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 Une dette à payer ϟ Erwin

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Alexis E. Child
« Allez dans la Lumière.
C'est au détour d'une Ombre
que nous attends le Mal. »


Alexis E. Child

| Avatar : Kaya Scodelario

Une dette à payer ϟ Erwin Oflm
Tu es comme tu es... mais malgré les erreurs, tu me rends parfois la vie de maman célibataire plus douce...


Une dette à payer ϟ Erwin Da6n

Edition Octobre-Novembre 2020

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Une dette à payer ϟ Erwin _



________________________________________ 2022-10-16, 11:16 « Allez dans la Lumière. C'est au détour d'une Ombre que nous attends le Mal. »




Une dette à payer


— A-LE-XIIIIIIIS !!!!!
— QUOIIIIIIII ?!

J’avais ouvert la porte de la chambre à la volée, furieuse. Ça faisait au moins 10 minutes que Regina beuglait à tout va dans la maison, m’empêchant de profiter de mes dernières heures de sommeil. Pourtant c’était connu qu’un ado avait besoin de sommeil, elle avait jamais traîner sur les forums de parentalité ?! Rien que cette pensée m’arracha un sourire en coin. Bien sûr que non. Vieux jeu comme elle était... Frappant des pieds sur le sol, les cheveux emmêlés autour de mon visage, je m’étais agrippée férocement à la balustrade, l’observant en contre-bas dans le hall :

— Qu’est-ce qui s’passe à la fin ?!
— Lève-toi, c’est l’heure.

Si ses cris avaient eu jusqu’alors la puissance du tonnerre, sa phrase avait raisonné calmement et clairement dans la maison. Froidement aussi. Depuis quelques temps, nos relations n’étaient pas au beau fixe. Ça aussi, c’était un symptôme de mon adolescence. Elle s’observait dans le miroir, plaçant ses boucles d’oreilles.

— Ca vaaaa, j’aurai pu large me lever dans 20 minutes, y’a pas l’feu au lac.
— Hors de question, tu te lèves TOUT DE SUITE. J’emmène ton frère à l’école et je me rends directement après à la mairie. Vu tes exploits des dernières semaines, il semble évident que je ne peux pas te faire confiance alors je veux au moins m’assurer avant mon départ que tu es levée et que tu as pris ton petit déjeuner.
— C’est sérieux, là ?!
— Oui, Alexis, c’est sérieux et si tu argumentes ne serait-ce qu’une seconde de plus, je monte te chercher moi-même. Descend. Je te laisse 5 minutes.
— PUT...
— Je te conseille de ne pas finir ce gros mot si tu ne souhaites pas que je te lave la bouche au savon.

Et elle en était capable, cette tarée, je le savais. Poussant un soupir bruyant, je retournais dans ma chambre toujours en frappant des pieds pour récupérer mes chaussons et ma robe de chambre avant de descendre avec la même mauvaise grâce. Je le savais, elle cherchait à me faire payer durement mon impair des dernières semaines. La punition qu’elle m’infligeait n’était pas suffisante, il fallait encore qu’elle en rajoute une couche... j’allais vraiment commencer à la détester.



2 semaines plus tôt.

C’était la fin des cours et on avait décidé de fêter ça dignement avec les potes. C’était tellement rare de finir les cours mi-mai qu’on avait décidé d’en profiter. Non pas qu’on était les meilleurs de toute l’école et qu’on était donc dispensés du dernier mois. C’était juste que du haut de nos 16 ans, on était presque des grands et que de ce fait, on était “invité” à faire un stage de fin d’année afin de découvrir un métier qui favoriserait peut-être notre orientation. Enfin... “invité”... forcés ouais. Beaucoup avaient déjà trouvé, mais pas moi. Parce que je savais pas ce que je voulais faire, tout simplement. C’était comme si les gens ici, ils avaient un fil directeur, un truc qui commandait leur vie à chaque instant. Ils étaient si sûrs d’eux, laissant le passé derrière eux, l’oubliant même parfois. Moi j’avais juste l’impression de pas être à ma place. Parce que mon passé je le connaissais et que je l’oubliais pas. Il me hantait presque. J’avais l’impression d’être à ma place nulle part, d’être attendue nulle part, d’être vide d’existence en sommes. J’étais bonne élève mais je m’ennuyais. Ou du moins, je me convainquais que je m’ennuyais. J’avais pas envie de partir, faire de longues études. Storybrooke avait bien une université mais c’était loin d’être la meilleure du pays et je connaissais Regina : si je devais faire quelque chose, elle me pousserait à faire quelque chose de bien. Harvard, Stanford, Yale, une de ces grandes universités au prix exorbitant, remplis de cerveaux et de gens pétés de tune. J’y étais jamais allée mais j’étais déjà sûre que c’était pas pour moi. Je savais pas comment l’expliquer mais je savais au fond de moi que les gens d’ici étaient différents et en grandissant à leur contact, j’étais moi aussi différente.

Et puis j’avais peur. Peur de pas réussir et surtout, peur qu’on m’oublie. Comme je le disais, les gens ici vivaient presque selon un script : ils avançaient sereinement dans leur vie, oubliant le passé. Mais si je venais à partir, je ferais partie de leur passé... est-ce qu’ils m’oublieraient moi aussi ? J’avais déjà fait les frais de ça, y’avait 12 ans. Et si pendant les premières années j’avais fait juste souffert du fait que mes parents m’avaient abandonné comme un chien et oublié comme un mauvais jour de pluie, j’avais été terrorisée de constater que le Temps qui passait me faisait oublier le son de leur voix, leur visage et leur odeur au point que moi-même, je finissais par les oublier. Cette idée m’angoissait souvent la nuit, quand j’allais me coucher et il m’arrivait même d’y penser en plein milieu de la nuit, dans un sursaut. Alors du haut de mes 16 ans, je luttais, comme je pouvais. Avec les moyens du bord, les mauvais moyens mais j’avais rien d’autre. Mes notes avaient chutées drastiquement, je tentais de me convaincre qu’une petite vie rangée ici me serait suffisante, tentant de faire taire mes envies d’ailleurs, de voyage et d’aventure. Le problème c’était que justement, je me voyais dans aucune boutique de la ville, que la vie rangée c’était pas mon truc. Alors quand il avait fallu faire un stage, j’avais bugée : pas une grande institution qui mènerait à de longues études, mais un truc qui me plaisait vraiment et je m’étais retrouvée au carrefour de l’indécision, entre mes envies en bernes et mes peurs exacerbées. Regina m’avait demandé si j’avais trouvé mon stage et j’avais menti : j’avais déposé plusieurs CVs, j’attendais les réponses d’un jour à l’autre. Elle m’avait cru, accentuant encore plus mon malaise et ma honte.

Alors un jour, pendant la récré, j’avais raconté tout à mon groupe de pote et ils avaient réagi comme ils avaient l’habitude de réagir : rien de mieux qu’une fête arrosée et accompagnée de certains illicites pour lâcher prise. Ils avaient trouvé un nouveau spot à l’orée des bois, sur les hauteurs de Storybrooke, près du vieux lac où personne n’allait jamais. C’était une espèce de chalet abandonné, assez grand qui avait peut-être été un espace de stockage de plaisance avec sans doute une buvette pour les beaux jours quand la ville utilisait encore le lac. Une chose était sûre : c’était abandonné et reculé, la planque idéale pour une sauterie. Alors le soir venu, j’avais dit à Regina que je dormais chez une amie et j’étais monté retrouver la joyeuse bande. On avait évité de s’aventurer trop loin dans les lieux, nous arrêtant à une petite pièce qui servait sans doute de débarras dans une autre vie, aux fenêtres condamnées mais qui laissaient tout de même filtrer la lumière du soleil et la fraicheur de la nuit, de quoi aérer après nos bangs et notre fumette. Ca faisait déjà plusieurs heures qu’on était là et je devais avouer que les quelques bières que j’avais bu et les joints que j’avais fumés commencés à avoir raison de moi.

— Putain j’ai envie de pisser. Y’a pas des chiottes ici ?
— J’en sais rien ma poule, au pire tu vas dehors ?
— Tu déconnes, je suis une dame du monde moi !

J’avais pris des grands airs de ma démarche titubante, déchaînant les rires de mes camarades et les miens. Reprenant mon sérieux, j’avais précisé :

— Je pars en éclaireur, je vais bien trouver un truc. Si je suis pas là dan 1h appelez le SWAT et barrez vous !

J’étais sortie de la pièce pour traverser une sorte de petite cuisine désaffectée. Me tenant aux comptoirs, je tentais d’avancer tout en restant debout. Ma vue était brouillée, ma tête enfumée et mes émotions trompées : j’étais heureuse. Loin du cauchemar que je vivais en étant éveillé. Loin de ces problèmes de fac et d’avenir, loin de...

Au moment où j’avais voulu ouvrir la porte suivante, quelqu’un l’avait fait avant moins et nous avions manqué de nous foncer dedans. Je m’étais stoppée de justesse, l’homme avait fait un pas en arrière et j’avais levé la tête pour l’observer : il semblait aussi furieux que surpris mais il ne m’étais pas étranger.

— Oh...

C’était la seule chose que j’étais parvenue à dire, me mettant de nouveau à rire.

— Salut M’sieur Dorian, je cherche les toilettes !

Dans l’état où j’étais, j’avais eu du mal à comprendre que c’était le début des ennuis. Je n’avais pas compris tout de suite que bientôt les flics et ma mère arriveraient et surtout, SURTOUT, je n’avais pas du tout vu qu’il n’était pas seul et qu’une cargaison d’objets étrange semblaient l’attendre bien sagement.



Aujourd’hui.

Finissant mon bol de céréales en me tenant la tête sur la joue, Regina était revenue à la charge alors qu’Henry lassait ses chaussures.

— N’oublie pas que c’est Monsieur Dorian qui t’amène aujourd’hui. Il a été déjà bien sympathique de te pardonner en te prenant dans son étude, plus que gentil d’accepter de t’amener ce matin, je ne veux surtout pas entendre que tu avais la moindre seconde de retard. Tu l’attendras devant la maison, comme il se doit. Tu es polie, tu écoutes ce qu’on te dit et si tu fais la moindre vague, je te promets que tu vas sentir passer la punition, c’est compris ?

J’avais pas répondu, me contentant d’inspirer profondément. Regina avait alors abattue sa main sur la table, faisant trembler mon bol, ses yeux marrons plongés dans les miens avec une férocité si puissante que je n’avais même pas réussi à avaler ce que j’avais dans la bouche.

— Est-ce que c’est compris, Alexis ?
— Oui, c’est compris. Je suis sage, je suis polie et je suis ponctuelle, c’est bon j’ai capté, on se calme.
— Et pense à t’habiller correctement, pas comme une sauvage. Tu vas dans une étude notariale, pas dans une soirée avec ton groupe de voyous.
— C’est paaaas des voyous...
— Laisse m’en seule juge et de ce que j’en ai vu pour le moment, permets-moi d’en douter. Les entrées par effractions et la consommation de cannabis et d’alcool ne sont généralement pas l’apanage des gens bien.
— De toute façon tu m’as interdit de les revoir alors de quoi tu t’inquiètes ?

C’était à mon tour de lui jeter un regard glacial. Je ne lui avais toujours pas pardonné cette décision. Elle sembla embêter avant de caresser ma joue d’un geste qui n’avait rien de sentimental ni naturel pour elle, comme à son habitude.

— C’est pour ton bien. Si tu as besoin d’une tenue, tu peux prendre dans mon armoire mais je pense t’avoir acheté suffisamment de tenues adéquates. Ne soit pas en retard.

Elle avait récupéré son sac à main d’un geste vif puis la main de mon petit frère avant de claquer la porte derrière elle. Tout en soupirant, j’avais repoussé mon bol de céréal d’un geste las. Elle avait même réussi à me couper l’appétit. Le rangeant dans le lave-vaisselle, j’étais alors monté me préparer. 35 minutes plus tard, je sortais de la maison, PILE A L’HEURE, tandis que le ronronnement de sa Lamborghini violette se garer devant notre allée. Tournant la clé dans la serrure avant de la récupérer, je n’avais pas pu m’empêcher d’avoir un ricanement dans la gorge en voyant la bagnole. Ce mec cultivait clairement le goût du too much... ça le rendait creepy, ça et le fait qu’il s’habillait et parlait comme s’il venait d’un ancien temps. A croire qu’il n’y avait pas que moi qui ne trouvait pas ma place dans ce monde... Le voyant mettre son frein à main et sortir de sa voiture, je continuais à avancer dans l’allée avec un sourire aux lèvres :

— Je savais pas qu’on allait au festival de Cannes.

Mon ton était clairement moqueur, QUI allait au boulot avec une voiture pareille, sérieux ?! J’aurai pu être impressionnée par la marque et l’allure du bolide mais je vivais dans un quartier aisé de Storybrooke, la richesse ne m’était pas étrangère et ce type était presque mon voisin... C’était pas la première fois qu’il faisait étalage de son fric de la sorte. Je savais que ma mère m’avait intimé à la politesse mais c’était pas méchant, il l’avait même vécu avec un début de sourire... et puis je pouvais pas le piffrer pour ce qu’il nous avait fait. Ne rien comprendre et porter plainte immédiatement sous prétexte qu’on avait violé une propriété privée, c’était juste abusé. On avait rien cassé, on avait fait de mal à personne, il aurait pu se détendre le string. Et puis il avait beau dire qu’il faisait une visite notariale du bien, moi je trouvais son histoire un peu louche. Qui faisait ça à 23h45 ? Ce type ne m’inspirait pas confiance.

— Puisque vous êtes encore à votre domicile, je vous invite à en profiter pour faire demi-tour et vous changer... Je n'ai rien contre l'exubérance, loin s'en faut, mais votre tenue est plus qu'extravagante, elle n'est pas appropriée.

Il m’avait jaugé de haut en bas, le sourire crispé, la mine désapprobatrice. C’était l’hôpital qui se foutait de la charité ? On en parlait de sa tenue à lui ? Ravalant la réplique au fond de ma gorge, je m’étais contentée de m’observer en contre bas. OK j’étais pas habillée à quatre épingles comme les femmes d’affaires à la télé mais y’avait pas de quoi s’offusquer non plus. Je portais une mini-jupe à volant, des basses résilles et des docs martins. Mon haut était mi-manche, légèrement asymétrique, laissant apercevoir l’une de mes épaules et la bretelle de mon soutien-gorge. J’étais habillée comme une ado de mon âge, parce que c’est ce que j’étais, une ADO.

— Elle a quoi ma tenue ? Je vois pas en quoi c'est inapproprié, je suis pas à poil, j'ai juste 16 ans... et ça va c'est comme si j'allais plaider à la cour ou je sais pas quoi, je vais classer des dossiers et répondre au téléphone, non ?

C’était à son tour de se moquer d’un rire :

— Avoir 16 ans n'ouvre pas un passe-droit à l'éclectisme tapageur quelque peu...outrancier, encore moins à l'occasion d'un stage professionnel.

Il l’avait susurré, comme s’il n’avait pas voulu se faire entendre de toute personne qui se trouvait à proximité... bien qu’il n’y eût personne. J'en aurai presque réprimé un frisson mais j’avais tenu rang et place tandis qu’il reprenait plus fortement :

— Vous classerez les dossiers, répondrez au téléphone et assurerez l'accueil... Et quand bien même vous ne seriez pas en contact avec la clientèle, je veille à ce que chacun de mes employés soient la vitrine des valeurs de mon établissement. En d'autres termes....pressons-nous.

Il avait montré le manoir derrière moi avec un sourire narquois et après l’avoir observé droit dans les yeux un instant de plus, j’avais soupiré, rebroussant chemin pour aller me changer selon les désidératas de môsieur. J’aurai pu argumenter encore mais Regina m’avait demandé d’être sage et si j’étais sage... il y aurait peut-être moyen qu’elle me laisse partir avec mes potes en camping à l’autre bout de Storybrooke pour le reste de l’été. Enfin... ça c’était sans compter Dorian... Je l’ignorais encore mais il me ferait signer à mon arrivé un contrat qui m’enchaîner à son étude de merde jusqu’à la rentrée scolaire... l’école avait avisé qu’il était préférable de nous laisser un peu de vacances, mais rien n’y obligeait les employeurs... et il s’était pas fait prier.

En attendant, je remontais quatre à quatre les marches en direction de ma chambre pour me changer, non sans avoir re verrouillé la porte d’entrée derrière moi, laissant le Freak Man dehors. Je devais l’avouer, pour un type de son âge, il était plutôt bien conservé et plutôt pas mal, il aurait pu m’être sympathique mais c’était sans compter ses coups de Trafalgar et son ton abominable... je récupérai une tenue plus approprié aux yeux de Dorian mais aussi de ma mère... Elle pourrait pas le nier, c’était elle qui m’avait acheté cette horreur. Récupérant des escarpins vernis noir que j’avais que lors des occasions particulières de la mairie où Regina me traînait de force, j’avais renversé de contenu de mon sac à dos dans un sac à main des grandes occasions et j’étais redescendu en pestant. Claquant la porte derrière-moi, je retirais les clés de la serrure rageusement avant de m’avancer vers lui et de tendre les bras comme pour me présenter devant lui, tout en demandant maussadement :

— Mieux ?

Il m’étudia un instant et je roulais les yeux d’impatience. L’idée qu’il puisse me reluquer comme ça me rendait dingue. Tout ça pour une histoire de fumette dans un dépotoir, sérieux...

— Oui... Mieux.

Il avait un rictus satisfait avant de se détourner pour me montrer sa voiture :

— Ne tardons pas davantage...

J’étais monté dans le bolide, manquant de m’étouffer avec la puissance du nuage de parfum qui régnait dans l’habitacle. A croire qu’il se versait une bouteille d’eau de Cologne tous les matins dessus. Croisant les bras, j’avais tourné la tête en direction de la vitre passager pour éviter de lui faire la conversation. Réalisant pourtant que je n’avais encore rien signé, je lui précisais alors :

— Au fait, j’espère que mon contrat est prêt ? Je me lance dans rien tant que j’ai pas signé, hein ? C’est pas à vous que je vais apprendre que c’est pas très légal, je suppose...
— Voyez-vous ça... Regina a su inculquer à sa progéniture l'importance des contrats? Que votre inquiétude se taise.. tout est en ordre. C'est mal me connaître que de penser que j'ai pu oublier ne serait-ce que ce genre de "minime détail”.

Il l’avait dit avec tellement d’arrogance que j’avais eu envie de le baffer alors qu’il tournait au coin d’une rue. Croisant encore plus mes bras sur ma poitrine, il reprenait :

— Mais puisque vous semblez siii rigoureuse, je gage que vous allez littéralement adoooorer scruter la paperasse administrative pour vérifier l'absence de tout vice procéduraaal! Un splendide moyen d'occuper vos vacances en rassasiant votre rigorisme juridique.

La phrase avait agi comme un électrochoc. Sursautant, mes bras s’étaient légèrement desserrés tandis que je tournais brusquement la tête vers lui :

— Mes vacances ?! Comment ça “vos vacances” ? Ce stage n’est censé durer que jusque fin juillet.

C’était pas tout à fait vrai, je le savais pertinemment... mais lui le savait-il ? Je priais que non, bien qu’il semblât que si...

— Il n’a jamais été stipulé qu’il s’agissait obligatoirement d’un stage d’un mois. Comment voudriez-vous que je note vos capacités et vos services en un mois? L’école laisse juge l’employeur de la durée nécessaire à l’évaluation de l’élève au sein de son stage. Cela sera jusqu’à la rentrée, Miss.

Il avait tourné la tête vers moi pour me le dire et j’aurai pu souhaiter à l’instant là qu’une seconde d’inattention nous envoie tous les deux dans un mur. Plutôt ça que de travailler pour lui pendant 3 mois... gratuitement. Je savais déjà que j’allais rien touché, ce qui m’avait déjà posé problème pour prévoir ma participation pour le camping mais si en plus je n’avais plus de vacances du tout... Je voyais dans ses yeux cet espèce d’éclair de triomphe. Il s’amusait beaucoup. Il se vengeait. Mais la vengeance était un tant soit peu surdimensionnée comparé à ce que nous avions fait. Sans compter que les autres n’avaient pas eu temps que ça, une semaine de travaux d’intérêt général, tout au plus. Alors POURQUOI il se vengeait à ce point sur moi ? Il y avait un truc qui m’échappait. Est-ce que Regina y était pour quelque chose ? Elle n’était pas la dernière quand il s’agissait de punition mais elle avait déjà fait de ma vie un enfer. Elle refusait que je voie mes amis, pourquoi s’embêter à me le préciser si de toute façon elle savait qu’il allait me bloquer toutes les vacances ? C’était beaucoup trop injuste. Je sentais une colère sourde monter en moi, prête à exploser, j’aurai même pu en pleurer.

— Vous...

Il fallait que je me taise. J’étais clairement sur un registre qui n’était pas des plus châtié “entre vous êtes un enfoiré” et “allez-vous faire enculer” en passant par “vous être un immonde connard”. Il serait encore capable de me faire louper la rentrée pour me punir encore plus avec ses conneries. Je l’avais observé un instant de plus avant de croiser de nouveau les bras sur ma poitrine, observant le paysage par la vitre passager. On arrivait en ville. Ça allait être le pire été de toute ma vie, celui dont je pensais me souvenir longtemps... comme j’avais tort.

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Erwin Dorian
« If the crown should fit, then how can I refuse? »

Erwin Dorian

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Une dette à payer ϟ Erwin Vba9
- Pour ma victoire? C'est adorable, trésor... Même si en toute modestie, je dois admettre, qu'au-delà de cela, je suis un prestigieux modèle pour mes concitoyens"
(Alexis pense-t-elle qu'il est parti trop loin? Sûrement! On approuve)

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Une dette à payer ϟ Erwin _



________________________________________ 2022-10-24, 22:34 « If the crown should fit, then how can I refuse? »




Une dette à payer



Alors qu’ils cheminaient jusqu’à la demeure de la mairesse, Erwin Dorian songea une nouvelle fois, que la fille adoptive de Regina était une enquiquineuse de première catégorie. Dès sa plus tendre enfance celle-ci semblait avoir dédié leurs - fort heureusement- rares rencontres à fouiner dans l’ombre de son aura. Ses agaçantes occupations de gosse fureteuses ne semblaient pas vouloir s’apaiser avec le Temps. Il fallait croire que grandir ne l’avait pas aidée à s’assagir ni à discipliner sa conduite pour le moins malpolie.
S’il trouvait l’ironie particulièrement divine lorsqu’il songeait au caractère on ne pouvait plus soigné de sa mère, la situation s’avérait bien moins amusante lorsqu’il s’agissait de ses affaires personnelles les moins...avouables.
En effet, sous couvert de l’étiquette d’un charmant notable public et d’un notaire dont les qualités professionnelles n’étaient plus à démontrer, qui l’avait propulsé dès très jeune au titre de coqueluche de la haute société, Erwin Dorian avait basculé très jeune vers une quantité non négligeable d’activités nocturnes bien moins reluisantes. A quoi cela lui servait-il lui qui possédait une fortune des plus conséquentes de par son mariage avec la riche et veuve opticienne de la ville ?
Il ne le savait pas trop. Hormis une volonté propre de s’enrichir et s’approprier davantage. L’individu portait l’argent aux nues ainsi que le pouvoir que la richesse offrait. Lorsqu’il voulait quelque chose, il l’obtenait. Et, cette soirée là, il possédait quantité de petits objets vraiment charmants et...volés. A quoi diable avait pensé Miss Child et sa bande d’amis dégingandés en s’arrogeant le droit de pénétrer dans SON chalet et son business ?
Elle avait failli l’intercepter en plein larcin. Non, elle l’avait intercepté en plein larcin, ou du moins déstockage… Il entrait dans la pièce lorsque la jeune femme avait manqué de le heurter. Il n’avait eu le temps que d’émettre un hoquet de stupeur et de fureur… En moins de temps qu’il ne fallait le dire, cette bande avait su faire d’un repaire de malfaiteurs leur QG de soirée, ruinant ainsi ses projets et sa couverture.
Fort heureusement, elle avait été seule à s’aventurer jusqu’à lui, par mégarde.
Fort heureusement, les substances illicites qui lui polluaient le cerveau cette soirée là avaient joué en sa faveur.
Mais le notaire ne pouvait être réellement certain que la jeune fille n’ait pas décelé quelque chose que ce qu’elle avait pu déclarer par la suite. Et pourtant, il devait admettre qu’il avait répondu à cette intrusion désastreuse de la manière la plus improbable pour un voleur pris sur le vif : il avait appelé la police. Après tout, il était Maître Erwin Dorian, son statut lui assurait la confiance des autres. En moins de quelques temps, les délinquants s’étaient fait embarquer, après qu’il ait pris le soin de disperser ses hommes de main et le butin. Les emmener au poste et porter plainte nettoyait tout soupçon de son côté. Il avait simplement précisé procéder à une visite d’un bien immobilier en vue de sa mise en vente. Tout le monde l’avait cru. Quel criminel aurait alerté la police ?
Restait le cas de la fille Child. Même embuée par la fumette, cette gamine l’avait reconnu. Ce qui n’était pas chose incroyable au regard de sa beauté unique et inoubliable mais… il n’arrivait pas à s’ôter une légère méfiance à l’égard de la progéniture de Regina…La faute aux trop nombreuses incartades de son enfance à son égard. On aurait pu croire que grandir l’eut fait changer mais puisqu’elle se fourrait toujours dans ses pieds, il fallait croire que le lierre savait toujours très bien, d’instinct, où il convenait de s’enrouler. Si des souvenirs étaient remontés à la surface depuis, la curiosité pouvait faire office de très bon carburant.
Il avait bénéficié néanmoins, une nouvelle fois, des avantages de son statut. En tant que conseiller municipal et ami, il disposait de quelques informations sur elle. Regina rencontrait des soucis face à l’adoptée, notamment liée à sa manière de se rebeller contre l’autorité. Surtout la sienne. Il ne doutait pas que Regina puisse donner des envies de révolte et il n’aurait pas été étonnant que la gamine étende son ressentiment à celui qu’elle considérait comme l’un des membres du cercle privé de cette dernière. Il savait à quel point anarchistes pouvaient être les adolescents en crise. Prêts à tout pour « dénoncer les abus des puissants » … Elle pouvait faire de même. Surtout si, dans sa mémoire en lambeaux, une information aussi capitale lui revenait. Mettre à mal une figure de la bonne société. Pire : la détruire. Non. Il ne pouvait pas laisser cela arriver.
Ce fut tout naturellement, il se proposa d’accueillir au sein de son son office la jeune fille en stage pour les quelques mois prochains. « Une juste réparation qui vous arrange, qui plus est » avait-il glissé à la mairesse, dans un sourire charmant.
Elle permettait à sa fille d’obtenir un stage, lui offrait par le travail la juste vengeance qu’elle supposait qu’il sollicitait et sûrement priait-elle intérieurement qu’une compagnie aussi assurée que la sienne puisse la remettre dans le « droit » chemin. Aussi droit pouvait-il être pour un individu comme lui.
Bien évidement, Miss Child, de l’opinion qu’il s’en faisait était loin d’être le ticket gagnant de la loterie, et l’accoutrement avec lequel elle se présenta bientôt à sa vue confirma ce soupçon - pitoyable- mais après l’avoir renvoyée dans ses placards se trouvait une tenue acceptable, il songea qu’avoir planifié cette occasion lui était du plus grand intérêt.
Outre l’aide professionnelle qu’elle saurait apporter, au regard de l’attitude avec laquelle la jeune femme se comporterait devant lui, il saurait bien assez vite si son supposé oubli le concernant étant réel. Oui… il disposait là d’une charmante manière de lui faire payer ET la violation de domicile ET le fourrage permanent de nez dans ses affaires à cette petite belette.
Ils avaient par partir ENFIN, après le changement de toilettes très prompt de la jeune femme. Un grand merci à Regina pour l’achat de ce costume… Pour peu, elle aurait été méconnaissable. Affublé d’un tailleur sobre mais rehaussé de couleurs, elle passait presque pour une jeune fille de la haute société… La progéniture rêvée de Regina. Presque. Son maintien désabusé trahissait ses convictions démissionnaires. Par bravade ou par manque total de distinction, ou un peu des deux. Il ne suffisait pas de porter de plaisantes tenues pour avoir du style, c’était davantage le fait d’un splendide étaaat d’esprit.
Et aussi revêche qu’elle pouvait être, elle ignorait cependant être tombée sur un os. Regina pouvait être dure, inflexible, perfectionniste. Lui s’avérait tout à fait autre chose… Il était cruel et imprévisible.
Elle n’avait pas tardé à s’en rendre compte, lorsqu’elle avait appris la nouvelle de ses « vacances »le tout annoncé dans un ton parfaitement minaudé. Il s’était follement amusé du choc qu’elle en avait tiré. Pauvre petite visage si défait et si furieux… Presque s’était-il attendu à ce que sa bouche se déverse en ignominies et calomnies à son encontre. Elle les avait retenu, à temps. Toutes les leçons de son enfance n’avaient pas été oubliées.
Laissant s’installer entre eux, un silence lourd, il gara la voiture, agita gaiement la main devant la plaisante bâtisse qui constituait son étude :

« Nous y sommes… Votre… nouveau lieu de villégiature. Splendide, n’est-ce pas »

Il sauta prestement du véhicule, non sans savourer particulièrement l’air engoncé de la jeune fille. Elle ruminait ? Tant mieux ? Pas autant que lui cette nuit cette fois-là. Lorsque son visage futé était apparu dans son champ de vision, il n’avait pu qu’être saisi de fureur. Il aurait été trèèèès délicat de régler une telle affaire auprès de Regina. Et la faire disparaître aurait causé...son lot de complications. D’une certaine façon, Erwin Dorian était heureux que la drogue ait causé tant d’effets louables, quand bien même il jugeait ses consommateurs avec un dédain assumé.
Et pourtant il n’écartait pas le risque. Trop précautionneux pour laisser gambader dans la nature un danger si ambulant. Il fallait qu’il sache. Et selon ce qu’il découvrirait…
La devançant, il ouvrit la porte d’entré élégamment, non s’en s’être saisi de son porte-documents et avoir rejeté « négligemment » son étole de soie violine sur son épaule. Un rapide tour du propriétaire s’imposait.

« Ici.. Le hall d’entrée et d’accueil. » désigna-t-il en ouvrant les bras joyeusement « Bonjour Siam, comment allez-vous ? »

Une dame d’une trentaine d’année s’était levée, les cheveux courts blonds méchés de noir, à sa vue :

« Bonjour Maître Dorian… Très bien, votre courrier et celui de Maître Daas est trié dans la bannette. »
« Je les prendrais, après. Siam je vous présente Miss Child, elle fait un stage de trois mois parmi nous... »

Il la laissa saluer la jeune fille puis continua sa route, indiquant par la même occasion qu’il convenait de le suivre. Une fois, Child sur ses talons, il précisa :

- « Siam est notre secrétaire. Elle a pour tâche principale la prise de rendez-vous, l’accueil et le renseignement simple de la clientèle. Si par hasard, elle devait s’absenter et si vous vous avérez plus concluante aux tâches que je vous confierai, dans un premier temps, il se peut que je vous autorise à la remplacer. Bien sûr, ceci est hypothétique. C’est un poste stratégique. L’accueil est la première image que le visiteur se fait de l’établissement. La personne l’occupant doit être irréprochable. Néanmoins, elle vous formera bientôt sur la réception des appels téléphoniques et leur redirection à la personne adéquate. La liste des employés vous sera communiquée bien entendu... »

Il passa devant quelques bureaux, s’arrêta devant une porte en bois pour mieux l’ouvrir :

« Et pourquoi vous faire languir davantage... voici vos quartiers, votre « bureau ». » il sourit davantage, haussant les épaules dans le même trait de temps «  Il est, certes, exiguë j’en conviens, mais après tout, il ne vous faut pas spécialement d’espace, vous n’avez pas à vous étaler, tout ce que j’attends de vous, Miss, c’est du travail bien fait. C’est dans vos cordes n’est-ce pas ? »

Il lui jeta un regard par dessus son épaule, négligemment, tout en entrant dans l’ancienne réserve.
La photocopieuse imposante et grise prenait une grande partie de l’espace réduit. Un maigre passage permettait l’accès à un petit bureau de fortune était installé de biais, où trônait un ordinateur. Quelques dossiers se trouvaient déjà sur le reste de l’espace disponible, dans une petite pile soigneusement dressée. Au centre de la pièce, le contrat de stage trônait, n’attendant plus que sa « pauvre » destinataire. Il avança, se glissant derrière la chaise de bureau, pour l’inviter à le rejoindre plus aisément.

« Voici notre stagiaire ? » s’écria une voix joviale, tandis que la porte de la pièce s’ouvrait, à nouveau.
« Oh si ponctuel, très cher… » sourit Erwin avant de désigner le nouvel arrivé d’un air bien plus formel à l’intention de la jeune fille « Miss Child laissez-moi vous présenter officiellement mon associé : Maître Jérémie Daas. Il est spécialisé dans les bois et forêts. »
- "Enchanté!"

Jérémie avait sourit, découvrant sa canine dorée, tout en lui tendant la main. Erwin l’avait observé, quelque peu reculé, les bras croisés, une légère moue satisfaite sur le visage. Jérémie Daas était son ami depuis de longues années et de beaucoup l’un de ses meilleurs investissements. Sa richesse naturelle lui avait, énormément, servi. Lui si éclipsé par son talent ne lui avait pas tenu rigueur. Bien au contraire, il s’était allié à lui, jusqu’à devenir le jour comme la nuit un duo particulièrement redoutable. Les relations de la famille Daas avaient permis à Erwin de grimper quelques échelons, il avait apporté son savoir-faire et son intelligence à l’entreprise.
Pour beaucoup, à présent, Jérémie était des deux notaires, le plus abordable et paradoxalement le moins demandé. Non pas que beaucoup décriaient ses talents pourtant. Il était simplement moins magnétique, songeait son ami avec suffisance.
Le notaire jaugeait avec un intérêt accru, l’effet qu’avait eu sur la jeune fille l’arrivée de Jérémie. Une impression de sécurité et de simplicité se dégageait de lui, n’en déplaise aux vêtements de valeur qu’il portait pourtant. Il paraissait plus sobre, plus simple, plus abordable. Parfois, la simplicité possédait son propre attrait.
Côte à côte, ils se complétaient, l’un plus massif, assuré et droit, l’autre plus anguleux, raffiné, précieux.

