« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
Anastasia était une sentimentale. Elle avait peu de choses mais tenait à ces quelques biens comme un sultan tiendrait à ses trésors. Accessoirement, elle avait détesté courir les boutiques pour refaire temporairement sa garde robe quand elle était enceinte et aimait à peine plus le faire pour Abigaëlle, qui grandissait décidément beaucoup trop vite. Elle aurait un an dans un peu plus qu'un mois. Déjà. Elle n'était plus le petit nourrisson tout rose et totalement dépendant qu'elle avait bercé contre sa poitrine pendant de longues heures. Elle était devenue une petite fille pleine de vie, la tête remplie de cheveux roux et bouclés, ses grands yeux sans cesse émerveillés d'un rien et ses petites mains potelées toujours activées. Elle commençait à se tenir debout et maman en était très fière. Elle commençait aussi à parler et maman en était d'autant plus fière. Mais il fallait sans cesse lui acheter de nouveaux vêtements. Avec les mauvais jours qui arrivaient, Abigaëlle aurait besoin de chaussures plus chaudes, d'un manteau plus grand, d'un nouveau bonnet qu'elle n'avait pas le courage de tricoter elle-même... Pour l'heure, Anastasia repoussa ce moment, comptant sur les quelques cadeaux que sa fille recevaient encore pour lui éviter la corvée.
La mère et la fille s'apprêtaient à partir en balade, comme chaque jour, quand Anya s'était aperçue que la doublure de son fidèle manteau vert d'eau était totalement fichue. Elle n'avait pas remis ce manteau depuis l'année dernière et le possédait depuis qu'elle était adolescente. Elle l'avait reçu dans l'orphelinat de l'autre monde, puisqu'il fallait bien vêtir les pensionnaires abandonnés contre les rudes hivers de Russie. Et ce manteau, justement, remplissait parfaitement cette fonction. Jusqu'au drame. Avec une doublure foutue, que pouvait-elle encore en faire ? Le jeter ? Certainement pas ! - Et merde, soupira t-elle en levant les yeux au ciel. Au moins sa fidèle gavroche était encore entière... Se mordillant la lèvre inférieure un moment, la jeune femme réfléchit aux différentes options qui s'offraient à elle. Un regard par la fenêtre lui apprit que la météo n'était pas si terrible que cela à condition qu'on ne soit pas trop frileux. Au moins avait-il arrêter de pleuvoir. - Changement de programme ! annonça t-elle finalement en reposant une Abigaëlle babillant de plaisir. - Sieeeeeeeeeeeeeeeeeeeen ! s'exclama t-elle en gambadant vers Hoover le bouvier bernois en arrachant un sourire à sa mère qui profita qu'Abigaëlle soit occupée à se faire lécher les mains par l'énorme langue gluante de la chienne pour attraper le journal de la veille. Elle le feuilleta rapidement jusqu'à arriver aux petites annonces. Il y avait bien quelqu'un dans cette ville qui pouvait sauver ce manteau, pas vrai ? Les yeux de la jeune femme parcourait méthodologiquement la page et se posèrent bientôt sur une annonce des plus arrangeantes :
Sally Pumpkin Couturière Centre commercial - RDC (près du Subway) 04043 Storybrooke, ME, USA Tél : +0155 555 555
Parfait ! songea t-elle en déchirant le journal sans ménagement. Attrapant son sac, son manteau déchiré et son bébé au vol, elle se remit en route, d'un pas plus pressé, cette fois. Sans gros manteau, elle était simplement sortie en pull et attraperait peut-être la mort sur le chemin du retour - ou un gros rhume. A moins que ses gènes russes ne la protègent du froid. Du moment qu'Abigaëlle avait bien chaud, c'était le principal.
Anastasia et sa fille ne tardèrent pas à arriver dans la chaleur étouffante du centre commercial. Après un rapide regard sur l'annonce, elle tourna à droite en direction du Subway et ralentit le pas une fois en approche. - Ca doit être ça, commenta t-elle en s'arrêtant devant une minuscule devanture qui ne payait vraiment pas de mine. Anya haussa les épaules et entra, en dépit du contraste saisissant qu'offrait cette boutique avec le reste du centre, lumineux, lui. Le rez-de chaussée était désert. On aurait entendu les mouches voler si mouches il y avait eu. Mais puisque la porte était ouverte, la boutique l'était également, non ? Il n'y avait qu'à trouver cette fameuse Sally Pumpkin. Finalement, elle aperçut un petit escalier en colimaçon et s'y aventura, bien que quelque chose lui indiquait que les clients n'étaient pas sensés l'emprunter. Et bien qu'il ne soit pas évident de s'y déplacer un bébé et une veste dans les bras ! Anastasia parvint néanmoins sur le pallier du premier et aperçut, cette fois, une porte entrouverte qu'elle ouvrit davantage pour découvrir une jeune fille d'environ son âge qui cousait. Au moins je suis au bon endroit, songea t-elle en s'éclaircissant la gorge pour s'annoncer. - Bonjour ! Vous êtes bien Sally Pumpkin ? demanda t-elle en montrant l'annonce déchirée qu'elle tenait avec les quelques doigts qu'elle avait encore de libre. J'aurais un manteau à faire recoudre, la doublure a totalement lâché et j'y tiens trop pour le jeter. Vous croyez que vous pourriez le faire ?
