« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
Le centre commercial était toujours un endroit très animé alors que Storybrooke n'était pas particulièrement une grande ville. En fait, en dehors des habitants de l'endroit, personne dans tous les USA ne savaient que ce centre existait. On n'y croisait jamais personne de l'extérieur et pourtant, il grouillait toujours de monde, en plus de proposer quantités de boutiques. A croire que les mondes des contes agrégés par le sort noir de Regina étaient vraiment nombreux. Ou que l'ancienne méchante reine et sorcière était vraiment très puissante. Anastasia n'avait pas la réponse. Elle doutait que quelqu'un l'ait, à vrai dire. Toujours est-il que cet endroit plein de vie, de parfums, de sons et de couleurs plaisait beaucoup à la petite Abigaëlle, jeune demoiselle vive de quatre ans et demi. Elle tenait toujours la main de sa maman quand toutes les deux allaient dans ces endroits noirs de monde afin de ne pas se perdre. C'était plutôt maman qui craignait que cela arrive, pas tellement Abigaëlle qui ne s'était égarée qu'une seule fois et ne s'en rappelait déjà plus. Contrairement à sa mère, justement. Abigaëlle n'était pas le genre d'enfants qui fait des caprices dès qu'il passe devant un magasin susceptible d'éveiller son intérêt. Pourtant, cela ne manquait pas dans le centre commercial. On pouvait acheter des glaces, des jus de fruits sucrés et autres smoothies faits maison, des jouets, naturellement. Abigaëlle adorait les jouets - comme tous les enfants de son âge. Mais elle en avait plein. Une montagne. Entre son arrière-grand mère qui dilapidait manifestement sa fortune pour combler la petite fille, Victoire qui avait été très généreuse à Noël, les parents de la petite princesse... La petite fille ne manquait de rien. Et c'était exactement ce qu'Anastasia qui avait manqué de tout une bonne partie de son enfance souhaitait pour elle. Pour autant elle n'aurait jamais songé à la pourrir. Abigaëlle avait sans doute fait un caprice, une fois, quand elle était toute petit. Mais ni papa ni maman n'avaient cédé. L'enfant avait trouvé leurs limites, point final. Anastasia n'était pas friande de shopping mais elle avait dû s'y résoudre pour trouver de nouveaux vêtements à sa petite princesse. Elle avait fait en sorte de faire durer le moment le moins possible, sachant qu'Abigaëlle commençait à avoir une petite opinion de ce qu'elle voulait porter ou pas. Il avait fallu prendre ce nouveau facteur en compte. Mais finalement les choses s'étaient bien passées. Il n'y avait plus qu'à traverser le centre-commercial dans l'autre sens puis rentrer. Anya en était ravie. La mère et la fille marchaient d'un pas tranquille, davantage parce qu'Abigaëlle ne pouvait pas suivre une foulée trop rapide que par plaisir de déambuler. Même si l'observer s'extasier de tout avait quelque chose de touchant. Il n'était d'ailleurs pas rare qu'Anya esquisse un sourire en pensant à la chance qu'elle avait. - Maman, piano ! l'interpella la petite tête rousse en pointant volontairement un piano mis à disposition de qui voulait bien en jouait, à savoir actuellement un vieil homme. Devant l'intérêt de la petite fille, elles s'arrêtèrent pour écouter le morceau jazzy qui était joué et qu'Anastasia ne connaissait pas. Cela ne l'empêcha cependant pas de battre la mesure avec le pied tandis qu'Abigaëlle se trémoussait plus librement. C'était une enfant, après tout. Elle avait l'air d'apprécier beaucoup le son produit par l'instrument et le vieux pianiste s'en amusa. Mais il ne pouvait pas rester là toute la journée et tira bientôt sa révérence - assez littéralement, d'ailleurs. Et parce que sa musique avait séduit Abigaëlle, Anya lui donna un pièce qui révéla un sourire de dents gâtées mais un sourire content néanmoins. Quant à la petite fille, elle s'avança vers l'instrument à présent muet, l'air curieux. D'abord elle observa les touches, l'alternance entre le blanc et le noir. Puis elle posa sa main au hasard et produisit un son, qui l'étonna un peu mais l'amusa surtout. La petite fille s'assit donc et commença à... pas sûr qu'on puisse appeler ça de la musique, en fait.
Comme une brise, sur sa joue, qui réchauffe sa peau froide, essaie d’inculquer un peu de vie dans ce corps mort. Ou presque mort. Liliann inspire, expire. Le souffle suit le rythme, glisse dans son cou. Elle sait qu’il n’est pas vraiment là. Il n’est qu’un souvenir d’une ancienne époque, une sensation persistante qui ne veut pas partir, qui ne peut pas partir. Parce que Liliann est incapable d’oublier. Le passé, le présent, tout se mélange sans cesse, s’imbrique, se sépare. Il ne reste toujours qu’elle, au milieu de cette mer étrange, qui se laisse ballotter d’un côté et de l’autre, sans chercher à comprendre ce qui existe et ce qui n’est plus.
Ce souffle n’est plus.
Liliann le sait. C’est inscrit dans chaque pore de sa peau, dans chaque zone de son cerveau. Elle sait qu’il n’y a plus personne pour souffler sur sa joue. Tous ceux qui ont pu le faire, un jour, ont disparu de sa vie. De ses vies. Il ne reste qu’elle, seule, perdue dans ce souvenir, à ne pas oser ouvrir les yeux sur la réalité. Elle ne veut pas voir celui qui souffle sur elle, sans le faire vraiment. Elle préfère inspirer, expirer, et se persuader qu’il ne s’agit que de l’air chaud qui s’échappe, naturellement, des lèvres d’un bambin endormi.
Une douleur, à son épaule, la force à ouvrir les yeux. Liliann regarde autour d’elle, d’un côté, puis de l’autre. Le centre commercial se dresse au-dessus de sa tête, menaçant, comme une prison de laquelle elle ne pourra jamais s’échapper. C’est une sensation qui la prend à la gorge, la force à détourner les yeux du plafond pour se concentrer sur la silhouette, devant elle, qui s’excuse un peu. Elle voit, dans son regard, qu’il n’en pense pas un mot. Il pense qu’elle est responsable, qu’elle ne devrait pas s’arrêter au milieu de l’allée, qu’elle l’a bien cherché. Liliann ne répond rien. Elle s’en fiche, au fond. Peut-être a-t-il raison. Ça ne change rien, de toute façon.
