A la recherche du dentier perdu

Magrathéa, ce nom résonnait en moi comme une promesse faite au gamin que j'avais été. Un jour tu iras dans l'espace et ce sera aussi grandiose que dans tes rêves. Bon il n'y aura peut-être pas de lacs remplis de docteur pepper, de skates volants et de pizzas aux fragments d'étoiles, mais peut-être que ce sera encore mieux que ça. Je trépignais d'impatience devant le petit hublot de la réceptionniste, quand celle-ci poinçonna mon ticket d'or estampillé Slife, ma place pour un voyage dans l'empire de Magrathéa, la découverte d'un monde, ses diverses formes de vies, sa technologie bien plus avancée que la notre, un univers de possibilités. J'étais tout simplement incapable de me calmer, j'avais envie de courir et d'attraper tous les passants dans mes bras pour leur partager ma joie. Je n'ai pas été aussi heureux depuis...depuis bien longtemps à vrai dire. Si pour beaucoup, aller dans l'espace était aussi commun qu'un week-end à la montagne, quitter la terre pour découvrir une autre planète était mon plus grand rêve, l'occasion de laisser mes problèmes de côté, au moins pour une journée. Avant de partir je me suis allongé sur le sol de ma cave et j'ai dit ciao à la terre, bye bye ma vieille, on se revoit bientôt. J'étais un tout petit peu ému, bon ok j'étais totalement mélancolique, ça m'arrive parfois. Certains ( mes frères pour être plus précis) diront que je dormais avec mon billet sous l'oreiller, mais c'était pas tout à fait juste, en vrai je dormais pas, impossible, vous auriez fermé l’œil si on vous avez dit que demain vous alliez prendre une navette pour aller sur une autre planète ? UNE AUTRE PLANETE ! Voilà globalement ce qui se passait dans ma tête, j’envisageai tous les scénarios possibles, même celui où une Vogon tombe follement amoureuse de moi et je décide de rester vivre sur Magrathéa avec elle pour avoir plein d'enfants mi-vogon, mi-tortue, mi-humain, n'imaginez pas ce que ça peut donner c'est vraiment degeu. J'en ai fait un dessin pour filer des cauchemars à Michel-Ange, j'ai aussi promis de lui ramener un mug à son effigie, ou une roulette à pizza tient, excellente idée que nous avons eu ma coéquipière de navette et moi.

Nous étions quatre en tout dans le vaisseau dématérialisateur, la petite Sally, son papa Ben qui était vraiment vraiment super cool d’amener sa fille sur une autre planète et miss Placard univers, une pilote bien connue dans son temps, un temps révolu à priori vue son grand âge et ses dents manquantes. Si je connaissais cette pilote ? Pour sûr, tout le monde la connaissait, du moins tout ceux qui suivaient de prêt l'histoire du voyage spatial. Cette vieille édentée, croyez le ou non, avait marqué l'histoire en tant que première femme à avoir fumé une cigarette sur Mars ! C'était tout de même pas rien, et j'étais assez fière de me retrouver dans son vaisseau, quoi qu'un peu effrayé à l'idée qu'elle nous matérialise une tête à la place du popotin.

-Vous avez perdu vos dents ou on vous les a arraché ? Les vraies je veux dire. Vous savez que fumez tue ? Ce n’est pas bon pour la santé. Vous vous appelez réellement Placard ?

Cette fillette me rappelait mon petit frère, jamais la langue dans sa poche, toujours le premier à dire tout ce qui lui passait par la tête, je me pris tout de suite d'affection pour elle. J'étais à l'aise avec les mioches, ceux du dojo et ceux du quartier car beaucoup d'entre eux n'avaient pas de grand frère avec qui jouer au basket ou faire du skate. J'ai eu la chance d'avoir une grande famille, imaginer une vie sans mes frères, c'était inconcevable. Alors quand je regardais Sally je repensais à nous petits, le bon temps de l'innocence, nos délires, nos conneries... Je sentais que ce voyage allait être particulièrement éprouvant pour Ben qui n'était pas au bout de ses peines avec deux gamins comme nous dans une navette.