Un point de couture J'ai plus envie d'me battre. J'ai plus envie d'courir
Elle avait toujours cru que ce qui lui ferait peur dans sa vie, ce serait son père. Juste son père. Toujours son père. Mais en découvrant le monde, elle comprit que la peur n'était pas unique. Elle vagabondait à chaque instant pour régner dans son coeur. Ce fut ce qu'elle pensa lorsqu'on lui hurla, d'une force animale, qu'elle devrait tenir la boutique pour le restant de la journée. Son père avait décidé, pour une raison inconnue car bâclée dans ses explications, de partir et de lui laisser donc la responsabilité de garder le commerce. Elle se tut, et donna pour seule réponse le son frénétique et répétitif de son aiguille se plantant dans la soie déchirée. Ca suffisait chez les Pumpkin, les mots n'y étaient de toute façon pas les bienvenus. C'était un sourire ou les larmes. Et Sally peinait à toujours essuyer ses sanglots. Le soleil filtré par les volets s'immisçaient timidement dans la pièce plongée dans le noir. La machine à coudre continuait d'émettre sa mélodie monotone, plongeant la jeune rousse dans une concentration extrême. Un silence d'or s'imposait que la demoiselle n'osait rompre, pas même en fredonnant l'une de ces chansons emplies de désespoir, et d'amour déchu. C'était pourtant la seule chose qui la rapprochait encore de son idylle passée. Mais tout cela était à l'heure bien trop loin. Comme si chanter était un interdit qu'il ne fallait braver. C'était sûrement trop de joie en un même instant. Chez les Pumpkin, on avait souvent tendance à pleurer. Le regard rivé sur son aiguille, rien n'aurait pu laissé Sally croire que face à elle se tiendraient une charmante femme et sa petite fille. Ce ne fut que la belle voix de son interlocutrice qui la sortit de sa rêverie.
▬ O-oh. Désolée, je n'ai pas entendu la sonnette. s'excusa-t-elle en esquissant un maigre sourire. Et oui... Je suis Sally. Le propriétaire n'est pas là, je ne suis pas sûre de...
Pouvoir effectuer votre commande? Etait-ce vraiment ces mots que Sally allait lui donner? A cette pauvre femme attachée à son manteau abîmé, cette femme qui ne demandait qu'un gentil service innocent? Et puis, pourquoi la nommer responsable de la boutique si elle n'était même pas autorisée à faire ce qu'on lui demandait? Ce fut, prise de doutes, qu'elle se rendit compte que quoiqu'elle eut fait, elle l'aurait regretté et on le lui aurait reproché. Violemment reproché. Elle prit sagement la décision de ne pas conclure un refus inutile, et essuyant ses précédents propos, elle se leva fébrilement de sa chaise. Une fois face à la cliente, Sally saisit délicatement le manteau à la doublure déchirée. Prenant le soin de palper le tissu, sous un regard appuyé, elle s'empara du manteau pour l'installer sur sa table de travail.
▬ Je vais m'occuper de ça tout de suite. A moins que vous ne soyez pressée et préféreriez revenir dans les jours à venir? Vous voulez un café? Je dois avoir des feutres et des feuilles si vous voulez. Pour dessiner. Enfin, je ne sais pas si elle a l'âge de... Je n'y connais pas grand chose, dites-moi simplement si je peux vous être utile autrement?
Les joues rouges d'embarras, elle baissait la tête légèrement honteuse. Elle semblait si hésitante, si indécise. Elle s'en sentait tant gênée qu'elle préférait ne pas affronter le regard chaleureux de cette mère de famille, comme si elle ne méritait pas son attention. C'était ce dont en quoi on lui avait toujours fait croire. Elle ne méritait pas d'attention. Réalisant l'obscurité dans laquelle elles étaient plongées, Sally souleva ses volets pour illuminer le trio féminin. Elle était presque jalouse de cette mère et de sa fille. Elles avaient tout l'air d'être heureuses. Un bonheur qui arrachait toujours à l'ancienne poupée un cri de douleur, la nuit et sous les draps. Comment ne pas jalouser ce qui semblait briller de mille feux alors qu'elle n'était qu'une lune pâle masquée par des nuages? Comment ne pas jalouser ce bonheur alors qu'elle n'était que détresse? Son regard humide semblait vouloir y répondre, mais elle le détourna vers sa machine à coudre aussitôt que ses prunelles se mirent à scintiller.
