créer de l'aération ? Une demoiselle aussi ravissante que vous ne devrait pas hésiter à porter des vêtements qui la mettraient davantage en valeur."
Je lui adressai un sourire. A cet instant, un asiatique arriva enfin jusqu'à nous et nous indiqua une table à seulement quelques mètres. Cette dernière était coincée entre un large aquarium et un paravent.
"On nous donne une mauvaise table alors que le restaurant est pratiquement vide. C'est un peu fort !" dis-je, agacé tout en tirant sur les pans de mon veston. "Quelqu'un vient de perdre son pourboire."
De mauvaise grâce, j'enlevai mon manteau, le posai sur le dossier de ma chaise puis attrapai la carte du menu. Mes yeux s'écarquillèrent devant le choix discutable des plats.
"Sashimis... makis... soupe au miso... Y a-t-il quelque chose de comestible ?" chuchotai-je à l'adresse de Caroline tout en passant la tête par-dessus la carte. "Je pense que je vais choisir la même chose que vous. Je vous fais confiance."
En tous les cas, j'espérais que les ingrédients seraient tous d'origine naturelle, car je rencontrais des problèmes d'ordre digestif en cas de présence de conservateurs ou d'autres composants plus fourbes encore. Mon organisme n'était pas constitué pour subir toutes sortes d'agressions internes, contrairement aux êtres humains contemporains génétiquement modifiés.
"J'ai l'impression d'être immergé dans Les Tribulations d'un Chinois en Chine !" confiai-je à la jeune fille avec un sourire exalté. "C'est si exotique ! Bien que nous soyons dans un restaurant japonais et non chinois... Cela pourrait tout de même me donner envie d'écrire une suite à ce livre !"
Je voulus ravaler mes paroles mais trop tard, je venais de commettre un impair. Je me rattrapai du mieux possible en ajoutant précipitamment :
"J'écris à mes heures perdues... mais je ne suis pas aussi talentueux que ce cher Jules."
Mes yeux tombèrent sur un tout petit récipient empli d'une pâte verdâtre, entre nous sur la table. Je me saisis de la pointe de ma baguette pour en gratter la surface et la porter à ma bouche, nerveux.
"Qu'est-ce donc ?"
La réponse me parvint quelques secondes plus tard alors qu'une chaleur piquante me brûlait la gorge. Je me mis à tousser. Les yeux rouges, je balbutiai d'un ton faible :
"De l'eau... de l'eau...!"
"Saké ?" proposa le serveur avec un grand sourire jovial.
Saquer qui ? Voulait-on nous congédier ? Je n'avais aucun chagrin à quitter cet établissement mais pas tant que je n'aurais pas bu un verre !
A travers un rideau de larmes, je lançai un regard implorant à Caroline. Peut-être pourrait-elle se faire mieux comprendre que moi par cet individu ? En attendant, je continuais de tousser en pleurant. C'était absolument ridicule, mais je me soucierai de ma dignité plus tard.
crackle bones
Caroline G. V.
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« Pourquoi les écrivains ne lisent pas davantage ? »
« Désolée. » m'excusais-je auprès du jeune couple qui se trouvait juste à côté de nous.
Quelques secondes auparavant, je m'étais levé et j'avais pris une carafe d'eau posée sur leur table afin de verser un verre à Gabriel et de lui tendre. S’étouffer c'était généralement ce qui se passait quand on était un peu trop gourmand et qu'on gouttait avant de demander. Le serveur s'était empressé d'apporter une nouvelle carafe à la table voisine, et je lui avais adressé un petit sourire quand il était revenu vers nous afin de prendre notre commande.
« Il va prendre un menu D17 et moi un C8. »
Dans un restaurant chinois, il y avait quelque chose qui se voulait être toujours surprenant. C'était que quand on avait fini de mangé, on nous débarrassait immédiatement. Tout comme quand on passait commande, on nous servait dans la seconde. J'imaginais une foule de petits chinois en cuisine, tendant l'oreille et attendant patiemment de savoir quel plat allait être commandé. A peine les lettres et les chiffres d'annoncés et avant même que le serveur puisse faire raisonner le bruit de sa mine sur son calepin, qu'ils devaient se jeter sur les fourneaux afin de préparer au plus vite le repas. Ils seraient super en tant que lutins du Père Noël. Toujours paré à toute éventualité et les cadeaux seraient livrés au mois de juillet, bien en avance. J'aurai adoré fêter Noël en juillet. Tout ça pour dire qu'on venait de nous apporter notre repas et qu'on avait déposé devant moi six sushis et deux maki. Je m'étais empressé de prendre mes baguettes afin d'engloutir intégralement l'un des deux makis.