- Oui Je m'appelle Placard et qu'est ce qu'on enferme dans les placards ? Les enfants pas gentils. Alors accroche bien ta ceinture et tu as raisons, c'est pas bien de fumer.

Déclara la pilote en allumant sa cigarette avec un air de vieux pirate éméché. Miss Placard avait perdu son dentier, mais ce n'était pas une paire de dents en plastoc qui allait m'empêcher de réaliser mon rêve !

- Vous souvenez vous de la dernière fois où vous avez aperçu vos dents madame Placard ? Peut-être à la cantine, sur un rebord d'évier ? Où lors de votre dernier voyage sur Magrathéa ? Et si un Vogon vous avez volé vos dents ? Je crois me souvenir qu'ils adorent collectionner les objets d'humains et plus particulièrement les dents de vieille dame, je suis sûr que c'est ça ! Ne perdons pas de temps et allons retrouver le dentier perdu !

Je glissais un clin d’œil discret à Sally et Ben, espérant qu'ils aient compris mon ingénieux plan pour décoller rapidement. Drôle de mission spatiale que celle de chercher un dentier sur une planète inconnue, mais j'étais prêt à tout pourvu qu'elle nous dépose sur Magrathéa sains et saufs. Enfin le moteur se mit à vrombir et à pétarader comme une vieille bicyclette à moteur. Je priais le dieu pizza de toutes mes forces, faite que je n’atterrisse pas avec une tête de culs, faite que n’atterrisse pas avec une tête de culs ! La dématérialisation était sans douleur, mais pouvait avoir de drôles d'effets secondaires comme la vision trouble, la nausée, l'euphorie ou la dépression et plus gênant, l'envie de faire pipi. En gros, à la sortie d'une navette de décompression on était totalement bourré. J'avais une furieuse envie de faire pipi cumulé à une furieuse envie de rigoler, tout ça parce que Sally et Ben avaient tous les deux des grosses têtes difformes. Heureusement ce n'était qu'un effet indésirable du voyage car les pauvres n'auraient pas pu rentrer sur terre avec des tronches pareilles. Miss Placard afficha un sourire édenté et leva un pouce en l'air pour nous signaler que oui, nous étions bel et bien devant les portes de Magrathéa. Avec tout ça je n'avais pas encore totalement réalisé où j'étais, tout semblait si irréel. En face de nous s'élevait la cité hôtel de luxe, un genre de parc d'attraction où, encore une fois c'était sans doute difficile à croire, mais nous étions les stars ! Trois femmes d'apparence humaine coiffées d'antennes radio et vêtues de t-shirts à notre effigie nous enlacèrent de leurs très longs et bras pour nous saluer.

- Donnie, Sally, Ben, nous vous souhaitons la bienvenue dans ce paradis qui est un hommage à ce que l'humanité a fait de plus beau, le consumérisme à outrance ! Nous avons tant appris en vous observant tous les trois, venez suivez nous ! Votre fan club vous attend avec des cadeaux, des bonnes choses à manger et à boire, ça vous dirait une pizza aux fragments d'étoiles ?

J'étais stupéfait, cette pizza c'est moi qui l'avait inventé quand j'étais petit, ces aliens savaient-ils absolument tout de nous ? Miss Placard qui nous avait suivi jusque là, nous fit signe de ne pas oublier de chercher ses dents. Mais, une fois les portes de l'hôtel passés, nous comprîmes qu'il serait plus facile de chercher une aiguille dans une botte de foin, qu'un dentier dans une citée lumière aussi vaste et aussi vivante. A perte de vue on voyait des boutiques, des airs de jeux, des spas des restaurants et une multitudes d'espaces de loisirs assaillis par des groupes d'humains ou de vogons déguisés en humains. Ce n'était pas trop difficile de faire la différence car certains se permettaient quelques fioritures, il me sembla même apercevoir dans la foule un double de moi-même, avec une carapace de tortue sur le dos. J'étais définitivement soit bourré soit en plein rêve, mais heureux comme un gamin sous un sapin de Noël. Les trois vogons nous guidèrent à travers la foule vers une estrades où nous furent salués et flashés comme des stars. Il ne fallait pas compter sur moi pour prendre la parole au micro, j'étais aussi mal à l'aise qu'il était possible de l'être. Heureusement que Sally était là, je comptais sur son franc-parler pour faire un magnifique discours...

