« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
A cette heure-ci de cette époque-ci... Dazai Osamu ne savait pas encore qui il était réellement. Ombre de lui-même dans une terne et illusoire existence, le jeune écrivain de 22 ans reconnu sous le nom erroné de Shuji Tsushima, parcourait les bars en quête d'une inspiration nouvelle pour ses prochains écrits. Il y passait des journées à parler, des soirs à se disputer. Jamais, cependant, n'y terminait-il une page de son prochain "best-seller", qu'il disait. Le meilleur qu'il n'aurait jamais su écrire hier.
"Lalalalalalalalalalalalalalalala" constituait la page de son chapitre d'aujourd'hui. Il la regardait avec désarroi, vide de toute ambition. "Décidément." Ouvrant les bras vers le ciel, le suicidaire s'étendit comme s'il se réveillait, encore, d'un long rêve interminable. "Ce n'est pas mon jour aujourd'hui !
- Hier non plus, ça ne l'était pas. Vint se permettre d'ajouter le gérant du bar. Ni avant-hier. Ni avant-avant -
- Ca va, ça va, on a compris ! Pas besoin d'en faire toute une histoire non plus.
- Mais moi au moins, s'enquit l'homme, amusé par la perche qu'on lui tendait, moi au moins j'en fais, des histoires ! Et je ne suis même pas écrivain !"
Vexé et touché dans son orgueil, c'est avec une détermination qu'on ne lui connaissait pas que Dazai prit ses affaires avant de quitter le bar. Menton relevé, il laissait toujours entendre au propriétaire qu'il avait perdu son meilleur client et pourtant, le lendemain, revenait comme un agneau commander sa bière.
Ce temps-ci n'étant pas encore venu, c'est les mains dans les poches que le garçon marcha sans réel destination. Il passa devant l'hôpital et s'y remémora des jours passés après avoir tenté de se suicider une énième fois. Mourir. Même ça, il ne le réussissait pas. Regard perdu, vaquant, celui-ci se posa sans trop y songer sur une femme qui lui passa devant avec maladresse. Si elle ne remarqua pas forcément sa présence discrète, Dazai, lui, fut surpris du regard qu'il n'avait parvenu à maintenir. Qu'était-ce ? Quel genre d'œil faisait ça ? Il avait souhaité en avoir le coeur net et cela par une curiosité déplacée. Avançant derrière l'inconnue pour espérer croiser à nouveau ses yeux, celle-ci s'évanouit à l'accueil, au comptoir de la jeune femme. Le Dazai amnésique n'avait même pas sorti les mains de ses poches pour essayer de rattraper la femme qui s'écroula au sol. Seulement se recula-t-il d'un pas en espérant ne pas la toucher et la gêner dans sa chute.
"Vite, amenez-là dans une chambre ! Cria l'infirmière à ses collègues. Elle se retourna ensuite vers l'écrivain. Vous êtes avec elle ?
- Hein ? Moi ? Oh, je - pas vraiment c'est j-
- Attendez ici, on vous dira quand vous pourrez la retrouver. Il nous faut stabiliser son état. A-t-elle pris quelque chose avant de venir ici ? Est-elle malade ? Savez-vous pourquoi elle est venue jusqu'à l'hôpital ? C'est vous qui l'avez accompagné ?"
L'avalanche de question ne permit pas au jeune homme de trier des réponses convenables. Seul un simple "je ne sais pas" sut sortir de sa bouche pincée. Finalement et sans un mot de plus, il s'assied sur une chaise et patienta avant qu'on ne l'appelle. Ce lapse de temps lui permit de se demander s'il avait vraiment sa place ici. Et comme depuis sa plus tendre et chère enfance, il en conclut que non et resta.
Dix minutes passèrent. Dazai finit par se redresser, décidé à quitter l'hôpital alors que l'idée de revoir la jeune femme évanouie lui était passée, lorsqu'on l'interrompit dans sa démarche. Une infirmière lui expliquait que la patiente allait bien et qu'elle pouvait l'accompagner jusqu'à sa chambre. Sans acquiescer, sans même une réponse positive ou négative de la part de l'écrivain, il suivit néanmoins l'employée de l'hôpital jusqu'au deuxième étage. Il entra dans la chambre et s'installa sur une chaise. De là, il attendit à nouveau que l'inconnue se réveille. Lorsque celle-ci ouvrit enfin les yeux quelques minutes plus tard, Dazai dut se rendre à l'évidence que le regard qui l'avait fasciné à l'entrée de l'hôpital n'avait rien de... Naturel. Ce n'était donc pas un coup de foudre, pas qu'il l'eut, cependant, pensé un instant.
"C'est robotique ? Ni bonjour, ni présentation. Le jeune homme ne considérait même pas qu'il était dans la chambre d'hôpital d'une inconnue souffrante. Il pointa du doigt son œil pour signifier celui de la femme et reprit avec une même intonation nonchalante : Votre œil. C'est de la technologie ?"