« Daurade, agrumes et basilic. » annonçais-je après avoir avalé.
C'était une des meilleures saveurs qu'ils avaient ici. J'avais également craqué sur le California Crusty Tuna. Un mélange de thon, sésame, sauce épicée, ciboulette et quelques ingrédients secrets. Mais ici, tout était naturel. Ou du moins ça en donnait l'impression. Tout en observant l'homme assis en face de moi, je constatai qu'il n'avait pas encore commencé à manger, se demandant sans doute ce que contenait ces plats. Ou alors, c'était pour une toute autre raison.
« C'est le menu enfant. Sans la moindre épices. » conclus-je.
Il était composé de deux sushis très simples au saumon et d'un maki au thon. On ne pouvait pas faire plus appétissant. Mais ce qui devait perturber l'homme était sans doute les crayons de couleurs et le petit calepin à colorié qu'on avait posé à côté de son assiette, ainsi que le chapeau chinois qu'on venait de lui mettre sur la tête. Il était trop amusant vêtu ainsi. J'avais fait un petit signe de tête au serveur et de la main. Mon index s'était replié à plusieurs reprises pour faire comprendre quelque chose. Si tôt fait, le serveur s'était approché et s'était placé à quelques pas de nous avant qu'un flash nous éblouisse. Ça allait faire une superbe photo souvenir.
« Le Wasabi c'est une espèce de plante qu'on trouve en Chine. » débutais-je avec une voix douce et posée. « On mange la tige qui est présentée comme un condiment. C'est très piquant quand on n'est pas habitué. » ajoutai-je avant de prendre une gorgée d'eau. « Le saké c'est un alcool fort. »
Pour accentuer mes paroles, j'avais à mon tour avancé ma baguette jusqu'à la portion de Wasabi, et j'en avais pris un peu avant de le porter à ma bouche. C'était bon, mais légèrement piquant. Un verre d'eau était souvent utile juste après. J'avais passé ma serviette sur mes lèvres, avant de la poser juste à côté et de croiser les bras. Je m'étais bien mise dans ma chaise pour avoir une vue d'ensemble sur Gabriel. Qui ne connaissait pas le Wasabi à notre époque ? Il était un vernien qui vivait peut-être un peu trop à l'époque de Jules.
« Vous sortez rarement. » conclus-je.
Ce n'était pas quelque chose qui me dérangeait, bien au contraire. Avec Sidonie, on aimait bien se faire des après midi à la maison juste pour parler ou pour achever la journée en bataille de coussins. J'adorais la bataille de coussins. Est-ce qu'il avait déjà participé à une bataille de coussin ? Peut-être un peu trop coincé dans son costume, il était.
« Vous écrivez quoi ? » demandai-je.
Gabriel avait évoqué le fait qu'il écrivait et qui plus est, des suites des romans de Jules Verne, si j'avais bien tout compris. Cela me paraissait plutôt bizarre comme idée. Mais si il était fan de l'auteur, peut-être qu'il arrivait à reproduire son style. Ca me coutait beaucoup d'avoir lu toute l'oeuvre de Jules, car je n'avais plus rien à lire aujourd'hui. Il m'arrivait de passer du temps à lire la correspondance de l'époque ou alors les journaux intimes de Honorine, mais plus rien de Jules. C'était d'un triste...
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J'avais cherché le premier verre d'eau à tâtons et l'avais bu sans respirer. Puis, je m'en étais resservi un que j'engloutis de la même façon. Peu à peu, ma gorge me brûlait moins. Je tamponnai mes yeux de mon mouchoir en tissu et le rangeant dans la poche de mon pantalon, jetai un regard furibond à la pâte verte qui m'avait valu cette déconvenue. Je n'aimais pas être considéré comme un imbécile par un aliment inconnu. Comment pouvait-on laisser cette chose à la vue de tous ? Un enfant aurait pu s'étrangler avec par mégarde. Cet établissement était-il sérieux ? S'agissait-il d'un véritable restaurant ?