L’homme s’éloigne, traînant derrière lui un parfum fort, qui lui pique un peu le nez. Liliann se détourne. Elle ne veut plus être ici. La foule l’oppresse. Tout ce monde qui court, autour d’elle, remue à un rythme différent du sien. Elle n’aime pas ça. Elle se sent mise au ralenti, perdue dans un temps qui n’est pas le sien. Ou plutôt, dans un temps qui n’est pas le leur, celui du monde entier, de toutes ces fourmis qui pullulent autour d’elle.
Elle ne veut pas être une fourmi.
Dans son silence, une note de musique. Lili relève ses yeux noirs de ses chaussures. Le monde s’incruste à nouveau dans sa bulle. Elle entend les rires, les voix, les bruits de pas. Elle cherche, du regard, la source de ce bruit, presque malgré elle, inconsciemment ; à jamais attirée par le grand instrument. Les notes sont douces, à ses oreilles, sur un rythme dont la pianiste n’a plus l’habitude. Le jazz n’a jamais été son genre préféré, trop décalé, elle n’a jamais su s’harmoniser à lui. Elle était toujours en retrait, un temps en arrière, perdue dans son propre rythme.
Liliann s’approche du piano et du vieil homme qui joue. Elle regarde les doigts s’activer sur le clavier. Un bon pianiste, sans le moindre doute, qui offre sa musique, son talent, sans rien attendre en retour. Lili, aussi, aurait pu jouer ainsi, pour accompagner le monde dans sa vie, mais elle ne joue plus depuis longtemps, attirée par les pianos sans plus oser les toucher.
Le vieil homme s’en va. Son art est récompensé par une femme et Liliann pense, elle aussi, à se détourner, à rentrer. Elle ne veut pas rester ici, mais ses yeux captent le mouvement d’une petite fille. Elle s’avance vers le piano, intriguée par ce qu’elle ne connaît pas encore. Dans sa main, Lili sent celle de quelqu’un d’autre. De petits doigts qui se referment sur les siens, qui serrent et desserrent leur étreinte comme pour se convaincre, sans cesse, qu’elle ne l’a pas lâchée. La Princesse, aussi, a très envie de refermer le poing, pour ne plus jamais lâcher cette main, mais elle se retient. Elle sait que si elle bouge, d’un millimètre à peine, si elle essaie de toucher ce contact agréable, contre sa peau hâlée, l’illusion prendra fin. Il ne restera que Liliann et le grand piano.
Une nouvelle note s’échappe de l’instrument. La petite a appuyé sur une touche et s’empresse d’appuyer sur les suivantes. Les notes sont affreuses. Elles n’ont pas l’habitude d’être jouées ensemble, mais ça ne la dérange pas, Lili. La chaleur, au creux de sa paume, a disparu. Elle n’a pas besoin de baisser les yeux pour savoir qu’il n’y a jamais eu personne, à côté d’elle. Elle se contente d’avancer, silencieuse, ses yeux noirs fixés sur les mains de la gamine. Quand elle s’arrête à côté du clavier, Liliann attend. Elle attend le bon moment.
Là. Lili appuie sur une touche, en même temps que l’enfant. Le son qui sort est, cette fois, beaucoup plus harmonieux. Les bonnes associations changent tout à la mélodie du piano. N’importe qui peut s’en rendre compte, même une enfant aussi jeune que celle-là.
« Tu aimes ? demande Liliann, avec un faible sourire. Tu veux apprendre ? »
Et elle appuie sur deux nouvelles touches, pour sortir un beau son qui n’a, sans le moindre doute, rien à voir avec le jazz du vieil homme. Quelque chose de beaucoup plus doux et sombre, qui colle mieux aux yeux noirs de la pianiste.
Codage par Libella sur Graphiorum
Anastasia Romanov
« Men are such babies »
| Avatar : Ashley Clements
| Conte : Anastasia | Dans le monde des contes, je suis : : Anastasia Romanov
La femme sembla surgir de nulle part et Anya manqua de sursauter en la voyant s'approcher du piano. Non pas qu'elle craignit pour la vie de sa petite Abigaëlle, c'était seulement de la surprise. Anastasia vit rapidement que cette femme n'était pas une menace mais plutôt une pianiste aguerrie - en tout cas davantage que sa petite fille qui avait pianoté au hasard en produit des sons dissonants. Par chance, dans un centre commercial, personne, en principe, ne faisait réellement attention à ce genre de détails qui se noyaient dans le brouhaha ambiant. Et pourtant, la rouquine se sentait un peu comme dans une bulle. Elle ne faisait plus réellement attention au monde autour d'elle car voir sa fille découvrir cet instrument si imposant pour elle était un moment particulièrement attendrissant et un sourire s'était esquissé sur ses lèvres sans qu'elle ne s'en aperçoive tout de suite. Quant à Abigaëlle, elle posait de grands yeux bleus intrigués et admiratifs sur cette inconnue qui s'était approché de l'instrument pour jouer avec elle. La petite fille n'avait pas du tout conscience de ce qu'elle faisait, s'amusant avant tout à produire des sons, tout comme elle ne se rendait pas compte qu'elle jouait n'importe comment car c'était une notion trop complexe pour son petit cerveau, mais elle avait tout de même noté la différence intrigante quand la dame aux cheveux noirs l'avait accompagnée. Et cette femme avait à présent toute son attention. C'est à peine d'ailleurs si elle coula un regard vers sa mère en quête d'une approbation qu'Anastasia donnait volontiers. Puis elle reposa ses yeux grands ouverts sur la dame et opina vivement : oui elle aimait même si elle ne savait pas trop ce qu'elle aimait, si c'était le son ou le fait de jouer avec un si gros jouet. Un piano. Elle se rappelait que maman avait dit que ces objets là étaient des pianos. C'était un joli mot, de son point de vue enfantin. Abigaëlle trouvait donc logique qu'un joli mot produise un joli son. Mais qu'est-ce que cela pouvait bien vouloir dire "apprendre le piano" ? La fillette n'osa pas demander à l'inconnu alors elle interpella... - Maman ? Je peux apprendre le piano avec la dame ? Le sourire d'Anastasia s'étira et la jeune femme s'approcha pour caresser affectueusement sa petite tête rousse. - Eh bien ça dépend, Abigaëlle. Il faut déjà voir si la dame a le temps de t'apprendre et que tu en aies réellement envie. Tu en as réellement envie ? - Ouiiii ! s'écria l'enfant. Je veux faire du joli bruit ! - Très bien, on va voir ce qu'on peut faire pour ça, reprit Anya en se tournant cette fois vers la pianiste, une femme qu'elle n'avait pas souvenir d'avoir déjà croisée auparavant. Mais peut-être que nous devrions commencer par quelques présentations. Je suis Anastasia et voici ma fille Abigaëlle, quatre ans... - Presque quatre ans et demi, corrigea Abigaëlle. ... manifestement pianiste en devenir, reprit sa maman. C'est ce que vous êtes ? Est-ce qu'elle n'est pas un peu jeune pour commencer le piano ?
