« Peine(s) & Panique(s) à Noël ! »

La grande salle du château était fin prête. Les domestiques avaient fait des prouesses niveau décoration. Sur les directives de ma mère, ils avaient tressé des couronnes de lierre, suspendues des guirlandes au lustre en bois et un grand sapin était dressé dans un coin de la salle, la cime touchant presque le plafond. Papa avait été le couper dans la forêt de Dunbroch la veille, en compagnie de ses copains bagarreurs.

Mes frères, comme d'habitude, ne faisaient rien à part tourmenter Maud, la nourrice et première femme de ménage du royaume -elle portait avec beaucoup de fierté une médaille le stipulant. De retour à Dunbroch, j'avais trouvé normal de récompenser les gens pour leur travail en notre absence. En plus, ils avaient été pour la plupart pris dans un brouillard surnaturel. J'avais proposé à Maman de leur offrir une prime de noël en compensation et c'était à l'étude. Maintenant qu'ils étaient délivrés, autant qu'ils en profitent un peu.

J'avais décidé de ne pas remercier Judah d'avoir libéré notre peuple du brouillard. Premièrement, je trouvais ça louche que comme par hasard il ait réussi deux jours avant les fêtes de fin d'année. Deuxièmement, lui faire un compliment, ça reviendrait à le rendre encore plus imbuvable qu'il ne l'était déjà. Il avait un égo surdimensionné alors inutile d'en rajouter une couche.

C'était lui qui avait eu l'idée de fêter noël à Dunbroch, et ma famille avait naturellement accepté. Avant la malédiction, nous célébrions le solstice d'hiver mais maintenant, le père noël et les coutumes de cette fête s'y étaient greffées.

"Oh oh oh ! Ma fille, j'ai l'air de quoi ?" tonna une grosse voix dans mon dos.

Sans surprise, je me retournai et découvris Papa qui arborait son habituel costume de père Noël. Ca lui allait à ravir. Il avait mis de la farine sur sa barbe rousse afin de la blanchir. J'entendais d'ici Maman se plaindre que quelqu'un laissait des traces partout dans le château. A cette idée, j'eus un sourire espiègle. Tous les ans, Papa s'habillait ainsi pour les triplés, et le but du jeu était qu'ils ne se rendent pas compte qu'il ne s'agissait pas du vrai père noël. On prétextait que notre père était parti chasser pour expliquer son absence. Ca ne tenait qu'à moi, mais Hubert, Hamish et Harris savaient depuis longtemps que le père noël n'existait pas. Il fallait saluer leur jeu d'acteur : ils étaient très convaincants chaque année.

"Tu es génial comme ça !" approuvai-je en remarquant tout de même que son manteau rouge menaçait de craquer -Maman devrait penser à cuisiner moins de lasagnes.

Il tendit la main vers moi et je la claquai dans la mienne, complices comme toujours.

"Très jolie robe." commenta-t-il. "On est assorti !"

J'avais revêtu une robe couleur de sang dont la jupe ample s'évasait sur un brocard doré. Ca me m'arrivait pas souvent, mais j'aimais bien avoir l'air d'une princesse de temps à autre. A noël, fallait que ça claque. Même si j'avais laissé le corset dans l'armoire, au grand dam de Maman.

"Tu t'es faite toute belle pour Judah, hum ?" ajouta mon père d'une voix moqueuse.

Je grimaçai et lui lançai un regard noir.

"Oh, Judah, je ne veux pas te montrer à quel point je te suis reconnaissante d'avoir libéré mon château, alors je vais juste porter une jolie robe alors que ça ne m'arrive jamais !" poursuivit-il sur le même ton niais et aigu.

Je croisai les bras et aperçus les triplés qui nous observaient, derrière une porte entrebâillée.

"Tu devrais être plus discret, père noël ! On pourrait t'entendre ! Tu es arrivé un peu tôt à Dunbroch cette année !" appuyai-je.

"Quoi ?" fit-il, indécis.

Puis, il comprit enfin et reprit sa grosse voix de tonnerre :

"Ah, ça oui ! Je m'en vais mieux garer mon traîneau !"