▬ Vous venez de vous faire ça? Ca ne devrait pas être long en tout cas. Il est beau. demanda-t-elle en désignant la doublure dont elle admirait chaque recoin.
D'entre ses lèvres pincées s'échappait une chanson d'une comédie musicale française. Le son inaudible ne permettait d'être entendu se persuadait Sally alors qu'elle avait le nez plongé dans des tas de tissus, fils et aiguilles, à la recherche de la parfaite harmonie pour sa retouche.
Hésitante, la jeune femme rousse confirma les déductions d'Anastasia : elle était bien Sally, la couturière dont on trouvait l'annonce dans le journal. Restait à savoir si elle saurait rendre vie à ce cher manteau vert bouteille qui avait connu des jours meilleurs... La jeune femme se leva néanmoins, laissant sa précédente phrase se perdre dans le silence. Seuls les babillements d'Abigaëlle venaient troubler la quiétude de cette petite pièce un peu sombre. Anya ne savait pas quoi dire de plus. Elle n'était pas une cliente exigeante, seulement une cliente embêtée par l'état de son manteau et Sally pouvait en être la sauveuse. ▬ Je vais m'occuper de ça tout de suite, déclara t-elle finalement après avoir pris le manteau pour l'examiner, libérant au passage l'une des mains d'Anastasia. C'était bien plus confortable ainsi. [color:f5f2=FF4500]A moins que vous ne soyez pressée et préféreriez revenir dans les jours à venir? Vous voulez un café? Je dois avoir des feutres et des feuilles si vous voulez. Pour dessiner. Enfin, je ne sais pas si elle a l'âge de... Je n'y connais pas grand chose, dites-moi simplement si je peux vous être utile autrement? Anya sourit d'un air compréhensif. Elle non plus, fut un temps, ne connaissait rien aux bébés. Mais le fait est qu'on apprenait très vite. - Tout de suite ce sera parfait, déclara la jeune femme, plus soulagée qu'elle ne voulait bien l'admettre. Apparemment le manteau était récupérable et c'était le principal. Pour le reste, elle pouvait bien attendre une heure ici. - Tu veux colorier ? demanda t-elle en s'adressant à Abigaëlle. - Bwaaaaaaaaaaaaaaaaah ! répondit la petite file en battant des mains. - On va prendre ça pour un oui, commenta Anya, cette fois à l'intention de Sally. Merci. Pas de café, ça ira. Du thé si vous avez sinon je peux juste m'asseoir quelque part et vous laissez travailler. Anastasia lui adressa un sourire encourageant, voyant bien qu'elle était mal à l'aise. Mais Sally, qui regardait plus ses pieds qu'autre chose, n'y prêta peut-être même pas attention. Elle devait être timide, songea la jeune femme. Une chose était sûre, elle avait été bien avisée d'ouvrir les volets pour donner un peu de lumière à la salle qui demeurait modeste mais gagnait en chaleur. Sally ne l'observait plus, semblant dans son petit monde rien qu'à elle. Anastasia avait pris la liberté de s'asseoir sur un tabouret en bois, Abigaëlle sur les genoux. Elle devenait lourde, mine de rien. - Merci. Je crois que ce manteau est simplement très vieux et fatigué, d'où la déchirure, répondit-elle, soulagée une fois de plus d'apprendre que ce ne serait pas long. Je l'ai depuis des années, il est parfait pour l'hiver. On sait quelque chose des hivers rudes, là d'où je viens. j'ai voulu le mettre pour sortir et j'ai vu que la doublure s'en allait. C'est embêtant vu la saison,sourit Anastasia. Elle n'avait jamais considérer son manteau comme beau, contrairement à Sally qui était presque fascinée. Elle le trouvait simplement pratique et confortable et surtout, c'était son manteau, le seul qu'elle avait jamais eu depuis qu'elle n'était plus une petite fille et le seul qu'elle voulait avoir. Elle avait sans doute frappé à la bonne porte pour ce faire. Sally semblait appliquée, consciencieuse. Anastasia suivait chacun de ses gestes. D'abord trouver le bon fil. Puis coudre. Recoudre. Redonner de sa superbe à cette vieille et fidèle fripe.
Un point de couture J'ai plus envie d'me battre. J'ai plus envie d'courir
- Ils sont bons. ... Les croquis. ▬ Merci!, s'écria-t-elle, flattée, du rez-de chaussée jusqu'au premier. J'aime bien en faire de temps en temps, ça me permet d'oublier que je ne sers souvent qu'aux ourlets des pantalons. s'amusa-t-elle à lancer, en rejoignant essoufflée Anastasia et sa fille.