Les sons du piano s’élèvent tout autour d’elles, les enveloppent, les enferment dans une bulle rien qu’à elles. Liliann fixe ses yeux noirs sur la tignasse rousse, devant le clavier de l’instrument. Elle détaille les grands yeux bleus qui se lèvent vers elle, à l’instant où son doigt appuie sur une touche. La brune respire de manière imperceptible, bloquée dans un monde qui n’est qu’à elle et duquel elle a, toujours, tant de mal à sortir. Les cheveux roux sont bientôt remplacés par des mèches noires. Le ciel quitte les iris de l’enfant et la forme de ses joues s’arrondit. La jolie inconnue n’en est plus tout à fait une. Lili a très envie de détourner les yeux, de s’arracher à ce passé qui la rattrape toujours, qui la prend à la gorge et la force à affronter la vérité : Béryl n’est plus. Béryl n’a même jamais eu l’âge de cette enfant-là, coincée, pour l’éternité, dans sa peau de bébé, de bambin, d’une chose fragile qu’elle n’a pas pu protéger.
Une nouvelle note arrache, une fois encore, Liliann à ses démons. Elle prend une grande inspiration et jette un coup d’œil à la mère, à côté de sa fille. La ressemblance est frappante. Comme un doux air de déjà-vu qui force la pianiste à regarder, tour à tour, les deux rousses. Elle se demande si, elle aussi, elle donnait cette impression-là, quand elle serrait fort la main de sa fille pour que, jamais, elle ne la lâche. Elle sait que non. Pas au point de ses deux inconnues. Au fond de la Princesse, il existe un mal que le bonheur d’une famille n’a pas su cacher. Alors, quand elle se tenait à côté de Béryl, elles devaient ressembler au noir et au blanc, à deux opposés qui gardent, pourtant, une sorte de lien, comme une tache grise qui les mélange à l’instant où leurs doigts essaient de ne plus faire qu’un.
La jeune enfant opine du chef, à la question de Lili, qui lui répond d’un petit sourire. Elle devait, elle aussi, avoir cet age-là, la première fois que ses parents l’ont posée devant un piano pour apprendre à jouer. Une chose si facile et si dure à faire, quand on est fille de pianiste. Liliann a eu, très tôt, la possibilité de regarder sa mère jouer, de sentir l’envie d’apprendre la prendre au cœur, pour faire comme sa mère avant elle. Pour que l’on soit fière d’elle. Une pression inimaginable sur les épaules d’une enfant. La brune, parfois, se demande ce qui se serait passé, si on ne l’avait jamais forcée à se poser devant un clavier pour sortir ses premières notes. Puis, elle se souvient que tout ceci n’est pas réel et expire ses questions sans réponse.
La brune lève les yeux sur la mère, alors que la gamine lui demande son approbation pour apprendre. Elle voit, dans son sourire, quelque chose d’incroyablement beau, qui la forcerait presque à détourner les yeux. Elle tient bon. Elle sent, elle-même, le souvenir de la douceur d’une autre chevelure, sous ses doigts, quand la rousse caresse la tête de sa fille. C’est une sensation étrange, au creux de sa main, qui lui arrache un frisson. Cette fois-ci, Liliann ne tient pas. Elle détourne le regard et glisse ses yeux noirs sur la foule qui se presse dans les magasins sans un regard pour elles.
L’entrain de l’enfant glisse sur Peau d’âne comme une brise tiède sur sa peau. Elle s’en réchauffe un peu, mais n’arrive pas à l’absorber, à y puiser l’énergie nécessaire pour suivre le rythme. Elle reste bloquée dans le sien, un peu en retard du monde, et ne tourne les yeux vers la mère, qu’une fois qu’elle a fini de lui parler, bientôt coupée par la petite Abigaëlle, qui précise l’âge donné par sa mère. Six mois, c’est long, pour une fille de son âge. Six mois, ce n’est qu’un souffle de plus, douloureux, dans une vie comme celle de Liliann.
« Enchantée, répond-elle, par politesse. Je suis Liliann. »
Il y a comme une ombre, une impression étrange, qui passe dans le cerveau de la pianiste à l’instant où, justement, Anastasia lui demande si elle en est une. La brune appuie sur de nouvelles touches du piano, sans y penser vraiment. Est-elle pianiste ? La question lui fait pincer les lèvres et prendre une grande inspiration qui réussit, assez mal, à la libérer d’une sensation, comme un frisson, sur le dos de la main qui appuie sur le clavier de l’instrument.
« Je l’ai été, avoue-t-elle, avec un sourire triste. Autrefois, oui. Je dois dire que je n’ai plus joué depuis longtemps, mais ce ne sont pas des choses que l’on oublie facilement. (Surtout avec un cerveau aussi mal fait que le sien, qui retient ses souvenirs dans leur moindre détail.) C’est, à peu de choses près, à cet âge-là, que j’ai commencé à apprendre, moi aussi. »
Liliann offre un nouveau sourire à l’enfant. Elle, elle n’a pas eu le choix. On ne lui a pas vraiment demandé son avis et elle s’est contentée de faire ce que l’on attendait d’elle, elle-même persuadée que c’était ça, qu’elle voulait faire de sa vie. Avec le recul, elle comprend qu’il n’en est rien. À cet âge, elle aurait préféré jouer avec d’autres enfants, que de rester seule derrière un clavier trop grand pour elle. Mais les choses sont différentes pour Abigaëlle. Elle s’est elle-même juchée sur le siège du piano. Personne ne l’y a posée.
« À vrai dire, il est fort possible qu’elle se désintéresse du piano, d’ici quelques jours. (Ses yeux noirs reviennent sur Anastasia.) C’est souvent comme ça, chez les enfants. L’important, c’est de ne la forcer à rien. Qui sait… puisqu’elle en a envie, peut-être en fera-t-elle sa passion. Vous permettez ? »
D’une main délicate, vaguement pointée vers le siège du piano, Lili demande à la jeune mère l’autorisation de s’asseoir à côté de sa fille, pour lui montrer quelques touches qui feront, sans le moindre doute, de meilleurs sons que celles que la petite rousse s’amuse à enfoncer, depuis tout à l’heure. Elle aura, aussi, accès aux pédales de l’instrument.
