Anastasia s'était totalement remise de son aventure livresque dans l'imaginaire de Victor Hugo. Il faut dire qu'elle en était revenue avec seulement quelques égratignures sur les mains, autrement dit rien de bien méchant. Contrairement à une petite demoiselle blonde, elle n'avait pas atterri à l'hôpital, seulement ramené un saltimbanque sous son toit.
Et elle avait vite regretté. Gringoire était sans nul doute une personne gentille et soucieuse de bien faire mais il était avant tout un inadapté à la société moderne. Sécateur. Douche. Vêtements adaptés. Electricité. Technologie. Il avait tout fallu lui apprendre, y compris ce qu'était le chocolat. Puis il avait fallu lui trouver un logement ce que Dimitri, qui n'appréciait pas spécialement le poète, avait laissé aux bons soins d'Anastasia.
Cette dernière s'était ainsi arrangée pour lui louer une chambre chez Granny's et lui suggérer vivement et de manière répétée de trouver un travail. N'importe lequel du moment qu'il était un tant soit peu qualifié et que son salaire de traductrice n'aurait pas à nourrir une tête de plus. Sans être pauvre, Anastasia était loin de mener une vie de princesse; Héritière du royaume de toutes les Russies, elle ne l'était bien que sur le papier et cela lui suffisait amplement.
En fin de compte, Gringoire n'était resté chez les Chostakovitch qu'une nuit. Et une sacrée nuit. Dimitri n'était pas prêt d'oublier ce drôle hurluberlu et Anya non plus d'autant qu'elle l'avait fréquemment revu pendant son acclimatation au monde moderne.
Le poète avait déniché un petit travail qui lui permettait de subvenir lui-même à ses besoins. Le soir, d'après ce qu'Anastasia en savait, il écrivait tragédies, poèmes et autres mystères qu'il comptait bien faire jour prochainement. Nul doute que Dimitri ne viendrait pas l'applaudir.
Quoi qu'il en soit, entre l'aide apportée bon gré mal gré et avec le moins de prises de tête possible à Gringoire, l'éducation d'Abigaëlle qui faisait d'énormes progrès en marche, son travail et sa vie de couple, Anastasia avait, une fois de plus, eu peu de temps à accorder à sa vie sociale.
Elle était revenue depuis deux mois de son aventure hugorienne et n'avait encore recroisé aucun de ses acolytes d'un jour qui étaient pourtant en passe de devenir des amis. Teresa était une femme charmante, le genre de mère qu'Anya aurait adoré avoir. Maria était une femme intrépide et généreuse de son âge qui, comme elle, avait subi de nombreuses épreuves dont elle s'était pourtant relevée. December et ses frères lui avaient également fait une sacrée impression. L'une était courageuse et ne manquait pas d'abnégation. Les deux autres étaient certainement fous mais animés par de bonnes intentions. Et puis il y avait eu Aliénor, un peu à part... Mouais. Anya n'était pas pressée de la revoir, celle-là.
Mais elle se rappelait très bien de la dernière fois qu'elle avait vu tout le monde : Teresa emmenait December à l'hôpital. Aliénor était partie de son côté. Maria également. Et Anastasia aussi, trop pressée de revoir Abigaëlle et Dimitri.
Elle avait songé à passer voir la jeune fille blonde à l'hôpital plus tard et puis le quotidien en avait décidé autrement. Les jours s'étaient succédé, plus occupés les uns que les autres, pour que novembre arrive finalement. Anastasia avait oublié cette intention depuis quelques semaines déjà et ne savait de toute façon pas si la jeune fille y était encore admise. Ni si elle souhaitait la voir.
Ce jeudi après-midi là, elle avait éteint son ordinateur et s'accordait une pause auprès d'Abigaëlle dont elle tenait les petites mains potelées pour l'encourager à se tenir debout et marcher. Les deux rousses s'y amusaient depuis 20 minutes quand on sonnait à la porte, phénomène assez rare pour intrigué Anastasia qui n'attendait personne.
Prenant Abigaëlle contre elle, la jeune maman enjamba les jouets épars dans le salon et ouvrit brusquement la porte pour découvrir December et ses béquilles sur son perron.
- Salut ! s'exclama t-elle, surprise. Ca fait un bail ! Tu... tu vas mieux ? Houlala, venir jusqu'ici, quasiment en pleine forêt, avec tes béquilles c'est... c'est un sacré défi. Viens, entre t'asseoir, tu seras mieux, je pense, ajouta t-elle en s'effaçant pour la laisser passer. Alors ? comment tu m'as trouvé ? demanda t-elle d'un ton détaché quand elle eut refermé la porte sur elles.
Elle ne se souvenait pas qu'ils aient eu le temps d'échanger leurs adresses et n'appréciait pas forcément d'être facile à trouver. Par chance, December était de ces personnes qui illuminent votre journée et qu'elle ne rechignait pas à accueillir chez elle. La jeune fille n'avait pas amené ses frères, ce serait sans doute calme.

