Sortir, la nuit, n’était pas une chose aussi étonnante que certains le pensaient, pour Timothy. Le monde lui collait au dos une étiquette de gros geek qui ne voit jamais le soleil (il n’y a pas de soleil, la nuit, et alors ?), mais c’était à des années-lumière de la vérité. En tant qu’écureuil habitué à vivre en plein air, Tim avait besoin de sortir, de se dégourdir les jambes et de vibrer avec ce nouveau monde qui était, désormais, le sien. Évidemment, il ne sortait jamais sans son téléphone ou une petite console portable, mais il sortait, c’était déjà bien.

Ce soir, Tim avait rendez-vous avec son destin.
Ou quelque chose comme ça.

Le visionnage d’un film, quelques minutes à peine auparavant, lui avait donné l’idée de se pointer dans un bar, l’air sérieux, un bandana levé sur le nez pour dissimuler la moitié de son visage. Il fronça fort les sourcils sur ses yeux noirs et zieuta tout le monde, avant de se diriger vers le comptoir et de se poser sur un tabouret. Nous passerons sur le fait qu’il a failli tomber par terre en glissant un peu trop sur ce fameux tabouret.

Tim commanda un jus de pomme, parce qu’il ne buvait pas d’alcool (et ça valait mieux pour tout le monde), qu’il voulut siroter tranquillement, avec sa paille, avant de comprendre que ce serait impossible en gardant son bandana. Son idée de génie tombait un peu à l’eau et, le tissu posé sur son cou, il déglutit péniblement, en se demandant ce qu’il foutait ici. Les quelques regards, sur lui, ne lui plaisaient pas. Il hésita même à appeler Kaeloo ou M. Chat ou même Bran, pour venir jouer les gardes du corps.

Poussé par un vent de courage, ou une pointe d’inconscience, Timothy décida qu’il pouvait se débrouiller tout seul et finit, en vitesse, son jus de pomme. Il paya le barman en laissant un petit pourboire, sauta au bas de son tabouret et sortit gaiement du bar, sans remettre son bandana. Si quelques gars, sur le côté de la porte, lui lancèrent un regard de travers, Tim fit mine de n’avoir rien remarqué. Ce qui ne les trompa pas, puisque les hommes ricanèrent face à la raideur du jeune adulte et finirent en vitesse leurs bières pour le rejoindre dehors.

L’asiatique n’avait même pas fait trois pas sur le côté, quand une grosse main s’abattit sur son épaule et le poussa dans une ruelle. Les deux gars étaient plus costauds que lui, même s’ils étaient moins grands, et Tim n’avait pas besoin de les provoquer pour savoir qu’il ne leur faudrait que deux secondes pour lui foutre une raclée. Ce qui ne l’effraya pas pour autant. Les sourcils froncés, sans comprendre ce qu’il avait fait de mal, il ronchonna un peu et se tortilla pour se dégager de la prise de l’un d’eux.


Laissez-moi tranquille, je vous ai rien fait !


Sans aucun doute avaient-ils vu mieux, comme défense, dans leur vie de délinquants, mais Timothy ne voyait pas quoi faire d’autre que de demander, plus ou moins gentiment, qu’on lui foute la paix. Évidemment, il ne pouvait plus appeler ses amis à l’aide et le premier coup fusa, alors que les deux gars ricanaient. Si, par miracle, Tim réussit à éviter ce coup de poing, il n’avait pas besoin d’être devin pour savoir qu’il ne réussirait jamais à éviter les autres.

Éviter un premier coup et savoir pertinemment que les autres le toucheront n’a, pour autant, pas allumé de panneau danger, dans le crâne de Timothy. Lui ne voit que sa réussite soudaine, clignotant au fond de son esprit comme un néon des années soixante-dix, pour indiquer à tout ce qui est autour qu’il a, enfin, réussi quelque chose. Pour une fois, dans sa vie, Tim ne s’est pas mangé un pain, mais les phalanges ont frôlé sa joue et se sont contentées de fouetter l’air. Il a presque envie de ricaner, très fier de lui. Il regrette, même, qu’aucun de ses amis ne soit témoin de ça pour pouvoir, ensuite, s’en vanter toute sa vie. Ce qui ne l’empêchera pas de s’en vanter quand même, mais il sait d’avance qu’aucun d’eux ne le croira. Après tout, Timothy n’est pas connu pour son honnêteté sans faille.