« J’ai du temps. (Une réponse qui vient un peu en retard, avouons-le, alors que Liliann reporte son attention sur Abigaëlle.) Tu sais, le piano, ce n’est malheureusement pas d’appuyer sur trois touches en espérant qu’un joli son soit produit. Il faut s’entraîner tous les jours et apprendre ses leçons, comme des devoirs à la maison. (Elle sourit, essayant de jauger la détermination de la gamine.) Mais pour le début, je peux te montrer quelques astuces, très simples à réaliser. »
Codage par Libella sur Graphiorum
Anastasia Romanov
« Men are such babies »
| Avatar : Ashley Clements
| Conte : Anastasia | Dans le monde des contes, je suis : : Anastasia Romanov
Liliann avait l'air d'une femme douce et était polie en tous points. Mais Anastasia, qui était maintenant parfaitement formée en profilage suite à la bifurcation de sa carrière, sentait qu'il y avait autre chose. C'était subtil, sans doute parce que Liliann préférait ne pas l'afficher, mais c'était là, dans certains de ces gestes ou quelques unes de ces attitudes. Evidemment, la rouquine n'allait pas, même si Dimitri prétendait qu'elle manquait de tact, mettre les pieds dans le plat tout de go. Elle ne connaissait pas suffisamment Liliann pour se le permettre et n'était pas si dénuée de tact que Dimitri le clamait. Et bien qu'elle ait décidé de ne rien dire, Anya n'était pas dupe : ça se voyait comme le nez au milieu de la figure que Liliann savait y faire avec les enfants et qu'elle portait une blessure liée à cela et probablement à la musique. La rouquine laissa cependant ces réflexions dans un coin de son esprit et tenta de garder une expression à la fois neutre et avenante. Si la russe avait vu juste et si Liliann était un tant soit peut comme elle, probablement que la jeune femme n'apprécierait sa pitié. Et si Anastasia se trompait, la situation pouvait devenir vraiment bizarre. - Je vous envie un peu. Ca doit être agréable de savoir jouer mais je crois que j'aurais pas la patience. Surtout à cet âge, ajouta la jeune femme en coulant un regard vers sa fille. Peut-être qu'elle a davantage le caractère d'une pianiste. Pour tout vous dire je pouvais être une vraie peste, confia Anya d'un air complice. La jeune femme aimait la musique et, grandissant dans un monde de fêtes, l'avait toujours appréciée. La jouer, par contre, c'était une autre histoire. Sans doute qu'elle n'avait pas l'âme d'une artiste. D'ailleurs, ses prouesses en dessin étaient également discutables. Mais le destin d'Abigaëlle ne dépendait heureusement pas des prédispositions de sa mère. Elle pourrait tenter tout ce qui lui semblerait bon, sa maman la soutiendrait toujours. Mais elle ne promettait pas de comprendre quelque chose si Abby décidait un jour de faire un baseball. Sa mère espérait quand même que ça ne serait pas le cas. Comme tout parent, elle se projetait, plus ou moins consciemment, au travers de sa fille et nourrissait des rêves et des espoirs pour elle. Par chance, Anastasia ne l'imaginait pas encore en grand pianiste qui donnerait des récitals dans le monde entier, alors quand Liliann annonça qu'il était aussi possible que ce ne soit qu'une passade, la jeune femme ne fut pas déçue. Elle-même, enfant, avait dû en avoir, autres que celle de faire tourner tel ou tel domestique en bourrique pendant une semaine. - Oui, j'imagine. Tout le monde n'est pas Mozart. Je ne m'attends pas à ce qu'elle décide dès aujourd'hui quel hobby garder toute sa vie. Si ça ne lui plait pas, elle pourra essayer autre chose. Mais oui, allez-y, je vous en prie. Un signe approbateur du menton accompagna ces derniers mots. Anastasia était à deux pas du piano mais un peu en retrait, pour laisser l'espace nécessaires à son artiste de fille en devenir et à sa... professeur d'un jour ? Abigaëlle semblait en tout cas l'apprécier ou du moins lui faire confiance et écouta Liliann avait un certain intérêt. Sa mère nota quant à elle la façon très adaptée dont la pianiste expliquait les choses à sa fille, ce qui la confortait dans son impression que Liliann avait déjà côtoyer des enfants. - Montre ! l'exhorta la petite tête rousse au regard pétillant de curiosité. Bien que pleine de joie, cette exclamation ne permettait pas réellement de savoir si Abigaëlle avait compris qu'apprendre le piano pouvait être fastidieux.
Le piano a un pouvoir d’attraction, sur Liliann, auquel elle ne peut pas résister. Elle ne cherche, en vérité, pas à résister. Depuis le temps, elle a abandonné l’idée, consciente qu’il s’agit d’un combat perdu d’avance. Pourtant, tout à la fois, la brune se sent repoussée par l’instrument. Comme une main qui la tire en arrière, par le coude ; une voix qui lui dit de ne pas y toucher, de ne pas se replonger dans le passé. Face à un piano, Lili a du mal à être Lili. Inévitablement, elle incline la nuque, laisse ses cheveux glisser sur les joues d’Anahis, lui rappeler ce qu’elle a été, ce qu’elle aurait pu devenir, ce qu’il s’est passé. Chaque note, chaque touche enfoncée est une douleur en plus, qui lui coupe le souffle, l’empêche d’échapper à ses souvenirs. Elle sent des choses qui n’ont plus lieu d’être, elle voit des ombres qui n’existent pas. Elle ne peut pas fuir.
Face à l’enfant, les souvenirs glissent sur sa peau d’une manière différente. Lili ne sent pas les ongles d’un autre s’enfoncer dans sa peau, des caresses qui la font frissonner de dégoût. Elle se souvient d’autres boucles, brunes, qui ondulaient sur de petites épaules. De grands yeux noirs qui se dressaient vers elle, tendaient des bras minuscules vers son visage, pour réclamer un peu d’attention, beaucoup de câlins. Lliann ne lui refusait jamais rien. Comment aurait-elle pu refuser quoi que ce soit au seul miracle qu’elle avait connu, dans toutes ses vies ?
Pourtant, face au piano, en observant les doigts de l’enfant qui appuient sur les touches, Lili se questionne. Des questions qu’elle ne s’est jamais posée avant, mais qui prennent, soudain, tout leur sens. Aurait-elle refusé à sa fille de s’asseoir devant un piano, de glisser sa peau sur les touches vernies ? L’aurait-elle autorisé ? Liliann ne sait pas. La réponse lui échappe, comme un filet d’eau sur lequel elle ne peut pas refermer les doigts. Pourquoi se poser la question ? Béryl ne peut plus réclamer d’apprendre à jouer.