Il s'éclipsa à pas lourds dans la cour du château. Je jetai un coup d'oeil malicieux à mes frères qui rirent sous cape et détalèrent aussitôt. Puis je me tournai vers le sapin imposant, au pied duquel étaient disposés une bouteille de Coca agrémentée d'un noeud rouge, et d'un congélateur aussi long et large qu'un cercueil. J'étais dubitative : est-ce que ces cadeaux plairaient à Sasha ? Je n'étais pas la mieux placée pour savoir ce qu'aimait une créature des enfers. J'aurais dû poser la question à Aryana, tiens. Je savais que Sasha buvait beaucoup de Coca et qu'elle aimait la viande fraîche -tout du moins, les minotaures en raffolaient. C'est pour quoi j'avais été chasser un sanglier dans les bois avec mon père, et que je l'avais ensuite congelé (depuis que Judah avait installé l'électricité, la vie était incroyablement plus cool à Dunbroch. J'essayais aussi de capter internet mais pour une raison qui m'échappait, ça ne marchait pas).

J'observais les autres paquets emballés sous le sapin puis haussai les épaules. Il faudrait que ça aille. Je n'avais pas eu d'autre idée.

D'ailleurs, qu'est-ce que Judah et sa créature des enfers fabriquaient ? Maman détestait que l'on soit en retard.

Le dîner allait bientôt commencer. Les domestiques achevaient d'apporter les plats sur la table de banquet dressée pour l'occasion, face aux trônes.

Si les deux infernaux ne se pointaient pas à l'heure, ils risquaient de se faire tirer les oreilles par une reine en colère. Je me frottai les mains avec conviction : j'avais hâte de voir ça.

« Et si Noël était une fête ?

Où tout le monde s'éclaterait dans les Enfers ? »

« La tenue importe peu ! Ce qui compte, c'est l'artifice qu'il y a autour. » avais-je dit en passant une main sur la robe de la jeune femme qui émettait désormais des petites flammes par intermittences. « Ca c'est la classe ! Tu vas faire fureur auprès des Hadestopiens ! »

J'avais aucune idée de comment qu'on nommait les habitants de Dun Broch, mais les Hadestopiens ça leur allait bien. Et puis après tout, on était dans mon Royaume. Une terre conquise où j'avais fait revenir sa plus belle merveille : son château. Ou plus précisément : mon château. Que j'acceptais de partager avec Fergus. D'ailleurs ce dernier venait d'arriver à son tour.

« Beau papa ! » m'écriai-je en tendant les bras, tandis qu'il faisait de même.

On s'était serré, puis je lui avais indiqué Sasha.

« Princesse Sasha de Hale. Une petite contrée au sud des Carpates. C'est un très beau pays qu'il faudra visiter ensemble un jour. »

Il s'était approché de Sasha pour la prendre dans ses bras à son tour et lui mettre sur la tête, un bonnet de Noël qu'il tenait en main.

« Il faut qu'on en ait tous un ! C'est Noël ! Magnifique robe au passage. Et où est la dinde ? Les marrons ? Les petits fours ? Elinor ? Tu as donné des ordres en cuisine ? »

Il s'était tourné quand sa femme était entrée dans la pièce, avec un regard sans la moindre expression qui était porté à mon attention. Puis, comme le voulait la coutume, elle s'était présentée à Sasha. Bien sûr, à elle on lui disait bonjour et pas à moi ?

« STOP ! » ordonnai-je à la marmaille qui venait d'arriver en courant avec un plateau remplis de petits fours.

Ils s'étaient stoppés net, se regardant, puis me regardant, comme si ils se demandaient qu'elle bêtise ils avaient pu faire. Je m'étais approché d'eux avec un regard sombre et une fois à leur hauteur, j'avais... pris un petit four, avant de leur sourire et d’ébouriffer les cheveux au premier que j'avais sous la main.

« Au moins des personnes utiles qui pensent à notre estomac. »

J'avais tourné la tête vers Sasha. Elinor était toujours à côté d'elle et Fergus lui racontait une partie de chasse... o_O

« Tu devrais venir prendre des petits fours. » lui dis-je pour tenter de la sauver de cette situation.

Mon regard s'était ensuite porté sur Merida qui avait une robe rouge sang. Ca lui allait comme un gant. Et sans la moindre expression - on aurait dit la façon dont m'avait regardé sa mère - je lui avais adressé un petit signe de la tête en guise de salut, avant de me tourner vers les convives.

« Vous savez ce qu'il manque ? De la musique ! »

Et c'était chose faite, car dans tout Dun Broch raisonnait désormais une magnifique musique choisie par mes soins.

