« Pour réaliser une chose extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager. » (Walt Disney)
... nous risquerions d'être bien ennuyés s'ils se réalisaient.
Le 8 Février 2019.
Comme chaque matin, mon réveil sonna à cinq heures trente précises. Comme chaque matin, je me levai, jetai un coup d'oeil plein d'espoir mêlé de désillusion aux multiples feuilles plus ou moins organisées qui traînaient sur mon bureau, couvertes de mon écriture. Des idées, des esquisses de romans, des histoires toutes inachevées. Puis, comme chaque matin, je me rendis jusqu'à la salle de bains pour me préparer. Après un rasage en bonne et due forme, je m'habillai (pantalon en velours pour supporter la rigueur de l'hiver, chemise et veston que j'agrémentais d'un pull au besoin).
Ainsi se résumait mon existence. Une ritournelle sans fin et à peu de choses près, monotone en tous points. Par moments, je regrettais presque les aventures périlleuses dans lesquelles je n'avais plus été embarqué depuis des lustres (si on omettait l'épisode de Magrathéa, qui à mon sens, relevait davantage de la plaisanterie burlesque que d'une odyssée).
Pourtant, cette journée-là ne serait pas ordinaire. C'était le second anniversaire que je fêterai au XXIème siècle. Je me doutais que pour l'occasion, un évènement avait été organisé. Je pouvais compter sur mes amis pour ne pas m'oublier. Avec le Temps, certains étaient devenus comme une seconde famille. Ils ne pourraient jamais remplacer celle que j'avais perdue, mais c'était adorable de leur part de faire l'effort d'essayer.
En me rendant au rez-de-chaussée, j'éclairai le salon et hésitai à débuter la matinée par quelques gammes au piano. Ellie et Anatole ne dormaient pas -si tant est qu'ils soient à l'étage- mais je ne souhaitais pas les importuner avec ma musique à une heure indue. La tranquillité des autres devait être respectée. De toutes les façons, une journée ne pouvait bien commencer qu'avec un grand petit déjeuner. Aussi je me dirigeai vers la cuisine, impatient de découvrir ce que Bernadette m'avait préparé.
Une odeur de brûlé agressa mes narines dès l'instant où j'ouvris la porte. Je découvris les toasts en train de noircir dans une poêle alors qu'une fumée noire s'en élevait. Je m'y précipitai et éteignis la cuisinière, avant d'aller ouvrir toutes les fenêtres.
"Bernadette !" m'écriai-je, mécontent.
En moins d'une minute, un froid polaire s'engouffra par les fenêtres largement ouvertes. Je quittai la pièce, refermai la porte et sursautai en me retrouvant nez à nez avec ma domestique. Ses yeux globuleux brillaient dans la pénombre avec une avidité inquiétante. Miséricorde... quelle mouche l'avait-elle encore piquée ?
Je n'eus pas le temps d'articuler un mot qu'elle brandit une enveloppe en manquant de m'éborgner au passage. Elle la tenait si énergiquement entre ses deux mains que le papier menaçait de se déchirer.
"Ca suffit, voyons ! Un peu de calme !" fis-je tout en lui prenant la lettre. "Pourquoi tant d'exubérance ?"
Si elle se montrait aussi enthousiaste à chaque carte d'anniversaire que j'allais recevoir, elle finirait en tachycardie avant la fin de la journée !
Je me plaçai près d'une fenêtre du couloir afin de m'aider d'une lumière d'un réverbère pour lire. L'enveloppe ne portait aucun timbre, signe que la personne l'avait déposée directement dans la boîte aux lettres, à moins qu'elle l'ait remise directement à Bernadette, ce qui expliquerait sa liesse (par moments, elle réagissait exactement comme un chien). L'écriture était féminine, élégante et distinguée. Sans attendre plus longtemps, je la décachetai et parcourus la missive.
"Cher Jules, En ce jour très spécial, rejoignez-moi au plus vite sur la plage, à l'endroit où vous affectionnez de vous promener à cheval. J'ai quelque chose de très important à vous dire."
Je clignai des yeux et dévisageai Bernadette.
"La lettre n'est pas signée." déclarai-je, décontenancé.