La brune relève ses yeux sur Anastasia. Elle n’est pas certaine de ce qu’elle doit répondre à la mère. Agréable n’est pas le mot que Lili utiliserait pour désigner son sentiment, devant un piano. Elle n’est, en vérité, pas certaine elle-même de la façon dont elle pourrait décrire son impression. Alors, elle se contente d’un petit sourire, discret. Liliann, elle, n’a jamais été une peste. Peut-être aurait-elle mieux fait de le devenir, à l’époque. Dans ses souvenirs, il n’y a que des acceptations, des demandes humbles et une docilité à en faire pâlir le plus fidèle des chiens. Elle a toujours dit oui, à ses parents, à ses nourrices, à tout ce monde qui s’occupe d’une Princesse, lui inculque les valeurs les plus passives de la vie. Dans ses faux souvenirs, elle n’a pas été différente. Elle n’a jamais su dire non et ça lui a presque coûté la vie.
« Il n’y a pas d’âge pour apprendre, tant que vous en avez l’envie, assure-t-elle, gentiment. Il est vrai que l’impatience risquerait d’être un frein à l’apprentissage, mais c’est notre lot à tous. À son âge, je voulais déjà jouer des symphonies. »
Lili a été bercée par les mélodies du piano de sa mère. Le jour où, enfin, elle a été placée devant le clavier, elle ne voulait pas se contenter de trois touches pour commencer. Elle voulait être à la hauteur de sa mère, lui montrer qu’elle aussi, elle peut faire comme elle, qu’elle peut être fière. Ça n’a pas été de tout repos, pour ses professeurs, mais elle a su, au final, comprendre qu’il faut commencer par les bases, qu’il ne sert à rien de sauter les étapes.
« C’est sage de votre part. Tous les parents n’ont pas votre ouverture d’esprit. Ce n’est pas évident de leur faire comprendre, alors, que leurs enfants ne prennent aucun plaisir à jouer et qu’ils veulent arrêter les leçons. Ça ne sert pourtant à rien de les forcer. (Lili se fait une toute petite place, à côté de l’enfant, pour ne pas trop la déranger, sur son siège.) Merci, dit-elle à l’attention de sa mère. »
Si Liliann essaie de mettre en garde la petite Abigaëlle, sur les engagements que demandent l’apprentissage du piano, elle se doute qu’elle n’en a, certainement, pas compris la moitié. Néanmoins, ça ne décourage pas la pianiste. Elle sait que ses mots se sont faits une place, dans son esprit, et qu’elle y repensera, plus tard, quand elle comprendra véritablement ce que ça fait, de s’adonner à un loisir tel que celui-ci. Elle a, de toute façon, tout le temps de s’en rendre compte.
« Regarde bien mes doigts. Je le fais et, ensuite, ce sera à toi. Je t’aiderai, ne t’inquiète pas. »
La pianiste pose un doigt sur la première touche du piano. En tant que pianiste, elle sait utiliser ses dix doigts pour tirer, de l’instrument, une belle mélodie. Néanmoins, ça ne sert à rien de frimer, devant une enfant. Lili se contente, donc, de l’index qui enfonce la première touche, puis les deux suivantes, lentement. La mélodie est simple, entêtante, connue de tous. Un enchaînement qui se fait facilement, à la portée de tous les enfants.
« À ton tour, donne-moi ta main, demande-t-elle, gentiment, à Abigaëlle. »
La main est minuscule dans la sienne, plus légère qu’une plume, la peau douce, délicate. Liliann a, soudain, l’impression de tacher cette peau blanche avec la crasse qui lui colle au corps, qui n’a jamais quitté Peau d’âne. Elle prend sur elle, expire lentement, et ferme le petit poing d’Abigaëlle pour appuyer son mini index sur la première touche, puis les autres, dans le même enchaînement. À la dernière note, Lili lâche sa main et lui indique de le faire seule, cette fois. Elle en profite pour s’adresser, à nouveau, à Anastasia.
« Je donnais des cours, autrefois. Si ça vous intéresse, et elle aussi, naturellement, je peux lui apprendre les bases. (Lili sourit à Abigaëlle, qui appuie sur la première touche.) Bénévolement, j’entends. »
Ce qui n’est, évidemment, pas une question et très peu négociable.
HRP : Merci de m'avoir mis dans ton RP préféré Je vais faire de mon mieux pour en être à la hauteur
Codage par Libella sur Graphiorum
Anastasia Romanov
« Men are such babies »
| Avatar : Ashley Clements
| Conte : Anastasia | Dans le monde des contes, je suis : : Anastasia Romanov
Anya laissa échapper un rire spontané (du genre que son auteure a eu en lisant la phrase sur la symphonie - ndlr) et reprit avec le même naturel : - J'espère que vous avez pu les jouer, ces symphonies. Y a pas de raison pour que seul Mozart soit un enfant prodige, ne put s'empêcher d'ajouter la farouche féministe qu'elle était sans pour autant lancer de plein fouet un débat. Il y a quelques années, Anastasia l'aurait sans doute fait, particulièrement si c'était pour avoir le dernier mot face à un homme en général et Dimitri en particulier. Bien sûr, ils continuaient de se chamailler pour des broutilles, tels deux enfants un peu boudeur, et avaient, en fait, trouvé un équilibre dans leur relation via ces instants presque puérils mais complices, néanmoins, la maternité, et les épreuves concomitantes à la naissance d'Abigaëlle, avait indéniablement fait grandir Anastasia. Ses priorités avaient changé maintenant qu'elle avait ce qu'elle avait toujours souhaité : une famille. C'est donc la mère flattée par le compliment d'une quasi inconnue qui prit rapidement la place de la flamboyante féministe et qui sentit ses joues rosir de plaisir, Anya s'étant longuement interrogé sur sa qualité de mère sans jamais véritablement poser la question à personne - et surtout pas à un proche. - Merci à vous, enchaina la jeune femme avec une certaine reconnaissance. Je dirais que la plupart des parents se projettent sans doute trop dans leurs enfants et veulent les voir réussir là où ils ont échoué, les voir tenter ce qu'ils n'ont pas osé, assouvir une espèce de désir inconscient. Abigaëlle a de la chance car j'ai très peu de souvenirs de mon enfance. Tout ce que je veux c'est que la sienne ne soit pas aussi dramatique que la mienne et... disons que pour le moment ça se passe pas mal, conclut Anya, étrangement humble, une fois n'est pas coutume. La rouquine se tenait toujours en retrait, observant Liliann et sa fille, non sans curiosité. Comme tous les parents (sans doute) elle avait envie qu'Abigaëlle soit la meilleure puisqu'à ses yeux Abigaëlle