Celle-ci déjà prenait plaisir à tourner les pages et y gribouiller ce qui lui passait par la tête. Petite, Sally avait certainement ses habitudes. Sans être vouée à un destin artistique prodigieux, elle s'aimait à glisser la mine de son crayon contre la fine feuille de papier, sentir la gomme s'effriter à chaque frottement délicat, ou encore le résultat qu'il soit médiocre ou bon important peu. Ca n'aurait pourtant jamais pu devenir sa passion. Sally, elle était trop dispersée pour ça, et elle préférait de toute évidence le tissu au papier. Jetant quelques brefs coups d'oeil à cette charmante Anastasia, la couturière finit par se faufiler jusqu'à la maigre cuisine pour y préparer le thé quémandé. Elle déposa silencieusement le plateau à la table de sa cliente, et retourna aussitôt accomplir le service de retouches promis. Ce fut tout d'abord sans dire mot que l'une accomplissait son travail tandis que l'autre le contemplait. C'en était presque encourageant. Ca l'était, d'ailleurs. D'avoir les prunelles vertes de la belle rousse rivés sur ses doigts, c'en était stressant même. Avec ses grands cils noirs, et ses beaux yeux, c'était difficile de ne pas être gênée. Alors, elle décida d'affirmer ses origines car bien qu'elle ne les ait jamais rejeté, Sally fut proie de ses propres doutes. Comment savoir quoi dire ou quoi faire? Anastasia semblait ne pas craindre les mots, aussi francs soient-ils. Alors que Sally... Elle avait été élevée dans cette peur de faire un mouvement trop brusque, un toussotement trop fort. Tout lui avait toujours été réprimandé et son comportement n'était plus qu'automatisé par la peur des reproches. Mais un jour, elle le savait. Elle quitterait cette pièce plongée dans l'obscurité et toucherait le bout moelleux des nuages. Un jour, elle partirait.
- Et du froid russe. Le froid russe? Voilà une chose que Sally rêverait d'affronter. Halloween Town n'avait vécu la neige qu'une fois, une maigre fois mais assez pour que l'image de celle-ci s'imprègne dans sa mémoire. C'était un de ces événements qu'on ne pouvait oublier. Les flocons virevoltaient entre les toiles d'araignées, et les balais qu'enfournaient de laides sorcières au nez crochu, et là haut, haut dans le ciel, on entendait le rire doux d'un vieux père vêtu de rouge. Ca lui aurait presque manqué. Mais ce qui appartenait au passé était définitivement révolu, et s'attacher à ces souvenirs heureux ne faisaient qu'intensifier les douleurs actuelles. Elle chassait ces pensées nostalgiques pour rapatrier son attention sur le manteau déchiré. La douce mélodie du fil et de l'aiguille se glissait dans ses oreilles comme un hymne à la paix. Son regard plongé dans le mécanisme si familier de la machine à coudre, elle ne faisait guère attention aux environs, si bien qu'elle ne put s'empêcher de lâcher un hoquet de surprise en entendant la voix tendre d'Anastasia. Apaisant? Ca l'était, ça l'avait toujours été pour l'ancienne poupée. Sereine? Peut-être. Presque. C'est ce qu'elle s'efforçait de penser en maintenant le tissu plat. Elle releva alors timidement le bout de son nez, et décrochant un rictus modeste à son interlocutrice, elle lui répondit:
Je dois être patiente, c'est pour ça. Et puis, ça me permet de réfléchir vraiment. Mais dites m'en plus sur vous. Toute votre histoire russe, c'est intriguant. Je ne suis jamais allée en Russie. Peut-être un autre jour.
Sally avait sorti trois feutres et un calepin qu'elle tendit à Anastasia. L'échange fut bref. Abigaëlle ne prêta pas attention à la couturière. Son regard était rivé sur les feutres lumineux qui lui faisaient envie. Anya ouvrit le cahier au hasard, y découvrant des croquis soignés mais rarement montrés, semblait-il. - Ils sont bons, ne put-elle s'empêcher de commenter en élevant un peu la voix, maintenant que Sally était descendue à la recherche d'une chaise. Les croquis, précisa t-elle avant de tourner les pages du calepin jusqu'à une feuille vierge. C'eut été dommage que les gribouillages d'Abigaëlle n'abîment les dessins d'une jeune femme qui lui prêtait gracieusement de quoi occuper ses petites mains potelées et encore un peu maladroite. La fillette tendait les mains vers les pages que sa mère tournait, dans l'espoir de bientôt pouvoir les toucher, les froisser, les colorier, bref, s'y amuser. Des bruits de pas précipités et de meubles déplacés provenaient de l'étage inférieur jusqu'aux oreilles de la mère et la fille. Enfin, Sally reparut avec une chaise qu'elle proposa à Abigaëlle ainsi qu'une petite table. Sans la moindre méfiance, la petite fille tendit les bras pour faire signe à sa mère qu'elle voulait y aller, aller toucher les autres feuilles, la gomme, les crayons. Abigaëlle aimait les couleurs vives des outils de dessin. Anastasia l'installa avec plaisir dans ce petit espace spécialement préparé pour elle, ayant, elle aussi, baissé sa garde. Sally avait l'air d'une brave fille timide mais serviable. - Merci beaucoup pour elle, reprit Anastasia en adressant un franc sourire à la couturière. Le thé vert ce sera parfait, ajouta t-elle, complice. Puis Sally fila précipitamment une nouvelle fois, dans une pièce attenante, cette fois. Des bruits de vaisselle et d'eau qui bout parvinrent aux oreilles d'Anastasia, de même que le contentement d'Abigaëlle de pouvoir s'amuser dans un lieu inconnu.