« Peine(s) & Panique(s) à Noël ! »

Ca commençait bien... Judah venait de débarquer avec Sasha qui s'était habillée en stripteaseuse pour l'occasion. C'était MOI la strip-teaseuse. Anciennement. Bref, ça m'énervait. Le dieu infernal ne trouva rien de moins original que d'enflammer légèrement la robe de sa créature, histoire de créer un effet supplémentaire à leur entrée. Je levai les yeux au ciel et préférai me concentrer sur les domestiques qui s'affairaient à apporter les victuailles. Ne pas leur accorder d'attention. Pourquoi ils avaient été invité, déjà ? C'était sûrement une idée de Papa. Il appréciait un peu trop Judah et ses caprices divins. Ne se rendait-il pas compte qu'il le manipulait ? Il faisait ça avec tout le monde. Et ça n'allait pas changer parce que c'était Noël, oh ça non !

Un instant, je croisai son regard et il m'accorda un bref salut distant. Ca, c'était bizarre. Je m'attendais déjà à ce qu'il vienne roucouler à mon oreille et brailler que l'on était marié, en montrant fièrement le faux papier le stipulant. Au lieu de ça, il jouait la carte du désintérêt. Okay, on allait continuer dans cette optique, alors.

D'une démarche royale et volontaire, propre à celle des nobles familles écossaises, je m'avançai vers Sasha et articulai un compliment :

"Sympa ta robe. Un peu trop boîte de nuit mais bon... étant donné la musique, on n'est jamais loin du Rabbit Hole, n'est-ce pas ?"

Je faisais référence à Judah qui venait de balancer du One Republic à plein tube. La chanson était cool, il fallait l'admettre. D'ailleurs, les convives commençaient à se dandiner en rythme. Même Papa s'y était mis. Voir le père Noël essayer de danser, c'était trop drôle.

Je n'étais pas vraiment mieux lotie car ma robe entravait tous mes mouvements, mais je me glissai jusqu'à un beau chevalier solitaire qui toisait la salle d'un oeil implacable.

"Hello vous !" marivaudai-je. "On danse ?"

Il resta aussi raide qu'un piquet. Sans me regarder. Je me trémoussai un peu, jetant de temps à autres des coups d'oeil à Judah. Il avait remarqué ce que je faisais ou pas ? J'avais envie de l'énerver un peu, juste comme ça...

"Je ne puis danser avec vous, Altesse." s'excusa le chevalier.

Oh, j'étais trop noble pour lui. Mince. A force de vivre à Storybrooke, j'en oubliais tout ça. Si cela n'avait tenu qu'à moi, j'aurais balancé l'étiquette par la fenêtre. Hélas, ma mère y tenait beaucoup.

"Et si je vous en donne l'ordre ?" rétorquai-je d'un ton plein de défi.

"Je m'y plierais, votre Majesté." concéda le chevalier, comme forcé.

Je lui décochai un regard indigné. En gros, il voyait ça comme une contrainte de danser avec moi, plutôt que comme un privilège.

"Oubliez tout ça, alors." fis-je, un peu blessé dans mon amour-propre.

Je m'éloignai de lui mais revins quelques secondes plus tard en pas chassés. Là, je tirai sur sa cotte de maille afin qu'il penche la tête vers moi et je lui glissai à l'oreille :

"C'est à cause de ma robe ? Elle ne me met pas en valeur ? Ou c'est mes cheveux ? Vous n'aimez pas les rousses ? Vous me trouvez moche ?"

"Rien de tout cela, Majesté. Je n'oserais jamais..."

Il avait un peu trop d'honneur, celui-là. Il risquait par finir étouffé par ses principes, si ça continue.

"Quand la princesse est moche, faut pas hésiter à le dire ! C'est pas parce qu'on a du sang royal qu'on est beau par défaut, bien au contraire ! Je connais pleins de reines et de princesses qui sont super moches ! Vous avez déjà vu Regina Mills ? C'est pas une bombe anatomique. Bon, en même temps, elle est vieille. Ca n'aide pas."

"Je suis assigné à la sécurité du château, Altesse. Par conséquent, m'amuser serait une honte à la tâche qui m'a été confiée, mais je me plierai à votre volonté, quelle qu'elle soit." dit-il en inclinant la tête vers moi.

Je ne voulais pas le forcer à enlever son balai bien enfoncé quelque part... Il commençait à m'agacer sérieusement. En plus, ma mère me fixait d'un oeil perçant, comme si elle se doutait que j'essayais de corrompre un honnête serviteur de Dunbroch. J'allais lui montrer qu'elle se trompait. Relevant la tête, j'adressai un sourire au chevalier et lui tapotai l'épaule -ou plutôt son armure.

"Continuez votre boulot, vous le faites très bien. On a besoin de gens dévoués comme vous."