est la huitième merveille du monde. Anastasia était indéniablement très fière de son enfant et cette fierté surpassait l'égo naturel de la jeune femme - ce qui n'était pas peu dire. D'un autre côté, cette leçon improvisée sur le piano en libre utilisation du centre commercial avait quelque chose de presque surréaliste. Etait-il seulement bien accordé ? Anya laissa filer cette question que le stress lui faisait poser plus que le doute lui-même. Naturellement les yeux bleu acier d'Anastasia ne quittaient pas Abigaëlle d'une semelle, suivant sa petite main avec appréhension et excitation. Une finale de télé-crochet lui aurait, en cet instant, paru complétement dérisoire. Pourtant, il ne s'agissait que de trois notes. Anastasia ne s'aperçoit pas immédiatement qu'elle sourit en observant la petite main diaphane de son bébé (plus si bébé que ça) appuyer dans l'ordre indiqué sur les touches et il lui faut encore un petit instant supplémentaire pour recentrer son attention sur Liliann. La rouquine papillonna des yeux, surprise par autant de générosité. - Vous êtes sûre ? Vous... Oh ça ne me regarde pas, bien sûr, mais vous ne vivez plus de cette activité ? En tout cas, merci pour votre proposition. C'est très généreux. J'imagine qu'on ne va pas tarder à savoir si Abigaëlle veut essayer de poursuivre cette discipline, ajouta la jeune femme, déconcertée, encore aujourd'hui, de constater que camarade Tuberkulov n'avait pas nécessairement raison et que, dans la vie, certaines choses sont parfois simplement gratuites. Ou bénévoles, si on veut être précis. Abigaëlle, évidemment, n'était pas encore en mesure de comprendre ces choses-là. Elle continuait l"exercice tranquillement mais constata bientôt qu'on ne s'intéressait plus suffisamment et attira donc l'attention de son professeur comme elle savait si bien le faire : - Regarde Liann comme je fais bien ! Tu crois que je peux devenir une pianoeuse ? A cette question qui avait de quoi faire sourire, Anya s'approcha du piano et s'accroupit pour s'adresser à sa fille en se mettant à hauteur de ses yeux : - Eh bien justement Liliann proposait de t'apprendre et Liliann a été professeure de piano alors s'il y a quelqu'un ici qui peut t'aider à réaliser tes rêves, c'est sans doute. - C'est vrai ? s'enquit la fillette en tournant ses grands yeux bleu acier, eux aussi, vers Liliann.
Le rire d’Anastasia glisse sur Liliann sans qu’elle n’en saisisse le sens exact. Elle ne voulait pas créer, dans l’esprit de son interlocutrice, des questions féministes sur lu sujet d’un génie qui la dépasse. Lili n’a, de toute façon, jamais eu envie d’atteindre le niveau de Mozart. Elle ne cherchait pas la reconnaissance mondiale, les foules à ses pieds, les fans. Elle ne voulait que l’approbation de sa mère, pianiste avant elle. Les symphonies sortaient de ses doigts comme un chant naturel, avec une vivacité qui n’était qu’à elle. À quatre ans, Liliann souhaitait l’imiter, pour lui prouver qu’elle pouvait être fière. Néanmoins, l’enfant s’est contentée d’avoir du talent, sans jamais chercher à être un génie. Sa mère la félicitait pour quelques notes tirées de l’instrument, c’était suffisant.
Lili ne répond pas, fait glisser ses yeux noirs sur le centre commercial. Le brouhaha ambiant n’est pas l’idéal pour cet instrument. Il n’est pas à sa place, comme posé au mauvais endroit, pour sonner au mauvais moment, sans jamais réussir à atteindre ceux qui se pressent dans les allées, les magasins. Un peu comme Liliann qui, quelques minutes auparavant, se tenait droite, en plein milieu du chemin, forçant les passants à dévier leur trajectoire pour ne pas lui rentrer dedans. Jusqu’à l’impact. Instinctivement, elle glisse ses yeux noirs sur le piano et veut croire qu’il est assez imposant pour que personne ne le percute, lui. Il n’a, après tout, rien demandé et ne mérite pas un tel traitement.
Les remerciements de la jeune mère ramènent Liliann à son cours improvisé au milieu du centre commercial. Elle darde ses yeux noirs dans ceux, bleus, d’Anastasia et échappe un petit sourire, en découvrant ses joues rosies par les compliments de Peau d’âne. Ils sont offerts sans la moindre arrière-pensée, sincères. Lili a connu trop de parents qui ne voulaient pas se rendre à l’évidence, qui forçaient leurs enfants à faire ce qu’ils ne voulaient pas. Elle a, elle-même, été une enfant et une femme forcée, incapable de dire non à ce qu’on lui demandait. Elle sait ce que c’est. Elle sait quel poison ça instille des les veines, de quelle façon ça brûle le cœur et l’esprit. Elle ne souhaite ça à personne.
« Elle a l’air très heureuse, répond-elle, avec le même naturel que les précédents compliments. »
Son avis n’a, peut-être, aucun poids dans la balance, puisqu’il ne se base que sur cet instant précis, partagé sur son bout de banc. Néanmoins, Lili pense ce qu’elle dit, dit ce qu’elle pense. Abigaëlle n’a pas, dans le regard, la douleur d’une enfant forcée à faire ce qu’elle ne veut pas. Elle a la curiosité de la jeunesse, l’envie de découvrir (ce qui n’est pas, nécessairement, lié à l’envie d’apprendre). Elle sent, Liliann, que la petite rousse pourrait, dès à présent, se détourner du piano, que sa mère ne lui en voudrait pas. Elle apprécie ça.
« Je suis sûre qu’elle grandira bien. »
Parce que Peau d’âne ne veut pas imaginer le contraire. Cependant, elle ne peut s’empêcher une pointe d’envie, de jalousie fébrile qui explosera, sans doute, à l’instant où elle la ressent, à l’entente du peu de souvenirs qu’Anastasia garde d’une enfance dramatique. Lili, elle, ne sait plus que faire pour oublier, pour effacer cette vie qu’elle n’a pas vraiment eue, mais qui darde ses doigts glacés dans le bas de son dos. C’est accroché à sa peau, ça glisse dans sa gorge. Elle ne peut pas s’en défaire.
La petite Abigaëlle est plus appliquée qu’on ne pourrait l’attendre, même si Lili n’en doutait pas. Son index appuie sur les bonnes touches, enchaînant les mêmes notes que la pianiste, avant elle. Le rythme est plus lent, à peine, mais le travail est là et la professeure du jour sourit à l’enfant, pour l’encourager à recommencer. Si elle y arrive une deuxième fois, elle lui montrera la suite. En attendant, Liliann ne quitte pas la main des yeux, quand elle répond à Anastasia.
