C’était vraiment… Une journée de merde. Le genre de journée dont on se passerait bien durant toute une vie et qui n’apportait que des ennuis pour les jours à venir. Le genre de journée où on se demandait pourquoi est-ce qu’on s’était levé le matin et comment on faisait pour continuer à voir les heures défiler. Le genre de journée qui rythmait le quotidien d’Elsa depuis quelques temps déjà et qui commençait à très sérieusement lui courir sur le haricot.

Depuis que son ex-petit ami, Théo, avait disparu des radars à nouveau pour se perdre dieu seul savait où dans le monde, son travail à Airgoon avait augmenté en parallèle des demandes appuyées de la NASA pour la voir bien plus régulièrement sur Houston. Tiraillée entre ses deux vies et ses deux passions, la jeune femme dormait moins de six heures par nuit et passait le reste du temps à courir entre toutes ses obligations et autres maigres temps mort qui semblaient bien trop courts. Elle n’avait pas vu Max depuis très longtemps à la salle de sport, complètement oublié de passer voir Adèle et sa fille comme elle lui avait promis, absolument pas aperçu Chris depuis des lustres et sa propre famille semblait mettre un point d’honneur à lui courir sur le haricot. Son frère aîné paniquait de plus en plus avec l’arrivée imminente du bébé et tout le reste de la fratrie semblait prise d’une frénésie ahurissante de tapage sur le système.

Le pompon, c’était quand même son petit frère, Fjor, qui avait débarqué un beau jour pour dire qu’il arrêtait ses études dans l’informatique ! Enfin, plutôt, la police l’avait raccompagné chez Matthias en l’assignant à résidence et sous couvert de sa surveillance en liberté conditionnelle. Il avait refusé de leur dire ce qu’il avait fait, le juge s’en était occupé à sa place, mais Elsa le suspectait d’être passablement innocent dans toute cette histoire… Le policier, Adam, l’avait informé que quelque chose de bizarre s’était passé le soir de son arrestation mais qu’il n’était pas en mesure de le prouver. En attendant, on avait parlé de Fjor dans tous les journaux de la ville pendant quelques jours et l’affaire s’était tassée. Laissée pour compte. Sauf pour lui qui passait ses journées confiné à l’intérieur ; et avec son caractère associé au tempérament de Matthias, les murs n’étaient jamais assez forts pour les supporter tous les deux.

En clair, à la maison c’était la merde, au boulot c’était la merde et dehors… C’était un temps pluvieux et grisâtre qui ne donnait absolument pas envie de rester dessous. Pas vraiment de la neige, pas vraiment de la pluie, une espèce d’entre-deux qui rentrait dans les vêtements et vous trempait jusqu’à l’os avant que vous n’ayez rejoins un abri ! Rien qu’à le regarder, Elsa regrettait la norvège et ses paysages spectaculaires où un ciel pareil promettaient la fureur de l’orage, pas juste une hésitation sur quoi faire tomber sur les populations… Agacée, trempée et menaçant de faire un carnage, elle poussa avec violence la porte du salon de thé de Queenie et se laissa lourdement tomber sur l’une des banquettes loin des fenêtres. Il lui fallait une pause genre, TOUT DE SUITE ou elle allait assassiner quelqu’un pour un simple regard de travers.

Son amie, l’apercevant et comprenant sans doute son état d’esprit, ne tarda pas à poser devant elle une grande tasse de chocolat chaud et une part de fraisier faite maison. Elsa n’eut même pas l’idée de refuser – connaissant l’amour de son amie pour les fraisiers et sa susceptibilité dissimulée – et elle ne tarda pas à mordre allègrement dans la part de gâteau. Quelques paroles. Quelques échanges et Queenie fut rapidement au courant de la dernière mise à jour la concernant. Rien de très passionnant. Rien de revigorant. Mais lorsqu’elle se releva pour travailler, la blonde sulfureuse fit glisser un flyer devant la dragonnière et tapota légèrement dessus comme pour qu’elle y prête une attention particulière.

