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 I'm bleeding out for You

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Elliot Sandman
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________________________________________ 2017-02-01, 15:25


« I count my sins and I close my eyes and I take it in.
I'm bleeding out. I'm bleeding out for you »

Elle était là.

Dans une robe fourreau noir qui épousait les courbes de sa silhouette. Des talons hauts vraiment très hauts. Des boucles d'oreilles voyantes. Un maquillage parfait, à la fois subtil et raffiné.

Elégante. Parfaite.

Je ne voyais qu'elle. Son sourire était la seule source de lumière dans cette réception terne et sans relief. Pourtant, les gens s'amusaient autour de moi. Tous ces types habillés en pingouins et ces nanas perchées sur des escarpins hors de prix... Ils n'avaient pas conscience que la seule personne qui importait vraiment était cette jeune femme brune. Ma mâchoire se crispa lorsque je pris la scène sous un plan plus large et que je vis que la jeune femme avait son bras passé sous celui du maire, Bodhi Blu Butler.

Mes poings se serrèrent et j'attrapai une flûte de champagne sur le plateau d'un serveur. L'alcool me brûla la gorge. Je déglutis avec peine, manquant de m'étrangler, mon regard perçant planté sur le charmant petit couple municipal.

Je n'aurais pas dû revenir. C'était une erreur indiscutable. Seulement, parfois, on commet une erreur en sachant très bien que c'en est une. Parce qu'on est trop faible, trop seul, trop malheureux... Peter Parker savait très bien qu'il fautait en continuant de sortir avec Gwen Stacy, mais il l'avait dans la peau, il ne pouvait lui dire adieu.

Je comprenais parfaitement les motivations de Peter Parker. Pourtant, j'avais essayé d'être plus fort que lui. Ca m'avait réussi, durant quelques temps... Puis je n'avais pas résisté à l'envie de venir la regarder, juste la regarder. Je m'étais promis de partir juste après. Il me fallait simplement m'assurer qu'elle allait bien, qu'elle ne manquait de rien. J'étais persuadé d'aller mieux si je la savais comblée.

Je vidai mon verre d'une traite, le reposai et fendis quelques groupes de personnes, bien décidé à la rejoindre. Juste quelques mots, rien de plus. Je baissai rapidement les yeux sur mon costume impeccable, tirai sur ma veste, passai une main dans mes cheveux ébourriffés. Je me sentais nerveux. Epié. Coupable. Cette sensation allait-elle disparaître un jour ?

En redressant la tête, j'aperçus un photographe se planter devant le couple municipal. Ces derniers prirent la pose avec nonchalance et naturel, main dans la main, adressant un charmant sourire à l'objectif. Ils étaient jeunes, beaux. Tout leur réussissait.

Je clignai des yeux, aveuglé par le flash même s'il n'était pas braqué sur moi. Je pris alors pleinement conscience de ce que je m'apprêtais à faire.

Qu'est-ce que tu fous ? songeai-je, parcouru d'un frisson désagréable. Va-t-en avant qu'il ne soit trop tard.

Je reculai de plusieurs pas et heurtai quelqu'un. J'entendis des grommellements, me confondis en excuses sans lever les yeux vers la personne concernée, et me dépêchai de faire demi-tour.

Mais... le mal était déjà fait.

"Vous êtes Elliot Sandman, n'est-ce pas ?"
fit une voix enjouée dans mon dos.

Je poussai un soupir et rassemblai mon courage pour pivoter de nouveau sur mes pieds. A contrecoeur, je levai les yeux vers Bodhi Blu Butler qui m'adressait un sourire sympathique. Il s'approcha de moi et poursuivit :

"Je n'ai jamais eu l'occasion de vous remercier pour la création du Lasergame. Tous les jeunes de la ville vous vénèrent, vous savez ?"

Il me tendit la main sans se départir de son sourire. Je la fixai un moment sans ciller et au prix d'un effort considérable, je la serrai brusquement avant de la lâcher. J'avais conscience de ne rien avoir répondu mais je ne me sentais pas capable d'articuler un mot en sa présence. Je me contentai de l'observer, la mâchoire serrée, prenant mon mal en patience. Derrière lui, Lily me regardait, et je sentis mon coeur s'embraser en lisant de l'intérêt dans ses yeux. Je détournai brutalement les miens pour me forcer à rester focaliser sur le maire.

"Vous ne sortez pas beaucoup. C'est dommage de ne pas vous voir plus souvent à ce genre de fête !"
dit-il, aimable. "Vous êtes le bienvenu, évidemment."

"Je suis un bourreau de travail." mentis-je d'un ton sec. "Excusez-moi."

Je m'éloignai à grands pas et cherchai une sortie, n'importe laquelle. J'ouvris une porte au hasard et me retrouvai dehors, dans une ruelle mal éclairée donnant sur les ordures. A l'image de ma vie. Bonne à jeter à la poubelle.

J'inspirai profondément et m'appuyai contre un mur de briques, renversant la tête vers les étoiles.

"Elle va bien. Tu peux disparaître, à présent."
murmurai-je à la nuit. "C'est ce que tu as fait de mieux pour elle."

Hélas, je n'étais pas certain que Lily soit heureuse. Comment vérifier ? Comment savoir ? Je m'étais fait une promesse, ce soir-là : je ne partirais que quand j'aurais eu la certitude qu'elle allait bien.

Je sursautai en entendant du bruit à côté de moi et tournai la tête. J'écarquillai les yeux en reconnaissant Lily.

Oh... non. Etait-ce mon esprit qui me jouait des tours ou était-elle vraiment là, à me regarder dans la pénombre ? Que voulait-elle ? Emu, presque timide, je l'observais, attendant qu'elle brise le silence.
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________________________________________ 2017-02-01, 19:17


« I count my sins and I close my eyes and I take it in.
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    Que voulait-il ? Son regard semblait tellement lointain. Et puis quelle idée de venir se réfugier là où se trouvaient les poubelles. Ce n'était pas le lieu le plus courtisé qui soit. Il devait en avoir gros sur le coeur pour préférer ce décors à celui de la salle des fêtes. J'essayais de capter son attention, de voir ce qui l'intriguait. Il fixait le ciel, jusqu'à ce qu'il s’aperçoive de ma présence. Là, il sursauta avant de tourner la tête dans ma direction et de me contempler d'un air ému, légèrement timide, qui m'aurait sans doute mise mal à l'aise dans d'autres circonstances. Un léger frisson me parcouru, tandis que je m'étais approchée de lui afin de lui tendre une coupe de champagne que j'avais prise à l'intérieur.

