« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
la bêtise humaine, la seule chose qui donne une idée de l'infini
Raven | Weenonah
C’était décidé, il fallait que je me fasse violence. Je me revois, hier matin plantée devant le miroir de ma chambre, à soupirer. Sortant à peine du lit, la mine pâlotte et les cheveux en pagaille. L’hiver avait été long, les raclettes party nombreuses, mon ami le Père Noël bien trop généreux avec le chocolat. Les kilos en trop ne m’avaient que bien trop vite rattrapée au début du printemps. Pour ne rien arranger à ma situation, ces derniers mois j’avais arrêté de bouger. C’était tellement tentant de rester bien au chaud sous la couette les week-ends glacés. Entretenir ma forme m’avait toujours paru important, et quel plaisir c’était d’aller courir dans la forêt pour rester en forme. Après une dernière pizza avant une longue liste de plat longs à préparer certes mais sources de protéines et de bons glucides, le réveil programmé pour le lendemain, 7 heures pétantes, je m’étais endormie plus déterminée que jamais à reprendre de bonnes habitudes. Et ce matin, à l’aurore, j’étais dans le même état d’esprit : bien décidée à faire preuve de rigueur dans l’entraînement. Il ne me restait plus qu’à croiser les doigts et espérer qu’il ne fasse pas trop froid… les beaux jours sont revenus, sans aucun doute, mais les températures restaient encore bien fraîches. Surtout tôt le matin. L’horrible période de l’année où ne pas prendre de manteau le matin est complètement irresponsable tellement il fait froid, mais où le garder sur le dos l’après-midi relève du challenge tellement il fait chaud.
Airpods dans les oreilles, running aux pieds, je clôturai mon rituel par le nouage de mes cheveux. Une queue de cheval relevée pour être tranquille. Inutile de chercher plus loin. J’étais là, sur le perron de la porte, remerciant les divinités de m’avoir apporté le soleil et la douceur et prête à en découdre avec mon parcours. Je m’inquiétais seulement d’une chose ; peut-être avais-je légèrement abusé sur mon petit-déjeuner, mais je mourrais de faim en me levant ce matin. Bref. Pensons tracé. Je pensais cela inutile de me lancer dans des explorations en tout genre, je préférais me cantonner à mon tracé habituel : regagner la plage en traversant la forêt, et remonter le littoral jusqu’au centre-ville de Storybrooke. C’était sécurisé, avec des sentiers bien balisés jusqu’à la plage, il n’y avait aucun risque. Let’s go ! Les vingt premières minutes de course me parurent une éternité. Presque essoufflée, le corps déjà abandonné aux courbatures qui le rongeai de part en part, je souffrais le martyr pour parcourir les derniers mètres de sentiers forestiers. La plage n’était plus très loin. J’allais pouvoir souffler un peu. Mais mince alors, j’avais oublié de prendre une petite bouteille d’eau. Je la soupçonnais déjà d’être à l’origine de mes courbatures. On ne pouvait pas faire mieux pour une reprise ! Pauvre de moi. L’horizon bleu se dessinait devant moi. Demi-victoire. Si on peut dire. Il me restait bien la moitié du chemin à faire mais je ne regrettais pas vraiment mon choix malgré tout. Je savais que c’était pour la bonne cause, et après tout on ne dit « se faire violence » pour rien non ? L’océan était à présent clairement visible devant moi. Sans une seule hésitation, je me lançai sur un petit chemin en pente qui rejoignait la plage. Mais rapidement, mes petites foulées devinrent des pas, de moins en moins soutenus. Chacun leur tour, mes muscles rendaient leur tablier et fermaient la boutique. Presque pliée en deux, souffle court et haletant, j’en venais à penser abandon. Tant pis pour l’honneur et la satisfaction personnel ; mon corps flanchait. Il fallait que je m’arrête. Je ressentais une douleur dans un premier temps tout à fait étonnante dans l’abdomen. Une douleur parfaitement localisée qui était heureusement largement soutenable. Me cramponnant légèrement le ventre, je ne pouvais que constater, à chaque nouvelle pulsation de mon cœur, la douleur qui se voulait grandissante et à chaque instant toujours un peu plus prenante. Dans un flash-back indescriptible, j’eus un semblant de souvenir pour le petit-déjeuner de ce matin. Et merde. Des toilettes, il me fallait des toilettes. Estomac rempli, digestion et jogging faisaient définitivement partis de mes combos « Mauvaise idée ». Noté dans ma liste. Heureusement, la jetée de la plage n’était plus très loin. Cela voulait dire que les toilettes publiques aussi. On pouvait dire que cela m’arrivait au pire moment. Il fallait que je me dépêche. Profitant de l’aube et de l’absence d’un quelconque témoin sur la page si tôt, mais me faisant toute petite malgré tout, je me faufilais entre les transats pour entrer me cacher dans les toilettes publiques. Le rêve. Vous vous imaginez, ce genre de situation alors qu’on se remet à peine à la course ? C’était forcément un signe. « Arrête c’est une mauvaise idée. » Sans oublier qu’on aura connu mieux niveau hygiène. Mais les crampes me raidissaient. Elles s’étaient emparées de tout mon être. Je n’en pouvais plus. … « Libérééééééée, délivréééééééée… ! »
Je n’avais pas pu m’empêcher. Je vous passe les détails, évidemment. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ça sortait du cœur. Tout ça n’était plus qu’un fâcheux épisode à bannir de ma mémoire. Soulagée comme je ne l’avais jamais été, après avoir bien pris soin de me laver mes mains, je décidai de reprendre la route ; tout en essayant de faire fî des courbatures qui donnaient à ma course une allure dandinante d’oie. On aurait très bien pu croire que je faisais exprès de rouler du popotin comme ça. C’est seulement après les dix premières foulées que je remarquai la présence d’un garçon – il m’était impossible d’en discerner l’âge mais il semblait entrer dans l’adolescence - à une cinquantaine de mètres à peine de moi. Je me demandais ce qu’il pouvait bien faire ici, à cette heure-là. Je l’entendais rire, alors que ce n’est pas très commun de jouer seul à ces âges-là. Au fond de moi, j’espérais seulement qu’il ne m’avait pas vue entrer dans les toilettes. Après un petit temps de latence, et visiblement l’indifférence la plus totale de la part de ce jeune homme, il fallait que j’en finisse avec ce supplice. Pour regagner la route je devais passer devant l’ado qui jouait. Ses rires étaient glauques, glaçant presque le sang. Je ne comprenais pas les grands gestes qu’il faisait dans tous les sens, mais quoi qu’il en soit, ses projets n’inspiraient absolument pas la confiance. Je me rapprochai, assez lentement d’ailleurs car je ne pouvais pas plus vite de toute façon. Rapidement la scène d’horreur se dessinait. Ce pauvre nigaud ne trouvait pas meilleure activité pour entamer un dimanche ensoleillé que de martyriser un pauvre corbeau qui n’avait rien demandé à personne. Les grands gestes, c’était cet espèce d’abruti qui lançait les pierres qu’il dégotait dans le sable. Je me disais que si le temps le lui permettait, il passerait sa journée à caillasser le pauvre oiseau quitte à vider la plage de tous ses cailloux. J’étais hors de moi. Empoignée par ma colère, j’essayais de me retenir de faire un scandale tandis que je me dirigeai, le pas ferme malgré ma fragilité, vers l’abruti en question.
L’oiseau était au sol, incapable de reprendre son envol car visiblement bien trop tétanisé pour ce faire. Je priais pour qu’il n’ait pas de blessures. Comment pouvait-on être aussi bête ? Un caillou sur n’importe quelle partie du corps d’un être humain peut blesser si on y met une certaine force au lancer, ce gars ne pouvait pas se dire que sur un corbeau les maux pouvaient être bien pire ? J’étais dégoûtée par ce manque de considération humaine. Surprenant le bourreau en surgissant derrière lui, le poussant jusqu’à son déséquilibre, je contenais ma rage. « Non mais vous êtes un grand malade vous ! Je vais vous en jeter aussi des cailloux vous allez voir vous allez adorer ! » Je hurlais à pleins poumons, littéralement à la merci de mes poussées d’adrénaline. De mes bras je balayais l’espace autour de moi espérant que sa joue vienne subitement embrasser ma main droite. Ce sacripan n’avait même pas demandé son reste et avait décidé de fuir. Les jambes à son cou ça oui, ils les avaient prises ! Son courage à deux mains, ça en revanche il me fallait encore le vérifier. En temps normal j’aurais bien pris le temps de sermonner un tel garnement, surtout pour des méfaits aussi graves à mes yeux. Mais je me devais aussi de vérifier l’état du pauvre corbeau qui était été pris à partie. Il gisait sur le sol, replié sur lui-même. Je n’avais malheureusement pas pu voir si des cailloux l’avaient atteint, mais je me disais qu’il aurait forcément repris son envol s’il était intact. Tout doucement, je m’approchai de lui, la main bien tendue devant moi, accroupie. Comme si j’allais m’adresser à un chat. Non mais n’importe quoi. Soigner un corbeau, ça, je vous avouerais que je ne l’avais encore jamais fait. Vétérinaire ce ne serait pas le plus beau métier du monde si l’on n’apprenait pas tous les jours !
« Mon pauvre petit corbeau, je suis tellement désolée que certains soient capable d’autant de bêtise… » La voix pleine de tristesse, presque tremblante, j’examinais l’oiseau de loin avant de le prendre dans mes mains. Caressant tout doucement ces plumes, je soulignai une blessure à la patte gauche. Peut-être était-elle seulement tordue et fragilisée ou complètement brisée, mais je n’osai pas toucher pour ne pas affoler l’oiseau. Je n’aimerais pas être à sa place ; je ne voudrais pas qu’on me touche la jambe, alors naturellement j’avais décidé de ne pas le faire. Mais qu’est-ce que j’allais bien pouvoir faire, telle était la question.
La bêtise humaine, la seule chose qui donne une idée de l'infini
Avril sonnait le printemps. Le soleil, le beau temps, les fleurs qui apparaissent un peu partout, les arbres qui sortent de leur dormance. L’hiver laissait, encore, traîner ses doigts glacés sur les matinée, mais le monde s’habituerait, bientôt, aux douceurs d’avant l’été. Quand il est encore temps de sortir le nez dehors sans brûler. Avec le printemps, les cerisiers crachaient leurs pétales sur le trottoir et le soleil se levait plus tôt. Néanmoins, ce n’était rien de tout ceci qui l’intéressait lui.
Le corbeau étendit ses grands ailes et poussa quelques croassements sombres, comme un chant de mauvaise augure qui l’amuse beaucoup. Que les humains aient des croyances de ce genre était un délice pour un oiseau comme lui. Sans doute ont-ils raison, d’ailleurs. Lorsqu’il est dans les parages, ça n’augure rien de bon pour les mortels. Raven aimait trop emmerder le monde pour passer à côté de la moindre occasion qui se présentait à lui. Ce qui, soit dit en passant, n’avait rien à voir avec le retour du printemps.
Raven bondit de sa branche et tomba en piqué jusqu’au sol. Les plumes de son ventre frôlèrent l’herbe à l’instant où il ouvrit les ailes pour amorcer son atterrissage. Il s’écrasa de tout son poids sur un petit rongeur, à peine plus gros qu’une pièce de deux euros. Voilà ce qui faisait, véritablement, le bonheur de l’oiseau noir avec le retour du printemps : la saison des amours et des naissances qui s’ensuit. Avec le besoin de se reproduire, les animaux prennent des risques. Si, habituellement, Raven profitait, déjà, que son apparence ne soit pas celle d’un oiseau de proie pour berner son monde, voir tous ces inconscients pointer leur nez en dehors de leur tanière était un régal. Au sens propre comme au sens figuré, d’ailleurs, alors que Raven enfonçait ses serres dans le corps chaud du rongeur et commençait à picorer.
Repas terminé, Raven abandonna la carcasse derrière lui. Si, pour lui, le dimanche était un jour comme un autre, dans sa vie de corbeau, il avait compris que ce n’était pas le cas pour les humains. Le dimanche, les habitants de Storybrooke sortaient. Ça pullulait dans tous les sens, ça se pressait dans les parcs, les coins de verdure, la forêt. Ça écrasait son territoire et repoussait son terrain de chasse plus loin, là où aucun humain ne viendrait déranger ses repas. Néanmoins, ça lui permettait, aussi, d’avoir plus de têtes à portée de pattes pour emmerder le monde.