« Je n’en vis plus, non. Ça me ferait plaisir de lui apprendre jusqu’à ce qu’elle se lasse. Qui sait… ça n’arrivera peut-être pas. »
Liliann préfère savoir que l’enfant est à côté d’elle, sur ce banc, que confiée aux mains d’un autre professeur, inconnu. Comme une vilaine appréhension qui la bouffe au cœur et dont il ne vaut mieux pas faire part, à qui que ce soit. La Princesse n’a, de toute façon, pas besoin d’argent, même si elle refuse d’utiliser son héritage pour sa propre vie, elle a, de côté, assez d’économies pour tenir, le temps de trouver un véritable travail.
Visiblement ‘‘délaissée’’ (avec de gros guillemets) par sa mère et sa professeure, Abigaëlle essaie d’attirer l’attention de Peau d’âne, avec une question et un surnom aussi mignons que peuvent l’être les enfants de cet âge. Inévitablement, la pianiste est touchée en plein cœur et lui offre un sourire un peu plus marqué que tous les précédents. Sa mère se charge de lui répondre, après s’être approchée, mais Liliann ne quitte pas des yeux ses cheveux roux, jusqu’à ce que deux billes bleu acier reviennent dans son champ de vision.
« Oui, assure-t-elle, tu peux devenir une pianiste, si tu en as envie. Je serai là pour t’apprendre et avec le temps, tu n’auras même plus besoin de moi. »
Ce qui n’est qu’une vérité, offerte sans tristesse, comme une promesse. L’enjeu, ici, n’est de toute façon pas de lui faire comprendre qu’elle pourra devenir assez douée pour dépasser le maître, mais bien d’essayer de donner une notion temporelle à l’engagement que demande l’apprentissage du piano. À cet âge, Liliann doute qu’elle saisisse encore bien l’information, mais ça ne la dérange pas. Même si, demain, on lui dit qu’Abigaëlle n’en a déjà plus envie, elle acceptera le constat et se retirera.
« Mais pour ça, il va falloir qu’on décide d’un rendez-vous, à respecter, toutes les semaines, explique-t-elle, lentement. Si tu es toujours d’accord, alors vas-y, montre-moi encore comme tu fais bien. »
Lili touche, à peine, l’épaule d’Abigaëlle pour l’encourager à lui montrer, une nouvelle fois, l’enchaînement précédent. Elle glisse, ensuite, ses yeux noirs sur Anastasia, toujours accroupie à côté du banc et une nouvelle idée germe dans son esprit. Mais les spoilers, c’est le mal suprême.
Codage par Libella sur Graphiorum
Anastasia Romanov
« Men are such babies »
| Avatar : Ashley Clements
| Conte : Anastasia | Dans le monde des contes, je suis : : Anastasia Romanov
Abigaëlle avait été kidnappée peu après ses un an mais elle était trop jeune pour s'en souvenir et le plan ingénieux de Victoire pour veiller sur elle avait sans doute contribuer à amoindrir le traumatisme potentiel. Depuis, il ne lui était plus rien arrivé - en tout cas, rien de dommageable pour son bonheur à long terme et sa mère s'en félicitait. Oui, elle pensait que sa fille était heureuse, parfois à la limite de la princesse pourrie gâtée, tant certains parents et amis la choyaient, et rassurée, d'une certaine façon, qu'une presque inconnue lui en fasse la remarque, comme si elle validait l'impression d'Anastasia. Que son bébé grandisse bien et qu'Anya puisse voir cela arriver, même si c'était toujours un déchirement de s'apercevoir que l'enfance et l'innocence de son enfant s'échappait chaque année qui passait, étaient les seules volontés d'Anastasia envers sa fille. Liliann n'avait certes pas l'air d'une voyante mais sa prédiction était bienvenue. Appréciée. Jamais la rouquine n'aurait eu l'humilité de demander directement à autrui si elle avait l'air d'une bonne mère, ce qui ne voulait pas dire qu'elle ne cherchait pas l'approbation des autres, à défaut d'avoir celle de sa propre mère, décédée depuis longtemps. Anastasia tâchait d'y penser avec parcimonie. C'était un poids conséquent que de se savoir, avec Abigaëlle, les dernières représentantes d'une dynastie vieille de plusieurs siècles. Et ça l'était d'autant plus, peut-être, parce qu'Anya avait oublié la moitié de cette histoire, comme si sa partition avait été déchirée par une main inconnue, ne l'autorisant qu'à jouer la moitié de la mélodie. Un peu comme Abigaëlle, qui s'appliquait vraiment sur les quelques notes que Liliann lui avait montré. Alors comment refuser sa proposition ? - Ca me ferait plaisir aussi. Je veux dire, je pense que ça ferait plaisir à Abigaëlle. Alors c'est d'accord, marché conclu, annonça Anya en tendant sa poigne de fer, celle qui broyait les doigts même à Dimitri (et Anastasia s'en réjouissait). Contentée, Abigaëlle l'était effectivement en attendant la double confirmation de "Liann" quant à son brillant avenir de pianiste et un sourire immense barra son petit visage avant que ses petits bras ne viennent enlacer l'ancienne professeure sans demander ni permission ni autorisation. La petite fille était pour le moins spontanée et à l'aise avec les adultes hors du cercle familial - du moins avec Liliann, Anita et Victoire, ce qui n'était pas mal. Passé cet instant de félicité, la fillette se rassied bien droite, le menton relevé (manie qu'elle a vraisemblablement repris de sa mère), bien contente de pouvoir une fois de plus montrer comment elle fait bien. Parce qu'Abigaëlle était persuadée de faire bien - de faire très bien, même. Elle était contente que maman soit aussi près pour voir comment elle faisait bien, pour entendre aussi très bien la fierté de Liann. Car Abigaëlle ne doutait pas non plus de cette fierté même si elle ne connaissait pas le mot pour exprimer son idée. De son côté, Anastasia continue de gérer l'aspect adulte de la chose - la mise en place des leçons de piano. - En dehors des heures pendant lesquelles Abigaëlle va à la maternelle, on peut être assez flexible sur l'horaire, surtout si vous avez des contraintes. Je peux m'arranger avec le travail. Nous n'avons pas de piano dans notre appartement, en revanche, observa la jeune femme, sentant que ce n'était pas un détail à négliger. Je vous laisse me dire ce qui vous arrange le plus entre le mercredi après-midi et le weekend. Je ne sais pas si à son âge c'est recommandé de prendre des leçons de piano après un jour de classe ? Si déjà Liliann compter donner ses cours bénévolement, Anastasia souhaitait l'arranger au maximum.
