"On va flirter ! On va FLIRTER ! Tu te rends compte, Lily ? Je vais flirter avec Jeremiel ! Même si je suis sûre qu'il va trouver un moyen pour s'en aller..."

Malgré ma joie, une ride soucieuse barra mon front. J'attendais tellement ce moment ! Je me doutais que flirter avec lui serait bien plus agréable que de le faire avec Barry, le garçon que j'avais rencontré dans un bar grâce à mon amie Jezabel. Ce dernier avait cherché à me lécher par tous les moyens. J'avais trouvé cela vraiment bizarre. J'aime lécher des choses, mais on m'avait toujours dit de rester "correcte" avec les Deux Jambes. A croire que les humains étaient perturbés quand on approchait sa langue d'un peu trop près...

"Arrête de sautiller, je n'arrive pas à terminer de te maquiller !" dit Lily avec un sourire amusé.

Je croisai son regard et y lus autant de bonheur que dans le mien. Elle était heureuse que je le sois. Les amis, c'est vraiment le cadeau le plus précieux au monde. Je m'efforçai de rester calme même si mes petits pieds trépignaient d'impatience. Lily se tenait devant moi et me demanda d'avancer les lèvres afin qu'elle applique un drôle de tube dessus. Puis, elle me colla un miroir devant le nez et je battis des cils, époustouflée. J'avais l'air très... différente.

"On dirait que je suis... toi !" fis-je, en plaquant une main devant ma bouche.

Je l'écartai aussitôt car j'avais enlevé une bonne partie du rose nacré qu'il y avait sur mes lèvres. Dépitée, j'observai mes doigts colorés. Lily secoua la tête avec un petit rire, et appliqua une nouvelle couche de rouge sur ma bouche.

"Tu es toute jolie !" m'assura-t-elle. "Encore plus que pour le mariage !"

"Tu as des paillettes ? J'aime les paillettes." lui confiai-je en baissant les yeux.

"Hum... pour ce genre de rendez-vous, mieux vaut éviter d'être trop bling-bling."

Bling-bling, d'accord. Je hochai la tête même si je n'avais aucune idée de ce que voulait dire ce mot. Et mon dictionnaire était hors de portée. Je l'avais oublié chez Evelyn.

Une fois prête, je me dirigeai timidement vers le miroir, toute pimpante dans une petite robe blanche en dentelle avec des collants bleu ciel. Des bottines noires aux pieds ainsi qu'un manteau sombre cintré. Lily m'avait conseillée. Mes longs cheveux d'or blanc flottaient librement sur mes épaules, seulement retenus par une pince argentée.

"Il ne pourra pas s'enfuir." m'assura Lily. "Neil et Anatole ont tout fait pour qu'il honore son pari."

Je ne compris pas davantage mais j'étais rassurée de savoir que Jeremiel soit obligé de rester à ce fameux "speed dating".

Une heure plus tard, nous étions donc l'un en face de l'autre, avec une boîte remplie de questions posée au milieu de la petite table carrée. Jeremiel venait de m'en poser deux mais n'avait pas attendu mes réponses. Déjà il parlait de partir. Je croisai les bras. Jusqu'à maintenant, j'avais gardé un grand sourire aux lèvres, observant tout autour de moi avec émerveillement. Tellement de gens était rassemblé ici dans le seul but de flirter ! C'était adorable. Lily m'avait tout bien expliqué le fonctionnement. Mais Jeremiel me faisait mal au coeur en émettant déjà le souhait de s'en aller. Il dut s'en apercevoir car il fit un effort en me posant une autre question. Il n'empêche que je ne l'avais jamais autant entendu parler en si peu de temps.

"Si la personne en face de vous se trouvait être celle qui vous donnait une raison de vous trouver là, une raison de vivre et que vous aviez simplement envie de mieux la connaître, vous lui demanderiez quoi ?"

Je relevai aussitôt la tête, ouvrant de grands yeux ingénus, et sans réfléchir, je répondis :

"Je n'aurais rien à te demander car le fait que tu te trouves ici me prouve déjà que tu tiens à moi. Je sais que ce n'est pas qu'une question de pari. Tu veux me faire plaisir et j'apprécie le geste. Si tu veux, on pourra aller couper du bois ensuite, ou aller pêcher dans l'étang sans poisson ! Enfin faire quelque chose que tu aimes !"