À ce titre, Raven aimait sortir le week-end, ce jour du seigneur où les foules s’amassent devant les lieux de culte, pour s’adonner à son loisir préféré. Les ailes ouvertes sur les courants d’air, le corbeau survola le parvis d’une église et largua un peu de lest, en poussant des croassements qui, sans le moindre doute, ressemblaient à des ricanements. Voir les petites fourmis, en contrebas, s’éparpiller pour éviter les restes de l’oiseau noir était d’un amusement certain, pour lui.
Quand il en eut marre, il infléchit son vol pour s’approcher des terrasses des bars. L’arrivée du printemps adoucissait les températures et les humains prenaient plus de bon temps, plus tôt le matin. Ils n’en restaient pas moins incapables de veiller sur leurs affaires, ce que Raven adorait leur rappeler. Il aimait se poser près des tables, éviter les coups de pieds, regarder d’un drôle d’air tous ces humains qui grimacent devant lui et, quand il jugeait le moment opportun, voler une ou deux viennoiseries ou, mieux, des choses trouvées directement dans les sacs à main. Il ne s’intéressait pas tant à son butin qu’aux grognements et insultes poussés par les humains. La plupart du temps, Raven abandonnait le tout pas très loin, dans les poubelles, de préférence, et repartait, plus léger, voir ailleurs s’il y était.
Ce que le corbeau aimait faire, également, c’était traîner dans les parcs, attendre que les mères détournent un peu trop le regard de leurs bambins et s’amuser à leur voler leurs jouets ou leur picorer les joues. Dans ces cas-là, Raven se battait contre la fibre maternelle qui essayait de lui faire entendre raison. Les bébés, ça n’a rien de bien : c’est moche, ça pue, ça crie tout le temps. Il ne voyait pas, lui, pourquoi il devrait s’empêcher de s’amuser un peu, à leur détriment. Puis les faire pleurer un coup, ça embêtait les mères et ça, l’oiseau noir adorait.
Cependant, ce dimanche-là, Raven préféra prendre la direction de la plage. Il n’aimait pas les mouettes et leurs cris insupportables, mais il adorait les voir voler des trucs aux humains ou, tout simplement, s’amuser à les pourchasser pour les forcer à quitter le bord de mer. L’oiseau noir se fichait bien de savoir si c’était habituel ou non, de croiser un corbeau sur la plage. Qu’il n’y ait que lui, sur celle-ci, était une bonne chose pour lui : il détestait les autres de sa race, persuadé de leur être supérieur. Puis, Raven n’était, de toute évidence, pas un corbeau normal. Alors un peu plus ou un peu moins, il n’allait pas s’empêcher de vivre pour faire plaisir aux humains.
En ce dimanche, la plage était étonnamment calme. Raven pensait y trouver des tonnes d’humains en maillot de bain, sur lesquels il pourrait lancer toutes sortes de choses bien dégueulasses. Comme de vieilles algues en décomposition sur la plage. Néanmoins, il trouva à peine un coureur, qui profitait de la marée basse pour fouler le sable mouillé, et un gamin, qui se promenait tout seul.
S’il y avait bien une chose que Raven détestait plus que les humains, c’était leurs mômes. À une autre époque, si loin dans le temps et pourtant, de son avis à lui, si près qu’il aurait pu croire qu’il s’agissait de la veille, le corbeau n’avait pas eu une très bonne expérience avec les gamins. La dernière fois, il s’était pris un caillou, lancé avec un lance-pierre, et s’était écrasé aux pieds d’un démon. Raven aurait pu mourir ce jour-là, s’il n’avait pas été un peu plus qu’un oiseau. C’était, d’ailleurs, ce jour-là que le corbeau avait signé, ou passé, le premier contrat de sa vie.
Les souvenirs, désagréables, le forcèrent à pousser quelques croassements, alors que la colère montait en lui. Raven ne voulait pas avoir affaire à ce gamin-là, mais perturbé par une époque révolue, il ne se rendit compte que trop tard qu’il survolait, déjà, le môme. Pour une fois, allez savoir pourquoi, il n’y avait aucune mouette sur cette maudite plage. Seulement le corbeau qui, inévitablement, attira le regard du gamin en laissant traîner son ombre sur son visage. Raven n’eut même pas le temps de prendre de la hauteur, de la vitesse, n’importe quoi pour s’échapper d’ici. Un battement d’ailes plus tard, le môme s’accroupissait et ramassait un caillou, qu’il lança directement sur l’oiseau noir.
Le caillou ne le toucha pas, mais Raven sentit, dans son aile, comme une affreuse douleur qui le força à redescendre un peu. Le souvenir d’une autre vie dardait ses doigts griffus dans son cerveau et, traumatisé par une mort qu’il avait frôlée de près, encore, le corbeau ne sut pas lutter. Il finit par se poser sur le sable et sautiller en direction du môme. Les ailes ouvertes, Raven essaya d’intimider cet enfant du diable qui s’amusait, toujours, à lui jeter tous les galets qu’il trouvait. Pouvait-on être aussi bête ? Même lui, qui détestait les humains, n’aurait pu le parier.
Quand il ne fut plus qu’à un mètre ou deux de sa cible, il décida que c’était le bon moment de se venger. Raven ouvrit grand les ailes et poussa un croassement puissant. Ce gamin, il en ferait son dîner. C’était décidé. Du moins l’avait-il décidé avant que l’un des cailloux ne le frappe de plein fouet. Le corbeau s’écrasa sur le côté en poussant des gémissements. La douleur fusa dans sa patte et réchauffa tout son petit corps. La haine, elle, explosa à l’intérieur de lui. Heureusement pour le môme, Raven dut lutter contre cette douleur et n’eut pas le temps de reprendre forme humaine pour se venger : une femme s’interposa soudain.
Sous ses yeux noirs, le gamin s’écrasa dans le sable, poussé par une inconnue qui, apparemment, faisait un peu de sport, ce dimanche. Raven la regarda engueuler le marmot, en espérant presque que les bras qu’elle agitait dans tous les sens s'écrasent sur sa gueule de gros débile. Il n’en fut rien. À peine remis sur pieds, le môme s’enfuyait à toute vitesse. Le corbeau claqua son bec noir, énervé par la vue de sa proie qui lui échappait. S’il le retrouvait, celui-ci…
Néanmoins, son attention fut vite détournée par la femme qui lui adressait, soudain, la parole. Raven darda ses yeux noirs sur elle, en tournant la tête. Il n’était pas un « petit corbeau » et encore moins le sien. S’il devait appartenir à quelqu’un, ce n’était sûrement pas à elle ! Il n’eut, cependant, pas le temps de se remettre sur pattes (ce qui eut été une très mauvaise idée, vu la douleur qui pulsait encore en lui), que l’inconnue s’emparait de lui. Raven faillit ouvrir ses grands ailes, se débattre, la griffer un peu, voire lui picorer les doigts, mais il n’en fit rien. Bien calé dans les mains de l’humaine, il profita de sa chaleur et de la caresse de sa peau, sur ses plumes noires. Le corbeau n’avait pas souvent l’occasion de laisser quelqu’un d’autre s’occuper de lui. Il fallait, aussi, dire que le regard de l’humaine le rassurait, comme s’il y avait, au fond de ses pupilles, une sorte d’intelligence, d’expertise qui pourrait l’aider à se débarrasser de cette douleur, dans sa patte noire. Mais comment réclamer que l’on prenne soin de lui, comme le méritait le demi-dieu qu’il était ? (Demi-dieu, seulement, parce que l’humanité n’était pas encore prête à reconnaître sa suprématie.)
» Croa, croa ! (Il poussa d’abord quelques croassements, en s’agitant un peu. Puis se calma et replia sa patte contre ses plumes noires.) Mal. Soin.
Ce qu’il y avait de bien, avec les corbeaux, c’était leur faculté, comme les perroquets, à imiter quelques sons. Évidemment, il ne valait mieux pas comparer Raven à un perroquet et, qui plus est, de par sa nature-même, le corbeau était capable de former, en langue humaine, et ce même sous sa forme d’oiseau, des phrases plus complexes que les autres animaux. Néanmoins, Raven ne s’en donnait, généralement, pas la peine et se contentait de quelques mots, d’une voix plus grinçante, encore qu’une vieille porte de grange.
» Soin, soin, soin ! répéta-t-il, en s’agitant à nouveau, entre les doigts humains.
HRP : Tu m'avais dit "avoir une idée", mais je ne savais pas laquelle, alors j'ai préféré garder Raven en corbeau encore un peu. N'hésite pas à me dire, si tu préfères qu'elle reprenne directement forme humaine ! (Ou tu peux me dire aussi, si ma réponse ne te suffit pas pour enchaîner )
Weenonah Matoaka-S.
« J'ai pas trouvé où on peut demander un rang personnalisé... ! »
la bêtise humaine, la seule chose qui donne une idée de l'infini
Raven | Weenonah
Venais-je de me retrouver subitement à avoir des hallucinations ? J’avais comme l’impression que l’oiseau avait cherché à me parler. Surprise par ce revirement soudain, je n’eus d’autre réaction que de lâcher prise, et l’oiseau alla directement embrasser le sable en ne faisant presque aucun bruit. J’aurais juré qu’il m’avait dit quelque chose. Je me reculai, ébahie. Ce corbeau, légèrement plus gros que la moyenne, avait gémi. Et il régnait dans son regard un désarroi presque humain. J’avais forcément tout inventé. Nous mettrons tout cela sur le dos de l’adrénaline. Elle a bon dos, l’adrénaline, dans les situations plutôt… invraisemblables. Heureusement, ces dernières années, j’avais appris à composer avec ces « situations invraisemblables ». Redécouvrir son histoire, comprendre son passé, pouvoir mettre des mots sur des sentiments qui jusqu’à là restaient inexplicables… Toutes des situations invraisemblables. Je me souviens, les premiers jours après mon Réveil, elles faisaient même partie du lot quotidien : tel ami qui partageait chaleureusement sa table certains soirs de Thanksgiving se trouve être en réalité un personnage exécrable dans une autre vie. Tel professeur de lycée qui martyrisait sa classe avec une aura machiavélique révélait en réalité un petit être magique foncièrement bienveillant et dévoué. Comment rester de marbre face à tant de retournements de situation ? Le plus perturbant, dans toute cette histoire de malédiction, c’était ce qu’il était advenu de toute la faune des contes. Cela me fascinait de savoir que sous l’apparence de nombreux habitants de Storybrooke se cachaient une multitude d’animaux fantastiques tout droit venus du Monde des Contes, dotés de conscience. Pendant tout ce temps, mon peuple avait eu raison, les animaux étaient sacrés et l’Homme se devait de respecter l’Animal car comme lui, il avait une vie, un esprit et un cœur. Retour à la réalité. Le souvenir avait éclairé ma lanterne. J’avais été avalée par un flot continu de pensées qui m’avait très lentement éloignée de cette plage psychologiquement, mais les croassements teintés de souffrance m’en extirpèrent. Le corbeau se mouvait difficilement, s’embourbant dans le sable au moindre de ses mouvements. Je commençais à me demander si ce corbeau n’était pas l’un de ces fameux animaux. Mais ce que j’avais appris pour exercer la médecine vétérinaire ne s’appliquait peut-être pas ici. Et à ce moment-là, je me sentis aussi utile qu’une petite cuillère pour filer la laine. Et si la façon de soigner était totalement différente ? Et si la moindre blessure affectait l’animal à tel point que son trépas était inévitable ? Intérieurement, je commençais à paniquer. Mais avant même de totalement y céder il fallait que je sois en mesure d’étayer mes soupçons. S’ils étaient dotés de conscience, peut-être que sous forme animale ils avaient la faculté de parler ? Dans une langue intelligible, j’entends. Fort heureusement, c’était tout à fait vérifiable. Alors que je m’étais quelques instants auparavant reculée du corbeau, je m’en approchai de nouveau, main toujours tendue vers la masse noire qui semblait presque vouloir se débattre. Ses plumes glissaient chacune les unes contre les autres dans une rythmique tout à fait psychédélique, telle que l’on pouvait s’y perdre et se noyer dans le spectacle. Mes yeux plongés dans les siens, encore émoustillée par la situation qui s’offrait à moi, je me préparais mentalement à adresser la parole à un corbeau en chair et en os devant moi.