Je le pensais, en plus. Au moins, en cas d'attaque ou de catastrophe, il saurait gérer. Je m'éloignai de lui et me rapprochai de Sasha. En chemin, j'avais pris deux chopes de bière dont une que je lui tendis tandis que je gardai l'autre en main.

"C'est la bière Mystère !" expliquai-je d'un ton canaille. "Fermentée dans les caves du château. On ne sait jamais quel goût elle aura, car elle est différente selon la personne qui en boit. Pour moi, elle a un goût de mojito à la menthe. Par contre, ses effets sont terribles. En 1484, un de mes ancêtres a eu une hallucination après avoir ingurgité cette bière et il a fendu en deux le crâne de son beau-père, en le prenant pour un sanglier ! Heureusement, personne n'aimait le beau-père, du coup ça n'a pas créé de conflit avec l'autre famille."

J'en bus une gorgée et désignai la chope que Sasha avait en main.

"Je pense pas que ça ait le même effet pour les créatures des enfers. De toutes façons, c'est quand même rare que ça crée des hallucinations terribles. Le plus souvent, on se sent juste super heureux et on a envie de chanter. Ce qui est pire, parfois." lui confiai-je en désignant mon père, car quand il poussait la chansonnette, tous les chiens du royaume se mettaient à pleurer en même temps.

J'évaluai la jeune femme de haut en bas avant de lui proposer, d'une voix suffisamment forte afin que Judah entende :

"Ca te dit qu'on drague méchamment quelques chevaliers ? Pas celui là-bas parce qu'il est pas drôle, j'ai essayé avant. Mais y en a sûrement un qui te plaît, non ?"

Autant s'amuser en compagnie de Sasha. Elle était cool malgré son "régime" au Coca-Cola et le fait qu'elle ait été créée par un dieu complètement tordu et taré.

« On fait rien que des bêtises, des bêtises...
même quand t'es là ! »

George qui ? Sasha avait mentionné un certain George Sand et je me demandais comment elle pouvait mieux connaître les convives que moi-même. On était dans mon royaume, après tout. Je cherchais le fameux type du regard avant de hausser les épaules. De toutes façons, ça ne servait à rien de savoir de qui il s'agissait.

"Wow doucement. Si tu veux trouver l'homme de ta vie, libre à toi, mais dans mon cas, je préfère rester fidèle au célibat. Ca devient beaucoup trop compliqué quand tu as un mec régulier. Il commence à se faire des films, à te harceler avec un faux papier de mariage et tout... très peu pour moi."

Non, je ne faisais pas allusion à un certain dieu des enfers un peu trop collant. Je lui jetai un nouveau coup d'oeil et remarquai qu'il ne m'avait toujours accordée aucun regard. Il était actuellement occupé à balancer l'un de mes frères d'avant en arrière très rapidement, comme s'il menaçait de l'envoyer voler à travers la pièce. Nul n'avait l'air de s'inquiéter et surtout pas le principal intéressé, Hubert, qui riait aux éclats. Ma famille était complètement folle. Je secouai la tête et reposai les yeux sur Sasha, mais elle avait disparu. Je réalisai qu'elle avait traversé la salle pour rejoindre les deux bellâtres en armure, un peu plus loin. Je la rejoignis rapidement, attrapant sans aucune grâce mes jupes pour les soulever au-dessus de mes chevilles, me permettant ainsi de faire de plus grandes enjambées.

Sasha roucoulait déjà avec l'un des chevaliers qui rougissait violemment. Je n'avais jamais vu ça chez un homme valeureux. Comme quoi, il y avait aussi de grands naïfs dans la garde royale de Dunbroch. Je haussai un sourcil en l'entendant l'appeler "Princesse de Hale" mais n'émis aucun commentaire. Je m'aperçus très vite que je m'ennuyais. Certes, il était plaisant de voir avec quelle facilité j'avais réussi à convaincre la créature de Judah de s'amuser, mais je n'en retirais aucune satisfaction particulière, en réalité. Je n'avais pas envie de la manipuler. En fait, j'avais besoin d'une amie. Curieusement, Aryana me manquait. Maintenant que l'on s'entendait bien, je m'étais rendu compte à quel point il est pratique d'avoir la déesse de l'amour dans ses bonnes grâces. Auparavant, j'avais très peu d'amies car je m'entendais mieux avec les mecs, mais je commençais à apprécier le fait d'en avoir. J'avais envie de voir jusqu'où Sasha me suivrait, histoire de savoir si elle pourrait entrer dans mon cercle privé ou pas... Justement, je venais de remarquer quelque chose de très intéressant.