Je me posais sérieusement la question alors que j'ouvrais ma serviette de table d'un geste sec pour la poser sur mes genoux. Je lançai ensuite un regard méfiant à Caroline qui venait de passer commande. Nos menus étaient caractérisés uniquement par une lettre et des chiffres. Cela était-il censé m'inspirer confiance ? Tout ceci ne me disait rien qui vaille... Peut-être aurais-je dû lui préciser que j'étais intolérant à certaines formes de nourriture industrielle ? Nos plats surgirent presque instantanément, ce qui me conforta dans l'idée que nous étions loin d'être dans un restaurant. Une auberge digne de ce nom prenait le temps de mitonner des mets délicieux avec patience et savoir-faire.
La jeune femme avait déjà commencé à manger. Je baissai les yeux vers les deux carrés de riz enrobés d'une feuille sombre, sans doute une algue, puis observai le carnet de coloriage ainsi que les quelques crayons de couleur. Je sursautai quand un serveur plaça un chapeau pointu en paille sur ma tête. Je le pris entre mes mains et le regardai, plutôt amusé.
"Oh, il ressemble à ceux que les asiatiques mettent sur leur crâne lorsqu'ils cultivent les rizières." fis-je, émerveillé d'avoir un objet authentique en ma possession.
J'adressai un sourire à Caroline et après une hésitation, le remis sur ma tête. Ce n'était pas convenable d'être couvert à l'intérieur, mais étant donné que c'était l'un des chefs de l'établissement qui me l'avait offert, il n'y verrait sans doute aucun inconvénient.
Je me battis quelques secondes avec mes baguettes pour attraper le petit carré de riz, la langue coincée entre mes lèvres, mais ma patience avait des limites. Aussi, je les reposai pour prendre le "sushi" entre mes doigts et le porter à ma bouche. Le goût était pour le moins étonnant. Très frais et curieusement intense. Le poisson se mariait parfaitement avec l'amertume de l'algue et la neutralité du riz. J'avais déjà mangé beaucoup mieux mais ce n'était pas si mauvais. J'engloutis le second sushi tout en écoutant Caroline me parler des bienfaits du Wasabi. En tous les cas, cette pâte verte n'entendrait plus jamais parler de moi, et pour rien au monde je ne la citerais dans l'un de mes futurs romans.
« Vous écrivez quoi ? »
La question de Caroline, si spontanée, me fit lever les yeux vers elle. J'avais repris les baguettes en main et les agitai machinalement.
"Oh, rien de bien extraordinaire..." répondis-je avec une moue, puisque les éditeurs à qui j'avais fait parvenir mon dernier manuscrit l'avaient jugé médiocre. "Dans mon histoire la plus récente, il est question de Jules Verne enfermé dans un Nautilus qui dérive à travers l'éther de l'espace, entouré par une bande d'enfants atteints par un mal mystérieux... Puis, un groupe d'explorateurs surgit de nulle part. Ensemble, ils essayent de trouver un moyen de s'échapper du Nautilus en perdition. Vous voyez, ce n'est pas très intéressant."
Un sourire désabusé vacilla sur mes lèvres. Rien de plus que les racontars d'un vieux bonhomme. Qui cela aurait-il intéressé ? Il n'était pas étonnant que les éditeurs n'aient pas retenu la publication. Mon ami Pierre-Jules Hetzel n'aurait probablement pas voulu non plus de ce roman. Par le passé, il en avait refusé beaucoup, comme Paris au XXème siècle, ou m'avait demandé d'en remanier d'autres afin qu'ils soient "publiables". L'artiste doit se conformer aux attentes du monde, et ce même dans la forme la plus personnelle de son art. Aujourd'hui plus que jamais, il me semblait. Cette constatation me laissait une sensation de vague à l'âme. Avions-nous perdu l'essence du rêve à l'état brut au fil des siècles ?
Je clignai des yeux pour sortir de mes pensées. Je devais faire une bien piètre compagnie pour une jeune fille aussi pétillante que Caroline. Il fallait que je me donne un coup de cravache. Je me redressai donc sur ma chaise et désignant mon assiette vide du bout de ma baguette, je lançai en mentant légèrement :
"L'entrée était très bonne. J'ai hâte de manger le plat de résistance !"