J’hésitais. Il était difficile de trouver aussi spontanément que cela les mots à adresser à un oiseau dans de pareilles circonstances. D’autant plus qu’il s’agissait de ma toute première fois, alors je devais faire preuve de tolérance vis-à-vis de moi-même. Il faut se lancer. « Je suis sûre que vous n’êtes pas un corbeau. » Je marquai une courte pause, me rendant compte du comique de ce que je venais de dire. Un corbeau n’est pas un corbeau tout comme cette pipe n’est pas une pipe. D’une voix rauque, ma gorge ayant bien besoin d’être râclée à cause de tout l’embarras que j’éprouvais, je repris mon discours. « Enfin, évidemment que si vous êtes un corbeau. En revanche, un corbeau lambda comme on est censé en rencontrer en se promenant de la forêt ou n’importe où ailleurs, ça j’en doute. »
Au fond de moi, j’étais persuadée que derrière ce corbeau se cachait quelqu’un, comme si c’était devenu la seule vérité acceptable à mes yeux. Je me voyais déjà réfuter chacune des autres explications alternatives. Il coassait, et coassait toujours, mais il m’était impossible de comprendre quoi que ce soit. Ce qui ressemblait au mot « soin » me paraissait quelques fois audible mais j’avais la sensation de surinterpréter ce que j’entendais. Autour de moi, la Nature s’exprimait elle-aussi au travers des nombreux sons qu’elle faisait parvenir à nos oreilles ; mais ce mélange de souffles de vent, de fracas de vagues rabattues dans l’immensité de l’océan, et de mouettes ricaneuses qui semblaient rire de la situation… ce mélange m’empêchait de me concentrer sur la profondeur des croassements que j’entendais. Ce n’est qu’en regardant mieux le corbeau que je me rappelai la blessure que j’avais décelée, et qui expliquait notamment pourquoi il était resté dans une position de faiblesse à mon arrivée près de lui. Peut-être était-ce son aile, peut-être était-ce sa patte, mais le profil gauche du corbeau se dessinait d’une façon totalement différente du profil droit ; et c’était ce qui devait empêcher l’oiseau de reprendre son envol. Je pense qu’en temps normal, je me serais saisie de l’animal en détresse et je l’aurais emmenée à la clinique pour la soigner, naturellement, avec toutes les ressources nécessaires au succès. Mais là, je me retrouvais esseulée sur un versant isolé de la plage, tandis que la côte commençait à être littéralement fouettée par le vent jusque dans la cime des arbres. Tout à coup, c’est le ciel qui commença à s’assombrir, les belles éclaircies balayées par l’arrivée de gros nuages arborant une teinte jaunâtre menaçante. Le sable s’envolait, tournoyait dans les airs et retombait au sol avec une violence déconcertante. Mes cheveux caressaient chacune des bourrasques comme s’ils ne faisaient plus qu’un. Consciente qu’être sur une plage au moment d’un orage n’était pas ce qu’il y avait de plus judicieux, mais j’étais encore effarée de la vitesse avec laquelle le temps s’était gâté. Nous étions certes en avril (ne te découvre pas d’un fil) et tout ce qu’il y avait de plus au nord sur la côte est des États-Unis, mais les tempêtes comme ça il ne fallait pas abuser tout de même. Je voulais me mettre à l’abri, mais je ne pouvais me résoudre à abandonner l’oiseau à son sort, même s’il ne m’avait pas encore répondu, ou fait signe, ou juste pincée mais au moins réagi. Sans crier gare, j’attrapai une nouvelle fois du bout de mes doigts le corbeau, avant de délicatement le serrer contre moi pour le protéger au mieux du sable qui virevoltait tout autour de nous. Sans même relever la tête, regard fixé vers le sol, je m’étais remise à courir en direction de la forêt, à l’opposé de ma destination prévue à l’origine. Tant pis pour le jogging. « Allez tiens le coup, je vais regarder ça d’un peu plus près à l’abri de la tempête. » Je connaissais un abri sûr à quelques centaines de mètres de là où nous nous trouvions, pour l'atteindre nous devions rebrousser chemin et nous enfoncer légèrement dans la forêt. C'était un ancien refuge de chasseur qui avait depuis été fermé, mais j’espérais que la structure en bois n’avait pas été détruite depuis la fermeture. Nous nous retrouvions en quelques minutes devant la petite bâtisse, le bois avait déjà commencé à être rongé par l’humidité à cause du manque d’entretien, mais celle-ci était toujours debout. Il était peut-être risqué de s’y aventurer par ce temps bien plus que désastreux, mais je ne craignais que l’oiseau ne puisse s’accommoder d’un trajet plus long vers chez moi. Un verrou complètement rouillé ornait la petite porte qui se cachait sur le côté. D'un simple coup de talon bien dosé, il me fut bien aisé que le faire céder. La porte grinçait d'une façon qui ne pouvait que m'inquiéter, mais je sentais le corbeau qui se mouvait contre mon abdomen, bien calé sur mon avant-bras. Il nous fallait nous y aventurer. Rapidement rendue à l'intérieur, je déposai le corbeau à même le sol, dans la pénombre qui régnait dans la petit cabane.
La bêtise humaine, la seule chose qui donne une idée de l'infini
Si le printemps sonne la paix et l’amour aux quatre coins du monde (à peu de choses près), il paraissait évident, pour l’oiseau noir, qu’il en fut différemment à Storybrooke. Rien n’était jamais pareil à Storybrooke. Dans les rues, vous pouviez croiser des ânes, des éléphants ou des tueurs en série, sans même vous en rendre compte. Les musiciens de Bohême au grand complet, des personnages de dessin-animé au teint maladif et même des super héros, sans leur cape, ni leurs collants. Pour le slip, en revanche, il faudra demander à quelqu’un d’autre de vérifier l’information…
À Storybrooke, on trouve tout et n’importe quoi, à cause d’une satanée sorcière qui ferait mieux de s’étouffer avec sa perruque ! Dans le lot de ces bizarreries qui n’étonnent plus personne (ou presque), on retrouvait les corbeaux maléfiques et les gamins insupportables qui se prennent pour des caïds impressionnants, prêts à prouver au monde qu’ils sont terribles. Face à un ennemi de leur taille, évidemment, ces marmots ne tiennent pas une seconde. Ça fait les malins, mais pour de vraies emmerdes, il n’y a plus personne.
Celui-là ne déroge pas à la règle. Caillasser des corbeaux innocents (ou presque innocents, mais il ne pouvait pas le savoir, ça), ça amuse parce que c’est facile, de s’en prendre à plus petit que soi. Raven avait très envie de le lui faire regretter. Même sous sa forme d’oiseau, il restait un être profondément perturbé par la vie, un poil maléfique, qui adorait picorer les chairs vivantes et en faire son goûter. Le marmot, là, il ne méritait rien de plus que de glisser dans son gosier et être recraché directement par l’autre côté.
Même s’il était tout petit, devant le môme, Raven restait un Grand Corbeau et pas parmi les plus petits de sa race (ni les plus grands, mais il ne fallait pas le lui dire, ça). Il savait qu’il pouvait faire regretter à ce gamin d’être venu l’emmerder. Des bonnes baffes dans sa gueule, avec ses belles ailes noires, et des griffures partout à coups de serres et de bec, ça lui apprendrait la vie, à celui-ci. Néanmoins, tout ceci, si c’était son plan de base, en approchant du gamin, ne prenait pas en compte la possibilité que, d’un coup, la chose sache viser et lui lance un galet en pleine patte…
La douleur était atroce, dans tout son corps, mais plus encore que le coup, ce qui gardait Raven bien au sol était le souvenir d’un autre drame, dans une autre vie. L’oiseau noir n’avait jamais oublié qu’il avait frôlé la mort de près, à cause d’un gamin de ce genre. Une aile blessée, il s’était écrasé aux pieds d’un démon-chat qui, heureusement, avait pris son temps avant de l’égorger. Un temps que le corbeau avait pu mettre à profit pour supplier de rester en vie. Supplier… quelle horreur ! Mais il n’avait pas eu le choix et ce jour-là avait lié, à jamais, le corbeau à son démon-chat.
Aujourd’hui, il sentait, dans son aile, une douleur qui n’avait pas lieu d’être, ramenée à la vie par ces mêmes souvenirs. Raven croassa de plus belle, alors que le gamin s’enfuyait devant l’intervention d’une femme. Il voulait sentir le sang de l’autre tacher son bec ! Il voulait entendre ses cris de douleur et de peur, alors que le corbeau s’échinerait à lui faire plus de mal, encore, que le galet n’en avait vraiment fait à sa patte ! Il voulait se venger, purement et simplement, bouffé par la haine, la colère et la honte. Mais voilà qu’on lui en volait l’occasion et que sa proie prenait ses jambes à son cou…
Pendant quelques instants, Raven resta calme, ses yeux noirs fixés sur le môme qui ne tarderait pas à disparaître, au loin. Il imprima son image dans son esprit et jura qu’il trouverait, un autre jour, le temps de le lui faire regretter. Raven n’était pas corbeau que l’on piétine ! Rancunier à souhait, il trouverait le moyen. Même si, pour ça, il devait attendre quelques années. La vengeance amenait, au fond de son cœur, une patience qui, en d’autres circonstances, ne frôlait même pas l’oiseau noir.
Puis Raven dut bien retourner son attention sur l’intruse, qui le regardait avec des yeux ronds, sûrement choquée d’avoir entendu des mots sortir de sa bouche. Sous sa forme humaine, la taxidermiste aurait volontiers levé les yeux au ciel. Pour elle, tout le monde savait (tout le monde devait tout savoir sur les corbeaux, de toute façon, afin d’éviter de froisser son ego surdimensionné) que les corbeaux étaient des imitateurs hors-pairs, même en ce qui concernait la langue humaine. De toute façon, ils étaient à Storybrooke et Raven était prête à jurer qu’il devait y avoir plus extraordinaire (dans le sens hors du commun, évidemment, n’y voyez rien d’autre qui oserait rabaisser Raven) qu’un corbeau qui sortait trois mots, d’une voix éraillée.
L’humaine répondit au corbeau qui darda sur elle un œil noir, la tête tournée sur le côté pour bien la regarder. Il claqua du bec, désapprobateur, alors qu’elle osait lui dire qu’il n’était pas ce qu’il était ! Qu’était-il, alors, si ce n’était le plus beau, puissant et parfait des corbeaux ? Ne voyait-elle pas à quel point il était noir ? Voulait-elle voir de plus près la longueur impressionnante de ses belles ailes ? Devait-il lui picorer les doigts pour qu’elle comprenne ? Raven déploya ses plumes, gonfla le torse et poussa un croassement plus puissant que les autres, comme un ordre qui exigeait d’elle des excuses. Qu’elle s’agenouille donc à ses pieds !
Puis la compréhension darda un doigt dans le cerveau de l’humaine et Raven battit un peu des ailes, pour se donner de l’importance. Évidemment, qu’il n’était pas un corbeau lambda ! Le contraire aurait été une insulte grave envers sa magnifique personne. Il était meilleur que tous les autres. Plus beau, plus fort, avec une bien belle voix. Il mettait au défi quiconque de lui dire le contraire ! Raven n’était plus un petit corbeau de merde qui se laisse insulter par le premier renard venu. D’ailleurs, il ne leur laisse plus le temps de parler. Maintenant, l’oiseau noir se contente de les manger. C’est moche, mais c’est bon !
Raven laissa l’humaine le porter, sans réagir. Il n’aimait pas l’orage qui se rassemblait, au-dessus de leurs têtes, et s’il se savait capable de s’enfuir, il avait très envie de se faire dorloter. L’humaine était aussi responsable que le marmot, puisqu’elle faisait partie de la même race. C’était les siens, ces petits humains méprisables, qui s’amusaient à faire des gosses et à ne pas les éduquer comme il le fallait. Il comptait donc lui demander réparation. Ce qui était, évidemment, une bonne excuse pour ne pas dire que Raven avait besoin de soin et qu’il n’était pas certain de pouvoir rentrer chez lui, avec la douleur qui pulsait dans sa patte.
