Amelia n'avait pas choisi de tenir un commerce de pâtisseries et de service traiteur uniquement par amour pour la cuisine - même si ce même amour de la cuisine n'était vraiment plus à prouver. Elle avait aussi choisi cette voie par amour pour les fêtes, celles qui jalonnaient l'année et revenaient encore plus surement que les marronniers dans les journaux, celles qui rythmaient la vie de la ville et celle des gens quand la fête était plus intimiste, celles qui célébraient les valeurs d'amour, de partage, de pardon et d'espoir et celles qui, aussi, lui permettaient de faire tourner son commerce. Car s'il y avait bien une occasion pour laquelle on passait la porte de La Pelle à tartes, c'était parce qu'on avait quelque chose à fêter !
Halloween, évidemment, ne faisait pas exception, ne serait-ce que parce qu'il précédait la Toussaint, la fête des morts, celle durant laquelle on se remémorait ses êtres chers et disparus. Mais aussi parce qu'en Amérique du nord, Halloween était une institution depuis tellement longtemps qu'Amelia ne connaissait pas exactement la date et savait seulement que c'était devenu culturel.
Comme chaque année, la pâtissière avait décoré la vitrine et l'intérieur de son magasin dans des tons oranges, violets et noirs, à grand renfort de stickers, de citrouilles qu'elle avait sculptées elle-même pendant le weekend, de chaudron à bonbons et de chapeaux de sorcière. Parce que son commerce était tout à côté de la Santa Factory, Amelia mettait un point d'honneur à faire honneur à la célébration, sans pour autant essayer de rivaliser avec le roi d'Halloween en personne qui se trouvait être le propriétaire du magasin de jouets. On ne battait pas un pro sur ses plates-bandes et ça tombait bien : on ne pouvait pas dire d'Amelia, pourtant ancienne lionne, qu'elle était particulièrement féroce. C'était même plutôt le contraire ! Elle était aussi douce qu'un agneau et n'avait aucun esprit de compétition. Tout ce qu'elle voulait, en fin de compte, c'était décorer sa boutique pour se mettre dans l'ambiance et faire plaisir aux clients.
Mais que serait le plaisir d'Halloween sans pâtisseries de saison ? Soucieuse du moindre détail, la pâtissière n'avait pas oublié, comme chaque année, de sortir ses pâtisseries automnales du fourneaux. Carrot cake, gâteau à la citrouille, arômes de cannelle et d'épices... Les classiques de la saison étaient de retour dans sa vitrine ! Quant aux indémodables classiques qu'elle ne retirait jamais de son étal, la jeune femme les avait réinterprétés, comme n'importe quel candidat du Meilleur Pâtissier (ndlr : que je regarde au moment où je débute ce rp), pour les accorder à la période de l'année. C'était, d'après son avis totalement biaisé, absolument charmant (un adjectif qu'on emploie assez rarement quand on parle d'Halloween) et Amelia prit un malin plaisir à constater que la clientèle en était également friande.
Encore un peu plus et elle aurait sorti son attirail de sorcière bien aimée, un costume qu'elle réutilisait souvent pour Halloween. Mais la mort d'octobre n'avait pas encore sonné et les costumes n'étaient pas forcément pratiques pour pâtisser, courir dans tous les sens et servir efficacement et proprement les clients. En attendant le jour J, Amelia se satisfaisait donc de porter régulièrement un chapeau de sorcière sur ses boucles brunes.
Cette année, elle n'avait pas encore tout à fait arrêter son choix sur le costume qu'elle porterait le 31 au soir et laissait pour le moment les idées aller et venir dans son esprit. L'an passé elle avait été la Petite Sirène de Disney et n'avait pas boudé son plaisir au moment de jouer les princesses. Mais cette année, elle hésitait. La sorcière, c'était un peu classique quand même, non ?
Ce jour-là, alors qu'elle rentrait d'une journée de travail aussi chargée que satisfaisante, Amelia s'arrêta devant sa boite aux lettres pour récupérer le courrier quotidien, sans rien attendre de spécial mais par pure habitude. On ne peut pas dire qu'elle fut particulièrement surprise d'y trouver un prospectus car la ville en distribuait souvent et qu'elle avait pris l'habitude de ne les parcourir que quelques instants avant de les recycler. Mais pas celui-ci dont le design et la mention d'Halloween attira sa curiosité.