    « Je n'aime pas voir les gens tristes. Tout le monde devrait être heureux à Storybrooke. C'est la ville la plus magique qui soit ! » lui dis-je avec un grand sourire.

    Une fois qu'il eu pris le verre, j'avais bu une gorgée de mon jus de fraise et je m'étais appuyée à proximité du lieu où il se trouvait, quelques instants auparavant. J'observais à mon tour les étoiles d'un air songeur.

    « J'ai ma place dans le ciel. » murmurai-je à l'intention du jeune homme, avant de tourner ma tête dans sa direction et de le regarder droit dans les yeux.

    Au début, j'avais pris un air songeur, pour voir si il voyait à quoi je faisais allusion, puis pensant que c'était purement impossible, je lui avais adressé un petit sourire.

    « Céphée. » dis-je en m'approchant de lui et en pointant du doigt un groupement d'étoiles. « Il y a une constellation en forme de trompe d'éléphant. Bodhi l'appelle la Lily, mais son vrai nom est Céphée. »

    Je ne connaissais pas grand chose au ciel, si ce n'était ça. Et bien sûr les habituels grande et petite ours. A l'époque, il nous arrivait souvent de nous allonger sur la pelouse au dehors, juste devant mon ancien appartement, et d'observer les étoiles. C'était un moment magique qui étaient rien qu'à nous. En y repensant, j'avais laissé échapper un petit soupire nostalgique, avant de me tourner vers le garçon.

    « Lily. Lily Butler. On n'a pas encore été présenté je crois. Dans le monde d'où je viens, j'étais un éléphant. Dumbo pour être plus précise. Et vous, vous êtes Elliot Sandman, le fils de la déesse la plus magnifique qui soit et du dieu le plus... énigmatique selon les propres dires de mon époux. »

    En repensant à Hadès, j'avais sentis le rouge me monter aux joues. Je me souvenais de la fois où il avait tenté de me draguer et qu'il se l'était joué naked man. C'était bien la première fois que ça n'avait pas marché. Ca venait peut-être du fait que ce jour là, il était apparu dans mon salon, tout nu, alors que Bodhi était avec moi. On avait sursauté, c'était... étrangement magique. En tout cas j'en gardai un bon souvenir.

    « Vous ne devriez pas être là. » dis-je en buvant une nouvelle gorgée de mon jus de pomme. « C'est une belle soirée, il faut en profiter. Pourquoi ne pas rester avec nous à l'intérieur ? »

    J'avais posé ma main sur son avant bras. Je sentis le jeune homme frémir, tandis qu'un petit courant venait de passer entre nous. J'avais eu un mouvement de recul, et mon verre m'échappa des mains. Il explosa par terre, mettant du jus de fraise sur mes chaussures. On s'était pris un coup de jus en se touchant ! J'aimais pas quand ça faisait ça. Surtout que ça arrivait souvent ainsi, sans raison.

    « Je suis désolé. Faites attention à ne pas vous couper. » lui intimai-je en me reculant pour ne pas me couper à mon tour.

    J'avais fait le tour des débris pour venir une nouvelle fois près d'Elliot et lui prendre le bras en faisant attention de ne pas nous électrocuter une nouvelle fois. Ca devait être l'alcool qui provoquait cela, même si il ne semblait pas avoir touché à son verre de champagne.

    « Je suis vraiment désolé. Venez, on va vous chercher un autre verre. Et il faudra qu'on prévienne à la réception qu'un verre est brisé dehors, histoire que personne se fasse mal en marchant dessus. »

    J'étais en train d'entraîner le jeune homme à l'intérieur, quand mon téléphone sonna. Ca aussi je n'étais pas très fan de quand ça arrivait alors que j'étais occupée. Même si d'ordinaire, j'adorais recevoir des appels. J'avais entrepris de décrocher, mais juste avant, je m'étais un peu éloigné d'Elliot, en m'excusant une nouvelle fois de devoir couper notre conversation.

    « Bonjour docteur.
    - Non, vous ne me dérangez pas.
    - On est à la soirée. Mais je vous avais dit que vous pouviez me joindre quand vous aurez les résultats.
    - Ah... Oh... d'accord. Merci... »


    J'avais raccroché le téléphone, avant de le ranger dans une petite ouverture de ma robe noire. Puis, sans lui demander son autorisation, j'avais pris le verre de champagne du jeune homme, avant de le boire cul sec. De toute façon, il ne comptait pas y toucher, n'est ce pas ? J'avais eu un petit hoquet avant d'observer mon verre de jus de fraise qui gisait au loin, brisé en mille morceaux. J'en avais profité pour rendre le verre vide à son propriétaire.

    « Ca ne m'est plus interdit maintenant. Autant en profiter ! Je vous offre un autre verre ? »

    Je lui avais dit ça le regard légèrement fuyant. A dire vrai j'avais envie de tout, sauf d'entrer une nouvelle fois dans cette salle où tout le monde faisait la fête...
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________________________________________ 2017-02-06, 21:51


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Lily Butler.

Ces deux mots formaient un étrange écho dans ma tête. Désagréable et presque... lancinant. Mon âme en était écorchée.

Lily Butler.

Je savais qu'elle s'était mariée avec Bodhi. Même si ça me faisait du mal, je me tenais au courant de ce qui se passait dans sa vie. Je ne pouvais tout simplement pas l'oublier. J'étais capable de tout encaisser, absolument tout, mais pas le fait qu'elle ait pris le nom de famille de son mari. J'avais juste envie de lui faire remarquer que pour moi, elle avait préféré garder son nom de jeune fille, mais je me retins de lancer cette pique inutile. De toutes façons, elle n'aurait rien compris. Elle ne se souvenait pas. Cela faisait partie d'une autre réalité, une autre ligne de temps, dans laquelle je m'étais employé à me gommer soigneusement. Aucune séquelle, aucun souvenir pour elle. Juste la promesse d'une existence nouvelle emplie de lumière. Dépourvue de noirceur. C'était ce que j'avais fait de mieux par amour. Si je pouvais me féliciter de quelque chose, c'était bien de celle-ci.