« Heureux de compter une nouvelle recrue, fusse-t-elle temporaire. » s’enthousiasmait Jérémie en pressant la main de la jeune fille « On a toujours besoin d’aide, surtout en cette période de l’année. Et il est rare de rencontrer des personnes volontaires que le notariat ne rebute pas. »

Son sourire sympathique s’était élargi, ce qui avait incité Erwin à faire de même, par ironie. Non, elle n’avait pas du tout envie d’être là. Dommage pour elle… Voilà qui en coûtait de se mêler de ses affaires. Il regardait, analysait. Elle les avait observé, tour à tour, avant de décréter d’un ton froid bien que quand même poli à l’encontre de Jérémie :

« Je vous confirme, c’est plutôt rare. Et je fais pas exception. Je suis pas volontaire et encore moins bénévole volontaire. Mais bon ON en a décidé autrement alors…"
Il se borna à lui retourner un sourire ironique à l’entente
« Oui, Miss Child est ra-vie. Ou si elle ne l’est pas encore totalement, elle le sera bientôt » sa voix paraissait chaleureuse, dénuée de toute la sévérité et presque dédain qu’il lui avait témoigné sur le trajet, néanmoins, le pétillement qui avait éclairé son regard doré ne possédait aucune bienveillance.
Elle l’avait observé, les sourcils levés et l’air blasé de son culot avant de maugréer :

- "Ah ouais ? C'est une promesse ou un slogan ça ? Parce que si c'est une promesse je veux limite que ce soit dans mon contrat comme ça je pourrai porter plainte à la fin de ce truc débile et gagner ENFIN un peu d'argent..."

Il passa outre le langage quelque peu châtié qui ferait nécessairement l’objet d’une conversation plus tard, si cela se poursuivait. Qu’importait qu’elle se plaigne, qu’importait qu’elle râle. Elle n’avait pas le choix. Si bien qu’il répliquait déjà, d’un ton léger :

- « Ni l’un ni l’autre. Davantage un état d’esprit que je vous conseille d’adopter. Sinon, les journées risquent de vous paraître...désagréables… Vous ne voudriez pas gâcher vos souvenirs de vacances n’est-ce pas ? »

Elle haussa les épaules, les lèvres teintées d’un sourire mauvais et acide.

« De toute façons elles sont déjà gâchées, non ? Si mon état d'esprit vous convient pas, il est toujours temps de me refuser"

Son sourire s’était fait insolent et elle avait battu des cils effrontément à son nez. Ce n’était que de la provocation. De la vulgaire provocation qui n’avait que pour but de tenter de le faire sortir de ses gonds et de se donner l’illusion de maîtriser ne serait-ce qu’un morceau de la situation. Elle pensait peut-être naïvement que cela fonctionnerait. Qu’il la trouverait si impossible qu’il lui hurlerait de déguerpir. Qu’il craindrait de la supporter et renoncerait à sa décision.
Il n’en ferait rien. Il n’avait rien à craindre. Il ouvrait déjà la bouche pour répliquer, mais son associé lui coupa l’herbe sous le pied. Ce dernier, semblait redouter un quelconque alourdissement de l’atmosphère puisqu’il tempérait déjà :

« C’est...toujours compliqué au début, mais… rien d’impossible. » Son ton s’était fait incroyablement apaisant, presque eut-on dit qu’il parlait à un enfant, songea Erwin avec moquerie « Vous pourriez même y trouver un intérêt. Et puis, nous sommes là pour vous aider à trouver vos marques. Si vous avez besoin d’aide ou d’assistance... »

Elle l’avait écouté, presque surprise de son ton diplomate, ce qui sembla gargariser son associé, et pourtant tout ce qui en ressortit fut l’assurance avec laquelle elle les désigna Jérémie puis lui tour à tour du doigt :

« Bon flic, mauvais flic. » elle soupira un instant puis ajouta «  Booon je fais quoi ? »

Une moue narquoise était venue fleurir sur les lèvres du notaire, à l’encontre de son associé, imaginant sa déception… Qu’avait-il cru faire ? L’adoucir de jolies paroles ? N’avait-il pas compris qu’elle les défiait de ses maigres ressources, en leur riant au nez ? Qu’elle leur claquait son insolence en plein visage puisque c’était visiblement la seule arme dont elle disposait, un temps soit peu ? En espérant les décourager... Jérémie n’en pris mouche, fort heureusement, semblant s’amuser follement :

« Si on peut dire ça comme ça… Mais Erwin est charmant...
- "J'ai de multiples visages..." va-t-il couper sournoisement avant de reprendre « Très chère, ce n'est pas dans votre intérêt que je vous refuse, n'est-ce pas? Votre contrat est ici" il va désigner le bureau et il y a effectivement le document dessus, et tirer un stylo de sa poche et lui dire "Il ne manque que votre signature..."
« C’est marrant, moi j’en connais qu’un » avait-elle marmonné lorsqu’il avait parlé de ses visages.

Tant mieux. Cela restait malgré tout une information, comme une autre. Elle parlait visiblement de celui-ci. L’individu pour le moins...sec et critique qu’il présentait depuis son arrivée devant chez elle. Si elle avait su quoique ce soit de plus à son sujet, cela n’aurait-il pas été l’occasion parfaite d’une splendide pique ? Il lui avait offert sur un plateau cette possibilité et cette vérité. Elle ne s’en était pas servie.
Soupirant fortement encore une fois, d’un souffle à faire trembler la maison des trois petits cochons et qui n’avait rien d’élégant, elle lui pris sèchement le stylo des mains puis s’installa sur la chaise de son bureau. Se penchant sur le document, elle ne le signa pour autant pas instantanément, prenant néanmoins le temps de le parcourir des yeux. Au bout d’un petit silence, elle objecta, en relevant les yeux vers eux :

« Ben quoi ? Vous vous attendiez quand même pas à ce que je signe sans lire ?! »
"Je m'attendais surtout à ce que vous nous dispensiez de ce genre de commentaires superflus…"

La réplique avait fusée, chantante et Jérémie avait retenu un rire à côté de lui. Elle avait baissé la tête sur le document non sans maugréer, sarcastiquement :
"Pardon vot'Majesté..."

Elle signa néanmoins. Et il récupéra le document non sans en vérifier le tout, avant de le placer dans sa poche :

« Bienvenue dans l'entreprise, Miss Child... "
Le sourire dont il la gratifia était parfaitement satisfait. Il illuminait son visage d’une réjouissance victorieuse. "Votre travail n'attend déjà plus que vous"

Elle leva les bras, feignant la joie, articulant sarcastiquement un « SUPER » qui n’en n’avait que le mot.

« Vous êtes avec le meilleur des professeurs" commenta Jérémie d’un ton chaleureux.
« Tu veux dire des Maîtres » rectifia en plaisantant Erwin en le gratifiant d’un sourire entendu.

L’air blasé dont elle les gratifia l’amusa davantage avant qu’il ne désigne la pile de dossier qui figurait devant elle d’un ton plus professionnel et neutre à son égard :

« En trois mois, vous n’apprendrez pas un métier » asséna-t-il sans critique « mais vous pourrez développer assez de compétences pratiques utiles. Puisque vous semblez aimer la rigueur, voici vos premières tâches. Notez, je vous prie."

Son index pointa un bloc note qu’il avait fait disposer à côté de son clavier d’ordinateur.
Elle avait encore le stylo dans la main et s’exécuta, ouvrant le bloc-note à la première page blanche, dans l’attente de ses instructions. Au moins, n’était-elle pas complément de mauvaise disposition. Cela aurait pu être un risque. Mais il avait noté la manière dont elle avait aussi cédé, de mauvaise grâce, à sa demande de changement de tenue, plus tôt. En traînant les pieds, certes, mais en s’exécutant malgré tout.

« Pour chacun de ces cinq premiers dossiers, préparez les courriers aux parties pour leur réclamer les pièces réglementaires. Vous avez une liste jointe dans chaque pochette. Pour les cinq suivants, il s’agit de dossiers où vous vérifierez l’obtention de ces pièces, leur pertinence, leur conformité, leur validité. Enfin vous recopierez dans celui-ci la chaîne justifiant les achats successifs.»  il appuya son index contre le dossier « Plus simplement : racontez comment le vendeur est devenu propriétaire, puis son vendeur avant lui etc, jusqu’à trente ans en arrière. Est-ce compris ? »

Elle l’avait écouté en silence, jusqu’à ce qu’il s’arrête.

« Pourquoi ? » ses yeux bleus s’étaient relevé jusqu’aux siens et il n’y trouva aucune trace de défi, un silence s’écoula encore avant qu’elle ne précise « A quoi ça sert de recenser les achats successifs ?"
« Je vous laisse » glissa Jérémie en lui pressant l’épaule.
Il opina à l’adresse de son associé, reportant vite son attention sur la jeune-fille. Il s’approcha d’elle, s’accoudant au bureau élégamment, sans la quitter des yeux :
« On appelle cela « l’origine de propriété » » énonça-t-il sérieusement « Il est très important de vérifier que la personne qui vous vend son bien possède réellement ce bien. Et que la personne dont elle l'a acquis le possède réellement aussi et ainsi de suite. Car si l'origine est contestée, s'il y a une faille, cela met à mal tout ce qui a pu successivement se transmettre. Matérialisez-vous ceci comme un château de cartes. Si les fondations s'effondrent...tout le reste tombe. Et c'est ce que nous cherchons à éviter."

Il l’avait expliqué, doucement, sans hâte, essayant de juger au fur et à mesure de ses explications de si celles-ci étaient comprises et assimilées. Elle l’écoutait, puis notait, relevait parfois les yeux pour suivre son cheminement.
Il devait admettre qu’il ne s’était pas attendu à tirer si promptement une discussion sérieuse avec elle, au regard de la manière dont la discussion précédente s’était orientée. Mais c’était reposant.

« D’aaaaccooooord… et pourquoi on cherche à l’éviter dans ce cas précis ? On a quelqu'un d'autre qui veut acheter ?"

Sa question n’était pas stupide pour une néophyte et puisqu’elle semblait s’être dépourvue de son ton provocateur, il répondit, pédagogue:

 « Non. Nous le faisons toujours, c’est une sécurité pour l’acquéreur: nous vérifions que ce qu’il achète est sûr et que personne ne le contestera. C’est une manière également de vérifier si aucune erreur n’a été commise autrefois, aucun acte omis, aucune partie spoliée… Et si erreur il y a, il convient de la rectifier. Nous faisons ceci avant chaque vente et nous l’insérerons dans l’acte de vente . Cet homme monsieur Sundayford achète ce bien dans une semaine  »
Elle hocha la tête, d’un air de compréhension tout en notant, semblant absorber l’information. Elle ne feignait pas. Elle retenait.

« C’est noté. Pour le reste, c’est bateau des docs à demander, la liste est dedans, je vérifie et je liste ce qui manque c’est pas sorcier.”

Il lui fit grâce d’une remarque mesquine, puisqu’elle avait fait l’effort d’écouter sagement ses instructions. C’était bateau certes. Mais cela nécessitait une grande rigueur. Non pas un travail à la hâte. Un rythme empressé provoquait rapidement l’oubli d’une pièce et si oubli il y avait...une graine de poussière suffisait à enrayer la machine.. Mais il valait mieux qu’elle ne le comprenne par elle-même. La leçon n’en serait que plus efficace.
Par ailleurs, le regard de la jeune fille s’était néanmoins perdu un bref instant jusqu’à la porte derrière laquelle Jérémie venait de disparaître avant qu’elle n’ajoute

"Je bosse que pour vous ou je vais aussi avoir des dossiers à lui"

Il eut un silence, prenant le temps de jauger l’interrogation de la jeune femme concernant son associé. Elle semblait pas mal intéressée par lui. Jusqu’à quel point ? Il l’ignorait… Peut-être développait-elle une sorte de béguin de son âge à son égard… Une moue narquoise s’était dessinée sur ses lèvres. Si elle savait… Il n’éluda pourtant pas sa question.

« Il se peut que vous puissiez l’assister dans certaines tâches à l’avenir. Mais c’est à moi que vous rendrez des comptes. »

Son attention était revenue vers lui et elle l’avait contemplé un bref instant en silence :

« Ouais… il m’a l’air un peu plus sympathique sans vouloir vous vexer. Super alors on va bien s’amuser” un sourire ironique était venu pondre sur ses lèvres avant qu’elle ne regarde ce qui se trouvait autour d’elle “autre chose où je peux commencer ?”
« Vous vous apercevrez assez vite...que c’est déjà bien assez pour un début ! »
Se redressa, il se dirigea dans une démarche coulante jusqu’à la porte. Avant de disparaître, il gratifia la jeune fille d’un sourire entendu :

« Oh j’allais oublier ! En tant que stagiaire, vous êtes sous ma direction. Vous vous adresserez donc à moi en employant « Maître ». C’est l’usage ».

Il avait refermé la porte avant de lui laisser le temps de répliquer quoique ce soit, dans un hoquet narquois. Quand bien même, elle s’était « adoucie », si le terme pouvait être exact, à la fin de leur conversation, se révélant plus professionnelle. Ce qui dévoilait l’ébauche d’une version d’elle moins belliqueuse et davantage propice à l’efficacité. C’était appréciable. Non pas que cela l’intriguait outre mesure, mais il escomptait bien que ces trois mois de stage ne se transforment pas en véritable pugilat. De toute manière, il possédait les clefs pour la faire plier, mais si la jeune fille pouvait se discipliner de sa propre initiative, ce n’était pas pour lui déplaire non plus. Cela lui éviterait quelques migraines…
Non sans reprendre les quelques courriers transmis par sa secrétaire, il rejoignit le bureau de son associé, sans prendre la peine de s’annoncer. De toute manière, il était le seul qui allait et venait à sa guise, dans ces lieux et ce n’était pas comme si Jérémie ne l’attendait pas. Alerté de son arrivée, ce dernier releva la tête de son ordinateur, enthousiasmé par sa vue :

« Alors tu as cloué le bec à notre nouvelle stagiaire ? » plaisanta-t-il en se redressant « Elle me semble qu’elle ne te porte pas dans son coeur... »
« Son opinion m’importe peu… Je veux simplement savoir ce qu’elle a vu et ce qu’elle peut détenir sur moi. »

Il s’était frayé un chemin jusqu’au bureau de son associé, repoussant quelques dossiers pour s’y asseoir presque, observant ce dernier avec acuité. Il savait pertinemment ce qu’ils risquaient à laisser dans la nature un témoin direct de leurs agissements. L’amener ici, pouvait même, pour un œil extérieur, paraître pire encore. Lui, songeait que ce n’était guère le cas. Elle se trouvait certes en territoire ennemi, mais n’y connaissait aucun code. A l’inverse, rien ici n’échappait à son contrôle. Il la surveillerait. Et saurait aisément si elle cachait quelque chose.

« Si tu veux mon opinion… Même si elle savait quelque chose, que voudrais-tu qu’elle en fasse ? Ce n’est qu’une petite ado, Erwin. Elle est à l’image des jeunes de son âges, écervelée et rebelle… »
« Elle n’est peut-être pas si écervelée que ça » rectifia-t-il dans une moue.

Il s’était caressé le menton songeusement, repensant à l’attitude de la jeune fille. Ses questions sur les dossiers. Sa volonté de lire ce qu’il lui faisait signer. Sa capacité à se changer promptement. Même si la tenue n’était pas de son fait et portait clairement la marque stylisée et soignée de sa mère. Malgré tout… aussi défavorable que son opinion était d’elle et que son caractère revêche parachevait de convaincre et d’agacer en permanence, il restait aux aguets. Non par crainte, non...par curiosité. On disait que les prédateurs aimaient jouer et observer leurs proies, sûrement était-ce cela.

« Hummm... » émit Midas d’un ton peu convaincu en plissant les lèvres «  en tout cas, elle est BIEEEEN rebelle. »
« Elle est surtout impolie. » renifla-t-il dédaigneusement, en lâchant le courrier pour mieux pianoter sur le bureau de bois « Une petite péronnelle ! Qu’importe, rebelle ou pas, je vais la discipliner tant est si bien qu’elle ne bronchera bientôt plus! Tu verras… »

Un rire presque involontaire était sorti de la gorge de son associé. Il ne riait pas de lui, pourtant, il le sentait… De toute manière, il ne le faisait jamais… Si bien qu’il interrogea du regard, agacé de ce son.
Sentant son regard sur lui, Jérémie se reprit, se raclant la gorge.
« Rien… rien. Une idée. Des bêtises. » s’excusa-t-il d’une moue contrite « D’ailleurs… Et moi ? Comment étais-je ? » interrogea-t-il le regard soudainement pétillant et attentif.

Erwin lui trouva l’air d’un animal attendant son approbation. D’une certaine manière c’était chose courante avec lui. Jérémie Daas était en quête de reconnaissance. Pour un jeune homme né d’une famille si aisée et qui avait toujours eu l’attention innée de ses parents, c’était chose curieuse. Et pourtant, cela avait toujours été ainsi depuis leur première rencontre. Comme si, son futur associé n’avait jamais eu de réel regard critique porté sur lui. Il était habitué à donner satisfaction, il avait grandi fier, arrogant, riche. Erwin était né pauvre.
Et pourtant, un seul regard porté par l’un à l’encontre de l’autre avait suffit à renverser les rôles.

« Très poli et courtois. Un preux chevalier... Elle te regrette déjà » ricana-t-il avec méchanceté « et ce n’est même pas une exagération de ma part, elle m’a dit mot pour moit que tu étais...plus sympathique. »
« Intéressaaaant. » commenta son associé en lissant sa barbe d’un air facétieux « Ma foi, elle aussi est...plutôt sympathique, non ? »
Il lui décocha une œillade grivoise qui arracha un soupir au notaire.
« Penses-tu ! Elle a seize ans » répliqua-t-il d’un ton réprobateur.

Il ne savait pourtant pas s'il était surprenant de s'offusquer de cette réplique. Jérémie était un homme à femmes, assurément. Il plaisait et collectionnait les conquêtes d’un soir ou d’un petit moment. Quel était le record de longévité de ses relations ? Deux mois, sûrement tout au plus… Mais tout de même...

« Je plaisaante, rassure-toi » rétorqua Jérémie dans un haussement d’épaule, sans se départir de son sourire « Mais je m’attendais à un affreux spécimen fouineur, débraillé et vulgaire et vois ce que nous récoltons : une fille qui présente en réalité plutôt bien, non? Hormis un fichu caractère… Mais qui t’est plus destiné qu’à moi, si tu veux mon avis ».

Ce fut son tour de hausser les épaules

« J’y compte bien. C’est tout l’intérêt, rappelle-toi, très cher... » un sourire mesquin vint pondre sur son visage rusé, l’illuminant « Comme elle l’a si bien dit… » il pointa un ongle vers son associé « Bon flic. Mauvais flic. » Il pouffa en se désignant puis reprit « Si elle ne se méfie pas de toi, tu seras le maître pour obtenir de cette péronnelle toutes les informations et tous soupçons à mon égard. Sous mesure de gagner sa confiance. Comme tu le souhaites… mais avec prudence. Je ne tiens pas à ce que mon office soit mêlée à un déplorable déboire judiciaire… »
Il avait ajouté cette précision d’une moue désapprobatrice. Ce n’était qu’une posture. Il faisait suffisamment confiance à son associé pour savoir qu’il ne mettrait pas en péril quoique ce soit qui puisse rejaillir sur sa notoriété.

Puis…un Temps s’était écoulé. Deux bonnes semaines sans heurts où la vie et l’effervescence de l’étude s’étaient emballées. Presque aurait-il pu en oublier la présence de Miss Child. Enfin, disons qu’elle avait su se faire discrète et assez efficace. Il avait signé les courriers préparés, lui rendant parfois sa copie lorsqu’une erreur s’y trouvait. Il lui entourait, lui rendait la feuille, tel un enseignant corrigeant une élève. Sa première origine de propriété en avait fait largement les frais et s’y était donné de bon coeur de la corriger à ce sujet. Depuis, elle s’était appliquée.
Mais généralement, il n’avait pas eu trop l’occasion de la voir. Il l’avait confié aux soins de sa secrétaire qui l’avait appris à gérer quelques discussions téléphoniques en préparation de ses prochaines vacances. Elle passait la plupart de ses journées à gérer les appels et les courriers que lui ou Jérémie lui confiaient. La première étape d’une formation… Il devait admettre que du peu où ils se croisaient, elle affichait un profil bas pour le moins satisfaisant. D’ailleurs, songea-t-il subitement, il fallait qu’il fasse un point avec elle pour corriger la nouvelle origine de propriété qu’il lui avait confié… Et peut-être faire le point des dossiers qu’il avait confié à ses « bons soins ».
Il consulta sa montre, discrètement, souriant faussement à sa cliente. Oui, si ce rendez-vous parvenait à s’écourter, cela lui dégagerait du Temps pour effectuer un petit debriefing avec la jeune fille. D’ailleurs, depuis deux semaines, rien de particulièrement notable ne s’était produit. Elle restait rebelle, comme disait Jérémie, même si elle l’affichait moins, mais rien de plus ne s’était vu dans son attitude. Aucun tremblement. Aucune bravade particulière. Rien. Il finissait par se convaincre que la jeune femme ne savait rien… Au moins, n’était-elle pas incompétente, sinon il aurait pu regretter de s’être attaché ses services inutilement…

« Je ne saisis pas trop… » soupira sa cliente, en entortillant ses doigts, le tirant de ses rêvasseries « Vous pensez que je devrais vraiment investir...dans... »
« Nous avons déjà eu l’occasion d’en parler maintes fois, Madame Longheart, » répliqua-t-il d’une voix placide mais ferme « Vous savez ce que j'en pense. Ce placement portera ses fruits et vous assurera bien plus de sécurité que cette assurance-vie… Après vous êtes seule juge de la question… si vous estimez qu’en réalité, en dépit de mes conseils, il ne vous apparaît pas sécurisé... »

Il traîna sur le dernier mot, effectuant un geste long et vain de sa main… Juste le temps qu’elle intervienne pour le détromper :

« Non, non, non, loin de moi l’idée de vous contredire, Maître. C’est juste que...ça reste une sacré somme ! »
« Je le conçois. Une sacré somme. » répéta-t-il en martelant les mots « Un risque à prendre. Mais limité. » conclua-t-il dans un sourire encourageant, tout en désignant le document qui se trouvait devant elle « La question est...le prenons-nous, Madame Longheart ? »

Elle fixait le document. Hésitante. Elle céderait. Un jour ou l’autre. Il espérait clairement que cela soit aujourd'hui. Son patrimoine possédait un attrait colossal à ses yeux et ses activités. Et il y avait mis énormément d’efforts.

« Je… Allez ! Allons-y ! Après tout, on a qu’une vie, Maître »

Elle avait rit en signant et il avait fait de même. Pour une raison totalement différente.
Il avait récupéré le document et s’était levé, précisant :

« Je reviens tout de suite, je vais suivre la procédure et le déposer au coffre. Sauf si vous voulez le déchirer »

Sur cette boutade, il se leva, quittant la salle de rendez-vous, rejoignit la salle du coffre. Après y avoir placé le document, il pris la direction de son bureau. Une bouteille de champagne s’y trouvait et il serait de bon ton d’offrir cette bouteille à cette chère Madame Longheart. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle il avait prétexté devoir, absolument, se rendre au coffre durant le rendez-vous. Après tout, on ne récupérait pas un si gros investisseur tous les jours. Il ouvrit la porte, ne s’attendant à rien.
Et pourtant… Elle était là, de dos. Penchée sur un registre. Perdue dans sa contemplation. Il n’y avait aucune raison à sa présence ici. Si ce n’était… Ses yeux se rétractèrent, furieux. Bien évidement qu’elle fouinait.
A la manière dont elle tournait les pages fébriles, à la contraction de ses épaules, il était même notable que la jeune fille se trouvait dans une tension permanente. Et pourtant… trop perdue dans sa recherche, elle n’avait pas entendu la porte s’ouvrir… Pauvre d’elle-même…
Son parfum risquant de l’alerter ; il profita des secondes de surprise pour se glisser jusqu’à elle silencieusement, mué par l’instinct de colère.

« Peut-être pourrai-je vous être directement utile, Miiiiiss ? » susurra-t-il « en surgissant à sa droite.

Elle avait plus que tressailli, retenu même un cri en se retournant d’un bond, vers lui. Son parfum et son aura l’avaient assailli par surprise et elle affichait à présent l’agitation d’une souris prise au piège. Son visage avait blémi perdant toute couleur et toute verve… Il aurait presque pu en rire.
Sans lâcher des yeux son regard captif, sa main vint refermer adroitement, d’un coup sec le registre qu’elle consultait, la faisant sursauter encore.

« Vous n’avez pas accès à ces données, pour une raison bien simple : elles ne concernent pas votre travail ici. » persifla-t-il rudement, les yeux assombris « Aussi… je vous donne une seconde pour sortir d’ici. Dé.guer.pissez. Nous aurons l’occasion de reparler de ceci, trèèèès prochainement, Miss Child... »

Elle était sortie. Sans demander son reste. Statique un instant, puis aussi vive qu’une belette la seconde suivante. Il avait suivi son départ, les yeux incandescents, un sourire crispé sur les lèvres. Il espérait même que sa course éperdue aurait le bon ton de s’arrêter à son propre bureau… Et non jusqu’à chez elle. Mais elle avait du tempérament, après tout. Elle avait eu jusqu’à l’audace de venir fouiller ses propres papiers…
Voilà qui rebattait les cartes…
Non s’en avoir pris la peine de se recoiffer, il était ressorti de son bureau, le champagne sous le bras, prenant bien soin de passer devant le bureau de la jeune fille. Madame Longheart s’était montrée ravie de ce présent. Oui. Particulièrement ravie, tout comme de sa décision. Il avait su se montrer charmant et professionnel jusqu’au moment de la raccompagner jusqu’à la sortie, quand bien même son esprit se trouvait parfois gâté par la silhouette fureteuse de sa stagiaire. Il tirerait ceci au clair très vite. La fin de journée arriverait très vite… Et ce fut le cas.
Remontant jusqu’au bureau de la jeune fille, il referma la porte derrière lui lorsqu’il y entra.

« Parlons à présent, de votre attitude, ma chère… » énonça-t-il dans un murmure froid en s’adossant à la porte de sortie.

Une manière de lui rappeler qu’il n’y avait pas d’issue; aucune autre. A part celle qu’il barrait. Aucune autre à part lui. Et pourtant, le tout sans la moindre menace. Il était dans son droit, après tout. Elle était celle en faute. Et elle ne pouvait pas manquer de le savoir. Sa colère était partie, ne restait que le presque plaisir de la savoir à sa merci. Il la tenait. Prise en faute. Prise sur le vif. Ce qui en découlerait ne serait pas inutile.
Il poursuivit d’un ton lent, presque sinistre :

« J’ai été témoin aujourd’hui d’une grave faute professionnelle de votre part, ma chère. Vous fouilliez. Dans mes affaires. Sans la moindre autorisation… Et j’ai « l’étrange » pressentiment que vous n’aviez, en aucun cas, besoin de ces documents pour poursuivre votre travail. »
Un sourire carnassier découvrit ses dents nacrées, tandis qu’il s’avançait jusqu’à son bureau.

- « Parce que si tel était le cas...je les aurais mis à votre portée... »

S’arrêta. Il se trouvait à présent contre le bois du mobilier, la dominant de haut d’une moue hautaine :

« Je pensais qu’en dépit de toute votre déplorable immaturité, vous étiez… au moins capable de responsabilité et d’un peu de jugeote… Je suis déçu, j’avais tort » commenta-t-il égrainant ses propos d’un rire acerbe qui se répercuta sur les parois, avant de pencher la tête, l’observant, les pupilles presque fendues « Mais ma chère… qu’espériez-vous faire ? Que comptiez-vous trouver ? Que comptiez vous prendre ?Huum ? Allez-y, je vous écoute, Miss. A vrai dire, j’espère vous avez une trèèèès bonne explication... »
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Alexis E. Child
« Allez dans la Lumière.
C'est au détour d'une Ombre
que nous attends le Mal. »


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Tu es comme tu es... mais malgré les erreurs, tu me rends parfois la vie de maman célibataire plus douce...


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________________________________________ 2023-01-04, 21:17 « Allez dans la Lumière. C'est au détour d'une Ombre que nous attends le Mal. »




Une dette à payer


J’étais dans la merde... je pouvais pas le nier. Il m’avait pris sur le fait dans un endroit où je n’étais pas spécialement autorisée à aller seule, surtout sans raison, avec dans les mains un truc que j’étais pas spécialement autorisée à avoir. Conclusion ? J’étais dans la merde. Est-ce que j’étais pour autant à la rue ? C’était sans compter ma capacité à retomber sur mes pattes …

Une semaine plus tôt...

Toc toc.

J’avais patiemment attendu que “Maître Daas” m’invite à entrer dans son bureau. Je savais pertinemment qu’il n’avait pas de rendez-vous, j’avais vérifié son agenda avant de me lancer et je prenais les quelques secondes d’attente qu’il m’offrait pour me mettre le plus possible dans mon jeu. Il fallait la jouer fine. Pourtant j’étais presque sûre de l’avoir déjà plus ou moins dans ma poche. J’avais vu ses sourires, les regards qu’il me lançait parfois à la dérobée : il voulait qu’on l’aime. Qu’on le trouve cool et charismatique, devenir sans doute ce qu’il ne pensait pas être. Pour y arriver, il se donnait un faux air détendu et cherchait toujours à paraître sympathique. Ça et le fait qu’il était un homme plutôt intéressé par la gente féminine, même jeune, j’avais de quoi moissonner, plus qu’avec le croque-mort en tout cas.

— Je vous dérange pas ?

J’avais juste passé la tête dans le bureau avec un petit sourire lorsqu’il m’avait proposé d’entrer. Il avait levé les yeux, plutôt surpris de me voir, vu que nous n’avions pour le moment pas de dossier commun mais son regard devint tout de suite sympathique tandis qu’il me faisait un signe de la main :

— Du tout, je t’en prie, entre.

Si nous gardions le vouvoiement commun avec son associé pour bien mettre une certaine distance entre nous, Jeremie s’était rapidement détaché de cette partie, surtout quand nous étions seuls. Il m’avait même - Grand Seigneur - autorisé à l’appeler par son prénom lorsqu’il n’y avait personne dans les parages. Avec un sourire, j’étais entrée dans la pièce tout en refermant la porte derrière moi.

— Qu’est-ce qui t’amène dis-moi ?

— Je suis vraiment trop nulle.

— Qu’est-ce qui te fait te dire ça ?

— Dorian ! A chaque fois que je fais un truc c’est jamais assez, comme s’il essayait même pas de reconnaître que je faisais un effort !

C’était en partie vraie et... en partie faux. Je devais bien l’avouer, depuis que j’étais arrivé, l’autre connard me faisait la vie dure. A chaque fois que c’était possible, il trouvait quelque chose à redire sur mon boulot et clairement par moment, c’était de la pure mauvaise fois, le pur plaisir de me faire payer encore et encore. Je ne pouvais pas lui en vouloir, c’était de bonne guerre... surtout que ça servait clairement mes intérêts. D’autres moments pourtant, il se montrait calme et pédagogue et je sentais qu’il ne s’était pas attendu à ce que je m’applique à la tâche ou même que je sois capable de réaliser une tâche tout court. Alors pendant ces deux dernières semaines, j’avais avalé ses couleuvres sans broncher, en espérant qu’elles me servent maintenant, grâce à mon jeu d’actrice que je n’espérai pas trop mauvais ou que les propres intérêts de Daas couvriraient allégrement. Il voulait faire le bon flic, ça c’était une certitude, mais on sentait que plus qu’associés, les deux étaient amis et Jeremie était plutôt du genre fidèle, à défendre corps et âme son vieux pote, ce que je voulais précisément en cet instant, en ayant forcé le trait.

— Tu exagère, Alexis. C’est vrai que Maître Dorian est quelqu’un d’exigeant, mais c’est pour ton bien. Le tien et celui de cette étude. Tu sais que la moindre de tes erreurs peut avoir des répercussions ? Et nous n’avons pas établi notre réputation de meilleure étude de la ville en faisant des erreurs. A côté de ça, il cherche justement à te faire progresser... et je trouve qu’au contraire il lui arrive de relever quand tu fais des choses bien...

J’avais levé vers lui un regard sceptique, teinté de tristesse. Jérémie avait eu un petit rire attendrit.

— Fais pas cette tête. Je suis sûre que quand tu auras repris tes esprits, tu le verras toi aussi et... si tu te montrais un peu plus gentille à son égard...

— Euh... lui aussi il est pas tendre, hein ?! Pourquoi ça serait que à moi de faire des efforts ?! Il m’a niqué toutes mes vacances d’été et je suis même pas payée, je trouve que déjà bosser sans rien dire c’est une énoooorme preuve de gentillesse de ma part.

Ma voix c’était fait un peu plus dure, inflexible, parce que je pensais ce que je disais. Et rajouter parfois un peu de réalisme à un bon mensonge ne pouvait que le rendre meilleur. Et puis je dev ais bien avouer que ma réaction avait été plus instinctive que réfléchi. L’autre me crachait dessus et fallait encore que je dise merci ?! Si lui était une carpette, c’était pas spécialement mon cas.

— Et lui a préféré t’enseigner un métier que te condamner en te livrant à la police...

Je savais qu’il l’avait pas fait par bonté d’âme, que ça cachait quelque chose, je l’avais vu à l’instant où le flic lui avait posé la question, qu’il avait posé son regard sur moi, un éclat étrange passant dans ses yeux tandis qu’il était pensif, mais je pouvais pas contre argumenter, sinon je perdais Jérémie. Je m’étais alors contenté de relever les yeux vers lui en silence, tandis qu’il m’observait, victorieux, persuadé que son argument avait fait mouche. Soupirant, j’étais venue m’affaler dans l’un des fauteuils devant son bureau en lui demandant :

— D’accord... et du coup je fais quoi ?...

— Continue à bien faire ton travail, à essayer de limiter les erreurs et si tu veux vraiment marquer des points... soit pro-active...

— Pro-active ?

— Oui, essaye de faire plus que ce qu’il te demande à l’instant présent. Anticipe les demandes ! Ca va montrer ton dynamisme et que tu comprends ce que tu fais. Erwin aime les gens intelligents, qui captent vite. Je suis sûre qu’il sait déjà que tu l’es mais... si tu lui prouve par A+B, il pourrait peut-être... s’adoucir...

— Ouais... ouais je vois... mais... Comment je fais ça ? Tu vois là, je travaille sur le dossier de Mrs Pardle... Avec son mari, ils prévoient de revoir leur patrimoine, je sais qu’il y a des choses que je dois revérifier, comme par exemple les titres locatifs qu’ils ont. Mais je sais pas comment faire pour avancer sans lui, tu vois ? Je voudrai pouvoir lui prouver que j’ai rien oublier, que tout est parfaitement complet, qu’il a plus qu’à relire et préparer le rendez-vous mais avec les accès que j’ai...

— Il existe un registre de gestion des baux immobiliers à Storybrooke. C’est quelque chose d’inédit que nous n’avons qu’ici et je n’arrive pas à me rappeler depuis combien de temps il existe mais je dois dire que c’est plutôt pratique pour savoir à qui appartient quoi. Généralement Erwin le garde dans son bureau. Je ne pense pas qu’il t’en voudra d’y jeter un œil...

Bingo.



Aujourd’hui.