Amelia avait travaillé suffisamment longtemps à la mairie pour savoir que la ville organisait souvent des événements pour animer la ville (même si la ville n'avait généralement pas besoin de ça pour être animée) et l'idée attira sa curiosité. Puis elle découvrit que la fête n'était pas à l'initiative de la mairie et que, d'une certaine façon, elle n'était même pas pour fêter Halloween :
Chers citoyens de Storybrooke,
Cette année, le Santa's Factory ne vous décevra pas dans la grande fête habituelle d'Halloween qu'il organise pour toute la ville. Cependant, Halloween 2022 sera spéciale car j'organise la fête sous le cimetière, dans le lieu de prédilection de la joyeuse défunte au coeur battant Emily Merrimack qui y épousera, ce soir-là, le célèbre Victor Frankenstein lors d'une cérémonie que j'officierai moi-même.
Vous y êtes alors tous conviés, au plus grand plaisir des fiancés. Venez célébrer l'amour et la joyeuse épouvante d'Halloween avec Victor, Emily, et moi-même !
- Ma foi... Une robe de soirée sobre et élégante pour le 31 octobre, ça serait une première, commenta Amelia après avoir lu l'intégralité de ce qui était en fait une invitation.
A vrai dire, la question ne se posait même pas. Amelia aimait bien trop les histoires d'amour et les mariages pour renoncer à l'opportunité de célébrer l'amour d'un jeune couple. Qu'elle ne connaisse ni Emily, ni Victor, en fin de compte, n'avait que peu d'importance. Elle connaissait l'amour, son bonheur immense, sa douleur presque pire et sa nécessité absolue et c'était bien assez pour se rendre légitimement au mariage.
C'est donc en talons hauts et longue robe de soirée que, le soir venu, Amelia se rendit au cimetière de la ville, ne manquant pas de s'arrêter devant la tombe de son mari avant de rejoindre celle d'Emily Merrymack qu'elle n'avait jusqu'alors jamais remarqué. Ce n'était pourtant pas faute de se rendre fréquemment au cimetière. En fait, depuis la disparition de Michael, Amelia s'y rendait toutes les semaines, s'asseyait devant la tombe de son mari et lui parlait, comme s'il était encore vivant - ou comme si un mort pouvait encore se soucier de la vie des vivants.
Vous connaissez peut-être Amelia Peters de réputation. Si c'est le cas, vous savez à quel point elle est bavarde et vous pouvez donc imaginer le temps qu'elle peut passer, au moins une fois par semaine, seule à parler à une tombe en marbre. Forcément, ça laisse moins le temps pour observer les tombes des autres et encore moins pour leur parler, un privilège qu'elle n'accordait qu'à son mari. Mais ce soir-là serait différent. D'une certaine façon, Amelia était attendue et pas pour n'importe quoi en plus, pour un mariage, un de ses événements préférés de toute la vie. Même si elle ne dérogea pas à son habitude, la pâtissière écourta sa conversation du soir avec son défunt époux, craignant d'arriver en retard et d'interrompre la cérémonie.
Elle n'accorda ainsi que cinq minutes à la tombe de Michael avant de prendre la direction de la tombe indiquée dans l'invitation et d'emprunter l'escalier qu'elle révélait exceptionnellement pour l'occasion.
Une fois en bas des marches, Amelia constata avec soulagement qu'elle était bien loin d'être en retard puis s'aperçut que les invités du mariage étaient, si on peut dire, à la hauteur de l'événement. Il lui sembla en effet reconnaitre une momie, un vampire ou encore le célèbre Fantôme de l'Opéra en personne. Amelia, impressionnée, aperçut également une créature immense et humanoïde et tâcha de ne pas l'observa trop longtemps, sous peine de s'en décrocher la mâchoire.
- Vous m’avez regardé, haha, je suis flatté ! ricana la créature qu'Amelia n'avait pu s'empêcher de regarder.
Cette dernière rougit et sut encore moins où se mettre. A son tour, elle gloussa, puis replaça une mèche brune lâche derrière son oreille.
- Eh bien c'est que vous ne passez pas inaperçu ! répondit-elle en rassemblant un peu de courage (quand même) car la créature l'impressionnait beaucoup.
Moi c'est Amelia, ajouta-t-elle cependant en avançant vers la créature qu'elle avait hâte de ne plus appeler "la créature" même si elle l'appelait ainsi seulement dans sa tête et que rien n'indiquait qu'il était télépathe.
Et vous ? Vous êtes du côté du marié ou de la mariée ?- Je suis la créature de Frankenstein. Je suis du côté de Frankenstein !Dit-il très explicitement mais très ravi.
Waouh, c'était quand même un peu impressionnant, voire encore plus. La créature. De Frankenstein. C'était une star, en tout cas dans le monde de la littérature horrifique et très certainement dans celui des créatures.
- Impressionnant, siffla Amelia.
J'aurais dû vous reconnaitre, excusez-moi... Je suis... disons que j'adore les mariages alors je suis venue sans connaitre personne. A part Jack parce que c'est mon voisin de commerce - je tiens La Pelle à tartes au centre-ville de Storybrooke, je sais pas si vous connaissez, ne put-elle s'empêcher de digresser.