Le contact de l’humaine, sur ses plumes noires, ne lui plaisait pas. Il savait qu’elle allait le salir ! Il sentait, déjà, des grains de sable prendre leur place entre ses plumes. Quelle horreur ! Néanmoins, il ne pouvait entièrement rejeter le bien que lui faisait les caresses de ses doigts. Alors, il se lova bien contre elle et profita de la chaleur de son corps d’humaine, en attendant qu’elle le trimballe où elle le voulait. Ça lui plaisait bien, de se faire porter. Ça faisait du bien à sa flemmagite aiguë et ça le rassurait sur le bon fonctionnement du monde : les humains n’hésitaient pas à se jeter à son service, comme il se devait d’êtres méprisables face à un être supérieur.
Sans trop savoir pourquoi, la cabane de l’humaine lui rappela soudain la cabane de sa Baba Yaga. Raven remua, dans les mains de l’inconnue et poussa quelques croassements, sans trop savoir lui-même s’il approuvait ou désapprouvait l’abri de fortune. Il apprécia le coup de pied de l’humaine et aurait bien pu la féliciter, si cette petite idiote ne l’avait pas jeté par terre comme un malpropre ! (Ou presque ça, mais Raven voyait les choses à sa façon à lui…) Pour qui se prenait-elle ? Il allait le lui faire regretter !
Raven bondit sur ses pattes, par terre, et poussa un croassement affreux, quand sa patte blessée toucha le sol. Dans cet état, le corbeau ne pourrait pas aller bien loin, encore moins se venger du traitement reçu. D’ailleurs, qu’attendait-elle pour faire ce qu’il exigeait d’elle ? L’oiseau noir darda son regard sur l’inconnue et se calma, l’espace de quelques secondes, alors que la pénombre profitait largement à son prochain méfait.
» J’ai dit : soigne-moi, grinça-t-elle. C’était pas clair ?
Mais ce n’était plus l’oiseau qui réclamait des soins de sa voix d’animal. Raven était assise sur le sol, à poil (merci les transformations), les jambes repliées sur le côté. Sur l’une de ses chevilles, un gros hématome remontait l’articulation et s’étendait d’un côté et de l’autre, sur le dessus de son pied et son tibia. La taxidermiste grimaça en tâtant la blessure des doigts. Elle ne savait pas ce qu’elle devait faire de ça, mais elle eut soudain peur que ça ne mette à mal ses escapades sous une forme ou l’autre. Si elle se faisait soigner en étant humaine, elle ne pourrait plus se transformer en corbeau ou tout ceci ne servirait à rien. L’inverse étant, évidemment, tout aussi vrai.
» Houston, on a un problème, siffla-t-elle, les dents serrées. Si cette baraque nous tombe pas sur la tête à cause de l’orage, ça… (Elle désigna sa cheville blessée.) Il faut faire quelque chose.
Son ton était presque suppliant, quand elle releva ses yeux bleus sur la jeune inconnue. Raven n’était pas blessée souvent, mais la gravité de cette blessure-là (même si ça aurait pu être largement pire puisque rien ne semblait cassé), n’augurait rien de bon pour elle. Déjà, elle ne savait pas comment le cacher à son voisin et elle ne voulait pas qu’il soit mis au courant… Elle préféra croire que ce n’était rien de grave et qu’elle pourrait faire semblant que la blessure n’existait pas. Raven prit une grande inspiration et tenta de se mettre de bout, mais à l’instant où son pied toucha le sol, la douleur fut telle que la taxidermiste retomba mollement.
» Dis-moi que t’es médecin…
Ce qui ressemblait plus à une prière qu’à une véritable question. Raven n’y croyait pas vraiment, en tout cas. Le hasard serait trop beau.
HRP : Tout comme la dernière fois, n'hésite pas à me dire si ça ne te suffit pas pour répondre ou si tu préférais que Raven reste sous sa forme animale. Au besoin, elle peut redevenir corbeau, aussi ;))
Weenonah Matoaka-S.
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Raven | Weenonah
Les planches bien trop précaires de bois grinçaient tandis que la tempête tentait par tous les moyens de s’infiltrer, même au travers de la moindre jointure de la cabane. Chaque nouvelle bourrasque de vent me faisait craindre le pire : une perte totale de la stabilité de notre abri de fortune, conduisant à un inévitable écroulement. J’en examinais avec attention chaque point de faiblesse malgré le clair-obscur, toujours agenouillée mais me tenant dos à l’oiseau, que j’avais déposé dans un coin le plus éloigné possible du seul accès au refuge. Les croassements déchirants du corbeau blessé parvenaient à percer le concerto apocalyptique qui s’appliquait à son opéra rock de l’autre côté de nos murs. Jusqu’à ce que ce soit une voix plutôt féminine (alors à l’antipode de tout ce que j’avais pu entendre jusqu’ici) qui m’interpelle, perçant elle-aussi à sa façon – et peut-être avec un soupçon d’agressivité passive dans le ton emprunté, d’ailleurs – le déchaînement de ma vénérable Mère Nature. Troublée, je tentai de me retourner d’un sursaut. Je vous laisse essayer de vous retourner alors que vous êtes accroupi. Vous avez réussi ? Très bien, moi non plus. J’avais perdu l’équilibre, me rattrapant cahin-caha à un tabouret délabré qui traînait miraculeusement par ici. Alors que j’étais perturbée par ce que je venais d’entendre, mes yeux se vouaient désespérément à visualiser un corbeau mais ils ne purent rien apercevoir d’autre que la silhouette d’une femme à même le sol. Elle était dans un apparat digne de la Genèse, toutefois enveloppée par la pénombre ambiante. Éprise d’une soudaine catatonie éphémère, je fixais l’improbable métamorphe de mes grands yeux ébahis, incapable de bouger. Incapable de parler. Incapable de penser ni même de respirer. Seulement capable de faire accepter à mon Moi intérieur ce qui venait de se produire presque sous mes yeux. J’avais donc raison tout à l’heure : elle n’était pas tout à fait un corbeau. On ne me la faisait pas à moi. Sous sa forme animale, son regard trahissait son humanité. Peut-être était-ce impossible à voir pour une personne non-aguerrie, mais tel n’était pas mon cas. Un léger sourire vint relever mes petites fossettes, car malgré les circonstances plutôt douloureuses pour d’autres, le sentiment de satisfaction était impossible à contenir et à cacher. Mais c’est qu’elle osait se plaindre de l’abri confortable que j’avais pris soin de lui procurer, en plus ! Il était certes d’une certaine vétusté, mais je ne donnais pas cher de sa peau dénudée si elle s’aventurait dehors. Je la trouvais bien trop peu reconnaissante. Alors que mon sourire s’effaçait, je me pinçais les lèvres pour éviter de commencer à protester quoi que ce soit, baissant la tête puis posant les yeux sur la blessure qu’elle pointait de son doigt. La cause de toutes ses souffrances, dorénavant bien plus discernable que dans sa matérialisation précédente, me fit grimacer d’une douleur projetée pour la jeune femme. L’ecchymose était tellement étendue que les os auraient dû être brisés - cela me compliquerait définitivement plus la tâche - mais fort heureusement aucune fracture se semblait être à déplorer. C’est à ce moment que son regard vint se jeter dans le mien, et je découvris le visage d’une femme aux traits tendus par la douleur. Le bleu seyant de son iris avait recouvert chaque once de noir qui assombrissait ses yeux sous sa forme initiale. Sa longue chevelure brune, presque noire, habillait ses épaules nues. Elle semblait tellement plus vulnérable à cet instant. Je la fixais, tentant laborieusement de se relever. Je me serais volontiers affairée à l’aider, mais une petite voix intérieure me déconseillait fortement de m’approcher d’un geste brusque alors je n’en fis rien. La seconde d’après, elle se retrouvait à nouveau le sol, son corps meurtri heurtant la plancher de plus belle. Se relever dans l’immédiat n’était certainement la meilleure des méthodes pour garantir des soins… Je soufflai. « C’est tout comme. Et si je peux dans un premier temps te donner un conseil, tu ne devrais pas solliciter ta jambe vu l’état dans lequel elle est. » Je m’efforçais à lui répondre du ton le plus sec et condescendant qu’il m’était possible de produire, allant consciemment contre ma nature bienveillante et chaleureuse, mais son comportement effronté m’avait vexée. Ne m’enfermant pas dans une rancune malsaine, j’allais tout de même la soigner, oui. Enfin, essayer de la soigner disons, car les conditions actuelles n’étaient pas des plus favorables. «Je ne suis pas tout à fait médecin, mais vétérinaire à vrai dire. »
Tout en me relevant, je commençais à explorer le reste de la cabane, qui n’était pas très grande à vrai dire. Nous étions actuellement dans la plus grande pièce, meublée de quelques tabourets et d’une table au centre, le tout recouvert d’un amoncellement de poussière de plusieurs millimètres. De nombreuses caisses étaient empilées contre le mur face à la jeune femme. Il n’y avait aucune fenêtre dans la pièce ; la lumière ne s’infiltrait qu’au travers des quelques espaces entre les planches et par le pourtour de la porte d’entrée. Nous avions de la chance d’être en pleine journée, la luminosité était certes assez faible, mais nous distinguions quand même le principal à l’intérieur. Une deuxième pièce, séparée par deux pans de planches très fines de la première pièce, se trouvait au fond. Elle était beaucoup plus petite, et plus sombre, mais par chance deux lits se trouvaient de part et d’autre de l’ouverture. Une petite armoire toute menue séparait les deux lits. On sentait bien que l’espace avait été calculé au centimètre près dans toute la cabane. Je me saisis de l’une des couvertures qui était pliée et posée sur le lit sur ma droite. Evidemment recouverte de poussière comme tout ce qui était abrité ici, je la secouai d’un grand coup. Etant soucieuse du bien-être des autres, je ne pouvais pas laisser mon invitée imbuvable dans un tel état de nudité. Je revins vers elle, couverture en boule mais dépoussiérée sous le bras, et je la lui déposai humblement sur les épaules. Un certain adage dit même qu’au mois d’avril il ne faut pas se découvrir d’un fil. « Tu permets que je t’examine ? »
J’en profitais pour m’agenouiller à nouveau, mais cette fois-ci à ses côtés. M’abstenant de tout contact prolongé de mes mains sur la blessure, la majeure partie de mon examen fut visuel. Mais pour attester de l’absence de fracture, je devais forcément en venir à la toucher. Passant délicatement mes deux mains le long de son mollet en appliquant tout de même une légère pression rythmée en palpations, je remarquai que l’enflure était légère, devinant tout de même le sang qui s’agglomérait dans chacune des voies sanguines en lieu et place de l’ecchymose violâtre. Mes mains palpaient à présent le pourtour de la cheville, l’articulation semblait fonctionnelle bien qu’essoufflée. « Très sincèrement, tu t’en tires plutôt bien. Il ne t’a pas loupée, le gamin ! » Je revoyais la scène. Et surtout la force du tir qui avait atteint le corbeau. « Ta blessure sous forme humaine est impressionnante et certainement très douloureuse, mais bénigne. Pour ce qui est de ta patte de corbeau, elle me semblait totalement brisée tout à l’heure. Ton corps humain assimile un peu mieux les lésions, j’ai l’impression. »
J’avais relevé la tête en prenant soin de bien allonger la jambe traumatisée devant elle. M’asseyant finalement à côté d’elle, je me rendais à l’évidence. Il n’y avait pas grand-chose que je pouvais faire pour elle. La seule façon de soigner, c’était d’attendre. Mais la douleur, elle, était tout à fait abrogeable. Peut-être y avait-il une trousse de secours quelque part dans cette cabane, avec quelques bandages pour comprimer et des antalgiques pour le moral. Repensant à la petite armoire de la chambre, je me relevai assez rapidement en profitant de la jouissance de mes deux jambes. Malheureusement, celle-ci était vide. Par curiosité, je me rabattais sur les caisses empilées dans la pièce principale. Soufflant à plein poumons dessus, un carnage de poussière alla voler dans la cabane, me faisant tousser au passage. En ouvrant l’une d’elle, je découvris un réchaud avec deux petites bouteilles de gaz, des casseroles, quelques gamelles et autres articles de vaisselle. J’eus une idée. Cela m’étonnait fortement de trouver quelque part dans ce refuge quelque anti-douleur que ce soit, mais heureusement de nombreuses alternatives aux médicaments se trouvaient juste de l’autre côté de la porte. On trouve tout ce dont on a besoin dans la forêt si on sait regarder. Et il se trouve que je sais regarder. Les yeux pleins d’espoir, je me retournai vers la jeune femme. « Ecoute, je ne sais pas sous quelle forme tu souffres le plus, mais je ne peux pas spécialement te soigner car seul le temps le fera. En revanche, je peux peut-être faire faiblir ta douleur sous forme humaine. Je connais des méthodes plutôt… anciennes et radicalement efficaces. » Un petit sourire s'était dessiné sur mon visage. Elle pouvait faire le choix de me faire confiance, ou de vouloir se débrouiller par elle-même.