Lorsqu'elle m'avait touché le bras, j'avais eu un sursaut ainsi qu'un frisson électrique. C'était bien trop... bien trop dur. Elle en échappa un verre de champagne qui explosa au sol. Si elle savait à quel point je me moquais de me couper...

Elle insistait pour me ramener à l'intérieur. Je n'avais pas le courage de lui résister. J'aurais pu la suivre au bout du monde.

La sonnerie d'un téléphone retentit ; je reconnus la mélodie du Train du Bonheur, ce qui m'arracha l'ombre d'un sourire amusé. Elle s'excusa et s'éloigna de quelques pas. Par politesse, je n'écoutai pas la conversation, même si j'aurais pu sans besoin de tendre l'oreille divine. La jeune femme revint quelques instants plus tard et je vis aussitôt à son expression faciale que quelque chose n'allait pas. Je me mordis les lèvres, anxieux. Elle me prit mon verre des mains et le bus d'une traite.

"Ca ne m'est plus interdit maintenant. Autant en profiter ! Je vous offre un autre verre ?"

J'eus l'impression de faire une chute depuis un gratte-ciel. Et j'avais l'impression de tomber encore quand elle m'adressa un regard fuyant.

"Vous... vous... vous... vous..."

Je bégayai complètement.

"Vous... et lui... vous...?"

Il y avait de l'amélioration, mais je n'avais pas encore retrouvé un langage cohérent.

Elliot, t'es un débile. Tu pensais vraiment qu'après le mariage, Lily n'aurait pas voulu de bébé ? Elle qui adore les enfants !

"Je suis désolé." dis-je en baissant les yeux.

Je me sentais coupable de beaucoup plus que ce que je prétendais. Ce n'était pas censé se dérouler ainsi. Lily devait être heureuse. J'avais veillé à remonter le temps pour qu'elle fasse de sa vie un rêve, sans moi. Malgré tout, ça ne fonctionnait pas.

"Je suis sûr que vous aurez un bébé, un jour."
lui assurai-je en ayant l'impression de m'enfoncer un poignard dans le ventre. "Vous ferez une maman formidable."

Je lui adressai un sourire encourageant et passai une main dans ma nuque. Un petit silence s'installa, seulement ponctué par les bruits lointains de la fête. J'ouvris la bouche pour changer de conversation mais quelqu'un me coupa la parole :

"Je me suis toujours demandé comment fonctionnait le tri sélectif."

C'était qui cet abruti ? Bodhi ? Je clignai des yeux et me retournai pour voir, avec déception, qu'il s'agissait non pas du maire mais d'un parfait inconnu. Un type engoncé dans un costume trop étroit, avec de grosses lunettes aux verres épais et une tête de rat musqué. Il tenait dans sa main une bouteille vide en plastique, ayant contenu autrefois du jus d'orange.

Si on l'ignorait, il allait peut-être se barrer ? Non, bien sûr. Ca aurait été trop demander.

Le type se plaça entre nous, tapotant sa bouteille dans sa main tout en envisageant les bennes à ordures d'un oeil dubitatif.

"Ca se jette dans celle-là."
dis-je en lui désignant la benne orange vif.

Le type tourna lentement la tête vers moi, la bouche entrouverte. Il avait un air très inquiétant avec son expression de mouton hébété.

"Vous en êtes sûr ? Cette bouteille n'est composée qu'à 95% de plastique, le reste est du carton de faible densité. Ce qu'on ignore avec les récipients, c'est que la majorité contient du carton même si elle l'apparence du plastique."

"Et alors ? Le carton et le plastique, ça se trie. Ca se met dans la même poubelle."
fis-je en haussant les épaules.

"Tout dépend du carton et du plastique. Certains ne se trient pas. A partir de là, comment savoir quand on faute ou pas ? Comment démêler le vrai du faux ? Savoir si on dépasse la limite du bon ou du mauvais tri ?"

Il était sérieux, là ? Il allait vraiment faire une thèse sur le recyclage ? Quelque part, ses paroles avaient un double sens. A moins que je devienne complètement fou...

Je me penchai en arrière pour jeter un coup d'oeil à Lily, vu que le type la cachait.

"On rentre ?"
proposai-je en chuchotant, afin qu'il ne nous entende pas.

Je mimai des jambes avec mes doigts, comme pour l'inciter à m'accompagner. Avant de sourire et de lui prendre la main pour l'entraîner à l'intérieur. Je frémis à ce contact mais contrôlai mes palpitations cardiaques pour qu'elles ne se transforment pas en coup de jus. Hors de question d'électrocuter de nouveau la jeune femme. Sentir sa peau contre la mienne me détendit et me crispa tout à la fois.

Quoi qu'il en soit, nous avions planté le type bizarre à côté des poubelles et nous étions de retour au coeur de la fête, dans la salle bondée. Hors de question de laisser Lily m'échapper. Mon idée était de choper deux coupes de champagne et de nous isoler quelque part dans un coin.

J'attrapai un plateau posé sur le buffet, sur lequel était posé plusieurs verres de champagne et pivotai vers Lily avec un sourire. Cependant, rien ne se déroula comme prévu car un invité me prit pour un serveur et se saisit de deux verres avant de partir. Un autre s'empressa de limiter et avant même que j'eus le temps de protester, mon plateau était vide. Dépité, je le posai. Mon regard tomba alors sur une bouteille de champagne encore fermée. Je l'attrapai, la planquai dans mon dos et fis signe à Lily de me suivre. Rapidement, j'empruntai l'escalier en colimaçon menant à la mezzanine. Comme je m'y attendais, elle était déserte. Quelques cartons oubliés, des tables et des chaises poussés contre le mur. Je m'élançai vers le bord de la mezzanine et m'assis en tailleur juste devant. J'aurais préféré laisser mes jambes se balancer dans le vide mais on nous aurait remarqués, de cette façon.