Anastasia balaya les excuses de December d'un geste de la main. Elle n'appréciait pas particulièrement qu'on arrive chez elle sans être annoncé mais elle avait pris l'habitude de faire avec depuis que Gringoire habitait en ville. Comme Anastasia l'avait aidé à s'habituer à ce nouveau monde, c'était tout naturellement vers elle qu'il se tournait au moindre ennui, à la moindre question ou quand il ne savait pas comment s'occuper, ce qui arrivait souvent. Il venait aussi parfois pour lui lire ce qu'il avait écrit et elle l'écoutait. Gringoire n'était pas un mauvais bougre, il était simplement dans son monde.
Quant à December, elle avait prouvé qu'elle était une brave fille avec la volonté de bien faire. Apparemment, elle avait aussi des ressources, puisqu'elle avait non seulement retrouvé son acolyte d'un jour mais elle avait aussi eu la détermination de venir la saluer en personne en dépit de ses béquilles.
- Effectivement, tu as l'air de n'avoir peur de rien, approuva Anastasia avec un sourire compatissant. Je suis désolée pour ta cheville et tout le reste, à propos, reprit-elle en tripotant son collier, ce qu'elle faisait toujours lors des moments de gêne. C'est un peu de ma faute si tout ceci t'est arrivé. Je n'aurais peut-être pas dû lire ce livre, en fin de compte..., commenta la jeune femme, pensive. Et j'aurais dû venir te voir à l'hôpital ou t'y accompagner mais... enfin bref, on ne va pas refaire l'histoire, j'avais besoin de revoir ma famille après tous ces événements...
Anya avait déclaré tout cela rapidement pour ne pas tourner autour du pot et dire ce qui devait être dit. Cependant, December semblait plus intéressée par Abigaëlle et la maison que par les excuses d'Anastasia ou ses explications. C'était sans doute une bonne chose. Elle n'avait pas l'air rancunière. Elle avait l'air d'être venue dans le seul et unique but de prendre des nouvelles d'une amie. Ce n'était pas le genre de choses qui arrivaient fréquemment à Anastasia mais elle trouvait l'idée appréciable.
- Merci, répondit Anya en souriant. Oui, c'est Abigaëlle, ma fille. Elle a presque un an, ajouta fièrement la jeune maman. Tu devrais vraiment t'asseoir quelque part, reprit-elle. Je ne m'attendais pas à recevoir du monde mais je suis contente d'avoir de tes nouvelles. Mets toi à l'aise, je vais faire du thé, ce ne sera pas long, précisa la jeune femme.
Elle s'éclipsa en quatrième vitesse pour mettre l'eau à chauffer et farfouilla les placards à la recherche de gâteaux qu'elle dispos sur une assiette. Quelques minutes plus tard, elle revenait les bras chargés de victuailles.
- Voilà, c'est mieux, paraît-il, d'offrir à boire et à manger quand on reçoit. Alors ? Quelles sont les nouvelles ?demanda t-elle plus par convenance qu'autre chose.
Au fond, December avait dû passer pas mal de temps à l'hôpital, peut-être qu'elle n'aurait pas grand chose à raconter. Mais dans ce cas, elles seraient deux. Anastasia n'avait pas l'impression de vivre une existence trépidante - ce qui lui convenait, en dehors de leur rencontre au détour des pages de Victor Hugo.

Je sais que je suis quand même folle, même Anastasia était surprise de me voir débarquer en béquille chez elle dans la forêt. Même si avant cette aventure dans ce bouquin, je serais enfermé dans ma chambre durant des jours et des jours mais bon passons. Elle me fait donc entrer. C'est tout cocooning chez elle, on ressent un bien être dans cette maison, je trouve ça apaisant. Elle déposa sa petite dans son parc, que je surveille en étant à ses côtés le temps que maman aille préparer ce qu'il faut pour nous deux.
-Tu es toute meignonne toi, lui dis-je avec un sourire tendre, en lui donnant une de ces peluches qu'elle réclamait, quand Anastasia  revient avec ce qu'il faillait pour le thé. Je lui souris en la regardant déposer le plateau en me disant.
- Voilà, c'est mieux, paraît-il, d'offrir à boire et à manger quand on reçoit. Alors ? Quelles sont les nouvelles ?demanda t-elle plus par convenance qu'autre chose.
-Il ne fallait pas le faire pour moi tu sais Anya, lui dis-je sincèrement mais c'est vrai, j'aurais fait la même chose. niveau nouvelles, rien de palpitant à part que je dois retrouver mes frères qui sont perdu sans moi, plaisantai-je en prenant ma tasse de thé. Ne t'inquiètes pas pour les visites à l'hôpital, je ne t'en veux pas, dis-je sincèrement. Et pour toi? des nouvelles ? 