Je lui adressai un autre sourire, me mordis un peu les lèvres et très inspirée par mes propres paroles, j'enchaînai sur les deux autres questions qu'il m'avait posées :

"Je ne t'ai jamais vu porter de robe mais il faudrait essayer pour savoir... Quant à la nuit de noces, je n'ai pas très bien compris. C'est quoi Arendelle ? Et je ne connais pas de monsieur Bob l'Eponge alors je trouverais ça très impoli de venir chez lui."

Je tapotai des doigts sur la table, toute heureuse de cet échange, et plongeai la main dans la boîte au centre de la table. J'en sortis trois feuilles cartonnées. Je dépliai la première et lus :

"A quoi est-ce que ça te servirait d'avoir un enfant ?"

Je fronçai les sourcils et levai les yeux vers Jeremiel, qui émit une sorte de soupir.

"Tu es plutôt du genre bébé unique ou tu veux une équipe de foot ?"

Une équipe de foot, vraiment ? C'était étrange de vouloir autant d'enfants uniquement pour jouer avec un ballon. Les Deux Jambes sont vraiment des spécimens très étranges. Quoi qu'il en soit, c'était la première fois que nous discutions de ce genre de choses tous les deux.

"Si un jour j'ai un bébé, je veux le garder looongtemps avec moi. Mais j'espère que l'oeuf ne sera pas trop gros parce que ça risque de faire mal sinon."

Je n'étais pas certaine d'avoir le droit de répondre moi-même à la question, mais je l'avais pris tout de même. Je trouvais important qu'il ait mon avis. Cela servait à ça une conversation, non ?

"Tu aimerais mieux une fille ou un garçon ? Un petit Jeremiel ou une petite... Jeremia ?" achevai-je d'un ton hésitant.

J'avais posé la dernière question sans le lâcher des yeux. Puis je m'accoudai à la table et posai mon menton entre mes mains, impatiente qu'il réponde.

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Mon regard s'assombrit alors que Jeremiel m'assurait qu'il n'y aurait pas d'oeuf. Comment pouvait-il en être certain ? Jusqu'à preuve du contraire, il n'était pas spécialiste en dinosaure ! Il était même loin de s'y connaître. Je tapotai des doigts contre mes joues, avant d'enlever mes mains et de les glisser entre mes cuisses, la tête penchée. Je n'avais pas envie d'entrer dans ce débat. Je savais très bien de quoi je parlais. Les diplodocus pondent des oeufs. J'étais moi-même sortie d'une coquille le jour de ma naissance, accueillie par les regards attendris de Maman et de mes grand-parents. Jeremiel n'y connaissait rien. Cependant, c'était la première fois que je m'imaginais abriter la vie dans mon ventre. Jusqu'à maintenant, jamais je n'avais songé à avoir des enfants. Ce Speed Dating était décidément très intéressant. Il permettait de se poser de bonnes questions. En plus, il était vital que j'ai des bébés afin que les dinosaures ne soient plus une espèce disparue. Je ne m'étais jamais rendue compte de l'importance de cette action. Il fallait vraiment que je me renseigne sur cette histoire de reproduction. Il en allait de la survie des diplodocus !

Jeremiel avait déjà changé de sujet. Il venait de me poser une autre question, puis encore une autre. Pourquoi ne me laissait-il pas le temps de répondre ? Ce n'était pas du jeu ! Je clignai des yeux alors qu'il mentionnait ses épaules. Indécise, je me contentai de l'observer, m'attardant sur cette partie de son corps avant de hocher la tête. Il avait raison. Elles étaient solides. Et donc, il n'aimait pas ses cheveux. Je laissai échapper un petit sourire. Moi, je les trouvais rigolos. Ils étaient toujours de travers et un peu gras.

"Je ne savais pas que tu essayais de les coiffer." lui avouai-je sans cesser de sourire. "Si tu avais un miroir dans ta cabane, tu y arriverais mieux. Je demanderai conseil à Lily. Elle a pleins de produits qui sentent bizarres pour mettre dans les cheveux."

Il eut une sorte de moue que j'ignorai. Je savais qu'il n'aimait pas que je me mêle de ses soucis mais je souhaitais seulement l'aider. Quel mal y avait-il à ça ?

Il me demanda ensuite quelle chanson résumait le mieux notre relation. Je me penchai aussitôt là-dessus, très concentrée. Je ne connaissais pas les titres des musiques mais je commençais à en entendre beaucoup. Aussi je me mis à fredonner un air tout en tapotant sur un gobelet vide posé sur la table. Je l'avais retourné et je le soulevai de temps à autre en rythme avec les quelques paroles dont je me souvenais :

"When I'm gone, when I'm gone
You're gonna miss me when I'm gone
You're gonna miss me by my hair
You're gonna miss me everywhere, oh
You're gonna miss me when I'm gone"

"Tes yeux."