Je n’avais eu que très peu de temps pour reprendre mes esprits. Je devais bien me l’avouer, il m’avait fait peur. Déjà parce que je ne l’avais pas entendu arriver ni même senti malgré le nuage de parfum qui l’accompagnait tout le temps et que j’avais bien vu à sa première entrée en matière qu’il était furieux. Il avait sifflé et craché comme un serpent et je n’avais rien eu le temps de dire que déjà il me jetait hors de son bureau. Ça n’aurait pas été très malin de répliquer à cet instant, aussi avais-je obéit, sans demander mon reste, me refugiant dans mon bureau. J’avais attendu qu’il repasse devant celui-ci, ce qu’il fit avec une attention toute particulière, avant de me diriger aux toilettes pour reprendre mon souffle. Je tremblais, il fallait que je me calme. Pas parce que je venais d’être prise ou que j’avais peur de perdre mon stage, ça j’en avais même plutôt rien à foutre mais parce que j’avais vu en cet instant confirmait mes soupçons : il était dangereux. La façon dont il m’avait pris au piège, il en avait été fière, il avait susurré son interjection, comme s’il l’avait savouré et la violence qui avait suivi chacun de ses gestes était calculé. La façon dont il avait observé mon visage et ma surprise n’avait rien d’anodin... et cet éclat dans ses yeux... toujours cet éclat...

J’avais pris le temps de souffler, de me calmer, dans ma cabine, reprenant contenance, attendant que mes tremblements cessent. Il allait falloir l’affronter, je le savais. Il me laisserait pas m’en tirer comme ça mais le fait qu’il veuille en parler plutôt que de simplement me virer en disait peut-être long : peut-être voulait-il savoir ce que j’avais découvert... La vérité ? Pas grand-chose. Je n’avais pas eu le temps d’atteindre mon but, trouver le bail qui régissait ce putain de chalet ou quelque chose y étant lié. J’étais sûre que son histoire était bidon, aucun notaire ne visitait un bien à vendre ou à louer à près de minuit. Il y avait autre chose... mais je ne savais pas quoi. J’étais prête à l’éventualité de me faire prendre, il fallait maintenant que j’en assume les conséquences et que je la joue fine. Alors quand j’avais senti que mes jambes me portaient suffisamment et que mes mains avaient fini de trembler, j’étais retourné à ma place, laissant la porte de mon bureau ouverte, comme on me le demandait la plupart du temps, attendant qu’il revienne. Cela fut d’ailleurs si rapide que je me demandais s’il n’avait pas grimpé les marches quatre à quatre sur le retour de son rendez-vous. Une chose était sûre, il n’avait pas attendu une seconde de plus : il avait fondu sur mon bureau comme un rapace, renfermant la porte derrière lui avant de s’y coller, me faisant bien comprendre que je n’avais aucune issue possible. Encore une technique d’intimidation des plus saines que voilà... pas du tout flippant ou me donnant totalement raison sur le bonhomme. Ça se voyait qu’il jubilait de m’avoir ainsi à sa merci mais je lâcherai rien. J’avais une couverture et elle était en béton armée.

Je l’avais laissé parler dans un premier temps, déballer ses arguments sans broncher, le voyant s’approcher d’un pas feutrer dans la direction de mon bureau avec un air qui ne disait rien qui vaille. Pourtant, je me refusais de baisser les yeux, je déglutissais à peine de peur que ce soit trop visible, me contentant de l’observer s’approcher encore et encore jusqu’à ce que ses jambes viennent se heurter au bois du meuble et qu’il se penche dans ma direction pour terminer son interrogatoire, acerbe :

— Mais ma chère… qu’espériez-vous faire ? Que comptiez-vous trouver ? Que comptiez-vous prendre ? Huum ? Allez-y, je vous écoute, Miss. A vrai dire, j’espère vous avez une trèèèès bonne explication...

Je sentais qu’il prenait un malin plaisir à me toiser de haut, à me dominer de sa hauteur et lorsque son visage se rapprocha du bien, je fis un mouvement de dos pour me coller plus dans mon siège, m’éloignant de lui en croisant les bras en signe de repli et de renfermement :

— Alors déjà on va se calmer sur la mise en scène, Sherlock. Vous êtes au courant que ce que vous faites s’apparente à du harcèlement ? Vous enfermez une jeune femme de 16 ans dans son bureau en vous collant à la porte avant de s’approcher d’elle de la sorte. On y est pas encore mais un jour viendra où les femmes se réveilleront et où on entendra leur voie et croyez-moi que ce genre de choses passera plus. En attendant je peux toujours porter plainte parce qu’il y absolument RIEN qui justifie votre attitude.

J’avais soutenu son regard un instant, toujours campée sur mes positions, parce que je pensais fortement ce que je venais de dire. Même si j’étais réellement fautive de ce qu’il m’accusait, rien ne laissait supposer qu’il pouvait s’en prendre à moi comme ça et je voulais qu’on se le rappelle tous les deux. Une fois cela dit, j’avais repris :

— Je comptais rien prendre du tout. Je voulais juste trouver un document sur les différents actes locatifs des Pardle parce que votre rendez-vous avec les deux époux est dans une semaine et que je comptais, pour reprendre tous les mots de vos questions, vous donner le dossier le plus complet possible pour... vous montrer que je fais des efforts. C’est Jere... Maître Daas qui m’a conseillé de trouver ce registre chez vous tout comme d’améliorer mon travail... J’en ai marre que vous me considériez comme une gamine “immature” pour reprendre vos mots. Alors j’ai demandé conseil à Maître Daas. Allez le voir, si vous me croyez pas, on en a parlé y’a quelques jours... Maître.

J’avais terminé ma phrase par l’injonction à laquelle il tenait tant mais non sans une grimace acide à la vue de la situation. J'avais dégluti en détournant le regard, reprenant une voix plus douce, un peu plus honteuse pour prouver ma bonne volonté :

— Je voulais pas vous demander parce que... parce que je voulais réussir par moi-même... vous surprendre... c’est tout... Je mérite les menottes ou c’est comment ?

J’avais de nouveau tourné le regard vers lui pour le fusiller de mes yeux bleus avant de montrer mes doigts en énumérant ma liste :

— Donc pour reprendre vos explications sur ma faute professionnelle grave : j’ai eu une autorisation : celle de votre associé et j’en avais bel et bien besoin pour terminer un de mes dossiers. D’ailleurs si vous retournez dans votre bureau, vous y trouverez le dossier des Pardle que j’avais pris avec pour le finaliser et que j’ai pas eu le temps de reprendre parce que vous ne m’en avez tout simplement pas laissé le temps, ni même celui de m’expliquer... Maître.

J’avais soupiré une nouvelle fois avant de plonger à mon tour un regard acéré dans le sien :

— Vous avez l’air en tout cas très tendu, si je peux me permettre... Maître. J'avais pas compris que je travaillais à la Banque Centrale de Storybrooke et qu’à chaque seconde je risquais de faire un casse de la plus haute importance... Je suis censée attendre les flics ou je peux reprendre mon boulot ? Et du coup tant que j’y suis, est-ce que je pourrais jeter un coup d’oeil au registre des baux immobiliers de Storybrooke que vous détenez dans votre bureau pour terminer la préparation de votre rendez-vous avec les Pardle ? Mardi prochain, 14h30 pour info... Maître.

Comme on disait dans le métier... Checkmate ? Une chose était sûre, je ne hurlais pas victoire trop vite, même si ma défense était indémontable. J’avais le meilleur des témoins : son associé, j’avais bien fait attention de laisser des preuves de ma bonne foi, il pouvait pas m’avoir, pas sur ça. Au pire il trouverait le moyen de me dire qu’il y avait une façon plus efficace de faire mon métier mais il pourrait alors juste me reprocher mon manque de connaissance... rien de plus. Je ne le lâchais pourtant pas des yeux, le visage fermé, le cœur battant, attendant qu’il ouvre enfin la bouche.

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________________________________________ 2023-01-15, 23:04 « If the crown should fit, then how can I refuse? »




Une dette à payer



S’il eut fallu ajouter des explications complémentaires sur les raisons qui faisaient qu’il ne prenait JAMAIS de stagiaires dans son établissement, qui plus est aussi jeune, l’attitude d’Alexis Child finissait de faire la démonstration de tout ce qu’il détestait dans la jeunesse d’aujourd’hui. Provocatrice et particulièrement irrespectueuse des manières tel que lui se les figuraient. Un tel manque d’éducation était outrageant, surtout lorsqu’on connaissait la personne qui l’avait élevée. Ce n’était pas qu’elle n’en n’avait pas reçu pourtant.
La pomme était tombée loin de l’arbre. Une mère castratrice ne créait pas un parfait ange docile. La jeune femme ne souhaitait visiblement qu’envoyer valser son carcan et la haute société qui composait son quotidien. Elle avait été pourtant hissé dans ce monde par son adoption. Dieu seul savait de quelle famille infâme elle était tirée…songea le notaire avec hauteur.
Ou peut-être était-ce, au-delà d’elle, une attitude de la jeunesse d’aujourd’hui que de feindre se rebeller d’un système qu’ils finiraient par rejoindre un jour, des contestataires hautement agaçants qui ne désiraient rien d’autre que de se targuer de valeurs moralisatrices… Et qui rejetaient tout respect de leurs aînés dans le même tas.
Il tentait de la réprimander pour son attitude inqualifiable ; elle ne devait que jouer profil bas et elle avait encore le culot de lui jeter à la figure de pathétiques remarques de HARCÈLEMENT ?
Et elle partait en diatribe dramatique sur la condition de la gente féminine ? Comme si sa petite personne aurait pu lui provoquer une once d’intérêt…. Ciel… Auprès de Jérémie peut-être, mais lui !
Il l’avait toisée, sa moue se chargea d’une légère trace de répulsion… Ce n’était que du cinéma. Elle gardait son aplomb, il ne pouvait pas lui retirer ceci, mais tout ce qu’elle ne cherchait à faire était à renverser la vapeur. Tenter de l’accuser lui. Tenter de renverser les rôles. Mais en aucun cas, n’avait-elle encore initié une once de justification potentielle quant à la raison de sa présence dans son bureau… Parce qu’elle n’en possédait pas. Il avait bien vu et lu sa culpabilité. Elle le lui avait offert au simple reflet de ses yeux bleus.
Aussi, outre sa moue, n’avait-il pas réagi pour le moment. Il attendait, les yeux scintillants. Qu’elle parle donc. Qu’elle s’explique…
Et pourtant... elle s’était expliquée.
Son explication tenait à la recherche d’un document sur les différents actes locatifs des Pardle… Il avait plissé les paupières avant de lever les yeux au ciel lorsqu’elle le lui avait avancé cette explication… Mais attendit, néanmoins. Patiemment. Jusqu’à ce que son instinct fut coupé par une information qu’elle lui livra avec un naturel presque...triomphant. Presque ? Non. Triomphant. Et à raison… : Maître Daas… Non, pas Maître Daas. « Jérémie »… Son sang n’avait fait qu’un tour. Et si son visage avait su conserver son impassibilité, son corps intérieurement s’était agité de colère. Im-bé-ci-le. Il ne souhaitait qu’une chose faire volte-face, la planter là et aller régler dès à présent cette petite difficulté avec son associé. Mais il ne le pouvait. Il devait conserver ne serait-ce que son sang-froid. S’il le perdait cette petite péronnelle n’en serait que plus satisfaite. Rien que son ton acide, faussement contrit lui accordait la force de conserver son apparente assurance. Qu’elle ait pu vouloir sortir de son image de gamine « immature »… Qu’elle ait pu demander de l’aide à son sot d’ami et associé… Oh, il voyait la scène d’ici. L’imbécile ! Il avait été si naïf….

Je voulais pas vous demander parce que... parce que je voulais réussir par moi-même... vous surprendre... c’est tout... Je mérite les menottes ou c’est comment ?

Il avait plissé les yeux sous son ton contrit. Elle mentait. Elle mentait c’était évident. Elle n’en pensait pas un mot. En déplaisait au ton plus doux qu’elle prenait. En déplaisait à la manière dont ses yeux s’étaient détournés des siens, comme honteux. Tout ceci ne restait que factice. Une fausse image pour lui donner l’impression de repentance. Qui se craquelait sous ses mots et l’allure qu’elle reprenait malgré elle. Sa manière de s’adresser à lui, son « Maître » presque mesquin et surtout la manière dont ses yeux bleus se permettaient l’outrecuidance de tenter de fusiller les siens…
Elle avait tendu la main pour lever ses doigts au fur et à mesure qu’elle énumérait les raisons qui empêchaient de qualifier son attitude de faute professionnelle, et les avait pointé un par un, d’un ton professoral hautement agaçant, avant de permettre à ses yeux acier de se plonger, une nouvelle fois, dans les siens, non après un soupir :

Vous avez l’air en tout cas très tendu, si je peux me permettre... Maître. J'avais pas compris que je travaillais à la Banque Centrale de Storybrooke et qu’à chaque seconde je risquais de faire un casse de la plus haute importance... Je suis censée attendre les flics ou je peux reprendre mon boulot ? Et du coup tant que j’y suis, est-ce que je pourrais jeter un coup d’oeil au registre des baux immobiliers de Storybrooke que vous détenez dans votre bureau pour terminer la préparation de votre rendez-vous avec les Pardle ? Mardi prochain, 14h30 pour info... Maître.

Elle s’était arrêté, l’air parfaitement satisfaite d’elle-même. Trop satisfaite. Si bien qu’un petit gloussement moqueur était né de sa propre gorge.

« Vous avez terminé ? » interrogea-t-il dans un sourire fin. « A vrai dire, je ne saurais dire si je suis censé être rassuré ou presque déçu… Je ne doute pas que vous savez que vos propos sur l’incitation que vous aurait fait Maître Daas seront vérifiés auprès du principal concerné. Je vous accorde le fait que vous ne me semblez pas assez stupide pour vous retrancher derrière un propos de mon associé pour penser vous tirer d’affaire sans que je ne vérifie leur véracité...n’est-ce pas ? Tout comme je ne doute pas que Maître Daas confirmera donc tout cette sorte de petit...quiproquo..»

Il s’était relevé, lâchant le bois du bureau pour écarter ses bras, paumes face à elle dans un geste tranquille. Il jaugeait sa réaction, n’y trouvant aucun sursaut de peur. Cette fille possédait un aplomb formidable ! Mais elle pouvait avoir de l’aplomb, pour cela, nul doute, il avait tout de même préféré le repréciser, pour y voir la confirmation de son analyse : C’était donc bien Jérémie le fautif. L’imbécile. Et en cela, il ne pouvait conserver l’accusation pure qu’il avait faite à son égard… Si elle se trouvait dans son bureau sous accord de son associé, elle s’y trouvait donc sous incitation et sous validation de ce dernier… Quand bien même, ceci n’était visiblement qu’un leurre.

« Puisque la lumière semble faite concernant cette ambiguïté… Laissez-moi vous entretenir de quelques points non négligeables si vous ne souhaitez pas que votre stage puisse se terminer avec les conséquences connues… » il s’était autorisé un petit gloussement avant de reprendre « Et pour vous améliorer, puisque, après tout...visiblement tout ce .. » il agita l’index formant un rond « petit...méli-mélo semble causé par l’image que je peux avoir de vous et que vous semblez avoir à cœur d’améliorer. » un sourire sarcastique s’était formé sur les lèvres pleines « Vous ne travaillez, certes, pas à la Banque Centrale de Storybrooke, mais vous travaillez dans une étude notariale. Le secret professionnel est un pilier de ce métier. Vous m’excuserez, ma très chère, mais vous n’êtes ici, qu’une simple stagiaire… Et, à moins que vous ne vous soyez prise de passion pour ce travail, vous n’êtes guère destinée à faire long feu dans ce lieu... Il est plus normal, que vous n’ayez pas accès à toutes les données de nos clients. Il m’appartient de juger ce qui est apte d’être porté à votre connaissance. A moi et Maître Daas, je vous l’accorde. Au regard des circonstances présences, vous ne serez pas sans noter que nous divergeons quant à la confiance que nous pouvons vous porter… »

Il avait sourit davantage, les yeux brillants, ironiques. La toisait sous couvert d’un ton docile et doucereux. Petite pimbêche. Elle avait du cran, il ne pouvait lui enlever… Et il pouvait que trop imaginer que ce cran là, l’avait poussée dans le bureau de son associé, à soupirer de sa mauvaise image… Oh, elle pouvait manipuler oui. Pas assez affûtée pour jouer dans des enjeux considérables mais… soutirer des informations, c’était dans ses cordes. Dès son jeune âge, elle avait manifesté un talent pour fouiner.

« Peu importe. Je mettrais ces choses au clair avec mon associé. Après tout, il a peut-être vu, à votre contact, en vous davantage de compétences diverses qu’il m’a été donné de voir à votre sujet… Ou peut-être, justement, ne travaille-t-il que trop peu à vos côtés pour déceler pleinement votre profil. Parce que je suis persuadé de vous avoir...parfaitement cernée, Miss Child. » son sourire s’était allongé, fin, presque carnassier, alors qu’un ricanement aigrelet s’échappait de sa bouche. Il ne riait jamais ainsi. C’était totalement inhabituel, pourtant… ce dernier était sorti de lui-même comme un vieil ami. Sûrement puisque cette petite péronnelle jouait avec ses nerfs.
Il s’arrêta, se bornant à l’observer. Sa phrase pouvait signifier tant de choses et il ne précisa aucunement, son sourire seul subsistait, dérangeant.

« Je vous le concède souhaiter et devenir pro-active est une excellente chose et cela participe à l’amélioration. Encore faut-il le faire efficacement. Et pour cela, encore faut-il comprendre ce que l’on fait… Sinon la meilleure chose à faire, lorsque l’on veut aider et que l’on y arrive pas, dans votre cas, est encore de se contenter de s’abstenir de prendre des initiatives et se borner à effectuer le travail que l’on vous demande… » Il pencha la tête sur le côté, les yeux toujours plongés dans les siens « Il y a une place pour tout à chacun. Je calibre chacun de ces dossiers et chaque tâches en ressortant, selon vos capacités… Vous ai-je seulement une fois laissée prendre une initiative juridique ? Non. Et il y a une bonne raison à cela. Je SAIS parfaitement où s’arrêtent vos compétences. Preuve en est… Ce désastre. »

Un geste vague de la main était venu, dramatique, alors qu’il conservait son attitude guindée et policée, les yeux dans les siens. Le mot était fort. Mais il demeurait, cependant, réaliste au regard du « quiproquo » qui s’en était tiré, s’il acceptait la vraisemblance de l’histoire qu’elle lui offrait. A trop vouloir attirer le regard, prouver, non par légitimité, mais par arrogance, elle parvenait davantage à s’attirer ses foudres…

«  Vous voulez faire vos preuves ? Vous voulez susciter à mes yeux une once de contentement ? Contentez-vous d’abord de faire le travail que je vous donne, faites-le correctement. Ne gaspillez pas votre temps à tenter d’y ajouter des éléments inutiles. Rangez votre fierté, gommez votre insolence, soyez efficace, soyez studieuse, et restez à votre place. »

Après un instant plongé dans ses yeux, il redressa la tête, presque doucereux, davantage posé.

« Et je le dis sans acrimonie, ma chère… Vous progresserez et gagnerez davantage de respect – peut-être le mien- lorsque vous saurez exactement et accepterez où se trouve votre place. Je prends davantage de plaisir à être surpris d’autrui qu’à confirmer jour après jour que le peu de considération que je leur offre est justifié.
Pour ce qui est d’ailleurs du dossier en tant que tel… Dispensez-vous de tout rappel, je le connais. Et je vous l’ai dit à la minute où je vous ai surpris dans ce bureau : vous n’aviez aucun besoin de ces documents pour poursuivre votre travail. Si je ne vous ai pas demandé de le faire, si je ne vous ai pas mentionné ce registre dans vos tâches actuelles, c’est que qu’il ne s’appliquait pas au cas d’espèce. Donc non, ma très chère...je ne vous autoriserai pas le consulter pour finaliser ce dossier. »


Il se détourna. Avec ce même port de tête altier, sa prestance, son orgueil aussi. Il reprenait presque le chemin de son bureau comme si rien n’était arrivé. Et pourtant… Ce n’était qu’un leurre. Une mascarade qui ne dura que jusqu’à la moitié du chemin. Il se retourna vers elle, à nouveau, pour l’observer une nouvelle fois, encore reculée dans son fauteuil. Son regard non plus semblait ne pas s’être détourné de lui. Malgré sa présente assurance, il savait qu’elle se tenait sur ses gardes, apeurée. Mais elle n’avait rien sur lui. Rien du tout. Hormis son intuition.

«  Vous savez, Miss, mes propos n’avaient pas vocation à être offensants. Une simple constatation. Vous n’atteindrez pas le niveau d’un vrai employé en un mois. » il l’avait dit froidement mais d’une voix dénuée de colère ou de méchanceté. Cela sonnait seulement comme une vérité. Il avait beau être parfois cruel, il l’était dans sa notion de la vérité. Mais il ne s’amuserait pas à être...particulièrement injuste non plus… «  Vous pouvez, en revanche, vous améliorer et atteindre de vraies compétences. Et au fur et à mesure que vous me prouverez que vous les acquérez… j’augmenterai vos tâches et leur hardiesse, si tel est votre bon plaisir… C’est aussi cela, être intelligemment pro-active. Savoir demander. Sans surévaluer ses capacités par orgueil désespéré de vouloir parvenir à me clouer le bec… Ce qui n’est qu’une autre manière, plus insidieuse, moins avouée, de tenter d’obtenir une sorte de validation de ma part… Aussi vais-je vous faire une faveur, pour excuser ce malheureux...malentendu… Je vais entendre votre souhait. »

Sa bouche s’était relevée, un sourire avait gagné l’intégralité de son visage, l’enjouant.

« Après tout, vous avez l’impression que nous sommes partis sur de mauvaises bases… Puisque l’opinion que je pourrais avoir sur vous vous importe et que vous avez à cœur d’effectuer votre stage avec une efficacité et une motivation exemplaire… J’en déduis que vous n’évoluez pas dans un environnement propice à cette amélioration tant recherchée... » son regard avait couru sur l’étroit lieu, jaugeant le bureau, l’ordinateur avant de se reporter jusqu’à elle, une mine réjouie plaquée sur sa face « Je suppose que le mieux pour vous serait que nous fassions bureau commun... » il avait feint y réfléchir, une nouvelle fois concentré, comme soupesant le mieux des ennuis, avant d’opiner fermement de la tête comme convaincu par l’idée « Oui… Vous pourrez au moins être en permanence sous mon aval, postée stratégiquement pour effectuer votre travail le plus efficacement qui soit et aux premières loges pour appréhender d’autres facettes du métier au besoin par mon intermédiaire… Et qui sait, peut-être vous laisserai-je consulter le registre des baux lorsque cela s’avérera pertinent ? Oui formidable nous ferons ceci dès demain, organisez vos affaires dans un carton, je placerai le nécessaire dans mon bureau... »

Il avait frappé dans ses mains, comme gagné par la félicité, puis avait refermé la porte non sans lui avoir souhaité une bonne soirée. Aussi curieux que cela semblait paraître, il jubilait.
Elle n’appréciait pas cette initiative, cela allait s’en dire. Comme c’était « étonnant ». La jeune rebelle indisciplinée ne supportait pas l’idée d’être parfaitement encadrée et étouffée. La belette fureteuse se trouvait prise au piège à son propre jeu. Ses allées et venues seraient dorénavant limitées. Elle serait sous ses yeux en quasi-permanence. Et il devait l’avouer… c’était essentiellement pour cette raison qu’il avait décidé de cette posture.
Oh, elle avait parfaitement argumenté pour justifier sa présence dans son bureau… Néanmoins… Il ne pouvait ôter de sa mémoire la mine saisie qu’elle avait arboré en le découvrant subitement. Elle pouvait le justifier comme elle le désirait par le côté impressionnant qu’il pouvait avoir, sa mine mécontente ou d’autres… Son visage de personne prise en faute restait gravé dans sa mémoire. Ce n’était pas un simple sursaut, une simple peur, non c’était la crainte de la découverte, la même lueur qui l’avait habitée lorsqu’ils s’étaient dévisagés dans le chalet. Le regard d’un individu sachant qu’il ne devait pas être là. Et il se souvenait de sa manière de passer frénétiquement les pages. Il était sûr de l’avoir vue feuilleter avant un tel empressement stressé…
Ce ne fut que bien plus tard, lorsque ce dernier eut terminé son dernier rendez-vous qu’il s’arrêta jusqu’à la porte de son associé pour frapper à la porte. La voix presque chantante de ce dernier retentit de par-delà le morceau de bois… Sûrement parce qu’il avait reconnu sa manière de frapper… Ou l’imbécile pensait peut-être que Child ferait des heures supplémentaires et viendrait le saluer ? Un sursaut de colère le secoua, contractant son regard, tandis qu’il ouvrait la porte avec davantage de brusquerie qu’à l’ordinaire.

« AAAAAH Erwin !!! Tu as devant toi le Roi de cette journée !!!
 «Oh tu m’en diras taaant, Jérémie »

Le cynisme transperçait des sonorités de ces simples mots, alors qu’ils roulaient sur sa langue. Pourtant, son ami ne le remarqua pas. C’était fréquent avec lui, lorsqu’il s’emballait… Si bien qu’il lui souriait, sincèrement, désignant d’un air enthousiasme le dossier volumineux qui trônait sur son bureau.

« Je me suis ENFIN débarrassé de la donation de Monsieur Mock ! » s’exclama Jérémie sur un ton où la fierté côtoyait le soulagement «  Deux ans de négociation et il a ENFIN signé ! Une transmission de pas moins d’un demi- million tout cela pour la modique somme de 35,000,00 dollars ! »
« Splendide… Parallèlement, j’ai fait signer Longheart, d’ailleurs… Pour peu, mon humeur se serait chagrinée de fustiger ton transport, en t’annonçant cette bonne nouvelle… Mais...tu me trouves dans d’autres dispositions... » susurra Erwin en s’adossant au bord du bureau de son associé, négligemment.

Du coin de l’oeil, il apercevait une photographie d’eux, à leur remise de diplôme, souriants, beaux et triomphants.
De plus près, il le trouva… presque niais à continuer de lui sourire sous son air benêt. Une part de lui, mourrait d’envie de l’envoyer valser par la fenêtre et son très cher dossier avec… D’ailleurs… Mock lui était complètement sorti de la tête et le Ciel savait pourtant à quel point pourtant, Jérémie lui avait rabâché les oreilles avec ce client et combien les deux compères s’étaient congratulé de le voir se clôturer ce jour. Erwin savait combien son associé s’y était acharné pour le mener à bien, à grands coups de rendez-vous, de discussion, d’heures et de labeurs… Pour autant, il n’y avait pourtant plus songé à la minute où Miss Child avait égrainé son nom. Une coulée de rage recouvrait tout ce qui avait trait à son associé, occultant toute sympathie… Presque se félicitait-il de le voir d’aussi bonne composition pour pouvoir à présent le saccager.
Et même à présent qu’il affichait, sous son nez, son attitude ombrageuse, ce ne fut pas ce que remarqua en premier son associé. Au contraire, son sourire s’élargit encore, tandis qu’il joignait les mains :

« Tu as signé Longheart ? Mais c’est merveilleux !  Il faut fêter… » puis soudainement, Jérémie s’attarda sur l’allure que son ami lui offrait en pâture, fronçant les sourcils en l’examinant « Quelque… Quelque chose ne va pas, Erwin ? C’est… lié à Alex… Miss Child ?  »
« Oh… C’est amusant que tu me poses cette question. A.mu.sant... »

Chaque syllabe articulée valait un coup de poignard et néanmoins son ami semblait ne pas comprendre que chaque coup lui était destiné, puisqu’il pencha la tête, mi-amusé mi-embêté. Il avait même failli l’appeler par son prénom...

« Pas vraiment… A vrai dire, j’ai cru t’entendre la réprimander, tout à l’heure… Elle me paraissait assagie aussi, je me suis demandé ce qu’elle avait pu faire pour te mener la vie dure ou pour provoquer ta colère. »
« Rassure-toi, rien que tu n’aies validé au préalable. » répliquait déjà le notaire du tac-au-tac, sa bouche se retroussant de dédain.

Il vit que visiblement son cher ami ne semblait pas porter de poids de culpabilité puisqu’il cligna des yeux de surprise, rempli de sincérité, presque choqué que ce dernier puisse remettre en doute sa bonne foi, presque vexé qu’il puisse songer qu’il puisse le trahir. Il savait très bien qu’il ne le ferait jamais. Pour autant, cela ne le rendait pas fiable pour autant.

« Moi ? » articula Jérémie d’un ton interloqué, comme s’attendant à une méprise.
« Oui… TOI… » ricana-t-il en rejetant la tête vers l’arrière, les yeux mi-clos, alors qu’il se mettait à raconter, revoyant la scène se dérouler sous ses souvenirs « Je suis passé, en plein rendez-vous Longheart dans mon bureau… Et quelle ne fut pas ma surprise d’y trouver... Miss Child… particulièrement saisie d’y être surprise. Puisque particulièrement attardée à fureter dans des documents administratifs que je ne l’avais en aucun cas autorisé à consulter… En profitant de mon absence...»
« Oh...je vois... » un silence s’écoula un bref temps de son associé, alors que ce dernier prenait la mesure de la situation et des accusations qui découlaient de son attitude «  Elle … Elle cherchait peut-être juste quelque chose… simplement quelque chose pour son dossier. Pour le compléter... »
« Oui, c’est précisément ce qu’elle m’a dit. Qu’elle cherchait dans le recueil des baux… sous ton conseil. »
« Je… je... » le regard de son ami s’était fait vitreux, il blêmissait de se faire prendre ainsi pour faute… De se voir accusé de lui avoir nuit et pourtant, soudainement, il secoua la tête, comme refusant pour autant d’en supporter le poids « Oui. OUI. C’est moi qui lui ait conseillé… mais mais.. Tu sais il n’y a pas à mal... »

« Non. Non bien sûr que non. » se gaussa-t-il cyniquement en dardant un regard noir « Tu lui as simplement offert, sur un plateau, une justification parfaite pour se trouver dans mon bureau sans MON autorisation de sorte que je ne puisse pas lui offrir l’ombre d’un reproche à ce sujet ! Et sous couvert de ce mensonge, si gentiment offert par tes soins, elle furète !
« Erwin… Non… Franchement, elle n’est pas si horrible ! Aussi fouineuse, si suspecte, ni même rebelle ! C’est juste une gamine paumée qui veut simplement bien faire…
« Oh...mais absolument ! Ta chère petite protégée n’est qu’une gamine. Répète-le toi davantage à l’avenir ! » pesta-t-il rageusement « Je pensais que tu penserai un peu avec ton cerveau et que pour une fois tu saurais tenir face à un sourire et que sais-je d'aguichant... Surtout face à elle…  »

Il l’avait contemplé de haut, avec une moue peinée de tant de crédulité. Aussi loin qu’il puisse se souvenir, Jérémie n’était pas un parfait benêt. Il aimait être admiré, attirer l’attention, pour autant, il n’était pas aussi manipulable que le commun des mortels, il possédait cette analyse des autres qui se trouvait intéressante et n’hésitait pas à les manipuler aussi pour ses intérêts. Il n’y avait qu’un domaine où il perdait en revanche tout son sang-froid : en matières de femme…

Il faut dire que…contrairement à ce que tu en dis, tu ne peux nier que...
« CESSE CECI ! » son poing était venu claquer contre le bois, avant de se lever d’un bond pour arpenter la pièce avec un agacement grandissant. « Prends conscience de cette situation ! De ce que tu as fait ! Des conséquences pour ce que nous avons et que j'ai créé. »

Son visage s’était déformé l’espace d’un instant. Il pouvait le tuer ! Pour arracher cette attitude mi-désolée mi-provocatrice de son ami. Erwin savait pourquoi il agissait ainsi, il lisait en lui comme un livre ouvert ! Jérémie était PERSUADE qu’il était pas trop paranoïaque. Il n’avait fait rien de mal, bien évidemment…. Miss Child était juste une petite fourbe, qui, sûrement savait parfaitement « séduire » ou du moins attendrir les hommes du genre de Jérémie avec son attitude… Et son associé voulait être un sauveur, il voulait aider. Et bien évidement, puisqu’elle se trouvait suffisamment maligne pour se tenir à carreaux et feindre n’être que cette fille rebelle et râleuse. Elle était plus que ça, plus qu’un cailloux désagréable dans sa chaussure...elle était une sale petite enquiquineuse !
Jérémie avait soupiré une nouvelle fois, sincèrement peiné, avant de reprendre d’une voix douce, d’un ton explicatif qui lui sortait par les yeux, convaincu de sa bonne foi :

« J’essayais seulement de détendre l’atmosphère. Erwin s’il te plait…tu le sais…» avait croassé Jérémie d’une voix plaintive avant de se renfrogner tel un animal pris en faute « Je n’ai fait que faire ce que tu m’avais demandé... C’est toi qui m’a demandé d’être sympa avec elle, de gagner sa confiance ! »
« Précisément ! De gagner sa confiance ! Pas de lui donner la tienne. Tu devais la manipuler et non l’inverse…»
« Peux-tu seulement envisager le fait qu’elle soit simplement allée chercher quelque chose que je lui avais indiqué ? Tu l’as vue devant le recueil. Je lui avais indiqué le recueil. C’est donc qu’elle cherchait simplement dedans. »

Erwin haussa les épaules dédaigneusement, le menton levé :
« Cela soulagerait ta conscience, n’est-ce pas ? Mais, non hormis le fait qu’elle ait attendu que je sois en rendez-vous pour le faire ?
«  Si elle voulait te faire une surprise c’est logique qu’elle l’ait pas fait deva... »
« Je n’ai pas fini… » coupa-t-il sèchement « Hormis, cela, elle ne recherchait pas une information par rapport au dossier. Elle l’avait sur elle, ça oui, elle n’est pas bête. Mais, je SAIS qu’elle n’y était pas pour ça. Les Pardle vendaient leur résidence principale, Jérémie ! Une résidence principale n’est pas mise en location ! »
« Erreur de débutante... » émit son associé d’une voix peu surprise, plaintive. « Tu ne l’as considère pas comme une imbécile, mais elle voit bien que tu ne la portes pas dans ton coeur. C’est pour ça, qu’elle voulait s’améliorer et que je l’ai conseillé. Elle voulait attirer un peu de ton attention, faire des efforts. Améliorer votre relation et aiser les tensions qu’il y a entre vous.

Le notaire croisa les bras, stoppant son cheminement intempestif dans la pièce, son ton grimpant crescendo.

« Améliorer les tensions et apaiser les tensions qu’il y a entre-nous ? » Mais où te crois-tu ? Nous ne sommes ni en thérapie professionnelle, amoureuse, familiale ou que sais-je ! Cette garce a failli nous envoyer en prison, imbécile ! » ses yeux dorés flamboyèrent avant qu’il ne reprenne « Et nous ignorons ce qu’elle a vraiment vu ! Tu n’étais pas là, Jérémie, lorsque je l’ai surprise dans ce bureau. Le dossier avait été abandonné sur le bureau, je l’ai retrouvé tout à l’heure, il était complet certes ; mais elle n’a pas pensé utile de revérifer l’adresse. Et elle farfouillait dans les pages. Le registre est numéroté dans l’ordre alphabétique. Pardle… P Assez aisé à localiser. Et ce n’était pas ce qu’elle cherchait… Elle cherchait sûrement le chalet… Et son visage, Jérémie… Son visage était fautif. Il transpirait la culpabilité. Son effroi dépassait sa surprise et l’influence que je peux lui inspirer. Elle n’a pas demandé son reste, elle a fuit… Très promptement… »

Cela avait eu le mérite de laisser son associé muet. Partagé dans sa crainte. Après une minute, les mains plaquées contre son visage, il finit par les laisser retomber, avant de darder son regard sur le sien, inquiet.

