En lutte contre soi, on ne l'emporte pas toujours

Je n'étais pas en service ce jour-là, c'était l'un de mes rares jours de congés mais il n'empêchait qu'une part de moi restait encore sur le terrain, à observer les environs comme un policier le ferait en patrouille. Je devais penser à autre chose, essayer de décompresser. Pourquoi je cherchais le mal partout autour de moi ? Pour prévenir et protéger... Finalement, mon esprit était toujours pris dans mon travail. J'avais bien songé à aller voir les filles pour penser et parler d'autres choses mais elles travaillent ou étudient - puisque nous en sommes en semaine, forcément -. Je devais encore attendre quelques heures avant de pouvoir proposer un verre. En parlant de verre... Je connaissais cet endroit.

Mon regard vira à ma gauche, tombant presque naturellement sur la devanture sombre et moderne du Roni's bar. Pourquoi ne pouvais-je pas boire un verre seule ? Je jetai un coup d'œil à ma montre. Peut-être pouvais-je parler un peu au personnel en attendant. Il faisait beau et je n'avais rien d'autres à faire. Traversant donc la route, je pénétrai à l'intérieur du bâtiment peu après une jeune femme qui se faisait discrète. Elle s'installa et sans y prêter attention, je m'avançai vers le barman pour discuter un peu. Je commandai un verre avant d'être happée par un sifflement derrière moi. C'était la même cliente qui, suite au départ d'un jeune homme, reprit le relais d'un verre qu'il ne semblait pas avoir terminé. Je fronçai les sourcils, curieuse. Elle allait le finir ?

"Bonjour, m'approchai-je plutôt aisément (trop ? Je n'étais pas dans mon uniforme de police pourtant), vous souhaitez commander quelque chose peut-être ?"

En lutte contre soi, on ne l'emporte pas toujours

Cette fille venait de terminer un verre qui ne lui appartenait pas sous mes yeux et cela sans trop d'ailleurs sans cacher. J'étais restée un instant sans comprendre à la fixer avant de m'approcher d'elle avec une même aisance que je me connaissais lorsqu'en uniforme. J'avouais regretter ma phrase dès lors que je la commençais - sa situation ne me regardait pas - mais sa réponse me fit comprendre que, peut-être, il y avait de quoi creuser. La voir soudainement si désemparée d'elle-même laissait cet arrière pensée délicate que, comme la plupart des clients ici, elle ne venait pas seulement pour passer un bon moment.

Silence. Je la fixai un temps, le regard sondeur. Elle n'allait pas bien mais qu'elle le cachait bien. Du moins, à elle-même, elle essayait. Je n'étais pas en uniforme, me répétais-je. Aucun protocole, aucune règle ne pouvant m'interdire telle ou telle action effrontée. Je tournai les talons sans un mot et partis rejoindre le comptoir. Là-bas, je demandais deux verres : celui que la jeune inconnue venait de finir sans payer puis le mien, un peu plus soft. Je les rapportais à la table et m'installai en face.

"Tiens. C'est mieux que de boire les restes des clients, tu ne crois pas ?"

Elle semblait jeune, fatiguée. Triste.

"Je m'appelle Aisha. Et toi ?"

Je ne savais pas ce qu'elle saurait penser de ma compagnie mais je décidai de tenter le coup malgré tout. Simplement car je savais moi aussi ce que ça faisait d'être seule.

"Tu as mangé récemment ? Je peux te faire apporter quelque chose si tu veux. Le personnel se composent de quelques connaissances, je peux voir ce qu'ils ont."

En lutte contre soi, on ne l'emporte pas toujours

Barbara, je notai en silence. Elle avait répondu avec davantage de douceur qu'à mon arrivée. Son regard aussi s'était fait plus tendre et je comprenais que la compagnie lui était bénéfique. Être seule n'avait pas dû être un choix qu'elle avait pris par plaisir sans que je ne sache vraiment pourquoi. Je ne la connaissais pas après tout, et de son côté aussi ne devait-elle pas penser que je puisse l'aider en grand-chose.

Je souris.

"Ok, ça me va. Dès que tu as faim, dis-le moi, on pourra aller se prendre quelque chose. Je tournai mon verre sans le boire. Tu attends quelqu'un ?"

C'était un moyen de tâter le terrain et son histoire. Après tout, peut-être attendait-elle réellement quelqu'un ici, même si je ne me laissais pas parier sur l'idée.

"Je comptais boire un verre seule à la base, ça faisait longtemps que je n'étais pas venue ici. Mais rien ne vaut de la compagnie, tu ne penses pas ? Je souris à nouveau. C'est réconfortant, je trouve."

Je buvais enfin un coup.

"Mais si tu préfères être seule, je comprendrais."
©️crack in time