« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
« If the crown should fit, then how can I refuse? »
| Avatar : Rufus Sewell
- Pour ma victoire? C'est adorable, trésor... Même si en toute modestie, je dois admettre, qu'au-delà de cela, je suis un prestigieux modèle pour mes concitoyens"
(Alexis pense-t-elle qu'il est parti trop loin? Sûrement! On approuve)
| Conte : Coeur de Princesse/Le Prince et le Pauvre | Dans le monde des contes, je suis : : Preminger
“Il nous faut obéir, ma soeur, à nos parents : un père a sur nos voeux une entière puissance.”
Depuis sa naissance, Preminger se vantait de savoir manipuler les individus. Nous laisserons le lectorat juge de ses réelles performances en la matière, mais il faut admettre que la plupart du Temps, il parvenait à ses fins. Pourtant, ledit individu s’agaçait profondément du manque de progrès concernant l’une de ses nouvelles cibles. Son Fils, Isaac. Il n’y avait que fort peu de Temps qu’il considérait ce dernier comme susceptible d’intérêt, depuis qu’il avait vu les risques et potentiels de sa version adulte à l’intérieur du mystérieux Miroir de l’Olympe. Forcé mais agréablement surpris de constater que l’enfant possédait des qualités réelles et des intérêts qui l’avaient rendu à ses yeux presque sympathique, il avait donc décidé de l’éduquer et aussi, de le formater, comme il se devait. Après tout, cela ne devait guère être bien sorcier, il avait su dompter les caractères d’autres personnages de la Cour et s’accommodaient de ceux nettement plus inférieurs de Nick et Nack. Sans compter Midas, qui possédait un apprentissage parfait… Même si l’humanisation lui avait fait perdre un peu de sa continuelle démonstration de dévotion. Alors, un minuscule bambin dont le quotidien se bornait à manger, dormir, rire de son gazouilli d’enfant aux jeux de sa mère, qu’y avait-il de compliquer ? Force était néanmoins d’admettre qu’il se heurtait à un mur pas plus haut que trois pommes. Il y avait des mois il s’était voué à cette tâche, tout de même ingrate, des mois qu’il prenait des initiatives nouvelles. Le tout pour…de maigres résultats. Oh il savait le sort qu’il aurait réservé pour un résultat aussi déplorable, à l’un des membres de son organisation. Il se serait gaussé de dédain, exclamé dans un haussement d’épaules ingénieusement accentué « Même pas capable de dompter un gamin… Si ce n’est pas profondément misérable... » Mais ces mots si durs, il se refusait de se les attribuer. Il n’était pas n’importe qui. Il n’était, vraisemblablement pas, le problème. D’autant qu’il suivait la notice de l’éducation avec une précision monstrueusement parfaite. Le jeu de cubes en forme d’étoiles en bois était connu pour être un jeu particulièrement éducatif, développant les sens et l’artistique et de même, la matière en faisait, officiellement, quelque chose de plus louable que les jeux en plastique. Mais Isaac s’obstinait tout de même à lui préférer le petit tracteur en plastique odieusement jaune qu’il avait réclamé, d’après Alexis avec beaucoup d’entrain. Misère. Il ne deviendrait pas fermier ! Certes, il était petit-fils de paysan, mais tout de même, était aussi le Fils d’un futur Roi, et d’autres fonctions grandioses. « Pauvre petit coeur » soupirait Alexis à chaque fois, et il lui semblait ainsi toujours être jugé incompétent. L’agacement qu’il éprouvait à l’égard de son fils avait été remplacé par une frustration agacée. A croire que le petit chenapan voyait ses manœuvres et s’appliquait à les saboter. Et il commençait à envisager sérieusement cette théorie. Cela faisait des semaines que cela durait et chaque tentative infructueuse croissait sa frustration et son obstination, ce qui restait dangereux. Il craignait qu’Alexis ne se douta de quelque chose, à force de l’observer si subitement investi presque aveuglément dans l’éducation du fils, qu’il ignorait auparavant. Au départ, elle n’y avait vu que le comportement d’un père cherchant à se rapprocher de son fils, ce qui restait la réalité. Pour des raisons des plus intéressées, certes. Mais tout de même. Elle s’en était montre ravie et enthousiaste, bien qu’elle ait cherché à le tempérer en sa présence. Sûrement pour ne pas le brusquer. Peut-être avait-elle craint qu’en lui démontrant frontalement qu’elle remarquait les efforts qu’il faisait envers Isaac, il ne se referma comme une huître. A présent, elle l’observait dubitative à chaque fois qu’il claironnait connaître ce que son fils souhaitait. A bien des égards, cela le mettait davantage en rogne. Surtout puisque cela se soldait en permanence sur un échec. Pourquoi n’arrivait-il pas à comprendre le chemin pour arriver à ses fins ? C’était parce qu’il s’agissait d’un nourrisson, ou petit enfant, assurément. Il était doué pour deviner les âmes, les personnalités, les points faibles d’autrui. Mais Isaac n’était encore qu’une page vierge. Un être qui pouvait être captivé par tout et par rien à la fois… Il suffisait d’y aller avec instinct. L’instinct maternel d’Alexis la mettait rarement en déroute… Mais lui, ne disposait pas d’instinct paternel. Etait-ce alors voué à l’échec jusqu’à encore six années ? Le point culminant de sa frustration le trouva une après-midi alors qu’il avait insisté après d’Alexis pour le garder. Il avait installé Isaac dans le confortable canapé du salon et feuilletait un recueil de poésie. - « Ecoute Isaac. Ecoute ton Père. Tu vas voir comme ceci est d’une beauté plaisante et à quel point les jeux de mots sont d’un réel amusement, tout en étant particulièrement stimulants. De plus, celui-ci est particulièrement instructif. » proféra-t-il solennellement « Le soleil de nos jours pâlit dès son aurore,/ Sur nos fronts languissants à peine il jette encore / Quelques rayons tremblants qui combattent la nuit » Ceci est le sort de l’Humanité. Toi comme Moi… Pour le moment du moins, en ce qui me concerne. Concentre-toi donc Isaac. » L’enfant se trémoussait sur le fauteuil, les jambes ramenées en tailleur, les fesses mouvantes, comme mal à l’aise. Il s’amusait seul, à se dandiner, en rythme, mais ramené à l’ordre, il s’immobilisa silencieusement, les lèvres remuant silencieusement, les joues gonflées. Ignorant ce jeu silencieusement, Preminger reprit : - « L’ombre croit, le jour meurt, tout s’efface et tout fuit ! Qu’un autre à cet aspect frissonne et s’attenrisse Qu’il recule en tremblant des bords du précipice » Vois-tu, contradictoirement aux amis de ta mère, je suis de ceux qui pensent que l’Ombre domine la Lumière, si on l’assimile à la Bonté. Mais il est une ombre que tous redoutent et c’est… - « Peppa Pig. » – « Plait-il ? » Le sourcil de Preminger s’était haussé, cherchant déjà à décortiquer les syllabes qui ne pouvaient décemment pas former un mot de ce genre, lorsqu’il suivit la démarche de son fils. Le petit doigt fluet de l’enfant se pointait sur un des livres colorés qui jonchaient encore la table du salon. Pivotant la tête Erwin jeta un regard dédaigneux sur l’objet de convoitise de son fils. Un livre hideux où un cochon rose, disproportionné souriait. Et le nom du livre reprenait le mot articulé de la voix fluette de son fils. - « Non. Rien de cela ou de ce genre de billevesée misérable. Isaac, comme je le disais, il est une ombre que tous redoutent et c’est...la Mort » déclama-t-il en fronçant les sourcils, ignorant l’enfant « Nous sommes tous voués à mourir. Mais nous rêvons tous que comme le poème, un céleste message porte un flambeau divin. Car le poème dit…. Le poème DIT….Cesse donc, immédiatement ce petit manège » Isaac s’était penché pour attraper son livre, s’immobilisa en plein vol, et son père le repoussa doucement de la pointe de l’index. - « Le poème DIT : « Tu viens d’un jour pur inonder ma paupière, et l’Espoir près de toi, rêvant sur un tombant, appuyé sur la foi, m’ouvre un monde plus beau ! Viens donc, viens détacher mes chaînes corporelles, Viens, ouvre ma prison ; viens, prête-moi tes ailes, Que tardes-tu? Parais ; que je m'élance enfin! Vers cet être inconnu, mon principe et ma fin ! ISAAC Il avait glapit, arrachant le livre d’enfant d’un coup sec à la main de l’enfant qui en avait à peine tenté d’y refermer ses doigts frêles. Comment avait-il fait ? Comment avait-il osé surtout ? - « Je veux Peppa Pig !!! » pleurnicha-t-il, la moue frémissante et les yeux noyés de larmes. - « Peste ! Comment peut-on seulement préférer ce petit torchon, un cochon en plus, un animal si grossier, si dégoûtant à de la Poésie ! A de l’Art ! Explique-moi, COMMENT ! C’est impossible ! Impossible ! » Mais l’enfant ne pouvait pas lui expliquer, il ne pouvait que le fixer, d’une mine mi-boudeuse, mi-bouleversée, les mains tendues vers ce fameux objet de malheur… – « Peppa Pig mignon ! » avait-il au contraire répliqué, en fronçant ses petits sourcils bruns « Zentil. La nistoire est drôle... » Preminger s’était retenu de le rejeter sur le canapé inverse,ce Peppa Pig de malheur, lui avait rendu furieusement, avant de sortir en furie. Dans son élan, il avait même claqué la porte, avant de revenir sur ses pas pour appeler Midas, dans la cuisine pour lui annoncer qu’il sortait. Il avait pris l’habitude de s’assurer de la présence de son cher acolyte, lors de ses journées éducatives, pour tempérer tout excès d’impatience. Il ne pouvait pas dire que Midas s’en sortait mieux, mais il ne cherchait pas à faire l’instruction d’Isaac, ce qui aidait. Son associé jouait avec lui, regardait des films… Ce qui devait ressortir de son ancienne vie de chien, propice aux jeux. Il avait fini par progressivement songer qu’il disposait, en soi, du manuel vivant pour lui apporter les réponses. A moins que la version adulte d’Isaac ne lui mente, ce qui était exclu, qui d’autre, pouvait finalement lui expliquer le manque d’intérêt permanent de cet enfant ? C’était comme un schéma perdu d’avance… Mais s’il demandait à l’Autre Isaac, peut-être pouvait-il avoir une chance… S’il comprenait comment obtenir de son fils l’intérêt… Dans d’autres circonstances, il aurait renoncé sans le moindre remords, mais quelques intérêts le poussaient à s’acharner. Isaac , « son » Isaac, pouvait avoir un rôle décisif. Ou tout du moins, essentiel. Il serait intelligent, quoique l’enfant ne montra pas grandes capacités révolutionnaires, à son inverse, dès son berceau… Il était sympathique. Et ce fut la raison pour laquelle, une nouvelle fois, il avait pris le chemin de l’Olympe et au-delà de lui… Du Miroir. Oh, il allait de soi qu’il avait hésité. Tout lui semblait grotesque, parfois, futile, inutile. Mais comment cela aurait-il pu l’être ? Lorsqu’il passerait ses barrières invisibles, il se verrait aussi. Roi. Rien que cette sensation valait tous les passages du monde… Et cela lui ferait le plus grand bien compte-tenu des circonstances. Quand bien même fallait-il le solliciter auprès d’Hera. Et plus encore, ce Lieu était le point culminant de tous ses possibles, de toute sa Destinée. De ses Destinés. C’était là où il pouvait comprendre, découvrir… Lui. Mais également Isaac. Loin de ses babillages enfantins et de son intérêt moindre, cet adolescent du Possible se révélait en revanche, utile et intéressant. Au moins, il possédait quelque chose à lui apporter, et Preminger n’aimait tant rien de plus que ceux qui lui étaient utiles d’une manière ou d’une autre. En serait-il dépendant ? Il lui semblait que non. Du moins, pas plus qu’un autre Miroir. Pas plus qu’un autre reflet de Lui. Mais ce Miroir là, restait différent. Il projetait, informait… Il lui semblait Il lui semblait ne faire qu’Un avec Lui. Comme s’il se mouvait dans ses projets, ses buts, ses volontés. Il était dur à son égard, selon les scénarios initiaux auxquels il avait été confronté, mais il y en avait appris suffisamment pour ne pas souhaiter s’en éloigner. Il voulait voir et être ce reflet de lui, ne serait-ce qu’un peu, pour comprendre encore. Il héla les gardes et bientôt, fut devant elle, Hera. Comme toujours, majestueuse dans ses longues tenues brodées et ses cheveux soigneusement peignées, et si différente de l’apparence presque rock’n’roll qu’elle adoptait à Storybrooke. Pour autant, elle était ce paradoxe royal qui en imposait dans n’importe laquelle des apparences qu’elle adoptait… Au-delà de sa divinité, c’était avant tout, son charisme qui en était la cause. Elle se trouvait dans les mêmes jardins qu’il avait pu découvrir en sa compagnie. Visiblement, elle les appréciait vraiment et semblait y passer un bon nombre de son Temps. A quoi s’occupaient des Dieux après des millénaires d’existence ? Preminger ne le savait pas et ne s’était pour ainsi dire, jamais posé la question. Il avait ce goût de la jouissance de la vie qui le faisait désirer chaque chose, si bien qu’il lui paraissait impossible qu’on s’ennuya. Et pourtant à les observer, il lui semblait que la vie des divins n’était pas particulièrement plus trépidante que la sienne. Peut-être par manque d’ambition ? Puisque ce n’était pas par manque de moyens, avec les pouvoirs qu’ils détenaient, ils pouvaient mettre à genoux le monde entier si l’envie leur plaisait. Peut-être un jour évoquerait-il le sujet avec Hera… Aujourd’hui ne s’y prêtait pas. Il ralentit le pas. Se sentait-il gêné de se sentir observé voir même deviné ? Pas réellement. Mais il se sentait en tension et se trouvait agacé de se voir trouvé dans cet état. Hera devinait les choses, elle était perspicace. Il détestait la trouver sur sa route lorsqu’il se ressentait en situation d’échec. Elle, à l’inverse, adorait cela. Il y avait à parier qu’elle était même venue, le sachant. Mais, au moins, aujourd’hui à la différence de bien d’autres, il n’avait pas cherché à l’éviter. Mieux, il était venu lui demander conseil et la déesse saurait reconnaître la valeur de cette démarche, quand bien même cette démarche se trouvait être intéressée. - « Bonjour très chère ! Comment allez vous ? Veuillez m’excuser de venir sans m’annoncer, mais ...je souhaite vous entretenir d’une demande. » Son ton faussement guilleret n’était en rien sincère, mais si elle s’attendait à sa visible, elle n’en montra rien. Au contraire, elle l’avait regardé, surprise : - « Tiens, donc ? En quoi consiste cette demande ? » Il lui avait adressé un sourire poli et courtois, n’en déplaisait à sa