Quand le thé fut servi, quelques minutes supplémentaires plus tard, le manteau revint sur le devant de la scène. - Oh non, corrigea Anastasia dont les propos avaient été mal interprétés. Je suis arrivée ici comme tout le monde, avec le sort noir. C'est juste que je me souviens bien de ma vie en Russie. Et du froid russe, sourit-elle une nouvelle fois, les mains atour de la tasse de thé pour les chauffer. Ne vous en faites pas, vous ne me dérangez pas, j'assume totalement mes origines ! Ou presque. Elle ne fanfaronnait pas non plus dessus en se présentant comme la Grande Duchesse de Russie car, dans ce monde, ce titre n'avait plus aucune importance. Accessoirement, elle préférait être juste Anya, une fille simple aux goûts simples avec un vieux manteau dont les mains habiles de la couturière prenaient grand soin. Tout en buvant une première gorgée de thé, Anastasia l'observait, suivant chaque mouvement de l'aiguille et des doigts de la jeune femme avec une certaine fascination. De temps en temps, cependant, elle détournait le regard vers Abigaëlle, un réflexe qu'elle avait depuis sa naissance. Ne pas la perdre de vue. Ne pas la perdre tout court comme les autres membres de sa famille. - C'est apaisant de vous regarder coudre, commenta t-elle songeuse après un moment. Moi je finis toujours pas m'énerve quand je rapièce mes affaires mais vous, vous êtes si... sereine.
Un point de couture J'ai plus envie d'me battre. J'ai plus envie d'courir
- Ils sont bons. ... Les croquis. ▬ Merci!, s'écria-t-elle, flattée, du rez-de chaussée jusqu'au premier. J'aime bien en faire de temps en temps, ça me permet d'oublier que je ne sers souvent qu'aux ourlets des pantalons. s'amusa-t-elle à lancer, en rejoignant essoufflée Anastasia et sa fille.
Celle-ci déjà prenait plaisir à tourner les pages et y gribouiller ce qui lui passait par la tête. Petite, Sally avait certainement ses habitudes. Sans être vouée à un destin artistique prodigieux, elle s'aimait à glisser la mine de son crayon contre la fine feuille de papier, sentir la gomme s'effriter à chaque frottement délicat, ou encore le résultat qu'il soit médiocre ou bon important peu. Ca n'aurait pourtant jamais pu devenir sa passion. Sally, elle était trop dispersée pour ça, et elle préférait de toute évidence le tissu au papier. Jetant quelques brefs coups d'oeil à cette charmante Anastasia, la couturière finit par se faufiler jusqu'à la maigre cuisine pour y préparer le thé quémandé. Elle déposa silencieusement le plateau à la table de sa cliente, et retourna aussitôt accomplir le service de retouches promis. Ce fut tout d'abord sans dire mot que l'une accomplissait son travail tandis que l'autre le contemplait. C'en était presque encourageant. Ca l'était, d'ailleurs. D'avoir les prunelles vertes de la belle rousse rivés sur ses doigts, c'en était stressant même. Avec ses grands cils noirs, et ses beaux yeux, c'était difficile de ne pas être gênée. Alors, elle décida d'affirmer ses origines car bien qu'elle ne les ait jamais rejeté, Sally fut proie de ses propres doutes. Comment savoir quoi dire ou quoi faire? Anastasia semblait ne pas craindre les mots, aussi francs soient-ils. Alors que Sally... Elle avait été élevée dans cette peur de faire un mouvement trop brusque, un toussotement trop fort. Tout lui avait toujours été réprimandé et son comportement n'était plus qu'automatisé par la peur des reproches. Mais un jour, elle le savait. Elle quitterait cette pièce plongée dans l'obscurité et toucherait le bout moelleux des nuages. Un jour, elle partirait.
