De la lune à la lune

Depuis que je pouvais à nouveau dormir, j’avais à force assimilé plusieurs choses : en premier lieu, je n’avais nullement besoin d’autant de sommeil que les mortels, je pouvais également passer plusieurs jours sans dormir, cela ne me faisait pas grand chose, et pour finir avec le sommeil venait ses troubles. En tant que déesse de la lune, j’avais du mal à m’endormir plus la lune était montante et les soirs de pleine lune il m’était tout bonnement impossible de fermer l'œil. J’en profitais généralement pour me promener, de tout temps j’avais toujours apprécié les balades nocturnes. Malheureusement en ce moment la lune montante n’était que le cadet de mes soucis, celui qui dominait et qui occupait toutes mes pensées avait un prénom commençant par un “A” et partageait une ressemblance physique troublante avec moi. Je n’avais plus de nouvelles d’Apollon depuis des mois, je pouvais sentir qu’il allait bien par notre lien, mais cet idiot ne daignait manifestement pas me le dire de lui-même. J’ignorais si j’étais anxieuse ou bien si par moment je me sentais simplement seule. J’avais Athéna qui vivait ici avec moi, je passais beaucoup de temps sur Olympe également, et je voyais régulièrement Pitch mais ce n’était simplement pas pareil. Apollon était l’autre parti de moi, mon âme soeur au sens le plus littéral puisque son âme complétait la mienne. De ce fait, son absence se faisait cruellement ressentir et je savais bien que c'eût été hypocrite de ma part de lui dire non, quand il m’a demandé à partir pour Venise afin de tenter de recoller les morceaux avec Cassandre quand moi-même j’avais recollé les morceaux avec Pitch, mais il me manquait c’était indéniable.

Laissant de côté mes inquiétudes au sujet de mon frère, je me décidais tout de même à me lever, j’avais une véritable meute de chien à nourrir et bientôt ça commencerait à aboyer de tous les côtés. Je me dirigeais donc vers la cuisine, descendant l’escalier séparant l’étage où se trouvait ma chambre du restant de la maison et m’occupait à remplir les gamelles, ainsi quand les chiens se réveillerait ce serait prêt et ce même s’ils ne mangeaient jamais avant que je ne leur en donne l’ordre. Même Luna, depuis que mon frère n’était plus là, j'avais miraculeusement réussi à la rééduquer. Il ne me restait plus qu’a croiser les doigts et espérer qu’il ne décide pas de ficher en l’air tout mon travail. Il fallait trouver un juste milieu avec les chiens, être ferme mais pas trop ferme non plus, et éviter d’être trop laxiste. Mon frère lui était dans la catégorie laxiste, et laissait Luna tout faire. Comme il n’avait pas pu la prendre avec lui, pendant qu’il partait c’était moi qui m’en occupait. A croire que j’étais la dog sitter attitré de cette famille.

Les gamelles remplies, je m’occupais du petit déjeuner. Si je n’avais pas besoin de me nourrir, c’était une sorte de tradition à la maison. J’espérais simplement que je ne serais pas seule à le prendre et que ma sœur ne tarderait pas. Avant c’était avec Apollon que je le prenais presque sans faute, aujourd’hui les choses étaient différentes étant donné son absence prolongée à Venise. D’autres fois, Apple dormait à la maison et se joignait à moi, ces derniers temps cela arrivait plus souvent qu’avant d’ailleurs, je ne lui avais pas posé de question, estimant que si elle souhaitait me confier quelque chose, elle le ferait d’elle même. Je ne souhaitais pas être intrusive, et généralement je n’appréciais pas vraiment d’user de mon empathie à tort et à travers, je n’étais ni un détecteur de mensonge, ni un radar à émotion ambulant et il était très indélicat de me demander de l’utiliser pour servir ses intérêts. J’avais de nombreuses fois eu droit à des remarques telles que “je ne mens pas, utilise ton empathie” ou bien “je suis sincère, utilise ton empathie.” J’aimerais beaucoup les voir avec mon pouvoir pendant ne serait-ce que vingt quatre heure ceux-là, nul doute que ce serait un spectacle des plus amusants et au moins ils apprendraient que c’était fort indélicat de leurs parts. Dommage que cela soit impossible, j’aurais adoré les voir gérer mes maux de tête quotidiens, et évidemment il n’existait pas de médicament divin pour pouvoir les faire passer c'eût été trop beau.

J’étais en train de terminer ma préparation lorsque la sonnette retentit. Je fronçais légèrement les sourcils, qui cela pouvait bien être à cette heure-ci ? Athéna ne sonnait jamais, elle était chez elle et si Apollon avait décidé de rentrer, il serait apparu au beau milieu de la maison en criant “surprise” le connaissant. Il y avait la possibilité d’un des autres divins vivant dans le quartier, mais ce n’était pas comme si l’on s'invitaient régulièrement les uns chez les autres pour faire un barbecue. Après cela pourrait tout aussi bien être le facteur, je n’étais pas la seule à vivre ici, peut-être Athéna avait-elle commandé quelque chose. Si c’était le cas, autant le récupérer pour elle comme j’étais debout. Néanmoins quand j’ouvris la porte ce n’est absolument pas le facteur qui se trouvait sur le pas de ma porte :

- Nullement, répondis-je une fois la stupeur passée. Je viens de terminer le petit déjeuner, j’ignore si tu as déjà eu l’occasion de manger ce matin mais s’il n’en est rien souhaites-tu te joindre a moi ?