La bêtise humaine, la seule chose qui donne une idée de l'infini
L'orage dehors ne lui disait rien qui vaille. Raven n’était pas corbeau à s’effrayer de si peu. Il se savait capable de braver les éléments, n’importe lesquels, pour faire ce qu’il voulait de sa vie, à toute heure. Rien ni personne ne l’empêcherait d’aller quelque part. Pas même un orage de cette ampleur. Les bourrasques de vent avaient même plutôt tendance à l’amuser. Se faire pousser dans un sens, puis dans l’autre, avait quelque chose d’exaltant. Essayer de voler au contraire des courants était un défi intéressant que seul un maître de vol pouvait maîtriser. Évidemment, Raven était un maître depuis longtemps.
Il fallait, tout de même, avouer que les éclairs n’étaient pas pour lui plaire. Dans le ciel, l’oiseau était une proie parfaite pour ces satanées zébrures lumineuses. Il n’aimait pas ça. C’était, peut-être, la seule chose au monde capable de le prendre en traître. Alors, pendant les orages, Raven avait appris à rester au sol ou sous la cime des arbres. Ces mastodontes de bois et de feuilles étaient un refuge tout trouvé : la foudre s’abattait sur eux et sur personne d’autre. Néanmoins, plus récemment, le corbeau avait appris que les baraques humaines étaient, pour la plupart, protégées de la foudre. Il pouvait donc se vautrer dans son grand lit tout le temps d’un orage, sans avoir peur de se faire griller la cervelle. Enfin… « peur » façon de parler, évidemment. Raven n’avait peur de rien !
Néanmoins, le corbeau était peut-être courageux, téméraire, il n’en restait pas moins un animal intelligent et, de ce fait, savait jauger la puissance d’un orage. Celui-ci soufflait trop fort et risquerait de durer un certain temps. Raven ne voulait pas s’aventurer dehors, sur la plage, à la merci des ras-de-marée et des éclairs. Ils étaient bien mieux là, dans cette cabane un peu moisie, que dehors. C’était un fait. N’importe qui aurait pu s’en rendre compte. Même l’humaine l’avait compris.
Ce qui ne l’empêcha pas de s’en plaindre.
La taxidermiste jeta un regard critique à la baraque. La vieille cabane semblait prête à cracher son dernier souffle dans un craquement sinistre et s’effondrer sur leur tête. La puissance des bourrasques la faisait déjà craquer dans tous les sens, comme des plaintes lancinantes d’une douleur que seule la maison elle-même pouvait comprendre et ressentir. Raven n’aimait pas ça. Coincée entre ces murs, elle devait faire confiance à une habitation construire par les humains, pour la protéger d’un orage de grande ampleur. Ce n’était pas une chose facile à faire pour elle. Heureusement, la brune n’avait pas le choix, sinon elle se serait déjà barrée en courant, pour rejoindre un abri plus adéquat. N’importe quoi, en vérité, lui paraissait plus adéquat.
Il n’en restait pas moins vrai que l’oiseau noir trouvait un air de ressemblance entre cette vieille cabane et celle de sa sorcière. Les deux semblaient prêtes à s’effondrer au premier coup de vent, l’odeur n’était pas tellement meilleure (quoi que, au moins, il ne mijotait rien de suspect sur le feu de la cheminée) et l’aspect décharnée donnait des airs de maison hantée à leur abri de fortune. Les poings serrés, tous les muscles tendus, Raven s’attendait à voir débarquer, du moindre bout d’ombre, la vieille chose moche et puante qui répondait au nom de Baba Yaga. Évidemment, il n’en fut rien, mais elle se tint, tout de même, sur ses gardes.
À la place de l’affreuse sorcière, Raven était accompagnée, cette fois-ci, d’une femme aux longs cheveux bruns et à la peau plus foncée que la sienne. Un simple détail qui passa sur elle sans la toucher vraiment, loin d’elle l’idée d’être raciste parmi les humains, alors qu’elle était déjà raciste des humains. Vous saisissez la différence ? Bref, la taxidermiste était accompagnée d’une inconnue qu’elle n’avait jamais vue (ça paraissait évident) et qui ne sembla pas enchantée de la voir apparaître dans son corps humain. Raven n’y pouvait rien, si les humains étaient tous laids ! L’autre n’avait qu’à se regarder dans la glace pour le comprendre !
Raven n’apprécia pas tellement le regard que l’autre lui lança. Comme si elle essayait de faire d’elle un être fragile et délicat. Ce que Raven n’était pas. Dans aucun de ses deux corps ! Elle serra les dents et les poings, énervée par ses propres pensées (puisque l’autre n’avait rien dit à ce sujet), et releva le menton pour se donner plus d’importance. Elle n’aimait pas son corps humain, parce qu’il était humain, mais elle pouvait, au moins, faire semblant du contraire. Raven était une menteuse hors pair.
Le ton de l’inconnue était sec et condescendant, ce qui ne déplut pas tant à la taxidermiste. Elle aimait bien entendre les humains se défendre d’elle et essayer de lui faire croire qu’elle ne leur était pas supérieure. L’évidence avait, décidément, du mal à frapper les esprits, dans ce pays ! Raven mériterait une médaille pour réussir à garder son calme, là où elle aurait pu s’énerver pour rappeler à tout ce petit monde de ne pas mentir. Néanmoins, les mots, au-delà du ton, plurent moins à la blessée, qui glissa ses yeux bleus sur sa jambe. Ne pas bouger ? Et comment devrait-elle rentrer chez elle, alors ? Il était hors de question qu’elle reste ici toute la journée ou peu importait le temps qu’il faudrait à sa jambe pour guérir ! Ne pas bouger, dans son lit, elle pouvait le faire, mais au sol d’une cabane prête à s’effondrer ? Non !
L’annonce de son métier fit ricaner Raven. Le corbeau blessé était tombé sur une vétérinaire. Quelle coïncidence ! Même si elle avait appris, depuis quelques temps, que les coïncidences n’existaient pas vraiment et que certains osaient s’amuser avec eux. Ce qui ne lui plaisait pas. Raven était maître de sa vie. Personne n’avait le droit de lui dire quoi faire. Pour l’heure, elle resta docile, bien immobile sur son bout de sol et darda ses yeux bleus sur la véto sans répondre. Vétérinaire, c’était un peu comme médecin, non ? Elle pourrait l’aider à se débarrasser de cette affreuse blessure ou, au moins, à la dissimuler. Pour le reste, Raven se débrouillerait.
Puis la drôle de dame disparut dans le reste de la cabane, abandonnant Raven à son triste sort. La taxidermiste grimaça un peu. La brunette croyait-elle qu’elle allait rester gentiment assise là, sans essayer de bouger ? Elle se foutait le doigt dans l’œil ! Hors de question qu’elle reste immobile, à attendre que l’autre daigne lui prêter un peu plus d’attention. Raven essaya, donc, de se lever une nouvelle fois, en ignorant totalement les conseils de la vétérinaire. Néanmoins, elle put à peine bouger la jambe, pour essayer de la ramener sous elle, que la douleur explosa dans son cerveau. Loin d’elle l’idée de donner raison à l’humaine, Raven resta tout de même immobile le temps qu’elle revienne. Si on lui demandait, elle dirait que ce n’était que pour recevoir ce qu’on lui devait de droit : attention, soins, sacrifice ; le lot des divinités, quoi.
Quand l’humaine revint s’occuper comme il se devait de Raven, elle déposa une couverture sur les épaules de celle-ci, qui ne se fit pas prier pour se lover à l’intérieur. La brune adorait s’emmitoufler dans les couvertures et laisser la chaleur du tissu réchauffer son corps. C’était plus fort qu’elle, comme une drogue dont elle n’avouerait jamais l’addiction. Pour le coup, elle serait capable de dire que ce n’était que pour préserver son corps fragile du monde extérieur. Ou une connerie du genre.
En attendant, l’humaine décida de prendre ses aises avec la jambe de Raven qui n’eut même pas le temps de lui donner l’approbation qu’elle demandait. La taxidermiste se contenta de tendre un peu la jambe et regarder ces doigts qui osaient appuyer partout et lui arracher des grimaces. Oh, il en fallut de la volonté, au corbeau, pour ne pas écraser ses poings sur le visage de l’autre ! La douleur n’était pas quelque chose que Raven appréciait, ou supportait. C’était, après tout, si rare pour elle, de se blesser, qu’elle ne réagissait pas tellement bien quand c’était le cas.
L’évocation du gamin faillit bien achever Raven et briser ses dernières barrières, mais elle tint bon et se contenta d’acquiescer. Les gamins, il n’y avait rien de pire au monde, elle en était persuadée. Même si une partie d’elle voulait croire que ce n’était pas vrai et qu’ils étaient adorables. Adorables ? Raven eut envie de vomir. Mais on n’a jamais vu un oiseau vomir. Elle préféra ignorer les quelques noms qui popaient dans son cerveau en imaginant ce que pouvait être un « gamin adorable » et se concentrer à nouveau sur l’inconnue.
» Les deux corps sont liés, ma cocotte. (Ce qui n’était pas aussi affectif, pour elle, que ça l’était pour les humains.) Si c’est pas cassé là, peu de risque que ça le soit dans mon vrai corps. (Ce qui n’était pas sûr, mais elle préféra s’en persuader.) Ça fait un mal de chien.
Raven joignit les gestes à la parole en se parant d’une grimace. Ça faisait moins mal qu’elle ne voulait le faire croire, mais elle ne pouvait pas supporter l’idée de s’être faite avoir, encore, par un putain de gamin. Combien de fois faudrait-il qu’elle se fasse caillasser, avant de crever pour de bon ? Elle préféra rejeter cette question en regardant l’humaine qui s’affairait, à nouveau, dans la cabane. Décidément, elle en voyait une, ici, qui ne savait pas tenir en place et qui aurait tôt fait de lui taper sur le système, si elle continuait de danser dans tous les sens ! Mais l’humaine revint vers elle avec une brillante idée qui arracha un sourire à Raven. Un sourire normal, pour une fois.
» Si tu peux effacer la douleur, je veux ! Combien de temps ça va mettre à guérir, cette histoire ? Parce que je peux pas marcher à cloche-pied toute ma vie, il faut que j’utilise cette jambe. (Au moins pour faire semblant de ne pas être blessée devant son voisin.) Tant que tu me donnes pas de médocs, je prends. Et que tu me dises pas, non plus, d’aller à l’hôpital. Ça, c’est mort.
Le corbeau n’aimait pas être enfermé dans un bâtiment, déjà. Et toutes ces piqûres, ces choses qui bipent dans tous les sens, les humains qui vous regardent mal sans vous expliquer ce qui se passe ! Puis, il fallait avouer que la brune n’avait pas un très bon souvenir des hôpitaux. La dernière fois… elle en était morte.
» Mais attends. (Elle attrapa le bras de la brunette, pour l’empêcher de partir.) Tu comptes quand même pas te promener dehors pour aller ramasser deux/trois fleurs et un champignon moche ? Par ce temps ?
Au fond d’elle, Raven sentit son humaine se débattre un peu et exiger que l’inconnue reste ici, à l’abri précaire de la cabane. Et ce n’était pas vraiment négociable.
» C’est de la folie. Tu restes ici.
Weenonah Matoaka-S.