Je bu une gorgée de thé, mon dieu ça m'avais manquée, c'est important pour moi le thé. Je regarde l'impératrice avec un sourire et lui demande: Je me demandais, tu t'es remise de ta rencontre avec le célèbre auteur qui est Victor Hugo, lui demandai-je en me souvenant de sa réaction.

December paraissait se soucier des convenances sociales et c'était tant mieux. Anastasia non plus n'en était pas très friande. Pourtant, elle avait appris l'étiquette russe de A à Z. Est-ce que ça lui avait servi ? Un peu. Dans son ancienne vie. A Storybrooke les choses étaient plus simples qu'à la cour de Russie et la jeune femme n'allait pas s'en plaindre, bien au contraire.
La rouquine sourit à l'évocation des frères de la jeune fille blonde et rêveuse.
- Je me souviens d'eux, oui, sourit-elle d'un air entendu.
Comment aurait-elle pu oublier deux personnalités si haut en couleur ? Derek et Duncan étaient d'étranges personnages qui semblaient débarquer d'une autre planète et lui rappelait un peu Gringoire, en plus adapté à l'époque et en plus roux. Si elle avait eu peur qu'ils leur fassent perdre la vie, elle les appréciait néanmoins.
- J'espère qu'ils vont bien et... et qu'ils sont entiers, conclut Anya en rendant son sourire à December.
Puis elle attrapa sa tasse de thé et en but une longue gorgée.
- Rien de neuf, non. Tu sais, la plupart du temps je suis juste traductrice et maman, ça n'a rien de sensationnel. Mais ça me plaît, ajouta Anya en haussant les épaules.
Puis elle sentit la gêne l'envahir à l'évocation de Victor Hugo. Par chance, elle avait su se contenir lors de leur rencontre - Anya n'aurait pas supporté d'agir comme ces groupies hystériques qu'on voyait parfois à la télé. Mais elle se rappelait d'avoir écarquillé les yeux et changé de couleur en l'apercevant en chair et en os, lui qui était mort depuis cent trente ans. Ca ne la surprenait pas que les autres aient remarqué.
- Disons que ce n'est pas tous les jours qu'on rencontre une personne dont on admire l'œuvre, reprit la rouquine. Ce qui est d'autant plus vrai quand cette personne est morte avant votre naissance. Tu devrais le lire. Dans un livre normal qui n'aspire pas les gens, mais tu devrais quand même le lire si ce n'est pas fait. Tu dois bien avoir des gens que tu admires, non ? J'aime à croire que ma réaction était normale, ajouta Anastasia à voix basse.

Wonderland ? Un lapin ? La reine blanche ? Anastasia ouvrit de grands yeux surpris, réalisant qu'elle n'avait pas réellement pris le temps de faire la connaissance de celles et ceux qu'elle avait embarqués - bien malgré elle - dans cette folle aventure. Oops... Ca lui ressemblait bien tout ça : à force de ne pas se formaliser des conventions on finissait par zapper l'essentiel. Finalement, c'était peut-être une bonne chose que December soit passée. Cela lui permettrait au moins de réparer cet oubli.
- Eh bien dis donc... J'ignorais tout cela - en dehors de cette histoire de montre troquée, évidemment. Ca doit...ça doit être très différent d'ici, Wonderland, reprit-elle plus lentement, parlant tout en essayant d'imaginer comment les choses pouvaient effectivement être.
Etre un lapin aussi, ça devait être différent mais elle préférait ne pas demander et éviter les préjugés. Alors elle se contenta d'un sourire rêveur en la laissant poursuivre :
- Non...tu n'es pas folle, assura-t-elle doucement en se remémorant le scepticisme de Dimitri face à cette aventure rocambolesque. Tu n'es pas plus folle que moi, en tout cas, sourit Anya.
Abigaëlle semblait ravie de faire une nouvelle rencontre. Restait à savoir si cette rencontre ravissante se faisait en la personne de December ou de son pull. Quant à l'ancienne lapine, elle semblait nostalgique et on voyait encore quelques marques de ses aventures au Paris médiéval, ce qui était somme tout culpabilisant. A croire que la maternité avait changé la Russe indépendante en femme empathique et culpabilisée. Il n'en était pas moins qu'une idée avait germé dans son esprit :
- Je m'absente deux secondes, fit-elle savoir, déjà à moitié debout pour se précipiter dans son bureau.
La jeune femme ne mit pas longtemps à mettre la main sur ce qu'elle cherchait et l'emporta avec elle.
- Tiens, déclara Anastasia en tendant un vieux roman rabougri à December. C'est lui. C'est le livre qui nous a fait voyager. Je doute que le passage ne se rouvre - d'après l'épilogue ça me semble même impossible - mais l'histoire a changé. Elle s'est réécrite. J'ai vérifié, crut-elle bon de préciser. Tu peux l'avoir. Comme ça tu pourras le revoir. En quelque sorte. J'ai déjà Gringoire qui me tient souvent compagnie, je peux bien te laisser ça.