Au moment où Anastasia se disait que la situation n'aurait pas pu être plus embarrassante, elle le devint. Gringoire, avec l'innocence et la maladresse qui le caractérisaient, avait simplement offert de manger du chocolat à Céleste mais cette dernière n'était pas en état de trouver la proposition gentille ou quoi que ce soit de positif, bien au contraire. Sans crier gare, la jeune femme, apathique l'instant d'avant, saisit le poète et le plaqua au mur pour lui exprimer le fond de sa pensée sous le regard médusé d'Anastasia.
Ils avaient atteint le summum du malaise. Anya détourna les yeux et croisa le regard interloqué d'Hoover. Elle haussa les épaules avant de porter son attention sur Abigaëlle qui jouait toujours aussi joyeusement. Contre toute attente, elle sourit, attendrie par ce doux spectacle. Puis elle inspira un grand coup et reporta son attention sur ses deux invités haut en couleur.
Gringoire semblait tétanisé. Il ne bougeait plus et observait Céleste d'un air surpris. Lui qui aimait tellement le chocolat, il ne comprenait vraiment pas où il avait péché. Heureusement, la bohémienne s'était radoucie. Elle avait desserré son emprise et semblait confuse - encore plus qu'avant cet incident.
Anastasia, elle, ne savait toujours pas quoi faire. Gringoire avait repris contenance et c'était une bonne chose mais il ne parlait toujours pas, choqué, lui aussi, par cette affaire. Il se demandait encore ce que le chocolat pouvait bien avoir de si énervant aux yeux de Céleste.
Soudain, l'intéressée plaqua sa bouche contre cette du poète avec qui elle échangea un long et passionné baiser. Anya baissa les yeux pour contempler ses mains et attendre la fin de leur échange. A aucun moment elle ne s'était attendue à ce que la situation prenne cette tournure. Elle aurait volontiers imaginé, au contraire, que Céleste lui collerait son poing dans la figure car elle n'était pas la première que Gringoire poussait à bout. Dimitri, par exemple, pouvait largement en témoigner.
De son côté, le saltimbanque s'était laissé faire, plutôt content de la tournure des événements. S'il savait qu'on ne pendait plus les gens pour un rien dans ce nouveau monde, il savait également que les soufflets étaient encore admis. Ses joues étaient bien contentes d'avoir un peu de répit. Quant à ses lèvres, elles n'avaient pas embrassé de femme depuis tellement longtemps qu'elles ne réagirent pas immédiatement. Sa langue, en revanche, se fit rapidement l'écho de toutes les émotions qui l'avaient traversé pendant ce baiser :
- Eh bien eh bien eh bien ! commenta t-il à nouveau souriant. Si je m'attendais à cela ! Vous êtes décidément pleine de surprises, très chère, et j'avoue ne rien avoir compris à cette situation.
- Moi non plus, marmonna Anastasia, l'air de rien.
- Néanmoins, continua le poète sans avoir prêté attention au commentaire de la traductrice, je vous trouve très inspirante et je pense prochainement écrire une comédie d'amour aussi stupéfiante que vous ! C'en est fait, ma très chère, vous serez ma muse et la clé de ma réussite en tant que dramaturge dans ce monde de fous !
Il fit alors une révérence aux deux femmes et se dirigea à nouveau vers la porte :
- Mesdames, la renommée m'appelle !
Puis il se retira en sifflant, ayant décidé d'aller écrire de ce pas le vaudeville dont il venait d'avoir l'inspiration.
Anastasia alla fermer la porte qu'il avait laissée ouverte dans sa précipitation puis se tourna vers Céleste.
- Si tu souhaites toujours t'en aller, franchement je comprendrais, commenta t-elle en faisant allusion à Gringoire. Il est... haut en couleurs, à l'image de ses vêtements. Bien entendu, je n'ai absolument pas vu ce que vous avez fait, nous ne reviendrons pas là dessus. Mais si tu veux rester, tu es encore la bienvenue.