nervosité impérieuse. Il se serait bien passé de ce cérémonial, mais celui-ci était de mise avec une déesse. Et puis, c’était davantage la demande qui le couvrait de hâte : - « Je souhaiterai obtenir un nouvel accès au Miroir. Je..j’ai une consultation à effectuer...qui ne peut se faire que par ce biais. » Elle avait haussé le sourcil, mi-interrogateur, mi- moqueur : – « Une consultation ». Le mot avait semblé la surprendre, voir même la heurter. - « Oui. Je veux voir… vérifier quelque chose, concernant Isaac. » il l’avait affirmé, le menton assuré, pointant vers l’avant, les bras croisés. Pourquoi diantre se tendait-il à ce sujet, n’était-ce pas inutile ? Inspirant une nouvelle fois, il avait énoncé avec un détachement feint « Quel supplice que la vie de parents... » La déesse avait joint les mains au niveau de son bas ventre en hochant la tête d’un air entendu, un sourire pourtant bien présent sur les lèvres : – « Oh et je n’ai aucune doute que ne parlez absolument pas de votre condition, mais de celle de la mère de cet enfant, la véritable personne qui l’élève à chaque instant, n’est-ce pas ? » Bien sûr. Mais à bien des égards, la relation d’Alexis avec son enfant lui semblait de bien loin simplifiée. Oh, il n’était pas sans ignorer qu’elle avait du souffrir les toilettes, les couches, les réveils dans la nuit, la peur de ne pas être à la hauteur, et tous ses tracas dont souffraient les parents attachés à leur progéniture… Mais il n’était pas en reste, surtout lorsqu’on ne possédait pas en soit de particulières attaches ni de facilité dans ce domaine. Et bien, il avait aussi nettement progressé. - « Et bien j’essaye de l’élever et cela dans les règles, voyez-vous, Hera, mais cet enfant ne me permet pas d’y arriver… » affirma-t-il en fronçant le nez « Et pourtant le Temps m’est témoin, j’ai en moi des trésors de patience… Mais cela… Peut-être est-ce du à mon manque d’instinct paternel. Mais Ciel, qu'il peut être agaçant de voir à quel point un petit marmot semble se faire un malin plaisir à ne pas se plier à des évidences! . » Quoiqu’il en dise, la déesse ne se départit pas de l’air blasé avec lequel elle l’observait, au fur et à mesure de ses dires. Se leva brusquement, le forçant à la suivre : — « Quand vous dîtes que vous essayez, c'est à dire ? Durant l'heure et demi que vous daigner lui accorder par semaine ? Savez-vous au moins ce qu'élever un enfant signifie ? J'appréhende ne serait-ce que l'idée de vous poser la question : qu'entendez-vous par "se plier à des évidences" ?" - « Toute heure offerte est déjà un progrès, très chère. » grinça-t-il avec cynisme. » Et il va de soi que je sais ce que cela signifie. Oh vous me direz, moins que sa mère, certes. Mais, il y a bien des manières d’élever un enfant… Et j’ose affirmer que je ne m’y prend pas de la manière la plus saugrenue, pourtant… Et que j’essaye d’insinuer quelques « sympathiques attentions à son égard… Mais il rechigne, oui. Je pense qu’il y met de la mauvaise volonté. Isaac aime les chevaux, pourtant il pleure devant un documentaire. Isaac aime les étoiles, pourtant, il ne joue pas avec les jouets de bois en forme d’étoiles et pire, il ne supporte pas son mobile.. N’est-ce pas des évidences enfantines qu’il se plaît à défier ? » Il n’avait bien sûr pas évoqué la dernière scène. Elle l’avait écouté, avait eu un moment de réflexion comme si elle assemblait les pièces d’un puzzle mental bancal, puis, fermant les yeux, ses lèvres avaient inspiré lentement – « Pitié ne me dites pas que c’est ce que je crois » semblait crier son expression. Mais lorsqu’elle s’était assise, jambes croisées sur le petit banc en pierre qui bordait le chemin, sa bouche avait posé une question bien différente : - « Comment savez-vous au juste que… « Isaac » aime les chevaux et les étoiles ? » - « Et bien je l’ai vu. Ici. Dans le Miroir ». Il désigna vaguement un point du lieu où il se trouvait, le chemin menant à l’objet, en fronçant les sourcils, tout en ramenant ses yeux vers la déesse « J’ai vu quelques traits de sa personnalité. Du Miroir certes mais si celle-ci est visible c’est donc qu’elle est possible. Les graines ne demandent qu’à jaillir. » Elle l’avait observé un instant, atterrée - « Très cher...avez-vous ne serait-ce qu’on once de conscience que ce miroir n’est pas une télévision à observer le futur pour vous donner toutes les clefs ? Faites-vous seulement expèrs de comprendre tout ce que vous avez à apprendre de travers ? Votre fils se développe. Peut-être n’a-t-il pas même conscience des goûts auxquels vous essayez de l’élever. Pir, vous êtes peut-être en train de créer des traumatismes qui l’empêcheront d’apprécier pleinement les activités qui plaisaient à son alter-égo ». – « Je.. je ne...loin de moi l’envie de créer des traumatismes en ce sens ! Il eut peut-être mieux valu que je ne sache rien de cela alors ! » tempeta-t-il en haussant les épaules. Il se trouvait agacé. Au même titre que s’il s’était déclaré lui-même qu’il n’était qu’un imbécile. Il ne l’était pas. Peut-être était-il trop égoïste et vaniteux pour apprécier convenablement le temps passé avec un enfant, mais ce n’était tout de même pas sa faute s’il préférait de loin occuper son Temps avec des choses ou des individus, intellectuellement stimulants… Comme Isaac du futur, ce qui rendait l’équation à la fois impossible et simple. Il voulait Isaac du futur. « Mais cela est fait » reprit-il d’une voix plus basse « et je veux comprendre comment a été élevé cet enfant » — « Et si vous étiez plutôt capable de me faire une promesse franche et honnête… Promettez-moi que plutôt que de vouloir savoir comment a été élevé cet enfant, vous vous engagez à vouloir comprendre… Juste comprendre ? » Il avait plissé les paupières, étudiant sa proposition. Preminger donnait peu de valeur à la parole qui l’engageait, mais néanmoins prenait d’ordinaire toujours grand soin à éviter de bafouer ses engagements, surtout lorsqu’il tâchait d’introduire une relation de confiance avec autrui. Lorsque ce qu’il espérait accomplir avec le soutien de cette dernière n’était pas accompli, il ne devait, en aucun cas, présenter des défaillances aux yeux de l’autre. Auprès d’Hera, il partait avec un désavantage, elle connaissait sa nature. Bien plus que beaucoup. Aussi, s’il voulait l’amadouer, endormir sa confiance, il fallait tisser un lien avec elle, lui donner matière à lui donner l’impression qu’elle pouvait l’influencer. Qu’elle pouvait aussi lui faire confiance, sinon le maîtriser. La déesse disposait d’une forte intelligence, de sorte qu’elle ne pouvait être aussi amadouée que d’autre. Toutes les fois où il reprendrait sa parole seraient des minutes perdues dans le cheminement de leur relation, aussi ne devait-il pas promettre à la légère. Il ne fallait rien bafouer. Aussi, pour ne rien bafouer il fallait aussi soupeser ce que cet engagement signifiait et s’il pouvait aisément le tenir. Souhaitait-il seulement comprendre pour les seuls beaux yeux de son fils ? Assurément non. Mais ne voulait-il que comprendre pour les besoins de l’éducation de cet enfant ? Assurément non, une nouvelle fois. Il pouvait admettre de comprendre, juste comprendre. Pour cette fois, puis il déciderait de ce qu’il convenait de faire de cette information… – « Je peux vous donner ma parole que j’essayerai de me cantonner à ne faire qu’accueillir l’information... » finit-il par admettre en hochant la tête Sa réponse l’avait-elle convaincue ? Ou voyait-elle au-delà de ses promesses ? Toujours est-il qu’elle l’avait sondé encore un instant, avant de laisser échapper un petit soupir - « Allons-y » Il l’avait suivie alors, jusqu’à la grande pièce. Cette fois toujours, le Miroir gisait, imposant et royal. Hypnotique. Il dominait Tout. Preminger ressentit à sa vue le même frisson que la première fois et cet irrésistible appel de s’y mirer. Alors qu’il entrait, Hera précisa : – « Comprenez bien… Ce miroir ne se contrôle pas… Il ne vous montrera pas ce que vous voulez voir mais ce qu'il veut vous faire voir... Cela aurait pu vous frustrer si vous y alliez pour trouver le parfait manuel de "comment élever Isaac pour qu'il devienne l'Humain que je souhaite qu'il soit", mais maintenant que vous nous avez promis à tous les deux que vous feriez de votre mieux pour comprendre, peu importe où vous atterrirez, n'est-ce pas ?" Elle l’avait toisé peu sévèrement et il avait sourit finement – « Je n’ai jamais crains le moindre de mes reflets, cela ne sera pas différent aujourd’hui. » sussurra-t-il les yeux luisants. C’était de l’humour, assurément, mais la vérité aussi. L’exercice lui semblait paisible. Il respecterait sa promesse et peu importait ce qu’il trouverait alors… Tout serait utile. Détournant son regard d’Hera, ses yeux parcourent les contours du Miroir. Au-delà de lui, cet objet le fascinait. Il mourrait d’envie de le connaître et s’y sentait lié. - « Comment l’Olympe est entré en possession de cet objet ? » Pour toute réponse, elle avait tendu la main vers le Miroir, l’invitant à le passer : — « Je n'ai pas non plus dit que je vous laisserai un temps illimité avec l'objet... alors vous feriez mieux de vous hâter" Elle évitait ainsi soigneusement d’y répondre. Une nouvelle fois, cela l’intrigua. Que cachait-il ? Qu’est-ce qu’Hera savait ? Il ne lui arracherait rien, et il n’avait pas envie pour autant d’abandonner son projet initial, alors haussant les épaules, il se détourna, se positionnant face au Miroir : – « Eh bien…. A très vite, donc, ma chère Hera… Peut-être aurons-nous l’occasion de poursuivre cette conversation ? » Non sans un dernière sourire goguenard, il disparut à l’intérieur du Miroir.
L’expérience avait été instantanée… D’abord cet étrange impression de se sentir plein, complet, puis divisé… Un tourbillon autour de lui… Une vague sensation de malaise. Puis une musique flotta dans l’espace, claire, agréable. Il la connaissait d’ailleurs parfaitement bien. Une musique de la Cour… Les senteurs aussi embaumèrent sa narine, avant même que sa vision ne se matérialise. Un pêle-mêle de parfums, d’épices, de boissons et de sucre flottaient dans la salle, soulignant l’opulence du lieu et du moment. Les violons furent bientôt mêlés à quelques conversations calfeutrées puis soudainement, il y fut. La Cour. Le Château. Le Bal. Chez Lui. Dans cet éclat de couleurs, de fête, d’excès. Des convives s’adonnaient à quelques pas non loin de lui. D’autres tenaient une conversation discrète, dissimulées sous leur éventail. Plus loin, des mets plus appétissants les uns que les autres tentaient de s’offrir la part belle de la table de réception. Tout rutilait, brillait. La Cour. Ce mélange d’amusement fou et de connivence cruelle. Il tournait la tête déjà, tâchant d’apercevoir, dans l’une des galeries de glace qui recouvraient une part de la pièce son reflet tant désiré. Se trouva sans mal et soupira d’aise à sa vision. Entre la Couronne qui seyait son front d’une grâce sans précédent et l’éclat somptueux de ses vêtements d’apparat, il se trouva comme à son habitude renversant, mais plus encore : royal. Comme il lui tardait de connaître cette vie ! Cette Beauté et ses chatoyantes. Comme il lui tardait de pouvoir enfin goûter au plaisir de déverser sur le Monde son pouvoir et ses envies sans limite ! Il attirait les regards cela valait de soi, et il se plut sans peine à y déambuler, recevant avec une satisfaction hautaine les révérences soignées et empressées que l’on lui destinait. Tout ce monde savait se tenir. Point d’Isaac à l’horizon, mais il fallait le dire : Preminger l’avait oublié. Il se donnait tout entier à ce moment de vanité personnelle… Se retrouvant pleinement et se découvrant tout entièrement, à la fois. L’exercice lui semblait davantage aisé que la dernière fois. Il ne se débattait plus avec le « personnage », l’embrassait pleinement. Peut-être parce que le contexte lui était favorable ? Sûrement, mais son passage dans l’Animus l’y avait aussi aidé. Saisissant une coupe de champagne, il y avait porté les lèvres, savourant son goût juteux, en voguant avec grâce entre les invités, qui soigneusement s’écartaient à son passage. Non loin de lui, il reconnu Alexis, qui vraisemblablement finissait une conversation avec deux dames de la Cour et louvoya vers elle. La robe qu’elle avait revêtu d’un vert aussi pâle que la fraîche douceur d’une menthe à l’eau faisait ressortir la clairté agréable de son teint et ses cheveux soigneusement peignés… Le chignon était exquis et dégageait son cou tout en ourlant sa nuque de boucles élégantes. La robe, lui ressemblait bien que dotée de plus de grandiloquence qu’à l’accoutumée. Mais ce ne fut pas celle-ci qui attira avant tout l’oeil du Roi. Non.. Oh, comme toujours, Enora était parée de bijoux. Mais les yeux gourmands de l’ancien ministre, comme toujours, avaient été appelés par un éclat bien différent. L’appel de l’Or. L’appel du pouvoir. Un éclat qu’il ne s’était pas attendu à trouver au front pur et modeste de la jeune femme. Presque mécaniquement, ses pas avaient rompu l’écart qu’il avait avec Enora, sous l’effet de cette vision, l’esprit fourmillant. Ainsi elle était Reine dans cette version ? Comment cela était-il possible ? La Couronne qu’elle portait ne laissait, pourtant, pas de place au doute. Elle n’était plus sa favorite, mais occupait désormais d’une place égale à la sienne. Cela serait-il possible pour lui un jour ? L’avait-il envisagé ? Oui. Mais toujours dans un second temps. Celui qu’il était devenu ici avait-il suivi les étapes de son plan ? Ou avait-il emprunté une voie différente qui les avaient menés Lui et Elle dans ces places respectives ? Arrivant à son chevet, il lui avait souri, prenant soin de détourner son regard de la Couronne. Rien n’était censé le surprendre, à ce sujet, aussi l’observer de manière aussi flagrante n’aurait pas manqué de titiller l’esprit vif d’Alexis. A l’inverse, il pris soin de l’observer. Si elle semblait plus âgée que l’heure actuelle, l’âge ne lui avait rien volé. Au contraire, peut-être assortissait-il ses traits d’une finesse complémentaire. Ses yeux bleus semblaient allongés et ses pommettes saillirent davantage. — « Ce serait un outrage que de ne pas vous dire à quel point cette ROBErobe vous sied, ma chère » avait-il susurré. Et c’était vrai. A l’observer de loin, on eut pu croire qu’il s’agissait d’une robe bustier, mais c’était omettre la voile légère et teinté d’un vert presque blanc qui encerclait ses bras d’une délicate caresse. Sertie de broderies dorées, la robe s’affinait à la taille pour mieux s’évaser ensuite, dans des pans de taffetas soyeuses. Mais l’avait-elle, seulement déjà déçu ? Il se pencha, embrassant le dos de sa main « Alors, trésor, cette soirée trouve-t-elle grâce à tes yeux ? » Même s’il feignait l’habitude, il l’observait. Cherchant sur son visage un éclat ou un souci nouveau. Enora possédait un caractère proche des monarques. Pour autant, elle n’avait jamais marqué le moindre intérêt pour le pouvoir. Il s’était toujours demandé comment cette dernière gèrerait cette hypothèse. S’y trouverait-elle inquiète ? Mal à l’aise ? Y trouverait-elle à l’inverse cette adrénaline dont lui raffolait ? Lui offrir la Couronne serai-il vu comme un Cadeau ou un Fardeau à ses yeux ? Cette fois-ci serait peut-être l’occasion pour lui de trancher la question. Elle avait tourné vers lui, un sourire amusé, les yeux qui l’observaient étaient doux, amoureux. — « Je pense, Majesté, que vous êtes un irréductible flatteur … mais vous n’êtes pas mal non plus » Après une oeillade en direction de sa tenue, elle avait reporté son attention sur lui, s’approchant pour lui dire « Oui cette soirée est magnifique, comme chacune d’entre elles … cependant… veille à ne pas la gâcher en voulant trop en faire, n’est-ce pas ? » Si elle paraissait toujours amusée, son regard avait gagné en sévérité. Posant la main sur son torse, elle ajouta, baissant le ton « C’est aussi la soirée de Rose… ne l’oublie pas. » — « Tu approuves donc mon propos… » lui avait-il répliqué dans un sourire fin, avant de poser sa main sur la sienne. A la regarder, elle semblait se plaire ici. Oui. « Voyons, Trésor… Je n’en fais jamais trop. Mais, loin de moi l’idée de lui gâcher sa soirée… Elle devrait le savoir. T’a-t-elle missionnée pour me le dire ? » Il n’avait eu que très peu d’expérience avec Rose, la petite meringue puis la fleur sauvage mais fière qu’il avait rencontré lors de son dernier voyage, peu de Temps auparavant. Elle ne paraissait pas honteuse de lui, loin de là. Et les confidences d’Isaac mettaient en lumière, à l’inverse une sorte de complicité naturelle entre eux, qui n’était pas le souvenir qu’il en gardait. Mais peut-être s’agissait-il d’une autre possibilité. Peut-être que l’enfant qu’il avait vue l’autre fois, n’était plus la même désormais. Après tout, Alexis ici se trouvait Reine. Et la Reine avait rit, avec ce même rire désarmant et charmant à l’égard de son Roi. — « Ce n’est pas ce que j’ai dit… » Puis avait secoué la tête de gauche à droite lorsqu’il avait évoqué Rose. Il savait ce que cette expression signifiait avec elle : « jamais de la vie ». Elle avait même enchaîné rapidement « Voyons, tu connais si peu ta fille pour savoir que jamais ô grand jamais elle ne demanderait une chose pareille ? Je refuse de le croire… mais je suis sa mère… et en tant que telle je suis capable d’analyser ses doutes et ses pensées. Elle craint que tu en fasses trop… alors maîtrise toi, s’il te plaît. » Que pouvait-il dire ? Il n’allait pas lui révéler qu’en réalité, il ne connaissait pas le moins du monde, sa fille. Fort heureusement, il feignait bien… Il lui avait sourit, avec tendresse. – « Je sais, tu as toujours été très empathique, mon trésor… Encore plus depuis que tu portes la Couronne. C’était une sage décision. » La réflexion était venue naturellement, de lui-même pourtant, mais aussi de celui qu’il était censé être. Son passage dans l’Animus l’avait aidé à un certain lâcher-prise et il avait senti que celui qu’il était souhaiter le verbaliser. Il était heureux de son choix, visiblement, même fier d’elle. Un sous-entendu flottait dans son esprit, en sous-ton qu’il ne comprenait pas, mais rien n’était si surprenant. Cet Erwin et cette Alexis avaient traversé de nombreuses choses ensemble qu’il ne connaissait pas encore. Leur routine, leurs complicités… « Mais je ne crains rien, je serais comme à mon habitude, parfait ni plus ni moins. Plus qu’on ne peut pas faire plus parfait que la perfection n’est-ce pas ? » il avait pouffé d’un rire léger puis s’était abaissé vers elle pour lui frôler la joue. Il était bon de voir à quel point ces gestes demeuraient simples, évidents, « D’ailleurs, nous parlions de Rose mais se trouve donc Isaac ? » Il était venu pour lui, initialement. Et même s’il avait promis de seulement comprendre, il fallait pour cela qu’il puisse voir son fils. Quand bien même il ressentait au fond de lui, l’importance qu’avait la soirée et Rose pour « Lui-même ». — « Tu trouves ? » Sa déclaration l’avait visiblement troublée, sûrement n’avait-elle pas l’impression d’avoir changé et elle n’avait pas changé, il pouvait le voir. Elle était seulement, visiblement, apaisée. Mais ce trouble signifiait-il malgré tout une difficulté dans l’exercice de la charge ? Il avait toujours redouté ce point avec Enora. Cela et son éventuelle opposition à sa manière de gouverner, même si la Reine de ce soir ne semblait en aucun cas mécontente de sa vie et de ce que leur confort signifiait pour autrui. Oui, il parviendrait donc bien à convaincre Alexis des bienfaits de sa vision de la vie. Même si, cela ne l’empêcherait jamais de s’opposer à lui parfois, à le contredire, à se blaser de son comportement, comme dans l’immédiat où elle lui jetait un regard blasé affirmant muettement « Tu m’épuises… ». Tout cela faisait partie d’eux. De leur couple. Son regard s’était, cependant portée au loin de la salle — « Sans aucun doute avec Rose, il doit être en train de l’accompagner et de la rassurer sur le fait que tout va bien se passer » - « Bien sûr… tu as encore plus de monde à t’occuper » avait-il répliqué d’un ton amusé, non sans la gratifier d’une oeillade, qu’elle lui avait concédé de la tête, sans pour autant se joindre à son opinion, sûrement était-elle gênée. « Tout se passera à merveille… Ce sera un merveilleux bal. D’ailleurs, je compte bien que nous profitions de la piste de danse, ensemble » — « Avec plaisir » lui avait-elle répondu dans un sourire. Il lui avait sourit en retour. Il lui hâtait de danser enfin ! Il raffolait de la danse et chaque moment passé avec Enora les rapprochait davantage tout en étant une parfaite symbiose de leur alchimie… Pour autant quelque chose malgré lui avait vu l’attention d’Erwin s’était vue détournée de sa reine. L’entrée de ses enfants. Le mouvement de la foule, l’air de la musique qui s’était accordé à leur entrée et il avait tourné la tête, suivant l’élan général. Le premier qu’il perçu fut celui qu’il cherchait à voir. Élégamment vêtu d’un costume d’un bleu nuit sombre et brillant, Isaac avançait dans l’allée, le regard lointain, ses lèvres offraient à tous un sourire agréable, mais la manière dont il les pressait à son père, qu’il n’était pas enchanté de cette remontée à la vue des courtisans. Mais cela n’était rien, car outre l’attention premier d’Erwin, l’ensemble des regards ne convergeaient pas vers le charmant jeune homme, mais bien davantage vers la ravissante jeune femme qu’il escortait. Enveloppée au bras de son grand frère, Rose resplendissait. Les joues, légèrement aussi colorées que son nom, ne l’étaient pas par la gêne mais bien par l’émotion radieuse qui semblait la gagner. Elle était à l’aise en société, même splendide. Ses cheveux bouclés formaient une corolle autour de son visage, et chacun de ses pas étaient remplis d’une charme radieux faisant danser le tissu violet de sa robe et chatoyer l’or qui en assortissait les dentelles. Assurée, souriante, elle offrait au Monde un égal sourire charmant, presque charmeur et ses yeux dansaient de visage en visage et remontaient la foule bien plus vite que son pas leste mais tranquille. Puis de la foule sortit un jeune homme, lequel, avant de prendre le bras de Rose esquissa une révérence que Preminger trouva instantanément d’un désagréable pantois, si bien qu’il détourna instinctivement les yeux de l’individu. Comment diantre avait-on le culot de servir ses pupilles d’un spectacle si consternant ? Rivant ses yeux sur la fille, Erwin se sentit avancer, soudainement mué d’une impulsion et d’une impérieuse idée nouvelle. IL devait danser avec Rose. Il le fallait. Ce n’était pas ses pensées, peut-être celles de l’Erwin du Futur mais Preminger pouvait aisément comprendre pourquoi. N’était-ce pas sa soirée ? Quoi de mieux de plus prestigieux pour elle que d’ouvrir le bal avec son Père, le Roi ? N’était-ce pas là la laisser s’humilier que de la laisser danser avec le premier cavalier venu ? Surtout lorsqu’il s’agissait d’un si pataud spécimen ! Et n’était-ce pas aussi s’humilier Lui-Même, le ROI, que de laisser n’importe quel pataud spécimen danser avec sa fille, la fine fleur de la soirée ? C’était presque naturellement qu’il s’était avancé au devant de sa fille, interrompant d’une main la musique, grisé par la simplicité de son pouvoir. L’orchestre s’arrêta, rapidement, apparemment rodé aux exigences promptes de leur souverain. Alors que la foule convergeait son regard vers lui, il claironna : - « Mes très chers amis… Votre attention » Il sentait les visages sur lui et se sentit luire d’importance. – « Veuillez avoir l’extrême obligeance de vouer votre attention ce soir sur la fine fleur de la Cour, ma très chère fille, Rose. » Sa main, d’un gracieux mouvement désigna la jeune fille alors qu’il poursuivait « Cette dernière va avoir l’extrême honneur d’ouvrir ce Bal… Pour cette occasion, il va de soit qu’il convient d’offrir à cette ravissante enfant l’approbation du coeur. » ramenée vers sa propre poitrine, sa main s’y pressa d’un geste dramatique, soulignant ses propos « Voici la raison pour laquelle, dans ma Grande Bonté, par égard pour ma chère et resplendissante fille que le Ciel me prête le plaisir de éclore chaque jour, je désire offrir le meilleur des cavaliers, l’excellence parmi l’excellence. » proféra-t-il, d’un ton théâtral, faisant durer le suspense, alors que ses yeux se plissaient d’un éclat satisfait « Quel plaisir plus grand pour elle que d’exécuter cette première danse avec... MOI ? » Il la toisa, elle ahurie et sévère, d’un grand sourire machiavélique puis s’écria « Musique ». Il avait claqué des doigts d’un geste impérieux, sans se détourner de sa fille, la main tendue vers cette dernière, dans un sourire carnassier, hautement satisfait. La manière dont sa main s’était refermée sur celle de la jeune fille n’était pas sans rappeler les serres d’un oiseau. Et pourtant, Preminger se sentait profondément joyeux, son corps vibrait d’une allégresse satisfaite. Il connaissait cette sensation. Il ne la ressentait que lorsqu’il prenait plaisir à s’immiscer, à gagner. Les violons vrillèrent et ils s’élancèrent tous deux, en cadence. Erwin appréciait le moment. Cela se ressentait à ses pas, la manière dont il se mouvait sur la piste, faisant davantage la musique sienne que s’adaptant à elle. Chaque embardée musicale devenait prétexte à virevolte, maniant sa frêle partenaire avec grâce mais une direction ferme et non équivoque. Oh, Rose s’adaptait parfaitement, il devait le reconnaître, dans un pas de côté, elle glissait sur le parquet. Ses mouvements étaient souples, son pas gracieux, son port de tête fier, son maintien impeccable. Elle ne lui faisait aucunement honte et même y trouvait-il une partenaire agréable, presque à la hauteur de sa mère. Les broderies de sa robe violette décoraient ses épaules et son buste plus que de les couvrir, ornant chaque mouvement d’une grâce complémentaire, et chaque tournoiement de la danse faisait briller l’or des pierreries incrustées le long de sa robe. Si Rose avait tout des traits fins et délicats de sa mère, Preminger décelait dans ses mimiques et sa manière de tendre le menton arrogamment un de ses expressions. Tout comme sa manie de sertir sa robe de broderies dorées. Preminger l’aurait pensé plus bavarde, mais elle se terrait dans un mutisme. Bien loin de la petite babelle habituelle de l’enfant exigeante et commandante qu’il avait connu, si bien qu’il rompit le silence en premier, après une minute passée silencieusement à danser dans les sourires les plus muets : — « Très chère, voilà une bien joli toilette ! Et un très grand jour ... » sourit-il avec finesse « Votre maintien dans votre entrée aurait presque pu être qualifié de parfait » Elle lui souriait mais demeurait crispée. C’était ce qui l’avait poussé à faire cette remarque. L’Erwin du Futur, puisque le Preminger du présent même ayant noté cette petite raideur ne se serait pourtant pas offusqué au point de le verbaliser. Ah, la royauté croissait l’exigence… Cette crispation était indétectable à l’œil commun, pourtant, Rose donnait et savait parfaitement donner le change, mais il le savait au fond de lui. Était-ce son habituelle faculté à déceler l’état des autres ? Ou cela tenait-il davantage à une sorte de ...fibre paternelle ? Non, cela n’avait aucun sens… La voix de Rose le tira de ses pensées : - « Merci Père, je l’ai choisie avec soin. Et je vois que vous êtes resplendissant comme à votre habitude. » Il dodelina de la tête tout en esquissant un pas de côté, puis un saut. Évidemment. Mais cela semblait leur paraître évident à l’un comme à l’autre. - « Un grand jour, vraiment ? Je suis ravie que vous vous en souveniez… Et si mon maintien est « presque » parfait, alors on peut dire que c’est une agréable soirée qui commence ». Elle releva les yeux vers lui, le violet de sa robe, d’un ton plus doux que celui dont il raffolait, faisait ressortir ses yeux, aussi bleus que ceux de sa mère. Son ton était parfaitement policé, et articulé avec un timbre charmant. La parfaite fille de la Cour. Preminger s’en trouvait particulièrement enchanté. Pour autant, il n’avait pu que déceler à quel point la fin de la phrase se trouvait chargée d’acidité. Elle n’avait pas aimé l’idée de ne pas avoir été parfaite. Ainsi, l’enfant était perfectionniste. Le savoir accentua son sourire, alors qu’il la faisait tourner d’un mouvement vaste. Leurs pas s’intensifiaient au fur et à mesure que la musique prenait son