Je lui attrapai brusquement le bras et lui glissai à l'oreille :

"Oublie les chevaliers. J'ai trouvé beaucoup mieux pour s'amuser."

Je lui adressai un sourire complice et me dirigeai vers une fenêtre en hauteur à laquelle était perchée un corbeau noir qui ne m'était pas inconnu. Cela faisait très longtemps que je ne l'avais pas vu, mais impossible de l'oublier celui-là. Un oiseau qui parle, ça valait le détour.

"Eh, corbeau !" l'appelai-je.

"Qui me parrrrle ?" croassa-t-il en levant la tête vers le plafond.

Il était un peu débile, n'empêche.

"La princesse Merida de Dunbroch." dis-je un peu pompeusement. "Baisse la tête ! Tu crois vraiment que je suis accrochée au lustre ?"

Il resta tout de même très absorbé par le plafond avant de baisser ses yeux jaunes vers nous.

"Oh, je te connais toi !" fit-il d'un ton rauque.

Je tiquai, n'appréciant pas vraiment d'être tutoyée dans mon royaume. Il s'envola pour venir se poser sur la tête de Sasha. Je retins alors un petit rire.

"Ta sorcière n'est pas là ?" demandai-je d'un ton désinvolte.

"Non, elle est bien trrrrop occupée. Elle a reçu dix-huit commandes de sculpturrrres surrr bois, cette semaine ! Elle trrravaille beaucoup trrrop, ça m'inquiète !" fit-il en caquetant.

"Un peu de visite lui ferait le plus grand bien, je suis sûre." avançai-je. "Je ne l'ai jamais remerciée d'avoir rapprochée ma famille grâce à son sortilège."

En vérité, elle avait failli la détruire en transformant ma mère en ourse, mais je préférais me souvenir uniquement du meilleur. Sans cela, Maman serait restée focalisée sur son idée de me me marier, et je n'aurais jamais vu à quel point elle était cool en réalité -même si elle avait de sacrés côtés rigides.

"On va aller la voir." décidai-je en passant un bras autour des épaules de Sasha. "Qu'est-ce que tu en penses ? Tu as déjà vu la chaumière d'une vraie sorcière ? Elle est très bizarre mais on finit par s'y habituer. En plus, qui c'est... Elle a peut-être des promos sur certaines de ses potions." ajoutai-je en observant la jeune femme d'un air malicieux.

"C'est bientôt les soldes !" récita le corbeau. "Un sorrrtilège acheté, le second à moitié prrrix !"

"Que rêver de mieux ? La magie fonctionne sur les créatures divines, je suppose ?" fis-je sans attendre de réponse particulière.

Gardant mon bras autour de ses épaules, je l'emmenai vers la grande porte du château, juste après avoir demandé au corbeau de prévenir sa maîtresse que nous arrivions. Ce dernier s'envola aussitôt.

Je savais pertinemment que la magie avait toujours un prix, mais je ne comptais pas demander quelque chose d'aussi dangereux que de "changer ma mère", cette fois. Non, j'avais simplement envie d'un petit changement tout discret, juste histoire d'agacer Judah puisqu'il avait décidé de m'ignorer. En plus, je faisais une bonne action car Sasha pourrait en profiter aussi, si elle le souhaitait. J'étais bien trop bonne, parfois.

« Et si Noël était une fête ?

Où tout le monde s'éclaterait dans les Enfers ? »

« C'est en quelque sorte, une créature des Enfers. Mais très attachante quand on la connait. Elle n'a pas tué grand monde, et encore moins torturé beaucoup de gens ces dernières années. Et elle fêtera bientôt son anniversaire ! Enfin je crois. Je ne sais plus quand je l'ai créé. »

J'avais pris une mine septique, me posant la question. Car oui, c'était important de se souvenir de ces dates. Bien que d'un côté, je ne me souvenais plus de la date de création d'Elliot. Mais celle d'Apple, je ne pouvais pas l'oublier. C'était un premier mai. J'avais décidé que ça serait un premier mai. Ca lui collait bien. Elle était blonde, fraîche, douce et belle comme du muguet. Et le jour du muguet, c'était le premier mai.

« Elle est charmante ! Et puis avec Merida, elles ont l'air de bien s'entendre. Je suis content qu'elle se fasse de nouveaux amis. Merida a toujours été un peu solitaire quand elle était petite. Elle avait un petit côté très complice avec ses frères et elle aimait venir avec son papili à la chasse, mais niveau amis, elle n'en avait pas beaucoup. »

D'un côté, c'était une Princesse. Ca devait juste être chiant à être assis sur un trône et à remuer la main de gauche à droite. Encore chez nous, les Princesses étaient sur des chars lors de parade. C'était bien plus intéressant.