- Et du froid russe. Le froid russe? Voilà une chose que Sally rêverait d'affronter. Halloween Town n'avait vécu la neige qu'une fois, une maigre fois mais assez pour que l'image de celle-ci s'imprègne dans sa mémoire. C'était un de ces événements qu'on ne pouvait oublier. Les flocons virevoltaient entre les toiles d'araignées, et les balais qu'enfournaient de laides sorcières au nez crochu, et là haut, haut dans le ciel, on entendait le rire doux d'un vieux père vêtu de rouge. Ca lui aurait presque manqué. Mais ce qui appartenait au passé était définitivement révolu, et s'attacher à ces souvenirs heureux ne faisaient qu'intensifier les douleurs actuelles. Elle chassait ces pensées nostalgiques pour rapatrier son attention sur le manteau déchiré. La douce mélodie du fil et de l'aiguille se glissait dans ses oreilles comme un hymne à la paix. Son regard plongé dans le mécanisme si familier de la machine à coudre, elle ne faisait guère attention aux environs, si bien qu'elle ne put s'empêcher de lâcher un hoquet de surprise en entendant la voix tendre d'Anastasia. Apaisant? Ca l'était, ça l'avait toujours été pour l'ancienne poupée. Sereine? Peut-être. Presque. C'est ce qu'elle s'efforçait de penser en maintenant le tissu plat. Elle releva alors timidement le bout de son nez, et décrochant un rictus modeste à son interlocutrice, elle lui répondit:
Je dois être patiente, c'est pour ça. Et puis, ça me permet de réfléchir vraiment. Mais dites m'en plus sur vous. Toute votre histoire russe, c'est intriguant. Je ne suis jamais allée en Russie. Peut-être un autre jour.
Anastasia ne connaissait pas encore réellement Sally et n'aurait jamais eu cette prétention. Elle avait cependant noté que la jeune fille n'était pas dénuée d'un certain humour et cela lui plaisait. Elle la trouvait aussi serviable et généreuse mais elle devait aussi être très solitaire, un peu comme Anya elle-même, en fin de compte. Mais plus discrète. Sally donnait l'impression d'avoir peur que sa seule présence puisse déranger alors que c'était tout le contraire : sans elle, qui aurait recousu le vieux manteau vert d'eau ? Sally était aussi appliquée, ce qui avait peut-être amené Anastasia à se taire pour simplement l'observer, elle et sa couture. Le silence s'était installé rapidement et la jeune femme ne savait plus depuis combien de temps exactement quand elle le rompit, regrettant presque aussitôt. La couturière avait sursauté mais avait suffisamment de dextérité pour ne pas s'être piquée. Ouf. - Je dois être patiente, c'est pour ça, expliqua Sally. Anya opina en silence. Ca tombait sous le sens. En traduction aussi elle devait être patiente et appliquée si elle voulait produire un travail de qualité. Les clients pouvaient être exigeants, tatillons, même. Mais ils étaient rois, pour le meilleur et pour le pire. Anastasia avait l'avantage de travailler en freelance depuis chez elle et de ne jamais voir les clients en face - ou rarement, du moins. Il était arrivé, parfois, que des habitants de Storybrooke aient besoin de ses services mais si elle n'avait dû compter que sur eux, il y aurait eu longtemps qu'elle aurait mis la clé sous la porte ! Et puis, ça me permet de réfléchir vraiment, poursuivit Sally avant de changer totalement de sujet pour revenir à sa cliente du jour. Mais dites m'en plus sur vous. Toute votre histoire russe, c'est intriguant. Je ne suis jamais allée en Russie. Peut-être un autre jour. Et zut. Pile poil ce dont Anya n'aimait pas parler. Elle n'avait certes pas honte de ses origines - qui s'entendaient parfois dans son accent slave - mais elle préférait être considérée comme quelqu'un de normal plutôt que d'être l'orpheline devenue princesse même si cette histoire avait de quoi faire rêver. Un peu. - Oh bien vous savez ce n'est pas si passionnant que ça, minimisa t-elle, gênée. Je suppose que la Russie du monde des contes ressemble un peu à la Russie de ce monde-ci mais je ne suis pas allée vérifier. J'ai grandi près de Saint-Pétersbourg dans un orphelinat où un manteau comme celui que vous reprisez n'est pas de trop pour affronter la météo. Saint-Pétersbourg est une belle ville mais pauvre. Je vous conseille plutôt Paris si vous voulez voyager. C'est là-bas que j'ai retrouvé ma famille. Et vous ? Vous venez de quel monde ?
Un point de couture J'ai plus envie d'me battre. J'ai plus envie d'courir
- J'ai grandi près de Saint-Pétersbourg dans un orphelinat où un manteau comme celui que vous reprisez n'est pas de trop pour affronter la météo. ▬ J'en suis désolée...
Elle qui rêvait de ne plus avoir son horrible père sur le dos avait en face d'elle une femme qui ne rêvait que de cela. Des parents. Une mère, ça lui manquait aussi à Sally. Morte à l'accouchement, qu'on lui disait. Il n'y avait pas pire que ça. Sa naissance était coupable de sa mort, telle était l'ironie du sort. Elle croyait bien faire, Sally. En se morfondant dans ce silence, en taisant toute sa personnalité, en faisant disparaître tout ce qui la différenciait d'une simple poupée. Mais elle faisait mal. Et la preuve en était la certaine gêne qu'elle ressentait sur l'heure auprès d'Anastasia. Elle avait l'air si heureuse, mais aussi si sincère. Patiente, la couturière l'était. Et douce, sûrement. Polie. Mais elle ne se cachait que sous cette jolie façade, laissant derrière elle un millier de défauts qui sauraient faire sourire et pleurer la charmante rousse russe. Elle haussait timidement les épaules, à quoi bon se soucier de son apparence après tout. Cette femme n'était qu'une cliente qu'une autre, non? Non. Avec cette femme, elle se sentait un peu plus vivante que d'habitude. Un peu plus humaine surtout.