essor, montant crescendo. - « Voyons comment ceci aurait-il pu me sortir de l’esprit ? » il plongea son regard dans ses yeux, l’observant avec acuité, détaillant son acidité avec amusement « Presque parfait ne vaut que sous l’aune de ma propre comparaison ma chère fille » railla-t-il en plissant les paupières « Au-delà de ma propre personne, je crains que personne de la Cour ne puisse porter ne serait-ce qu’un seul jugement à ton égard. Alors, il ne sert en rien de s’en inquiéter, n’est-ce pas ? » Il lui avait offert ce sourire lumineux, de celui qui découvrait ses dents, puis avait accéléré le mouvement, deux pas de côté, trois pas encore… Les violons montaient. Lui, l’observait, la détaillait. Pourquoi trouvait-il dans l’attitude de la jeune femme quelque chose de caché… Il y avait dans leurs échanges quelque chose qu’il ne parvenait pas à identifier. Mais comment aurait-il pu le savoir, après tout ? Il ne la connaissait pas. Elle l’observa, en retour, dans leur danse tournoyante, le détaillant du même regard que celui d’Enora lorsqu’elle tentait de comprendre quelque chose, de saisir la portée de ses mots. - Qu’entendez-vous par « ceci » ? Je ne suis pas certaine de bien comprendre... » finit-elle par demander, une fois qu’il la ramena à lui. Ses yeux bleus avaient dévié de lui, se posant sur la foule qui les observaient. Mais ils ne se posaient pas de la même manière que ceux d’Erwin, hautains,en surface. Lui regardait la foule comme une masse informe, il ne voyait que les yeux sur lui, mais ne les regardaient pas en retour. Elle, elle cherchait…quelqu’un des yeux. Son frère ? Sa mère ? Preminger songea qu’il avait proposé à Alexis de danser. Avait-elle vu sa proposition à Rose comme un revirement ? Il faudrait s’assurer du contraire. Après tout, certes, il était venu ici pour comprendre Isaac, mais puisque actuellement il ne voyait que Rose, il n’était pas interdit de s’accorder du bon temps par l’intermédiaire d’une danse avec son cher trésor… Rose, elle n’avait pas cessé son manège. Mais ils tournaient trop vite, à présent. Le rythme de leurs pas rendait impossible de discerner chaque visage et la masse que constituait leurs observateurs pour Preminger devenait maintenant réalité. Rose semblait sans agacer, et pourtant l’ancien ministre n’avait aucune envie de ralentir l’allure. Au contraire ! Cela lui donnait presque une nouvelle impulsion, une nouvelle hargne. Il avait accentué son pas, offrant à sa partenaire l’éclat d’un nouveau sourire. Coupant court au reste, un peu sèchement, elle avait ponctué sa remarque d’une sentence sans appel, comme un couperet semblable à la manière que possédait Alexis de stopper fin à la conversation. - « Mais VOUS l’avez vu ». - « Voyons Rose, tu le sais aussi bien que moi ! » répliqua-t-il en rejetant la tête en arrière, crânement « Bien sûr que je l’ai vu. Ton cou était un tantinet trop arqué, mais nous savons très bien à quoi cela est du. A une légère… déconcentration. Tout comme à présent ». Il la narguait, pouffa même. Elle n’ajouta rien, ne répliqua rien, posa simplement ses yeux bleus dans les siens. Elle souriant encore, mais Preminger put observer que tout n’était que factice. Oh, l’enfant feignait bien. Et son sourire bien que forcé, n’en devenait pas dédaigneux ou moqueur, mais bien l’unique unique trace de sa joie initiale. A l’inverse, au fond de ses yeux bleus pervenche, des flammes, un brasier complet, bouillonnaient. Ses mots, son attitude, quelque chose en Lui venait vraisemblablement de charger l’air de colère. Il connaissait suffisamment Enora pour en déceler les prémices, les symptômes : les tics qui ourlaient la commissure de ses lèvres et de manière davantage visible la tâche rouge qui montait de son décolleté. Il la fit tourner. Cela l’intriguait, il devait le reconnaître, quand bien même il ne pouvait pas l’interroger de front devant toute la Cour, puisque sa colère déjà se trouvait déjà décelable pour qui la connaissait un peu. Les pas s’accentuaient pour l’apogée de la danse, et il alors qu’il la ployait pour le mouvement final, il sourit avec détachement, l’oeil brillant : – « Libère cet esprit de cette déconcentration et tu excelleras. » sa voix roucoula, comme un serpent « Vois, au moins, ma très chère…...toi qui prend tellement à coeur l’excellence : avec moi à ton bras, tu as été parfaite. Qu’est-ce cela aurait été sinon ?... » il avait haussé les sourcils d’un air significatif. Il ne mentait pas. Comment pouvait-elle s’offusquer qu’il pointa une minuscule erreur à son égard Et l’avait lâchée, libérée même, alors que la tâche rouge s’incrustait à présent jusqu’à son cou, reculant alors que la dernière note de la musique résonnait dans l’atmosphère. Faisant volte-face, il se gorgea des applaudissements retentissant de part et d’autres de la salle , prenant l’espace d’un Temps considérable pour se satisfaire de leurs bravos. Lorsqu’il tourna les talons, Rose avait déjà disparu dans la foule. Elle déguerpissait plus vite qu’un lapin de garenne. Autour de lui, les couples de danseurs se formaient déjà et il recula pour leur laisser place cherchant Enora du regard. S’il la trouvait, ils pourraient encore se joindre à la foule pour éclipser l’ensemble des autres couples qui valsaient au gré de la musique. Mais elle était nulle part à l’horizon. Peut-être avait-elle rejoint Rose un peu plus loin, pour la féliciter de sa prestation. Il traversa la foule, reconnaissant un costume bleu nuit. Isaac. Voilà pile, celui qu’il était venu chercher. Il s’était égaré mais voilà qui lui rappelait exactement ce qu’il était venu faire ici : comprendre. Le Temps de jouer des coudes, de se voir gratifier mille courbettes, proposer un verre de champagne qu’il avait refusé d’agacement puis hélé la seconde suivante, Isaac semblait aussi lui avoir échappé. Avisant un garde non loin de là, lequel lorgnait effrontément sur le buffet garni de petits délices raffinés d’un goût bien au-delà de ses prétentions, il s’avança vers lui : – « Vous… Mon brave. Auriez-vous vu mon enfant ? » – « Parti par là, Votre Majesté. Dans les galeries…Souhaitez-vous que j’aille l...» – « Non. Contentez vous déjà de faire votre travail » Il le dépassait déjà. Après tout, l’envie à Isaac de s’isoler ne l’étonnait guère. Il l’avait vu du garçon qu’il avait rencontré, quelque soit ses différentes époques. Refermant la porte, il s’avança dans le long corridor garni de lumières, remonta la première allée, sans y trouver la trace de son fils. Il allait faire demi-tour lorsqu’un claquement de chaussures attira son attention, au détour de l’embranchement, ainsi que des voix, dont l’une chuchotait. Quelqu’un faisait visiblement les cent pas. Ralentissant le pas, il pencha le buste, pour dépasser l’ébranchement sans se faire repérer. – « Tout ce que je te dis, tu connais très bien comment est Père… Rose. Cela n’empêche rien... » Il n’avait rien à se reprocher et était parfaitement en droit de se trouver là. Néanmoins, l’impression de se voir découvrir le força à se dissimuler de justesse dans l’obscurité, alors que d’un froissement de tissu, après la fin de sa phrase, Isaac passait non loin de lui . Il retint sa respiration, mais le jeune homme ne remarqua rien, trop occupé à offrir un dernier regard à sa sœur, avant de regagner la salle de bal. La porte refermée ainsi que la raie de lumière qui s’ouvrit pour mieux se dissoudre, témoigna de son départ. Preminger n’avait qu’à le suivre. Il cherchait Isaac, n’était pas venu pour Rose. Malgré tout, ses pieds demeurèrent inertes. Il n’était pas venu pour Rose, mais était venu pour comprendre. Pouvait-on lui en vouloir s’il se laissait piquer par la curiosité ? Rose était sa fille, de mémoire du peu qu’il se souvenait de l’enfant geignarde et pleurnicharde et de la jeune militaire, les deux possédaient en commun la loyauté indéfectible auprès de sa personne. Alors pourquoi diantre, lui semblait-il que la jeune femme le redoutait à présent ? Ou du moins lui en voulait-elle. Il devait l’admettre : il voulait savoir. Comprendre. Hera ne pouvait l’en tenir rigueur, ne s’évertuait-il pas à appliquer strictement les conseils et la promesse qu’elle lui avait tiré ? Tournant les talons, il s’avança vers la silhouette qui arpentait les lieux dans le clair-obscur ambiant — «Loin de moi l’idée de te suivre.. » claironna-t-il jusqu’à la faire sursauter « Mais il faut admettre que nos pas convergent dans cette soirée… » Il la retrouvait, pourtant, davantage bouleversée qu’il ne l’aurait cru. Le rouge de sa colère s’était entièrement étendu à l’ensemble de son visage et la nervosité contenue arpentait son visage avec davantage d’ardeur. – « Il me semble avoir heurté un sujet sensible ce soir… » affirma-t-il d’un air avisé « Ma très chère fille, laisse-moi te confier un secret… » déclama-t-il avec assurance, en s’approchant d’elle, déposant sa main sur son épaule frêle « Ton perfectionnisme est louable, puisqu’il est l’âme de ma Cour. Chaque courtisan, pour s’illustrer, doit posséder en lui, la nécessité de briller. Mais ce qu’il convient de ne pas perdre de vue, ma très chère… reste qu’aussi rutilante que puisse être la Cour, chacun de ses membres demeurera perfectible aux yeux de son Souverain. Tu le sais mieux que quiconque n’est-ce pas ? Toi, qui possède mon sang et marche à ma droite. » Il déposa une main sur son épaule, la fixant de ses yeux dorés. Cela était exact, quelque soit l’époque ou l’éventuelle vie qu’elle trouvait ici. Elle ne pouvait avoir été que témoin de son exigence. Et bien qu’elle ne souhaita que d’atteindre la perfection qu’il visait, ce qui témoignait de sa loyauté, elle n’y parviendrait pas. Ou peu. En tout cas, la petite remarque qu’il avait faite n’était que bénigne. Comment diantre pouvait-elle s’en agacer à ce point ? — « Au-delà de cette infime brimade, j’ai été magnanime et même, ô combien charitable à ton égard… Pourquoi se ternir d’une peccadille, lorsqu’un déluge eut pu être en cause sans mon intervention? » il soupira, secouant la tête de gauche à droite « Mais, tu ne le vois, pas cela… Voilà toute ma récompense, Rose ? Réjouis-toi, je t’ai évité l’opprobre d’un cavalier pataud, que ton perfectionnisme devrait avoir en horreur et je t’ai ainsi permis de briller, comme tu le souhaites… Songe à cette faveur faite, ma petite fleur… » Et il s’était esclaffé de bon coeur, aveugle à l’effet que ses propres paroles faisaient sur sa fille. A moins que l’un d’entre Lui ne le sache pertinemment…
crackle bones
Rose E. Preminger
« J'ai pas trouvé où on peut demander un rang personnalisé... ! »
Elles les avaient chassés d’une main impatiente comme s’il s’agissait de simples mouches autour de son visage. Les domestiques avaient alors reculé docilement et promptement, la laissant en proie à ses pensées et ses soupirs agacés. Elles avaient l’habitude. Elle ne lui en tiendrait pas rigueur. Rose avait l’habitude que l’on s’occupe de sa toilette depuis sa plus tendre enfance et ses servantes avaient l’habitude de la voir perdre patience quand ses angoisses commençaient à monter. Elle avait relevé les yeux et croisé leur regard à travers le miroir, le signal qu’il fallait désormais sortir de la chambre sans faire de bruit. Elles ne seraient pas loin, elles n’étaient jamais loin. Pourtant, la jeune fille savait qu’elle n’avait plus besoin de rien. Son maquillage était impeccable, ses cheveux également. Ils étaient nettement plus difficiles à coiffer selon les mœurs de la Cour depuis qu’elle les avait coupés. Elle ne regrettait rien. Il avait pourtant fallu batailler.
Ça lui avait pris comme ça, un matin. Elle s’était levée un peu plus tôt qu’à l’accoutumée, avait attendu en marchant dans sa chambre, attendant que le petit personnel se mette enfin en mouvement autour d’elle. Rose aimait se lever plus tôt que les employés. Elle avait l’impression que sa journée lui appartenait. Loin des apparences et des courbettes. Un monde où elle était seule maîtresse de ses actes et de ses pensées. C’était sa façon de s’apaiser, elle sentait ses pieds nus se poser sur le parquet ou sur le carrelage, sur la pierre aussi par endroit, et prenait conscience de la pression qu’exerçait chaque centimètre de sa peau. C’était délectable, elle se sentait vivante, en pleine conscience et avait l’impression de former un tout avec l’univers, avant que celui-ci ne l’avale tout entier, sous les traits de son père. Rose était une jeune femme anxieuse, tout comme son frère. Les plus médisants diraient peut-être qu’il ne pouvait en être autrement avec un pareil Père. Elle ne voyait pas cela comme une fatalité, elle ne croulait pas sous la tension contrairement à son aîné, elle l’acceptait et en faisait une force en le maîtrisant, juste avant d’entrer en scène. Et ce matin-là, alors qu’elle marchait l’esprit vagabondant, elle avait croisé son regard dans le miroir de sa causeuse et il n’avait plus trouvé aucune grâce à ses yeux. Ses cheveux. Ses tonnes de cheveux. Ils étaient aussi bouclés que ceux de sa mère et quand ils n’accentuaient pas sa ressemblance avec elle, ils accentuaient son rôle de petite princesse polie et docile. Ce n’était pas ce qu’elle était. Elle ne le serait jamais. Et ce n’était pas non plus ce que son Père attendait d’elle. Elle était une guerrière, destinée à des rêves de conquête qui la dépassaient, à des aventures incroyables aux quatre coins d’un monde qui n’en détenait aucun. Il n’y avait pas de place là-bas pour des jeunes filles aux longs cheveux qui s’emmêlaient et qu’on perdait du temps à brosser. Elle n’avait pas de Temps à perdre. Elle avait tout à gagner.
Sa main s’était abattue sur le bureau aussi rapide que l’éclair et avant même que la pensée “Que va dire Père ?” eu envahit son esprit, elle tenait déjà dans sa main droite une touffe de cheveux sans vie, dépossédé de leur tête par un ciseau qu’elle tenait fermement dans sa main gauche.
— Trop tard pour reculer.
Rageusement, elle s’était remise à couper, encore et encore jusqu’à ce que ses cheveux aient à peine une longueur suffisante pour toucher ses épaules. Les domestiques l’avaient alors retrouvé là, au milieu de ses cheveux, tombés au sol comme on tombe au combat, à genoux mais fière, sereine de ce qu’elle venait de réaliser.
— VOTRE ALTESSE !