Peut-être que les étoiles, dans les yeux de l’écureuil, ne plurent pas à ses détracteurs. Ou peut-être n’était-ce qu’une question de gueule, d’origine, de couleur de peau ou, plus simplement, ce petit sourire un peu niais, provocateur, qui étirait ses lèvres sans cesse. Quoi qu’il en était, quelque chose, chez lui, titilla ses adversaires qui grognèrent un peu, derrière leurs rires gras. Ça les amusait, de s’en prendre à un faible, mais ça ne les amusait pas vraiment, apparemment, qu’il réussisse à éviter leurs coups. Enfin… un coup. Les prochains, il se les mangerait. Même Timothy ne croyait pas pouvoir tous les éviter.

L’odeur de l’alcool suintait de chacun de leurs pores, ce qui força Tim a froncer un peu le nez. Ça non plus, ils n’apprécièrent pas et celui qui tenait l’asiatique par le col chargea son bras. Le poing se leva à hauteur de son visage, recula derrière l’épaule, et l’écureuil ferma les yeux, par réflexe, pour se protéger de la baffe monumental qu’il risquait de se manger. Des coups, Moignon en avait pris toute sa vie. Que ce soit par M. Chat ou Kaeloo ou par lui-même, d’ailleurs. Il connaissait la douleur, mais ce n’était pas pour autant qu’il l’aimait et la recherchait. Il n’était pas comme le chat, lui. Alors, il sentit son cœur se serrer et il couina un peu, imaginant, d’avance, le bleu qui grossirait, bientôt, sur sa joue.

Personne ne le frappa.

Timothy rouvrit un œil, puis l’autre. Face à lui, ses deux adversaires tournaient le visage dans l’autre sens, intéressés par un nouvel arrivant. Il avait entendu l’individu approcher à grands pas lourds, mais n’avait pas prêté plus d’attention que ça à l’inconnu. Maintenant, il comprenait que le passant ne faisait pas que passer, mais venait le sauver d’un très mauvais pas. Les petites étoiles retrouvèrent leur place naturelle, dans les yeux de l’écureuil. Son sauveur ne savait pas dans quelle galère il venait de se jeter lui-même. Désormais, Tim voyait, en lui, un héros courageux, téméraire, badass comme c’est pas possible. Quelqu’un qu’il eut très envie de dessiner, en modifiant quelques détails, pour lui offrir une belle histoire de super-héros. Mais, pour l’heure, Timothy restait coincé par la poigne de son agresseur.

Les mots, la posture, tout ce que faisait l’inconnu s’inscrivait dans la mémoire de Tim et lui donnait très envie, une fois encore, de sortir son téléphone pour un petit selfie qu’il enverrait à Kaeloo, histoire de la rendre un peu jalouse. Storybrooke regorgeait de héros et Timothy ne savait plus où donner de la tête. Il voulait tous les connaître, les harceler de questions, leur parler, pendant des heures, des œuvres desquelles ils venaient. Il n’en avait, heureusement, pas encore eu l’occasion, mais comptait bien se rattraper un jour. Peut-être pourrait-il, au passage, observer tous ces héros et apprendre à faire comme eux. Même si, en faisant ça, il finirait, sans le moindre doute, à l’hôpital, à devoir supporter les sermons de tous ses amis.


Trop cooooooooool !


Fut les seuls mots qui lui échappèrent, à l’instant-même où ses agresseurs le lâchaient pour disparaître dans la nuit. Ils auraient très bien pu être toujours devant lui que ça n’aurait fait aucune différence. Tim était concentré sur l’inconnu, les pensées toutes emmêlées les unes aux autres, incapable de choisir ce qu’il devait dire en premier. Le plus simple fut, pour lui, de dresser le dos, de gonfler le torse et de se pointer lui-même du pouce, en prenant un air très sûr de lui.

T’inquiète, je suis solide. M’en faut plus que ça. Regarde !


Timothy se frappa un peu le torse, d’un poing, et toussota comme un débile, alors même que le coup n’était pas si fort que ça. Bon, pour avoir l’air d’un dur, il devrait repasser, mais ce n’était pas un problème pour lui. Il passait déjà à autre chose, sautillant vers son sauveur, un grand sourire aux lèvres.

T’es trop foooort ! J’ai pas tout compris, mais c’était coool ! (Il lui tendit la main, le regard admiratif du fan prêt à demander un autographe à son idole.) Moi, c’est Timothy. Ou Moignon, comme tu veux !

Face à son modèle du moment, Tim était comme un gamin et l’inconnu pouvait, désormais, essayer tout ce qu’il voulait pour s’en débarrasser… Il n’avait pas idée du pot de colle dans lequel il venait de plonger les doigts de lui-même. Moignon était plus persistant qu’une sangsue persuadée, avec un peu d’acharnement, de ne pouvoir faire qu’un avec sa victime.