D'un air jovial, je bus une gorgée d'eau. J'aurais préféré une boisson alcoolisée mais je craignais que tout ne soit du même acabit que le maudit Wasabi. Qu'importe. Dès que nous serions sortis de ce boui-boui, nous irions prendre le digestif au Cirque.
"Et vous mademoiselle, écrivez-vous à vos heures perdues ?" demandai-je, très intrigué.
Le talent littéraire n'avait rien de génétique puisque dans la fratrie, j'avais été le seul à développer cette prédisposition. Cependant, je m'interrogeais sur la portée de mes oeuvres concernant Caroline : elle était capable de citer des passages entiers du Rayon Vert. Sa passion pour la lecture se traduisait-elle en écriture ? Chez certaines personnes, il en était ainsi.
Je fus interrompu dans mes pensées par l'arrivée du plat principal, qui se composait d'un bol de riz et d'une brochette qui m'évoquait du boeuf au fromage. Je retins le serveur.
"Est-ce tout ce que vous nous proposez ?" m'étonnai-je.
J'avais grand faim. Pensait-il que nous étions des moineaux ?
"Toi commandé D17 et elle C8 !" répliqua le serveur avec un fort accent asiatique. "D17, C8 !"
Il désigna nos plats tour à tour avant de s'en aller en marmonnant quelque chose en japonais. Il ne m'en fallut pas davantage pour attraper la serviette sur mes genoux et la jeter sur la table afin de montrer mon mécontentement.
"Avez-vous entendu ? Il a osé me tutoyer ! Quelle impolitesse ! Partons."
Je me levai et fis grincer ma chaise contre le sol. Après quoi, j'attrapai mon long manteau et le fis voler dans les airs pour l'enfiler. Je le fermai d'un geste sec et posai le chapeau en paille sur la table... avant de le récupérer car après tout, il s'agissait d'un cadeau.
"Nous trouverons un meilleur restaurant ailleurs." insistai-je auprès de Caroline qui n'avait pas bougé. "Ici, ils n'ont rien de mieux à proposer que du riz. Il y en avait déjà dans les sushis. Un peu d'imagination, que diable !"
Fallait-il apprendre à ces gens à cuisiner ? Je m'étais sans doute exprimé d'une voix un peu trop forte, car les autres clients nous observaient. Je remarquai d'ailleurs le serveur revenir avec un gros couteau en main. Miséricorde... que souhaitait-il faire avec ceci ? Je savais qu'il ne pouvait me blesser. Après tout, nous étions en France, dans un pays civilisé.
"T'as critiqué ma cuisine ?" fit-il en me pointant du bout du couteau.
Pour plus de prudence, je me reculai de quelques pas et levai les mains en l'air.
"Nous avons des divergences d'opinion sur la définition du mot 'cuisine'. Cela vient sans doute de nos divergences culturelles. Dans votre pays, je suis persuadé que le riz est un met de roi ! Il jaillit du sol comme de l'or ! Cependant, pour nous français, le riz est... ce que l'on mange quand nous rencontrons des problèmes intestinaux. Je ne critique nullement son utilité, comme vous pouvez le constater."
Le serveur, le couteau toujours braqué sur moi, tourna la tête vers Caroline :
"Ton copain, il est sacrément allumé."
J'hésitai à en profiter pour essayer de le désarmer, puisqu'il ne me fixait plus, mais je doutais que mon agilité soit aussi rapide que mon imagination. Je préférais donc continuer de reculer vers la porte, tout en faisant de discrets signes à la jeune fille pour qu'elle me rejoigne et que l'on parte loin d'ici.
crackle bones
Caroline G. V.
« J'ai pas trouvé où on peut demander un rang personnalisé... ! »
| Avatar : ➹ Cara Delevingne
« Rentrant au logis, le soir, l’oreille attentive
Aux plaintes de Philomèle, et l’oeil
Epousant la course d’un petit nuage brillant qui passe,
Il se lamente qu’un tel jour ait pu si vite s’enfuir,
S’enfuir comme une larme répandue par un ange
Qui tombe dans la transparence de l’éther, silencieusement. »
| Conte : ➹ Humaine | Dans le monde des contes, je suis : : ✲ Non, je ne suis pas divine. Sinon je le saurais, on m'en aurait parlé...