« Avec Sasha elle sera servi niveau amitié. Elle est loyale, fidèle, et son double n'oserait jamais s'approcher de Merida. C'est une créature qui me fait beaucoup de peines. Sans doute pour cela que je l'ai appelé ainsi. Panique c'est plus... BOOM ! » dis-je en faisant de grands gestes de la main, mimant une explosion, ce qui eu pour effet de faire sursauter Fergus, avant qu'il se mette à rire. « Elle est explosive ! »

« C'est une bombe ! » dit-il avec un grand sourire. « Boom boom ! » ajouta t'il en mimant la même explosion que moi.

Cette fois ci, c'était moi qui avait ri.

« Merida t'aime beaucoup. » précisa t'il tandis que j'eu un petit rictus. « Faut juste lui laisser du temps... »

En parlant de Merida, elle était où ? Je ne l'avais pas croisé depuis un petit moment et elle ne semblait plus être présente dans les parages. J'avais humé l'air, cherchant son aura. Elle n'était pas très loin du château, aux côtés de Sasha. Ca voulait dire qu'il n'y avait rien à craindre. Autant continuer à faire la fête. De toute façon, qu'est ce qui pouvait bien lui arriver en compagnie de ma plus loyale créature et ma plus précieuse amie ?

« Un feu d'artifice ça serait d'enfer pour clôturer la soirée ! Ou alors quelque chose de plus... Un dragon de feu ? »

« Oulaaaa ! Non ! Surtout pas ! » me stoppa Fergus en se levant à ma suite, pour calmer mon excitation, juste avant de s'approcher afin de me chuchoter quelque chose à l'oreille. « Cela dit, si j'osais formuler un voeux... »

« Dites. » l'encourageai-je.

« Hum... Je n'ose pas, c'est... trop enfantin... »

« Allez Fergus ! On est entre amis, en famille, je peux tout entendre ! »

Il s'approcha une nouvelle fois pour me murmurer la chose à l'oreille et je n'avais pas pu m'empêcher de rire.

« Sérieusement ? Juste ça ? C'est comme si c'était fait ! »

« C'est vrai ? » s'étonna t'il avant de me faire un grand sourire. « Vrai de vrai ? »

« Bien sûr ! »

« Alors tous en selle ! Allez ! Chevaliers ! » claironna t'il, avant que des chevaliers s'exécutent. « Je n'ai jamais coursé un ours de feu ! Ca va être épique ! »

J'en étais persuadé. Voilà comment occuper le Roi et ses chevaliers. Il ne restait plus que les convives, moi même et... oh tiens, la Reine. Qu'est c qui pourrait bien l'amuser à elle ? Elle avait ce côté coincé. Une chose de sûre, Merida ne tenait pas d'elle. Et puis grande, élancée, mince... Beurk... Je préférai les femmes avec des formes, un peu de poitrine et de belles fesses. Merida avait les trois. Pas pour rien que j'étais avec elle et pas avec sa mère plate, fade et... oh mon dieu. Si je continuais à la fixer, elle allait finir par me sourire par politesse. Et je n'avais vraiment pas envie de la voir sourire. Elle me faisait flipper quand elle faisait ça.

« On fait rien que des bêtises, des bêtises...
quand t'es pas là ! »

Sasha me faisait confiance. Elle me laissait tout contrôle sur la situation. Et j'adorais ça. J'étais persuadée qu'on allait bien s'amuser chez la sorcière. De toutes façons, cette fois, je savais exactement ce que j'allais lui demander. Il n'y avait aucune raison pour que ça foire. C'était une requête simple, impossible de mal l'interpréter.

J'avançai d'une démarche hardie à travers la forêt, la tête haute et le front volontaire, comme toute héritière écossaise. Nous avions dépassé le cercle de mégalithes depuis dix bonnes minutes à présent. La silhouette de la chaumière perdue dans les bois se dessina bientôt sous la voûte étoilée. Mon coeur s'accéléra quelque peu et un instant, j'hésitai à faire demi tour. Puis, je tournai la tête vers Sasha et me renfrognai un peu. Non, je n'allais pas me dégonfler si près du but. Oui, j'avais de mauvais souvenirs avec la magie. Oui, retourner chez la sorcière m'apparaissait comme une mauvaise idée à mesure que je me rapprochais de sa "maison". Pourtant, je devais aller jusqu'au bout. Si je changeais d'avis, Sasha risquait de répéter ma déconfiture à Judah et alors là... autant m'enterrer plus bas que terre. Il me suffisait d'ignorer la sensation désagréable dans mon estomac et tout irait bien.