Ma domestique poussa un petit halètement plein d'ardeur, alors que je sentais qu'en fin de compte, c'était plutôt moi qui étais victime de tachycardie.
"Pourrait-il s'agir de Lady B. ? Nous n'avons jamais convenus de nous rencontrer physiquement, mais cette écriture pourrait être la sienne. Il faudrait que je la compare avec ses lettres..."
"Tu as raison. Ne perdons pas de temps à enquêter ! Il est temps de... foncer !" dis-je tout en déglutissant.
Tout à mes rêveries et suppositions, j'allais jusqu'à envisager que ce soit Vaimalama Chaves qui m'attende au bord de l'eau. Après tout, elle n'avait toujours pas répondu à ma lettre. Non, c'était absurde. Avais-je signé Jules ou Gabriel ? Je ne me souvenais plus.
J'en étais là de mes pensées alors que durant le chemin de ma demeure jusqu'à la plage, je théorisais à en devenir fou. Dans tous les cas, une femme m'attendait au bout du chemin. Et c'était sans nul doute le meilleur cadeau depuis des siècles.
En raison d'un vent d'Est plutôt sournois, je portais une grosse écharpe et avais relevé le col de mon long manteau. Je marchais sur la plate-forme en bois qui avait été construite sur toute la largeur de la plage. Une silhouette se précisait de plus en plus dans le clair-obscur de la nuit mourante et du jour naissant. Etrangement, elle paraissait porter une robe qui affinait sa taille et dont la jupe laissait deviner l'ampleur d'une crinoline. Je m'étais égaré en plein songe. Une chevelure flottait au vent, tumultueuse, quand soudain, elle s'écarta du visage tant rêvé pour révéler une réalité... désarmante.
"Cassandre ?" prononçai-je d'un ton étranglé.
Stupéfait, je dévisageai la jeune femme à l'expression insolente. Que faisait-elle à cet endroit à une heure pareille ? La coïncidence était trop louche, mais je ne pouvais croire que la lettre ait été rédigé par ses soins. Elle n'aurait pu faire autant preuve de cruauté, pas après qu'elle m'ait ridiculisé sur la plage d'Olympe, l'été dernier, et que je lui avais fait comprendre que cela m'avait blessé. Non, elle avait appris de ses erreurs. Elle pouvait se montrer méchante, mais jamais totalement consciemment. Vraiment ? Désormais, je doutais. Ce ne serait pas la première femme à me décevoir.
"Vous... vous faites une marche matinale ?" hasardai-je, suspicieux.
A mesure que le jour se levait, déversant une lumière grise et timide sur le monde, je détaillai davantage la tenue de la jeune femme, et réalisai qu'elle portait bel et bien une robe de mon époque. D'ailleurs, elle la portait très bien. Cependant, ce n'était pas le sujet.
"Qu'est-ce que vous fabriquez affublée ainsi ? C'est encore une plaisanterie de mauvais goût ? Ou alors, vous avez décidé de faire un effort vestimentaire aujourd'hui ? En tous cas, vous n'avez jamais été aussi élégante. Vous ressemblez enfin à une vraie femme."
... et pas à une fille de joie. achevai-je mentalement mais étant donné l'intensité de son regard, je craignis qu'elle n'ait entendu. Pouvait-elle lire dans les pensées ? Je n'en avais jamais eu la certitude. Peut-être que mon expression faciale avait été plus éloquente que des mots ?
En tous cas, je ne me sentais pas fautif. C'était un fait avéré : Cassandre Sandman privilégiait les vêtements peu couvrants ou trop près du corps. Ce qui était très déstabilisant. On ne savait jamais où regarder, ou plutôt où ne PAS regarder. C'était très agaçant. Une façon pour elle de provoquer tout en prenant la mouche si par malheur les yeux s'égaraient trop longtemps à quelque endroit.
"Bien, je suis ravie de vous avoir rencontrée. Passez une bonne journée." dis-je d'un ton expéditif avec un hochement de tête.