Si Liliann savait que la petite Abigaëlle à côté d’elle, brillante comme une perle d’innocence et de mignonnerie pures, a été kidnappée, dès son plus jeune âge… Son cœur ne l’aurait, sans doute, pas supporté. La brune porte, en elle, les souvenirs d’un homme détruit par le kidnapping de son fils, d’un homme qui s’est jeté entre sa fille et son potentiel ravisseur, prêt à défendre, bec et ongle, un bébé inconnu. Heureusement, elle n’est pas au courant et voit, dans les yeux brillants de la petite, le bonheur qui la fait luire, une lueur dans la nuit de laquelle Peau d’âne a du mal à détourner les yeux. Elle s’y accroche comme un bateau à un phare, en pleine tempête, sans arriver, pourtant, à l’atteindre tout à fait. C’est un espoir, une lumière au bout du tunnel, mais personne ne dit la longueur de ce fameux tunnel. Et celui de Peau d’âne est immense.
La petite rousse semble, aussi, très contente de prouver à sa professeure improvisée qu’elle peut y arriver. Lili pose sur elle ses yeux noirs, un sourire attendri au bord des lèvres. Elle suit le mouvement du doigt, sur les touches du piano, écoute la mélodie simple, entêtante, qui s’en échappe. Elle imagine les cordes qui bougent à défaut de les voir. Elle s’imagine, elle aussi, devant le grand piano qui trône au milieu du salon de sa maison, essayer de réviser chacune de ses leçons. Un travail qu’elle ne voulait plus faire, à la mort de sa mère, mais qu’elle a continué à faire quand même. Il disait que ça lui faisait du bien, que ça lui rappelait sa femme. Alors, Anahis s’est appliquée, elle a fait ce qu’on lui demandait. Jusqu’à se tromper et…
Lili revient au présent. À ses côtés, une petite fille, pas un homme saoul, une mère pleine de fierté, pas une fantôme du passé. La professeure inspire et tend la main pour serrer celle d’Anastasia et sceller le deal. La poigne est forte, puissante, alors que les doigts de Liliann ne sont qu’une caresse, une plume passée sur la paume de la mère. Elle ne s’inquiète pas de sa poigne de fer, ne fait pas signe d’avoir mal et se contente de sourire un peu. Lili ne pensait pas reprendre les cours si tôt. En vérité, elle ne pensait pas les reprendre tout court. Mais comment résister à une enfant de quatre ans ? Elle, elle n’y arrivera jamais.
Alors que Peau d’âne n’ose pas toucher l’enfant, de peur de la contaminer de la saleté qui recouvre tout son corps, Abigaëlle ne fait pas tant de manières. Elle gratifie la brune d’un sourire immense et se fraie, presque naturellement, un chemin tout contre elle. Lili ne sait plus que faire. Ses mains ont envie de se poser sur les épaules fragiles, de lui rendre son affection ou, au contraire, de la rejeter gentiment, pour qu’elle ne soit, jamais, tachée par l’obscurité qui lui colle à la peau alors qu’Abigaëlle, elle, est faite de lumière. Alors, elle reste immobile, coincée dans l’indécision, et se contente, quand l’enfant se décale enfin, d’un sourire gentil et d’un effleurement, sur sa joue, pour remettre quelques mèches rousses derrière son oreille.
Il y a quelque chose de princier, dans son menton levé et son dos droit, qui pince un peu le cœur de Peau d’âne. Elle préfère mettre cette impression de côté, comme un reflet imaginaire de ce que Liliann a été, dans un autre temps que celui-ci, pour se concentrer sur les mots de la mère. Pour le moment, la brune ne travaille pas. Elle passe ses journées à errer dans un coin ou un autre, à essayer de s’habituer à une maison qui la rejette sans cesse, à trouver sa place dans cette ville qui ne veut peut-être pas d’elle, au final. Alors, Peau d’âne a du temps à offrir à Abigaëlle et Anastasia. Beaucoup de temps. Il n’y a qu’un détail qui la fait frissonner, auquel elle n’a pas pensé… Pour des leçons, il leur faut un piano. Celui du centre commercial n’est, sans le moindre doute, pas le plus adapté pour ça.
« J’ai un piano, souffle-t-elle, en montrant une nouvelle touche pour agrandir l’enchaînement. Mais la maison est en rénovation. D’ici deux semaines, peut-être trois, nous pourrons faire les leçons directement chez moi. » (Elle relève les yeux sur Anastasia.) « C’est peut-être l’occasion rêvée de tester sa motivation. Si d’ici là, elle ne réclame pas, alors nous saurons à quoi nous attendre. » (Elle sourit, loin d’en vouloir à Abigaëlle si elle abandonne.) « Si elle réclame, nous pourrons toujours nous retrouver ici, pour les premières leçons. Ce n’est pas l’idéal, mais c’est mieux que rien. Qu’en dîtes-vous ? »
Le piano du centre commercial n’est pas d’aussi bonne qualité que celui de Peau d’âne, mais il ne traîne pas, derrière lui, des souvenirs qui la tétanisent. Deux ou trois semaines, c’est peu de temps, mais la brune fera ce qui est nécessaire pour retirer, enfin, le drap blanc au-dessus de l’instrument et oser s’asseoir sur le banc. Pour le bien d’une enfant, elle peut faire cet effort, essayer de calmer le flux de souvenirs qui l’assaille à l’instant où elle pose un doigt sur le vernis noir, sur les touches blanches. Elle sait qu’elle peut le faire. Il ne lui faut qu’un peu de temps.
« Le weekend serait peut-être le mieux. Il n’y aura personne pour faire du bruit, dans la maison, et lui couper son temps libre pour des leçons, c’est peut-être le meilleur moyen de se rendre compte assez vite de sa détermination à apprendre. » (Lili sort son téléphone portable.) « Je vais vous donner mon numéro. En vérité, je suis très flexible, alors n’hésitez pas à appeler ou envoyer un message si vous avez besoin d’annuler. Ou même pour improviser une leçon au milieu du centre commercial, ajoute-elle, avec un petit sourire complice. »
Liliann n’a pas encore trouvé de travail, elle n’a pas cherché, non plus, alors elle n’a, en vérité, pas grand-chose d’autre à faire de ses journées. Abigaëlle est, aussi, la première de ses élèves. Elle aurait dû être l’unique élève, mais Lili a la fâcheuse tendance de toujours dire oui et de se laisser toucher en plein cœur, vulnérable. La bouille d’ange de l’enfant est l’un de ses points faibles.
« Vous voulez essayer ? demande-t-elle, tout bas, en désignant le piano du menton. Juste quelques touches, pour jouer avec elle. »
L’air innocente, la brune se penche vers Abigaëlle et lui désigne deux touches de plus, pour la maintenir concentrée sur le piano, tandis que sa professeure se lève du banc et invite Anastasia à prendre sa place.