Je levai les yeux vers Lily qui était toujours debout. J'aurais aimé chasser les nuages qui voilaient son regard. A défaut de mieux, je tapotai l'espace à côté de moi, pour l'inciter à s'asseoir.

"Quand je vais mal, j'aime regarder les problèmes d'en haut. C'est plus facile pour avoir un meilleur point de vue."
déclarai-je tout en posant la bouteille de champagne entre nous.

En contrebas, Bodhi Butler discutait de façon animée avec une jeune femme vêtue d'une élégante robe de soirée. De loin, il donnait vraiment l'impression de pépier comme un oiseau. Normal que tout le monde l'adore. Il avait l'air sacrément sympa.

Je lançai un regard en direction de Lily. Elle semblait perdue. Je me mordis les lèvres, me sentant à la fois satisfait et terriblement mal.
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________________________________________ 2017-02-14, 13:10


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    J'observai la vie d'en haut, comme il le disait si bien. C'était assez particulier comme vision des choses. On se trouvait en hauteur et on pouvait voir les invités en train de s'amuser. Bodhi était tout beau dans son costume et il discutait avec diverses personnes. Je m'étais prêtée au jeu même si j'avais l'esprit ailleurs. Ca faisait déjà depuis pas mal de temps qu'on essayait d'avoir un enfant avec mon mari et j'en étais déjà à la troisième fausse couche. J'avais fait des examens et tout pour voir ce qui clochait, mais les médecins n'avaient rien trouvé de particulier. Du côté de Bodhi, c'était pareil. On allait tous les deux très bien. Mais j'avais opté pour une visite plus poussée, chez un médecin qui pratiquait aussi de la magie. Quelqu'un de Storybrooke, chef du service de pédiatrie et qui s'y connaissait à fond dans le domaine.

    Le médecin m'avait conseillé de faire de la marche, de me détendre, de m'aérer l'esprit. Il m'avait recommandé certaines choses qu'il fallait manger, d'autres qu'il fallait éviter, tel que l'alcool. Et puis, on pratiquait avec mon oiseau. Enfin, on faisait les choses bien, comme il fallait et on s'aimer, ce qui simplifiait la donne. Mais je n'étais toujours pas tombée enceinte. Le dernier examen devait déterminer de quoi pouvait bien provenir ce soucis. Comme m'avait dit le médecin, il avait repérer quelque chose dans mon organisme qui lui semblait particulier. Il n'avait pas trouvé de mots pour le qualifier et il attendait les résultats avant de diagnostiquer le problème. Je n'avais aucune envie de savoir ce qui m'empêchait d'avoir un enfant. Car le simple fait de ne pas pouvoir, c'était déjà dur à supporter.

    « Cassandra... » murmurai-je pour moi-même, avant de tourner la tête vers Elliot. « Je ne sais pas pourquoi. J'ai déjà fait ce rêve où j'avais un enfant. Une fille. »

    A dire vrai, je le faisais pratiquement une nuit sur deux. Et c'était toujours le même rêve.

    « Je n'ai pas de préférences entre un garçon ou une fille, mais c'est toujours une fille dans mes rêves. Je l'aurai appelée Cassandra. J'aime beaucoup ce prénom. »

    J'avais faiblement souris au jeune homme, avant de toiser une nouvelle fois la foule. Pourquoi je lui racontais tout ça ? Ca devait l'ennuyer.

    « Ca vous est déjà arrivé de rêver d'une autre vie ? »
    lui demandai-je. « Je suis bien avec Bodhi, c'est pas ça le soucis, mais je parlais d'une autre vie ? Enfin... un peu comme la malédiction. »

    Il allait véritablement me prendre pour une folle. Déjà qu'on avait tous eu deux vie, là si je lui disais que je pensais en avoir eu une troisième, ça lui faire de suite comprendre à quel point j'avais un esprit tordu.

    « C'est débile. Je suis désolé de vous infliger mes théories. Mais j'ai toujours eu la sensation que ma vie n'était pas comme je l'imaginais. Comme si tout ceci n'était pas réel. Même si ça l'est ! Et puis y'a Bodhi. Il est génial Bodhi. »

    J'avais dit cela en affichant le sourire le plus parfait possible. Et je le pensais vraiment, il était parfait, mais... y'avait quelque chose qui m'empêchait d'être totalement heureuse avec lui, et qui devait sans doute le rendre un peu malheureux... Je m'étais avancée, afin d'appuyer mes bras sur la rambarde et de poser ma tête dessus, contemplant les gens en silence.


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________________________________________ 2017-02-19, 15:30


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Elle avait... mal.

Je le ressentais à chacune de ses paroles, et pourtant je n'étais pas doué d'empathie comme tante Diane. Je connaissais si bien Lily que je savais quand elle avait de la peine. Encore une fois, c'était par ma faute. Indirectement, bien sûr. Je lui avais offert une existence de rêve, un mari parfait, mais j'avais omis l'essentiel : même avec la meilleure volonté, elle ne l'aimait pas. Elle en avait l'impression mais quelque chose lui manquait. Cassandre lui manquait. Cette révélation ne me surprit pas autant qu'elle aurait dû. En fait, j'eus même l'ombre d'un sourire à cet instant. Elle n'avait pas oublié notre fille, malgré tous les efforts que j'avais fournis sur sa mémoire. Elle existait toujours dans ses rêves.

J'avais envie de me maudire.

"Quand quelque chose ne va pas, on s'invente toujours une autre vie. On s'imagine mieux ailleurs. On idéalise ce qu'on n'a pas."
dis-je dans un soupir tout en observant la salle en contrebas. "Je ne peux plus dormir, mais j'arrive à rêver les yeux grands ouverts. Ce que je vois me fait très mal, mais je ne peux pas m'en empêcher. Je suis un peu masochiste."

Mon sourire se tordit en une grimace douloureuse. Puis, je rassemblai mon courage pour me relever. Lily s'était appuyée contre la rambarde, le regard perdu dans le vide. La raison me poussait à la quitter, à repartir dans l'ombre, loin d'elle. Mais mon corps, mon âme, tout mon être n'aspirait qu'à me rapprocher d'elle. A l'entourer de ma tendresse, à la chérir, à lui demander pardon...