« Si j’ai eu tort… Si tu as raison… Tu sais que je ne tiens en aucun cas à te porter préjudice… Je te suivrais jusqu’au bout du monde… Que conviendrait-il de faire ?
« Agir avec jugeote et raison. Elle pense t’avoir dans la poche, ce peut être un avantage pour nous. Même s’il faudra agir avec prudence pour qu’elle ne se méfie pas d’une ruse de notre part, car si tu perdais sa confiance, cela nous causerait préjudice. Nous serions obligé de défendre nos intérêts… Et je préférerai éviter que tout souci de ce genre ne nous mène au-devant d’autres problèmes plus conséquents à commencer par Regina. » au moins, il avait touché une corde sensible, lorsqu’un éclair d’appréhension passa dans l’oeil de son associé. Il opina silencieusement avant de reprendre « Et dorénavant, je ferais installer son bureau dans le mien. Ainsi, elle sera en permanence sous son contrôle. Aucun de ses faits et gestes ne m’échappera, elle sera liée.
« La cohabitation promet… Vraiment ? Tu t’encombreras de sa présence que tu juges si agaçante pour… suivre une piste.
« Lui éviter de parvenir à me nuire. C’est très différent. »

Et cela l’était oui. Pour préserver sa survie, son prestige et ses petites intrigues, Erwin se sentait prêt à tout… Il n’irait pas en prison. Il ne serait pas pris… Et cette gamine ne le ferait pas plonger, non…
Le lendemain matin même, il avait donné les consignes pour le déplacer du bureau de la petite belette jusqu’au sien. Ce n’était qu’un pis-aller… Mais cela ne le tuerait pas… Il pouvait supporter cette cohabitation, voir s'en amuser. Après tout, il savait très bien qu’elle-même ne sautait pas de joie. Lorsqu’elle était apparue au coin de sa porte, il l’avait salué, en levant à peine la tête de son bureau, comme à son habitude, un fin sourire, acéré sur visage :

« Bonjour Miss Child… Je vous ai réservé une place de choix, voyez-vous même. » avait-il sourit en désignant le bureau qui avait été installé, non loin du sien, mais à distance néanmoins suffisamment éloignée pour en devenir appréciable, il voyait tout ce qu’elle faisait, ce qui était utile, et elle en revanche devait tourner la tête pour le voir. « Vous serez parfaitement à votre aise pour effectuer rapidement ces quelques nouvelles tâches sélectionnées spécialement pour vous, un peu plus corsées que jusqu’alors... ».

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« Allez dans la Lumière.
C'est au détour d'une Ombre
que nous attends le Mal. »


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Tu es comme tu es... mais malgré les erreurs, tu me rends parfois la vie de maman célibataire plus douce...


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________________________________________ 2023-04-26, 22:27 « Allez dans la Lumière. C'est au détour d'une Ombre que nous attends le Mal. »




Une dette à payer


J’avais peut-être poussé le bouchon un peu trop loin dans ma défense... et je l’avais vu petit à petit se retourner contre moi, impuissante, tentant vainement de garder la face et un visage impassible pour éviter de lui montrer l’horreur qui était en train de monter en moi. Qu’il vocifère et hurle m’importait peu. Son comportement m’effrayait pour le danger que j’y voyais mais ne me touchait pas outre mesure. Qu’il me trouve médiocre dans mon travail n’avait pas d’importance non plus. Ce n’était pas la première fois qu’il me dépréciait ni le premier à le faire, je pouvais l’encaisser même si je le trouvais terriblement injuste. Mais quand il avait commencé à émettre l’hypothèse que nous devions peut-être être plus proches pour que je puisse évoluer au mieux...

C’était bien ça qui m’atteignait le plus. J'avais eu envie d’hurler “jamais de la vie”, j’avais senti la nausée me monter à l’idée même de passer mon temps à ses côtés, à partager mon espace vitale et à respirer son foutu parfum qui me brûlait déjà tellement les narines en temps normal que même lorsque je rentrais chez moi, j’avais l’impression de le sentir encore. Mais je pouvais rien faire, j’étais prisonnière de ma défense, si je refusais son offre qui sonnait bien plus comme une obligation, je devais presque avouer que je me fichais éperdument de gagner son estime et d’évoluer en tant qu’apprentie notaire... ce qui détruisait tout mon argumentation. Pourtant je ne pouvais pas pour autant l’encourager dans cette démarche, car je souhaitais de tout mon cœur qu’il puisse changer d’avis à la seconde où il serait sorti du cagibi qui me servait de bureau ou au moins pendant le soir ou sa nuit de sommeil, après être redescendu de sa colère froide.

Mais il n’avait pas changé d’avis... Je l’avais vu à la seconde où j’étais arrivé dans l’étude. J'avais initié quelques pas en direction de ce qui était désormais mon ancien bureau dans ce cagibi miteux mais je m’étais vite rendu compte qu’il était désormais vide, privé même de ses meubles. De façon théâtrale, la porte avait été laissée ouverte pour me laisser constater rapidement l’ampleur des dégâts et de la promesse de Dorian. Me résignant, j’étais arrivé d’un pas nonchalant jusqu’à l’encadrement du bureau du notaire et j’observais déjà non sans une pointe de ressentiment que je dissimulais pourtant mon bureau posé en angle de 30° par rapport au sien. Lorsqu’il sentit ma présence, il leva les yeux vers moi, prenant le temps de m’observer avec un semblant de sourire sur les lèvres, fin et acérés, prenant pourtant bien soin de ne pas trop m’observer, la tête à peine relevée, comme si ma présence l’indifférait. C’était pourtant pas moi qui avait décidé de coller mon bureau au sien...

— Bonjour Miss Child… Je vous ai réservé une place de choix, voyez-vous même.

— J’ai vu...

Ce n’était rien d’autre qu’une constatation, un peu maussade, plus dirigée pour les paroles qui me donnait, tentant de se moquer légèrement de ma situation que pour la situation en elle-même. Je lui avais fait croire la veille pour m’en tirer d’affaire que je n’aspirai qu’à une chose dans toute ma vie : être la meilleure élève notaire pour que ce gros con m’apprécie à ma juste valeur. Si je commençais maintenant à montrer des pointes d’agacement à cette avancée considérable dans ma carrière - LOL – il n’aurait aucun mal à me percer à jour et à me le faire remarquer.

— Vous serez parfaitement à votre aise pour effectuer rapidement ces quelques nouvelles tâches sélectionnées spécialement pour vous, un peu plus corsées que jusqu’alors...

— Cool !

Prenant une grande inspiration, j’avais traversé le bureau pour poser mon sac sur le mien, enlevant mon manteau avant de me mettre à mon poste. Après avoir allumé l’ordinateur et pendant que celui-ci démarrait lentement, j’avais observé les différents dossiers qu’il avait posé sur mon bureau. Certains avaient des courtes notes et je réalisais que je ne savais pas de quoi il s’agissait pour la plupart, comme il me l’avait promis. Une fois tout mon bureau en place, ma boîte mail active et mes dossiers préparés, je m’étais emparée du premier truc de la pile et m’étais levée avant de prendre nonchalamment ma chaise pour la diriger vers lui en la faisant rouler. C’était apparemment comme si je faisais une déclaration de guerre : il m’observa de haut en bas m’approcher de lui d’un air courroucé comme si j’avais une posture langoureuse à son égard et tandis que je me posais lourdement dans ma chaise en lui demandant :

— Bon... et donc je dois faire quoi ?

Il s’était mis à agiter la main dans ma direction comme pour me chasser :

— Reculez... A l'avenir d'ailleurs, si je ne vous appelle pas, dispensez-vous de ces manières. Un peu de tenue !

Il semblait sincèrement pincé et je l’avais observé en haussant les sourcils, foncièrement surprise. Je n’avais absolument rien fait pour le mettre de mauvaise humeur ou pas du tout volontairement pour une fois. Je m’étais contentée de m’approcher comme le ferait toute personne normale qui devait apprendre d’une autre. J’avais un peu poussé sur mes talons pour me reculer légèrement et lui laisser un peu d’espace, toujours aussi déstabilisée par sa réaction. Il me parlait de “tenue” c’était comme si j’avais posé ma main sur sa cuisse... il avait eu peur de quoi ? Que je le viole ? Ou que je puisse le séduire et qu’il se laisse avoir comme Daas l’avait fait précédemment ? C’était comme si je pouvais séduire un glaçon... une idée des plus débile.

— C'est VOUS qui avez eu l'idée qu'on soit plus proches notamment pour me permettre d'apprendre plus de choses, vous plaignez pas maintenant que je me plie à ce que vous vouliez...

— Miss Child... Partager un bureau n'est-ce pas déjà faire preuve d'une proximité accrue ?

Son ton était aussi sec qu’amusé, ne se partissant pas du balai qu’il avait au plus profond de son cul. Pourtant, un coin de sa bouche s’était relevé en un rictus qui laissait supposer un sous-entendu qui me donnait presque la nausée :

— Mais je note que vous souhaitez vous y plier...

Son sourire s’était fait nettement plus forcé. De mon coté, je m’étais contenté de rouler des yeux et il avait enchaîné :

— Bieeeen... Dans ce dossier vous allez rédiger l'origine antérieure de cette vente, particularité, le propriétaire a acquis le bien par donation avec réserve d'usufruit puis décès de sa mère, donatrice. Une origine un peu plus corsée qu'à l'ordinaire mais à votre portée, je n'en doute pas..." il va lever le menton et dire "vous pouvez préparer les courriers précisant les frais dus. Ensuite, vous me les ferez vérifier puis signer avant envoi. Une fois cela effectué, vous appellerez les clients pour leur indiquer la date du rendez-vous... Est-ce clair ?

Il avait préféré couper court à l’affrontement qui se préparait déjà et c’était sans doute une sage décision. L’adolescente que j’étais n’allait certainement pas lâcher le morceau comme ça. De son côté, il avait énoncé les règles avec un ton neutre, professionnel, qui tranchait clairement avec sa réaction du début. Je prenais alors le temps de l’écouter, patiemment, prenant des notes avant d’hocher la tête d’un geste sec qui signifiait que j’avais compris ce qu’il me demandait, ce qui ne m’empêchais pas d’avoir des questions :

— Je fais comment ? Pour calculer les frais je veux dire...

Il avait observé mon attention bien que je me concentrais plus sur mon écriture que sur ses yeux posés sur moi. Il secoua la tête à ma question, précisant :

— Vous n'êtes pas comptable. Ni notaire. Vous ne calculerez pas les frais. Je vous les indiquerai. Ils sont ici par ailleurs.

Il sortit une feuille du dossier et m’indiqua la dernière ligne, j’hochais la tête une nouvelle fois tandis qu’il précisait :

— Là. Par-dessus, vous avez le détail de tout ce que l'acte coûte et engendre... Et ici...

Il désigna une autre ligne :

— Ici le récapitulatif. C'est ce que l'on appelle une plus-value. Le propriétaire l'a eu forcément à moindre coût, lors de la donation. Puisqu'il revend plus cher, l'Etat se prélève sur la différence par ce savant calcul...

— Il est malin l’Etat, il fout rien et récupère quand même des deniers sur un truc pour lequel il est pas concerné... si c’était pas l’Etat, on appellerait ça du vol... m’enfin...

Je l’avais plus marmonné que clairement énoncé même si ça restait entendable. Il m’avait laissé le temps nécessaire pour observer ses explications, ce que j’avais fait avant de reprendre :

— Donc, c'est ceci que vous reprendrez dans votre courrier. Ainsi que la facture des diagnostics, qui se trouve.... là...

Il va sortit une nouvelle feuille du dossier et releva son regard vers moi:

— Est-ce compris ?

Il n’avait plus rien d’agressif, il était juste concentré et je devais bien avouer que prise au jeu, je l’étais également. Hochant la tête de nouveau, je répondais :

— Oui, c’est clair.

Avant de me lever et de reprendre ma chaise pour la ramener derrière mon bureau. A mi-chemin cependant, je m’étais stoppée pour me tourner vers lui, un sourire amusé sur les lèvres, prête à reprendre un peu d’aplomb et de verve, non sans une dose d’effronterie :

— Vous savez... y'a pas de quoi paniquer à l'idée que je m'approche... je mords pas ! Ou généralement pas en premier.

J’avais soutenu son regard, sourire aux lèvres. C’était pas une menace, ni même une pique, juste une vérité que j’énonçais de façon un peu taquine. Je savais que je l’attaquais pas sans raison ou du moins, j’avais la certitude de le faire dans ce sens. Pour ce qui était de morde, il m’avait mordu bien avant que je n’ouvre même la bouche. Je pouvais toujours pas le blerer mais je devais au moins mettre un peu d’eau dans mon vin... déjà pour l’amadouer avant de reprendre mes recherches, ensuite parce que ça serait plus facile de m’excuser si je m’étais trompé si je commençais déjà à faire la paix avec lui. De son côté, il semblait toujours pas enclin à me laisser entrevoir un pet de sourire avec son balais dans le cul :

— Fabuleux... Je n'en doutais pas...

Pourtant juste après, il apparut enfin, ce sourire... étrange et mystérieux, de ceux qui disait qu’en revanche j’avais peut-être tort de baisser ma garde, à moins qu’il soit tout simplement amusé de la situation à son tour...




    Quelques jours plus tard...


Il n’avait pas menti. Il avait considérablement corsé la tâche et je devais bien avouer que c’était pas pour me déplaire. Je m’ennuyais vite de manière générale dans un boulot, surtout dans ceux que je ne faisais pas avec passion comme ce stage. Si tout était trop simple, trop répétitif, j’avais juste l’impression de mourir à petit feu, j’accélerai encore plus la cadence pour me sentir vivante mais arrivé à 14h, j’avais fini tout mon boulot de la journée et on était incapable de m’en donner plus... me faisant donc mourir jusque 18h... un cercle vicieux. Mais depuis que j’étais dans son boulot, les dossiers étaient nettement plus compliqués, ils me demandaient plus de temps, de concentration et j’y mettais du cœur à l’ouvrage. La cohabitation n’était pas toujours simple, il avait toujours son caractère de merde et moi le mien... il semblait assez évident qu’on était pas fait l’un pour l’autre et qu’on deviendrait sans doute jamais copains. C’était chien et chat : l’un cherchait toujours l’autre et pas toujours le plus sympathiquement possible, je devais bien l’avouer. Mais dans l’ensemble, on s’en contentait. J'évitais de chantonner et de parler seule parce que ça semblait l’irriter au plus au point et j’éviter de faire une remarque à chaque fois qu’il faisait un bruit ou une remarque que je ne supportais pas. Il était évident que je faisais plus d’effort que lui mais bon... il était chez lui, c’était SON étude - il manquait d’ailleurs jamais une occasion de me le rappeler – alors je supposais que c’était presque normal. Cela faisait au moins une heure que nous travaillions sur nos dossiers respectifs, en silence, concentré sur notre tâche lorsque le téléphone sonna, ce qui m’arracha un sursaut. Généralement, le téléphone sonnait bien plus, à croire que c’était une journée au ralenti, ce qui expliquait sans doute ma surprise, doublé du fait qu’il sonnait pour moi et pas pour lui. Ce n’était clairement pas le numéro du standard mais un numéro externe, ce qui ajoutait un peu de perplexité au moment mais lorsque je décrochais, la voix joviale de Mrs Marshall sorti du combiné. Ne me laissant pas démonté, je me lançais à lui faire la conversation, lui précisant qu’elle avait appelé ma ligne plutôt que celle de Dorian et la rassurant sur l’erreur, lui proposant même de l’aider lorsqu’elle me précisa qu’elle avait dû faire mon numéro distraitement car elle appelait suite à un mail que je lui avais envoyé. Je ne valais clairement pas un notaire mais je savais aussi que Marshall s’offrait des passe-droits car elle semblait faire partie de la clique de ceux qui faisait des bals de charité, tout comme Dorian ou ma mère. Peut-être se pensait être au-dessus de tout pour éviter d’appeler le standard et passer directement par son notaire de voisin, une chose était certaine, je ne pouvais pas non plus la rembarrer, une cliente était une cliente mais j’étais presque certaine que sa question ne concernait pas obligatoirement un notaire. J'avais suivi le dossier, scrupuleusement, j’avais compris les réponses et le rapport que je lui avais apporté, il n’y avait aucune raison que je ne puisse pas tenter de m’en sortir par moi-même. Et j’avais vu juste : après deux trois questions d’une facilité enfantine que je m’étais empressée de renseigner avec un détail scrupuleux et après lui avoir reconfirmer son rendez-vous, j’avais raccroché, toujours le sourire aux lèvres, car le sourire s’entendait dans le combiné d’après Regina. En silence, j’avais repris mon travail mais je sentais que le regard du notaire s’était posé sur moins quelques minutes auparavant lors de ma conversation au téléphone et qu’il refusait de me lâcher. Ne me départissant pas de mon calme, j’avais continué à taper à l’ordinateur tout en précisant au bout d’une poignée de secondes :

— Je le sens vous savez...Votre regard sur moi... il y a quelque chose que j'ai raté ?

Je tournais alors la tête vers lui pour l’observer, sérieuse et attentive. Pour toute réponse, il eut d’abord un pouffement de rire avant de préciser :

— Non... A vrai dire... c'est même plutôt l'inverse. Ce n'est pas si mal....

Je l’observais avec des yeux ronds, surprise, tandis qu’il me rendait le regard, stoïque. Un sourire finit tout de même par s’esquisser tandis que je demandais, forçant un peu le trait :

— Est-ce que ce serait presque... un compliment ?

Surjouant l’émotion comme certaines actrices recevant leur prix, je fis mine d’être émue aux larmes, posant ma main gauche sur ma poitrine tandis que la droite battait l’air près de mon visage pour me ventiler avant que mes doigts viennent se poser sous mon nez, comme si je retenais mes larmes. J’avais alors eu un éclat de rire franc et court, fière de ma blague sans que ce soit pour autant insolent, juste pour tenter de gérer ce compliment. C’était si nouveau venant de lui et dans la mesure où je ne savais déjà pas gérer les compliments de manière générale...

— Merci...

Il n’avait cessé de me scruter de haut en bas en observant mon manège pour venir ternir son compliment d’un commentaire légèrement cynique sans pour autant devenir méchant :

— Votre capacité à vous donner en spectacle et à rire seule à vos propres pitreries me sidérera toujours...

Après un silence pendant lequel il me jaugea, il précisa :

— Mais... oui, d'une certaine façon, Je relève effectivement une amélioration. ENFIN...

Son sourire était en biais, signalant un trait d’humour plus qu’une réelle pique et j’en profitait pour hocher la tête :

— C'est mon côté drama queen, je vous apprendrai un jour ! Oui, je suis d'accord avec vous, il était ENFIN temps que vous vous en rendiez compte.

— Dommage .. Je pense que vous avez passé l’âge des gommettes, Miss Child…

J’avais tenu mon sérieux quelques secondes avant de rire à nouveau, pour désamorcer sans doute une éventuelle remarque acide... qui avait fini par venir. Je ne voyais pas où il voulait en venir avec ses gommettes mais il devait sans doute imaginer comme à son habitude que j’avais un niveau de maternelle. Pourtant, après un silence, comme s’il hésitait, il rajouta :

— Remerciez vous avant tout... Enfin...non. Je vous autorise à me remercier... Il est évident qu'une grande partie de ce mérite m'est en grande partie du.

Malgré son sourire qui voulait me préciser qu’il plaisantait, je voyais bien dans le ton de sa phrase et la façon de le dire qu’il l’avait fait crânement, pensant sciemment ce qu’il disait. Il n’en restait pas moins que ça restait aussi un compliment qu’il admettait que je faisais des efforts et même si on ne pouvait pas se piffrer et que je m’en méfiais toujours comme de la peste, j’avais vraiment tenté de donner le meilleur de moi-même et qu’il s’en rende compte me touchait. Je n’avais pourtant aucune envie qu’il le sache et comme je ne savais toujours pas comment réagir aux compliments, même mérités, j’avais sauté sur la perche qu’il me tendant de le vanner plus sur la forme que le fond de sa phrase. Haussant les sourcils, surprise, je lui lançais :

— Ben finalement vous voyez que vous savez être un drama king aussi...

— Oh moi... j’apprends vite.

Il avait eu un sourire un peu acéré, sans doute pour me titiller même si je le trouvais injuste. Moi aussi j’étais capable d’apprendre vite, tout le monde le disait à l’étude, sauf lui bien sûr qui passait son temps à me reprendre sur tout.

— Je crois que j'ai fini le dernier dossier, vous voulez qu'on le revoie maintenant ou vous me donnez quelque chose et on regarde tout ce soir ?

— Hum nous allons tout regarder ce soir si cela ne vous dérange pas de déborder un peu sur vos horaires si mon rendez-vous précédent se poursuit trop longuement… mais…. Je pensais qu’en attendant vous pourriez peut-être appeler pour fixer vous-même le rendez-vous… ce peut être un bon exercice...




    Le soir-même...


Lorsqu’il m’avait proposé de rester un peu plus tard j’avais hoché la tête avec un sourire, déterminée à montrer de quoi j’étais capable, tout en ne perdant pas de vue mon objectif : tenter de prouver que ce type était louche. Si la cohabitation s’était faite pus sympathique et s’il en venait même à me reconnaître quelques qualités, je n’étais pour autant pas passée dans son camp. Je m’étais faite cramée la première fois, ça m’avait valu de finir dans son bureau, définitivement. Il fallait que je sois plus maligne cette fois et tirer ça à mon avantage : au moins il pourrait pas se plaindre de me trouver là, pas vrai ? J’avais juste pas évalué à quel point l’attendre serait longue. La joue dans la main, je pianotais sur mon bureau en observant le sien... ça faisait déjà 40 bonnes minutes que mon travail aurait dû être bouclé, j’aurai dû être chez moi, prendre une douche, me détendre et j’étais toujours coincé ici et pour encore longtemps, puisqu’il devait me corriger. Et je n’avais pas autant de latitude que je l’aurai espéré : si la secrétaire était bien partie, Jeremie faisait assez souvent des allers-retours dans le couloir à la recherche de je-ne-sais-quoi, ce qui m’empêchait de fouiller à mon aise. Au bout de 45 interminables minutes, j’entendis enfin la voix de Dorian qui saluait le client avant de revenir à son bureau. Me redressant, je l’observais dans la pièce tandis qu’il me jaugeait un instant, hochant d’un coup sec la tête comme s’il se remettait pourquoi j’étais toujours là ou pour valider mon attitude et mon engagement. Ne voulant pas plus perdre de temps face à la moitié de l’échec que je subissais, j’enclenchais la conversation :

— J'ai prévenu ma mère que je rentrerai plus tard... elle m'a demandé de vous demander s'il était possible que vous me rameniez, elle n'aime pas que je rentre seule le soir...

— Hum... Votre mère prend une sage décision.

Il eut un sourire étrange qui me dérangea instantanément tandis qu’il reprenait :

— Je veillerai à que vous rentriez au bercail. De toute manière, votre demeure se trouve sur ma route.

Laissant un silence le temps de revenir à sa place et s’installer il demanda :

— Vous êtes-vous occupée en mon absence ?

J'étais pourtant resté sur son sourire mystérieux, qui avait sonné pour moi comme une menace. Après un instant d’hésitation, je demandais :

— Pourquoi vous avez souri comme ça en me disant que ma mère prenait une sage décision ? Vous sous-entendez qu'il pourrait vraiment m'arriver un truc sur la route ?

Je l’observais avec une réelle intensité, ne me laissant pas démontée, assumant pleinement ma question et mon attitude qui pouvait paraître un peu effrontée. Si j’avais raison de penser que c’était une menace, je voulais qu’il comprenne qu’il ne me faisait pas peur. Je ne devais pourtant pas paraître trop virulente ou sur la défensive, j’avais tenter de construire une image de pure innocente bosseuse et complétement bernée par l’être abjecte qu’il était sans aucun doute, c’était pas pour tout foutre en l’air d’un coup d’égo. Lui proposant une porte de sortie, j’hochais les épaules d’un air entendu :

— J'ai toujours trouvé Storybrooke plutôt... calme... Et oui, j'ai terminé ce que vous m'aviez demandé.

— Non, je disais cela pour approuver sa prudence, sans volonté de vous effrayer. Même si vous semblez être peu ébranlable et dotée de ressources.

Au moins il avait compris le message que je tentais de lui faire passer...

— C'est une ville calme en effet.... Parfait ! Vous avez rencontré des difficultés ?

Ramenant les dossiers vers moi en les rassemblant dans l’ordre, je levais la tête vers lui :

— Je peux venir à côté de vous ?

Autant demandé puisque la dernière fois que je l’avais fait, il l’avait presque pris comme une agression sexuelle. Pour toute réponse, il me jeta d’abord un regard en biais, un rictus austère au coin de la bouche avant de préciser :

— Si vous jugez cela préférable…venez.

Il n’avait pas l’air convaincu de ce qu’il proposait, ou plutôt ordonné, puisque cela avait été énoncé comme tel. Sans un mot pour souligner son ton, je m’étais levée, comme un bon petit soldat, me promettant que j’allais finir par avoir ce que je voulais et me posait à côté de lui pour lui demander quelques informations supplémentaires.



    Quelques jours plus tard...


Et ce jour était arrivé... Aujourd’hui. J'allais enfin savoir ce qu’il mijotait. Patiemment, pendant tout une semaine, j’avais soigneusement préparé mon plan, jubilant en silence sur cette énorme bombe sur laquelle j’étais tombée. Il avait baissé la garde et peut-être que si j’avais été plus âgée et plus réfléchie en cet instant, j’aurai pu sentir le guet-apens qui m’attendait, trouvant brusquement la tâche trop facile. Mais dans la fougue de ma jeunesse et dans ma soif de victoire et de justice, je n’avais rien vu d’autre qu’une preuve suprême de le faire ENFIN tomber, et j’avais foncé, tête baissée.

Tout avait commencé avec cette mystérieuse conversation que j’avais intercepté. Après quelques photocopies, en retournant dans notre bureau commun, j’avais trouvé Dorian en conversation téléphonique. Pourtant, à ma vue, il s’était dépêché d’écourter, baissant légèrement la voix avant de raccrocher, restant très vague et concis, ce qui ne lui ressemblait pas. Il avait d’ailleurs réalisé le même manège un peu plus tard, lorsque Jeremie était entré à son tour dans “notre” bureau. Quelques jours plus tard, il avait semblé très embarrassé à l’idée de ne pas pouvoir s’occuper lui-même d’un dossier à cause d’un rendez-vous. Après plusieurs instants de réflexion anxieuse, il avait fini par se résigner à le confier à son associé, tout en lui précisant bien de n’ouvrir le dossier sous aucun prétexte, de le garder en bonne main et de le redéposer dans son bureau, bien à l’abri au moment voulu. Il ne lui avait pas dit devant moi, bien sûr, plutôt dans l’entrebâillement de la porte du bureau de Maître Daas après s’être trituré les méninges à son propre bureau quelques minutes auparavant. J'avais eu tout le mal du monde à ne pas l’observer pour ne pas lui donner l’impression que j’étais attentive à son désarroi et lorsqu’il était sorti, j’avais fait mine de me lever pour aller me chercher un thé pour entendre la suite de la conversation.

Ma bonne étoile - du moins le pensais-je – avait fini par me donner la plus belle des occasions le jour du rendez-vous de Dorian. Je l’avais entendu parler avec son associé la veille qui devait se charger de récupérer le dossier et le remettre dans son bureau mais au moment où il avait voulu le faire, le jour même, il avait été appelé par la secrétaire au moment où il était entré dans notre bureau. Un de ses clients venait d’appeler, c’était urgent. A l’énonciation du nom de famille il avait posé le dossier sur le bureau avant de partir précipitamment. C’était ma chance, maintenant ou jamais. Je m’étais levée d’un bond, l’avait feuillé fébrilement à la recherche de quelque chose de croustillant, prenant des photos des différentes pages en hâte pour mieux les lire plus tard. Le soir-même, après le repas et ma douche, je m’étais posée sur mon lit et j’avais relu tout le dossier ou du moins ce que j’avais pu en voir. Beaucoup de choses avaient été barrées, certaines photos étaient mal prises et je savais que je n’aurai plus de chance de refaire des exemplaires : Jeremie était revenu ranger correctement le dossier et je n’avais désormais plus l’opportunité de m’en charger. Mais l’essentiel était là : des plans de bâtiments, des adresses et des listes et parmi elles, celle de l’étrange chalet abandonné où nous avions fait la fête. C’était ça, j’en étais persuadée, je la tenais ma preuve qui le ferait tomber. Alors au lendemain, j’avais prétexté un rendez-vous personnel à prendre pour un midi de la semaine et quand le jour était venu, j’étais partie avec un calepin et un stylo, à la recherche des informations que je cherchais avec tant d’ardeur.

L’édifice devant lequel je me trouvais me semblait neuf... et terriblement vide. La construction s’était sans aucun doute achevée il y avait à peine quelques semaines et les locaux n’étaient pas encore remplis. J’avais presque réprimé un frisson en entrant dans le hall pour constater que les réceptionnistes n’étaient pas encore présents, ni même la fin des meubles. J'avais la désagréable impression d’être entré dans un bâtiment fantomatique, un vaisseau abandonné, un vestige de la ville de Pripiat. Réprimant un frisson, je m’étais avancée courageusement jusqu’à trouver quelqu’un pourtant non loin de l’accueil. Après m’être présenté et avoir prétexté un exposé bidon pour l’école, on m’avait montré de la main une salle d’attente où on m’avait demandé de prendre place. Ce n’était qu’en passant le pas de la porte que je l’avais vu... mon sang se glaçant instantanément :

— Al... Miss Child? Que diable faites-vous ici ?

Erwin Dorian, qui avait été lui-même installé dans cette salle d’attente, s’était levé d’un bon en me voyant, visiblement surpris, tellement surpris qu’il avait manqué de m’appeler de mon prénom... ce qu’il ne faisait jamais... absolument jamais. Etrange donc peut-être qu’il ait eu ce réflexe à cet instant... J’étais pourtant tellement tétanisée par la peur, le cœur battant, que je n’y avais pas prêté attention, cherchant juste à reprendre mes excuses et à sortir le mensonge le plus convaincant possible. Sans m’en rendre compte, j’avais serré ma pochette contre ma poitrine, comme un bouclier imaginaire qui aurait le don de me protéger de son courou :

— Ben... euh... je... vous énervez pas mais... je venais chercher des infos... Pour mon rapport de stage, vous savez ?

J'avais soulevé ma pochette pour mieux lui montrer, prenant confiance dans ce que je racontais, ayant déjà prévu le bobard pour toute personne que j’allais rencontrer. Un bobard à moitié faux... et à moitié vrai, de ceux qui étaient plus difficile à déceler.

— Je suis toujours à la recherche de mon sujet et... quand j'ai aidé Maître Daas sur le dossier que vous lui aviez demandé - enfin j'ai pas fait grand chose hein, j'ai juste classé le truc pour lui - je me suis dit que ça pourrait être un bon sujet alors... je suis venue regarder si ça valait le coup avant de vous le proposer... je... et vous ? Qu'est-ce que vous faîtes là ?

Réalisant qu’il n’avait pas spécialement apporté un quelconque indice quant à sa visite ici, je n’avais pu m’empêcher de lui poser la question, ce qui n’avait pas eu le don de lui plaire. Il m’avait toisé de haut en bas, pointant le menton et répliquant d’un air sec qui laisser transparaître son mécontentement :

— Oh.... vraiment ? Maître Daas vous a permis de vous mêler de cette affaire ? Vous a renseigné sur ce projet ? Si cela vous parait être un bon sujet pour le rôle du notaire, sans savoir ce à quoi je peux bien servir, cela me semble être un démarrage pour le moins chaotique et paradoxal... Excusez-moi de vous le faire remarquer

Il plissa les yeux, un sourire froid mais je ne me laissais pas démonter pour autant. Sa remarque était de la pure mauvaise foi et je pouvais facilement y faire face... à commencer par un haussement d’épaules :

— Tout démarrage est toujours chaotique surtout quand il s'agit d'un projet de recherche pour lequel nous n'avons pas encore demandé d'aide, ce qui est mon cas, je pars donc du principe que ma démarche n'est pas pour autant vouée à l'échec. Quant à ma dernière question, je ne voulais pas dire “qu'est-ce qu'un notaire fait dans une telle affaire”, mais “qu'est-ce que vous, en tant qu'individu et notaire, faites ici à l'heure actuelle, à quelle étape du processus nous avons affaire ?” J'étais un peu surprise de vous voir puisque je n'avais pas souvenir que votre agenda spécifiait le rendez-vous mais puisque vous êtes là, je me suis dit que c'était une bonne occasion pour commencer mon sujet... sauf si ça vous ennuie profondément que je sois ici...

Et bam. J’avais bien souligné la dernière partie, tentant de le mettre en échec au plus vite. Pourtant, lui aussi semblé paré à notre joute verbale :

— Certes... Mais il est curieux de choisir pour thématique un sujet dont vous ne connaissez rien, n'est-ce pas ? Je doute réellement que Maître Daas ait pris le temps de vous instruire sur ce dossier, parce qu'il n'en n'est pas réellement informé. Je le traite directement et c'est pour ainsi dire... disons un projet d'envergure qui nécessite discrétion. Donc, à dire vrai, oui, je suis ennuyé de vous voir ici.

Il ricana puis reprit :

— Mais peu surpris, d'une certaine manière... J'aurais dû m'y attendre, vous apparaissez toujours à des endroits surprenants... Alors, je suppose que vous feriez mieux de demeurer...

Observant sa montre, il se rassit un peu théâtralement de la chaise dont il s’était levé d’un bond quelques minutes plus tôt, tapotant celle adjacente du bout des doigts :

— Vous avez des questions je présume ?

Je devais me l’avouer, j’étais quelque peu désarçonnée. Je m’étais attendue à ce qu’il vocifère, qu’il me chasse, qu’il tente le tout pour le tout pour me dissuader de rester, un peu comme il avait tenté de me faire plier en me voyant fouiller dans son bureau ou lorsqu’il m’avait vu dans le chalet. A la place, il semblait si calme, si enclin à m’aider une fois la surprise et l’amertume passée que je ne savais plus trop comment réagir. Restant silencieuse afin d’éviter de rajouter de l’huile sur le feu, je m’étais assise en l’observant, plaçant une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Sortant calmement une feuille blanche de ma pochette et un style de mon sac, je croisais les jambes et reportait mon attention sur lui :

— Oui... déjà la plus évidente... pourquoi ce projet a besoin d'une telle discrétion ? J'ai pu voir que plusieurs bâtiments de la ville qui était en rachat ou en abandon son relié à cette institution. C'est à ce moment que ça m'a semblé intéressant en soit... mais effectivement il n'y avait rien de plus alors je voulais voir ce qu'il en était, pourquoi c'est si secret, pourtant autant de rachat et de ramifications...