C’était le cri de terreur de Jolene qui l’avait sortie de son état de Grâce. La pauvre femme était affolée, lui retirant le ciseau des mains, touchant ses cheveux comme pour s’assurer qu’ils étaient désormais plus courts. De nombreux “qu’avez-vous fait ?” avaient raisonnés, tout comme des “que dira le Roi ?” mais rien n’avait pu l’atteindre. Jolene avait tenté de rattraper le coup, les mains tremblantes et elles avaient été obligé de se résoudre à appeler le coiffeur royal. Une fois sa coupe au carré présentable, il avait fallu passer l’épreuve de son Père. Comme elle s’y était attendu, il n’avait pas aimé du tout ne pas être consulté sur le sujet, elle avait alors expliqué que tout s’était passé très vite, comme un besoin impérieux et que cela scierait nettement mieux à l’Habit et aux expéditions. La discussion avait été longue, comme à chaque fois avec Père, mais ils en étaient chacun ressortis apaisés.
Le reste n’avait été que broutille. Elle se fichait du regard des autres, elle était bien au-dessus de tout cela. Elle était princesse, fille du seul et unique Roi que ce monde ne pouvait porter et porterait désormais à jamais, elle n’avait pas à rougir du regard des autres. C’était ce que Père lui avait inculqué. De sa mère, elle avait hésité son caractère bien trempé, qui l’aidait à ne pas douter, à rester sûre d’elle-même, la plupart du temps. Elle avait toujours su remettre les gens à leur place quand c’était nécessaire, bien que prenait avec elle des pincettes que les autres demoiselles de la Cour ne pouvait qu’espérer. Elle avait toujours suscité de l’admiration, elle le savait, pas seulement par son rang mais parce qu’elle assumait tout, osait tout et dans un monde où l’apparence était Reine, l’absence de gêne était vu comme un talent rare, innée, qu’il fallait adorer. Sa mère en avait ri, amusée de son audace et de sa rébellion qu’elle “croyait” avoir aussi vécu. Elle s’était contentée de lui préciser qu’elle aurait aimé voir la tête qu’avait fait son Père. Isaac avait été surprise, s’était moqué doucement, avant d’admettre que ça lui allait bien. La moquerie. C'était la seule chose qui lui restait face à l’admiration désarmante qu’il éprouvait pour elle parfois. Isaac n’était pas comme elle, elle le savait. Isaac n’était pas insensible au regard des autres, bien au contraire, il les craignait.
Pourtant ce soir, alors que ses poings se resserraient sur sa causeuse, elle en venait à douter. Observant son reflet dans le miroir, la mâchoire serrée, elle maudissait le jour où elle avait pris ce ciseau, maudissait ses cheveux et maudissaient ces idiotes qui avaient deux mains gauches dès qu’on leur demandait de sortir des sentiers battus. C’était à croire que sa coupe serait interminable, que le diadème ne tiendrait jamais, qu’elle n’était plus digne du rang qu’elle avait. C’était stupide absolument stupide, ce n’était que des cheveux après tout ! Mais s’il n’appréciait pas... ?
— Tu es magnifique, Rose, tout le monde le verra. Avec ou sans cheveux longs. Ils l’ont déjà tous dit... même lui.
— Oh ferme-là, abruti !
C’était sorti tout seul. Si le début de sa phrase avait eu le don de la calmer, comme s’il lisait dans ses pensées, ce qu’il devait sans doute faire depuis des années, la fin l’avait fait sortir de ses gongs. Il n’avait pas le droit de lui parler de lui, il ne savait rien, absolument rien. D’ailleurs elle n’avait pas, une seule seconde, pensé à lui, elle n’avait pensé qu’à elle, comme à son habitude, et ce qu’il pouvait en penser, elle s’en fichait comme de sa première dent de lait. Pourtant elle ne trompait personne, elle voyait à travers le reflet les yeux dorés de son frère rivés sur elle, une moue goguenarde au coin des rêves.
— En voilà une façon de parler, Altesse. Et à son aîné de surcroît...
— Je t’emmerde, ton Altesse, ça fait plus princier tu trouves ?
— Est-ce que Père approuverait à ton avis ?
Pour toute réponse, elle se tourna vivement vers lui, montrant ostensiblement un magnifique majeur dans un geste que “Père” n’approuverait absolument pas. Elle avait soupiré, impuissante et Isaac s’était approché d’elle pour la prendre dans ses bras, lui caressant doucement la nuque en prenant garde à ne pas gâché sa coiffure. Ils avaient beau avoir 21 et 26 ans, ils continuaient à agir comme des enfants lorsque le Temps leur appartenait, loin des regards, de la Foule et de Père. Rose avait soupiré, glissant entre ses dents :
— Tu me fais chier, tu le sais ça ?
— Oui... mais pendant que je te fais chier, tu passes tes nerfs sur moi plutôt que sur Jolene et Lucie...
Elle avait soupiré de plus belle.
— J’irai m’excuser...
Elle l’avait dit de mauvaise grâce. Le personnel était là pour les servir, ça faisait partie de leur job de s’en prendre plein la tronche quand ils étaient infoutus de le faire correctement, elle en était intimement convaincue. Isaac lui avait pourtant appris à être plus douce, à traiter le petit peuple comme son égal, car il y avait bien plus à gagner ainsi, selon lui. Ils avaient beaux être différents, il avait beau paraître le plus gauche des deux, Rose voyait en son frère une montagne d’intelligence et de sagesse qu’elle admirait secrètement depuis sa plus tendre enfance. Si Isaac pensait que c’était le mieux, alors Isaac avait raison. Il n’y avait qu’un seul autre homme qui pouvait se targuer de sa dévotion : leur Père. Et si Isaac et Père avaient tous les deux raisons, en étant pourtant pas accordé l’un à l’autre, alors Rose vivait les pires dilemmes de sa vie.
— J’y veillerai personnellement petite sœur.
Il avait éclaté de rire quand elle lui avait lancé un regard réprobateur, rappelant à quel point elle était libre et fière, refusant de se plier aux ordres de quelques hormis sans doute ceux du Roi... elle ne se pliait qu’à ceux à quoi elle convenait de se plier et elle n’hésitait pas à le faire savoir. Son aîné le savait, bien évidemment, et sa boutade prouvait une fois de plus à quel point il la connaissait. Se reculant légèrement, il lui présenta son bras avec un sourire doux :
— Si Mademoiselle veut bien se donner la peine, maintenant que nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’elle est absolument parfaite dans cette robe...
— Je suis toujours parfaite.
Elle l’avait dit d’un ton impérieux en relevant la tête, ressemblant peut-être plus à son père en cet instant qu’elle ne pouvait l’espérer avant de se dresser sur ses jambes et d’inspirer profondément. Elle prit alors le bras de son frère, non sans vérifier sa tiare une dernière fois dans le miroir et se mit en route en direction de la salle de bal. Le brouhaha ambiant et la musique leur parvenait comme un étrange écho fantomatique, étouffé par les hauts murs du palais et les riches tentures et tableaux. Rose adorait ses appartements. Son aile avait toujours été la plus proche du centre névralgique des bals fastueux. Quand elle était petite et qu’on l’obligeait à aller se coucher, elle se consolait avec l’idée qu’elle pouvait au moins continuer d’entendre au loin les fastes des festivités et cela lui donnait l’impression d’être toujours parmi eux, secrètement et peut-être aussi un peu sournoisement. Quand elle entendait les fortes acclamations, elle imaginait quelles figures de danse Père avaient dû réaliser avec Maman pour parvenir à ce résultat et tout ce tumulte ambiant la berçait jusqu’à l’endormissement. Maintenant qu’elle était plus âgée, elle avait tendance à clôturer les fêtes et ne s’endormir que lorsque le monde était parti mais prenait le temps de se nourrir des bruits et des sons avant même de faire son apparition, comme le début d’un spectacle, une répétition avant de monter sur scène. De son côté, Isaac était en train de se tendre. Elle le sentait à sa démarche pourtant étudiée mais qui avait gagné en rigidité. Le bruit, la foule, ça n’avait jamais été le fort de son aîné. Il était d’ailleurs parti se terrer dans l’aile la plus éloignée du tumulte. Y avait-il une autre raison que celle de son caractère ? Il ne lui semblait pas que ses appartements avaient un jour changer et elle se demandait comment ses parents avaient pu savoir que cet éloignement était le mieux pour lui. Si autre raison il y avait, elle n’en avait aucune connaissance, celle-ci c’était créée bien avant sa naissance et même... sa conception.
— Dès que les portes sont ouvertes, tu pourras te libérer de tes obligations, je me charge du spectacle.
Un sourire en coin s’était étendu à la commissure de ses lèvres, jouissant par anticipation des regards et des acclamations qui allaient s’abattre sur elle... même si le regard qu’elle craignait le plus serait là aussi, attendant peut-être aussi impatiemment qu’elle, qu’elle vienne chercher son bras... Isaac de son côté s’enthousiasmait aussi à l’idée de retrouver ses occupations solitaires, loin de la foule déchaînée. Mais lorsque la salle de bal s’offrit à eux, la foule se fit docile, presque silencieuse, tandis que tous les regards se tournaient vers eux. Il y eu des regards de surprises venant de ceux qui ne l’avait pas encore découvert avec cette nouvelle tête, mais tous en vinrent bientôt à applaudir avec ravissement. Rose leur lança un sourire radieux tout en prenant la main de son frère dans la sienne, saluant la foule de sa main libre et une légère pression sur la peau fraîche de son aîné lui fit comprendre qu’il pouvait désormais s’éclipser sans risquer de faire honte à leur Père. Elle se chargeait du reste, comme à son habitude. Le dos droit, la tête relevée, elle s’avança droit vers la foule, la fendant de son pas impérieux à la recherche des uniques yeux qui vaudraient le coup ce soir et ceux qui avaient pourtant le don de la mettre dans un état d’appréhension détestable.
— Mes très chers amis… Votre attention.
A cet instant précis, juste à cet instant, la jeune fille comprit alors que son Père lui avait une fois de plus menti. Non. Il n’avait pas menti. Il avait failli à son devoir. Il ne le faisait que lorsque cela lui était plus profitable à lui et elle s’en voulait à présent de n’avoir pas su comprendre, que cette grossière interruption lui serait bien plus profitable que la soirée qu’elle s’était imaginé et qu’elle lui avait humblement demandé. La musique s’arrêta en même temps que son cœur cessa de battre, accusant le coup de la douche froide qu’elle recevait en cet instant en plein visage. Tout le reste aurait pu pour quiconque paraître ambigu mais pas pour elle. Elle pouvait voir tandis qu’elle s’était figée les regards des uns et des autres, voguant d’un air surexcité vers le reste de la Cour. Si le sort de son frère, “Isaac l’inaccessible”, ne faisait plus espérait personne au sein du royaume, elle savait qu’elle restait le dernier espoir de ces abrutis aux dents acérés pour conclure un bon mariage et tous se demandaient à présent qui serait l’heureux élu, l’approbation divine du Roi. Pour sa fille en revanche, il n’y avait plus aucun mystère. Personne d’autre avait grâce à ses yeux que lui... ce qu’il confirma prestement. Lorsqu’il lui tendit la main pour qu’elle la prenne, de façon impérieuse, son regard planté dans le sien, son sourire carnassier rivé sur son visage, elle sentit brusquement monter en elle une bouffée de colère. Il savait exactement que qu’il était en train de faire, elle le voyait au fond de ses yeux et, sur chaque repli de son sourire triomphant. Il lui montrait qu’il remportait une fois de plus une bataille et leur discussion, que sa demande de faveur n’avait pas su l’atteindre. Elle le comprenait, il était très souvent difficile de convenir à Père, mais ce qu’elle ne lui pardonnait pas, c’est de lui avoir menti. Cherchait-il à lui faire du mal ? Bien sûr que non, ce n’était pas à elle qu’il voulait faire du mal, elle le savait. C’était à celui qu’il ne se donnait même pas la peine de regarder, celui dont elle craignait le regard encore plus qu’auparavant. Il fallait qu’elle reste concentrée sur son Père, si un seul cil se portait vers cet Autre, alors peut signerait-elle son désaveu à la Cour... ou pire. Non, elle le voyait bien aux tressaillements qu’il avait autour de ses yeux, à la commissure de ses lèvres, au léger tremblement qu’avait sa main à se tendre ainsi, il ne faisait que savourer l’humiliation qu’il offrait à un jeune homme après avoir laissé sa fille lui promettre sa main pour la soirée, il lui donnait sa Leçon, que lui seul était Immuable et Irremplaçable et qu’elle le choisirait toujours LUI, son Père, le Roi, envers et contre tout. C’était peut-être ce qu’il l’avait le plus ébranlé, le plus donné envie d’hurler et sans doute aussi de pleurer : en cet instant, il n’avait pas pensé une seule seconde à elle, que l’humiliation et la douleur, elle les subissait autant que lui. Il ne s’en était pas soucié une seule seconde, elle le savait. Elle avait alors posé la main sur la sienne et il l’avait refermé comme un étau se referme sur du métal, l’attirant à lui sans pitié, pour déposer son autre main au bas de son dos, là où elle convenait d’être, nettement plus haute que là où il posait sa main avec sa mère. Il y avait nettement plus de décence et de “mesure” quand il dansait avec elle, si tant est que la mesure puisse être accepté dans le champ lexical se rapportant au Roi. De son côté, sa main gauche était venue se poser sur son épaule, comme on le lui avait appris, comme il le lui avait appris quand il avait décidé qu’il accepterait finalement de parfaire son éducation de la danse.
Ils s’étaient alors mis à tourner au rythme de la musique, son cou tendu, sa tête dans un maintien propre à la danse qu’ils effectuaient, un sourire de façade sur les lèvres. Pourtant, à chacun de ses pas, elle avait le sentiment d’entendre les morceaux de son cœur brisé s’entrechoquer comme de la porcelaine. Pourquoi n’avait-elle pas le droit à son cavalier ? Qu’avait-elle pu faire de si grave ? Elle se souvenait de quelques discussions quelques années auparavant où il avait au contraire pousser Isaac à commencer à se montrer accompagné, comme le voulait la bienséance et pour continuer à alimenter le jeu sordide de la Cour de ceux qui se rêvait au plus proche du Roi. Pourquoi elle n’avait pas le droit au même traitement ? Pendant des années, il l’avait laissé aller au gré de ses envies de et sa sexualité sans même sourciller mais c’était à croire que l’idée qu’elle puisse se poser lui était intolérable à l’inverse de son frère. Est-ce que c’étaient ses cheveux qui l’avaient mis dans une telle envie de vengeance ? Ou bien elle était tout simplement étrangère à cette envie subite de la garder “célibataire” ? Une chose était sûre, elle n’avait jamais autant détesté danser avec son père qu’en cet instant précis. Tout était gâché, il n’y avait qu’une seule danse de présentation et elle était en train de l’effectuer avec son géniteur. Danser avec le même cavalier le reste de la soirée lui donnerait un mauvais genre, elle ne pouvait pas le présenter dans ces conditions, ni pour elle, ni pour l’Etiquette, ni même pour lui. Et pour rien arrangé, il avait engagé la conversation...
— Très chère, voilà une bien jolie toilette ! Et un très grand jour ... Votre maintien dans votre entrée aurait presque pu être qualifié de parfait.