A la recherche du dentier perdu

Le discours de la petite Sally nous a sauvé d'un gros moment d'embarras, je crois qu'un discours de Ben se serait résumé a un "Groumpf" et le mien aurait plutôt ressemblé à un hoquet de petit garçon timide, je déteste les discours. Je déteste parler en public et je déteste la foule, je devais avoir au moins ça en commun avec mon acolyte du jour. La petite fille nous tenait tous les deux par la main, un papa grognon et un tonton improvisé particulièrement joviale. Même si je n'aimais pas spécialement être entouré d'autant de monde, je vivais un rêve éveillé et rien n'aurait pu gâcher ce moment, même pas des câlins d'Aliens visqueux. Un petit extraterrestre gluant venu dont ne sais où nous sauta dessus sans même qu'on ait le temps d'écarquiller les yeux. Il attrapa Ben par la taille et lui fit un gros câlin avant de se jeter sur Sally et moi et de s'enfuir à toute jambe. Nous étions de véritable stars et ce petit garçon était sans doute un de nos fans, mignon, mais quelque peu gluant. Mon t-shirt était bon à jeter, mais par chance il y avait en face de nous un magasin de vêtements et je me suis empressé d'y conduire mes deux nouveaux amis.

Regardez, un t shirt avec la tête de Ben dessus ! Et Sally, et moi !!! Vous croyez qu'ils ont des shorts assortis ?

Je suis ressorti de la cabine d'essayage avec un sublime t-shirt, une casquette et un short à l'effigie de Ben et de sa plus belle grimace. On ne se connaissait pas encore pas très bien, mais je pensais que peut-être cela le dériderait un peu. En tout cas moi ça me faisait particulièrement marrer. Mais en cherchant dans mes poches de quoi payer, j"ai alors pris conscience que mon portefeuille avait disparu. J'étais pourtant sûr de l'avoir pris avec moi ce matin, j'avais même fait changé ma monnaie pour pouvoir ramener des surprises à tout le monde.

Euh, les gars... je crois que le mioche de tout à l'heure voulait pas vraiment nous faire de câlins... mon porte-monnaie a disparu !

J'étais vert comme la couleur de mon t-shirt, toutes mes économies étaient dans ce porte-monnaie, sans compter mes papiers, un poème écrit un soir dans un bus après une rupture, particulièrement gênant ( à ne pas mettre dans toutes les oreilles et certainement pas dans celle d'un enfant de cet âge là ). Il fallait à tout prix que je retrouve ce porte-monnaie avant que quelqu'un ne mette la main là-dessus ! Et que je retrouve accessoirement mon argent pour rapporter une surprise à mes frères.

-Regardez là sur le sol, des traces de pas gluants, il est sûrement parti par là, où par là, où par là !

Les traces donnaient dans trois directions différentes. Ce petit était rapide et malin, comment retrouver sa trace dans cette foule de monde et d'attraction ?