Après quoi, je me détournai d'elle pour observer la plage dans son entièreté, mais nulle trace d'une autre demoiselle. Nous étions seuls. Je ne comprenais pas. L'auteure de la lettre m'avait-elle... posé un lapin, comme disent les jeunes ? Je sentais le regard de Cassandre peser sur moi, ce qui ne m'aidait pas à me concentrer. Sentant venir sa question, je décidai de la prendre de cours en lançant, agacé :
"Je ne cherche personne en particulier ! Seulement une explication."
Explication qui m'avait posé un lapin. Cet anniversaire débutait vraiment très mal. J'avais l'impression que le vent qui cinglait mon corps riait à mes oreilles.
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Parfois on ne connait pas la vraie valeur d'un moment, jusqu'à ce qu'il ne devienne plus qu'un souvenir.
« Une explication à quoi ? » demandais-je sceptique au Jules qui se trouvait là, à quelque pas de moi et qui avait répondu à mon invitation.
Déjà, je n'avais pas bien pris sa façon de me complimenter. Pourquoi il ne pouvait pas faire comme tout le monde, et dire un compliment sans que ça passe également pour une insulte ? Moi qui avait juste voulu être gentille en lui donnant rendez vous pour ce jour très spécial pour lui, et je n'ai même pas le droit à un bonjour normal. Fallait toujours qu'il gâche tout ! C'était typique d'un français ! Bien que selon François, c'était les autres qui gâchaient tout et non les français. Enfin, en matière de vins, car apparemment on ne choisissait jamais le bon pour accompagner nos viandes et poissons...
« Sympa n'empêche. La prochaine fois que je voudrais vous faire une surprise, je m'abstiendrais ! » dis-je sèchement en faisant apparaître un paquet de Curly dans lequel je venais de piocher.
C'était pas croyable de se montrer aussi désagréable de bon matin ! Si il ne supportait pas le réveil, il n'avait qu'à se lever plus tard. La prochaine fois, je lui donnerais rendez vous à une autre heure, il sera sans doute de meilleure humeur. Bien qu'il fallait encore trouver l'heure. Car à midi c'était le moment du repas. A quatorze heures, celui de la sieste. A seize heures, le petit café. Et à vingt heures le monsieur était au lit. Il avait un emploi du temps de vieux !
« Ah et bon anniversaire tant qu'on y est ! » m'exclamais-je en piochant une nouvelle fois dans le paquet.
N'empêche, il n'allait pas s'en tirer ainsi. Car oui, j'aurais pu partir et le laisser ici tout seul, bête comme il était ! Mais j'avais envie de comprendre pourquoi il pensait que ça serait quelqu'un d'autre que moi qui lui aurait donné rendez vous ici même...
« Au passage... si vous êtes venu, c'est que vous pensiez que quelqu'un d'autre que moi vous avait donné rendez vous sur cette plage. Quelqu'un qui savait que vous faisiez du cheval ici. C'est qui ? » demandais-je intriguée.
Je tentais de réfléchir au plus vite à une réponse. Triste comme il l'était, ça ne pouvait pas être Ellie. Car vue sa tête, c'était sans doute une partie de jambe en l'air matinale à laquelle il s'attendait ! Un nom me vint en tête... enfin un visage, car je ne me souvenais plus de son nom.
« Ah c'est la pute, c'est ça ? L'autre là qui a fait la Une des journaux à cause de vos péripéties contre le mur de l'église ? »
Ca ne pouvait être qu'elle. J'ignorais qu'elle savait écrire. Comme quoi, y'a pas que les femmes respectables qui savent tenir un stylo en main.
« Peut-être un peu déçu, non ? Vous êtes en présence d'une vraie femme, pour reprendre vos propres mots. Alors que ce que vous vous attendiez à trouver, c'était juste une femelle en chaleur ? Ben dit donc... il est loin le Grand Jules Verne ! »
Ellie ne le verrait plus du tout du même oeil une fois que je lui aurais raconté nos péripéties de ce matin. C'était pitoyable. Ca ne me donnait même plus envie de lui offrir mon cadeau que je jugeais bien plus romantique que le scandale auquel il allait prendre part si on l'avait photographié sur cette plage, avec cette fille !