J'entrai la première dans la cabane, retrouvant cette atmosphère étrange et sombre, mais curieusement familière. J'observai les différentes sculptures sur bois qui s'étalaient aux quatre coins de la pièce, en prenant garde de ne toucher à rien. La sorcière apparut brusquement, alors que son corbeau se perchait sur un ouvre-boite en bois -c'était très bizarre, ce truc.

Je m'éclaircis la gorge afin de me donner une contenance et déclarai :

"Je suis Merida de D..."

"Oui je suis au parfum, mon petit coco m'a déjà tout raconté." coupa-t-elle en tapotant affectueusement la tête du volatile.

Ce dernier grommela : "M'appelle pas comme ça..." mais elle l'ignora, ou alors peut-être était-elle trop dure de la feuille pour l'avoir entendu ? Quoi qu'il en soit, elle esquissa un grand sourire édenté dans notre direction. Je réprimai un mouvement de recul. J'avais très envie de lui donner le numéro de mon dentiste. Ca devenait urgent, là quand même.

"Alors, que puis-je pour toi cette fois-ci, petite insatisfaite ?"

Je plissai des yeux. Satanée sorcière. Son sourire se fit plus large alors qu'elle reprenait :

"J'ai concocté une potion pour changer..."

"Ah non, on ne change plus personne !" dis-je d'un ton catégorique. "C'est trop dangereux. Enfin, je ne veux plus changer quelqu'un d'autre. Par contre... est-ce que c'est possible de changer un tout petit peu soi-même ?"

Je m'étais rapprochée d'elle à petits pas rapides, sans la lâcher des yeux, d'un air presque innocent -ce qui m'allait très mal mais dans la pénombre, ce n'était pas trop grave.

"Un tout petit changement... physique ?" ajoutai-je.

Je tournai brièvement la tête vers Sasha, le temps de lui décocher l'ombre d'un sourire complice, puis reposai les yeux sur la sorcière qui m'observait tout en tapotant du doigt contre son menton.

"Il faudrait faire quelque chose à ton nez, c'est certain." appuya-t-elle.

Je fronçai les sourcils et plaquai la main contre ce dernier, palpant l'arête et le pourtour des narines.

"Qu'est-ce qu'il a, mon nez ?" demandai-je à Sasha.

Je ne lui trouvais rien de spécial, mais maintenant, cela me semblait un problème essentiel. Quoique... cette sorcière essayait sûrement de me déstabiliser, rien de plus. Aussi je haussai les épaules d'un air désinvolte et la toisai de nouveau.

"Est-ce que vous avez une potion pour lisser les cheveux de façon définitive ? Ca fait longtemps que j'aimerais les avoir raides mais rien ne fonctionne. J'ai beau les lisser pendant des heures, ils redeviennent bouclés et rugueux comme du crin de cheval !"

En plus, ça fera enrager Judah de me voir bien coiffée. songeai-je avec un plaisir presque malsain.

La sorcière se mit à réfléchir et à fouiller dans ses placards et étagères, à grand renfort de bruits fracassants. Finalement, elle me tendit un flacon poussiéreux renfermant un liquide bleuté, tout en toussant copieusement sur ma jupe.

"Lisseur ultime, pour cheveux récalcitrants." m'assura-t-elle en tapant du poing contre sa poitrine pour cesser de tousser. "Changement immédiat et irréversible."

Je saisis délicatement le flacon entre mes doigts, observant le liquide remuer à l'intérieur, comme s'il bouillonnait au contact de la chaleur humaine. Ca avait un côté carrément flippant.

"Je l'applique sur mes cheveux comme un après-shampoing ?" demandai-je en faisant sauter le bouchon en liège.

"Nooon ! Il faut le boire ! Une potion, ça se boit, voyons !"

"Je vais boire un truc pour lisser mes cheveux ?" fis-je en haussant un sourcil sceptique.

Elle se fichait pas un peu de moi, par hasard ?

"Ca a été analysé par le centre anti-poison du coin, ce machin ?" poursuivis-je en humant le flacon.

Ca sentait... le Coca Cola. Agréablement surprise, je le collai sous le nez de Sasha en lui disant :

"Tu vas sûrement vouloir boire la dernière goutte, mais c'est le mien ! C'est mon Coca bleu !"

