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Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve
sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)

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 Au bord du gouffre [pv - Liam MacCarthy]

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Au bord du gouffre [pv - Liam MacCarthy] - Page 2 _



________________________________________ 2021-04-30, 12:16


Au bord

du gouffre
A
utour d’elle, la nuit pèse lourd, sur son esprit détraqué, sur son cœur émietté. Manhattan a beau sourire à l’obscurité, chercher, entre les arbres, un signe des démons qui foulent les ombres, elle n’a pas la force de lutter. Pas ce soir. La fin de l’été a toujours, sur sa langue, un arrière-goût de bière dépassée, trop chaude, passée par d’autres lèvres avant les siennes. Elle a, également, l’odeur des sapins, de la terre retournée, de la forêt qui se balance par-dessus son corps de pantin désarticulé. Puis le bruit. Le son du klaxon qui résonne dans son esprit, à peine couvert par une voix qu’elle reconnaîtrait entre mille, qu’elle ne veut plus entendre, comme un tabou posé sur sa vie. Un solo de guitare en bruit de fond.

Manhattan se perd, toujours, à la fin de l’été.

Que fera-t-elle, cette année, pour ajouter des sons, des parfums, des goûts qu’elle n’a pas encore, dans sa nostalgie ? Ses doigts passent sur l’écorce rugueuse de l’arbre centenaire. Le goût d’une bêtise au bord des lèvres. La voix d’un nouvel abruti, dans sa vie, qui lui propose de descendre aussi. Les yeux clairs glissent dans le vide, regardent en bas, si loin, si bas. Elle se demande dans quel état elle sera, si elle fait un faux pas. Juste un petit pas de trop pour rejoindre l’horizon, sans s’inquiéter de la terre qui n’existe plus. Un dernier pas pour s’allonger, à nouveau, entre les arbres, baignée dans la chaleur de la fin de l’été, à expirer pour la dernière fois sur la cruauté humaine.

– Je peux faire beaucoup de choses, toute seule, pour ne pas m’ennuyer, s’amuse-t-elle, en s’extirpant de ses sombres pensées. Vous regarder tomber sera bien assez amusant.

Besoin étrange de retrouver un moment de solitude, de silence, les yeux fixés sur ceux qui se préparent à sauter. La peur de mourir les a quittés, a oublié de creuser un trou dans leur esprit, de les empêcher de faire n’importe quoi. Qu’arrivera-t-il, si je meurs ? La question est posée. La question est vitale. Reviendra-t-elle d’entre les morts, comme autrefois ? La peau plus blanche, encore. Les yeux si sombres, ouverts sur l’obscurité. Ses longs crocs bien cachés derrière ses lèvres rouges. Jouer avec la vie est si grisant. Les fils tendus, entre ses doigts, pour faire bouger ses marionnettes, l’hypnose crachée dans leurs veines comme un poison qui n’appartient qu’à elle.

Les trois garçons sautent dans le vide et Manhattan soupire, sur sa branche. Elle pose la tête sur ses bras, le regard vers l’horizon. Les teintes de la nuit sont étranges, pour ses yeux de revenante. Elles prennent des couleurs qu’elle est la seule à voir, à admirer, à apprécier. Le silence, autour, est reposant. Elle ferme les yeux sur le monde, se laisse bercer par les bruits lointains de leur lutte, contre la falaise. L’homme contre les éléments. Elle sait qui gagne, à la fin. Elle sait qui n’accepte pas de perdre, poussé dans un besoin de destruction, l’ego persuadé d’être indomptable, d’être le maître d’un monde qui n’en a pas besoin.

Elle tend l’oreille.
Attend qu’ils tombent.

Par curiosité, la rose se redresse, se penche sur sa branche pour regarder le bas de la falaise. Elle a le temps de voir les premiers pieds se poser sur le sol, la victoire de Liam sur son visage. Bien, bien, chaton, que vas-tu demander ? Sifflement amusé, entre ses lèvres, elle reprend sa place, l’air de rien. Ils ne sont pas tombés et elle doit se plier à ce qu’elle a promis. Même si elle est prête à le lui refuser, pour le simple plaisir de se plier à ce que l’on attend d’elle, à ce que tout le monde fait toujours, même avant elle : briser une promesse, jurer mais ne jamais rien faire. Il faut être idiot pour croire quelqu’un sur parole.

À quel point a-t-elle été stupide ?

Ses dents grincent, alors qu’elle serre les mâchoires. Les souvenirs la perturbent, elle les chasse d’un revers de main, ne veut plus se pencher sur ce qui a été, ce qui ne sera plus jamais. Ceux qui sont partis ne reviennent pas. Ils s’éloignent dans un nuage de fumée, dans une explosion de cris, parfois, et quand le voile se lève, il ne reste qu’elle.

Les trois débiles reviennent, fiers d’eux, de leur exploit qu’elle a à peine regardé, pas intéressée. Mettre sa vie en danger, elle connaît. Elle préfère la survie, le besoin de bouger, de vibrer, de sentir son cœur tambouriner, au fond de sa poitrine, son corps répondre à ses ordres. Danser pour oublier qu’elle est déjà morte, dans une autre vie, qu’elle aurait dû mourir deux fois, déjà, dans celle-ci.

– Un petit singe insupportable, ricane-t-elle, en s’incrustant sans honte dans une conversation qui ne la regarde pas. J’espère que t’es moins poilu qu’un primate, tout de même.

Sourcil haussé sur son front, Manhattan pince les lèvres face à l’invitation. Une simple main tendue vers elle, perchée sur sa branche, qui la renvoie un an en arrière, assise sur une fenêtre, à réclamer qu’il tende les bras vers elle et la rattrape dans sa chute pour le rejoindre. Elle détourne le regard, se demande comment l’envoyer balader, ne pas se laisser avoir par le geste qui, tôt ou tard, se retournera contre elle. Finalement, la rose se redresse, s’assoit sur sa branche et le regarde de haut, les jambes se balançant vers cette main tendue sans jamais la toucher.

– Alors… que vas-tu demander ? Dans la limite du raisonnable, tu te souviens ? Je me garde le droit de refuser.

Elle se doute, de ce qu’il réclamera. Des dizaines de possibilités qui s’enchaînent, dans son esprit. Elle sait qu’elle dira non, quoi qu’il osera réclamer. Il n’en a pas le droit. Manhattan a besoin de sa liberté, de cette fausse liberté qu’elle n’arrive pas à toucher, à feinter. Le besoin des autres, accroché à ses chevilles, qui se balancent dans le vide. Elle est dépendante des mains qui se tendent, de ces doigts qu’il a, lui-même, levés vers elle, mais qu’elle ne prend pas. Comme une dernière défense, pour s’éviter l’humiliation, l’abandon, un autre idiot pour lui susurrer à l’oreille combien elle est con. Tch. Elle ne veut pas regretter ces insultes sans intérêt.

– Dépêche-toi de te décider, sinon je ne ferai rien pour toi.

Manhattan glisse de sa branche, lentement, revient à terre sans avoir besoin de ces doigts qui la prennent pour une princesse. Elle n’en est une que d’apparence, la rose, coincée dans son besoin d’être vue et aimée. Sauf qu’elle a, au fond de la poitrine, les cris de la vengeance qui grondent, l’envie de faire couler le sang comme on a voulu verser le sien. Le besoin de faire parler les poings sur ceux qui l’ont abandonnée.





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