« D'accord. On va s'en aller. » dis-je d'un ton calme, tout en faisant un signe de la main à Gabriel afin de lui indiquer que tout allait bien. « On est vraiment désolé Haruka. »
J'avais posé ma main sur l'avant bras du serveur qui tenait toujours son couteau pointé en direction de l'homme qui m'accompagnait. Heureusement que je venais souvent et que par conséquent je connaissais très bien Haruka. Il bossait ici depuis le début et on ne lui avait jamais dit que sa cuisine était mauvaise. Il faisait les meilleurs sushis au monde. Même si je n'avais pas beaucoup voyagé, ce qui ne me permettait pas de confirmer mes pensées. En tout cas c'était les meilleurs d'Amiens, de Nantes et de Paris. Trois villes que je connaissais comme ma poche.
« Je te les emballe. » annonça le serveur d'un ton qui était redevenu calme et tout en baissant son arme.
On venait d'éviter le pire. Attendant quelques instants, j'avais remarqué que Gabriel n'était toujours pas tranquille. Une de ses mains reposait sur la porte, serrant tellement fort la poignée afin de pouvoir l'ouvrir à tout moment, qu'il ne voyait même pas que quelqu'un tentait d'entrer. J'avais levé les yeux au ciel, tandis que Haruka revenait avec un petit sachet.
« Tu essayes d'empêcher clients d'entrer ? Tu veux ruiner mon commerce ? »
Pourquoi il avait toujours un couteau en main ? Posant une nouvelle fois l'une de mes mains sur son avant bras, je m'étais avancé pour lui faire une bise sur la joue tout en récupérant le sachet.
« Je repasserai dans la semaine. Et ne t'inquiète pas, c'est qu'un touriste. »
« J'espère pour lui. Sinon je le plante. »
Il devrait éviter de dire ce genre de choses en public. Une fois au dehors, j'avais pris Gabriel par le bras pour le faire avancer rapidement et s'éloigner le plus possible du bar à Sushis. On se dirigeait vers la Cathédrale qui jouxtait la rue du restaurant et une fois sur la grande place, j'avais une vue imprenable sur mon appartement. Il n'était pas question de lui montrer où j'habitais. A dire vrai, j'avais plutôt envie que la soirée s'arrête là. Il faisait nuit, il faisait froid et on venait de se faire jeter de mon restaurant préféré.
« J'ai très envie de lire votre livre. Mais j'ai pas spécialement envie de vous revoir. » lui dis-je sur un ton à nouveau très calme.
Je voulais me montrer franche. Je n'aimais pas prendre des pincettes. Ce qu'il m'avait raconté de son histoire m'intéressait, mais lui beaucoup moins. Il semblait paumé, venu d'une autre époque et il ne semblait pas être du genre à pouvoir s'acclimater à un nouvel espace. Amiens était une ville calme, paisible et où les gens s'appréciaient. Il ferait mieux de rentrer chez lui. J'espérais juste qu'il ait son roman dans ses valises.
« Vous n'aurez qu'à me déposer votre ouvrage à la maison. Dites leur que c'est pour moi et n'oubliez pas de mettre votre adresse à l'intérieur. Je vous le renverrai. Je lis vite d'ordinaire. »
Ca nous éviterait de se revoir. Et puis si son ouvrage était vraiment bien, je lui glisserais une lettre pour lui donner mon avis. C'était ce que j'avais prévu de faire. C'était d'ailleurs ce que j'avais fait. Une fois qu'il s'en était allé, j'étais entré discrètement dans mon appartement en vérifiant qu'il ne m'avait pas suivi. J'avais passé la nuit d'une manière très ordinaire, en oubliant totalement cette histoire et en oubliant également de ranger mes sushis au frais. Le lendemain une forte odeur se dégageait de l'appartement si bien que j'avais du aérer pendant une bonne partie de la matinée.
A Amiens, les jours se suivent et se ressemblent. On pourrait penser le contraire, mais c'était à croire qu'après la mort de Jules Verne, cette ville s'était arrêté d'avancer, piégée dans le Temps. Cela dit, pour une fois, quelque chose était différent. J'avais passé une bonne partie de la journée avec Robyn. Elle n'avait pas suivie le groupe, préférant fouiller dans le bureau de Jules. La jeune femme au doux parfum de gâteau qui cuit, si j'en croyais ce que je lisais, y avait trouvé des feuilles remplies toutes de la même phrase : « Je suis mort ce jour là. Je suis mort ce jour là. ». Mon coeur palpitait. J'avais envie de lire la suite, de ne pas m'arrêter, mais il allait être l'heure d'aller bosser. J'avais pris mon téléphone et composé celui de la maison d'Amiens. C'était Claude qui avait décroché.