« Vous savez quoi ? On va zapper la surprise. Et le cadeau. Et en fait, on va tout simplement zapper votre anniversaire. Tenez ! » dis-je en lui tendant le restant de Curly. « Ca sera votre cadeau ! »
Ingrat personnage ! Il ne me restait plus qu'à trouver quelqu'un d'autre avec qui partager ce moment. Car comme j'avais demandé à Papa de me permettre de réaliser un voyage, je ne voulais pas gâcher cette puissance en moi. Alors autant trouver la personne parfaite avec qui partir à une autre époque. Je pouvais demander à Ellie. Ca pourrait lui plaire. Mais j'avais peur qu'elle me propose d'aller voir un autre écrivain de pacotille. Si je demandais à Anatole, il me dirait que c'est juste dangereux de voyager à travers les époques... j'avais pas besoin de morale aujourd'hui. J'aurais bien proposé à Apollon, mais c'était la journée de Jules. Enfin dans le sens où le voyage, c'était avec Jules que j'avais prévu de le faire pour son anniversaire. Mais j'en ferais un autre avec mon homme. Cela dit, il avait déjà vue toutes les époques. Donc ça l'intéresserait sans doute moins. Quoi qu'il en soit, cette journée était gâchée.
« Vous n'êtes qu'un abruti fini ! » m'emportais-je à l'intention de l'écrivain en faisant disparaître le paquet de Curly qu'il avait dans les mains.
Il ne le méritait pas ! Tout comme il ne méritait pas mon amitié. Et tandis que j'hésitais toujours, et que j'étais toujours en colère, je lui pris la main violemment, tandis que des filaments rouges s'échapèrent de mes doigts, et entourèrent les siens. On venait de disparaître et de débarquer en plein coeur d'un Paris d'époque.
« Voilà ! Sans mise en scène ni rien. Un banal cadeau vue que vous ne méritez rien de plus. Vous avez dix minutes et ensuite on repart. Je vous attend ici ! » achevais-je en croisant les bras sur ma poitrine tout en sentant une bonne odeur de croissants chauds.
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C'est un roc !… C'est un pic !… C'est un cap !… Que dis-je, c'est un cap ?… C'est une péninsule !
Lors d'un jour pluvieux, pour tromper l'ennui, je m'étais amusé à établir la liste des défauts de Cassandre, et je venais de m'apercevoir que j'en avais omis un tout à fait primordial : elle parlait beaucoup trop. C'était bien simple, elle ne m'avait pas laissé en placer une, préférant monter sur ses grands chevaux et jacasser sans discontinuer. Je pris mon mal en patience, constatant que mon manque d'intérêt pour son "cadeau" la mettait dans une rage folle. Les femmes et leur susceptibilité... Il était logique que je me méfie de la nature de ses présents, puisqu'elle avait cru bon de m'offrir une fille de joie, la dernière fois que nous nous étions retrouvés sur une plage ensemble.
Cette fois-ci, Cassandre portait une crinoline et grignotait des biscuits apéritifs qui sentaient fortement la cacahuète. L'odeur prononcée n'éveillait pas particulièrement mon appétit à cette heure matinale. Alors que la jeune femme continuait de déverser sa bile, je me contentais de chasser les postillons de cacahuète qui avaient atterri sur mon manteau, avec un soupir résigné. Puis brusquement, j'écarquillai les yeux. Qui venait-elle d'insulter ? La personne visée ne pouvait être que Mary. Tout de même, c'était un peu fort. Certes, notre écart de conduite avait fait le tour de la presse de Storybrooke, mais ce n'était pas une raison pour la traiter de la sorte !
J'aurais pu dire beaucoup de choses en somme, comme souligner que son acharnement sur la sombre demoiselle témoignait d'une jalousie évidente sur laquelle elle aurait été bien avisée de réfléchir. Cela n'aurait pas dû l'atteindre à ce point. Je sentais énormément de ressentiment dans sa voix.
Cependant, je n'eus le temps de rien du tout. Je sentis le sachet de Curly disparaître de ma main tandis que Cassandre m'insultait. Je fronçai les sourcils, lui adressant un regard revêche. De toutes façons, croyait-elle vraiment que j'avais envie de me rendre quelque part en sa compagnie ? Elle était d'une humeur exécrable. Probablement se trouvait-elle dans sa mauvaise période du mois...