- Je vous conseille plutôt Paris si vous voulez voyager. C'est là-bas que j'ai retrouvé ma famille. Et vous ? Vous venez de quel monde ?▬ Oh je rêverais aller à Paris! Voir notre Dame, la Tour Eiffel, Montmartre. Enfin, ce sont les seules choses que je connais de Paris. Mais il paraît que c'est trèèèèèès beau. Mon monde à moi est...
Le regard illuminé, elle laissa ses yeux rouler comme des billes vers le plafond, comme si elle pourrait y admirer les plus belles étoiles du monde. Elle cherchait des mots pour décrire son idylle infernal, son oasis cauchemardesque ou encore son paradis terrestre. C'était trop difficile à décrire avec des mots, on ne pouvait le croire qu'avec ses yeux. Puis, relevant finalement un sourcil avec défiance, entre deux larges sourires, elle se décida à narrer son passé:
▬ Vous connaissez la fête d'Halloween? C'était ma vie. J'habitais à Halloween Town, je ne faisais que préparer Halloween ou la fêter. C'en était presque lassant... Enfin, c'est bizarre. Tout ce qui me semblait amusant là-bas est ici morbide. Voir effrayant. J'étais une de ces poupées glauques aux membres à découdre et recoudre à toute heure. Whaouh, j'en ai peut-être trop dit. Ok, je me tais et je me remets au boulot.
Ramenant son index sur ses lèvres pour s'intimer au silence, elle décocha cette fois totalement ses pupilles noisette vers la machine pour y recoudre l'écart qui s'était formé au creux de la doublure verte. Elle ne jetait plus de coups d'oeil à la petite fille, se contentant d'espérer voir un joli dessin couvrir son carnet de ses simples croquis à l'aquarelle. Nerveusement, elle faisait glisser et frotter ses jambes l'une contre l'autre, ramenant aussi de temps à autre une mèche trop rebelle derrière sa fine oreille. Elle passait de tic en tic. Anastasia n'était pas une cliente comme les autres. Non. Elle avait réussi à lui faire esquisser un sourire, à de nouveau la faire rêver d'horizons oubliés.
- Je suis désolée... Les mots de Sally étaient presque un murmure, comme si la jeune femme craignait de parler trop fort mais Anastasia la sentait sincère et songeuse - peut-être vis-à-vis de sa propre existence ? Anya n'était pas du genre à demander, non pas qu'elle ne se souciait pas de la vie des autres, au contraire. Si elle ne s'intéressait pas à la vie de tout le monde, elle s'intéressait aux malheurs et aux bonheurs de ses proches ou des gens qui la touchaient, un peu comme cette Sally chez qui elle sentait un je-ne-sais-quoi, une fragilité ou une fissure, des travers sans doute, peut-être des regrets ou des rêves brisés. Mais elle ne demanderait pas, c'eut été déplacé. Anastasia n'aimait peut-être pas toute cette étiquette stupide que Vlad et Dimitri s'étaient évertués à lui enseigner mais elle respectait au moins le fait que chacun avait droit à sa vie privée, droit dont on l'avait privée il y avait de cela moins d'un an, d'ailleurs. Anastasia chassa cette pensée déplaisante et repensa à Paris et ses folies, ses surprises. La ville semblait faire rêver Sally mais il y avait autre chose, quelque par delà cette lueur soudaine dans ses yeux. Anastasia attendit la suite non sans une certaine fébrilité puis l'écouta avec toute l'attention possible : ▬ Vous connaissez la fête d'Halloween? C'était ma vie. J'habitais à Halloween Town, je ne faisais que préparer Halloween ou la fêter. C'en était presque lassant... Enfin, c'est bizarre. Tout ce qui me semblait amusant là-bas est ici morbide. Voire effrayant. J'étais une de ces poupées glauques aux membres à découdre et recoudre à toute heure. Waouh, j'en ai peut-être trop dit. Ok, je me tais et je me remets au boulot. - Tu entends ça Abigaëlle ? Sally habitait à Halloween ! C'est dingue, pas vrai ? demanda Anastasia en reprenant la petite fille sur elle. Abigaëlle tenait encore un feutre entre ses doigts, eux aussi colorés d'ailleurs. De loin, elle apercevait le carnet recouvert de gribouillages abstraits et irisés. Abigaëlle était probablement celle qui s'amusait le plus, une fois de plus. Quant à Anastasia, elle ne s'était pas attendue à autant de confidences. Sally, la pudique et discrète Sally, s'était subitement animée pour parler librement de l'ancienne elle, une poupée de chiffons qui préparait Halloween toute l'année. Un vrai conte. Jamais la jeune femme n'aurait imaginé que de tels mondes existaient. - Vous pouvez parler et travailler, si vous le souhaitez, reprit la rouquine en lançant un sourire amusé à l'attention de la couturière. Sérieusement, votre histoire est vraiment fascinante. Il y a une ville rien que pour Halloween ! Moi qui croyais que c'était juste une fête... Il y a une ville de Noël et une ville de Pâques, d'après vous ? J'ai voyagé, fut-un temps, poursuivit-elle sans pour autant trop en dire. Dans le monde des contes, je veux dire. Avant le sort noir et... tout ça. Mais jamais, jamais je n'ai entendu parler de votre monde. Et depuis je ne bouge plus vraiment. Quoique... j'ai bien été aspirée dans un livre, une fois. Jamais dans mon ancien monde. Je me demande comment il est... pas vous ? Anastasia était soudain redevenue songeuse et avait laissé Abigaëlle quitter ses genoux pour se rendre à quatre pattes vers son atelier de dessin et reprendre le coloriage abstrait qu'elle avait entamé.