Il fallait pourtant que je sois fort. Je ne pouvais pas tout gâcher. Cet équilibre était si fragile...

"On danse ?" proposai-je brusquement.

C'était exactement ce qu'il ne fallait pas faire. Je le savais et pourtant... je fonçais droit dans le mur, impatient de sentir le contact de sa main contre la mienne, son parfum dans ses cheveux, entendre son rire quand je la ferai tourner...

En contrebas, une chanson plutôt calme se fit entendre. Triste ironie du sort. Ou en tous cas une musique au rythme lent.

Je lui tendis tout de même la main avec un sourire en coin, masquant ma souffrance. On pouvait très bien danser sans sous-entendu. Alors pour quelle raison, à mesure que l'on bougeait sur la mezzanine, nos pas se transformaient-ils en slow ? Je m'étais rapproché d'elle, sentant son souffle s'accélérer alors qu'elle gardait la tête penchée. Mes mains étaient posées dans son dos, l'effleurant à peine, mon visage baissé vers le sien qui me fuyait. Avait-elle les yeux fermés ? Qui voyait-elle tandis qu'elle dansait ?

Mû par un élan dangereux, je la rapprochai de moi et respirai ses cheveux, fermant les paupières à mon tour. Mes mains caressèrent subrepticement son dos nu et les strass de sa robe fourreau. Un frisson électrique me parcourut et mes doigts tremblèrent. Je me contrôlai de justesse pour ne pas lui envoyer de décharge.

Réouvrant les yeux, ils balayèrent la salle en contrebas, par-dessus la tête de Lily dansant toujours tout contre moi.

Je croisai alors le regard bleu glacier de Bodhi Blu Butler. Ils nous fixaient, la tête levée, la main crispée sur sa flûte de champagne. Puis, il battit des cils et poursuivit sa conversation avec la personne à côté de lui, esquissant même un sourire aimable. Pourtant, je ne pouvais nier l'évidence : il nous avait vus. Et il avait compris ce qu'il avait vu.

Devais-je en faire part à Lily ?

Je n'arrivais pas à l'éloigner de moi. Il me semblait qu'elle s'accrochait, qu'elle ne voulait pas que ce moment s'arrête.

Je pris une grande inspiration et interrompis notre danse. Ses yeux papillonnèrent comme si elle s'éveillait d'un doux rêve.

"Vous devriez retrouver votre mari. Il doit vous chercher."
déclarai-je, la gorge sèche et le regard fuyant.

L'invitation au voyage s'arrêtait là. De préférence, avant le crash.
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pour Halloween... un déguisement...
mais ça fait mal... »


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________________________________________ 2017-02-27, 13:32


Le Temps est parfois cruel...
Les rêves le sont tout autant.


    « Merde. » s'exclama l'homme qui se tenait debout devant moi.

    J'avais délicatement levée la tête dans sa direction, clignant légèrement des yeux, fatiguée. Je me trouvais assise sur un lit plutôt dur, aménagé de draps blancs. La pièce tout autour de moi était blanche elle aussi et il y avait les rayons du soleil qui entraient pas une grande fenêtre verrouillée.

    « Je suis désolée... »

    « Faut pas, c'est pas de ta faute. Ni la mienne. Je ne crois pas... » ajouta t'il après une petite hésitation. « Mais merde quoi ! »

    J'avais légèrement froncer mon front, sentant une douleur monter dans mon crâne. Elle était persistante depuis quelque jours. L'homme s'était approché, se sentant sans doute responsable de m'avoir fait mal en haussant trop la voix. Il avait pris place à côté de moi, hésitant à me toucher ou non.

    « Y'a certains alcool qui peuvent faire passer les maux de crâne, mais après le hic c'est que ça rend un peu trop happy. Et puis, généralement les maux de crâne reviennent le matin, mais ça soulage au moins pour la nuit. »

    « Ca va aller. Merci. J'ai ce qui me faut. » dis-je en désignant des cachets sur le bord de la table de nuit. « On m'en donne suffisamment pour faire partit la douleur et pour me détendre. »

    « Mais putain, pourquoi on ne m'a pas avertis de suite ? Je pensais que je captais la télé ou quelque chose de ce genre. Pas que j'avais dans ma tête quelqu'un ! »

    « Je n'y étais pas vraiment. Et j'ai aussi subi une intrusion. » répondis-je en prenant mon temps pour parler, vue que j'avais un mal fou à articuler.

    « Ouais ! Heureusement qu'il n'y a pas de responsable, car sinon il passerait un mauvais quart d'heure. C'est vrai quoi ! Y'a un moment où faut arrêter les conneries et ne pas jouer avec la vie des gens ! C'est hallucinant le nombre de gens qui jouent avec la vie des autres. »

    Pour accentuer sa phrase, il s'était levé. Sans doute qu'il avait la sensation d'être plus convaincant en étant debout. Bien que même assis, il me dépassait d'une tête.

    « J'ai vue un mec une fois, il a voulu passer devant moi dans le métro parisien. Le métro quoi ! Tout le monde est déjà assez stressé dedans pour pas qu'on nous gonfle en nous passant devant. C'est par la peau des fesses que je l'ai amené chez les gens casqués. »

    J'avais souris, me rendant compte que pour un dieu, il se compliquait beaucoup la vie. Du coup, une nouvelle douleur s'était emparée de ma tête et j'avais dû m'allonger pour me reposer un peu.

    « C'est ça, faut t'allonger ça va aller beaucoup mieux. Et puis, de toute façon c'est rien de bien dramatique. On fait tous des petites dépressions de temps en temps. Je me suis mis dans l'alcool quand j'ai appris qu'Aphrodite était enceinte d'Elliot. T'imagines ? Elle a couchée avec Hadès pour l'avoir. Comme si j'en aurai pas été capable moi-même ! »

    Je l'avais vue se brouiller, puis, il était venu s'asseoir sur le lit à côté de moi. Il avait sortit un mouchoir de sa poche de pantalon. C'était un mouchoir en tissus, fait main. Il l'avait passé sur mes yeux. Je ne me rendais même pas compte que je pleurais.