A la recherche du dentier perdu

J'étais mort de honte à l'idée que Ben paye tous mes achats. En quelques minutes le voila devenu papa à nouveau, mon papa des étoiles ! Et Sally ma petite sœur de cœur. Je suis vraiment un gros gamin quand j'y pense, mais vous auriez vu ce t-shirt et cette casquette de toute beauté, vous n'auriez pas pu résister ! A Magrathéa tout était fait pour donner envie d'acheter, les affiches, les néons, les hologrammes et les écrans géants sur lesquels on pouvait voir nos tronches entourées de lumière scintillantes avec écrit en gros

"PROMOTION SUR LES CARAPACES DE TORTUE EN PLASTIQUE ",

" POUPÉE SALLY, ELLE DANSE, ELLE CHANTE, ELLE RIT",

" MOTEUR A FUSION BEN RANGER, IL FAIT VROUM ET IL FAIT BOUM ! "

Incroyable cette planète, je n'aurais pu imaginer tout ça même dans mes rêves les plus fous. Un paradis du merchandising ! De tout façon il vous suffirait d'écrire collector sur un panier à linge pour que je l'achète. Vous n'imaginez pas le bordel de ma chambre, petit conseil, n'essayez même pas. Un jour je me suis perdu dans une montagne de fringues, mes frères ont cru que j'étais parti tout un weekend alors que j'essayais déjà depuis deux jours de creuser un tunnel à l'intérieur. Bon j'exagère un peu, mais voila ma faiblesse, les fringues. Surtout les moches, surtout les plus ringardes. Sans doute une manière d'exister, d'affirmer son style, d'être en marge, voyez ? Je ne pouvais pas passer à côté de toutes ces merveilles ! Au moins si jamais on avait le malheur de se perdre Ben n'aurait pas de mal à nous repérer dans la foule.

- Merci Ben, t'es vraiment super cool, lui dis-je en tentant un high-five. Je te rembourserais dès qu'on aura retrouvé ce ptit voleur.

Je n'avais que rarement l'occasion de me faire des amis enfermé dans ma cave et j'étais tellement heureux de rencontrer de nouvelles personnes que cela m'avait rendu un peu nerveux. Depuis de longs mois j'errais dans ma cachette comme une tortue sous sa carapace, à travailler d'arrache pied sur un nouveau projet ultra top secret, avec pour seule compagnie mes ordinateurs et pour seule nourriture de la pizza. Tout comme Ben je n'étais pas un grand bavard, mais je suis sûr qu'autour d'un terrain de basket on aurait pu devenir pote très facilement. Il avait l'air sportif tout comme moi et on pouvait facilement lire sur ses mains les marques d'un homme qui aime les voitures, j'en aurais donné les miennes à couper. Mais l'heure n'était pas au bavardage, nous devions coûte que coûte retrouver le petit alien Gluant avant que mes poèmes insultes ne soient découverts. Voyant que Sally était en train de filer à tout allure en direction d'un étrange ascenseur, Ben m’entraîna dans sa course. Mais quelques secondes suffirent pour que l'on perde de vue la petite fille. Ceci n'était clairement pas un ascenseur tel qu'on en avait chez nous, mais plutôt un téléporteur capable de vous faire passer d'un étage à un autre à une vitesse folle. J'étais à la fois émerveillé et terrorisé par cette technologie, je redoutais que nos corps ne soient pas assez solides pour supporter une nouvelle dématérialisation et celui de Sally encore moins. La tête de Ben me dissuada de lui faire de mes doutes, a ce stade il aurait surement démoli la machine. Sally devait être à l'étage supérieur à nous attendre, il ne nous restait plus qu'à grimper dans le téléporteur et à la rejoindre. A l'intérieur du gros œuf il y avait un panneau avec différents caractères Aliens, impossible de savoir lequel de ces boutons Sally avait choisi. Des individus tous plus étranges les uns que les autres attendaient derrière nous en fil indienne et il fallut rapidement prendre une décision.

- LE GLUANT ! m'écriais-je ! Sally est parti sur les traces d'un gluant jaune, éliminons les autres touches, ça nous laisse deux possibilités. Cette touche ressemble a un coquillage et celle là a... un zigzag sur un v à l'envers, un volcan ? Qu'est ce qu'on choisit ?