Je me stoppai net dans mon élan, avec mon gobelet en mains, mes yeux écarquillés sur Jeremiel. Mes yeux... Comment ça "mes yeux" ? Est-ce que c'était le titre d'une chanson ? Je tapai par deux fois dans mes mains comme si je terminais la chanson, déstabilisée. Il fixait les cartons comme s'il les trouvait subitement très fascinants.

Je décidai de reposer le gobelet. Et de me saisir d'un carton. Mais juste avant, je songeai qu'il était poli de répondre à sa question.

"Ton cou. Je le trouve robuste et large. Ca change des autres cous que j'ai déjà pu voir."

Je hochai la tête plusieurs fois afin qu'il sache que je ne plaisantais pas. Il n'y avait pas de place pour l'humour en matière de cou.

Je baissai ensuite les yeux sur les questions.

"Si tu ne pouvais prendre qu'une seule chose sur une île déserte, ça serait laquelle ?"

Je croisai son regard et lui souris, avant d'enchaîner :

"Si tu voyais la personne que tu aimes ligotée et retenue prisonnière par des indigènes cannibales, que ferais-tu ?"

Je plaquai une main contre ma bouche, choquée par le contenu de cette question.

"C'est affreusement cruel ! Tu imagines si la personne que tu aimes se fait dévorer ? Une fois, j'ai vu une Tête Plate se faire manger par un Dent Tranchante ! C'était horrible..."

Mes lèvres tremblèrent à ce souvenir.

"On n'est jamais en sécurité." fis-je, anxieuse. "Si tu connaissais un endroit sûr à l'abri de tout danger, tu m'y emmènerais ?"

La question était sortie toute seule. J'aurais tellement souhaité retourner dans la Grande Vallée. Là-bas, rien de mal ne pouvait arriver. Je ne savais toujours pas pour quelle raison j'y avais été arrachée. Avais-je fait quelque chose de mal ? Brusquement, la solution me parvint. J'ouvris de grands yeux et relevant la tête, je les plongeai dans ceux de Jeremiel :

"On m'a arrachée de la Grande Vallée pour que je fasse revivre les dinosaures. Je dois repeupler la planète avec tous les oeufs que je vais avoir ! C'est forcément ça ! Comment ai-je pu mettre autant de temps pour comprendre ? C'était si simple !"

J'attrapai brutalement la main de Jeremiel posée sur la table et la serrant avec force, je lui demandai d'un air presque implorant :

"Tu vas m'aider, n'est-ce pas ?"


A quelques tables de là,
parmi les jeux de l'amour et du hasard...

La fillette qui n'en était pas une gardait la tête rentrée dans les épaules. Son regard perçant était planté dans celui du jeune homme assis face à elle, qui arborait un large sourire. Il était ravi de se trouver dans cet endroit, alors qu'elle aurait préféré subir le supplice de la roue plutôt que de rester une seconde de plus. De temps à autres, elle jetait des coups d'oeil de sollicitude en direction de Jeremiel, comprenant parfaitement le tourment dans lequel il se trouvait.

"Je ne répondrai pas à cette question, ni à aucune autre." trancha-t-elle, catégorique, tout en croisant les bras.

C'était puéril, tout ce jeu était puéril. Le pari qu'elle avait perdu était forcément truqué. Anatole venait plus ou moins de le lui dire.

"L'organisateur a failli ne pas me laisser entrer en raison de mon âge. Par conséquent, je n'ai aucune obligation de participer. Je tiens ma part du marché en étant physiquement présente. C'est tout."

Elle était sûre de son fait. Elle soutint le regard larmoyant d'Anatole. Il se moquait d'elle. Elle plissa des yeux, tiqua. Et consentit à prendre un carton qu'elle lut de mauvaise grâce :

"S'il y avait quelque chose à changer dans mon physique, ça serait quoi d'après toi ?"

Elle soupira et plaqua une main contre son front, avant d'enchaîner :

"Tu vas dire que tu préfères mon apparence adulte. Ce jeu n'a aucun intérêt."

D'un geste agacé, elle jeta le carton qui voleta jusqu'au sol et fit apparaître le livre Le Retour du Roi derrière lequel elle se cacha. Elle aurait tout aussi bien pu brandir un panneau "Ne pas déranger".

.

