J'opinai quand Aster demanda si l'offre de m'envoyer Nyx était valable dans le temps. S'il y a bien une chose qui ne périme pas, c'est bien le Dégoût ! Je savais d'avance que je me ferai un immense plaisir de m'occuper de la demoiselle le moment venu - même si, entre nous, le plus tôt serait quand même le mieux.
Naturellement, il était, de fait, bien trop tôt pour parler de mariage, mais qu'Aster en fasse déjà mention me fit sourire. Sa proposition était plus que méritée, je ne pourrais décemment pas m'attendre à moins qu'une invitation le jour J. Parce que j'y mettais quand même beaucoup du mien, dans toute cette affaire.
- Y a intérêt que cette offre aussi soit valable dans le temps car croyez bien que ce n'est pas tombé dans l'oreille d'une sourde et que si mariage il y a, même si c'est dans deux cents ans, je trouverais le moyen pour y être. D'ailleurs je pense que la place de témoin et/ou demoiselle d'honneur me reviendra également d'office, ajoutai-je sans qu'il s'agisse d'une question.
C'était évidemment une affirmation. Je n'avais pas proposé d'officier pour la cérémonie mais, diplôme ou pas diplôme de curé, quand on est la grande prêtresse du goût et la reine du dégoût, je pense qu'on a le droit de marier les gens. Sauf s'ils se sont habillés avec des rideaux. Faut pas déconner non plus.
L'arrivée d'Anna empêcha Aster de confirmer que je serai effectivement témoin de leur peut-être future union et, connaissant l'animal, c'était sans doute mieux comme ça. Il était un peu comme MacCanard : pas très fort pour les conversations émotionnelles. C'était, en cela, presque un miracle que cette discussion soit allée aussi loin, même si les problèmes de Nyx étaient loin d'être résolus. Au moins son rendez-vous émotionnel avec la seule personne en mesure de l'aider (c'est-à-dire moi) était pour ainsi dire fixé.
- Vous savez où me trouver. Et vice versa, ajoutai-je avec un sourire narquois. Vous en faites pas pour ma tête. Si Peur, Tristesse et Colère n'ont jamais réussi à m'en donner, je doute que Nyx y arrive.
Les fréquenter m'avait peut-être immunisée à certains maux, à moins que ce soit ma condition première d'émotion. Nous ne le saurions sans doute jamais et ça n'était pas grave. Ce qui pourrait être grave, en revanche, serait d'avoir fait tout ceci pour le compte d'Anna sans recevoir le paiement promis. C'est pourquoi après qu'Aster soit reparti dans l'arrière boutique, je m'attardai près de la vitrine, jusqu'à ce que la rouquine ne revienne, dans sa tenue de travail, cette fois.
- T'as bien fait de m'appeler. Sans moi je suis pas sûre que ces deux-là s'en sortent, commentai-je avec un signe du menton en direction du comptoir et, par extension, de la partie privée de la boutique. On a pas trop mal avancé. Je suis dores et déjà invitée au mariage si un jour il a lieu et j'ai presque déjà un rendez-vous pris avec Mademoiselle Secours Populaire. Mais ça va être un travail de longue haleine avec elle. Avec lui... Je crois que le message est passé grâce à mon petit schéma. Pas mal et très réaliste, pas vrai ? demandai-je en indiqua le panneau qui m'avait servi de tableau noir.
- Et il vous a laissé faire ? répondit Anna, sans doute incrédule, en observant mon œuvre. Il avait besoin d'encore plus d'aide que je ne le pensais. Même si, j'avais prévenu que c'était clairement pas une œuvre de charité leur histoire, j'vois pas pourquoi ça me surprend en fait.
- T'inquiète pas, je lui ai pas laissé le choix et si j'étais toi je ferais une photo et quelques impressions histoire d'en garder une trace pour lui rafraîchir la mémoire si jamais y a besoin. C'est bien que tu parles d'œuvre de charité, sinon, parce qu'effectivement tout travail mérite salaire. Du coup, tu pensais me donner combien exactement ?
- Vous voulez combien ? répondit Anna. Je gagne plutôt bien ma vie, mais j'suis pas Rothschild non plus, je suis ouverte aux négociations mais j'suis aussi commerçante si vous voyez ce que je veux dire.
J'opinai. On aurait pu croire les princesses plus naïves que ça.
- Cent dollars ça me parait bien. D'habitude je demande plus mais comme j'ai gagné une invitation à un mariage hypothétique que je m'arrangerai un jour pour rendre réel, je pense que c'est bien comme ça.
- Cent dollars et j'vous rajoute une boîte des chocolats de votre choix. Cadeau de la maison, parce que sans vous j'suis sûre et certaine qu'il serait encore en train de ramer empêtré dans son déni, affirma la rouquine.
- Marché conclu, annonçai-je avant de lui serrer la main, complètement d'accord avec elle et satisfaite de recevoir des chocolats en plus - j'avais failli en demander, d'ailleurs.
Je choisis la plus grosse boite d'assortiment qui ferait sans doute plaisir aux autres émotions ainsi qu'à moi et m'avançai vers le comptoir où Anna emballa mon dû et me donna un gros billet bien mérité.
- Ah ça c'est sûr, ça coûte toujours un peu quelque chose, littéralement ou métaphoriquement, de regarder la vérité en face. Ce fut un plaisir de faire affaires avec toi, Anna. Je pense qu'on se reverra assez rapidement. Ciao la rouquine ! dis-je en prenant congé juste avant de passer la porte pour m'en retourner au manoir.

Fin