    « Faut pas te mettre dans tous ces états. C'est pas grave. J'ai oublié avec le temps. Et puis, j'aime bien mon Elliot. De toute façon, c'est moi son père. L'autre imbécile vient même pas le voir ! Trop occupé avec ses putes du Rabbit Hole ! »

    « J'ai... j'aimerai... »
    articulai-je en faisant comprendre au dieu que j'avais besoin de me reposer.

    « Pas de soucis ! Je vais te laisser. Je monte la garde devant la porte. Et faudra ouvrir cette fenêtre, on ne respire pas ici. Ils croient quoi ? Que tu vas te suicider ? Attends que je vais leur toucher deux mots. Tu te reposes, je leur règle leur compte et je reviens dans quelques heures avec un vrai repas et pas le potage qu'ils servent ici. C'est de la grosse merde, y'a pas photo ! »

    Il s'était penché vers moi et j'avais sentis le contact de ses lèvres sur mon front. Puis, je ne l'avais pas vue partir, mais j'avais entendu la porte se fermer. Tout devenait flou, j'avais besoin de me reposer.


    « Ah ben tiens, Elliot ! Viens leur dire ! Ce sont des imbéciles ! »

    « Monsieur, vous ne pouvez pas crier dans cet établissement. »

    « De quoi je me mêle le petit interne ? Tu veux que je te fasse visiter Paris à vol d'oiseau ? Départ immédiat d'ici dans 30 secondes si tu me redis encore une fois de rester calme ! »

    François s'énervait avec des employés de l'hôpital où je me trouvais. Je ne pouvais pas lui en vouloir, moi aussi j'aurai aimé leur crier dessus. On n'était pas ce qu'on pouvait dire, de bien traité ici. La nourriture était fade. La chambre ordinaire et trop blanche. Y'avait de quoi déprimer. On verrouillait notre porte et les fenêtres pour pas qu'on s'échappe ou qu'on se suicide, mais c'était cet espace qui donnait envie de se trancher les veines. J'avais été amenée là suite à une petite crise, suivie d'une perte de connaissance et de diverses divagations.

    Au début ça allait encore bien avec Bodhi. Mais petit à petit, je devenais violente sans même m'en rendre compte. Je ne lui en voulais pas de m'avoir amenée ici. Je devais me reposer. Et puis, c'était mieux pour nous tous les deux. Tout comme le fait qu'il ne devait pas me rendre visite lors des premières semaines. Sauf que ça faisait déjà deux mois et que j'avais eu le droit de voir personne en dehors des infirmiers. C'était un véritable Enfer ici. Du coup les rêves se faisaient de plus en plus présent et je les faisais même éveillés. Je le voyais lui, ce grand type qui devait avoir dans la cinquantaine et qui jurait en continu.

    Ca m'avait pris du temps pour me rendre compte qu'il était bel et bien réel. Et à dire vrai, au début je ne l'avais pas cru. Jusqu'au jour, où j'avais eu une de ces nouvelles crises, que je m'étais retrouvée par terre, sans pouvoir appeler qui que ce soit, et que ma seule pensée avait été pour lui. Il était apparu comme ça dans ma chambre et tout avait été bousculé. Au début, pour lui aussi c'était incompréhensible. On avait créé comme un lien lui et moi ? Un dieu... et moi. J'étais quelqu'un de totalement insignifiante et le jour où je devenais folle, voilà que quelque chose d'incroyable m'arrivait.

    « On va aller à côté, on sera plus calme, car ici les infirmiers sont bruyants et irrespectueux ! »

    François avait entraîné Elliot dans une pièce voisine. C'était lui qui l'avait appelé. Je le savais, car mon lien avec le dieu était encore très fort. Et c'était généralement quand mon esprit se mettait au repos, lors de mes absences, que je pouvais voir ce qu'il faisait, et entendre ce qu'il disait. C'était comme si j'étais dans sa tête. C'était absurde et surréaliste. Peut-être que ça faisait partit de ma folie et que ce n'était pas réel, mais c'était l'une des seules choses qui me restait.

    « Tu te rappelles de ce Bodhi et sa femme ? La petite, toute mignonne ? Ben elle est ici. Ca fait déjà plusieurs mois. Elle fait des crises de je ne sais pas trop quoi. Mais un truc de dingue m'est arrivé et lui est arrivé ! Ca nous est arrivé ! On est connecté. Je suis arrivé ici uniquement parce qu'elle était là. » dit-il en tapotant de son index sur sa tête.

    C'était un truc de dingue !

    « Tu y crois ça ? C'est comme si elle était dans ma tête. Ca fait déjà plusieurs jours que je viens la voir. Elle a un sacré problème. Mental oui, mais je parle surtout avec ces mecs incapable de s'occuper correctement d'elle. Bande de ploucs !! » hurla t'il, pour qu'on l'entende à travers la porte.

    C'était une réaction peut-être un peu exagérer, mais ça me faisait plaisir que ça le soucis tellement que j'allais mal. Et qu'il portait une réelle importance à ce lien qui nous unissait.

    « Bon, c'est pas tout ça, mais je t'ai demandé de venir... »

    Je ne m'étais pas posée la question de pourquoi il avait demandé à Elliot de venir. C'était vrai ça... Pourquoi il l'avait appelé ?

    « ... parce qu'elle peut être dans ma tête, mais j'ai la sensation de pouvoir aussi être dans la sienne. Je comprend mieux certains rêves maintenant et des choses que je voyais qui ne me semblaient pas réel. Mais apparemment si. Enfin tout est plus clair maintenant ! »

    Il ne m'avait pas dit qu'il avait lui aussi un lien avec moi. Ca voulait dire qu'il était entré dans ma tête ? Ou qu'il y était encore en ce moment même ? Est-ce qu'il devait dormir comme moir, afin d'avoir la connection ? Mais je croyais que les dieux ne dormaient pas ?