Elsa haussa un sourcil en l’observant s’éloigner, avant de porter son regard sur le fascicule : La Purge. Qu’est-ce que c’était que ça encore ? Une salle défouloir ? pour passer vos nerfs sur une pauvre machine à laver au lieu de cogner votre belle-mère. Ah ah. Elsa n’avait pas de belle-mère et, fort heureusement, elle n’était pas prête d’en avoir une. L’homme de sa vie préférait les hommes et son ex-petit ami avait pris la poudre d’escampette après avoir été… Plutôt une pourriture. Au grand cœur, mais une pourriture quand même. Bref c’était compliqué. Elsa coula un regard lourd de sens vers Queenie qui fit mine de rien ; pensait-elle réellement que c’était le genre d’endroit où elle irait ? Se défouler ? Avait-elle l’air de quelqu’un qui a besoin de passer ses nerfs sur quelque chose ?!

Quand elle reposa un peu trop fort sa tasse, Elsa réalisa que la réponse était oui. Et ça l’agaça encore plus.

Mais elle avait tant de choses à faire de sa journée qu’au lieu de s’y intéresser davantage, elle fourra par réflexe le flyer dans sa poche et reparti dans la course qu’était sa vie actuelle. Peut-être qu’à un moment, la cipape de la cocotte finirait par exploser… Mais ce n’était visiblement pas encore l’heure ni le moment. Pas à Airgoon. Pas derrière son ordinateur. Pas une fois au téléphone sur le chemin pluvieux du retour. Pas lorsqu’elle franchit la porte de la friperie que tenaient Matthias et sa femme. Mais plutôt lorsqu’elle aperçut Fjor dans sa propre chambre, celle où elle dormait dès qu’elle le pouvait… En bonne compagnie et certainement pas en train de jouer au scrabble.

Elle marqua un temps d’arrêt à la porte. Sentit la bouffée de colère grimper en elle à toute allure. Son sang ne fit qu’un tour, ses yeux aussi : elle fit violemment claquer la porte contre le mur, ce qui fit sursauter les deux tourtereaux, et les fusilla du regard. Aveuglée par une espèce de rage brouillant sa vision, Elsa pointa un doigt accusateur dans la direction de Fjor qui venait de bondir hors du lit en bafouillant des espèces d’excuses.

« Toi. Tu dégages. D’ici. Immédiatement. »

Elle n’avait pas hurlé, elle avait à peine haussé le ton. Mais c’était trop tard. Furibonde, la blonde tourna les talons en refusant d’écouter les explications de son petit frère et dévala les marches sous les appels de ce dernier. Elle croisa sa belle-sœur qui sortait de la petite cuisine avec une tasse de thé mais l’ignora elle aussi. Marcher. Vite. Sortir. Vite. Respirer. Vite. Foutue pluie ! Foutue manteau pas assez épais ! Foutu… TOUT !

D’un pas décidé, Elsa s’éloigna de la friperie et se mit à parcourir les rues du centre-ville sans savoir exactement où se rendre. Elle avait envie d’un immense verre d’alcool là, tout de suite, pour faire passer ce putain de goût amer qui lui barrait la bouche. Elle tenta de prendre son téléphone portable et de contacter son ami, celui qui était toujours là quand il le fallait… Mais Chris ne répondit pas. Sûrement en service. Alors elle le maudit à voix haute, se détesta pour ça et fourra hargneusement le portable dans sa poche. Il n’y entra pas entièrement, ça l’agaça plus encore que précédemment. Elle insista. Insista. Le sortit violemment et fit alors tomber le petit fascicule que Queenie lui avait remis un peu plus tôt dans la journée. Punch & Purge.

Punch and Purge.

C’était pas une bonne idée. Ça ne devait pas être une solution. Ça ne le serait jamais. Elle ferait mieux d’aller à Cooper Training et de demander à Max de la laisser courir jusqu’à tomber d’hypoglycémie… Mais ses pas décidèrent, son inconscient dirigea et voilà qu’elle poussait la porte de cette nouvelle salle de sport jusque-là inconnue au bataillon de ses lieux de prédilection. Son regard balaya sobrement l’endroit avant de se diriger jusqu’à une espèce de comptoir où elle déposa le flyer.

« L’offre découverte est toujours valable ? » Demanda-t-elle à l’homme qui se tenait là.

Elsa avait réellement besoin de frapper quelque chose d’urgence. Sinon, elle allait passer quelqu’un au travers d’une fenêtre… Ou pire.