Le faisait-il exprès ? Elle avait réprimé un geste de colère qui avait pourtant eu une folle envie de sortir, se contentant de continuer à sourire à la foule, concentrée sur ses pas. La toilette était approuvée mais à quoi bon le retenir si son maintien était à peine passable ? Elle mourrait d’envie de lui répliquer qu’il aurait sans doute était meilleur s’il n’avait pas eu la désagréable idée de lui foutre sa soirée en l’air mais elle s’en était abstenue. Si elle aurait pu lui dire en privé, le petit peuple, lui, n’avait pas besoin de connaître les coulisses. S’en était alors suivi une conversation maîtrisée entre les deux, même si elle sentait une irrépressible envie d’hurler monter en elle. Elle avait senti son cou chauffer et la démanger, le haut de sa poitrine aussi, une vilaine habitude de son corps de faire apparaître ses colères ravalées de manière visible aux yeux de tous. Elle avait beau tenter de se calmer, le mal était fait. Rares étaient pourtant ceux à savoir pourquoi cela se produisait mais son Père en revanche, le savait très bien. Il pouvait savourer tout à loisir l’état de lequel il la mettait. C’était à croire qu’il le faisait exprès ou qu’il avait tout oublié, c’était si étrange. Si l’idée de la faire enrager par manipulation n’était pas une notion inconnue de l’homme, sa façon de le faire en revanche était totalement inédite. Il avait l’habitude d’appuyer où ça faisait mal en montrant qu’il le faisait, se gaussant de rires écœurants et d’un éclair de pure cruauté dans les yeux mais en cet instant, il n’y avait rien de tout ça. Au contraire... en dépit de ce qu’il disait, il ne semblait pas vraiment se souvenir de l’ampleur de ce que dont il l’avait privé, il semblait observer son mécontentement silencieux et vouloir l’apaiser à l’aide de conseils et de mots rassurants sur des sujets qui n’avaient absolument rien à voir. Bien sûr qu’elle avait été piquée au vif sur les phrases liées à son maintien, elle ne tolérait que la perfection et elle était certaine qu’elle l’avait atteinte, en dépit de ce qu’il pensait, c’était évident qu’il l’avait dit pour la blesser... mais le reste ? Elle avait presque envie de le secouer et lui demander de se réveiller. Le fuyant autant qu’elle le pouvait et cette situation des plus désagréables, elle avait tenté de LE retrouver de ses yeux à travers la foule qui tournait dans un mouvement ordonné et flou tout autour d’elle. Elle n’y parvenait pourtant pas, son Père sentait son inattention et tentant vicieusement de la ramenait à lui en accélérant la cadence. Elle suivrait, ce n’était pas la première fois, elle était très bonne danseuse et savait faire mais sa vision, quant à elle, ne parvenait plus à rien à retrouver... elle en aurait pleuré de colère si elle n’était pas autour de tous ces abrutis en robe longues et costumes trop serrés. La tête commençait à lui tourner, ils allaient beaucoup trop vite, bientôt le vertige viendrait si elle ne recentrait pas sa vision. Voyant son trouble, elle avait senti la prise de son père sur son dos se raffermir pour la prévenir d’une chute. La dernière phrase avait été la phrase de trop... La perfection avait été atteinte uniquement parce qu’il était à son côté, un autre cavalier aurait fait pire que mieux. Vraiment ? Vraiment Père ? C’était donc cela que vous pensiez ? Alors pourquoi ne pas me l’avoir spécifié plus tôt cet après-midi ou même quand je vous ai demandé ma faveur plutôt que ce soir ? Les mots avaient été à deux doigts de sortir de ses lèvres, si bien que pour s’en prémunir, à la seconde où la musique s’était stoppée et qu’il avait relâché un peu sa prise, elle s’en était dégagé et avait fendu la foule sans voir personne pour sortir de la pièce.
Elle avait continué sa course dans le couloir à la même vitesse, incapable de ralentir, trop effrayée d’exploser si elle le faisait. Les gardes avaient baissé les yeux sur son passage, trop habitué à ses éclats de colère et la possibilité d’en faire les frais si l’un deux croisaient ses yeux bleus. Elle avait tourné à l’angle d’un couloir, le nouveau étant éclairé par lune blanche et pleine qui s’élevait sur les jardins royaux. Les grandes fenêtres servaient de puit de lumière et les quadrillages se répercutaient sur les tableaux du mur parallèle. Enlevant un de ses escarpins doré, elle avait étouffé un cri de colère entre ses lèvres clauses en la lançant de toute ses forces. La chaussure avait atteint la fenêtre dans un bruit retentissant, sans la casser pour autant et Rose avait fini par s’effondrer aux pieds de celle-ci entourée des différents tissus de sa robe tout autour d’elle, comme une fleur échouée dans un jardin. Portant ses poignets à ses pommettes, en prenant pourtant garde à ne pas toucher ses yeux maquillés, elle avait fondu en larmes silencieusement, le corps secoué de convulsions douloureuses.
— Rose...
— Tire-toi de là, toi !
Elle ne l’avait même pas entendu la suivre mais était-ce si surprenant ? Isaac avait toujours été si discret... et toujours là pour elle. Il avait su, tout comme elle, à la seconde où leur père avait ouvert la bouche que la suite serait un massacre. Mais elle ne voulait pas le voir, pas l’entendre, elle ne voulait voir plus personne. Elle voulait rester seule, expier sa douleur et sa rage jusqu’à ce qu’elle en tombe de fatigue et qu’on lui permettre de le faire, loin des regards. S’il y avait une personne en particulier qu’elle ne voulait pas voir en dehors de son Père, c’était bien lui. Avec son visage si similaire, ses mêmes yeux pourtant si différents, elle en aurait presque envie de les lui arracher. Elle avait pourtant senti sa main frôler la sienne, toujours proche de sa joue, tandis qu’il lui tendait son mouchoir en tissu sobrement, brodé de ses initiales. Sans un remerciement, elle s’en était emparé violemment et s’était mis à éponger ses larmes en prenant soin de ne pas terminer pour de bon son maquillage. Elle allait devoir y retourner, elle n’avait pas le choix. Elle refusait que cela donne lieu à des ragots.
— Il...
— C’est un gros CON.
— Pas si fort !!
Il l’avait chuchoté, paniqué et elle savait qu’il avait raison. Si ces mots avaient été entendus...
— C’était évident que ça se terminerait comme ça, c’était trop facile...
— Trop facile ? Tu te fous de ma gueule ?! Ça fait combien de temps qu’ils veulent te maquer ? Moi je demandais juste une danse, exactement ce qu’il veut que tu fasses depuis je sais pas combien d’années et...
— Tout ce que je te dis, tu connais très bien comment est Père… Rose. Cela n’empêche rien...
Elle avait eu un pouffement de rire méprisant, proche d’une nouvelle explosion de colère. Bien sûr que ça empêchait tout. Il était né dans une étable ou quoi ?! Avait-il oublié l’Etiquette de la Cour ? Elle ne pouvait plus le présenter ce soir, ce devrait être un autre soir, tout était foutu... Sans un regard, elle s’était contentée de lui pointer la direction de la salle de bal, l’invitant à se retirer dans les plus brefs délais. Elle l’entendit soupirer et dire à voix basse :
— Garde le mouchoir, t’en a plus besoin que moi...
Puis son pas se détourna et s’éloigna et elle fut enfin seule...
— Loin de moi l’idée de te suivre... Mais il faut admettre que nos pas convergent dans cette soirée…
Elle avait ressenti un sursaut violent entendant sa voix. Depuis combien de temps était-il là ? Isaac l’avait-il vu ? Et l’idée même qu’il puisse la voir dans cet état lui donnait envie de vomir. Sans le regarder, elle avait ramené son pied nu un peu plus proche de l’autre sous son amas de tissu, cherchant à se mettre un peu plus en boule, à fuir tout contact tandis qu’elle répondait avec amertume :
— Nos pas convergent uniquement parce que vous les faîtes converger, Père.
Elle avait bien insisté sur le “Père” et sur le vouvoiement qu’elle ne lui donnait qu’en publique et dans des moments solennels ou d’énervement. Si Isaac n’avait jamais rien connu d’autre... elle avait toujours bénéficié d’un traitement particulier, elle le savait.
— Il me semble avoir heurté un sujet sensible ce soir… Ma très chère fille, laisse-moi te confier un secret… Ton perfectionnisme est louable, puisqu’il est l’âme de ma Cour. Chaque courtisan, pour s’illustrer, doit posséder en lui, la nécessité de briller. Mais ce qu’il convient de ne pas perdre de vue, ma très chère… reste qu’aussi rutilante que puisse être la Cour, chacun de ses membres demeurera perfectible aux yeux de son Souverain. Tu le sais mieux que quiconque n’est-ce pas ? Toi, qui possède mon sang et marche à ma droite. Au-delà de cette infime brimade, j’ai été magnanime et même, ô combien charitable à ton égard… Pourquoi se ternir d’une peccadille, lorsqu’un déluge eut pu être en cause sans mon intervention ? Mais, tu ne le vois, pas cela… Voilà toute ma récompense, Rose ? Réjouis-toi, je t’ai évité l’opprobre d’un cavalier pataud, que ton perfectionnisme devrait avoir en horreur et je t’ai ainsi permis de briller, comme tu le souhaites… Songe à cette faveur faite, ma petite fleur…
Elle avait frissonné lorsqu’il avait posé sa main sur son épaule, sentant le poids qu’il rajoutait sur ses épaules, un poids qui existait déjà depuis bien des années pourtant. Elle refusait de le regarder, les yeux rivés sur le jardin en contre bas, plongé dans une pénombre aux éclats argentés. Si elle levait les yeux, elle pourrait sans doute discerner son reflet, éclairé par la lune, mais elle restait à son niveau le point serré sur le mouchoir d’Isaac, se voyant elle-même dans un état largement plus déplorable qu’elle espérait se montrer. Elle aurait voulu faire semblant que tout cela ne l’atteindrait pas mais c’était impossible, parce qu’elle l’aimait, même si elle refusait de se l’avouer et qu’elle avait fait confiance à son Père qui l’avait trahi. Et toujours ce double discours si étrange, ce début qui semblait faire croire qu’il ne savait absolument pas ce qu’elle pouvait lui reprocher avant de rentrer plus profondément au cœur de son argumentation, plus insidieux et douloureux, ce qui avait finalement eu le don de faire sauter tous les verrous.
— Vous ne l’aimez pas, c’est entendu. Mais POURQUOI ne pas me l’avoir dit quand je vous l’ai demandé ? Pourquoi ne pas avoir refusé à cet instant plutôt que ce soir ? Vous m’aviez PROMIS que vous acceptiez sincèrement, que vous ne feriez pas ça. Est-ce que vous avez voulu me punir en même temps que lui, est-ce que je méritais d’être puni ?
Elle avait enfin tourné la tête vers lui, l’observant en contre-bas. Elle n’avait pas su maîtriser son expression, elle savait qu’on y lisait toute la douleur, toute la tristesse et lorsqu’elle avait senti les larmes rouler sur ses joues, elle avait brusquement détourné le regard de nouveau, posant le mouchoir pour les éponger. Elle avait pourtant eu le temps de le voir, cet éclat dans ses yeux, tandis que ses larmes coulaient. Père détestait la voir dans cet état. C’était le seul visage qu’il ne lui permettait pas d’avoir avec lui, cela réveillait en lui quelque chose de malsain et de dérangeant. Une colère sourde, mélangé à une douleur profonde et un rebiffement, comme s’il refusait d’admettre. Elle ne s’était pourtant pas excusée, pas ce soir. Elle se doutait que cela avait avoir avec Maman. Elle ressemblait à Maman. Peut-être presque autant qu’Isaac ressemblait à Père. Avait-il vu un jour un tel regard sur le visage de Mère au point qu’il ne puisse plus supporter de le voir ? Elle avait fini par en arriver à cette conclusion. Isaac disait parfois que Père avait fait beaucoup de mal à Maman, sans pourtant en dire plus. Il disait ne pas en savoir plus. Mais il disait aussi que depuis ce jour, Père s’en voulait et qu’il avait fermé cet évènement à double tour dans son cœur. Il refusait d’imaginer que Maman puisse de nouveau avoir ce regard et il refusait donc de le voir sur elle aussi. Ça devait sans doute raviver trop de choses...
Elle l’avait senti se pencher vers elle, avant de s’asseoir à son tour, sans doute pour être à sa hauteur.
— J’aurais pu tout entendre, si vous me l’aviez expliqué. Au lieu de ça, vous m’avez laissé y croire avant de m’arracher à ce moment. Vous avez tout gâché et vous êtes en boucle sur mon manque de perfection.
Elle avait fini de ressuyer ses yeux pour plonger dans son regard une expression plus dure et plus féroce :
— Ne me mentez pas, vous avez VRAIMENT l’impression de m’avoir fait une faveur en cet instant ? Vous êtes sûr que ce n’est pas plutôt à VOUS que vous avez fait une faveur ?
Elle savait qu’elle allait peut-être trop loin : l’expression, les mots, l’intonation, tout était profondément hostile mais elle n’arrivait pas à rester calme et après tout, il la connaissait suffisamment pour savoir qu’il n’aurait jamais dû revenir aussi tôt s’il ne voulait pas l’entendre. Elle avait bougé son épaule pour qu’il enlève sa main puis se recula à l’aide de ses mains un peu plus loin. Pas trop loin cependant : elle réalisa qu’il s’était assis sur un pan de sa robe. Intentionnellement ou non, le résultat était là, cela l’avait bloqué dans son élan et elle était retombée sur ses fesses à peine plus loin de là où elle était précédemment.
— Vous vouliez l’humilier, cela ne fait aucun doute mais vous êtes-vous seulement rendu compte à quel point vous m’avez humilié aussi ? Est-ce que c’était ça ma récompense ? Pour quelle faute, je vous prie ? Pour mes cheveux ? C’est la seule décision que j’ai prise sans vous consulter, tout le reste est toujours fait avec vous et dans votre intérêt alors quitte à ce que vous soyez venu, j’aimerai au moins avoir une explication...
Détournant son regard une nouvelle fois, elle avait replié ses genoux vers sa poitrine et les avaient entourés de ses bras. Peu importait que sa robe soit froissée, la soirée était foutue de toute façon. Posant son menton sur ses genoux, elle contempla de nouveau le jardin au loin, ignorant encore à quel point son père jouerait carte sur table.
Erwin Dorian
« If the crown should fit, then how can I refuse? »
| Avatar : Rufus Sewell
- Pour ma victoire? C'est adorable, trésor... Même si en toute modestie, je dois admettre, qu'au-delà de cela, je suis un prestigieux modèle pour mes concitoyens"
(Alexis pense-t-elle qu'il est parti trop loin? Sûrement! On approuve)
| Conte : Coeur de Princesse/Le Prince et le Pauvre | Dans le monde des contes, je suis : : Preminger
“Il nous faut obéir, ma soeur, à nos parents : un père a sur nos voeux une entière puissance.”