— Vous avez dû laisser votre imagination foisonnante élaborer de grandes hypothèses…

Il en avait ri, plus amicalement que moqueusement et j’avais bien été obligé de le concéder d’un signe de tête et d’une grimace sans pour autant en rajouter. Inutile de rajouter de l’huile sur le feu quant à mes raisons de le soupçonner, le fait que je m’avoue coupable était sans doute suffisant à la “complicité” étrange qui était en train de s’installer tandis qu’il ajoutait sur un ton de confidence :

— Chaque projet a droit à une discrétion, Miss Child. Nous sommes soumis au secret professionnel. Comme chaque médecin. Mais celui-ci l’est davantage qu’il est…politique. Puisque vous êtes là, savez-vous ce que signifie les lettres LPE?

Je secouais négativement la tête et il précisait, pédagogue :

— « Ligue Protectrice environnementale » Oui. C’est une association qui a pour but de conserver et lutter pour un environnement sain dans notre ville. Protéger la faune et la flore. Elle rachète certaines parties de la ville pour la protéger à ses frais… Tout le monde en ville n’y est pas forcément favorable…

Je l’avais écouté attentivement, prenant des notes, tentant de cacher au mieux ma surprise et l’effet que cette nouvelle faisait sur moi. Je l’avais imaginé dans beaucoup de choses avec ses vêtements hors de prix et sa voiture ultra polluante mais pas investit dans l’écologie... Pourtant, il avait l’air de se donner à fond sur ce projet, plus qu’un simple notaire le ferait sans doute avec un dossier, comme s’il était concerné. Fronçant les sourcils, je lui demandais :

— Qui ne pourrait pas être favorable à l’idée de protéger la faune et la flore ?! C'est insensé... Ma mère et la mairie sont au courant de ce projet ? Parce que si vous avez le soutien de la mairie, je vois pas ce qui pourrait vous arrêter...

C’était vrai. Regina avait toujours été maire de la ville. “D’aussi loin que les habitants s’en souvenaient” selon leurs propres dires. A croire que personne n’avait jamais eu la poigne ou le bagou suffisant pour tenter de lui tenir tête et que tout le monde se complaisait dans sa gestion comme s’il ne pouvait en exister de meilleure. Si c’était vraiment le cas, il suffisait d’avoir son aval et il n’y aurait plus rien eu à craindre... Observant mes notes, une nouvelle question me vint en tête :

— Mais pourquoi racheter des bâtiments ?! Si on veut protéger faune et flore, des parcelles de forêts et de champs ne seraient pas plus logiques ?

— Qui pourrait ne pas s'y intéresser? Miss, voyons, toute personne qui n'y trouve pas son intérêt.

Après un ricanement amer, il avait repris :

— Ainsi va le monde, Miss Child. Dans notre situation existe un lobby très fort pour les constructions de routes départementales qui voyaient ces propriétés avec un intérêt tout autre... Ce sont deux projets tenables menés par deux problématiques et enjeux totalement différents. Vous vous demandiez si votre mère était au courant de ce projet... Elle l'est. Et cela motive en partie la teneur secrète de ce projet. Militer pour l'environnement a beau être louable, ce n'est pas si aisé de s'en revendiquer pleinement sans risquer de se soumettre à des pressions plus conséquentes... Sans compter l'éventualité d'une défaite aux prochaines élections municipales face aux lobbys. D'où la carte de la prudence...

Après un bref instant, il précisa :

— Vous le devinez sans difficulté pourtant... Ce sont en majorité des propriétés situées dans la forêt, en lisière ou en ce qu'ils nomment ici "des points d'accueil ou de passage aux animaux". Le but est de les détruire le cas échéant ou de les restaurer en abris pour garde-forestier, reprendre la main sur cette partie de la ville pour une empreinte écologique durable. Je pourrais vous montrer les plans, si vous le souhaitez...

J’hochais la tête d’un air enthousiaste, avide d’en savoir plus et surtout avide de voir si tout ce qu’il me disait tenait la route. Le combat semblait si noble, si éloigné de lui et de l’idée que je m’en faisais que j’avais du mal à gober la pilule en entier. S’il voulait me convaincre, il allait me falloir des preuves :

— Oui je veux bien, s’il vous plaît !

J’hésitais un instant à poser ma question suivante. Il semblait si exalté que le fait d’être uniquement lié à ce sujet par son métier me semblait fou... et quoi qu’était la vérité, je devais déjà prouver qu’il y était véritablement et personnellement lié, sinon toutes mes éventuelles accusations tomberaient à l’eau :

— Vous êtes juste là pour être le notaire de ce projet ou vous y êtes impliqué plus personnellement ?

Sentant le danger s’immiscer, j’ajoutais précipitamment :

— Je dis ça parce que vous avez l’air foncièrement engagé quand vous en parlez... Vous semblez pas opposé à l’idée que j’en fasse mon rapport de stage puisque vous m’expliquez tout... pourtant vous dites que c’est top secret, c’est pas un risque de me laisser travailler sur ça ?

C’était bien là que se trouvait sans aucun doute le plus grand des paradoxes mais, une fois de plus, il semblait confiant, en terrain conquis. Souriant, il haussa un sourcil :

— Disons que je suis le notaire de ce projet... et que j'y prends part...

Après un court silence, il poursuivit, sans doute devant mon regard insistant :

— Oui. Cela vous surprend, n'est-ce pas ? Vous ne m'imaginiez pas m'en soucier ? Les autres ne sont pas ce qu'ils semblent être, Miss Child. En l'occurrence, oui je suis plus que très engagé dans ce projet environnemental. Préserver les trésors méconnus de Storybrooke... bien que cela soit...un sujet que je n'évoque très peu, il me tient à cœur.

Il haussa les épaules, laissant un nouveau silence entre nous avant de répondre à la seconde partie de mon raisonnement :

— Cela l'est. Après... vous rendrez en principe votre rapport après la clôture de l'ensemble des formalités, le risque reste plus minime. Mais il persiste malgré tout... Disons que je vous laisse le choix de le faire en connaissance de toutes les conséquences que cela peut impliquer. Vous êtes assez intelligente pour savoir si cela vaut le coup de prendre le risque et si vous êtes digne d'en limiter les actions néfastes.

Son sourire s’était fait plus gentil, c’était si étrange de le voir ainsi, si rare. Il m’en devenait presque sympathique, ses traits prenaient un côté plus “séduisant” que certaines en ville avaient pu remarquer d’après les discussions des soirées de gala mais que je n’avais jamais vraiment vu jusqu’alors, beaucoup trop rebutée par sa personnalité et son attitude. De mon côté, je n’avais rien laissé paraître, me contentant de l’écouter et d’enregistrer pour me faire mon opinion plus tard, risquant pourtant un léger tressautement de sourcils lorsqu’il m’avait qualifié d’ “intelligente”. C'était bien la première fois qu’il l’admettait, préférant le plus souvent voir en mois une bécasse stupide et immature. Après un léger silence, j’avais alors tranché dans le vif :

— Je peux voir les plans du coup ?

Posant ses mains sur ses propres cuisses pour donner une impulsion, il s’était levé :

—Et bien allons-y...

Il me passa devant et je me levais à mon tour pour le suivre. On tourna alors dans le premier couloir avant d’atteindre une porte à laquelle il frappa. Il attendit un signal de l’intérieur avant d’ouvrir la porte, m’invitant à entrer en première :

— Je vous en prie.

Il me suivit, saluant un homme qui était en train de classer ce qui semblait être des dossiers sur un ordinateur. L’homme avait l’air sympathique, avec des cheveux clairsemés et des pâtes d’oie au bord des yeux qui le rendaient plus souriant qu’il ne l’était en réalité.

— Bonjour Bob... Je ne fais que passer, ne vous dérangez pas pour moi. Je vous présente Alexis, elle s'intéresse à notre action !

— Salut!! Sympa de voir que la jeunesse s'intéresse au projet !

Il me salua d’un geste de la main que je lui rendis avec un sourire gêné mais rapidement, il se remit à taper sur son clavier. Le reste de la salle semblait encore en travaux. Des tables étaient collées les unes aux autres pour former un U et sur le mur, des plans de la ville s’étalaient, en particulier ceux qui représentaient les territoires boisés. Il y avait aussi quelques habitations, des zones précisées en vert, des croix rouges ou vertes en fonction des propriété, un peu à la manière d’un plan de police.

— Voici votre bonheur... Enfin je l'espère.

Il tapota un point sur le plan en précisant :

— Nous sommes ici pour vous aider à vous repérer et notre action s'étend d'ici...jusqu'ici...

Il désigna une longue ligne violette sur le plan avant d’ajouter :

— Si vous avez des questions en soit nous avons le temps il y a une machine à café une bouilloire pour le thé et une réunion dans vingt minutes qui m’attends sur les oiseaux migrateurs auxquels vous pouvez assister si vous le désirez… Bob finit le diaporama je présume…

De son ordinateur, Bob leva le pouce :

— Il est presque terminé patron, c’est les derniers ajustements !

Dorian eu un sourire, un peu lointain pourtant que je ne parvenais pas à identifier. Il restait tout de même chaleureux, attendant ma réponse.

— Euh oui, je veux bien, avec plaisir... c'est intéressant je trouve... enfin sauf si vous voulez que je retourne au bureau ? Parce que ma pause est bientôt finie en soit...

— Si je vous le propose c’est que cela ne me dérange pas. Prévenez juste mon associé de votre absence avec mon accord, qu’il ne s’inquiète pas sottement de votre surprenante subite disparition.

Il avait ri doucement et j’avais hoché la tête avec un sourire. Après avoir appelé l’office pour prévenir, comme me l’avait demandé le notaire, nous nous étions attablés. J’avais demandé un thé et nous avions passé encore plusieurs minutes, peut-être même quelques heures à parler du projet. Bob m’avait montré son powerpoint, j’avais pu poser plusieurs questions, prendre quelques photos et j’avais également pris des tonnes de note. Si cette histoire de rapport de stage était une couverture bidon au début de ma pause déjeuner, j’avais commencé à me dire à mesure que le temps passait que cela pouvait réellement devenir un sujet de rapport. J'étais même plutôt chanceuse en réalité de travailler sur un sujet aussi brûlant et passionnant. Si les minutes s’égrainaient, ma confiance elle grandissait petit à petit et je commençais sérieusement à revoir ma position sur Dorian. Peut-être que j’avais vu tout faux ? Peut-être que son attitude générale qui m’horripilait avait fini de me mettre de mauvaises idées et une mauvaise vision du bougre. Après tout, on ne pouvait pas toujours juger le livre par sa couverture, même si j’avais généralement une bonne analyse des gens. Il était peut-être mon exception qui confirmait la règle... Et lorsque nous étions sortis de là, je m’étais même surprise à un peu plus apprécier sa compagnie, et un peu plus respecter le personnage qu’il était.



    Deux jours plus tard, sortie de bureau


— Miss Child... Jérémie et moi discutions du séminaire d'analyse patrimoniale qui se tient la semaine prochaine... Vous m'aviez remis l'invitation... Bien évidemment, il va de soi que les théories analysées au cours de la journée ne vous passionneront pas, mais il y a ensuite une soirée qui rejoint les codes bourgeois en tout genre. Si vous souhaitez vous en dispensez, vous en êtes libre... Cependant... Maître Daas et moi-même songions que, compte-tenu de votre investissement, vous pourriez être des nôtres.

Je m’étais stoppé dans l’encadrement de la porte du bureau, complétement choquée par ses paroles. Me retournant lentement, je l’avais observé, toujours assis à son bureau. Il semblait parfaitement sincère. Pourquoi avait-il attendu la fin de la journée pour me dire cela ? Je n’en avais aucune idée, mais l’idée même qu’il me propose un tel évènement avait occulté tout le reste. Cela faisait déjà plusieurs semaines qu’il en parlait avec Jeremie, ils avaient une présentation à y faire, beaucoup de “networking” en perspective et quelques informations à prendre des différentes interventions. A croire qu’ils s’apprêtaient à aller aux Oscars. Pourtant, il ne m’était jamais venue à l’idée qu’ils puissent proposer à la stagiaire plus que temporaire de les accompagner. Surtout avec tout le mal que Dorian semblait penser de moi et pourtant... toujours sonnée, j’avais bredouillé :

— Euh...

C’était pas que j’avais pas envie d’y aller, bien au contraire même. Le notariat n’était sans doute pas mon métier de rêve mais chaque jour à l’office m’avait fait découvrir des facettes qui l’avaient rendu intéressant à mes yeux et je m’étais dit à plusieurs reprises que ce genre d’évenement devait être plutôt cool à vivre une fois. Mais voir qu’il plaçait en cet instant suffisamment de confiance en moi et en mon attitude pour me permettre d’y aller me toucher profondément. Moi qui avait souvent l’impression d’être vue comme un déchet de la société et qui avait l’impression de trouver ma place nulle part... on me donnait enfin ma chance. C’était fou... complétement fou... si fou que j’avais eu un pouffement de rire nerveux :

— Euh oui, ok ! Enfin... oui je veux bien venir, il faut que je prévienne ma mère mais...

J’hésitais un instant avant de cracher le morceau :

— Avec plaisir

J’avais presque l’impression de me retrouver nue devant lui, gênée de lui montrer autant de mes sentiments tout en tentant de les cacher, de ne pas montrer à quel point la proposition me faisait plaisir et me rendait – chose rare - fière de moi.

— Merveilleux.

Il était bien plus jovial depuis notre entrevue dans les locaux de la LEP, bien que toujours aussi guindé :

— Prévenez donc votre mère. Elle est somme toute déjà informée, de par ses responsabilités, de l'existence de cette soirée... Et invitée, même si le doute subsiste quant à sa présence.

Il eut un nouveau sourire, de circonstance cette fois, avant de préciser :

— Je pense qu'elle vous donnera son approbation...et une tenue appropriée pour l'événement si vous n'en possédez pas.

Après un dernier instant d’hésitation et complétement noyée dans le flot de mes émotions, j’avais lancé maladroitement :

— Merci... pour l'invitation... Je... A demain ?

Il me dévisagea un instant. Je n’avais même pas relevé sur la tenue ou sur rien d’autre d’ailleurs, complétement sonnée. Il nota quelques lignes sur son carnet de compte avant de se stoper et de préciser :

— Je vous en prie... C'est tout naturel...

Il eut un geste de la main gracieux avant de conclure :

— Oui... Vous pouvez y aller, vous avez terminé votre journée après tout...

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Erwin Dorian
« If the crown should fit, then how can I refuse? »

Erwin Dorian

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(Alexis pense-t-elle qu'il est parti trop loin? Sûrement! On approuve)

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________________________________________ 2023-08-05, 23:29 « If the crown should fit, then how can I refuse? »




Une dette à payer



Ce jour-là Maître Dorian s’était regardé plus que de raison dans le miroir, rectifiant une énième fois la tenue qu’il avait choisi de porter. Il avait déposé avec un agacement non feint la broche qui seyait jusqu’alors à son veston, puis, pris d’une illumination soudaine en avait épinglé une autre, un très joli lys royal. Oui, cela rendait mieux encore. Il ne voulait pas faire la moindre fausse note au séminaire d’analyse patrimoniale, le SAP comme l’appelaient les habitués. N’était-ce pas un événement qui allait constituer l’apothéose de sa vie professionnelle ? Jamais il n’avait pu espérer en obtenir tant… Si bien qu’il répétait avec une joie toute flamboyante, le petit discours qu’il avait préparé à l’intention de tous, tout en jaugeant sa tenue dans le miroir. Après une dernière rectification à sa coiffure, il avait serré le poing en destination de l’image, dans un dernier sursaut d’auto-encouragement, puis avait quitté la pièce.
Avant de partir, il avait salué son épouse, occupée à lire une revue, les jambes repliées dans le canapé et s’était rasséréné des compliments qu’elle avait porté à sa tenue et son maintien. En tant que fille d’un doyen d’université et opticienne chercheuse, elle avait été habituée aux colloques et séminaires qui suivaient la vie des universités, suffisamment pour être capable de déceler là où une fausse note était susceptible de se glisser. Erwin n’en faisait que peu, mais à l’aube d’un moment aussi historique, il préférait mettre toutes les chances de son côté.
Ce qui ne l’avait pas empêché de tripoter nerveusement l’encolure de sa chemise, en patientant devant la porte de son ami, jusqu’à ce que la silhouette de Jérémie apparaisse sur le perron. A peine ce dernier engouffré dans la voiture, que le moteur vrombit, un peu trop fort peut-être la faute à cette pédale d’accélérateur appuyée trop fortement, avant que le véhicule ne prenne la direction de la salle des congrès. C’était bien admirable à Madame le Maire que de prêter ses locaux pour organiser un tel séminaire. Quoique Erwin ne se fasse aucune illusion quant à la raison pour laquelle, Regina Mills avait souhaité s’y associer. Madame le Maire avait le sens des affaires. Tout du moins, il se félicitait souvent d’avoir réussi à frayer avec un si gros poisson. Au moins, ses finances s’en portaient bien. Que demander de plus ? Elle lui offrait une visibilité monstre et lui permettait de fructifier ses petits business sans en demander davantage qu’une part de bénéfices. Parfois, il lui rendait quelques services. Erwin ignorait si cela suffisait pour affirmer que Regina Mills compta parmi ses alliés. Il supposait que non. S’il se trouvait homme d’affaires, la maire de Storybrooke lui faisait l’effet d’un requin aux dents acérés qu’il préférait trouver loin de son sillage sur le long terme. Quant à sa présence en ces lieux, si cette dernière avait longuement laissé plané le doute, cela avait été par l’intermédiaire indirecte d’Alexis que l’information s’était finalement révélée. Après avoir proposé de venir chercher directement la jeune femme à son domicile, cette dernière déclina précisant que sa mère comptait bien à ce qu’elles s’y rendent ensemble. Erwin n’avait pas insisté. Il lui semblait à présent que de toute manière, cela était un mal pour un bien. La présence d’une petite babelle cynique lors d’un trajet si important ne lui semblait pas des plus appréciables. Il ne pouvait, cependant, pas nier que leurs relations s’étaient grandement améliorées depuis la petite mise en scène élaborée, spécialement à son intention… Il avait dissipé une grande partie de ses doutes, ce qui avait apaisé son caractère fureteur. Un coup de génie ! Modestement. User de la confiance qu’elle accordait à Midas aidait les choses. Il n’avait eu qu’à feindre la gêne sur certains sujets, bafouiller, solliciter un service puis battre retraite, pour finalement l’accorder à son associé, alors qu’elle se trouvait dans les parages. Ensuite, il suffisait que ce dernier s’arrangea pour les lui laisser à disposition de manière suffisamment subtile pour qu’elle ne puisse l’en inquiéter même si elle venait à découvrir quoique ce soit. Jérémie n’était qu’un exécutant. Il l’avait seulement chargé d’une tâche, si bénigne qu’elle ne pouvait pas soupçonner sa complicité. Une fois, la jeune proie mise en présence de l’appât, il avait attendu qu’elle morde à l’hameçon… Ce qu’elle n’avait pas tardé à faire avec l’insouciance crâne de sa jeunesse et sa capacité à le sous-estimer… Alors, l’hameçon l’avait guidé là, où il le fallait, à l’heure qu’il le désirait. Dans cet immense bâtiment où il avait mis en scène, sa couverture publique...L’entreprise « LEP ». Elle n’était pas encore opérationnelle lorsqu’Alexis y avait posé les pieds, mais qu’importait, cette vaste fumisterie fonctionnait. Au moins, avait-elle bénéficié de l’avant-première secrète de ce petit manège… Oh, il l’avait vu plonger progressivement dans le piège… Depuis, elle lui prêtait une âme d’écologiste réservé mais ô combien militant. Un Homme de Bien, n’en déplaise à ses allures avares et pince sans rire… Il se retenait de pouffer lorsqu’il y songeait, presque, s’il en rajoutait deux mois à son stage, pouvait-il devenir un modèle à atteindre….
Il l’aperçu justement, dépassant les premiers attroupements qui se massaient non loin des sièges du colloque. Ou plutôt, l’a devina à la présence de Regina à ses côtés. Il devait le reconnaître, lorsque la fille de la maire mettait de côtés ses guêtres punk, qu’elle n’avait plus porté depuis des lustres, au travail, elle endossait avec une certaine aisance une apparence de jeune fille de bonne famille. Qu’elle était d’une certaine manière…. Par adoption. Non sans avoir salué Regina, avec enthousiasme et remerciements, il se tourna vers sa stagiaire, un sourire aimable et distant sur le visage :
— « Miss Chiiiild… Je vois que vous avez pris l’invitation au sérieux » son regard engloba l’entièreté de sa silhouette, jaugeant sa tenue avec une fine circonspection.
C’était… sobre. Presque étonnement sobre. Oh, il ne pouvait pas le nier, la jeune femme avait su mettre de côté une majeure partie des pires pièces de son dressing pour apparaître présentable et soignée au cours de son temps de stage. Si une attitude rebelle transparaissait parfois, au-delà de ses vêtements, il ne pouvait pas nier que Regina avait su lui constituer une garde-robe adéquate. Cette robe ne présentait donc pas une transformation digne des plus grandes contes de fées… Mais, elle demeurait néanmoins appréciable. De part sa longueur sage, sa coupe sérieuse et son tissu élégant, elle savait donner à la jeune fille une allure notable. Elle se fondait dans le paysage, nonobstant cette couleur blanche assez immaculée qui attirait vers elle, une certaine dose d’attention presque mimétique.
Elle avait eu un sourire, assez léger, peut-être crispé malgré elle pour une obscure raison… pourtant, se dégageait d’elle une joie sincère. Elle était heureuse d’être là et s’était même empressé de le verbaliser, en hochant la tête :
— « Je prends toujours une invitation au sérieux, Maître Dorian ».
Sa réponse, elle-même, était parfaite et policée. Elle semblait apaisée. Et ce changement n’était pas du à Regina, qui s’était davantage tourné vers l’interlocuteur avec lequel elle échangeait, pour laisser de la place à sa fille. Comme pour souligner davantage ce subit adoucissement, elle avait joint ses cheveux en un chignon souple, dégageant sa nuque. Elle lui paraissait presque plus vulnérable, tel une biche adoucie… Quand bien même ce n’était que tout au plus qu’une petite belette, prompte et vive. Étonnamment, cela l’agaça…. La tension qui régnait dans ses nerfs à l’entrée de la salle s’accrut encore, et fit porter son regard au-delà de la jeune fille et ses habits trompeurs.
— « J’ignore où vous comptiez vous placer, Miss, mais en tant qu’employée, votre place réservée vous attend… Avec nous, bien sûr... » il lui avait désigné d’un index précieux, les rangées se dessinant au premier rang.
Cela l’embêterait peut-être. Mais ce n’était que la suite logique de son stage, après tout. Au moins s’il lui prenait l’envie de s’endormir en plein milieu de ce vénérable colloque, personne ne pourrait se retourner par inadvertance et l’y découvrir… Voilà ce qu’il avait eu envie d’ajouter, ironiquement mais avait retint, alors qu’elle s’exclamait déjà :
— «"Oh... Je serai ravie de vous rejoindre... merci."
Elle en avait l’air...heureuse. Cela ne lui était pas directement destiné, elle englobait Midas, également vraisemblablement mais il ne pouvait pas nier qu’elle semblait vraisemblablement heureuse d’avoir l’opportunité d’assister à cette réunion… En définitive, pourquoi l’avait-il invitée ? Par volonté d’attendrir une nouvelle fois ses soupçons…même s’il aurait pu s’en passer. Elle avait déjà bien abaissé sa garde et leurs relations étaient devenues plus cordiales… Sa présence ici était dispensable…qui plus est dans un tel moment pour sa propre carrière. Il faudrait bientôt parler. Tout s’agitait en lui, et s’il jetait ne serait-ce qu’un coup d’oeil à Midas, il saurait qu’il rencontrerait chez lui une angoisse bien plus conséquente. Pour autant, il se trouvait parcouru d’un sentiment étrange...fracturé.
— « Je vous en prie, voyons c’est tout naturel…. » avait-il néanmoins répondu aimablement avant de baisser le regard vers son sac à main «  Avez-vous songé à ramener de quoi écrire ? Il est de bon ton de prendre des notes, ou du moins d’en donner l’impression »
— « J’ai toujours de quoi écrire sur moi » précisa-t-elle, en hochant la tête d’un air entendu, tout en désignant son sac à main. Un sourire en coin se dessina au creux de sa fossette « A croire que vous me découvrez pour la première fois ».
C’était vrai. Elle avait toujours veillé à prendre des notes à chaque consigne donnée et était bien plus studieuse qu’il ne le lui reprochait aujourd'hui. Pourquoi ? Il ne le savait pas… Peut-être était-ce un besoin de la réprimander pour quelque chose qu’elle n’omettait jamais, mais cette pensée venait de le transpercer. Il devait s’assurer qu’elle feigne au moins de s’intéresser à ce qui serait dit… Parce que tout ceci était des plus sérieux et qu’il voulait que chacun soit à la hauteur de l’évènement… ? Pourquoi diantre pensait-elle qu’il pouvait la découvrir pour la première fois ? Parce qu’elle portait une robe un peu plus chic que la moyenne ? C’était ridicule !
Ce fut sûrement la raison qui le poussa à répliquer, bien plus promptement qu’ordinairement :
— «Ne soyez pas ridicule ! » il le siffla, ses yeux dorés lançant des éclairs avant qu’il ne se pondère « Je suis juste prudent quant à la promptitude irraisonnée qu’à la jeunesse à assimiler le moindre événement en « simple divertissement». Et il s’agit d’un événement important. Je ne tiens pas à ce que cela échappe à qui que ce soit, et je voulais m’assurer que cela soit clair pour vous. Après tout, vous êtes MA stagiaire.  » Les mots claquèrent, vifs incisifs, hautains. Puis, il se reprit, réadoptant son habituel ton guindé. Il inspira. «Mais si vous êtes lucide, grand bien vous fasse » ajouta-t-il laconiquement, en portant son regard au-delà de la tête soignée de Miss Child… Les places restaient vides, mais le reste de la pièce se remplissait à vue d’œil de personnalités d’importance, sobres et austères. Il jaugea l’écart entre l’emplacement où il se trouvait à présent jusqu’à celui qui lui était réservé et reporta son attention sur Alexis « Y allons non ? »
Il trépignait déjà, presque, tout pressé de s'y rendre. De monter sur scène. Une part de lui y allait avec la crainte et la religiosité d'un moment unique, son Apogée. Une autre part de lui hurlait de s'y rendre. Mais cette part là ne s'y arrêtait pas, elle voulait cela, elle l'exigeait... Ce n'était qu'une goutte dans l'océan. C'était cette part là qui l'avait soudainement dominé, qui s'était emporté contre l'attitude de la stagiaire. Il l’avait surprise, il pouvait le voir. Elle avait haussé les sourcils dès son changement de ton. Sans crainte en revanche. Ce qui ne l’agaça pas pour autant. Il était normal que la crainte se soit évaporée à présent qu’il pensait
— « Sauf votre respect, je ne pense pas avoir fait une seule action qui vous aurez permis jusqu’à présent de vous faire penser que je vois cela comme un divertissement, je vous ai juste fait remarquer que comme à mon habitude j’ai de quoi noté donc on va se calmer je pense pour le bien être de tout un chacun. Et en tant que Stagiaire dans une étude notariale, je retiens notamment de mon expérience que les mots sont importants alors je me permettrais de vous corriger. Je ne suis pas VÔTRE Stagiaire, je suis la stagiaire de l’étude. Pour certain ce serait uniquement un imbu de langage mais je connais aussi votre propension à vous approprier ce que bon vous semble sous prétexte que vous êtes l’un des associés de cette étude. Merci donc à votre tour de rester lucide sur ce point. Maintenant que ce point est clair, nous pouvons y aller oui.»
Si elle avait tout débité d’un ton calme et posé, assez surprenant quant à sa nature habituelle, il n’en changeait pas moins qu’elle se rebiffait un peu trop à son goût. Enfin, sa nature rebelle n’était guère une surprise, elle avait toujours été revêche, à ses yeux… Mais… Il ne savait pas… Avait-il été exagérément possessif ? Bien sûr qu’elle était une stagiaire de cette étude, mais cette étude était la Sienne. Et celle de Jérémie bien évidement… C'était donc Son étude, donc Sa stagiaire. Et avait-il le temps de penser à tout ceci ? Non. Des choses importantes étaient sur le point d'arriver.... Devait-il s'y attarder?
— « Certes…. Certes…» sa main chassa des mouches imaginaires nerveusement.
Une part de lui, étrangère, tempêtait en lui. Mais son calme demeura, tel un filtre sur une vitre. Elle argumentait bien et n’avait pas tort, il avait été un peu trop agressif à son encontre, sans la moindre raison, lui d’ordinaire d’humeur si égale. Et puis, il convenait de garder leurs relations apaisées, il avait œuvré dans ce sens, après tout. Cela ne servait à rien de se décharger contre elle. Il n’avait rien à lui reprocher depuis longtemps, pourquoi s’entêter à vouloir le faire aujourd'hui ?
Il se força à avaler sa salive, pour temporiser d’une voix davantage douce et mesurée.
– « Voyez cela comme de la prévention généralisée, laquelle était un peu gratuite certes compte-tenu de votre assiduité, je le reconnais. N’en soyez pas offusquée… Gagnons nos places après tout .. Je… ? » il avait scruté subitement sa montre, retenant un soupir d’agacement lorsqu’il constata que les aiguilles s’étaient visiblement stoppées « Maudite pile... » grimaça-t-il, les yeux furieux « Pourriez-vous avoir l’obligeance de me donner l’heure, Miss Child ? Je ne voudrais pas manquer le début... »
Il ne comprenait pas, il aurait juré avoir changé les piles, il y a peu. Hier ? Ou peut-être… Il ne savait plus. Alexis, visiblement apaisé avait hoché la tête d’un air entendu, avant de scruter sa propre montre avec une sorte de… était-ce une lassitude ? Cela était passé si vite, si fugacement. Peut-être une pensée l’avait contrariée… Ou peut-être était-elle encore fâchée contre lui et se retenait de lui tordre le cou.
— « Il est 18h25 ».
— « Oh. Bien sûr. Merci à vous ».
Il opinait déjà de la tête, saluant d’une main aimable une de ses voisines. Elle habitait à trois ruelles de sa propre demeure et appréciait promener son chien à la tombée de la nuit,… Ou peut-être était-ce lui qui la promenait. Puis s’était empressé de rejoindre sa place, dans la foule.
— «Mettez-vous ici...Miss. »
Il l’avait invitée à s’asseoir dans l’un des emplacements réservés mais avait gardé un siège entre eux pour Jérémie. Elle préférerait le savoir entre eux et il préférait aussi.
Son associé n’avait pas tardé à les rejoindre, saluant Alexis d’une poignée de main, amicale, commentant sa tenue dans un compliment excessif qui fit pincer les lèvres à son associé, puis se lança dans un commentaire dithyrambique sur la manière dont il allait assurer ce soir. Oui. Oui n’était-ce pas d’une évidence ? Bien sûr…
— « Je pensais évoquer la filiation, mais… je suis confus dans certaines dates et nouveautés. Je verrais bien, j’ai pris quelques notes… » repoussant le bord de son costume, Jérémie révéla une petite masse de feuilles cartonnées trônant dans son veston « Cette fois-ci les anti-sèches sont autorisées ! Même si toi tu n’en n’as jamais eu besoin. Il était impressionnant à la fac, tu sais ?…  » commenta-t-il en direction de Miss Child sur un ton de commère de quartier. Cette propension à la tutoyer lui donnait une allure de copinage de bac à sable… il ne doutait pas que Jérémie apprécia sincèrement la jeune fille. Pitoyable. Quant à lui… Oh, qu’est-ce qu’il pouvait se poluer l’esprit avec des interrogations sans fondement ! Qu’est-ce que cela pouvait lui faire s’il appréciait ou non cette petite péronnelle ? Qui donc aurait souhaité le savoir ? «  Tu peux facilement de l’imaginer ! Se tenant devant nous et répondant avec une tranquillité effrayante à toutes les notions qu’on ne maîtrisait pas ! Pas vrai, Erwin ?  Erwin a toujours été un excellent orateur… Je pense que tu as déjà déjà pu, le remarquer d’ailleurs, hein ?
L’œil narquois, Erwin avait tourné son visage d’un quart de tour vers le visage de la jeune femme, rien que pour saisir son désarroi. Son opinion quant à ses qualités oratoires ne pouvait être négative : il était objectivement un excellent orateur, il le savait, elle aussi. Cependant, il était clair qu’elle ne tenait pas encore à le complimenter d’une façon ou d’une autre, encore moins en sa présence, quand bien même leurs relations s’étaient apaisées. Tout comme elle n’aurait pas le culot de le vexer publiquement en niant l’évidence… Non… Alors quelle serait sa réponse ?
Le regard de la jeune fille avait dévié de celui de Jérémie pour venir vers lui, à la recherche d’une inspiration. Avait croisé le sien … Il avait lu presque la question dans ses yeux… Mais déjà, elle se dérobait, déroutée de croiser son regard, et de le sentir perdurer sur elle.
Elle n’appréciait pas le fait qu’il la regarde… Il avait continué.
— « Dans tous les cas, il va avoir grandement l’occasion de le redémontrer ce soir » finit-elle par articuler
Un sourire confiant avait envahi ses lèvres. Et cela fut tout. Elle ne pouvait sortir plus, il le voyait bien. En retour, un sourire ironique avait envahi les lèvres du notaire, alors qu’un petit rire amusé s’en échappait :
— « D’ailleurs, c’est à présent… Perfect timing, isn’t, Miss?  »
Il s’était levé, presque galvanisé alors que les lumières de la salle s’éteignait. C’était SON moment. Et quelque part en lui, une part du stress avait semblé se ratatiner dans les entrailles de son être. Il était monté sur scène. Quelque chose s’était mu en lui, quelque chose qui ne demandait qu’à exploser…
Et les choses s’étaient déroulées si naturellement… Le colloque avait été impressionnant, technique et vivant malgré tout. Un moment de partage et d’analyse juridique où chacun des participants avaient pu intervenir selon leurs interrogations respectives. Jérémie s’en était bien tiré, il parvenait même à feindre une certaine décontraction, quand bien même ses mains demeuraient nerveuses lorsqu’il disposait ses notes. Erwin quant à lui avait mené la séance qui lui était réservée de main de maître et avec une assurance maîtrisée. Il pouvait affirmer qu’il a monopolisé l’attention, la puissance,.
En définitive, tout était passé si spontanément, si aisément. Il ne prit conscience de la fin de tout cela lorsqu’il eut descendu les marches qui menaient à la scène et que les autres vinrent le saluer. C’était son Oscar, son apothéose. Et étonnement, il passait de tout à chacun avec une impression de flottement. Prenait les remerciements de tous, comme une gourmandise nouvelle, une vivacité qu’il connaissait d’ordinaire mais trouvait un sens différent aujourd'hui. Sens qu’il n’arrivait pas à définir… Etait-ce cela l’apogée ?
Après quelques mots échangés avec Regina, qu’il avait, à nouveau grandement remerciée pour être intervenue et avoir permis l’organisation de ce colloque, il avait cherché Midas des yeux le trouvant non loin d’Alexis et en pleine discussion avec un de ses clients réguliers. Ils semblaient rire ensemble, tout en échangeant quelques mots où se mêlaient professionnel, analyse et loisir. Ce n’était en rien un événement mondain à part entière, davantage une réunion privée de professionnels mais cela n’en demeurait pas moins appréciable. Elle avait l’air de profiter de la soirée. Fort bien.
Après quelques mots encore pour les invités, Erwin avait pris congés puis lambiné vers le buffet à la recherche d’une appréciable coupe de champagne. S’était cependant attardé sur les petits fours, avant d’y être interrompu par un agent immobilier un bref instant. Les échos de voix se mêlaient, couvertes en partie par le bruit d’une musique de fond, qui rendait le tout, quelque peu indiscernable. D’une certaine manière, Erwin s’en moquait, il n’écoutait personne, se sentait juste pleinement lui… et incomplet. Il y avait quelque chose, depuis qu’il était arrivé à ce colloque. Ce sentiment...
Tournant la tête, il vit Midas rire aux éclats quelques mètres plus loin avec Maître April King, une avocate assez réputée de la ville. Et Miss Child se frayer un chemin jusqu’au buffet, non sans engloutir rapidement un petit four qu’elle savoura avec un délice manifeste. Amusé par cette vision, il se rapprocha de la jeune fille.
— « Vous appréciez le buffet ? » interrogea-t-il un sourire ironique ne faisait pas de mystère sur la réponse à trouver « Je vous ai vu lorgner sur celui-ci… C’est un délice, vous pouvez y aller sans crainte. Le saumon est excellent ».
Elle avait du le voir arriver, puisqu’elle ne manifesta aucune surprise à le voir se glisser derrière elle. Ce qui était en définitive, peu surprenant, s’il laissait au placard ses souvenirs où il la prenait la main dans le sac… Aujourd’hui, les choses étaient différentes et s’il appréciait l’espèce de cruel frisson qu’un surgissement impromptu pouvait causer par surprise, il était évident qu’elle ne pouvait s’en émouvoir, puisqu’il était la star de cette soirée. Elle se retournait déjà vers, hochant la tete d’un air confiant. 
– « Oui c’est très bon. Vous avez donc vu que je n’ai pas fait QUE lorgner sur le buffet aussi ».
Il aurait pu répliquer promptement qu’il n’avait pas fait que l’observer non plus… Mais avait senti une pointe de tension dans son ton. Elle agissait sur la défensive et si elle ne cherchait pas à le piquer, elle estimait l’inverse ne faire que lui rendre ce qu’elle estimait avoir subi et qu’elle croyait déceler dans son attitude. Il l’avait vexée plus que de mesure lorsqu’il s’était emporté tout à l’heure. Alors renfermait-elle, presque sûre de se voir accusée de pique-assiette.
Il s’était donc tu. Ajouter quoique ce soit n’aurait servi à rien qu’à attiser les braises d’une colère qui n’aurait été en rien appréciable. Qui plus est, il n’avait pas cherché à attiser sa colère, non. Après tout, Miss Child faisait tout à fait ce que l’on attendait d’elle ce soir et même plus. Elle avait écouté la présentation, pris des notes avec une attention concentrée, et avait même osé bavarder avec quelques clients. Quelques temps auparavant une telle vision l’aurait remplie d’horreur et il se serait hâté de venir interrompre la discussion avant qu’une infamie ne puisse être commise. A présent, le pire était derrière lui. Il devait, aussi, admettre qu’elle n’avait jamais présenté aussi de visage désagréable ou désabusé à la face des clients. S’il l’avait pensée apte à lancer des rumeurs sur son compte, le premier jour, il avait vite vu qu’elle s’imposait une moralité qu’elle se gardait de franchir. Elle respectait sa vie professionnelle. Etait restée cordiale sans jamais porter préjudice à son entreprise. Oui, à présent, il la savait sérieuse et anesthésiée. Non dépourvue d’épines cependant.
Les yeux bleus de la jeune fille s’étaient déposé sur le poisson lorsqu’il l’avait évoqué.
— « Merci du conseil. Pour le saumon je veux dire. Mais je m'abstiens généralement de manger des fruits de mer en buffet..."
Un léger sourire, sympathique s’était dessiné, venant relever ses lèvres. Elle n’en demeurait pas moins sur la réserve. Dans une politesse de façade.
Il avait choisi de ne pas rebondir sur le fond de sa première remarque, en profitant davantage pour susurrer :
— « Je vous ai vu ne pas perdre une miette de mon élocution, je l’avoue »
Un éclair mesquin passa dans son regard alors que ses dents se découvraient un peu. Ce n’était même pas un mensonge. Il était arrivé que son regard tombe sur elle lors de sa prise de parole et à chaque fois et avait surpris son visage suspendu à ses paroles. Il avait songé, alors, qu’il était un excellent orateur. Cela il n’en doutait guère pourtant, mais cette vérité l’avait transporté au-delà de son présent. Il était un excellent orateur. Pourquoi diantre n’avait-il pas envisagé une carrière dans la politique ? Bien sûr il avait toujours apprécié obtenir du pouvoir dans l’ombre, mais… Mais… Mais…
Son attention avait été comme ramené sur le saumon. Oui, il pouvait comprendre sa répulsion à tater du poisson en dehors de ce qu’elle pouvait contrôler elle-même. Il devait admettre qu’il s’appliquait la même rigueur. Un refus d’assimiler en lui un met risquant de lui provoquer une intoxication alimentaire ou pire. Aussi, il fuyait ordinairement tout ce qui pouvait y ressembler dans les étales des soirées mondaines où il n’appréciait pas grandement le talent culinaire de l’hôte. Ne touchait pas d’un iota ceux proposés par Miss Pardle, mais ne refusait jamais en revanche ceux servis par son ami Aloysius Black, le psychiatre le plus gastronomique de toute la ville.
— « Il faut faire une exception, cette fois, alors. » ajouta-t-il enfin, sur un ton de confidence appuyée « Je fais toujours de même, mais ayant particulièrement oeuvré pour l’organisation de cette soirée, je peux vous assurer qu’il est très frais » Un sourire amical similaire à celui qu’arborait à cet instant la jeune femme se dessina sur son visage « Qu’en avez-vous pensé, finalement ? Conforme à ce que vous attendiez ? Décevant ou appréciable ? »
Il n’avait pu s’empêcher, de quitter ces intérêts moindres de repas et d’estomac pour lui poser la question. Après tout, c’était une Grande Première pour elle. Les sujets n’avaient pas été évident et il allait de soit qu’il lui faudrait sûrement rediscuter de quelques thèmes si elle souhaitait les reprendre dans son rapport. Cependant au-delà, elle était restée attention et rigoureuse. Et puis au-delà de cela, son égo s’impatientait déjà de savoir ce qu’elle avait pensé de SA prestation. Après tout, son cher ami Jérémie l’avait vendu avant sa prestation et elle avait botté en touche. Elle le referait là, on ne se refaisait pas et il la connaissait, suffisamment sur la réserve, suffisamment pudique pour ne pas s’y livrer. Mais qu’importait, il voulait savoir.
Déjà, elle avait levé les yeux au ciel, avec un sourire en coin qui trahissait qu’une part d’elle-même s’en trouvait amusée, même si l’autre avait vraisemblablement envie de l’étrangler, à l’instant où il avait évoqué sa concentration à son égard  :
— « C’est pour çaaaa que vous avez bafouillé à un moment, n'est-ce pas ? Vous étiez tellement focalisé sur le fait que je vous observais que vous en avez perdu votre latin…"
Un sourire plus grand avait envahi son visage, amusé. Elle n’y croyait pas, devina-t-il, c’était juste histoire de lui rendre le coup. De le déstabiliser. Mais au moins, une dose de sa retenue tirée de l’histoire du carnet semblait s’être évaporée.
Il s’était borné à ricaner, tranquille, sur un octave plus aiguë qu’à l’ordinaire.
– « Je ne bafouille jamais, Miss Child. »
Son sourire s’était étiré, longiligne, presque assuré. C’était lui qui déstabilisait. Et il appréciait cela. Étonnamment, cela lui redonnait l’équilibre, la constance… Il reprenait pied à cette sorte de petit jeu.
Ce colloque et toute cette agitation, l’avait secoué presque involontairement, causant en son esprit une impression de tournis déstabilisant. Comme si une faille s’était trouvée à ses pieds, et que plutôt que de l’engloutir celle-ci promettait de le casser en deux. Si cela survenait qu’y trouverait-il ?
Le sourire était demeuré sur le visage de la jeune femme avant de s’effacer au profit de la réflexion que son esprit appliquait à ses interrogations.
— «  Pour être très honnête j'en attendais rien... parce que je ne savais pas à quoi m'attendre. Dans ces conditions, difficile d'être déçue ou agréablement surprise, vous en conviendrez, ce qui en soit peut être un avantage. Disons plutôt que j'ai trouvé cela intéressant. C'est encore différent d'une présentation politique. J'y suis ma mère depuis très jeune puisqu'elle n'a jamais vraiment voulu me faire garder... et j'ai réalisé ce soir qu'avoir une audience plus "professionnelle" et qui sait de quoi l'orateur parle rends le discours plus pointu et différent. L'ambiance de la soirée est différente aussi. C'est vraiment intéressant. Je suis contente d'être ici."
Un nouveau sourire, sincère, presque heureux, fleurit sur ses joues rosées. Presque malgré elle pourtant sa main droite était venue se masser le bras gauche. Ses paroles ne trahissaient rien mais ses expressions corporelles débordaient de non-dits. Ses gestes criaient son manque d’assurance. Cette impression de ne pas appartenir à cet endroit. De ne pas être à sa place. Pourquoi pour une obscure raison, s’il n’avait jamais douté de ces souffrances, tout ceci lui paraissait exposé sous un prisme nouveau, une évidence qui lui renvoyait presque son propre miroir. Cela n’avait aucun sens, il était parfaitement à sa place. D’autant qu’il ne souffrait d’aucune subite crise d’illégitimité. C’était autre chose, une impression d’être là. Et de n’être que là… ? Avait-il trop forcé sur le champagne ? C’était ridicule, il n’avait pu s’offrir aucune coupe. Et ce manque lui semblait subitement cruel à cet instant. Il évacuait les derniers stygmates du stress sûrement…
— « Vous avez raison. Ce colloque a une vocation d’avancée purement professionnelle. Il s’agit, tout bonnement, d’une sorte de grande réunion intellectuelle sur les difficultés juridiques du quotidien face à la réalité, la manière de les appréhender. C’est enrichissant… Quant à cette soirée… Je vois… A vrai dire…. »
Il s’était interrompu cependant. Que diable comptait-il dire ? Que diable aurait-il pu dire ? Il avait papillonné l’espace d’un instant, avant de demander, fronçant les sourcils :
– « Voulez-vous un verre de champagne ? Si tel est le cas, je vais vous le chercher… Profitez de ce temps pour céder à goûter ce petit-four et songer, à l’inverse de la direction que prennent vos pensées, à toutes ces personnes qui ont été ravies de faire votre connaissance ce soir, tous ces clients qui ont pu enfin mettre un visage sur une voix. Pensez donc à leur réaction... »
Il avait vu la surprise traverser ses yeux bleus. Elle n'avait pas l'habitude qu'il chercha à lui remonter le moral... Elle découvrait à présent un "autre facette" de sa personnalité.... Ou du moins, le pensait-elle. Bien qu'il n'ait que moyennement calculé cette prise de parole... Tout comme elle n’avait pas l’habitude qu’il chercha à être galant, devant elle, encore moins à son égard.. Sûrement étais-ce cela qui l’avait surprise. Oui. Oui, il pouvait comprendre pourquoi. Mais, n’avaient-ils pas tous deux grand besoin d’une légère dose de mondanité ?
Bien sûr il y avait ces serviteurs, ces serveurs, pardon. Mais ils étaient si lents… Et limitaient leur passage. A Storybrooke, même dans une soirée aussi huppée, il convenait encore de faire la queue pour se voir servir. Il avait patienté, le pied impatient, dans la file, ses yeux dérivant sur les alentours. Jérémie visiblement s’esclaffait avec l’un de ses clients phares. Un peu plus loin, à l’endroit où il l’avait laissée Alexis Child était restée dans l’attente, presque gauchement. Elle avait visiblement décidé d’écouter son conseil puisqu’il discerna luire l’orange du saumon avant qu’elle ne l’engloutisse, tout en cherchant sa mère des yeux. Il ne savait pas lui-même où se trouvait Regina. Il l’aurait bien saluée, encore une fois si l’occasion s’était présentée. Oh, il trouverait l’occasion sûrement… Il patienta encore que la personne devant lui soit servie en songeant à cette soirée et cette impression curieuse… Même Miss Child semblait le remarquer aussi. Ou peut-être était-ce tout simplement une vue de son esprit.
Lorsqu’il la retrouva, coupes en main, elle n’avait pas bougée mais semblait avoir été transportée au bord d’une autoroute, à en juger par sa mine presque nerveuse… Depuis quand sa compagnie l’impressionnait autant ? Pourtant, il était persuadé que cette fois celle-ci n’avait rien à lui cacher. Alors, qu’est-ce qui la tendait ainsi ?
Feignant de ne rien remarquer, il lui avait tendu une coupe avec précaution.
— « On...on peut s’éloigner un peu du buffet… Aller dans un endroit plus calme ? »
La proposition flotta. Un blanc s’était installé entre eux, alors qu’il la contemplait d’un air interdit, la main figée dans le vide. Que, diable...voulait-elle dire par là ? L’inviter à boire une coupe dans un endroit plus tranquille ?! Voilà qui était bien incongru. Cela ressemblait à l’image d’une petite dévergondée… Après tout, qui savait ce que cette bande comptait faire dans sa campagne… ! Mais cela était largement moins ressemblant avec la jeune femme qu’elle avait fini par laisser transparaître au fur et à mesure des jours. Ou alors, cela signifiait-il… ? Il songea à sa nervosité soudaine en sa présence… Une mine presque moqueuse s’était ajoutée sur son visage Il savait qu’il avait du charme. Plus que cela, murmura une voix interne avec davantage de force que jusqu’alors. Oui… C’était vrai, il avait toujours été follement séduisant et d’une certaine manière, elle avait toujours eu, une certaine obsession pour lui… Il lui semblait. Mais de là, à…attraper une sorte de petit béguin…
Peut-être l’avait-elle senti. Sa méprise. Puisqu’elle précisa soudainement avec un petit signe de tête vers le verre qu’il lui tendait encore.
— « J’aurais pas trop envie que ma mère voit cela. »
– « Oh... »
Bien évidement. Il venait de comprendre à quoi elle faisait référence et une bonne partie de son comportement précédemment. Evidemment. C’était l’alcool. C’était l’alcool qui avait causé une bonne partie de son embarras lorsqu’il lui avait proposé de lui ramener une coupe. C’était l’alcool qui l’avait fait lorgner vers sa mère, lorsqu’il l’avait quittée. C’était l’alcool qui l’avait fit pousser à s’enquérir d’un endroit plus éloigné. Plus loin du joug de sa mère. Il n’avait pas pensé une seconde à cela.
Peut-être sa vision était-elle brouillée par son souvenir au chalet où l’alcool embaumait les lieux. Une bouteille de whisky vide avait-elle abandonnée à même le sol… Aussi, l’imaginait-il boire. Et puis, au-delà de cela, il avait réagi comme un parfait mondain, s’enquérant de l’alcool, transmettant les coupes dans un sourire. C’était cela la vie mondaine, celle qu’il lui semblait avoir toujours vécue.
Et puis, il lui avait proposé cela… Comme cela. Cela lui avait semblé être une excellente idée, un témoignage de sollicitude qu’elle retiendrait, de galanterie, omettant son âge dans l’équation. 16 ans… Loin de l’âge légal…
Force était aussi de constater que peu de temps auparavant cet âge n’aurait pas fait d’illusions. Tout juste aurait-il raillé qu’il devait être bien dommage la concernant de ne pas avoir accès aux boissons, lorsque l’on considérait sa facile descente…
Aujourd’hui.. lui proposer à boire était naturel. Et plus que son manque de considération sur tout ce qu’il résultait de l’enfance, adolescence et minorité...il devait reconnaître que son allure la responsabilisait à ses yeux. Son allure et son attitude. Il n’en reconnaissait presque plus la jeune fille parfois mordante qui le faisait soupirer. Elle en avait une autre stature… Il préférait.
D’un geste de la main, il avait pivoté un peu pour lui désigner la porte mi-ouverte à proximité qui menait à l’extérieur :
— « Nous pourrions peut-être aller au jardin… l’atmosphère est fraîche mais agréable. Et nous y serons plus aisément tranquille et loin de tout ce tintamarre »
Il avait souri une nouvelle fois, s’amusant à injecter une dose d’insolence dans son sourire. Presque provocateur…