« Salut. C'est Cara. Ecoute, je... suis souffrante. Je ne viendrais pas aujourd'hui. »
Il y eu un moment de silence, puis Claude se décida enfin à parler.
« Tu es sérieuse ? »
« Désolé... » murmurai-je.
« Tu fais quoi ? » demanda t'il intrigué.
« Je suis allongé. Je viens de prendre des médicaments. »
« Tu n'en prends jamais. Tout comme tu n'es jamais malade. »
« J'ai de la fièvre. »
« Combien ? » répondit-il du tac au tac.
J'avais pris quelques secondes pour y réfléchir.
« Quelque chose comme quarante ou quarante deux. »
Même si je tentais de rester crédible, lui, il ne s'était pas retenu de rire. Ok, je n'avais pas assurée. Mais je n'aimais pas mentir.
« Prend toi la journée ma belle. C'est la première fois en 3 ans que tu poses une journée. Tu viens même quand t'es en vacances ! Il était temps que je reçoive ce coup de fil. Marie ?? » l'entendis-je appeler. « C'est Caroline. Devine ? Elle ne vient pas bosser. [ ... ] Ben oui, c'est ce que je lui ai dit ! Bon allez Caroline, profite bien. Bisous ! »
J'avais raccroché le sourire aux lèvres et secouant légèrement la tête. Ils étaient trop... Et puis c'était pas ma faute si je ne tombais jamais malade et que je passais mes journées là bas. Ca allait être la toute première fois que je n'irai pas bosser ou que je manquerai une journée de cours... j'avais la sensation de totalement fauté. Ca avait un petit côté excitant. Et puis, je ne pouvais pas laisser Robyn toute seule. Elle venait d'entendre des aboiements incongrus au dehors et elle n'avait que Lucille pour l'aider. Je me demandais ce qui allait lui arriver. J'aimais de plus en plus ce personnage qui était à l'opposé de tous les autres.
« Qu'est-il arrivé à Iota ? » demandais-je au bout du fil.
Cela faisait trois jours que je n'avais pas décroché du roman, relisant certains passages. Je n'avais pris qu'une journée de repos et je me dépêchais chaque soir de rentrer pour tout couper et m'isoler dans l'appartement afin de découvrir de nouveaux chapitres de l'ouvrage. Ce n'était pas Jules Verne qui avait écrit ces pages, mais ça lui ressemblait tellement. Un roman unique et précieux que je dévorais chaque jour. Mais je venais d'arriver à la fin et je n'aimais pas ce que Gabriel avait écrit. Ca ressemblait plus à une histoire à suivre qu'elle réelle fin. Jules ne coupait pas ses romans. Il leur donnait une fin claire, net et précise. Pourquoi il n'y avait pas de fin ? Heureusement, Gabriel avait laissé un numéro de téléphone. Je ne connaissais toujours pas son adresse et par conséquent je ne savais pas où lui renvoyer l'ouvrage. Mais il y avait plus important dans l'immédiat.
« Elle disparaît comme ça. C'est cruel comme fin. » dis-je après qu'une personne ait décroché le combiné et dit bonjour.
« Je comprend. Vous appelez de France ? »
J'étais resté silencieuse quelques secondes. Gabriel avait parlé de moi à tout le monde ? Il attendait ce coup de fil ? Parenthèse, je ne le voyais pas du tout vivre avec un autre homme. Mais bon, c'était une autre histoire.
« Est ce que je peux parler à Gabriel Robyn ? Je suis Caroline. »
Est ce que ça allait suffire pour être en communication avec le dit homme ? Cette fois ci c'était mon interlocuteur qui n'avait pas ouvert la bouche de suite.
« Gabriel Robyn ? Bien sûr. Vous me laissez un petit instant ? »
J'avais attendu et au bout de quelques secondes, je reconnu la voix au bout du fil.
« Qu'est-il arrivé à Iota ? » demandais-je une nouvelle fois, mais cette fois ci à la bonne personne.