Les paroles de Jeremiel me trottaient dans la tête tandis que nous marchions dans le zoo enténébré. Il nous avait téléportés illico. L'endroit était empli de cris d'animaux étranges et différents. Ca me faisait toujours bizarre d'aller au zoo, d'être entourée de tous ces bruits inconnus. Les dinosaures en faisaient d'autres, les Deux Jambes aussi. Malgré tout, j'aimais cette diversité. Quelque part, ça me prouvait que l'on était tous différents mais capables de vivre en harmonie. Ca faisait du bien d'en avoir la preuve, quelquefois.

Apaisée, je soupirai et un nuage de buée s'échappa de ma bouche. Emerveillée, je le regardai s'évanouir dans l'air glacé. Je soufflai plusieurs fois, amusée par ce panache blanchâtre que je créais grâce à ma respiration. J'adorais toutes ces réactions chimiques. J'avais lu beaucoup de livres à ce sujet, même si je n'avais pas tout compris.

Une fois arrivée devant l'enclos d'Albert, je m'appuyai contre la rambarde et me penchai vers le terrain en contrebas, dans lequel mon cher ami habitait. Il s'agissait d'un vaste espace boisé et feuilli, dans lequel il pouvait se cacher à loisir. C'était son jeu préféré. Je ne le voyais pas. Il finirait bien par montrer le bout de son museau, car pour une fois, je n'avais pas envie de jouer.

"C'était vraiment très gentil ce que tu m'as dit." déclarai-je enfin un peu timidement, sans oser regarder Jeremiel. "Vraiment, vraiment très gentil."

J'étais focalisée sur l'enclos, duquel s'échappait de lointains grognements. Peut-être qu'Albert dormait ? Après tout, il était très tard. Je ne souhaitais surtout pas le déranger. Il faudrait lui faire faire une promenade le lendemain. Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas dégourdi les jambes. Elliot m'avait promis de l'emmener gambader sur la plaine d'Olympe une fois par semaine, afin qu'il se maintienne en forme. Monsieur Apollon allait forcément accepter, s'il n'était déjà pas au courant.

"Tant que tu es près de moi, je sais qu'il ne m'arrivera rien." assurai-je avec une moue convaincue. "Tu es quelqu'un de très fidèle et affectueux. Avec beaucoup de cheveux."

Je ne savais pas si ce que je venais de dire était aussi gentil que ses paroles. J'avais un peu de mal à formuler mes idées, parfois. En tous cas, le coeur y était. Mais, comme je voulais à tous prix qu'il sache à quel point je tenais à lui, je me tournai subitement et me mis sur la pointe des pieds. Je dirigeai ma bouche vers sa joue, entrouvris les lèvres, réprimai un coup de langue et à la place...

... y déposai un bisou tout doux.

A peine plus léger qu'un nuage. Je me reculai doucement en plongeant mes yeux candides dans les siens, guettant sa réaction.

"Je n'ai pas léché." dis-je, presque fière de ma retenue. "Je sais que tu n'aimes pas ça. Après, je ne sais pas si tu aimes les bisous..."

Je baissai les yeux, subitement anxieuse, fixant le bout de mes ballerines. Une sombre pensée venait de me traverser l'esprit.

"J'aimerais découvrir à quoi je sers, parce que c'est dur de ne pas savoir. Quand j'étais dans la Grande Vallée, c'était facile : j'étais Petit-Pied. Un Long Cou dans le grand cycle de la vie. Mais maintenant ? J'ai l'impression d'être un chaînon manquant. Je sais que tu comprends. Toi aussi tu es tout seul dans ton coin."

Je relevai subitement la tête pour l'observer à la dérobée. Son visage était à moitié noyé dans l'ombre et cela provoqua un frisson le long de mon échine. Mon coeur s'affola comme un ptérodactyle dans ma poitrine. Il n'y avait que lui qui provoquait ce genre de choses en moi. Il était tellement sombre et si lumineux à la fois.

"En tous cas, je suis certaine d'une chose : je t'aime aussi fort que mille étoiles d'arbres. Peut-être même dix mille. Ou dix millions..."

Je me mis à compter sur mes doigts, et abandonnai finalement pour glisser ma main dans la sienne et lui sourire. Au loin, Albert poussa un rugissement qui ébranla la nuit. D'autres animaux se mirent à crier et parmi tout ce vacarme, je me sentais parfaitement sereine.

Je me sentais chez moi, puisqu'il était à mes côtés. Et je savais qu'il le resterait. C'était important qu'il sache qu'il avait une place importante dans mon coeur de dinosaure.

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