Un point de couture J'ai plus envie d'me battre. J'ai plus envie d'courir
Alors qu'un silence presque inquiétant s'était installé, Sally ne pouvait s'empêcher de s'imaginer un passé sans parent. Qu'était-un père s'il ne vous apportait pas la chose la plus importante qu'il puisse, l'amour? Qu'était une famille si elle était brisée par des désirs personnels de possession et de vengeance. Qu'était être fille de son père, si le père ne se reconnaissait pas en sa fille. Jamais leur lien ne semblait pouvoir être uni par la confiance et la douceur. Non. Il possédait Sally comme il l'avait autrefois possédé. Elle ne put s'empêcher de sentir son coeur palpiter de rancoeur, et de douleur en imaginant à sa chère Anastasia un passé bien pire. L'angoisse fut rapidement balayée par la chaleureuse exclamation, à l'accent russe faiblement audible, de la cliente qui reprenait sagement sa fille entre ses bras:
- Tu entends ça Abigaëlle ? Sally habitait à Halloween ! C'est dingue, pas vrai ?
Dingue? Oh oui, ça l'était. Peut-être même de trop. Etre atterrie ici semblait insensé pour cette poupée si bouleversée. Elle ne put réprimer son sourire, ravie que son histoire enthousiasme tant son interlocutrice. C'en était si... Rassurant. A croire que quelqu'un d'autre qu'un squelette introuvable était apte à la comprendre, à rire de ses aventures, et à lui faire espérer en un avenir meilleur. Une parfaite inconnue réussissait à faire croître un rictus que jamais son père n'avait fait apparaître. S'étant remis au silence et au travail, Sally s'était décidée à ne plus dire mot jusqu'à l'aimable invitation d'Anastasia à poursuivre ce dialogue. Elle avait certainement compris combien il lui était nécessaire de parler. Mais aussi d'écouter. Un vrai coeur, pas un bourreau. De comprendre et d'être comprise. Ce fut d'une limpide et claire expression que la belle rousse continua son récit, et ses questions, fascinée par l'idée que le monde des contes puisse être aussi différent de la réalité. Elle ne pouvait que sourire de tant de joie.
▬ Ces villes existent, oui. Dans mon monde en tout cas..., la nostalgie faisait naître sur ses lèvres roses un mince sourire en coin. En fait, nous avons même essayé de créer notre propre Noël en voyant à quel point c'était merveilleux. Vous savez, toute la joie, les cadeaux, la famille. Enfin, ces histoires là sont désormais bien loin. ... Aspirée dans un livre? Mais lequel? Je ne suis pas sûre que mon ancien monde me manque. C'est juste différent sur les formes, mais ma vie n'a jamais vraiment changé. Il est peut-être temps d'ailleurs... Elle est mignonne votre fille. C'est très joli Abigaëlle comme prénom. Vous devez être plus tôt contente de votre changement de vie, non? Je veux dire... Une famille, c'est la clé du bonheur, à ce qu'on dit.
La clé du bonheur. C'était quelque chose qu'elle essayait de trouver toujours futile. Elle se persuadait tant bien que mal que le bonheur était à chaque instant caché dans un geste, un mot, un son, une couleur, ou un goût. Le bonheur n'était pas que celui qu'on offrait. C'était aussi celui qu'on voyait. Parfois, elle se posait devant cette machine à coudre et sans rien faire, elle pensait être heureuse. Car elle était vivante. Car elle avait tout ses membres. Car elle était là, et qu'elle existait, n'était-ce pas une raison suffisante pour croire en le bonheur? Mais Sally était malheureuse aussi forts soient ses arguments. Elle cherchait vainement dans l'espoir de fonder un jour sa propre famille, son propre avenir. L'amour, c'était sûrement la clé qui manquait.