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la bêtise humaine, la seule chose qui donne une idée de l'infini
Raven | Weenonah
Pourquoi refusait-elle mon aide ? Je ne comprenais pas ce qui la motivait à me retenir alors que je ne souhaitais qu’une seule chose : qu’elle se rétablisse et qu’elle puisse à nouveau jouir de sa liberté de plein vol, de ses chasses fructueuses et de la découverte d’un monde qui pour nous autres, pauvres humains que nous sommes, semblait intangible. Elle m’avait rassurée, quelques instants auparavant, en me disant que les deux matérialisations de son corps étaient intimement liées : sa jambe étant certes sérieusement amochée, aucun os ne s’était brisé malgré la férocité de l’impact, ce qui voulait forcément dire que sa patte d’oiseau était au pire luxée, au mieux simplement sensibilisée par le choc. Oui, en dépit des circonstances, c’était bel et bien rassurant : pas de convalescence à rallonge, et un rétablissement complet si elle acceptait de suivre les directives que j’allais devoir lui prescrire en termes de repos. Je le voyais dans ses yeux : sa mésaventure la rongeait de l’intérieur, et j’étais la personne la mieux placée sur terre pour lui venir en aide – qu’elle accepte ou qu’elle n’accepte pas mon aide d’ailleurs. Encore faudrait-il qu’elle sache faire preuve d’humilité. Tandis qu’elle me tenait le bras d’une main d’homme, je m’étais arrêtée net alors que je comptais bel et bien partir à la recherche non pas de deux ou trois fleurs et d’un champignon bien moche. Je soupirais. Elle me le disait d’elle-même : elle souffrait. Son entêtement était palpable, et à ce moment je levai les yeux au ciel. « Tu me le dis toi-même, tu souffres. » Alors qu’elle semblait indifférente à ma volonté de l’aider en utilisant les dons que faisait Mère Nature à qui savait l’écouter et l’appréhender, elle me montrait que son sort la turlupinait au plus haut point, me demandant même combien de temps cela allait mettre à guérir tout en se refusant les meilleurs soins en repoussant presque irrémédiablement l’idée même de se rendre à l’hôpital, alors qu’il s’agissait là de la meilleure des solutions pour soigner cette blessure efficacement et durablement. Certes l’hôpital était loin et presque inaccessible, et à vrai dire je n’avais même pas songé à cette éventualité tant le contexte de ces ecchymoses sortait du champ d’actions sur toutes ces valeureuses personnes se donnant corps et âme à calmer les maux des autres. Selon elle, je devais rester ici. Malheureusement, c’était impossible. « Si nous ne faisons rien, si je reste là à te regarder te tordre de douleur, ta blessure mettra des semaines à se résorber par elle-même, et rien ne nous garantit un rétablissement total. » J’essayais par tous les moyens possibles de la faire changer d’avis. Heureusement, l’étreinte qu’elle exerçait sur moi ne se voulait que dissuasive, car au fond elle ne m’empêchait absolument pas de me mouvoir. « Ce qui serait de la folie, c’est ne rien faire. Ce serait attendre, et espérer un miracle de je-ne-sais-quel Dieu qui te viendrait en aide. » Je baissais la tête, désabusée. « Au risque de te décevoir, cela n’arrivera pas. »
Elle avait cependant raison sur un point : avec la tempête qui battait son plein dehors, il était peut-être idiot de s’y aventurer. Et en même temps, je ne pouvais pas m’empêcher d’évaluer le capital risque-bénéfice à ma décision : même si le vent soufflait fort, il m’était impensable de laisser la demoiselle attendre que son mal passe. Tout en retirant délicatement sa maon qui me retenait, je me voulais rassurante. « Si tu me laisses faire, d’ici trois ou quatre jours tu pourras de nouveau poser le pied à terre et vivre ta vie comme tu l’entends. Et même me balayer de ta mémoire si cela te chante. Tu seras libre comme avant que tout cela ne te tombe dessus. » Je m’exprimais d’un ton calme, en essayant de lui faire prendre conscience de ma réelle volonté. Je m’agenouillais à nouveau près de la cheville meurtrie, et en suivant du doigt les vaisseaux bleutés et gonflés, je comptais lui annoncer le plan que j’avais en tête pour qu’elle se rétablisse. Étant donné mon expérience passée, je savais quelle plante trouver pour soigner aussi bien les blessures légères que les plus grands maux. Malheureusement, ma connaissance de la forêt se limitait aux forêts de Virginie, qui n’étaient pas celles du Maine, mais mon fort attrait pour la lecture m’avait permis de diversifier ces connaissances. « Je ne vais m’absenter que dix petites minutes, et je sais que cette forêt est peuplée de nombreux arbres que l’on retrouve en Virginie, et notamment les cerisiers de Virginie. Ces petites baies sont miraculeuses, il suffit d’en faire une pâte et de l’appliquer sur la zone douloureuse pour permettre une meilleure circulation du sang et décongestionner ton articulation. Crois-moi, cela va marcher j’en mets ma main à couper. » En prononçant ces mots je m’étais retournée, prête à m’affirmer et à mener à bien ce que je venais d’annoncer. Je pensais très sincèrement qu’il n’y aurait aucun problème dans ma quête de ces cerisiers miracles. Au fond de moi, j’espérais seulement que la femme-oiseau ne se tenterait pas à me suivre. C’était bien trop dangereux pour elle, évidemment, et de plus je lui interdisais formellement de poser son pied à terre. Au moment-même où je traversais le seuil de la porte, je remarquai que le vent soufflait considérablement moins fort qu’au début de la tempête, ce qui me confortait dans mon idée. Je ne risquais rien. Je sentis alors mon téléphone vibrer dans ma poche arrière. La lecture du SMS aurait pu certes attendre, mais je n’avais pas pu m’en empêcher. Et pourtant, j’aurais dû.
Citation :
Message de : L’Horrible Banquier, 10h51 Bonjour Madame Matoaka, Votre solde débiteur est trop important. Malgré nos relances, vous n’avez pas remboursé vos mensualités ces deux derniers mois. Ma hiérarchie a décidé de faire intervenir un huissier pour faire fermer votre clinique. Il passera dès demain. Je suis désolé. La situation est trop tendue, j’ai fait de mon mieux pour retarder le moment mais nous y sommes. Je vous en avais parlé, il fallait que vous vous y prépariez. Je reste joignable au besoin. Bien cordialement.
Cette annonce m’avait comme figée. A la lecture de chaque nouveau mot, je fondais littéralement, mon cerveau envoyait un milliard de signaux électrique au travers de chacune de mes cellules, et je m’effondrai. Alors même que j’étais entrain de réaliser mon travail dans ces conditions plus que déplorables, je venais de le perdre de façon officielle. Je ne savais même pas si j’étais encore capable de m’aventurer dans la forêt pour venir en aide à la brune qui avait tant besoin de moi ; alors que moi-même je semblais avoir terriblement besoin d’aide également, et ce d’un seul coup, sans que je n’y sois préparée comme semblait penser ce fichu banquier. Je sentais les larmes rouler sur mes joues, tant le travail de toutes ces années venait de s’envoler en un centième de secondes. Je me sentais aussi vide qu’une huître à laquelle on avait ôté sa perle. Vide comme un coquille. Je m’étais retrouvée là, à genoux dans la terre inondée devant la cabane. La pluie se mêlait à mes larmes et les rendaient invisibles. Non, je ne pouvais pas la laisser comme cela. M’armant d’une détermination sans faille, laissant de côté des problèmes personnels et professionnels, je m’étais mise en route de ces cerises tant attendues. Il ne m’aura fallu que peu de temps pour trouver ce que je cherchais : les cerises virevoltaient au vent solidement attachées à leur branche. Je m’en saisissais d’une dizaine avant de rebrousser chemin, les pensées parasitées par le malheur que j’étais en train de vivre. Les yeux rougis par la tristesse, je regagnais la petite hutte qui nous abritait. Respirant profondément avant de rentrer, je tentai de prendre une fausse mine joyeuse au moment de m’engouffrer dans l’obscurité. J’espérais qu’elle ne remarque rien, je ne voulais pas avoir à lui expliquer ce qui me rendait si mal.
La bêtise humaine, la seule chose qui donne une idée de l'infini
Raven n’aimait pas ce qu’il se passait. Ça pourrait paraître logique pour tout le monde, mais la précision semblait utile, à l’instant. Elle n’aimait pas tant le fait d’avoir mal, d’avoir un hématome énorme sur la cheville et de ne plus pouvoir se lever que, au final, de voir la jeune femme essayer de braver une tempête pour lui amener de quoi faire passer la douleur. Le corbeau lui-même n’était pas à l’aise avec ce constat, mais il ne pouvait le nier : il ne voulait pas que la brunette s’engage dehors, par ce temps. C’était plus fort qu’elle, la taxidermiste se devait de trouver un argument valable pour retenir la vétérinaire. Mais quel argument ? Elle n’en avait pas le moindre en tête…
La retenir par le bras et lui ordonner de ne pas y aller était la seule idée qu’elle avait eue. Parfois, ça suffisait. Les humains faibles se laissaient souvent dominer par plus fort qu’eux et Raven était, sans conteste, plus forte que beaucoup de monde (elle aimait le croire, en tout cas, et il était inutile de lui assurer le contraire). Elle se savait un regard autoritaire, une poigne de fer et un ton qui n’admettait aucune protestation. Raven refusait que l’autre se barre dehors et elle avait tout intérêt à lui obéir. Sinon quoi ? Bonne question. La taxidermiste ne pensait pas, encore, à une quelconque punition à offrir à sa sauveuse. Une punition, pour une sauveuse, ça aurait pu paraître profondément idiot, mais pas pour le corbeau. Pas s’il arrivait malheur à la brunette pour l’aider à aller mieux. Après tout, Raven ne mourrait pas. Elle n’aimait pas ça, mais elle pouvait supporter la douleur. Au moins jusqu’à ce que la tempête se calme.
Pourtant, rien de tout ceci ne sembla suffire. La brunette leva les yeux au ciel. Au ciel ! Raven savait ce que ça voulait dire, ça. Ça faisait partie des rares choses du monde humain qu’elle avait apprises dès le début et qu’elle utilisait à outrance. Avait-elle dit une si grosse connerie ? Elle ne le pensait pas, non. Savoir que l’autre en était persuadée, par contre, ça ne lui plut pas vraiment. Que pourrait-elle trouver d’autre pour la retenir dans la cabane ? Dans des circonstances différentes, Raven lui aurait sûrement foutu une baffe ou quelque chose du genre (elle y croyait dur comme fer, en tout cas…) pour lui remettre les idées en place. Là, elle se contenta de froncer les sourcils, de pincer les lèvres et de retenir le grognement qui montait le long de sa gorge, comme une bête sauvage acculée contre un mur.
Évidemment que Raven souffrait. La douleur pulsait à l’intérieur de sa cheville et elle devait se faire violence pour ne pas grimacer au moindre mouvement, même infime. Néanmoins, la douleur de la taxidermiste n’était rien contre l’inquiétude qui lui bouffait le cœur et qui, sans le moindre doute, ne venait pas du corbeau, mais de l’humaine. Elle refusait de voir la jeune femme se mettre en danger pour une chose qu’elle pouvait supporter. Après tout, Raven était forte ! Elle pourrait même marcher, si elle s’en donnait un peu la peine ! Bon, peut-être pas, mais elle pouvait supporter la douleur quelques heures. Au pire, elle se calerait dans un coin et pioncerait jusqu’à ce que ça passe. La chaleur de la couverture, sur ses épaules, l’aiderait, sans le moindre doute, à trouver le repos.
Les mots de l’inconnue figèrent la taxidermiste, qui ouvrit des yeux ronds sur la possibilité d’une blessure qui ne guérisse jamais. Elle ne voulait pas croire qu’elle garderait, à vie, une trace de ce qu’il venait de se passer, sur la plage. Un tout petit môme qui pourrissait sa vie ? Elle ne voulait pas le croire. Si d’ici quelques jours, elle ne retrouvait pas la pleine possession de sa jambe, de sa mobilité, la ville aurait, sans le moindre doute, un nouvel enterrement à organiser. Raven refusait de se laisser clouer au sol par un marmot débile. Elle aurait sa vengeance et elle serait terrible.
Raven ne croyait pas en Dieu, ni en un quelconque autre dieu appartenant à une petite bande d’arrogants persuadés d’avoir le contrôle du monde. Elle connaissait déjà un démon-chat persuadé d’être un dieu, alors les autres… elle ne leur accordait pas plus de crédit et aimait croire qu’elle aussi, elle était supérieure aux humains. Alors, c’était toujours compliqué, pour une personne convaincue d’être la meilleure, de comprendre qu’elle n’était pas la seule (ou pire, qu’il existait vraiment des gens qui lui étaient supérieurs).
La taxidermiste préféra, cependant, ne rien dire à ce sujet. Elle ne protesta même pas quand la brunette s’empara de sa main pour la desserrer de son bras. Elle comptait partir quoi que lui en dise Raven, alors à quoi bon lutter ? La bêtise humaine touchait tous les cerveaux, même ceux qui avaient l’air sympathiques au premier abord. Le ton de l’inconnue avait, tout à la fois, quelque chose de rassurant et d’énervant. L’humaine à l’intérieur de Raven aimait entendre cette douceur, dans sa voix. Le corbeau, lui, avait l’impression d’être pris pour un idiot et aurait encore préféré qu’elle se taise. Un mélange qui força la brune à baisser la tête et soupirer un coup.