    « Tout ce que je vois de logique, c'est ce qu'elle fait réellement, et les trucs illogiques comme quand elle volait avec de grandes oreilles et son corps d'humaine, c'était ses rêves. Des rêves bizarre, mais bon, c'est un éléphant ou plutôt ça l'était. Tu sais que je me suis toujours dit que ce n'était pas normal ce genre de changement et qu'ils allaient tous finir dans un endroit comme celui là ? Qui supportait d'avoir été un raton laveur et aujourd'hui le maire de la ville ? Ou un oiseau. Je ne suis plus très sûr de quel animal il s'agissait. Bref, t'es tellement présent dans ses rêves que je me dis que t'as peut-être déréglé un truc ou je ne sais quoi. Tu l'as embrassé ? C'est tellement réaliste dans ses rêves. »

    Il se trompait. Je n'avais jamais embrassé Elliot. On s'était à peine croisé lors d'un bal organisé par la mairie et on avait un peu parlé, mais c'était tout. Qui plus est, je ne rêvais jamais de lui. Je rêvais quasiment chaque nuit de Bodhi. J'en étais persuadée. Il se trompait. Il ne pouvait que se tromper.
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________________________________________ 2017-03-05, 22:18

J'étais admirable en tout, j'en avais conscience. Pour n'importe qui, j'étais la réalisation intégrale du rêve américain : réussite sociale et professionnelle. J'avais une voiture de fonction ainsi que ma Deux Chevaux bleue que je faisais entretenir avec un soin minutieux ; un cercle de connaissances étendue ; plusieurs zéros alignés sur mon compte en banque ; une épouse ravissante. Pourtant, j'avais failli au plus important des devoirs : ces derniers mois, j'avais été un très mauvais mari. Je m'en voulais terriblement.

Lily avait sombré dans une démence inquiétante et les spécialistes m'avaient conseillé de la placer dans un établissement psychiatrique. Ce genre d'endroit me faisait frémir pour je ne sais quelle raison, et j'étais certain que si j'avais encore des plumes sur le corps, elles se seraient dressées d'épouvante. Pourquoi ce lieu m'inspirait autant de répulsion et de crainte ? J'avais refusé tout d'abord, catégorique, mais le manque d'attention fit chuter davantage ma bien-aimée. Je n'avais eu d'autre choix que de la confier à l'hôpital psychiatrique. Les médecins m'avaient spécifié que les visites seraient formellement interdites les premiers mois, le temps de laisser à Lily la possibilité de différencier la réalité et les hallucinations. Je téléphonais souvent à l'accueil afin de demander de ses nouvelles, et ils m'informaient aimablement sans jamais entrer dans les détails.

Cette situation me mettait au supplice.

Au fil du temps, j'avais été moins attentif dans mon travail. Je ne pensais qu'à elle. Je me demandais comment elle allait, et j'en voulais aux médecins de me conseiller de rester loin d'elle. J'étais persuadé d'être plus utile à ses côtés. Pourtant, je devais me plier à l'avis médical.

Peu à peu, mes collaborateurs et le conseil municipal s'aperçurent que j'avais la tête ailleurs. Hélas, quand on est le maire d'une ville, on ne peut être remplacé. On doit se donner corps et âme pour la cause à laquelle on a prêté serment.

Ce jour-là était entouré en rouge sur le calendrier, le premier jour des visites autorisées. Je m'étais levé tôt, comme d'habitude, et j'avais même fredonné l'air d'une mélodie enjouée, celle du Train du Bonheur. Je ne chantais plus depuis des années, la faute à mon travail trop prenant. Pour tout avouer, je ne faisais plus grand-chose d'amusant depuis que j'étais devenu maire. En me présentant aux élections, j'avais cru pouvoir allier devoir et passion, mais j'avais appris au fil du temps que les loisirs doivent être mis de côté quand on rêve à trop d'ambition. Mon ami Eddie ne l'avait pas supporté et avait roulé sa bosse ailleurs. Depuis que nous nous étions fâchés, je n'avais aucune nouvelle de lui. J'y pensais souvent. J'espérais qu'il allait bien. De cela aussi, je me sentais coupable.

J'avais la sensation que tous les êtres auxquels je tenais m'échappaient. Etait-ce moi qui les abîmais ?

Je m'étais rasé, juste de ce qu'il fallait pour laisser un léger duvet sur le menton et les joues, car Lily aimait bien quand "son oiseau avait un air faussement négligé". J'avais enfilé un jean ainsi qu'une chemise à carreaux bleue, assortie à mes yeux, et des baskets. Cela faisait si longtemps que j'avais pas porté de tenue décontractée que lorsque je me vis dans le miroir, je crus remonter dans le temps, plusieurs années en arrière. J'espérais que cette apparition fasse plaisir à Lily, et l'aide à redevenir elle-même. J'aspirais à retrouver celui que j'étais autrefois, bohème, exubérant, oiseau moqueur et chanteur.

Je pris la route au volant de ma Deux Chevaux bleue qui faisait un bruit pétaradant, un sourire rêveur aux lèvres, puis me garai sur le parking de l'hôpital. Je pris le bouquet de roses rouges sur le siège passager -cinq, comme le nombre d'années passées ensemble- le humai et me dirigeai vers le hall. Dans la poche de ma chemise, j'avais également glissé une boîte de chocolats de chez Robyn, car je savais qu'elle les adorait.

La secrétaire de l'accueil m'indiqua le numéro de la chambre et alors que je traversais la salle d'attente, je perçus les bribes d'une conversation étonnante :

« Tout ce que je vois de logique, c'est ce qu'elle fait réellement, et les trucs illogiques comme quand elle volait avec de grandes oreilles et son corps d'humaine, c'était ses rêves. Des rêves bizarre, mais bon, c'est un éléphant ou plutôt ça l'était. Tu sais que je me suis toujours dit que ce n'était pas normal ce genre de changement et qu'ils allaient tous finir dans un endroit comme celui là ? Qui supportait d'avoir été un raton laveur et aujourd'hui le maire de la ville ? Ou un oiseau. Je ne suis plus très sûr de quel animal il s'agissait. Bref, t'es tellement présent dans ses rêves que je me dis que t'as peut-être déréglé un truc ou je ne sais quoi. Tu l'as embrassé ? C'est tellement réaliste dans ses rêves. »

Un homme d'une cinquantaine d'années parlait à un autre beaucoup plus jeune, dont le visage perdait ses couleurs de seconde en seconde. Il s'agissait d'Elliot Sandman. Je me souvenais très bien de lui, même si je ne l'avais pas revu depuis la fête organisée à la mairie. En tous les cas, l'homme d'âge mûr -François Sandman, le dieu de l'ivresse- avait mentionné Lily. Je m'étais stoppé afin d'écouter la suite, sans me retourner afin qu'ils ne me remarquent pas. Hélas, je me souvins un peu tard que les dieux étaient capables de percevoir l'aura des autres.