Tandis que Céleste se répandait en excuses, Anastasia lui tapotait affectueusement le dos pour lui signifier que tout allait bien. Elle s'apercevait par la même occasion qu'elle était plus à l'aise ainsi qu'en paroles, un comble pour la femme lettrée qu'elle était. Alerte, elle continuait cependant de l'observait avec attention afin de décoder chaque signal non-verbal et de cette fois peut-être prévenir le prochain drame s'il y en avait un.
L'orage avait laissé place à un calme gêné. Céleste observait ses pieds et le sol - heureusement propre - de la maison tandis qu'Anya l'observait elle, la main posée sur son épaule. Elle avait rarement connu situation plus embarrassante et abracadabrante mais était persuadée qu'un jour - lointain pour le moment - les deux femmes parviendraient à en rire. Ou du moins c'était ce qu'elle souhaitait.
Tout en mordillant sa lèvre inférieure, Anastasia écoutait les premières réelles explications, qui tenaient plutôt de la confidence, de la bohémienne :
- Je suis torturée chaque jour par le contraste entre ce que j'ai pu être et faire de ma vie, dans un autre monde, et ce que je suis aujourd'hui. Je suis à des kilomètres de mes espérances, de mes ambitions. Voir Gringoire, qui connaît une face de moi que je rêverais d'être à nouveau, ça m'a bouleversée, avoua t-elle.
L'ironie de la situation était frappante, même si Céleste ne pouvait en avoir conscience. Elle ne connaissait pas suffisamment Dimitri pour faire le parallèle et, surtout, elle ne l'avait pas connu dans leur vie d'avant, entre Saint-Pétersbourg et Paris.
Autrefois, Dimitri était un jeune aventurier qui n'avait peur de rien et croquait la vie à pleine dents. Il avait dû être un séducteur, mais Anya ne le connaissait alors pas. Elle se disait simplement qu'un tel tempérament avait du plaire aux jeunes filles autant qu'il avait pu l'agacer, elle, à leur rencontre. Et puis le sort noir et 28 ans d'amnésie étaient passés par là. Dimitri peinait à concilier sa vie passée, dans le monde des contes, et sa vie présente, dans le Maine. Il s'était mis à aimer les chiens, lui qui n'avait jamais réellement supporté Puka, et avait fait la rencontre malencontreuse d'Aloysius Black qui l'avait détraqué presque jusqu'au point de non-retour.
A la pensée de tout ceci, Anastasia mordit plus farouchement sa lèvre avant de souffler tout bas :
- Je comprends, si tu savais...
Doucement, elle l'entraîna vers le canapé, sentant qu'elle ne pourrait la soutenir indéfiniment et que les jambes un peu en coton de Céleste avaient besoin de se poser. Il serait toujours temps de partir ensuite.
Cette fois-ci, Anastasia s'assit cependant à côté d'elle. Elle fixa quelques instants le mur en face d'elle avant qu'Abigaëlle ne détourne son attention en babillant gaiement. La petite fille s'était assise par terre et lançait une petite balle en direction d'Hoover. La balle ne faisait pas plus de deux mètres à chaque fois mais la dextérité du bouvier bernois à la rapporter sans cesse émerveillait le bambin.
- Je n'ai pas tellement changé, en fait, reprit-elle, les yeux à nouveau rivés dans le vague. Mais je sais que le Sort Noir a affecté beaucoup de monde. Je vis aussi avec ça tous les jours. Dimitri, lâcha t-elle finalement après d'ultimes instants. Il n'est plus le même. Il n'arrive pas à croire que notre ancienne vie est bien réelle. Ou il ne veut pas y croire. Et puis... il a fait une mauvaise rencontre. Une très mauvaise rencontre. J'ai cru pendant un moment que j'avais perdu l'amour de ma vie. Ou de mes vies, plutôt. Je ne sais pas s'il y a un moyen de remédier à tout cela. Un électrochoc, peut-être ? Peut-être que Gringoire est ce choc dont tu as besoin et peut-être que tu t'en apercevras plus tard. S'il connait une face de ta personnalité que tu voudrais retrouver et s'il l'a vue en toi cela veut sans doute dire que cet aspect que tu recherches n'est pas mort.