La peur et Timothy, ça faisait trois cent mille, au minimum. Il était toujours prêt à jouer, à tester des choses qu’il ne valait mieux pas tester et à sauter dans l’inconnu sans savoir ce qui l’attendait derrière. Se faire mal ne lui faisait pas peur, se prendre des tartes, non plus. Il avait l’habitude. Dans son monde à lui, personne ne mourait vraiment. Même lui, il était déjà « mort » et il avait toujours survécu, d’une manière ou d’une autre. Kaeloo essayait bien de lui faire comprendre que les choses étaient différentes, ici, mais Moignon avait du mal à piger l’information. Même ses nombreux voyages à l’hôpital n’y changeait rien. Un jour, il le regretterait peut-être. Il en doutait fortement.

Quoi qu’il en était, Tim n’avait plus peur. Maintenant que le danger était écarté, il pouvait reprendre sa vie normalement. Enfin… aussi normale que l’était sa vie d’écureuil hyperactif toujours à la recherche d’un bon jeu pour passer le temps ! Heureusement, il ne lui était pas venu à l’idée de courir après ses agresseurs pour se venger du coup qu’il n’avait pas reçu. Sinon… Il aurait fini à moitié mort dans un caniveau, sans doute, à se plaindre du traitement qu’il subissait, sans trop s’inquiéter de ses os brisés.

Moignon ne pensait déjà plus à ses adversaires, en vérité, tout concentré sur sa nouvelle idole. Il le regardait avec des étoiles pleins les yeux, prêt à copier le moindre de ses mouvements comme un petit enfant face à son grand-frère badass. Pour l’instant, en tout cas, il se contentait de lui tendre sa main pour se présenter dans les règles de l’art. Une main à cinq doigts, ce qui n’était pas le cas avant, mais il ne s’agissait que d’un détail que l’écureuil était le seul à savoir.

La poigne de Cain fut puissante et Tim grimaça un peu, en sentant ses doigts serrés entre les siens. Aussitôt relâché, il n’y pensait déjà plus et ouvrit des yeux ronds, face à la cigarette que Cain leva à ses lèvres. Ça, il connaissait bien et il savait, d’avance, que si ses vêtements puaient la fumée, en rentrant à l’appartement, il passerait un sale quart d’heure… Mais il se contenta de hausser les épaules et de passer à autre chose. Tant pis. Kaeloo adorait s’énerver de toute façon, sinon elle ne le ferait pas aussi souvent !


J’ai bu du jus d’pomme ! dit-il, très fier de lui.


Évidemment, Timothy aurait très bien pu le faire dans son appartement, mais il avait préféré s’écarter un peu du clan PTM pour prendre l’air et… imiter son film, oui, c’était vrai. Devait-il l’avouer à Cain, ça ? Il n’en fut pas sûr, mais dans le doute…


J’ai vu un film.


L’écureuil s’arrêta là dans son explication, comme si Cain pouvait et devait deviner la suite tout seul. Il le regarda, en tout cas, avec ses yeux brillants de fan, l’air d’attendre qu’il pige ce qu’il se passait dans la tête de Moignon. Mais, heureusement pour le monde, personne n’était dans la tête de Moignon. Tim s’empara donc de son bandana, à son cou, et le remonta sur son nez. Avec ses doigts, il mima des pistolets et fléchit les genoux, en faisant mine de tirer partout.

C’est un gars hyper mystérieux qui entre dans un bar et yihaaaa. Piou ! Piou ! Tadadadadaaa ! Tu vois ? Et après, il a des pouvoirs et il grille tous les méchants. Puis, j’ai pas vu la fin, mais il va sauver sa sœur et tout le monde est content.

Tim croisa les bras sur le torse et hocha plusieurs fois la tête, comme s’il jugeait de la qualité du film un peu moisi qu’il avait regardé avant de sortir. Soudain, il marqua un temps d’arrêt et ouvrit des yeux ronds, avant de comprendre ce qu’il se devait d’expliquer à son nouvel ami.

Je voulais pas vraiment les tuer, hein. Mais le bandana, c’est trop coooool.


Il n’y avait peut-être que lui pour penser ainsi, mais ça faisait, déjà, une personne pour penser comme lui. Comment ça, ça ne compte pas ? Pour lui, ça comptait. Après tout, avec la malédiction, ils étaient tous plus ou moins deux dans leur tête. Non ?