Elliot agrippa mon épaule et me fit pivoter avant de me plaquer brutalement contre le mur. Avant que je puisse réagir, son autre main appuya contre ma gorge, l'enserrant avec une force qui me coupa le souffle. Ses yeux injectés de sang se plantèrent dans les miens alors que son teint cireux m'évoquait celle d'un fantôme.

"Pourquoi vous lui avez fait ça ?" articula-t-il d'un ton à la fois courroucé et écoeuré.

Je sentais qu'il se retenait d'écraser ma misérable nuque comme un fruit trop mûr. Je le fixai, tétanisé. Je ne pouvais rien faire contre une telle puissance. Je n'essayais même pas de le repousser. Quelque part, je savais que je méritais ce châtiment. Je me sentais déjà si coupable...

"Monsieur ! Vous êtes fou ? Lâchez monsieur le maire !"
s'écria la secrétaire avant de composer un numéro d'urgence sur son téléphone.

Elliot l'ignora, continuant de me fixer. Des braises ardentes dansaient dans ses yeux. Je tentai de prononcer quelques mots mais ne parvins qu'à produire des sons étranglés. Il relâcha légèrement la pression sur ma gorge, me permettant de respirer. A peine.

"Je... je n'avais pas le... choix..."

"Pas le choix ?" répliqua-t-il d'un ton acide. "Tu te fous de moi ?"

Je lui lançai un regard incendiaire et rassemblai mes forces pour tenter de le repousser. Il me relâcha, mais uniquement parce qu'il le désirait. Je ne l'impressionnais pas. Je voyais bien que je n'étais qu'un insecte pour lui.

Je toussai plusieurs fois. Un souffle sifflant s'échappait de ma gorge. La main plaquée dessus, je déclarai froidement, dans un filet de voix :

"Elle... va mal. C'est par amour que... j'ai fait ça."

Je savais pour quelle raison il réagissait aussi violemment. Je n'étais pas dupe : je me souvenais l'avoir vu danser très étroitement avec Lily, le soir de la fête. Il avait des sentiments pour elle. Je m'en moquais. Ce qui nous unissait était bien plus profond. Il n'avait aucun droit de venir me faire la leçon.

"Tu l'as embrassée ? C'est tellement réaliste dans ses rêves."

Les paroles de François Sandman me revinrent en plein visage, comme une gifle, et je me redressai pour considérer Elliot d'un oeil méfiant. Je ne doutais pas de la femme que j'avais épousée. Je savais qu'elle ne m'avait pas trompée. Quelque chose la rendait malade mais les médecins m'avaient assuré qu'elle allait mieux.

"Je vais lui rendre visite. Je suis venu pour ça." dis-je en tirant sur ma chemise froissée. "Qu'avez-vous fait pour elle, hormis le joli coeur ?"

Feignant le calme, je me penchai pour ramasser le bouquet de roses qui était tombé durant l'agression. Puis je me tournai vers les agents de sécurité qui approchaient.

"Ne faites rien. L'affaire est réglée."
dis-je en prenant une grande inspiration.

Les hommes se regardèrent, indécis, mais je leur assurai qu'il n'y avait aucun problème. Je n'accordai pas un regard de plus à Elliot et François Sandman. J'évitai au propriétaire du lasergame des démêlés avec la police.

J'empruntai le couloir de l'aide psychiatrique quand j'entendis des pas précipités dans mon dos.

"Je vous accompagne." décida Elliot en passant à côté de moi sans s'arrêter.

A la réflexion, j'aurais dû le laisser se faire embarquer par la police. Encore une fois, j'avais été trop clément.

"Vous ne pensez pas en avoir déjà assez fait ?" fis-je en l'attrapant par le bras afin de le faire arrêter.

Il s'immobilisa et son regard tomba lentement sur ma main. Je ne l'enlevai pas.

"Qu'espérez-vous ?" lui demandai-je, à la fois intrigué et agacé par son comportement. "Que va-t-elle faire en vous voyant ? Vous sauter au cou ? Vous dire qu'elle ne rêve que de vous ? Même si c'est vrai, même si TOUT est vrai, ça ne l'est que dans sa tête. Vous comprenez ? J'ignore pour quelle raison c'est tombé sur vous, mais si vous l'aimez vraiment, vous devez la laisser tranquille. S'il vous plaît."

C'est à elle de décider, songeai-je alors qu'une vague de chagrin montait en moi.

Elliot soutint mon regard sans ciller, la mâchoire contractée. Il semblait toujours traversé par mille vent contraires. Un tic nerveux agitait sa paupière droite.

Un silence s'installa. Il s'écoula un certain temps avant que je ne lâche enfin son bras pour abaisser la poignée de la porte. Retenant mon souffle, je passai devant lui et entrai dans la chambre de Lily.

En jetant un coup d'oeil par-dessus mon épaule, je remarquai qu'il avait disparu.

Alors, je tournai la tête vers la jeune femme assise au bord du lit. Je vis toute la tristesse de cette pièce, tout ce que je lui avais fait subir en croyant lui venir en aide, et je voulus lui demander pardon.

Mais, comme on est tous un peu lâche quand on aime un peu trop, je me tus et levai le bouquet dans sa direction avec un grand sourire humide. Elle ne passerait pas une seconde de plus dans cet endroit. J'allais être présent pour elle, la chérir tel que je l'avais promis le jour où je l'avais épousée.

Et peut-être qu'alors -peut-être- elle finirait par oublier ses rêves de bonheur parfait avec un autre...?

Mon coeur emplumé eut un tressautement chaotique.
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