"Oui, j'y ai distillé un peu de Coca Cola pour masquer le goût du furoncle de musaraigne. Ca a tendance à mal passer, ce genre de saveur." expliqua la sorcière.

"Tu m'étonnes..." fis-je en grimaçant.

Je fixai de nouveau le flacon. Boire ou ne pas boire ? Là est la question. Je devais relever ce défi. Ne pas me dégonfler. Je portai la potion à mes lèvres et en bus le contenu. Nouvelle grimace écoeurée. Ca n'avait VRAIMENT que l'odeur du Coca Cola. J'avais l'impression d'avoir bu du jus de chaussette, ou un truc du genre.

Je clignai plusieurs fois des yeux, sentant mon estomac faire des sauts très périlleux alors que la potion glougloutait à l'intérieur. J'eus un haut-le-coeur et plaquai une main contre ma bouche, mais je résistai à l'envie de vomir.

Je sentis bientôt la cabane tourner tout autour de moi, aussi je baissai les paupières et à tâtons, m'appuyai contre Sasha. Après quelques instants, j'ouvris les yeux et vis une mèche rebelle danser devant mon regard. Elle était lisse, tout en gardant un mouvement élégant. Je la saisis entre mes doigts et louchai dessus.

"Wouaho, c'est vraiment... c'est exactement ce que je voulais !" m'écriai-je, ravie.

Je tournai la tête vers la sorcière et remarquai ses yeux ronds, presque angoissés alors qu'elle me fixait.

"Peut-être qu'il ne fallait pas boire toute la potion, tout compte fait." estima-t-elle d'un ton ennuyé.

"Pourquoi ça ?" fis-je en me tournant vers Sasha.

Elle aussi m'observait d'une façon étrange. Quoi ? Qu'est-ce que j'avais ? Les cheveux raides, ça m'allait trop mal ou quoi ?

Je gesticulai dans ma robe rouge et sentis le bustier dégringoler d'un étage. Je fronçai les sourcils. Comment pouvais-je flotter dans ma robe à cet endroit, étant donné que j'avais du monde au balcon ? Je baissai les yeux et laissai échapper une exclamation incrédule.

J'étais... j'avais...

"Lisseur ultime." déclara la sorcière d'un ton soucieux. "La potion a tout lissé, de la tête aux pieds. Au moins, ton nez est joli, maintenant."

Je plaquai les mains contre ma poitrine qui avait diminué d'un bonnet, voire même deux. Ah non mais là, ça n'allait pas être possible. J'avançai d'un pas menaçant vers la sorcière.

"Tu vas me rendre ma paire de..."

Elle fit apparaître un miroir sur pied entre elle et moi, et la personne que j'y vis se refléter me fit me stopper net. La jeune femme longiligne à la peau d'albâtre s'immobilisa en même temps. Je mis quelques secondes à comprendre que c'était... moi. Le souffle court, je tapotai mes pommettes, mon nez, ma bouche, puis descendis les mains le long de mes hanches, qui avaient fondu, comme tout le reste.

"Ok, on va laisser ça comme ça tout compte fait." fis-je avec un grand sourire.

J'étais canon. Mais carrément. Encore plus qu'avant ! Et mes cheveux étaient tout juste ondulés, c'était tellement beau et doux au toucher ! J'enlevai ma lourde robe rouge avec bien du mal et la donnai à la sorcière en guise de paiement -elle n'avait pas l'air d'en vouloir mais de toutes façons, le décolleté bâillait tellement que ça faisait ridicule.

"Tu pourras t'en faire une tente, si tu veux." dis-je en me détournant d'elle.

Je resserrai la chemise blanche que je portais en dessous -étant donné que les corsets et moi, ça faisait deux- puis baissai les yeux sur le petit pantalon de la même couleur.

"Ca serait le moment de faire apparaître une robe courte et sexy comme la tienne, mais je crois pas que ça soit dans tes cordes, ça." fis-je à Sasha en observant sa tenue. "Il va falloir qu'on retourne au château discrètement, comme ça je pourrais enfiler un truc plus cool pour retourner à la fête. A moins que tu veuilles boire un truc avant ?"

Je lui désignai l'étagère de fioles alors que la sorcière croisait les bras.

"Ma cabane n'est pas un bar, je te signale."

Elle n'était pas très crédible en disant ça, surtout pendant que son corbeau était occupé à vider une sacrée chope de bière. Ca buvait de la bière, les corbeaux ? Peut-être seulement ceux qui parlaient.