Il était venu chercher Isaac, il avait trouvé Rose. Et ses interrogations l’avaient menées à la jeune femme. Au moins, Hera ne pourrait jamais lui reprocher de ne pas avoir tenté de comprendre. Mais à présent que la jeune femme se livrait à lui, l’ancien ministre finissait par se questionner sur le bien-fondé de sa démarche… Il ne connaissait guère l’ampleur du problème lequel semblait aussi le concerner, de près ou de loin. Avait-il adopté la bonne attitude en venant consulter sous couvert d’un sourire provoquant la jeune femme ? Après tout, il n’entendait rien des raisons pour lesquelles cette dernière pouvait manifester de la colère à son égard… Alors, était-il prudent de s’aventurer sur un terrain miné ? N’aurait-il pas mieux valu de congédier ses attentes et interrogations d’un revers de main avant de tourner les talons jusqu’à la salle de bal ? S’il se pressait, il pourrait retrouver son Fils… Pourtant, il ne parvenait pas à esquisser le moindre mouvement. Même dans la pénombre, la tâche rouge gagnait du terrain sur la gorge dégagée de sa fille, tel un étendard conquérant, en terrain ennemi. Qu’importait… Il se trouvait, à présent, étrangement alpagué par cette affaire. Après tout, que risquait-il ? S’il finissait démasqué, il fuirait ou convaincrait Rose.. Il devait l’admettre : il avait envie de jouer le jeu. De se glisser dans sa propre et future peau, si seyante d’autant plus qu’elle se trouvait parée de la Couronne. Il pouvait s’amuser… et découvrir… S’étonnant de l’agacement de sa fille quant à son exigence de perfectionnement, Preminger avait plaisanté de manière acérée, comme à son habitude. Son Lui, futur ne pouvait pas avoir perdu cette faculté. Et Rose ne pouvait qu’en être habituée. Cela se trouvait être l’une de ses manières les plus habituelles de communiquer avec les autres, même lorsqu’il s’agissait des membres les plus intimes. Sur un ton doucereux, mais qui, une fois au pouvoir, ne cachait plus sa mesquinerie. Rose n’en prendrait pas ombrage, ou ne s’en offusquerait pas, elle en serait habituée. Après tout, il lui semblait l’avoir partiellement cernée des rares petits échanges qu’ils avaient pu avoir… Pour autant cela fonctionna presque trop bien… Il fallait s’en dire que le ministre ne s’attendait guère à ouvrir les vannes de sa souffrance. Surtout pour une raison aussi… dérisoire. Ainsi, elle avait le béguin pour ce petit avorton dansant ? L’Amour. Encore et toujours l’Amour ? Les réponses étaient en définitive, si simples, si futiles… Le Monde tournait donc autour de cela ? Il en était presque déçu… A vrai dire, il s’apercevait qu’il l’était…ayant cru que sa fille serait faite du même bois que lui. Sa dernière rencontre avec sa version plus âgée lui y avait fait penser. Sa tenue martiale, son air assuré et sa grande dévotion. Il l’avait vue dévouée, droite, concentrée,Même lorsqu’il avait dansé avec elle, pas une seule fois l’idée d’une bouderie tirée d’une bluette ne lui avait traversé l’esprit… Qui plus est… Avec ce petit danseur insignifiant ? Quelle déception était-ce là ! Et lui qui l’avait narguée ainsi, distillant ses allusions à son sujet sans percevoir le souci profond que cela générait en elle. Sa bouche s’était plissée dans un spasme narquois. Quelle ironie ! Il retenait presque l’envie de partir dans un petit rire aigrelet...mais il convenait de se dominer. Cela aurait été certes du plus bel effet mais cela n’aurait pas manqué de braquer sa chère fille. De plus, si la cause du courroux s’avérait décevant, le discours de Rose demeurait intéressante : elle évoquait sans le dire une trahison. En voilà une idée curieuse ! Preminger fronça les sourcils. De son point de vue, l’interrogation était toute autre : à quel moment, Lui-même du Futur ou de tout Temps aurait-il pu consentir à la laisser danser ainsi avec ce petit freluquet ? Son image royale n’était-elle pas écornée de laisser ainsi ses enfants parader avec des moins que rien ? D’autant plus qu’ici il avait curieusement reconnu ses enfants et semblaient leur avoir offert un titre ! Diantre ! Un si splendide privilège aurait du les plonger dans une reconnaissance infinie ! Tout comme le simple fait de lui être apparentée et il allait de soit que l’intégralité de la Cour les enviait… Alors comment aurait-il pu admettre d’écorner leur rang en s’affichant avec des personnes déplorables ? A moins qu’il n’ait pu songer sincèrement qu’il s’agissait là d’une alliance correcte ? A en écouter Rose, il lui avait promis sincèrement – rien que l’emploi du mot était curieux- qu’il ne chercherait pas à humilier le jeune homme… S’il l’avait fait, cela devait nécessairement trouver une justification quelconque. Et se connaissant suffisamment, Preminger songeait que cela ne pouvait être qu’une histoire d’intérêts financiers ou de pouvoirs. La famille de ce jeune homme devait posséder un patrimoine enviable ou une influence ou s’être distinguée par des années de loyaux services… Dans ces conditions, cela pouvait s’admettre. Et puis, il devait admettre que dehors d’avoir trouvé ce jeune homme fadasse, ce qui était le cas de tous les individus à ses yeux, il n’avait que très peu de choses à en dire. Peut-être que son Lui futur avait eu intérêt à cette danse et que c’était Lui, qui débarquant dans ce monde et suivant son pur instinct avait, sans le vouloir, bafoué les promesses qu’Il avait faites, ici… Cela se pouvait. Alors pourquoi se sentait-il, malgré tout, tendu ? Il ne connaissait pas cette Rose, encore moins cette Rose, alors pourquoi l’entendre l’accuser de revenir sur ses promesses mettait-il ses nerfs à l’épreuve ? Il ouvrit la bouche pour lui reprocher sa manière de l’accuser, de s’adresser à lui… La referma. Non, cela n’était pas ça. Rose n’y était pour rien. Régulant sa respiration, il se concentra sur son corps, tâchant d’ignorer ses propres ressentis pour se connecter à ceux de son Lui Futur… Ce fut comme s’il avait lâché un lion en cage… La rancune s’était subitement déversée dans l’intégralité de son corps… Et tout sembla paré d’une soudaine lumière. Erwin se souvenait parfaitement de la mise en garde d’Enora, alors même que Rose s’apprêtait à faire son entrée. Il avait pris ses mots pour de simples et habituels rappels, comme ceux que Son Enora lui adressait lorsque son caractère débordait, au détriment des autres. Il mesurait à présent que cela avait eu une tonalité bien différente. Alexis ne soupçonnait pas qu’il puisse intervenir, elle le redoutait. Et son impulsion à danser avec sa fille avait aussi été celle du Futur Preminger. Ainsi, l’accusation de Rose s’avérait exacte, autant qu’Erwin pouvait soupçonner son Lui… Il n’avait pas accepté bon gré, mal gré. Il avait accepté puisque visiblement, il n’avait pas trouvé matière a refuser ce privilège a sa fille.. Mais, il avait accepté, en programment les évènements du jour, cela était évident. Pourquoi avait-il accepté et pourquoi cette réaction déclenchait tant de colère en lui ? Avait-il pu accepter par soucis pour sa fille ? Cela lui paraissait...surprenant. Et l’attitude qui en avait suivi démentait le contraire… Non ? Il fallait admettre quelque chose, le Roi du Futur n’agissait pas par pure cruauté dans ce cas présent… Ou du moins, elle n’était pas sans fondement. Erwin était suffisamment attentif à ses atermoiements personnels pour ne pas être capable de déceler à quel point la situation n’était pas causée par un plaisir malsain de semer la zizanie et s’en délecter. Non. Une colère pulsait en lui. Il la ressentait jusqu’au fond de lui-même. Et c’était elle qui l’avait fait agir. Rose avait raison. Il avait voulu causer cela… Mais pourquoi ? - Est-ce que vous avez voulu me punir en même temps que lui, est-ce que je méritais d’être punie ? - « Non… mais... » mais il s’était interrompu, brusquement. Rose avait tourné la tête vers lui, le visage bouleversé. Elle ne simulait pas, mais incarnait à présent l’image même de la souffrance. Son menton tremblait, ses yeux humides et sa soudaine pâleur donnait à ses traits les airs blafards des noyées… Comme elle ressemblait à sa mère, ainsi ! Son être entier avait soudainement tressailli dans un immense saisissement… Il n’aimait pas cette expression.. Pas lui, Lui… Tout son être s’était tendu, et il s’était senti inspirer vivement. — « Cesse cela ! » Même ces mots, étonnement glacials et venimeux au regard de l’émotion qu’il ressentait, il ne les avait pas maîtrisés. Mais, s’il ne pouvait en déceler la cause, il ne pouvait qu’en ressentir en lui les effets. Et ce qu’il ressentait lui déplaisait grandement. Cela était proche d’une colère sourde, contenue, de celle d’un serpent prêt à cracher son venin, les yeux brouillés, mais le corps nauséeux. Mais Il la contrôlait. Il contrôlait cette sensation, tout comme son hôte. Cependant...pourquoi ? Qu’est-ce qui avait bien pu la provoquer ? Son corps lui livrait la réponse. Ce n’était pas Rose, c’était Alexis.. C’était un souvenir, une idée, un événement… Mais lequel ? Après tout, il n’avait rien ressenti de tel auprès d’Elle, lorsqu’il avait échangé… Une telle émotion n’aurait pas manqué de lui échapper ! Mais… avait-il pour autant été aussi à l’aise qu’il pouvait l’être auprès d’elle ? Il ne… n’aurait pas pu l’affirmer. Il n’avait pas analysé son hôte, trop avide de la voir évoluer des années plus tard...Et puis, il s’était aussi focalisé sur la question de la Couronne. Sur les interrogations que cela lui amenait. Sur ses paroles, sur l’idée de danser avec elle. Trop frais dans l’expérience et trop jouisseur pour parvenir à distinguer les émotions de son autre lui… Alors… Pourquoi ? Erwin avait déjà vu ce visage chez Alexis… Lorsqu’elle cédait à la douleur pour la laisser gagner, son corps revêtait entièrement cette expression de souffrance… Certains épisodes particulièrement éprouvants lui avaient déjà donné matière à la laisser s’exprimer… La Tempête avait été l’un d’entre eux… Crafty aussi. Mais aucun d’eux n’avait causé ce malaise en lui. Il avait eu peur pour elle dans le second cas, mais cette sensation était bien éloignée de cette nausée horrifiée qui coulait dans l’intégralité de son être, tel un venin paralysant…. Non. Cela ne le concernait pas… Pas lui. Cela concernait que le Erwin du Futur… Dans un vestige de souvenir, la voix d’Isaac flotta dans son esprit : – « Je pense qu'il lui a fait du mal parce que si Maman ne laisse rien paraître, Père lui ESSAYE de ne rien laisser paraître… Il regrette des choses à propos de Maman. Quand il l'entends rire au loin, il ne peut s'empêcher de tourner la tête dans sa direction pour capter le moment. Il y a une nostalgie et une douleur dans ses yeux. Pourtant Maman ne semble lui tenir rigueur de rien... mais il s'en veut. J'ignore de quoi... mais je suppose qu'il lui a fait du mal d'une certaine façon. » Isaac lui avait dit. Pas cette Fois, mais la précédente. Sur le moment, il n’en n’avait que ressenti de la perplexité. L’acte terrible qu’il avait pu commettre à l’égard de la jeune femme… quel était-ce ? Et puis, de retour de son voyage, ses analyses avaient fait ranger ces propos comme les élucubrations d’un jeune homme trop sensible, trop empressé de porter sur son père quelques émotions qu’il rêvait de lui prêter, puisque après tout, Preminger ne regrettait jamais ses actes et qu’il n’avait pu trop agir sinon, rien n’aurait pu se poursuivre… Qu’il ait pu peiner Alexis lui semblait probable, la conquête de ces royaumes, sa vision de la royauté et du pouvoir n’avait pu se faire sans heurts, mais il avait mis sur le compte de la nostalgie de sa vie passée les propos que lui avait tenu son fils. A présent, force était de constater qu’il avait eu tort. Il y avait eu quelque chose… Quelque chose de suffisamment grave pour déclencher cette colère et cette réaction… Mais quoi ? Mais il n’obtiendrait pas de réponse ainsi, s’il posait la question abruptement. Rose n’était pas ans cette analyse, elle ne pensait qu’à son prétendant. Elle n’avait même pas réagi au ton impérieux de son Père, ne semblait pas l’avoir entendu ou plutôt, soupçonnait le ministre, avait choisi sciemment de l’ignorer… Et s’il voulait des réponses, encore fallait-il d’abord régler cette question…qui l’intriguait tout autant… Pourquoi avait-il tenu à empêcher cette danse ? – « Puisque de ta proche bouche, mes manigances, en ce beau soir, visent à faire converger nos pas, alors je te tiendrais compagnie… » susurra-t-il, les yeux radoucis, tachant d’ignorer encore, le malaise qui s’était emparé de son être. « Si cela ne te gêne pas, bien sûr… Et si cela te gêne...et bien...Oh et puis, nous le savons bien : comment pourrais-tu refuser ? » Il s’était penché, pour s’asseoir, avec infiniment plus de grâce, à ses côtés. Il n’appréciait que peu s’installer sur le carrelage froid quand bien même celui-ci coûtait une petite fortune, mais pour comprendre, il fallait d’abord amadouer ce petit animal hostile… Et au moins, s’asseoir lui permettrait aussi à son corps rompu de reprendre ses esprits et permettait aussi à son corps de se détendre… Quand bien même cela se trouvait inconfortable. Il pencha la tête en arrière, s’adossant pour dévisager Rose pleinement. Elle ne semblait pas se clamer, au contraire. Sa colère enflait progressivement, rendant à ses yeux bleus des éclats d’acier. Si ceux de sa mère évoquait l’orage déchaîné, ceux de la fille rappelait davantage la pointe acérée des lames fendant l’air. — Ne me mentez pas, vous avez VRAIMENT l’impression de m’avoir fait une faveur en cet instant ? Vous êtes sûr que ce n’est pas plutôt à VOUS que vous avez fait une faveur ? L’entièreté du visage de Rose trahissait son hostilité, sa colère… Au moins, il n’affichait plus ce bouleversement au combien déroutant pour ses sens. Mais ses mots et son ton ne sonnaient guère comme ceux d’une enfant policée encore moins comme ceux d’une alliée soumise. Il la revit soudainement enfant, toute de colère et d’exigence, réclamant sa danse… Le naturel n’avait pas été chassé au galop. Mais étonnamment, cela ne lui déplaisait pas. Il retrouvait en elle la franchise impétueuse et sans concession de sa mère, mêlée à son propre tempérament féroce. Et puis, si elle se le permettait, ce n’était guère parce qu’il manquait de fermeté mais bien parce qu’il le lui avait