Le soupir de Céleste se mêla à celui d'Anastasia. D'ordinaire, elle ne parlait pas des problèmes que sa petite vie bien rangée de femme ordinaire pouvait rencontrer. Et pourtant elle l'avait fait, alors que Céleste et elle ne se connaissaient que depuis quelques temps seulement. Mais la jeune femme avait sans doute besoin d'entendre qu'elle n'était pas la seule à se sentir perdue face à tous ces chamboulements constants que la vie à Storybrooke imposaient à ses habitants.
Anastasia était une femme pudique qui n'aimait pas se livrer et qui peinait à dire je t'aime à ceux qu'elle aimait pourtant plus que sa propre vie. Ses problèmes, elle préférait les gérer en secret, à sa manière, et se montrer forte sur la place publique. Accessoirement, c'était plus facile de s'intéresser aux ennuis des autres, ce qui l'avait sans nul doute conduit à replacer le centre de la conversation autour de Céleste. C'était mieux ainsi. De son point de vue, tout du moins. Car s'il y avait bien une chose qu'elle détestait c'était sentir les regards plein de pitié se poser sur elle. La rouquine les avait subis une fois. Elle ne comptait pas les subir une seconde fois.
Céleste la remercia, laissant un silence gênant s'installer progressivement. A présent elles étaient quittes, connaissant toutes deux les déboires de l'autre, en surface, du moins. Anya ne se serait jamais laissé aller aux détails, ne supportant pas les regards choqués, apeurés, parfois même, à l'évocation des agissements de l'homme qui partageait sa vie car elle considérait être la seule en droit de critiquer Dimitri.
En l'occurrence, elle aurait préféré que Céleste n'en parle pas mais c'était de bonne guerre, ce pourquoi elle ne s'en formalisa, se contentant d'un hochement de tête. Oui, ça allait mieux. L'orage était passé, ils pouvaient recommencer à vivre normalement jusqu'à la prochaine tempête qui n'inclurait aucune tentative de meurtre, espérons.
- Merci.
C'était au tour d'Anastasia de se montrer reconnaissante envers la sincérité de Céleste. Pour autant, elle ne comptait pas accepter son aide car elle était encore trop fière pour ça.
- S'il n'y avait pas eu... l'incident de tout à l'heure, je ne t'aurais jamais parlé de tout ça, poursuivit la jeune femme, les maintes jointes devant elle pour masquer sa nervosité face à cette conversation trop intime. La plupart des gens préfèrent que les autres croient que leur vie est mieux que la leur parce que c'est plus gratifiant qu'ils pensent qu'on est heureux et que tout va bien. Mais tout le monde a ses fêlures, ses problèmes, ses moments de doute ou ses moments de gêne intense comme celui-ci. J'aurais préféré que tu continues de croire que ma vie était un conte de fées mais tu apprendras qu'elle est aussi banale et déprimante que celle de n'importe qui. Je suis cependant heureuse de ce que j'ai. Et j'espère que tu parviendras à l'être aussi.
Sur ces mots, Anya se leva, secouant la tête face à ce beau discours qui ne lui ressemblait tellement pas. Marie aurait été bien plus crédible dans ce rôle à la limite de la philosophie.
- Tu restes la bienvenue ici. Mais je comprends que tu veuilles y aller. C'était... pour le moins extraordinaire.
Anya tâcha de se montrer nonchalante. Elle prétendrait bientôt avoir oublié que Céleste avait pété un câble, parce que c'était sans doute ce que l'intéressée souhaitait : faire comme si cette situation embarrassante n'était jamais arrivée. Mais quelque chose laissait croire à la rouquine que cette rencontre avec Gringoire aurait tôt ou tard un impact bénéfique sur la vie de Céleste.

Fin

(je sais pas si tu voulais qu'Anya la retienne ou non mais comme le rp date mieux vaut conclure et voir plus tard pour un nouveau rp :))