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« If the crown should fit, then how can I refuse? »

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________________________________________ 2023-08-05, 23:30 « If the crown should fit, then how can I refuse? »




Une dette à payer



Elle l’avait suivi sans rien dire. Ne serait-ce que pour le bruit apaisé d’un relatif silence, cela valait grandement le coup, par rapport à l’ambiance bruyante de la pièce. Le dehors était l’opposé, presque vide, hormis quelques individus fumant une cigarette un peu plus bas dans la pelouse. Il s’était, quant à lui, dirigé vers la balustrade de pierre desservant l’escalier. Posant son verre sur la rembarre, il s’y accouda, prenant le temps d’apprécier le paysage
— « Alors… Qu’en dites-vous ? Suffisamment loin du regard affûté de votre mère et de sa surveillance rapprochée ?»
Il ricana, se sentant plus léger que jusqu’alors. il avait ricané se sentant plus léger que jusqu’alors. Le colloque était passé et il se sentait rempli d’une énergie nouvelle. Et cette situation l’amusait un peu. Que dirait Regina si elle les croisait ainsi tous les deux ? Sûrement rien. Ou alors… Non, il ne désirait pas appeler sur lui le courroux du maire, cela ne serait que peu fructueux pour ses affaires. Et pourtant… il ne pouvait nier s’amuser de « jouer avec le feu »…
Alexis avait d’abord opiné du chef, prenant une gorgée de champagne puis une fois le nectar avalé, l’avait observé d’un sourire amusé :
— « Ben dis donc... vous étiez bien moins enclin à enfreindre la loi et à le voir d'un bon oeil y'a pas si longtemps..."
Il n’y avait pas besoin d’expliciter ce à quoi elle faisait référence. Cette soirée alcoolisée et tous les déboires qui en avaient suivi… Tournant vers le jardin, il avait abaissé la tête dans un pouffement découvrant ses dents blanches et nacrées,
- « Je pourrais vous répondre que je suis plein de paradoxes, vous en savez vous même quelque chose mais je crois que la consommation d’alcool n’a jamais été le nœud ni le cœur du problème. » A nouveau son visage avait pivoté vers elle, pour se fondre dans ses yeux, alors qu’il arquait un sourcil lourd de sous-entendus qu’il se fit un plaisir d’expliciter  «  Davantage son abus excessif, son contexte et ses conséquences illégales…notamment. Pour rester sur la consommation, je doute que votre mère vous interdise un verre lors de grandes occasions et je vous promets de ne pas vous inciter à en consommer plus que de raisons. Quoique vous n’en fassiez, le plus souvent qu’à votre tête » Il avait jaugé sa mine, un sourire narquois au creux des lèvres. « J’ose espérer que parfois, mes opinions peuvent être écoutées. Avez vous suivi mon conseil d’ailleurs? Tant en ce qui concerne le saumon que votre perception vis-à-vis des clients? »
Ses yeux dorés s’étaient levés au ciel, moqueurs, en surprenant cet air bravache qui avait gagné la figure de la jeune femme, lorsqu’il avait évoqué son caractère impossible. Mais le regard qu’il avait cependant posé sur elle, ensuite, n’était pas hostile. Il avait à l’inverse savouré sa gêne soudaine et la réponse nettement plus timorée qu’elle lui avait offert, par la suite
— "Oui, j'ai goûté un peu le saumon, il était très bon en effet... quant au reste... j'ai pas trop compris où vous vouliez en venir pour être franche... mais oui, ils étaient contents de mettre un visage sur un nom ou une voix pour certains et c'était réciproque…"
Elle était gênée, cela ne faisait aucun doute. Et elle savait parfaitement où il voulait en venir. Elle craignait juste de s’y trouver confrontée. Il avait bien vu, lorsqu’il lui avait suggéré de songer à son impact sur les clients, avant de se rendre chercher les verres, la mine que cette idée avait causée sur elle. Une sorte d’incompréhension fébrile, une reconnaissance à laquelle elle ne s’attendait pas et qui pourtant la poussait à se reclure encore plus en elle-même. Puisqu’il s’agissait là de poser le doigt sur l’une de ses difficultés majeures. Y apposer le doigt et cela même sans l’ôter.
Il l’observa un sourire goguenard sur les lèvres, tout en faisant danser le liquide pétillant de son verre, songeusement :
— « Vraiment ? » interrogea-t-il goguenard « Cela me semblait pourtant assez évident. Je pourrais croire que vous feignez l’incompréhension pour vous faire encenser, mais j’ose dire que je vous cerne suffisamment pour noter que ce ne n’est pas le cas… » Derrière ce soupçon mordant, cette petite pique visant à la faire réagir au quart de tour, il l’avait observée, cessant de sourire. Son visage sérieux la sondait, creusant au-delà de ses postures, critiques et ses allures.
Déjà elle tournait vers lui une face outrée, sous le choc. Déjà elle ouvrait la bouche pour le rectifier. Il l’entendait déjà, faire valoir sa vérité. Ce qu’elle était. Ses valeurs. Mais il la devança sans peine
— « Cela était une réponse à votre impression presque instinctive de ne pas être à votre place. Ici ou de manière plus globale, je suppose…. Vous avez tout à fait votre place dans ces lieux. Pourquoi pensez-vous que je vous ai proposé d’y assister ? Par pitié ? » sa gorge avait émit un son rauque et moqueur. Il n’avait jamais autant ricané que ce soir, mais cela état fou comme tout semblait si diantrement amusant. « Si vous me connaissez un temps soit peu, vous savez que je ne cède pas à la pitié. Si vous êtes ici, c’est parce que je vous ai jugée digne de vous y trouver. »
Une vérité pure. Erwin Dorian pouvait être conciliant, lorsque son travail l’exigeait de lui. Il pouvait être aussi, d’une douceur jouxtant la docilité lorsqu’il s’agissait d’amadouer ceux qui détenaient un pouvoir. Il avait toujours admiré et gravité autour de ces individus… Mais il ne possédait aucune pitié. Rien ne l’avait jamais fait fléchir par compassion. Peut-être en était-il dépourvu… « L’excellence ne peut s’amoindrir face à la pitié ». Oui. C’était vrai. Il était tatillon, pointilleux, il détestait l’idée du travail mal fait. Il donnait une prestation, ciel ! Alors excuser des erreurs, sans justification tenable, non, certainement pas. Si bien qu’un compliment sortant de sa bouche était toujours justifié. Surtout pour Miss Child. Certes, il tenait à l’amadouer mais ne l’aurait pour autant jamais complimenté pour quelque chose qu’il ne pensait pas. Les mots lui auraient brûlé la bouche.
A présent, elle était rouge. Et cela ne pouvait pas être uniquement l’effet du champagne. Elle avait inspiré un peu, comme pour tempérer l’impression de chaud qu’il semblait l’avoir gagnée. Détournant le regard pour le poser sur les ombres projetées par les pins à quelques mètres de là, elle avait bu une grosse gorgée de son verre. Oh elle pouvait bien être gênée, c’était un plaisir de la pousser dans une situation délicate, quand bien même, celle-ci n’était pas motivée par les mêmes raisons qu’à l’ordinaire. Que pensait-elle ? Rejetait-elle ses mots ? Se convainquait-elle qu’il mentait ? Elle savait pourtant qu’il ne mentait pas lorsqu’il évoquait sa sévérité à ce sujet. Pour quelle raison mentir ? Pour quelle raison la flatter ainsi ? Reculant un peu, elle était venue finalement s’appuyer sur le muret, dans un silence prolongé. Il l’avait laissée là, dans ses pensées, ses doutes, son envie de s’enfuir. Seule avec elle-même, bien que présent. Qu’elle était étrange à sa manière, cette enfant perdue… Sauvage, à sa façon et pourtant… elle se fondait si aisément dans l’ambiance. Une jeune fille aisée, de bonne famille. Chic. Voilà ce qu’elle dégageait ce soir. La blancheur de sa robe rappelait le ramage pur de la colombe. Elle était pourtant loin d’être une oie blanche, s’il se bornait à la liste de toutes les entorses qu’il la savait avoir franchies. Et pourtant, il ne devait pas être à la moitié de cela. Pour autant, elle n’était pas non plus une mauvaise ou totalement dépravée. Elle était ballottée. Toujours en mouvement, toujours changeante, jamais pleinement quelque part. Les caméléons étaient parfois les personnes les plus en souffrance, se fondaient partout, s’adaptaient facilement mais ne se sentaient chez eux nulle part. Elle ressentait cela, sûrement. Le sentiment d’être...déracinée. Les dilemmes d’une jeune fille abandonnée et adoptée par celle qui était loin d’être le coeur le plus tendre de la ville. Il n’en déplaise, Regina l’avait fait. Il se souvenait de l’histoire et pourtant, ne se remémorait pas de la polémique que cela avait du susciter à l’époque. D’ailleurs… il aurait du s’occuper de l’adoption, non ? Les notaires se chargeaient de ce type de document. Cela ne lui disait rien… Cette question venait de lui sauter aux yeux, sans qu’il ne puisse s’expliquer pourquoi il n’y avait jamais pensé auparavant, et se promit d’y réfléchir plus tard.
Il bu une gorgée de champagne, sans mot dire, s’accoudant à son tour. Il aurait pu tout aussi bien la laisser là. Il n’avait même pas besoin de prétexter quelque chose, il était l’une des stars de cette soirée. Chacun attendait sa venue et devait se contenter de Jérémie, aussi bon et sympathique soit-il…
Pourtant il demeura là. A attendre sa réponse, observant sans avoir besoin de diriger son visage vers elle, les émotions se refléter sur son visage.
— « Vous êtes psychiatre, vous maintenant ? » ce n’était qu’un marmonnement.
Psychiatre. Il y avait pensé. Il cernait facilement les autres, surtout leurs points faibles… Mais les entendre geindre tout le long de la journée, lui aurait vite donné des idées de meurtre. Dieu merci, Aloysius, lui, avait des nerfs d’acier et sûrement un appétit tout particulier pour les mœurs.
Au moins, n’avait-il pas son pareil pour assaisonner ses amis de petites anecdotes professionnelles.
— « Non pas psychiatre, seulement observateur ».
Alexis Child avait soupiré, détournant déjà la tête loin de son regard. Elle le fuyait et donnait l’impression de subir cette conversation. Ce n’était pas étonnant. Il pouvait parier qu’elle aurait donné n’importe quoi pour se rattatiner sous terre. Pour autant, elle ne l’avait pas fuit. Brave enfant. Il ne pourrait jamais lui dénier cela. Elle était combative. Dans le sens positif ou négatif selon ses intérêts.
— « "Ouais vous m'avez jugé digne de m'y trouver mais la première chose que vous m'avez dit en arrivant c'était si j'avais pensé à un stylo pour noter et qu'on était pas à la foir'fouille alors que j'avais absolument rien fait... vachement confiance dans votre jugement ça…"
Un nouveau marmonnement. Décidément, elle avait pris très à coeur la critique pourtant si futile qu’il avait émis à son encontre.
— « Je n’ai pas évoqué la…. » il avait mis un blanc en fronçant les sourcils, dubitatif « ...Foir-fouille ? » il avait cligné des yeux, il ignorait ce que cela pouvait être même s’il devinait au mot que cela n’annonçait pas du positif. Quel horrible terme… si cela signifiait sens dessus dessous, méli-mélo aurait été un terme largement plus agréable à l’ouïe. Il se mordit presque la lèvre pour réprimer son envie de lui faire souligner à quel point, l’histoire du carnet semblait l’avoir piquée. Elle semblait bien être vexée de cette remarque. Ce qui témoignait qu’il lui tenait à coeur, malgré tout, d’offrir une opinion favorable de sa personne. Même à ses yeux. Il choisit d’orienter différemment la discussion, avec davantage de pédagogie, rien ne servait de l’irriter davantage, là, où elle se trouvait davantage vulnérable qu’auparavant, cela aurait desseré ce qu’il avait construit.
— «  Je vous ai interrogée sur le carnet oui. Une question rhétorique. Il arrive d’oublier des choses et j’ignorai si Jérémie vous avait rappelé d’emporter des notes… Et…"
Il l’avait dévisagé, ses yeux dans ses yeux bleus, et plusieurs facettes avaient défilé sous son regard. Pris d’un mouvement d’humeur soudain, il avait pincé les lèvres.
– "Si vous n’aviez pas cette agaçante lubie de toujours chercher à avoir le dernier mot avec moi… Et si vous n’adoptiez pas cette attitude désinvolte et rebelle, la plupart du temps, vous pourriez ôter à vos interlocuteurs l’envie de vous percevoir ainsi." Il y était allé un peu fort, il le savait... Sans volonté de la braquer, pourtant. C’était simplement sorti de lui. Il s’était senti irrité. Plus exigeant et caractériel qu’ordinairement. Ce fut pourquoi, il poursuivit, radouci " Mais votre allure est le masque que vous vous composez.. Il fonctionne, et chacun s'y prend une fois. Peut-être est-ce ce qui, vous le pensez, vous protège. En réalité, vous n’en n’avez pas besoin »… Ses épaules s’étaient haussées, négligemment, comme pour signifier l’évidence. « Vous êtes loin d’être une parfaite idiote. Vous analysez assez raisonnablement, vous êtes sérieuse, appliquée et suffisamment bienveillante pour vous faire apprécier, je peux le voir au quotidien. Vous le seriez en revanche, si vous décidiez de ne pas vous apprécier un peu davantage et de vous saboter... » Il avait avalé une gorgée de champagne, puis le reposa. Sur la rembarre, la coupe claque, sèchement. « Je ne prétends pas saisir les tourments que votre existence peut vous apporter, chaque personne a son lot de malheurs et nous ne sommes pas égaux face à ceux-ci.. Mais j'abhorre ceux qui ne se battent pas pour eux. Vous disposez de la ressource, vous êtes débrouillarde, vous pouvez prétendre à une vie qui vous plaira et vous ressemblera. Il suffit d’avoir l’ambition de vos envies…Et cela n'est pas hors de votre portée, Miss»
Il s'était arrêté, quelque peu essoufflé, le ton fluctuant... S'il était demeuré doux, il n'en n'était pas moins convaincu. Alexis Child n'était pas une jeune fille dévoyée et cachait plus que ce que ses mauvaises fréquentations et mauvaises manières parfois, pouvait témoigner. Il avait appris à le voir. Mais elle n'en demeurait pas moins perdue. A un carrefour de sa vie. Erwin ignorait s'il lui revenait de la diriger vers l'un de ces chemins, pourtant...il ne pouvait s'empêcher de l'évoquer...
Comme si l’imminence d’un choix se profilait pour elle. Le carrefour d’une vie, sans que la suite ne puisse garantir qu’un autre se présenterait. Valait-elle la peine d’en être avertie ? Quelques temps plus tôt, il se serait fait un plaisir de l’aiguiller vers sa perte. Il en avait encore le pouvoir et ce sentiment restait grisant. Mais, une part d’elle infime, luisait. Et Erwin Dorian se sentait subitement un homme de pari. Si, il l’aiguillait vers Autre chose, peut-être pourrait-elle être sauvée. Oh, il n’agissait pas en pur et bon samaritain. S’il réussissait, il obtenait une carte à jouer. Notamment, envers sa mère. Elle ne pourrait que noter à quel point sa fille, s’était grandement reprise en venant travailler chez lui… Une faveur de Regina Mills était plus précieux que l’or en ville. Et qui sait, elle pouvait aussi présenter un intérêt pour lui. Comment il l’ignorait. Mais il savait qu’il avait sincèrement aussi en horreur, le gâchis de talent. Peut-être était-ce pour cela qu’elle se révélait être si exaspérante. Dotée d’éclairs de perspicacité et d’une intelligence pour devenir quelque chose et se sabotant, pourtant.
Elle avait une nouvelle fois voulu répliquer lorsqu’il avait évoqué la bataille pour le dernier mot, mais s’était ravisée et avait ravalé sa propre critique, qui ne devait pas être loin de « c’est l’hôpital qui se fout de la charité », autrement dit « c’est celui qui dit, qui est ». Mais elle ne l’avait pas fait. Peut-être parce qu’en ce faisant c’était donner du grain à moudre à ce qu’il venait d’affirmer mais… cela ne semblait pas être la seule et principale raison. Elle voulait essayer. De communiquer avec lui. Après tout, ne le faisait-il pas ? Voilà ce qu’il lisait dans ses yeux.
Elle avait tourné vers lui, cependant, son petit visage abasourdi, à la minute où il avait consenti à lui dire qu’elle n’était pas une parfaite idiote. Elle ne s’était pas attendue à ce qu’il le reconnaisse, peut-être même, qu’il le pense. Au gré de ses compliments, elle avait fini par totalement détourner la tête de son regard d’acier flamboyant, pour observer le lointain. Gênée. Peut-être était-ce la première fois que l’on lui parlait ainsi. Elle était gênée. Et vide de mots… Un nouveau silence s’était écoulé, après la fin de ses mots. Un silence assez long, encore plus que le précédent, sans pour autant que cela ne signifia une fin de conversation. Qui diantre clôturerait une conversation ainsi ? Aucune expression ne passait sur son visage, elle fixait le lointain, tranquille...dans le vague. Dans le trouble sous ses couches de tempérance.
— « Je me bats pour moi. Tous les jours."
Elle le contredisait donc. Il n’avait rien répondu encore. Avait le silence revenir. Ainsi donc elle se battait pour elle. Pourquoi ? Pour s’accepter ? Elle ne se battait pas avec le monde ou choisissait mal ses batailles. Mais rien ne servait de lui dire cela. Ce n’était que le commencement, le début. Le début où se dessinait déjà ses félûres.
Elle avait repris.
— « Je sais même pas si vous avez idée de ce qu'est une lutte constante. Tout est lutte. Tout le temps. Pour moi... et contre moi. Je... je me rends compte que rien dans ma vie est paisible, rien n'est pas un combat à mener. C'est juste que…"
La gorge sèche, elle avait pris une nouvelle gorgée de champagne.
Qu’est-ce qui avait pu la mettre dans un tel état ? Regina Mills était-elle violente ? Ou s’agissait-il là d’une plus plus incisive, plus cruelle, entre la famille qui l’avait rejetée et celle qui l’avait acceptée ? De celle qui l’avait abandonnée, elle en tirait, le rejet, la certitude de l’insuffisance, de l’inutilité. Elle songeait qu’elle n’avait pas été à la hauteur, pas assez aimée, pas assez appréciable. Elle ne valait rien. Ne méritait rien. Que le vide et l’abandon. Pour celle qui l’avait accueillie, l’exigence devait être au coeur du foyer, lui rajoutant une couche de stress. Elle devait être à la hauteur. Assez bien pour mériter sa chance. Mais pouvait-elle y parvenir, alors qu’elle était persuadée qu’elle ne méritait rien ? Et lorsque sa mère était mère et ô combien puissante et stricte. Etre couvée par Georgia aurait été une toute autre situation. L’éducation de Regina devait être martiale. Le notaire n’était pas certain de la capacité de la maire à témoigner de l’amour, sans pouvoir cependant lui en jeter la pierre, il était semblable.
- «  A force de se battre... on se débat. Et un beau jour, on se lève et on se rends compte qu'on lutte juste par habitude, on sait même plus pourquoi on le fait. Pour avoir une vie qui nous plaît et nous ressemble faudrait encore savoir ce qui nous plaît... et à quoi on ressemble. Je sais juste ce que je ne suis pas. Et ce que je n'aime pas. Ce qui me ressemble pas. Ce que je veux pas. Le reste... j'en ai absolument aucune idée."
La dernière phrase était sans appel, lourde de toute sa vérité. Elle ne portait pas les plaintes autocentrées d’une adolescence en définitive heureuse, en quête d’attention. Quelque chose de profond et vrai s’en dégageait. Une vérité terrible d’un vide mêlé de souffrance intériorisée qui l’avait dévorée de l’intérieure.
Elle était perdue. S’était épuisée à force de lutter contre elle-même, contre ses démons et ses peurs justifiées ou irraisonnées. A se remettre en question, le visage que le miroir lui présentait s’était déformé. Jusqu’à ce qu’elle ne se connaisse plus. Erwin n’avait jamais eu réellement ce souci. Il s’aimait. De manière, peut-être un peu plus conséquente que la normale, certes, il le savait. Il n’avait jamais manqué de confiance en soi. Il se connaissait bien, connaissait ses valeurs, ses idées, ses volontés et ses limites. Alexis Child semblait être l’antithèse de la vanité. Elle en était le néant. Elle ne s’aimait pas. Son vécu l’avait sûrement entraînée dans cette image dégradée d’elle-même… Peut-être des événements de son enfance avaient renforcé cette idée. Pourtant, elle n’était pas dénuée de qualités et de potentialité, comme l’avait remarqué le notaire, et au-delà… N’était non plus déplaisante physiquement parlant, songea-t-il en jaugeant son allure d’un bref coup d’oeil. En lui ôtant ses mauvaises manières, elle pouvait trouver chaussure à son pied. N’était-elle pas après tout, un peu Cendrillon dans sa robe blanche de bal ?
- « Je ne connais nulle vie qui ne soit peuplée de combats… mais d’aussi loin que je me souvienne je n’ai pas de souvenir d’avoir été dans l’engrenage d’une lutte constante. » admit-il avec doucement, dans un haussement d’épaules impuissant Sauf dans une vie antérieure peut-être » une brève lumière avait éclairée son visage avant qu’il ne poursuive « J’ai seulement lutté pour avoir ce que je voulais et je l’ai obtenu même si…. mais… aussi je ne peux pas me mettre à votre place. Assimiler que vous soyez dans un tel mal… » Ses yeux seraient incrustées sur son visage sondant les siens « J’ai vite su ce que je voulais, qui j’étais. Ne dit-on pas que la personne que l’on connaît le mieux est nous-mêmes ? Et bien, c’est faux selon les personnes. Certains se découvrent d’autres ne se comprennent pas ou plus, d’autres se retrouvent.. Rare est celui qui face à son miroir se reconnaît clairement mais.. »
Erwin serait arrêté fermant les yeux, pris soudainement d’un léger vertige. Cette phrase l’avait...perturbée. Il avait songé à sa vie. Ce qu’il voulait. Ce qu’il avait voulu. Ne l’avait-il pas obtenu ? Il voulait être riche, assez puissant, un homme en vue. Et il était tout cela. Ce soir plus que tout autre soir. Alors pourquoi, soudainement, dans la vision de ce miroir inversé qu’était Miss Child, à la pensée de ce qu’il apercevait chaque jour dans le sien...pourquoi avait-il cette impression étrange que quelque chose était tronqué ? Pourquoi diantre, avait-il soudainement l’impression de se voir à travers un filtre ? Un filtre obscurcissant son jugement sur lui-même. Il avait secoué la tête puis poursuivit :
— « Mais vous trouverez votre place. Ne vous concentrez pas sur ce qui vous semble vide, focalisez vous sur ce qui existe: Vos passions, vos loisirs, ce qui vous émeut ou vous emballe. Vous êtes le condensé de tout cela… Que vous ne sachiez pas qui vous êtes n’est pas une honte..cela signifie pas qu’il n’y a rien à trouver. Cela demande du temps. Mais ne cessez pas cette précieuse recherche. »
Ce n’était qu’une juste réalité. Ce que l’on aimait nous définissait. Les passions que l’on avait, les envies, les plaisirs, ils modelaient la personne. Il ne connaissait pas suffisamment Alexis pour savoir ce qu’elle pouvait apprécier...en dehors de fouiner, persifla une petite voix intérieure. Peut-être aurait-elle fait un bon reporter ?
Miss Child l’avait écouté, cela allait sans dire. Au départ, sans le regarder. Ce n’était que petit à petit, progressivement, qu’elle tourna progressivement la tête vers lui. D’abord les yeux rivés au sol puis levés vers lui. Lentement. Elle réfléchissait à ce qu’il disait. Etait, également étonné qu’il en prenne le temps. Au bout d’un instant de flottement, elle avait hoché la tête, reconnaissante pour dire à mi-mots :
— « Merci… pour le conseil… et pour ce que vous avez dit sur moi… je… je sais pas très bien ce que j’aime. Il y a beaucoup de choses que je ne peux pas vraiment faire … mais… je vais essayer. Ça… ça veut dire que vous pensez que je suis pas si détestable que ça ?
Ses yeux étaient, à présent, rivés sur le lui. Dans l’attente. La question était importante pour elle. Elle touchait à son appréciation. A l’image qu’elle renvoyait aux autres. Ce qu’elle dégageait. L’envie de savoir si elle méritait l’amour et si elle pouvait être ailée. Elle se sentait à part. Clouée à son abandon originel, toujours ramenée au creux de ces bois où elle avait été perdue puis trouvée… Une triste histoire que cette petite Gretel dont les pas l’avaient amenée droit dans cette ville d’histoire… La vie n’était, hélas, pas un conte de fées. Quoique qu’il faille se féliciter qu’elle n’ait pas été réduite à cheminer jusqu’à la maison d’une sorcière qui lui aurait distribué quelques bonbons parfumés… Lui-même ne se serait-il pas damné pour un bonbon à la violette ? Pourtant dans cette ville, elle ne se sentait pas encore à sa place, au-delà de l’habituelle crise d’adolescente… Alors, il voyait dans son interrogation, dans son regard fixé dans les siens, l’éclat d’une bouteille à la mer, l’étincelle dont elle avait besoin, dans la simplicité de leur échange. S’il craquait cette allumette, que se passerait-il ?
– « Vous êtes une petite fouineuse, cela va s’en dire... »
Il l’avait ricané, en plissant les yeux, laissant néanmoins un sourire plus sarcastique que mesquin prendre le contrôle de son visage, avant d’enchérir « Mais non, vous n’en n’êtes pas détestable. Juste agaçante, parfois. Mais vous me direz sûrement que je vous rend la pareille, j’ai moi aussi mon lot de défauts. » Il avait écarté les bras dramatiquement, préservant cependant son verre de champagne. D’un pouffement appuyé et un hochement de tête, elle l’avait confirmé presque malicieusement. « En définitive, la cohabitation n’en n’est pas insoutenable… Au contraire. De mon point de vue...»
Car là était la vérité. N’avait-il pas fini par l’apprivoiser, sa petite belette ? Endormir sa vigilance et sa méfiance était l’un des meilleures choses qui soient arrivées, n’était-ce pas ce qui leur avait permis de s’apaiser pleinement pour mieux se comprendre ? Aussi, non, il ne le détestait plus. Il ne la détestait pas d’ailleurs. Une dose de timidité avait envahi le regard de la jeune fille, elle n’avait pas confirmé, gardant cette méfiance chevillée au corps, mais elle s’endormait néanmoins beaucoup à son avantage, il le voyait.
il avait souri avant d’ajouter
— « Essayer est déjà une avancée, une chose après l’autre, quelque chose de familier se dessinera sûrement, j’en suis persuadé…  »
Gênée, Miss Child avait pour toute réponse, avalé une énième gorgée de champagne, était demeurée silencieuse un petit temps, avant d’oser reprendre :
— « Ca fait longtemps que je vous voyez ça en moi ? Cette impression de pas être à ma place? Vous avez commencé cette conversation en appuyant sur le fait que j’étais appréciée dans mon travail. Pourquoi … pourquoi avoir eu envie d’en parler aussi ?
— « Miss Child, je l’ai vu à la minute où je suis venu vous chercher. » répliqua-t-il avec une évidence confondante « Cette impression-là transpirait sur votre face, plus nettement que quiconque. Ce que j’ignorais c’était, si au-delà de cette souffrance, se dissimulait un amour-propre, une personnalité qui valait la peine d’éclore. » Il demeura un instant silencieux. Il n’aurait pas levé le petit doigt dans son intérêt si elle ne lui avait pas semblé valoir la peine. Il était ainsi... « Vous sembliez douter de votre légitimité à vous trouver ici et il me semblait que si vous décidiez de ne pas porter de crédit à mes dires, ceux qui sauraient néanmoins se porter à votre écoute seraient ceux qui ne viseraient pas mon expérience personnelle, mais davantage vos rapports aux clients. Ils sont neutres et vous avez pu voir qu’ils vous appréciaient par téléphone et jusqu’ici même… Et il me semblait qu’il était le parfait moment pour vous aider à essayer de réveiller un semblant d’amour-propre en vous, Une étincelle d’espoir et d’envie à croire en vous. »
Elle avait hoché la tête, comme si elle le lui accordait. Et c’était sûrement vrai. Elle n’avait entendu son propre qu’une fois qu’il avait étayé son propos avec des exemples l’excluant. Ce n’était qu’parès avoir capté et gagné son attention, qu’il s’était ensuite fait glisser dans la boucle. Jaugeant le fond de son verre.
— “C’est plutôt inattendu de votre part après avoir autant mis d’acharnement à me faire comprendre que j’étais une écervelée mais… c’est plutôt plaisant de savoir que ce n’est finalement pas ce que vous pensez complètement. Quant aux clients… oui c’est vrai ça me fait du bien de savoir que je leur suis utile ou agréable. Pour moi c’était juste quelque chose de … simple. J’aime parler aux gens, le contact, les aider… dans le cadre du travail. Pour le reste je vous l’avais dit, quand je me lance dans quelque chose je me fais bien. J’aime comprendre et j’apprends assez vite. Peu importait pourquoi j’étais là. Vos clients n’y étaient pour rien, j’avais pas le droit de les maltraiter… et je dois dire qu’à mesure que le temps avançait… je réalisais que le travail était plutôt intéressant… même si je ne pense que pas que c’est ce que je veux faire de ma vie… je sais pas… j’en sais rien…mais je vais réfléchir à tout ça… en tout cas… merci
Elle lui avait sourit. Sincèrement, tendant d’une même envie son verre pour trinquer sa dernière gorgée. Il n’avait pas pour autant tendu son bras, de même méditant encore sur ses paroles. Oui, il avait mis de l’acharnement à la traiter d’écervelée. Parce qu’elle s’était comportée, à son sens, comme l’une d’entre elles, dans l’image qu’il avait d’elle. Parce qu’il avait voulu toucher son amour-propre et même le fissurer encore. Pour créer un sursaut. Ou à l’inverse la faire plonger. Et puis, il était un employeur sévère, faisant son métier à coeur. A présent, là n’était plus la question. Et elle avait raison. Elle n’avait jamais fait trinquer les clients de sa colère ou son ressentiment contre lui. Pour cela, dès le départ, quoiqu’en disent ses craintes, elle s’était révélée suffisamment professionnelle et mature, pour éviter cet écueil…
Peut-être ne souhaitait-elle pas être notaire… Qu’à cela ne tienne. Elle pouvait continuer quelques stages. Elle se débrouillait bien, les clients l’appréciaient, cela ferait bien vu et à présent qu’il avait bien endormi sa méfiance, cela n’était pas dérangeant qu’elle s’y trouva.
– « Le métier est exigeant, je vous ai posé un cadre, notamment compte-tenu du contexte amenant votre venue et de nos...disons réserves et différences mutuelles et j’ai toujours eu la réputation d’être intraitable sur le plan professionnel.. Je vous ai donc bien morigéné, cela est vrai. Mais vous voyez-le, sans acrimonie. » Si une moue dubitative s’était peinte à cette « affirmation » sur le visage d’Alexis, elle se garda néanmoins de tout commentaire. Elle n’en n’était pas moins dupe. Aucun des deux ne l’étaient. Ils avançaient seulement. « Votre sens aisé de la clientèle est donc quelque chose à retenir, c’est une piste à garder en mémoire pour votre orientation plus tard ; vous appréciez aider les autres, le contact et le partage… Il vous faudra juste trouver comment vous souhaitez l’exploiter. Qu’importe que cela ne soit pas dans une étude notariale. Je n’en n’étais pas encore à vous considérer comme apte à me succéder un jour»
— « Sans déconner ? » avait-elle laissé échappé un peu taquine.
Une chose n’était pas coutume, il avait ricané à cette répartie, sans se donner la peine, pour cette fois d’en soulever la grossièreté, agrémentant son rire d’un clin d’œil discret. Le sourire s’était étendu sur les lèvres de la jeune fille et il avait alors tendu sa coupe ;
— « Vous avez raison, trinquons, Miss Child »
D’un pas, il s’était approché, rompant un peu de la distance qui les séparait, pour mieux faire tinter sa coupe contre celle de la jeune fille, affirmant d’une voix délicate :  « A nous. A vous et votre avenir... »
Les deux verres s’étaient entrechoqués dans un doux tintement et il avait bu cette ultime gorgée comme un nectar subtil et appréciable. Une douceur. Tout en l’observant. Elle souriait. Quelque chose peut-être en elle s’était allégé. Et lui aussi se sentait différent.
Il avait sourit,
— « Bien sûr, même si le notariat n’est pas votre passion, je ne vous fermerai pas notre porte, pour d’éventuels stages ou petits contrats d’été, cela pourrait vous être utile… » il avait sourit et précisé, « Ce champagne n’est-il pas délicieux ? » Pour aider à l’atmosphère, il avait ajouté se penchant vers elle, amusé de l’anecdote « Madame Longheart l’avait adoré, la dernière fois, j’ai cru qu’elle allait finir la bouteille. Elle s’est servi elle-même un dernier verre » Il avait secoué la tête amusé, levant les yeux au ciel, « Ma foi, elle devait être heureuse de s’engager. E je suis sûr que, vous en conviendrez si nous promettons de ne pas en piper mot à votre mère, vous pourriez vous laisser tenter par un second verre… Et pour ma part, n’est-ce pas MA journée… Alors comment refuser ? »
Il avait fermé les yeux, exultant un bref instant dans un rire davantage aiguë qu’à l’ordinaire, mais néanmoins non moins significatif. Cependant, lorsqu’il avait baissé les yeux sur Miss Child, persuadé de la trouver souriante et détendue, ce fut un tout autre visage qu’il trouva face à lui. Un visage gagné par une ombre bien connue de lui. Et soudainement, il sut ce qui l’avait provoquée cette ombre. L’ombre du soupçon.