Une question tournait en boucle dans son esprit, mais Raven décida de ne pas la poser tout de suite. Elle préféra faire semblant de n’avoir rien entendu, le temps que l’information tourne au moins cent fois dans son crâne et qu’elle comprenne que, non, elle n’arriverait pas à l’oublier. Trois ou quatre jours avant de pouvoir poser le pied par terre ? Le corbeau aurait pu hurler devant cette information, mais resta silencieuse, la bouche pincée sur les protestations qui fusaient dans tout son corps. Comment Raven allait cacher ça, pendant trois ou quatre jours ? C’était impossible.
» Fais attention à toi, échappa la brune, alors que la brunette se détournait pour sortir.
La porte s’ouvrit sur la tempête en furie et Raven se recroquevilla, dans sa couverture, pour affronter les courants d’air froid. La tempête semblait s’être considérablement calmée et paraissait moins dangereuse, pour l’humaine, ce qui rassura l’oiseau noir. Elle aurait préféré se rendre compte que le gros de l’orage était bel et bien passé, mais c’était déjà ça. Elle garda ses yeux bleus fixés sur la porte, le temps que la vétérinaire revienne. Avant que le battant ne se referme et bloque la tempête à l’extérieur de la cabane, Raven aperçut la brunette qui s’emparait de son téléphone, comme s’il s’agissait de la meilleure chose à faire, dans l’instant. Puis la porte claqua et la taxidermiste frissonna, dans sa couverture. Un mauvais pressentiment, plus qu’un coup de froid, qui la força à froncer les sourcils et serrer les dents, jusqu’à ce qu’elles grincent et lui fassent mal.
Puis, soudain, entre deux coups de tonnerre, Raven crut entendre un drôle de bruit. Comme une masse conséquente qui s’écrase dans la boue. Il ne lui fallut guère de temps pour faire le rapprochement avec la brune, dehors, qui devait s’être effondrée près de la porte. La taxidermiste cligna plusieurs fois des paupières et voulut faire un mouvement, pour s’assurer que tout allait bien, mais la douleur pulsa dans sa jambe et elle se ratatina sur son bout de sol, sans pouvoir bouger. Elle grogna, cette fois, sans se retenir. Elle aurait pu hurler tant la situation lui paraissait invraisemblable ! Tout son être bouillait d’envie de rejoindre l’inconnue, de s’assurer qu’elle ne venait pas de connaître un sort funeste en voulant lui venir en aide, mais elle ne pouvait pas bouger. C’était ridicule !
Évidemment, Raven réessaya plusieurs fois de bouger, sans succès. La douleur était de pire en pire, à mesure qu’elle tentait toutes les positions imaginables pour se remettre debout. Ses grognements haineux se transformaient, peu à peu, en grognements douloureux et elle dut abandonner quand, enfin, la douleur fut insupportable, amenant à ses yeux quelques larmes. Elle se sentait vulnérable, démunie et Raven ne connaissait rien de pire, au monde, que ces sentiments. C’était comme ce jour fatidique où les griffes de son démon-chat s’étaient fermées sur sa gorge et qu’elle n’avait eu d’autre choix que de supplier pour sa vie.
La brune revint en moins de temps que ne l’aurait cru Raven qui, à force de se tordre de douleur, ne faisait pas attention aux minutes qui passaient. Elle se redressa, sur son bout de sol, pour donner l’illusion d’être restée bien sagement immobile. Néanmoins, ses yeux bleus sondèrent l’obscurité pour essayer de comprendre ce qui avait pu arriver, dehors. Avait-ce un rapport avec ce téléphone que la jeune avait sorti de sa poche ?
Au moment où l’inconnue s’approcha d’elle, ces fameuses baies dans les mains, Raven put profiter de sa proximité pour s’assurer qu’à part un peu de saleté, rien ne semblait clocher chez elle. Rien, sauf ces yeux rouges qui auraient presque pu luire, dans l’ombre de la cabane. La taxidermiste sentit une pointe de douleur étrange, au fond de sa poitrine. Une douleur qui n’avait rien à voir avec sa cheville, mais lui venait d’un passé obscur, incompréhensible. Elle pinça les lèvres et, inconsciemment, tendit la main pour attraper le coude de l’inconnue, d’une poigne qui n’avait plus rien à avoir avec la précédente. Cette fois, Raven était douce, aussi douce que la grand-mère qu’elle avait été.
» Est-ce que tout va bien ? s’inquiéta-t-elle, en tirant un peu le coude de la jeune, pour qu’elle approche encore. Je t’en dois une, pour m’avoir tirée de là. Ce n’est pas une question, alors ne proteste pas. (Raven lâcha son coude pour attraper sa main.) Ce qui veut dire que j’ai une dette envers toi et que je ferai n’importe quoi pour la payer. N’importe quoi. Si tu as des ennuis, explique-moi. Je jure sur ma vie que je t’aiderai. Parole de corbeau. Tu ne le sais peut-être pas, mais les corbeaux ne reviennent jamais sur leur parole.
Ce qui était un peu faux, mais Raven, elle, en tout cas, ne reviendrait pas sur sa parole. La douleur impossible, dans sa jambe, avait chassé loin, très loin, l’oiseau noir récalcitrant et arrogant qu’elle était. Il ne restait, à la surface, que l’humaine de la malédiction, l’espionne qui avait connu de nombreuses blessures et qui, toujours, avait su se relever. La criminelle qui ne s’en était pas mieux tirée, mais qui savait serrer les dents et supporter. Et, surtout, la mère, la grand-mère qui avait eu, un jour, des enfants à aimer, des petits-enfants à dorloter. Une chose qui, même si Raven ne l’avouerait jamais, lui manquait, dont elle n’avait pas pu profiter comme il se fallait, terrassée par une fausse maladie qui avait fait croire au monde entier qu’elle avait crevé. Mais Raven n’était pas morte et l’inconnue réveillait, en elle, tout l’amour de la femme qu’on avait fait d’elle, pour le bien d’une malédiction ridicule.
» Vas-y, je te fais confiance, dit-elle, en désignant sa cheville, d’un coup de menton. Ne t’inquiète pas de me faire mal, je sais encaisser. J’ai connu pire. (Raven regarda autour d’elle, sans voir grand-chose, dans l’obscurité de la cabane.) Il va falloir trouver des vêtements et de quoi faire une béquille, sinon je ne pourrai jamais quitter cette cabane. Je ne te laisserai pas me porter jusqu’en ville, ce serait ridicule. Ça ne fera que repousser le problème.
La femme cachée dans les souvenirs de Raven était, sans le moindre doute, plus raisonnable que sa partie corbeau. Elle sentait, au fond de son crâne, cent façons de se procurer une béquille, de s’occuper de sa cheville endolorie et de cacher au monde qu’elle avait mal et qu’elle ne pouvait pus marcher. Ce qui, sans le moindre doute, semblait être la première préoccupation de Raven l’humaine et de Raven le corbeau.
» Comment tu t’appelles ?
Weenonah Matoaka-S.
« J'ai pas trouvé où on peut demander un rang personnalisé... ! »
la bêtise humaine, la seule chose qui donne une idée de l'infini
Raven | Weenonah
Pour quelqu’un qui avait été assez désagréable de par son exigence dès notre rencontre, il est vrai que je m’attendais à tout de la part de la mystérieuse métamorphe mais absolument pas à une once de sympathie. Lorsque je m’étais engouffrée de nouveau dans la petite cabane nous faisant office d’abri d’un temps pour la tempête, malgré ma volonté d’étouffer ma tristesse dans un faux sourire, elle semblait l’avoir remarqué. Sa voix s’était radoucie, et le choix de ses mots semblait plutôt être porté sur la compassion et la compréhension. En y repensant, j’avais certes reçu un texto des plus désobligeants d’une personne des plus méprisables, mais je ne devais pas en faire tout un plat… L’avenir de ma clinique était certes en péril, mais je devais garder à l’esprit que je pouvais toujours trouver une solution plus tard, parvenir à échelonner mes paiements d’une autre façon ou même jouer la carte de la drague avec le banquier pour effacer miraculeusement quelques dettes du tableau. Tout était envisageable, et le désespoir que j’avais ressenti en sortant de la cabane pour aller chercher les baies me semblait maintenant superflu. Alors qu’elle me regardait, tout en marquant sa voix d’un air toujours aussi autoritaire, je me sentais assez en confiance avec elle pour déballer totalement mon sac, et ce alors que je ne la connaissais ni d’Adam ni d’Eve. Cela faisait quoi, une heure peut-être que nous étions toutes les deux coincées dans ce trou à rat ? C’était une sensation étrange d’ailleurs, ce sentiment de confiance que l’on peut éprouver pour une personne alors qu’on ne sait pas du tout si elle partage nos valeurs et nos préoccupations. Après tout, c’est peut-être ça ce qu’on appelle faire bonne impression. Elle se montrait compréhensive et curieuse de ma situation, et c’était quelque chose que j’appréciais. Je doutais fortement en revanche qu’elle soit capable de m’aider de quelque façon que ce soit et ce malgré toute la bonne volonté dont elle aurait pu faire preuve. Tout en l’écoutant, je souriais. Elle me demandait si tout allait bien et me disait même avoir une dette envers moi, ce que sur le moment je n’avais pas pu m’empêcher de réfuter en secouant légèrement et négativement la tête comme pour protester, en pensant au fond de moi que j’avais seulement agi normalement et en adéquation avec mes valeurs. Mais je m’étais tue, alors que j’étais prête à l’interrompre, continuant malgré tout à l’écouter. Les corbeaux avaient selon elle une seule parole, cela m’avait fait sourire intérieurement car jusqu’aux dernières nouvelles, j’ignorais même que les corbeaux étaient capables de tels sentiments.
« Je ne m’attendais pas à ce que tu te préoccupes de mes problèmes… Mais disons que j’ai certains soucis financiers depuis quelques temps déjà et notamment à cause d’une personne que je ne nommerais pas… » Le visage de Dinah Price s’était dessiné dans mon esprit, et l’imaginer m’avait fait grimacer. Evidemment que tout ça c’était sa faute, mais je m’en voulais d’autant plus de la laisser si facilement me causer du tort. « Être son propre patron c’est bien, mais parfois il faut aussi savoir en assumer les conséquences. » J’avais soupiré, tout en baissant la tête, fort de la consternation que j’éprouvais pour ma situation. « Comme je te disais, je suis vétérinaire et depuis peu installée à mon propre compte. Mais ma clinique est en péril car la banque va très probablement suspendre mes financements et peut-être même saisir mes comptes. » Tête toujours baissée, voix tremblante, je sentais les larmes monter. Parler de tous ces problèmes que j’avais bien trop souvent gardés au fond de moi était déjà difficile, mais le faire en regardant quelqu’un dans les yeux me paraissait insurmontable. Les larmes remontèrent donc, mais je les avais ravalées aussitôt pour ne pas troubler davantage mon invitée. « Je ne sais pas encore trop comment je vais me sortir de là, mais s’il y a bien une chose que la vie m’a apprise, c’est que chaque épreuve est surmontable. » J’esquissais un léger sourire car je m’avais auto-convaincue. « Après tout, ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort comme on dit ? Eh bien je ne suis pas morte. Pas encore. » disais-je même sur un ton amusé par une situation qui elle ne l’était pas du tout. « En revanche, je ne vois pas vraiment comment tu pourrais m’aider. » Je repassais mon regard sur les baies qui étaient toujours dans mes mains. Et à nouveau sur un ton amusé, j’allais tenter une plaisanterie pour égayer mes pensées. « Et ne t’en fais pas, je ne te ferais pas payer la consultation, vu les conditions dans lesquelles je te soigne ! Je ne souhaiterais pas ça à ma pire ennemie. » Je marquai une pause. « Enfin, quoi que… » Yeux levés, je ne pus m’empêcher de m’esclaffer.