Vous savez si c'est placement libre pour la cérémonie ? demanda-t-elle sans transition car elle sentait que plus elle parlait, plus elle s'enfonçait et se trouvait à présent gênée par sa propre pitre prestation de socialisation avec les créatures.
Un peu plus et elle se serait frappé le front du revers de la main mais ç'aurait été donner trop d'informations sur la manière dont elle appréciait ses compétences.
- J’aime beaucoup les pelles, et j’aime beaucoup les tartes, je devrais aimer les pelles à tartes ! commenta la créature, ce qui eut pour effet de redonner son sourire à Amelia.
Lui haussa les épaules et poursuivit :
- Choisissez vot' préférée. Moi je dirais Frankenstein !Il se trouve qu'Amelia a toujours été très (trop) arrangeante envers tout le monde sauf elle et qu'elle ne voulut pas vexer son nouvel ami en choisissant de s'asseoir du côté de la mariée. Elle adresse donc un sourire ravi à la créature et le remercia avant de prendre place du côté "marié" de l'allée de bancs et ne poursuivit pas la conversation, préférant observer les autres invités, Storybrookiens ou non, qui se placèrent peu à peu jusqu'à ce que des notes de musique bien connues - même au royaume des morts, visiblement - retentissent pour annoncer le début de la cérémonie.
Prête à dégainer le mouchoir qu'elle avait elle-même brodé, Amelia tendit le moindre de ses muscles, de peur de louper quelque chose, de ne pas être suffisamment investie dans le bonheur des jeunes mariés. Mais au lieu d'assister à une belle cérémonie comme elle s'y était attendue, le mariage se transforma, sans qu'elle ne comprenne tout à fait pourquoi, en règlement de comptes.
Ne sachant plus où donner de la tête, Amelia resta d'abord assise, occupée à observer les deux camps - car le mot n'était pas trop fort dans ce contexte - s'affronter à grands renforts d'arguments sans doute tout aussi valables les uns que les autres, si bien qu'Amelia ne savait plus où donner de la tête et commença à avoir le tournis. Elle prit ensuite conscience qu'en ayant choisi de s'asseoir avec les invités du marié, on allait finir par croire qu'elle avait choisi un camp alors que ce n'était absolument pas le cas. Pour Amelia, il n'y avait qu'un camp à soutenir, celui de l'amour. Malheureusement, elle n'avait pas suffisamment de cran ni de cordes vocales pour faire entendre sa voix fluette et mal assurée dans le chaos qui régnait à présent au sein de la tombe. Se faisant donc plus petite que ce qu'elle était déjà, Amelia glissa hors du banc où elle avait choisi de s'asseoir et se dirigea vers Jack, persuadée que, lui, pourrait passer le bon message. Il était le roi d'Halloween, après tout. On l'écoutait forcément.
- Euh... dis Jack ? lui demanda-t-elle en se raclant la gorge.
C'est juste une idée comme ça mais on devrait pas leur dire que le seul camp pour lequel il faut prendre parti aujourd'hui c'est celui de l'amour ?- Dans une telle rage, ils n’écouteront rien tant qu’ils ne seront pas obligés ! Il faut mettre nos fiancés en sécurité et distraire la foule en colère pour les faire entendre raison ! répondit-il, inquiet.
Amelia se mordit la lèvre. Il avait raison. Elle avait bien fait de se rapprocher de lui.
- On pourrait aller les cacher ailleurs mais je ne sais pas trop où et il faudrait peut-être une diversion pour qu'ils ne voient pas qu'on va cacher les mariés, commenta la pâtissière.
- C’est exact, Amelia Peters vous êtes un génie ! s'écria Jack sans manquer de flatter Amelia qui rougit, de plaisir cette fois, peu habituée à ce genre de compliment. Une diversion,
Monsieur le Maire, appelez La Dame Blanche, elle fera une fausse mariée idéale ! Elle sera sûrement de notre côté, elle adore les amoureux.Jack ne s'adressait pas à Erwin Dorian, le maire actuel de la ville, mais au maire d'Halloween Town, un petit homme qui avait presque la forme d'une toupie et dont le visage arborait des expressions exagérées. Il sembla à la fois flatté et terrorisé par l'idée que Jack lui avait confié une mission. Il trancha pourtant en faveur de la flatterie d'être reconnu pour sa juste valeur et courut, l'air quand même affolé, à la recherche de cette fameuse Dame Blanche. Mais dans un chaos tel que celui qui régnait au cimetière, son affolement eut raison de son équilibre et il percuta un autre invité avant d'avoir trouvé la Dame Blanche.
En bref, c'était pas gagné cette histoire de protection des amants maudits.