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« Allez dans la Lumière.
C'est au détour d'une Ombre
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Tu es comme tu es... mais malgré les erreurs, tu me rends parfois la vie de maman célibataire plus douce...


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________________________________________ 2024-02-18, 19:23 « Allez dans la Lumière. C'est au détour d'une Ombre que nous attends le Mal. »




Une dette à payer



Si cette soirée semblait plutôt calme et raffinée d’apparence, elle me semblait être en réalité un parfait chaos. De quoi donner le tournis, désorienter une personne qui avançait avec rationalité, sur des acquis et des analyses... une personne comme moi. Je perdais mes repères et j’avais l’impression de me mettre en danger et comme toutes les fois où je perdais ma sécurité, je me renfermais, je devenais agressive. Il jouait à quoi ? Était-ce seulement un jeu ? Avais-je pu à ce point me tromper sur son compte ? Est-ce que nous étions partis du mauvais pied juste à cause d’erreurs de communication ? A mesure que notre conversation avançait, je commençais à douter de tout, de moi en priorité, de mes croyances. Avait-il seulement mérité tous mes soupçons ? N'avais-je pas juste stupidement décidé que je le détestais sans aucune raison valable et j’avais cherché à me persuader que j’avais raison ? Après tout, ma méfiance et ma haine avaient été si vives, si inexplicables puisque je n’étais parvenue à trouver aucune preuve, qu’on pouvait légitimement se mettre à penser que j’avais agis comme une ado bornée et sans cervelle.

Je n’arrivais pas déterminer si j’appréciais ou non la tournure que prenais notre relation. Mon animosité envers lui avait été si naturelle alors que j’étais d’une nature plutôt ouverte que l’idée d’à présent faire machine arrière me semblait un exercice d’une incroyable difficulté. Pourtant, nous en étions là. Après coup bas et mots violents, des deux côtés, nous avions fini par mettre nos différents de côté. J’avais vu le partage de bureau comme la punition suprême, un enfer sur terre, je réalisais à présent en sirotant mon champagne qu’au contraire, ça avait peut-être été ce qu’il nous fallait : être enfermé dans une pièce ensemble 8h par jours, 5 jours sur 7, chacun enchaîné à son bureau, sauvé in extremis par les différents rendez-vous clientèle qu’il pouvait avoir. Mais c’était pourtant là qu’on avait appris à s’appréhender. Je l’avais apprécié dans ses silences appliqués, le bruit de son stylo grattant le papier sur le rythme de son écriture rapide. Ses tapotements appliqués sur mon bureau. Je savais qu’il avait pris le temps d’admirer mon sérieux derrière mes soupirs, le bruit exalté de mon clavier qui traduisait mes pensées et mes réflexions et la vitesse à laquelle elles me traversaient, avec application, tandis que je m’attelais à mes tâches. Certaines parties de notre personnalité n’étaient bien sûrs toujours pas compatibles et ne le seraient peut-être jamais. Nous aimions bien trop l’un et l’autre avoir le dernier mot pour ne pas risquer de se froisser au détour d’un jeu de mot ou d’une pique bien sentie. Mais le résultat de tout ça parlait tout de même ce soir, dans cette conversation chaotique que j’appréciais autant que je la détestais et que me désarçonnais malgré la figure de maîtrise que j’appliquais.

La conversation avait fini par glisser sur quelque chose d’extrêmement personnelle, une chose dont je n’aimais pas parler et encore moins avec lui. Il était sans doute la seconde personne sur la liste des gens avec lesquelles je ne voulais pas parler de mes insécurités, juste derrière Regina. Pourtant, il était lui-même entré dans le vif du sujet, pointant avec précisions certains traits juste de ma personnalité, preuve qu’en dehors d’avoir tenté de faire de ma vie un enfer, il m’avait observé et compris aussi, mieux que je ne l’aurai souhaité. C’était cela qu’il essayait de me faire comprendre ce soir. Il ne cherchait pas à m’embarrasser, il voulait me montrer que mon absence d’amour et de confiance envers moi-même n’était pas justifié. Il l’avouait enfin : je n’étais pas si stupide qu’il l’avait prétendue, ni même une incapable finie. Au contraire, j’avais sur trouver une place dans cette office notariale, de par ma réflexion mais aussi parce que j’étais bonne à quelque chose, appliquée dans ce que je faisais, bref, j’avais un potentiel. Ss mots me réchauffais le coeur plus que je ne voulais bien l’admettre mais pourtant le fait que je n’eus pas à couper court la conversation ou que je ne continuais pas à y mettre de la mauvaise grâce parlait pour moi : je m’ouvrais à lui parce que j’étais reconnaissante qu’il cherche à le faire pour moi.

Mon cœur avait d’ailleurs battu un peu plus fort quand il m’avait confié qu’il pourrait toujours me trouver de nouveau une place dans l’office pour un stage ou un éventuel job d’été. Je savais qu’il ne proposait pas à la légère. Même si je voulais bien reconsidérer l’idée qu’il puisse un connard fini, je savais que le sentimentalisme n’était pas vraiment son domaine, ni la gentillesse pure et dure, ni même la pitié, comme il me l’avait lui-même précisé. Comme pour la soirée à laquelle je me trouvais, s’il me le proposait, c’est qu’il me trouvait digne d’honorer une fois de plus ce travail et ce sentiment qui avait grandi en moi m’avait fait l’effet d’un bain chaud rempli de mousse. Est-ce que c’était ça la fierté ? Le bonheur d’avoir l’impression d’avoir une place, d’être utile et d’être capable ? Je réalisais que je n’avais qu’une envie, parler de tout ça à Regina, espérer qu’elle y verrait, elle aussi, la fierté que je ressentais, qu’elle serait elle aussi capable de me dire que je valais quelque chose, que je servais à quelque chose et que je n’étais pas juste une petite conne en perdition. A cette pensée, j’avais eu un léger sourire et j’avais repris une nouvelle gorgée de mon verre, comme pour fêter silencieusement cet accomplissement tandis que je reposais mes yeux sur les traits de l’homme que j’avais en face de moi.

Même si les avancées étaient encore chez l’un comme l’autre, je pouvais percevoir petit à petit ce qui le rendait sympathique aux yeux des gens. Pourtant, je savais aussi que je n’avais pas spécialement changé d’avis face à ce que je connaissais de lui, je réalisais juste qu’avec moi, en cet instant il était... différent. C’était simple, j’étais capable que chaque geste, chaque mimique, chaque instant de son ton emprunté lorsqu’il discutait avec ses clients ou dans des soirées mondaines avaient quelque chose de faux. Je pouvais percevoir que là où les gens y voyaient de la socialisation, j’y voyais une certaine masturbation mentale. J’avais toujours vu la communication, l’échange comme quelque chose d’une grande valeur, qui ne se prenait pas à la légère et qui était une preuve de générosité et d’altruisme. Savoir créer quelque chose de vrai et de réel avec des inconnus relevait d’un certain talent d’âme. C’était une curiosité saine de découvrir autrui, une générosité d’accepter de passer son temps avec quelqu’un que nous ne connaissions pas, loin du terrain conquis de l’amitié où nous savions généralement comment passer un bon moment. C’était s’oublier au profit d’une cause plus grande, celle d’une nouvelle communion, d’un pas d’humanité où on s’oubliait soi-même, ses envies et ses secrets pour paraître plus humble, plus nu et démuni face à quelqu’un dont on ignorait tout mais qu’on brûlait de connaître, pour aucune autre raison que lien, pas parce que la personne avait une certaine beauté, un certain charisme ou des atouts qui pourrait nous être utile, juste pour connaître un inconnu, en dépit du reste. Erwin Dorian ne faisait jamais ça. Chaque interaction était méticuleusement préparée, un show destiné à le mettre en valeur ou, lorsque ce n’était pas le cas, mettre en valeur son interlocuteur car il souhaitait tirer un bénéfice de cet échange. Ce n’était en quelque sorte jamais tourné vers l’autre, jamais un pas d’humanité, tout n’était qu’un cadeau qu’il se faisait à lui-même, un énorme shoot d’égocentrisme pour se rappeler à quel point il pouvait être admirable, désirable ou même important. Tout sonnait faux, tout dans ses gestes et son attitude hurlait “flattez-moi”. Je détestais ça. Je n’avais qu’une envie lorsque je voyais des gens pareils : fuir. Ils étaient des vampires, qui suçaient jusqu’à la dernière goutte d’humanité et d’intimité des autres pour se nourrir et s’embellir. Il m’arrivait parfois au contraire de vouloir les confronter, comme il m’était arrivé de le faire avec Erwin, juste pour les voir perdre de leur superbe, voir cet éclat disparaître au fond de leur yeux, remplacé par une moue d’amertume, une voix teintée d’acidité et une agressivité palpable pour se défendre de l’affront que je leur faisais. La plupart du temps pourtant, j’évitais. Parce que si j’en tirais un certain plaisir à l’instant T, le moment ne me laissait à mon tour qu’un goût d’amertume et de déception envers moi-même : j’avais tout de même donné de l’importance à ce type d’individu, même si ce n’était pas l’importance qu’ils avaient souhaitait et je m’étais rabaissé à leur niveau, cherchant à détruire plutôt que créer, faisant de moi une mauvaise personne, une personne comme eux, ce qui me donnait la nausée.

C’était pour cela que je fuyais Erwin Dorian, que je l’attaquais la plupart du temps, que je refusais d’y voir un potentiel intérêt. Mais pourtant ce soir, il était bien là, cet intérêt. Parce que de façon inexplicable, je sentais que chaque mot qu’il avait prononcé, chaque geste qu’il avait proféré, il ne l’avait pas fait pour briller mais bien pour communier avec moi, m’apprendre aussi potentiellement quelque chose, me donner une impulsion, une étincelle. Et l’intérêt qu’il me portait, je le lui rendais. Je voyais en lui un être nettement plus séduisant qu’il ne me l’était apparu alors, sans doute aussi sympathique que ceux qui se laissaient berner plus facilement y voyait quand il mentait. Il avait le tout doux et un peu mordant, l’œil rieur et pétillant et ses traits, bien trop pompeux la plupart du temps étaient devenus jolis, gracieux, séduisants. Ce n’était pas que brusquement je me sentais attiré, non. Il avait l’âge qu’il avait et je n’oubliais pas non plus qu’il restait un connard pédant la plupart du temps. Mais en cet instant j’avais l’impression qu’il pouvait me comprendre, qu’il m’accordait une valeur et j’avais bien plus envie de me laisser aller avec lui, à la confidence, aux émotions, loin de la défensive que je lui accordais jusqu’alors. Je lui avais proposé de trinquer et bien qu’après un certain instant, il avait fini par l’accepter et nous l’avions fait tout deux, de bon cœur.

— Ce champagne n’est-il pas délicieux ? Madame Longheart l’avait adoré, la dernière fois, j’ai cru qu’elle allait finir la bouteille. Elle s’est servie elle-même un dernier verre. Ma foi, elle devait être heureuse de s’engager. Et je suis sûr que, vous en conviendrez si nous promettons de ne pas en piper mot à votre mère, vous pourriez vous laisser tenter par un second verre… Et pour ma part, n’est-ce pas MA journée… Alors comment refuser ?

C’était comme si un pétard venait d’exploser dans ma tête. Ca avait été aussi soudain que ça, une lumière vive, une détonation, quelque chose de franc, de puissant, qui venait de me prendre tout entière, comme une évidence. C’était plus puissant que de basculer dans le vide, plus proche d’une bourrasque qui venait de me balayer, même le raz-de-marée était trop lent dans ce cas de figure. C’était un cas de conscience, une compréhension, une petite lumière qui s’allumait dans ma tête, parce que les pièces du puzzle venaient de s’assemblaient mais plus que de la fierté ou un sentiment de triomphante, tout cela avait été accompagné d’une douleur lancinante. En fanfaronnant, il venait de prononcer les mots de trop... les mots qui me faisaient réaliser que je ne m’étais pas trompé sur lui mais qu’il avait pourtant réussi à me tromper en cet instant. Je l’avais cru prêt à la sympathie et la sincérité, je m’étais sentie capable de lui faire ressentir tout ça, je m’étais cru un peu spéciale et je réalisais en cet instant à quel point au contraire j’avais été une idiote finie : il m’avait endormie comme tous les autres. Il ne me sentait pas capable non, il me trouvait complétement stupide au contraire.

Tout ce montage, cette association, le chalet dans lequel il était venu roder tard dans la nuit... tout semblait si bien coller avec ce qu’il m’avait expliqué, ce qu’il avait pris le temps de m’expliquer. Mais Madame Longheart... madame Longheart était le grain de sable dans le rouage. Je me souvenais parfaitement du jour où il avait fêté avec elle, où j’avais cru pouvoir fouiner en toute impunité tandis qu’il amenait à la pauvre vieille dame le contrat à signer ainsi qu’une bouteille de champagne. Son projet ne pouvait pas être lié à tout ça... il datait de bien avant tout cela. Les dates ne concordaient pas.

J'avais relevé les yeux vers lui et je l’avais vu, cet éclair dans ses yeux, ce doute. L’ombre du soupçon. Dorian n’avait jamais été stupide. Je n’avais jamais fait l’affront de le considérer comme tel et l’éclat qu’il avait vu dans mes yeux, il l’avait parfaitement compris. Compris au point qu’il se reflétait désormais dans ses propres yeux. Peut-être se refaisait-il le scenario de ce qu’il venait de me dire, peut-être voyait-il ce qui avait causé sa perte, là où la partie était pourtant bien gagnée. Il avait été imprudent, il s’était relâché une seconde de trop pour savourer pleinement sa victoire mais ce n’était pas moi qui l’en blâmerai. De mon côté, ce n’était pas 1 seconde que j’avais relâché la garde, ce n’était pas une seconde que j’avais été imprudente mais bien de longues minutes, des heures entières qui avaient accouchées de jours. J’avais été stupide... si stupide. Au point de croire qu’il m’avait percé à jour, qu’il avait su voir en moi ce que personne ne voyait. Ô que oui il m’avait cerné mais pas comme je l’aurai souhaité. Il n’avait vu en moi que l’écervelée qu’il voyait chaque jour mais il avait perçu cette faille, ce besoin de reconnaissance et l’avait exploité jusqu’à m’endormir. J’avais eu tort, tellement tort. Je n’avais pas vu ce que personne n’avait vu, je n’avais pas dépassé la couche d’hypocrisie, j’étais juste tombée dedans, tête la première. Erwin Dorian n’était qu’une coquille vide et insensible, égoïste et manipulatrice... et moi je n’étais rien. Une moins que rien qui ne méritait absolument aucun regard car sans valeur.

J’avais battu rapidement des cils en prenant une dernière gorgée de mon verre, un peu plus grosse que les autres, pour tenter de cacher le trouble qui m’avait envahi. Mes yeux me piquaient, j’avais autant envie de vomir qu’envie de pleurer mais il fallait absolument que je garde la face, pour ne pas lui donner pleinement cette satisfaction déjà, mais aussi parce que j’étais si en colère, j’avais le cœur si brisé que je me jurai que ce fils de p* allait payer. J'allais le faire tomber, je voulais qu’il paye, qu’il paye pour tout, pour ce qu’il m’avait fait mais aussi ce qu’il faisait à tout le monde, impunément, sans que personne ne prenne le courage ou l’étincelle de lumière d’ouvrir les yeux. Déglutissant avec difficulté, j’avais replongé mes yeux dans les siens, résistant à l’envie irrésistible de lui sauter à la gorge pour tenter un léger sourire afin de reprendre le cours de la conversation. On en était où déjà ? Ah oui, à “comment refuser”.

— Vous avez raison... vous auriez tort de vous en priver, des victoires comme celles-ci... il faut les fêter avant qu’elles ne disparaissent, pas vrai ?

J’avais eu un plus grand sourire, raide, comme si mes zygomatiques refusaient de m’écouter et j’avais reposé mes lèvres sur mon verre avant de réaliser qu’il était désormais vite. Je ne pouvais plus compter sur lui pour me donner contenance désormais.

— D’ailleurs... je... je me demandais Monsieur Dorian... Vous avez été si gentil de prendre le temps de vous montrer vos locaux, tout l’ampleur de ce projet à venir et je vous en suis reconnaissante. Je... je comprends maintenant pourquoi vous l’avez fait après notre... conversation de ce soir.

J’avais osé un autre sourire avant de reprendre de plus belle, effrayée à l’idée de fondre en larmes ou de rugir sur lui s’il m’en laissait un peu plus de temps.

— Jeremie semble être votre meilleur ami... c’est d’ailleurs votre associé aussi et j’ai l’impression que vous êtes vraiment proches tous les deux. Il ne m’a jamais dit que du bien sur vous. Pourtant ce jour-là dans le bureau, vous avez tout fait pour le tenir éloigné de ce projet, de ne rien lui dire. Je peux comprendre que trop en dire sur un projet de cette envergure peut être risqué mais... pourquoi me le dire à moi ? Pourquoi avoir pris ce risque alors que vous ne le prenez même pas avec votre associé ?

Parce que cette association de merde était un putain d’écran de fumé, on le savait tous les deux. Il n’était absolument pas question de cacher quoi que ce soit à Jeremie, il était d’ailleurs sans aucun doute dans le coup depuis le début... ce qui me décevait encore plus que le reste, même si c’était si évident que j’avais presque envie de me baffer de ne pas l’avoir vu. Si j’avais pu encore en douter jusqu’alors, les doutes étaient difficilement permis à présent. Je n’étais pas parvenue à intercepter un truc que je n’aurai pas dû voir, il avait pris le soin de le dire suffisamment fort pour que je l’entende. Il s’était servi de Jeremie pour me donner l’impression que j’étais nullement concerné alors que j’étais précisément le dindon de la farce. La preuve, il m’attendait bien sagement ce jour-là, persuadé que je viendrai. Jeremie avait toujours l’air de vouloir être dans les confidences de Dorian, quand quelque chose lui échappait, il insistait, quitte à revenir dans son bureau plus tard et de fermer la porte derrière lui pour lui parler, après s’être assuré que j’étais moi-même sorti de ce dit bureau. Mais ce jour-là, il n’avait posé aucune question, je ne l’avais pas vu vouloir avoir une conversation avec lui... Avais-je pu me tromper à ce point ? Une chose était sûre, c’est que Dorian avait été pris un peu de cours face à ma question. J’avais vu ses sourcils bougé d’un millimètre de surprise mais il s’était vite repris, bien meilleur que moi à ce jeu, souriant un peu finalement, ne se départissant pas de sa verve :

— Oh et bien… Jeremie est mon ami de longue date mais il vient d’une famille et d’un milieu puissant et assez snob. La vie associative et les bonnes œuvres trouvent peu grâce dans ce monde… C’est une facette que je veux peu exposer… Vous êtes, à votre manière, une rebelle dans cette société vous aussi.

L’enfoiré. Il essayait une fois de plus de jouer de connivence, se foutant allégrement de ma gueule. Une forte envie de le gifler m’avait parcouru l’esprit mais j’étais restée calme, gardant mon sourire, à l’image de son attitude à lui. Si j’avais au moins un truc à apprendre de ce connard, c’était bien ça. J’avais eu un petit rire, acide, mais qui avait sonné comme un véritable amusement tandis que je répondais :

— Oui c’est vrai... je plaide coupable. Jeremie me semblait être quelqu’un de doux et de généreux, plutôt désireux des autres... mais je dois bien admettre qu’on connait souvent très peu les autres et que les apparences peuvent être trompeuses... C’est dommage le concernant. Mais je comprends ce point de garder ce petit secret entre nous, je vous remercie de l’avoir fait.