Je ne m’attendais certainement pas à trouver une fée devant ma porte d’entrée. Depuis l’histoire de La Nouvelle Orléans, j’avais gardé contact avec Aisha, et j’avais de ce fait apperçu certaines de ses amies, cela m’avait permis d’apprendre que nous avions un point commun avec Stella ou plutôt un astre. Je m’étais bien gardée, de répondre que je n’étais peut-être pas la personne la mieux placée pour discuter parce qu’après tout pourquoi pas. Des fois, on arrivait mieux à dire ce que l’on avait sur le cœur à des inconnus. Nous n’étions pas de parfaites étrangères, mais nous n’étions pas spécialement proche non plus d’où ma surprise.

De la lune à la lune

Je m’effaçais pour laisser entrer Stella, lui indiquant le chemin vers la cuisine d’un signe de main. Il était vrai que cette dernière se trouvait au bout de la maison, et qu’il fallait d’abord traverser le salon pour y accéder. La maison pouvait rapidement devenir un vrai labyrinthe pour les néophytes bien qu’en l’absence d’Apollon, elle manquait d’un petit grain de folie et de désordre. Il avait une certaine tendance à s'étaler et installer son chevalet pour peindre là où il le souhaitait. En revanche je ne m’attendais pas à la confession de Stella :

- Oh. Dis-je bêtement.

Oui “Oh”. Il y avait pourtant un millier de choses plus intelligentes à dire mais j’avais été prise de court et n’avait pas tout à fait su comment réagir. Pourtant, je n’étais pas étrangère à la perte en cinq millions d’années d’existence je pouvais même dire que j’étais intimement familière avec cette dernière. Qu’il s’agisse d’amitié que j’avais noué au fil des siècles ou bien plus récemment de membre de ma famille, c’était un sentiment que je connaissais bien, trop bien même. Cela n’en faisait pas une chose bénigne pour autant, ou quelque chose de familier loin de là, chaque perte laissait quelque chose, et avec le temps la douleur finissait par s’amenuiser mais jamais elle ne disparaissait. Personne n’était jamais prêt à dire au revoir à un être cher.

- Je suis navrée de l’apprendre me repris-je. Ces problèmes de sommeil sont-ils dus à de l’anxiété ? Ou bien quelque chose du même type ?

La culpabilité par exemple, je l’avais trop vu chez mes proches, que ce soit chez Arès quand Hippolyte était décédée, ou bien chez Dionysos lors de la mort d’Eulalie, là aussi c’était un sentiment familier. Je l’avais ressentie personnellement et l’avait ressenti chez les autres également, pour l’instant je faisais en sorte de ne pas laisser mon empathie trop s’égarer mais quelque chose me disait que cela risquait d’être compliqué. Ce n’était pas un pouvoir que l’on pouvait garder sous scellés, les gens ne pouvaient pas s’arrêter de ressentir des émotions c’était impossible et l’empathie n’obéissait qu'à ses propres règles. Lorsque les émotions se révélaient être particulièrement fortes, il m'était impossible de ne pas les ressentir par exemple et cela se terminait bien souvent en mal de crâne. C’était très souvent à double tranchant, cela me permettait de mieux aider, et de me montrer plus compréhensive que la moyenne, d’ailleurs c’était également pour cela que j’avais souvent eu à jouer un rôle de diplomate ou de porte parole avec les différents dirigeants de la ville.

Dans le cas présent, peut-être pourrais-je faire office d’oreille attentive parfois il était plus facile de parler à des personnes avec qui il n’y avait pas de liens forts, qu'à des proches. Je n’avais jamais expérimenté cela, quand quelque chose n’allait pas je n’avais pas besoin d’en parler, Apollon le savait toujours tout comme il savait exactement ce qu’il me fallait dans ces moments là. J’avais eu la chance de naître avec un jumeau, un être qui me comprenait sans qu’il y ai besoin de paroles et que je comprenais de la même manière. Concernant les difficultés à dormir, je pourrais l’aider à y remédier d’une autre manière qu’avec de simples paroles. Néanmoins tout ceci demeurait à l'heure actuelle pure spéculation et tant que Stella ne m’en aurait pas dit plus, je n’oserais pas trop m’avancer. De plus, il n’était pas question de me mettre à envisager toute sorte de choses j’ignorais la raison de sa visite et si cela avait un rapport avec ce qu’elle venait de me dire.

- Installe toi, tu peux te servir il y a du jus, du thé…Si tu souhaite autre chose n’hésite pas, j’ai toujours toute sorte de choses chez moi étant donné que j’ai souvent tendance à recevoir des visites à l’improviste.

Le plus souvent d’ailleurs il s’agissait de membres de ma famille.

- J’ai fait des pancakes, le sirop d’érable est juste devant toi si tu souhaites en prendre. On pourra discuter plus tranquillement l’estomac plein.

Si elle n’avait rien mangé, mieux valait qu’elle commence par là. De mon côté, j’utilisais un sachet de thé vierge pour y mettre mes feuilles. J’achetais toujours en vrac et le plus souvent mon frère m’accompagnait pour choisir le sien. Il trouvait toujours des mélanges incongrus que lui seul avait le courage -ou la bêtise- de goûter.