Mon cobaye m’avait bien fait comprendre qu’elle me faisait confiance, et à ce moment j’eus une pensée rapide sur le fait que de toute façon elle était bien obligée. Et dans le même instant, elle venait de marquer deux points, en faisant d’une pierre deux coups. Effectivement, nous n’allions pas pouvoir rester ici indéfiniment : le plus gros de la tempête était certainement passé, mais la demoiselle n’avait aucun vêtement, et en plus de cela nous ne nous étions pas présentées l’une l’autre. Alors quoi, mon besoin d’aider l’autre m’avait rendue malpolie ? En même temps, il faut remettre les choses dans l’ordre… Je pensais aider un corbeau ! Qui irait demander le prénom d’un corbeau ? Personne. Et je crois que j’étais encore sous le choc de cette métamorphose qui m’avait laissée sans voix au-début, et une chose en appelant une autre, j’avais fini par totalement zapper les commodités d’usage… « Alors là, tu as doublement raison. Tout d’abord, je m’appelle Weenonah. Mais tu peux m’appeler Weenie, c’est comme tu veux. Et toi, comment tu t’appelles ? » Alors même que j'attendais à sa réponse, j’avais reposé les yeux sur sa cheville violacée. Aussitôt je m’étais rapprochée des caisses qui contenait les réchauds, et je les avais sortis en me demandant comment j’allais faire pour les faire fonctionner. Oui, j’étais plutôt une adepte des plaques à induction à vrai dire. Sortant machinalement la petite casserole presque ridicule de la boîte, j’y avais versé les petites baies. Mon projet, c’était de les ramollir en les faisant lentement chauffer ; j’aurais pu les écraser mais cela aurait eu moins d’effet sur sa blessure. Me retournant vers elle, et voyant qu’elle semblait légèrement plus âgée que moi, je me disais qu’elle savait sûrement comment cela fonctionnait. Me saisissant de la petite bouteille de gaz, arborant un sourire gêné, je comptais bien lui demander. « Tu saurais t’en servir ? Ça nous sera très utile, mais je n’ai aucune idée de comment brancher tous ces machins là… J’ai trop peur que ça m’explose à la figure. »
La bêtise humaine, la seule chose qui donne une idée de l'infini
Face à la douleur qui pulsait dans sa jambe et qui avait failli lui arracher des larmes, le corbeau avait pris la fuite, lessivé, et laissait toute la place à sa partie humaine. C’était une technique de lâche, peut-être, mais il ne voulait pas affronter la douleur alors que Raven, elle, avait été dressée pour garder le dos droit, même si on lui coupait une jambe. Ou quelque chose comme ça. Il lui semblait que, sous l’influence de l’espionne, la douleur était déjà plus supportable et qu’elles pourraient, à deux, trouver un moyen de calmer le mal, bloquer la cheville et rejoindre la ville. Si Raven pouvait se lever et clopiner dans la cabane, elle chercherait, aussitôt, quelque chose, n’importe quoi, pour s’en servir d’atèle provisoire et de béquille. Pour le moment, néanmoins, elle ne pouvait pas bouger de son bout de sol et se contentait de poser les yeux sur sa sauveuse, le regard doux et dur à la fois, influencé par la mère et la militaire en elle.
Évidemment, Raven ne demandait pas son avis à la vétérinaire, quant au fait qu’elle lui était redevable et qu’elle trouverait un moyen de la rembourser. La brune était ainsi et rien ni personne ne la ferait changer d’avis. Pour l’avoir aidée et ramassée, l’humaine se trouvait une place de choix dans l’estime du corbeau. Son esprit logique et son intelligence, eux, plaisaient à l’espionne. Raven ne pouvait, en regardant sa sauveuse, que penser qu’il s’agissait d’une bonne âme, de quelqu’un de bien, qui aurait tôt fait de s’attirer des ennuis. Une information qui n’aurait fait ni chaud ni froid au corbeau, mais il se concentrait sur ses faux souvenirs pour faire face à la situation. La grand-mère, elle, ne pouvait qu’apprécier une jeune femme pareille et se para d’un petit sourire chaleureux. Raven avait, autrefois, été quelqu’un de bien ou quelqu’un de destiné à faire le bien, plutôt, tout en faisant le mal. Manipuler, tuer, mentir étaient des choses habituelles pour l’espionne et ça ne la dérangeait pas d’être ainsi. Changer de voie, non plus, ne lui avait fait ni chaud ni froid. Alors, oui, peut-être, qu’au fond, elle avait toujours été quelqu’un de mauvais, mais ça ne l’empêchait pas d’apprécier les gentils. Ou un truc dans ces eaux-là.
La brunette n’avait pas tort de penser que Raven n’aurait, normalement, pas eu grand-chose à faire de ses problèmes. L’oiseau noir avait beau savoir s’occuper de ses « amis » (il avait encore du mal à percuter le sens précis de ce mot), il s’intéressait plus à la possibilité d’emmerder les ennemis de ses amis, plutôt qu’aux autres problèmes. L’argent, par exemple, était une donnée dont il ne s’encombrait pas vraiment. Un oiseau n’a pas besoin d’argent et Raven savait où en trouver sans être inquiété d’avoir à payer certaines choses, comme ses commandes de produits ou les services d’une certaine dame émotions. Puisqu’il faisait, déjà, peu de cas de son argent à lui, il était normal qu’il n’en fasse pas non plus pour celui des autres. Alors, les problèmes de sa sauveuse lui passaient bien au-dessus du crâne. Néanmoins, Raven comprenait les soucis engendrés par l’argent, dans ce monde, et la possibilité d’avoir un ennemi sur lequel se venger changeait tout à la donne. Puis, comme elle l’avait dit, elle avait une dette envers sa sauveuse, alors, oui, elle se préoccupait de ses problèmes pour pouvoir la rembourser. De l’argent, Raven pouvait en trouver facilement. La personne responsable… elle pouvait, aussi, en faire son affaire.
Raven papillonna des cils alors que la brunette lui parlait des conséquences d’être son propre patron. Elle l’était aussi, la taxidermiste, puisqu’il était hors de question de recevoir des ordres de quelqu’un d’autre, encore moins d’un humain. Néanmoins, elle n’était pas certaine de comprendre les conséquences insinuées par la vétérinaire. Puisqu’elle était patronne, ne pouvait-elle pas faire tout ce qu’elle voulait, comme elle le voulait, sur qui elle voulait ? Raven ne s’inquiétait pas du reste, elle, mais elle avait appris, récemment, que ce n’était pas tout à fait normal. Une gamine, une simple gamine, lui avait fait comprendre qu’elle ne faisait pas tout comme il le fallait et qu’elle ferait mieux de s’ouvrir à certaines choses qui la dépassaient. Comme Face-machin-truc. Mais, bizarrement, elle doutait que les problèmes financiers de sa sauveuse soient liés à ce truc-là. Peut-être qu’elle savait l’utiliser, elle, et qu’elle n’avait pas besoin des cours d’une gamine de moins de dix ans ! Raven aimait bien Sally, alors ce n’était pas très grave et elle assumait de ne pas comprendre les technologies humaines. Au moins, elle essayait de piger, c’était déjà ça.
Raven acquiesça plusieurs fois, un petit sourire aux lèvres, alors que la brunette affirmait qu’il n’existait rien d’insurmontable. Pour une femme comme Raven, cette affirmation ne pouvait qu’être vraie. Il était hors de question qu’elle se mette dans la tête qu’il existait, dans ce monde, quelque chose qu’elle ne puisse pas faire, contre laquelle elle s’entêterait à buter sans arriver à passer l’épreuve. À part, peut-être, amener une pensée cohérente dans l’esprit de son mari et lui arracher des excuses sincères, une fois qu’il aurait compris quel était le problème. Mais, là-dessus, Raven ne nourrissait plus vraiment d’espoir et commençait, peu à peu, à abandonner l’idée. Il ne s’excuserait jamais et elle n’arriverait jamais à lui pardonner. Point, à la ligne, ouvrez les guillemets : « Cette histoire n’a rien à voir avec ma sauveuse. »
Le corbeau fut bien content qu’elle lui explique, à peu près, qu’il s’agissait d’une expression, apparemment commune chez les humains. Ce n’était pas le cas pour elle et elle n’en comprenait pas le sens, mais venant d’eux, elle ne s’étonnait plus de grand-chose. Ils n’avaient peut-être pas entièrement tort, puisque Raven était ressorti plus fort de l’humiliation et du harcèlement dont il avait été la victime, avant de renaître en démon. Quoi qu’il en était, l’évocation de la manière dont Raven pourrait aider la brunette fit naître une lueur un poil malsaine, au fond de son regard. Elle avait plusieurs idées en tête, mais la gentillesse de la vétérinaire ne le supporterait sûrement pas. Elle préféra garder le silence, pour l’instant, jusqu’à trouver les mots justes pour lui proposer son aide.
» On m’appelle Raven, répondit-elle, en observant les mouvements de Weenie. Pour ce qui est de tes petits problèmes financiers, ce n’est pas l’argent, le plus difficile à trouver. Je peux t’en donner. Donne juste un montant et je m’en charge, ne t’en fais pas pour ça. Tu sais bien que certaines personnes de cette ville ont bien trop d’argent pour eux tout seul, alors ce n’est pas un problème.
Ce qui aurait pu être interprété pour Raven elle-même, dans une drôle de tournure à la troisième personne pour noyer le poisson, mais connaissant le personnage, certains auraient compris du premier coup qu’elle pensait plutôt à en voler à d’autres. Ce n’était pas ça qui l’arrêterait, elle. C’était ainsi qu’elle avait payé sa boutique et qu’elle payait le reste des choses qu’elle était bien obligée de payer. En tant que corbeau, l’argent ne l’intéressait pas. En tant qu’humaine… elle n’était pas rangée chez les vilains pour rien, ça ne lui faisait rien d’en voler aux autres. Selon elle, elle en avait forcément mieux besoin qu’eux. Elle se contentait de prendre autant qu’elle en avait besoin, c’était déjà bien, non ?
» Mais si tu as des soucis avec ta pire ennemie, je peux m’en charger aussi. Ça se voit pas comme ça, parce que j’ai été prise par surprise par ce petit débile, mais je sais me défendre. Je pourrais lui faire regretter de s’attaquer à toi et lui passer l’envie de recommencer.
Ce que Raven avouait sur le même ton qu’elle aurait pu demander si l’orage était passé pour de bon, dehors. Elle n’avait pas la subtilité humaine, c’était certain, et pas, non plus, leur pudeur ou leurs tabous. Elle se contentait de dire les choses comme elle les pensait, très franchement, sans s’inquiéter des conséquences. Peut-être bien, qu’un jour, ça lui reviendrait en pleine gueule, mais pour l’instant, elle n’y faisait pas gaffe et préférait faire les choses comme elle les entendait.
Weenie trouva des réchauds dans les affaires de la cabane, ce qui réveilla des images étranges, au fond du crâne de Raven. Elle posa un regard amusé sur la jeune qui, apparemment, semblait vraiment paumée devant les réchauds. C’était le genre de trucs que l’on n’apprenait plus vraiment à utiliser, au profit de la technologie. Sauf que Raven ne connaissait pas la technologie, ce qui tombait plutôt bien. Bon, elle n’utilisait pas non plus de réchauds, mais l’humaine en elle l’avait déjà fait, dans ses faux souvenirs.
» Ca ne va pas exploser, si tu fais exactement ce que je te dis. (Elle fit une pause, un grand sourire aux lèvres.) Non, je plaisante, c’est sécurisé, ça n’explosera pas. Viens donc m’aider à me lever, à cloche-pied, ça devrait aller.
Raven tendit une main vers Weenie et chercha, de l’autre, un appui solide en hauteur. Elle ne put que tirer l’une des caisses vers elle, avec un peu de mal, tout de même, avant de poser la main dessus et de se tenir prête à se lever. Si Weenie ne l’aidait pas, elle se lèverait toute seule, alors il valait mieux, pour la vétérinaire, de faire ce que lui demandait Raven plus ou moins gentiment, pour une fois.
» En vrai, c’est pas bien compliqué. Il faut juste faire attention à la bouteille de gaz. C’est elle la plus dangereuse dans l’histoire. (À moins que ce ne soit, plutôt, de mettre Raven près d’une allumette et d’un gaz inflammable…) Sauf si ce sont pas des réchauds à gaz, mais dans tous les cas, t’as intérêt à faire gaffe à ta source de carburant. Pose-les sur la table, ce sera plus simple.
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la bêtise humaine, la seule chose qui donne une idée de l'infini | raven