Je lui avais lancé un autre sourire avant de me redresser :

— Bien. Je suis désolée mais je ne vais pas abuser de votre temps plus longtemps. Je crois que je vais éviter de prendre un second verre, ça me permettra de garder l’œil quelque peu ouvert et de ne pas m’abrutir complétement. Je crois que je vais rentrer d’ailleurs. J’avais promis à mon petit frère de lui lire son histoire du soir. Monsieur Dorian, merci pour votre invitation, c’était une très bonne soirée.

Je lui avais tendu la main avec un sourire, résistant à l’envie de me crisper quand il l’avait saisi et ne l’avait pas quitté des yeux tandis que nous nous saluions. Sans un mot de plus ou lui laisser l’occasion de me retenir, je lui étais passée devant pour remonter les deux trois marches qui me ramenaient vers l’intérieur. Une bouffée de chaleureux m’avait brusquement envahi tant la différence de température était violente et cela m’avait un peu désarçonné. Le soulagement de l’avoir quitté et le fait que cela m’autorisait désormais à une réalisation plus complète de ce qu’était notre “relation” et la puissance de son mensonge ne devait pas y être pour rien non plus. Pourtant, je n’avais pas vraiment eu le temps de me remettre de mes émotions que j’avais senti une poigne de fer se refermer sur mon bras avec force, me poussant un peu plus loin, vers les vestiaires, à l’abri des regards :

— Où étais-tu passée, jeune fille ?

Regina me toisait de toute sa hauteur, l’air franchement mécontent. Je comprenais alors qu’elle avait commencé à me chercher quelques minutes plus tôt, craignant sans doute que je réalise un mauvais coup. Le fait ne de pas me trouver avait du la faire monter en puissance. J'avais dégager mon bras d’un geste sec :

— Relax. J’étais avec Dorian, dehors.

— Tu étais... Je rêve ou c’est du champagne ?

Elle m’avait arraché mon verre des mains et j’avais haussé le ton :

— Ca aussi c’est Dorian. Il m’a convaincu que ça pouvait pas me faire de mal. On a fait la paix, c’est ce que tu voulais, non ?

Je lui avais souris, arrogante et mauvaise. Était-elle aussi dans le coup ? Essayait-elle aussi de m’endormir aux belles paroles du notaire ? C’était complétement débile et absurde de penser cela, je savais que c’était bien plus les mauvaises relations que j’avais avec ma mère adoptive qui me faisait penser comme ça que la réalité. Regina était chiante et rigide mais elle ne pouvait pas traîner avec des enfoirés comme Dorian. Je refusais même de l’envisager. C’était tout mon monde qui s’écroulerait sinon.

— Change tout de suite d’attitude, Alexis.

J’avais vu les jointures de ses mains blanchir tandis qu’elle tenait mon verre. Vu la puissance de sa poigne, je n’aurai pas été étonnée qu’il explose dans ses mains mais il se maintint. Relevant lentement les yeux vers le visage sévère de ma mère, je soupirais :

— Désolée... C’est juste que je faisais rien de mal. J’en ai marre que tu me prennes toujours pour une criminelle.

— Je... quoi ? Je ne te prends pas toujours pour une criminelle, ne dit pas d’ânerie. Et on ne peut pas non plus dire que ton attitude reluisait de bienséance et d’intelligence...

Elle avait levé le verre à la hauteur de mes yeux, une moue navrée sur le visage.

— Oui je sais... je suis désolée, ok ?

Je l’avais prise de court, elle n’avait pas l’habitude que je batte en retraite si rapidement, ni même que je m’excuse. Un petit silence c’était installé entre nous deux tandis qu’elle sondait mes yeux avec la force d’un rapace :

— Est-ce que tout va bien ? Est-ce que... j’ai vu que... Vous sembliez plus proche avec Dorian ce soir.

J’étais scotchée. Je l’observais choquée. Était-elle sincèrement en train d’insinuer ce que je pensais qu’elle était en train d’insinuer ?

— C’est toi qui voulait qu’on se rapproche, non ?

— Oui, enfin, pas de toutes les façons possibles non plus. Il avait l’air... troublé. Il t’a dit quelque chose ?

Ouais il a dit qu’il voulait me baiser. C’était ce que j’avais envie de lui répondre. Parce que c’était le film qu’elle était en train de se faire, j’en étais persuadée. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien supposer d’autre avec le mot “toublé ?” C’était pas non plus comme si c’était un amnésique qui sortait du coma... Pourtant j’avais rien dit. Parce qu’elle m’aurait giflé. Je le savais. Et j’avais envie de tout sauf de ça, j’avais déjà bien suffisamment pris de baffe mentale pour ce soir.

— On a juste parlé, maman. Il m’a dit que je donnais l’impression de pas être à ma place et qu’il trouvait qu’au contraire j’avais su faire mes preuves. On a ensuite parlé de votre projet top secret vu qu’il me l’a montré il y a quelques jours et c’est tout...

— Comment ça ?

Sa question avait fusé comme la lame d’un rasoir sur une gorgée.

— De quoi ?

— De quel projet top secret vous avez parlé exactement ?

Elle articulait avec une telle précision qu’elle semblait sur le point d’exploser de colère.

— Du truc caritatif.

Elle sembla désarçonnée.

— Avec les animaux.

Elle semblait complétement perdue. Pourtant, Dorian m’avait bien dit que la mairie était aussi au cœur de ce projet. S’il fallait encore une preuve qu’il était un immonde connard, je la tenais ma preuve. Elle était au courant de rien parce qu’il n’y avait rien. Il m’avait menti, de A à Z. Pourtant, au lieu de réveiller une envie nouvelle de me battre, ce qui arrivait ensuite fini de m’achever.

— Ah oui, bien sûr. Le projet des animaux. J’ignorai que tu savais. C’est très bien ma chérie.

Mon cœur avait volé en éclat comme un verre mit sous pression. Elle ne voyait absolument pas de quoi je parlais et pourtant... elle faisait comme si elle savait. Elle s’était reprise de la même façon que lui. Était-il seulement possible qu’ils soient de mèche ? Ma mère était-elle corrompue. C’était trop dur, beaucoup trop dur à avaler. J'avais envie d’hurler, de fondre en larmes... mais pas ici. Pas comme ça.

— Bon... si l’interrogatoire est fini, je voudrai pouvoir rentrer. J’ai dit à Dorian que je partais. J’ai promis à Henry son histoire et je veux être en forme pour demain alors...

— Oui, aucun soucis chérie, tu veux que j’appelle un taxi ?

— Non... je vais marcher, ça me dérange pas.

— Je ne peux pas rentrer tout de suite...

— Je sais t’inquiète, marcher c’est bien.

— Bon... soit prudente et envoie moi un message quand tu es arrivée. Je viendrai te dire bonne nuit dans ton lit.

— Top. Bonne soirée alors.

J’avais eu un sourire que j’avais du mal à faire sortir, même mon “top” avait sonné faux. C'était beaucoup trop pour une seule soirée. Elle m’avait sondé quelques secondes encore avant de poser sur ma joue un de ses baisers rapides et froids qui faisait parfois douter Henry sur son amour pour nous. J’avais récupéré mon manteau et j’étais sortie aussi rapidement que je l’avais pu. Sur la route, j’avais pleuré, beaucoup pleuré. Et juste avant de rentrer, j’avais séché mes larmes, espérant que la nuit me permettrait de tout oublier et que demain, la vie serait plus belle. Et si je ne pouvais pas oublier... alors je me battrais.


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Erwin Dorian
« If the crown should fit, then how can I refuse? »

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- Pour ma victoire? C'est adorable, trésor... Même si en toute modestie, je dois admettre, qu'au-delà de cela, je suis un prestigieux modèle pour mes concitoyens"
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________________________________________ 2024-02-27, 23:17 « If the crown should fit, then how can I refuse? »




Une dette à payer



A cet instant précis de sa vie, pourtant fort réjouissante, Erwin Dorian se sentait particulièrement en mauvaise posture. Débarquée à l’improviste dans son bureau avec l’inflexibilité que chacun lui connaissait, Regina Mills le toisait, un sourire policé aux lèvres, les bras croisés. Elle n’avait pas rendez-vous avec lui et quand bien même des affaires communes les avaient rassemblé ces dernières années, jamais la Maire de Storybrooke n’avait pris la peine de débarquer à l’improviste pour lui rendre une visite, dans l’encadrement de son bureau. Le notaire ne l’avait déjà vu agir ainsi qu’en cas d’extrême emportement. Lorsque quelque chose déplaisait de près ou de loin à Madame le Maire, le fauteur pouvait être sûr de la voir surgir en personne pour lui demander des comptes. Et il semblait que c’était ce qui se produisait aujourd’hui…
Une goutte de sueur se forma au sommet de sa soigneuse chevelure.
Depuis l’époque où il la connaissait, ce qui remontait à un nombre d’années dont Erwin Dorian avait perdu le compte, le notaire s’était toujours arrangé pour éviter une situation de cette envergure et demeurer dans ses petits papiers. Personne n’aimait froisser Madame le Maire.    Personne n’aimait perdre son appui. Encore moins ceux qui avaient su en bénéficier. Le notaire espérait à présent que sa période de grâce ne venait pas de prendre fin.
Regina Mills était une femme redoutable, une politicienne hors pair et une femme d’affaire acérée. A bien des égards, le notaire l’enviait.. il effectuait certes des petites malversations, des services peu recommandables mais cela était loin de toucher à l’engrenage considérable que la Maire avait su créer ni à posséder le talent pour le pouvoir dont elle usait au quotidien. Tout juste était-il ravi d’avoir su attirer son attention et de pouvoir lui rendre quelques « services ». Elle ne l’admirait pas, comment aurait-elle pu, mais il avait toujours cru susciter au moins une sorte d’appréciation de sa part…
Alors pourquoi soudainement, les choses semblaient si changées?
Hélas, il ne savait que trop pourquoi…
Lissant sa chemise, il se leva promptement, désignant d’un mouvement de la main la chaise devant lui :
- « Madame le Maire, quel plaisir de vous voir » n’en déplaisait au frisson qui lui parcourez l’échine, il s’évertua à donner le change Ne lui tendit pas la main, pour éviter le déplaisir de se voir refuser une poignée de main. « Je suppose que Alexis motive votre visite? ».
Il ne pouvait en être autrement. En témoignait, s’il avait besoin d’autre chose l’absence flagrante de la jeune femme. Elle aurait du être là… Il venait de consigner son retard dans son carnet, son esprit vagabondant à l’explication de son absence. Se trouvait-elle en train de fureter ailleurs ? A présent, la présence de la Maire Mills expliquait différemment son absence. Il gageait que cette dernière avait écarté sa fille pour s’accorder le loisir de cet entretien.
Bien évidement… Comment pouvait-il en être autrement ? Et comment avait-il pu avoir l’orgueil d’espérer pouvoir agir ? Regina Mills était trop fine pour ne pas noter le changement. Les changements consécutifs, d’ailleurs. Et dire qu’il avait cru la menace pleinement évincée. La jeune femme commençait à le voir avec des yeux nouveaux, à l’écouter et manger ses mensonges, et cela était si radicalement différent de l’hostilité initiale, clairement affichée depuis le départ que la maire n’avait pu que le constater. Le rétropédalage qui en avait suivi à la suite de cette soirée n’en n’avait été que plus notable. Mais peu violent. Pour cela, il pouvait applaudir la jeune femme pour le sang-froid de circonstance qu’elle avait su afficher. L’ombre du soupçon n’aurait pu n’être que fugace. Mais un instinct nouveau en lui, lui avait soufflé que cela ne l’était guère, c’était plus que cela : la trêve était rompue, les recherches reprenaient avec davantage de ferveur. La semaine qui s’était ouverte après cette fameuse soirée lui avait donné raison et lui avait permis de vérifier ce fait. Alexis Child fouillait et se méfiait à nouveau. Envolée les confidences et la sensibilité qu’elle avait affichée au dehors, toute faille et souffrance se trouvait à présent muselées. Sous couvert d’une attitude polie, elle s’était, à présent, refermée comme une huître. Même Jérémy en faisait désormais les frais. Peut-être ne disposait-elle à son égard moins de certitudes quant à son rôle, mais au moins avait-elle décidé de ne plus lui faire confiance, jusqu’à ce que la situation soit éclaircie. Oh bien entendu, elle avançait en terrain miné et n’avait rien trouvé de compromettant, mais elle avait cependant fait le choix de persister dans sa progression. Quoiqu’il en coûte. Quoiqu’il lui en coûte. Erwin se força à sourire, mais son corps demeurait raide. Regina savait cela. Elle connaissait sa fille et elle était sagace. La question était encore de savoir pourquoi elle s’était rendue jusqu’à son office et ce qui motivait sa colère. Etait-ce uniquement cela ? Parfois, sous l’œil perspicace et assuré du Maire, il semblait au notaire qu’il se retrouvait mis à nu. Jusqu’à l’os et au-delà de ses entrailles, jusqu’à des recoins presque insoupçonnés de lui-même, dont lui-même n’avait connaissance. Longtemps, il avait regretté cette sorte de fragilité qui seyait peu à son image. Mais Jérémie la ressentait aussi. Cette étrange impression de n’être que du verre enserré entre les mains de Regina Mills. Du verre prêt à être brisé.
Aujourd’hui plus encore, il redoutait du degré de sa clairvoyance, attendant derrière son sourire, le couperet de ses idées.
- « Ravie de voir qu’il vous reste un certain bon sens, Dorian » Sa voix glaciale et élégante avait claqué dans la pièce, alors qu’elle refermait la porte derrière elle. Fort heureusement, les clients étaient éloignés de son bureau… Cela aurait été fort peu commercial. Et il savait que Regina n’avait pas daigné lui faire grâce de sa discrétion. Avant même qu’il ne l’y invite, elle s’était assise dans le fauteuil face à lui, la froideur et la colère vrillant ses prunelles. « Je commençais sincèrement à en douter ».
Le pouls du notaire s’était accéléré instinctivement, alors que sa tête se rejetait en arrière d’un millimètre, comme sous l’effet d’une gifle. Et pourtant, il ne broncha pas davantage. Presque abaissa le front, contrit, peiné de se voir rabroué. Cela était normal. Evident. Sauf pour la part de lui, presque nouvelle et curieuse qui s’agitait en silence derrière ses pupilles dorées et baissées. Cette même part de lui qui avait si promptement jaugé la situation désastreuse avec la fille Child… Et qui avait envisagé une solution. Cette solution…si simple. Et si...définitive. Cette part de lui qu’il devait absolument cacher à l’œil alerte de Madame le Maire… Et qu’il craignait qu’elle ne découvre ou ne voit déjà.
Il tâcha de la reléguer au lointain, dans les tréfonds de son âme et énonça :
« Madame le Maire, vous me voyez profondément navré…Je puis vous assurer pourtant que je tiens votre fille éloignée de toute information déterminante.. »
C’était vrai. Alexis n’avait encore rien découvert. Mais elle creusait. Elle creusait si fort… Et elle ne s’arrêterait pas. Elle était tenace, il devait lui reconnaître. Pugnace et perspicace. Des qualités notables pour d’autres circonstances, mais détestables dans sa situation. Et le stage bien qu’approchant de sa fin, n’était pas encore terminé. Il restait peu de temps. Mais tout demeurait possible, comme la voix froide et tranchante de Madame le Maire ne manqua pas de le souligner :
« De moins en moins éloignée cependant, avez-vous au moins la capacité de le voir ? Je vous avez pourtant prévenu, Alexis nourrit une profonde méfiance pour vous, j'ignore comment vous vous débrouillez mais le petit numéro que vous lui offrez, pourtant savamment rôdé avec le plus commun des idiots ne semble avoir aucune prise sur elle. Peut-être parce qu'elle n'est pas une imbécile." Elle l’avait toisé sévèrement et il avait comprit le sous-entendu. « Peut-être ne parvenez-vous qu’à charmer les abrutis ». Voilà ce que criait son silence. Une sorte de dédain courut en lui, incongru, masqué par la honte, Et quand bien même, il s’humectait la bouche, vexé et honteux, il s’entendit pourtant glousser, l’observant avec une tranquillité presque sournoise qu’il ne se connaissait pas, maître de lui-même. Puis, cela lui était passé, en une fraction de seconde, le laissant cependant perplexe mais de nouveau contrit et mal à l’aise…alors qu’elle poursuivait
- « J'ignore ce que vous lui avez raconté l'autre soir et même ce qu'il vous a prit de disparaître avec elle, deux verres dans les mains mais quand elle est revenue elle n'était plus la même... Et depuis son "carnet d'enquête" comme elle aime à l'appeler se remplit de plus belle.… »
A nouveau, elle le sondait, et il fuyait son regard, mal à l’aise. Encore plus depuis qu’il avait surpris l’éclat de fureur qui avait dansé dans les yeux de la maire alors qu’il avait ricané face à ses propos… Elle l’avait mal pris, évidement. Que lui avait-il pris pour ricaner à la barbe de Regina Mills ? Promptement et avec une douceur gênée, il poursuivit rapidement, pressé de faire disparaître cette impression de ses yeux. Il le fallait s’il voulait rester bien vu et ne pas voir sa position sociale chahutée.
- « Votre fille et moi avions une conversation des plus badines. Pour ainsi dire, elle était tout à fait acquise… Puis, nous avons évoqué Madame Lionheart, au fil de la conversation et un déclic s’est fait chez elle, je le crains. Je puis vous assurer que fort heureusement, aucune information capitale ou destructrice ne m’a échappé, soyez-en assurée, Madame le Maire. Vous avez ma parole. Non… Ce n’est qu’une simple affaire de futilité, une évocation et la chronologie des faits lui est vraisemblablement revenue en tête… » il claqua la langue par dépit, tout en pianotant sur son bureau « Elle n’a aucune preuve, aucune certitude, aucun élément matériel, mais elle a assez de jugeote pour deviner et soupçonner que cela cache quelque chose. Alors, voilà une semaine qu’elle cherche et furette…»
Elle l’avait écoutée, complètement crispée.
« Quoiqu’il en soit, vous avez suffisamment « badiné » pour laisser apparaître une faille dans son endormissement, espèce d’abruti ».
Erwin avait cillé, cloué sur place. Un instinct hautain vogua vers l’extérieur, indifférent, supérieur, puis reflua vers son être, sans faire de vague. Le notaire encaissa, morose, en baissant la tête. Elle avait totalement raison, bien évidement. Il avait été complètement idiot… S’était laissé perdre dans son babillage. Et il venait totalement de se discréditer à l’égard de Regina.
La mâchoire complètement crispée, cette dernière avait esquissé un mouvement en avant, nerveux, qu’elle avait arrêté, pour se rasseoir plus correctement dans son fauteuil.
« Et qu’avez-vous donc prévu pour rattraper ce désastre ? »
Elle le toisait, encore. Mais ce n’était guère qu’une question rhétorique, comprit le notaire. Elle ne savait rien. Rien de ses réflexions. De ses hypothèses. Elle ne savait pas ce que son esprit bien plus sinueux qu’à l’ordinaire s’était mis à envisager. Alexis furetait bien trop pour que la situation lui plaise. Et à l’y regarder fourrer son nez dans son affaire, il avait bien évidement songé à alerter Regina. C’était la solution la plus simple, bien qu’aussi humiliante qu’il l’avait craint. Peut-être était-ce pour cela qu’il avait hésité. Peut-être… Mais, il devait le reconnaître, ce n’était pas ce qui l’avait arrêté non plus. Pas totalement. Il avait songé à ses propres manigances ; au pouvoir que cela lui donnait et l’agacement très particulier que comportait le fait d’avoir en permanence une petite abeille autour de soi, prête à enfoncer son dard… Mais qu’était une abeille après tout ? Une menace infime, bien que sa piqûre puisse faire des dégâts. Et lorsqu’elle piquait, elle se condamnait à mort. Encore aujourd'hui, Maître Dorian s’étonnait de la simplicité avec laquelle il avait envisagé cette solution. Eliminer Alexis Child. Définitivement. Presque l’entreprise l’avait séduit. Quoiqu’il puisse être, il n’avait jamais tué qui que ce soit, se bornait à escroquer les autres. Mais soudainement, tout lui avait paru, aisé et même approprié. Elle agaçait ses affaires, à quoi bon s’en encombrer ? Et il devait admettre avec crainte s’être passionné à y réfléchir, à l’organiser. Avec une précision et un brio nouveau.Une seule chose finalement avait retenu sa main. Et il devait l’admettre, cela n’avait pas été sa moralité. Non. C’était la vision de Regina Mills, aussi redoutable qu’alors. Il devait se tenir hors de tous ses soupçons, pour ne pas que cette dernière puisse remonter jusqu’à lui. Il avait réfléchi à la tromper…
Comment diantre avait-il pu ne serait-ce que penser braver, tromper ou contrer Regina Mills ? Il se le demandait encore, l’esprit encore pourtant rempli d’hypothèses multiples scénarisant l’accident coûtant la vie à sa fille.
Même encore maintenant, il n’avait pas encore renoncé à ce projet. C’était elle, fière et autoritaire qui l’avait mis à mal, en débarquant à l’improviste, avant qu’il n’ait pu contenir ces divagations étranges de son être.
Mais pourtant, là encore elle le toisait encore, certaines de son incompétence, certaine de sa lâcheté.
« Qu’avez-vous donc prévu pour rattraper ce désastre » avait-elle demandé. Et elle l’avait précisé soudainement, lointaine aux errements meurtriers du notaire :
« Rien, bien sûr parce que vous ne toucherez à aucun de ses cheveux et que vous n'avez plus la capacité de faire machine arrière. Je vais m'en occuper quant à vous... vous allez finaliser son stage dès ce soir. Préparez moi un papier que vous apporterez à la mairie demain matin à 8h. J'ai pris la liberté de la faire rentrer directement à la maison à la fin de sa journée... qui s'est terminée il y a maintenant... 5 minutes". Elle avait consulté sa montre, l’espace d’un instant avant de le regarder à nouveau…. « Je laisse à votre charge d'expliquer à vos clients pourquoi "Miss Child" a du finaliser son stage plus tôt. Rien de déshonorant. Faites vous passer pour quelqu'un d'empathique pour une fois et dîtes que vous lui avez laissé un peu de vacances suite à son excellent travail. ».
Elle lui dictait tout, comme à son habitude, la Maire donnait ses ordres. Mais Erwin n’y trouva aucune honte. C’était une excellente idée, une excellente porte de sortie. Que Regina gère donc le problème. Elle était suffisamment forte pour y parvenir… bien qu’aux prises avec une adolescente bien éveillée quant à sa situation. Il songea soudainement au mal-être d’Alexis, ses prises et inquiétudes… Elle aurait pu être totalement sous son joug s’il avait pu manœuvrer et omettre cette dommageable allusion à Madame Lionheart… Oh qu’importait ! Pourquoi diantre aurait-il eu envie d’une telle chose ? Pourquoi diantre aurait-il eu besoin de plus que ce qu’il possédait déjà ? Une situation confortable en ville, voilà ce qu’il avait et il ne pouvait aspirer à mieux. Alexis Child était une épine dans le pied et la Maire venait de l’en débarrasser, voilà qui était parfait. Avec efforts et déférence il finirait par obtenir le pardon de cette dernière. Tout était pour le mieux. Il n’aurait à éliminer personne.
Regina se levait, d’ailleurs. L’entretien était à présent pour elle, terminé et clôturer. Elle avait réglé l’incident, fin de la conversation, il ne méritait rien de plus… Il fallait qu’il regagne ses bonnes grâces, Alors qu’elle lissait sa robe de tailleur, il ouvrait la bouche pour l’en remercier, prêt à se mettre debout pour l’aider à sortir du bureau.
« Ah et...Dorian » Il n’avait pas eu le temps d’esquisser un geste qu’elle avait fondu sur le bureau, les deux mains posés à plat sur le bois, son visage beau et froid à quelques centimètres du sien  «  Elle a 16 ans. Ne vous avisez plus JAMAIS d'esquisser dans votre esprit pathétique une quelconque pensée à son sujet. Ne la regardez plus, ne lui adressez plus la parole, sinon l'idée qu'elle puisse percer votre affaire à jour sera le dernier de vos soucis, me suis-je bien faite comprendre ?"
Dire qu’il s’était liquéfié était une chose, face à son rapprochement menaçant, mais les propos qu’elle tenait l’avait ahuri. Comment cela ? Comment pouvait-elle ne serait-ce qu’envisager une chose aussi… pitoyable ? LUI intéressé par Miss Child ? Peuh ! Mais au dédain, s’ajouta une peur panique. C’était le pire de tout. Le pire de tout, qu’en plus de le prendre pour le dernier des imbéciles, Regina Mills puisse craindre un quelconque comportement inapproprié de sa part. Si elle persistait dans cette folie, il pouvait oublier tout bon traitement !
Ouvrant grand ses yeux, il protesta d’une voix aiguë
« Mais Madame le Maire jamais de la vie je ne tenterai quoique ce soit à l’égard de cette petite gamine … de votre fille » rectifia-t-il avec empressement, le visage profondément choqué. « Je n’ai guère d’attrait pour les jeunettes et quand bien même cela serait le cas, le Ciel me préserve de cette idée ridicule. Jérémie serait plus à craindre… mais...mais je me porte garant qu’il n’a jamais non plus rien tenté à son égard. Bien évidemment… Si… Si … Lorsque je parlais de badinage, si cela a pu vous induire en erreur, je… je tiens à préciser que nous parlions tout simplement de...de projets professionnels ! » s’exclama-t-il les yeux fixés dans les siens « Et si Ciel cela serait saugrenu mais votre fille a développé par mégarde une obsession quelle qu’elle soit à mon égard, je puis vous assurer que j’en suis totalement innocent… ! Si cela est arrivé, cela est hors de mon contrôle, je n’ai guère appuyé toute inclinaison à mon endroit » Et même si la contemplait interloqué, sa lèvre avait frémi presque d’orgueil pourtant, à l’idée d’être si particulièrement séduisant. Il avait secoué la tête « Vous avez ma parole de toute manière que je ne tiens en aucun cas à revoir Miss Child. Et qu’à l’inverse je vous suis particulièrement reconnaissant pour le soutien que vous savez témoigner à mes ...entreprises… Il sera particulièrement important pour moi de vous remercier pour votre appui, Madame le Maire, et de faire disparaître ce déplorable incident de nos...accointances. J’espère que vous me savez, particulièrement dévoué à votre cause… »
Il avait craint qu’elle n’objecte quoique ce soit. Parfois, il semblait au notaire que Regina Mills avait le pouvoir de pulvériser autrui d’un simple regard ou claquement de doigt. Se faire haïr d’elle pour une raison aussi grotesque était la pire catastrophe qu’il pouvait lui arriver… Il avait espéré l’en convaincre. Avait retenu son souffle, par crainte d’une diatribe assassine. Mais elle n’avait rien dit, rien ajouté. L’avait toisé de ses yeux froids, puis s’était redressée, comme si rien ne s’était produit encore. Il en avait réchappé. Pour le moment.
« Contentez-vous de rester éloigné et de faire ce que je vous dis » furent ses seules et dernières paroles.
Puis elle était partie. Laissant le notaire particulièrement désœuvré et pensif. Au moins le problème se voyait résolu et il ne verrait plus le nez fureteur de Miss Child ni même son sourire insolent. Et puis, une vie s’en trouvait épargnée… Si Regina parvenait à contenir sa fille… Presque malgré lui, Erwin Dorian restait dubitatif à ce sujet. La jeune fille était coriace, en rébellion qui plus est. Qui savait ? Peut-être que même Madame le Maire ne parviendrait pas à la détourner…
Mais l’Avenir avait donné raison à Regina Mills. Cette journée là, Alexis Child était définitivement sortie de sa vie.
Pour n’y revenir que des années et des années plus tard….


Présent…

Preminger ne pensait jamais à la Malédiction. A quoi bon servait de ressasser un moment où son esprit avait été muselé pour être cantonné à moins d’un cinquième de sa personnalité et de ses ambitions. Il ne reniait pas ce qu’il avait été, savait simplement en quoi il avait été limité et pour quels desseins.
Pourtant, aujourd'hui, il y songeait. Songeait notamment, à ce stage où Alexis jeune, la version insupportable de celle qui était finalement devenue sa maîtresse, avait travaillé à l’étude notariale. Une période qui n’avait que peu arrangé sa vision d’elle. Il l’avait d’abord vue comme une petite fouineuse, une rebelle agressive et peu intéressante. Puis avait découvert son opiniâtreté, sa persévérance, son mal être qu’elle dissimulait derrière des mots claironnés hauts et forts, son potentiel, sa personnalité astucieuse. Et enfin, subitement, elle avait tout abandonné. Oh, certes, il avait compris que sa mère l’avait éloignée de ses manigances, mais il l’avait vu tout renier, devenir tout ce qu’il avait espéré un jour l’éloigner… Elle était devenue à ses yeux la caricature de ce qu’elle projetait.
Ce n’était que des années plus tard où il l’avait retrouvée, mature et perspicace…
La compréhension des enjeux et des moyens magiques dont disposait à l’époque Regina pour garder captive l’entière population de Storybrooke dans sa main lui avait permis de régler nombre de situations et permettait avec clarté à Preminger de comprendre la manière dont Regina avait su acheter le désintérêt de sa fille. Celle-ci ne s’était pas soudainement détourné de ses recherches.. Celle-ci n’avait pas été une exception. Erwin le savait à présent, Regina seule avait eu cette facilité déconcertante à sortir de l’esprit de sa fille, son envie dévorante de fouiner… Parce qu’elle n’avait eu qu’à l’effacer. Littéralement. L’enquête… et même lui.
Alexis n’avait, par ailleurs, jamais récupéré ses souvenirs, de nombreuses discussions communes avaient été l’occasion pour lui de le comprendre. Cela valait mieux pour lui certes… Même s’il regrettait pour elle. Et puis, elle vivait aussi privée de quelques souvenirs de lui, d’eux. Même si rien n’aurait été identique si cette mémoire ne lui avait pas été ôté.
L’attirance existait depuis l’origine, sûrement. Une attirance bien plus platonique, certes, mais qui n’avait pas manqué de faire des petits ravages. Le Lien qui les unissait était fort et divers. Mais il les ramenait toujours, peut-être… En définitive, pour eux, cet oubli avait du bon.
Mais aujourd'hui, ce qui occupait davantage ses pensées tenait à Crafty… Toujours prisonnier de ses geôles, l’individu pourrissait chaque jour davantage, sans encore exhaler son dernier souffle. Rien ne pressait. Du moins, c’était ce que pensait initialement le Maire.
Jusqu’à une petite remarque anxieuse d’Alexis quant au piétinement de l’enquête. Qu'est-ce déjà ? Rien qu'une petite phrase aussi anodine que:
«Si cela continue, je vais chercher moi-même… Il ne peut pas leur échapper à tous comme ça, ni disparaître des radars ! »
Sur l’instant, il lui avait offert un simple sourire obligeant :
« Je suis persuadé que la police suit une piste sérieuse, peut-être ne peuvent-ils pour le moment pas te mettre dans la confiance ».
Ce n’était qu’une petite remarque, mais une énième de ce genre. Et davantage marquée que les autres fois. Pressée par l’urgence et l’angoisse.
Alexis demeurait stressée, inquiète, sur le qui-vive. L’agression quoique indirecte l’avait profondément affectée. L’attente et le flou n’aidaient en rien. Au contraire, ils renforçaient sa colère, son stress...et sa détermination.
Et cette détermination, il la connaissait, il l’avait même déjà vue. Elle était là en elle, depuis l’origine. Et elle surgissait dans ses souvenirs. Alexis était pugnace, elle était téméraire. Après tout, leurs retrouvailles ces dernières années avaient eu aussi un démarrage lié à une situation similaire. Peut-être était-elle vouée à surgir dans sa vie, en plein milieu d’une manigance…
Mais s’il avait réussi à la tenir à l’écart de ses manipulations, c’était aussi en lui offrant le visage d’un coupable désigné : Crafty. Ce même individu qui sottement avait fini par faire sienne la colère liée à son arrestation à l’égard de la jeune fille… Et l’avait transcrite de la pire des manières.
Si Alexis décidait de remonter la piste de la soudaine disparition de Crafty, elle pouvait y arriver. Elle était intelligente, plus intelligente que nombre d’autres et elle était intuitive. Elle ne le retrouverait peut-être pas mais elle remontrait ses fréquentations, son gang...
Si elle le faisait, elle pouvait découvrir le complot. Bien sûr, pas forcément son visage, mais néanmoins, elle verrait l’embuscade. Et ne s’arrêterait pas. Elle creuserait, creuserait, jusqu’à débroussailler la vérité. Jusqu’à la révéler crue. Jusqu’à les exposer aux conséquences….
Comme l’avait fait, auparavant…
Il l’avait su depuis le départ, tout comme Regina. Alexis ne s’arrêtait pas. Elle était une machine lancée à perdre haleine, à brides abattues, pour la Vérité. Elle poursuivait son intime conviction, son enquête, sa recherche. Jusqu’aux risques. La Méchante Reine de l’époque ne pouvait pas prendre le risque que sa fille remonta plus loin. Elle l’avait protégé, lui et surtout elle, ainsi que sa Malédiction. Alors Alexis s’était effacée.
A présent… Il ne pouvait pas recourir aux mêmes stratagèmes. En plus, il ne possédait aucune magie.
Et puis, pouvait-il la blâmer de tâcher vouloir plus que la Vérité, mais jusqu’à la Sécurité des siens ? Sa quête n’était pas égoïste, elle visait aussi la protection d’Isaac, de Lui et de toutes les personnes que Crafty était susceptible de menacer.
Si elle découvrait qu’il était en vie, torturé, elle le soupçonnerait en revanche. Qui pour le faire ? Sinon de ceux dont l’âme était déjà noire ?
Elle ne pouvait pas découvrir la vérité. Mais pour l’en faire échapper, alors, il n’y avait qu’un seul moyen… Crafty devait mourir plus hâtivement que prévu... Oh, qu'importait après tout, sa vengeance était acquise et puis, il gaspillait aussi son argent à nourrir une bouche inutile... Quand bien même, cela faisait quelque temps que ce dernier n'avait rien avaler!

Les gros titres annoncèrent quatre jours plus tard la macabre découverte d’un corps calciné dans les restes d’un ancien entrepôt. Une équipe de pompiers en plein entraînement l’avait retrouvé par hasard. Ce ne fut que trois jours plus tard que l’on révéla les résultats de l’autopsie. C’était Crafty. Sa voiture fut postérieurement retrouvée calcinée quelques mètres plus loin. La recherche mena à un règlement de compte, il s’avérait que l’individu avait collectait de grosses dettes de poker avec une mafia locale. Les stigmates découverts sur le corps du mafieux concordaient, les témoignages recueillis ainsi que les interrogatoires confirmèrent cette théorie.
Crafty était mort. Alexis s’en trouvait apaisée. Elliot s’en trouvait protégé. Preminger s’en trouvait préservé. La vérité, elle, s’en trouvait dissimulée…

Pour le moment.


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