permis. Toute à son agacement, la jeune fille avait tenté un recul...pour autant sans y prendre garde Preminger s’était visiblement assis sur un pan de sa robe ce qui la condamnait à devoir demeurer non loin de lui… Il pouffa moqueusement, de bon coeur — « Voilà un drame que même la plus exquise des robes ne peut éviter, ma chère fille, il semble que vous soyez tenue de demeurer en compagnie de votre souverain, que vous tentiez d’évincer ce soir, à l’avantage déplorable de ce rejeton sans couleurs » ricana-t-il avec légèreté, non sans lui jeter un regard en biais « Et en voilà, une langue bien pendue… Et bien belliqueuse… Pour te répondre, ma douce enfant, n’est-il pas évident que la Faveur revient toujours et sans conteste au Roi ? Privilégier les intérêts du Roi au détriment des autres, serait-ce si surprenant ?» Il répondait avec sarcasme, mais sans la moindre colère. En tout cas, lui. L’autre s’amusait, toute sa colère satisfaite par le tour des événements. A vrai dire, la situation restait particulièrement curieuse et obtuse pour autant pour celui qui les découvrait… – « La première question à te poser ma très chère fille c’est pourquoi es-tu persuadée que cela aurait été une faveur que de te laisser faire ? Après tout, si J’ai jugé bon d’empêcher cela, c’est que cela devait être fait. » ajouta-t-il avec assurance, en pointant le menton en hauteur « Les raisons sont miennes… Mais, puisque j’ai jugé bon de le faire, alors considère-le comme un privilège. Te priver d’un partenaire falot est beaucoup de choses, ma douce, mais en aucun cas, une humiliation. Encore plus si tu portes à ce petit freluquet des sentiments que ton Roi désapprouve… Pourquoi tentes-tu à rejeter l’hypothèse que cela puisse être pour ton bien et persistes-tu à y voir de l’humiliation et non pas le service que je t’offre… ? Aurais-tu des raisons de l’envisager ainsi ? » avança-t-il complaisamment en dodelinant de la tête. Comment diantre pouvait-elle affirmer qu’il avait tenté de l’humilier, après tout ? Ce n’était pas parce qu’il avait écarté avec grandiloquence son partenaire qu’il s’était attendu à ce qu’elle devienne pour autant la risée de la Cour. Au contraire. Tout ce qu’il avait pu en revancher cherchait à faire, était de lui faire mal… – « Tout le monde ne peut pas se targuer d’avoir l’honneur de danser avec son souverain. N’est-ce pas une mise en lumière appréciable auprès des courtisans ? Tu as eu les honneurs du Roi, mais non… Tu préfères t’offusquer sur le manque d’une petite danse insignifiante auprès d’un partenaire malavisée au nom de quoi ? D’un petit émoi qui te passera vite ? Après tout, tu ne t’attendais même pas à ce que je l’accueille les bras ouverts afin qu’il puisse s’immiscer ainsi dans ma Famille ? Non. Je lui rappelle où est sa place, voilà tout » Les derniers mots n’avaient pas été les siens. Il était sorti de la bouche de l’Autre qui les avait prononcé avec davantage d’assurance, et même d’une arrogance revêche et rogue. Pour sa part, les mains entourant ses genoux, la tête posée sur ces derniers, Rose tentait aussi de démeler les pièces du puzzle. Elle avait détourné les yeux de son père, pour les reporter sur la fenêtre non loin de là… — « Tes cheveux ? » Il avait cillé, lorsqu’elle avait parlé de cela… semblant les prendre plausiblement coupable du courroux de son père. Erwin avait ramené le regard vers sa coupe sans comprendre, observant sa chevelure rebelle si semblable à celle de sa mère et pourtant si différemment mise en lumière. Sa coupe était plus courte, sans le moindre doute, plus dynamique et néanmoins harmonieuse et élégante… Étonnement, il trouvait qu’elle allait bien avec ce qu’elle semblait être : un petit paquet de nerfs entremêlé, forte et nerveuse à la fois, toujours dans l’action à la différence de son frère si statique et si stable. Isaac lui semblait fiable, aussi précis et régulier que le tic-tac l’Horloge, Rose à l’inverse, semblait aussi imprévisible et saisissante que le vent se changeant en bourrasque. Elle semblait être en mouvement constant… Comme l’en attestait même la manière sporadique dont l’une de ses jambes s’agitait au gré de ses paroles… Mais Rose poursuivait déjà, livrant une information dont le ministre ne disposait pas encore une seconde avant… Visiblement, il n’avait pas apprécié sa coupe...ou du moins son contexte. Ciel… Il pinça les lèvres, puis se composa un sourire assuré, comme si son interrogation précédente n’avait été qu’une simple interrogation rhétorique presque moqueuse et ajouta — « Ma petite fleur, il suffit d’une mauvaise décision prise sans me consulter et hors de mon intérêt pour que le Monde vacille. Ne te l’ai-je pas appris ? Le moindre grain de sable peut enrayer une machine, il suffit de savoir l’utiliser ou de ne pas le voir… Il est éreintant de corriger les erreurs de tout à chacun. Alors, n’était-il pas de bon sens que de penser que l’on peut attendre de ses enfants qu’ils soient exemplaires sur le sujet ? » A vrai dire, il ne savait pas ce qui avait poussé le Erwin futur a souhaiter s’interposer… Il ne pouvait être fermement sûr qu’il n’avait pas lui-même provoqué cela, en dépit de la jubilation revancharde qu’il sentait luire en lui. Peut-être avait-il servi les intérêts du Erwin futur en agissant ainsi sans que ce dernier n’ait eu la véritable volonté de s’y opposer. Mais, il en doutait. Il se connaissait suffisamment pour se connaître et savoir lorsqu’une volonté aussi impérieuse se manifestait en lui, il aurait été difficile d’y résister. Au nom de quoi, l’aurait-il fait ? Les beaux yeux de sa fille ? Diantre, il n’était guère sottement sentimental et si Rose analysait juste, il pouvait être possible que cette dernière soit même la cause directe de son agissement. Et si tout ceci n’avait eu pour but réel, non pas d’humilier ce transparent prétendant mais bien elle. L’humilier, la frustrer, ou la remettre à sa place. Avait-elle des choses à se reprocher ?… Il lui avait demandé et à présent, elle visait ses cheveux… Si elle le formulait ainsi, il y avait fort à parier que cela avait pu déplaire à sa Majesté, notamment de ce qu’elle en livrait… Il pouvait deviner pourquoi cela avait pu Lui déplaire. Ce n’était pas dans les codes de l’étiquette et elle semblait lui avoir imposé. S’il se fiait aux paroles de sa fille peut-être avait-il voulu lui donner une leçon, une fois sa vigilance endormie. Cela lui ressemblait parfaitement… Même si la cause semblait bénine, il appréciait davantage les punitions dantesques pour des pécadilles, pour le simple plaisir de blesser… Mais qu’en était-il alors de sa rancune ? Le Erwin futur ne digérait pas quelque chose, et aussi probable cela puisse-être, il semblait difficilement admissible à l’actuel de considérer qu’il s’agissait des cheveux… Faute de mieux, il abonda cependant un peu dans la théorie : – « Pensais-tu tes cheveux sans la moindre conséquence ? Mais la Cour a parlé n’est-ce pas ? L’Étiquette aussi. As-tu songé une fois lorsque tu as commis cet acte à tout ce en quoi, il pouvait me porter préjudice ? Non. Tu as pensé à toi. Et c’est une jolie et plaisante chose que de penser à soi, comment pourrai-je dire le contraire ? » il avait sourit rêveusement, non sans hausser les épaules « k]]Mais tu as un rôle, ma petite fleur...avant toute chose, qui est de me servir. Les cheveux c’est une chose, néanmoins...de moindre envergure… Quoique cela soit puisse être fondamental dans l’apparence… Tu sais que ma chevelure blanche a toujours été source de jalousie et d’envie ? [/b]» Alors qu’il enroulait une mèche autour de ses doigts, Preminger avait plissé les yeux, satisfait de la constater aussi immaculée qu’autrefois… « Parce que j’en ai fait plus qu’un accessoire à la mode, plus qu’un accessoire dont on usait pour atteindre la perfection, Je suis devenu Perfection. Un simple détail a fait la différence… » Il se découvrait bavard, avec elle. Étonnement, les mots lui venaient spontanément et les anecdotes aussi. Il n’osait simplement - « Tu as cependant de la chance… Cette coiffure te sied, je dois le reconnaître. Peut-être fait-elle même son effet, à moindre échelle que moi. Tu peux te targuer d’une chose, je crois que tu as hérité de mon sens de la mode et de l’apparence. Ton impulsion ne t’a pas trahie… Cependant, il faut que ton esprit veille à garder en tête, l’essentiel de toute chose : chaque envie, chaque pulsion doit être soupesée à l’aune de la Couronne. » Bien entendu, la Couronne s’entendait ici similaire et conjuguée à sa propre personne, cela allait sans dire. De toute manière, quand sinon Preminger se serait-il soucié des intérêts du peuple ? Il s’était étiré, paresseusement, le dos, dans un soupir prolongé. Sa position inconfortable lui donnait quelques fourmis dans les jambes et la froideur du carrelage parvenait à franchir au-delà même de ses beaux autours. Il y avait-il raison à demeurer ainsi ? Le regard de Rose était fixé sur le jardin éclairé par le clair de lune. Erwin dévia le sien de sa future fille pour le contempler à son tour puis le reporta à nouveau sur Rose, notant son dos incurvé, la manière dont ses épaules se courbaient et s’avachissaient… comme si tous les malheurs pesaient sur son épaule. « Ou comme toute personne frappée du poids de l’Amouuur » songea le ministre avait ironie… Naturellement, son index s’était glissé en dessous du menton délicat de sa fille, alors qu’il soupirait dans un rire léger : — « Redreeeesse-toi. Ne te morfonds pas, ou si tu tiens tant à le faire: fais le avec élégance ! Même si l’acte n’est pas le plus convenable, il peut l’être si la posture l’est. Mais peut-être préfériez-vous effectuer quelques pas dans le jardin plutôt que de l’observer, ainsi, jeune éplorée... » Il s’était redressé promptement, avec grâce… Puis avait pivoté pour lui tendre la main, l’invitant à se relever : – « Allons ma chère, un peu de nerfs. Oh non… Ciel… Voilà qui est cocasse »ricana-t-il soudainement Ses yeux étaient tombés sur l’une de ses jambes nerveuses… Rose n’avait pas stoppé son agitation, mais celle-ci avait eu fait de remonter le tissu de sa robe sur sa cheville, révélant ainsi son pied nu. « Cendrillon ce soir, ne porte pas de haillons... » Il tourna la tête, cherchant la chaussure de l’éplorée, la trouvant non sans mal à quelques distances de là, non loin de la fenêtre.. – « Il aurait été regrettable de devoir payer des réparations aussi dispensables que celle-ci » nota-t-il caustique. L’emplacement de la chaussure et le caractère de Rose ne trompaient pas. Il avait beau ne pas connaître réellement la jeune fille comme sa propre fille qu’il avait élevée, puisqu’il n’était pas encore à ce stade de son histoire, cela ne l’empêchait pas de la cerner aisément… Il se représentait même très distinctement la scène. La colère qu’elle avait ressenti, sa détresse. Il la voyait délacer les escarpins à la hâte, s’en saisir pour le jeter violemment en plein vitre. La chaussure avait rebondi sur la vitre pour mieux s’écraser sur le sol, à mi-chemin entre sa propriétaire et le jardin… A proximité de l’extérieur, L’escarpin doré rayonnait de la lumière de la lune, aussi clairement qu’un éclat d’or poli. Le ministre se pencha pour le ramasser. – « Si tu souhaitais que ton soupirant puisse la ramasser, il convenait de la lancer ailleurs et plus loin… Je gage qu’il ne s’est jamais aventuré ici… » Retournant vers elle, il s’était accroupi, promptement, attrapant sa cheville nue, avec fermeté. D’un geste vif, il enfila l’escarpin à son pied, puis entreprit d’y nouer les brides hautes, sur sa cheville. Ce geste restait néanmoins inédit mais il l’avait accompli avec un naturel confondant. L’Autre lui ? Ou simplement un instinct ? Il ne parvenait pas à le définir… Mais pourquoi serait-il subitement doté d’un instinct pareil ? Il ne se sentait pas Père. Il l’était certes, mais cela différait tout de même de la définition que l’on entendait généralement, lorsque l’on employait ce mot… Et concernant Rose, il ne la connaissait que très peu. Ne faisait que la cerner dans leurs rares échanges à travers le Temps. Néanmoins, ce qu’il en découvrait l’enseignait déjà. Elle était proche de Lui. De manière bien plus fusionnelle qu’Isaac. A la différence de ce dernier, elle ne le redoutait pas, mais, sans lui manquer de respect, osait s’affirmer devant lui. Son choix des mots, sa manière de ne pas dissimuler sa colère, tout ceci aurait pu paraître simplement une conduite écervelée ou de tête brûlée, de prime abord, mais Erwin se connaissait trop aisément pour savoir qu’il n’aurait jamais toléré une telle conduite, mais l’aurait matée dès les premières minutes. Rose s’exprimait avec l’honnêteté de sa mère et il devait l’admettre, Preminger, avait toujours eu un faible pour son tempérament franc et direct. Dès les premières minutes de leur rencontre qui avait mené à leur couple, il avait décelé cela chez elle et l’avait apprécié… Et aujourd’hui, il le retrouvait chez Rose avec quelque chose qu’il n’avait encore jamais expérimenté chez Alexis : une loyauté spontanée. Il la sentait lorsqu’il s’exprimait et avait pu la voir s’exercer encore lors de leur danse, elle n’avait pas remis en cause son pouvoir, elle lui manifestait seulement sa souffrance de l’exercer. Elle ne l’avait pas insulté de tyran ou de quoique ce soit d’autres, non, uniquement interrogé quant à sa volonté de la blesser… Et cela était profondément étonnant et intéressant. Il rabaissa le bord de sa robe sur sa cheville, puis leva les yeux vers sa fille, laissant un sourire naître sur ses lèvres : — « Bien… Cheminerons nous, à présent dans un endroit plus commode ? Ou veux-tu régler ce différend épée contre épée ? Qui sera le vainqueur ? » Le sourire de défi qu’il lui lançait était spontané, quand bien même Erwin fut surpris de sa proposition, et presque inquiet. Quelle curieuse idée ! Pourtant, cela était venu si naturellement… Comme certains gestes naissant de sa propre personne à son contact. Mais...Mais de l’escrime ?! Rose n’oserait jamais l’affronter en duel… N’est-ce pas ? N’est-ce pas ? Le regard de Rose s’était posé dans le sien… Bien… Et il maudit l’Erwin du Futur pour proposer de si éreintantes activités à des heures si indues. Et voilà qu'il allait potentiellement devoir croiser le fer!