Je tressaillis alors que des filaments écarlates électrisaient mes doigts. Voilà que de surcroit, elle m'agressait ! N'en aurait-elle jamais assez ? Je voulus libérer ma main mais sa prise était ferme. La douleur fut de courte durée, à peine plus qu'un coup de jus. Eberlué, j'entrouvris la bouche tout en observant la ville qui se découpait autour de nous. Nous nous trouvions sur la chaussée d'une rue peu passante. Une petite marchande d'allumettes était assise au pied d'un réverbère à gaz, emmitoufflée dans une cape. A quelques mètres, un bistrot, agrémenté de petites tables rondes et de chaises. Il régnait un froid mordant, encore plus pénétrant que celui de Storybrooke. Instinctivement, je remontai mon écharpe autour de mon cou puis tournai sur moi-même afin d'être certain de ne pas rêver. Après quoi, je pivotai vers Cassandre, la dévisageant d'un air perplexe.
"Vous... vous..."
Des sabots se firent entendre sur le pavé et je n'eus que le temps de m'écarter avant qu'une voiture à cheval ne passe au trot. Le cocher leva légèrement son chapeau pour me remercier de libérer le passage et poursuivit son chemin.
Etions-nous véritablement... dans le passé ? Dans une ville de ma jeunesse ? Je peinais à le croire malgré ce que mes yeux me montraient. L'air embaumait le croissant chaud et la suie des cheminées mal ramonées. La métropole était agitée du roulis et cliquetis constant, plus ou moins lointain, des sabots des chevaux et des roues, ainsi que des conversations.
Je ne savais si je devais serrer Cassandre dans mes bras ou lui crier dessus pour son inconscience. C'était si dangereux de voyager dans le Temps ! Que diable voulait-elle que je fasse avec une bouffée d'oxygène dans le passé ?
Le souffle court, je passai une main sur mon front et remarquai alors avec anxiété que je portais un béret. Au moins, j'avais la tête couverte. C'était bien trop inconvenant de sortir sans couvre-chef, à mon époque.
"Faites-vous apparaître un chapeau." ordonnai-je à la jeune femme, nerveux. "Aucune dame comme il faut ne se pavane dans les rues tête nue !"
La petite marchande d'allumettes nous observait avec curiosité. Je réalisai très vite qu'il s'agissait probablement de mes vêtements parfaitement inadaptés à une telle époque : mon long manteau pouvait à la rigueur faire illusion, mais le pantalon en aucun cas. J'avais très mal choisi mon jour pour porter un jean. Je tiquai et me mordis les lèvres. Avant de lancer un regard réprobateur à Cassandre. Elle aurait pu préciser que je devais me vêtir convenablement, même si la surprise aurait été gâchée.
M'apercevant que la petite fille vendait également des journaux, je m'approchai d'elle et lui souris gentiment.
"Puis-je ?"
Sans attendre de réponse, je me saisis de celui sur le dessus de la pile et lus le lieu et la date. Mon visage se décomposa aussitôt.
"Paris, le... 7 décembre 1897 ?!" m'écriai-je, suffoqué.
La fillette sursauta et continua de me fixer tout en restant assise sur le trottoir. Visiblement, elle était très intriguée. Puisqu'il ne s'agissait que d'une enfant, je l'ignorais et attrapai la jeune femme par le bras afin qu'elle lise la première page, elle aussi.
"Cassandre, j'avais 69 ans en 1897 !" lui fis-je remarquer, exaspéré et nerveux. "Imaginons que quelqu'un me reconnaisse... Je venais souvent à Paris. Comment expliquer mon brusque rajeunissement ? Ainsi que l'absence de barbe, hum ?"
Sans parler de mon boitement. Par une filouterie du hasard, il fallait qu'aujourd'hui je ne ressente aucun élancement particulier à la cheville. J'avais donc négligé de prendre ma canne avec moi. Je pouvais toujours faire semblant de boiter. Cependant, il demeurait un problème épineux.
"C'est une catastrophe." marmonnai-je en plaquant une main contre mon visage.
"Monsieur... vous le prenez le journal ?" demanda timidement la fillette.
Avec une désinvolture toute bourgeoise, je plongeai la main dans la poche de mon manteau et en sortis mon porte-feuille. Au moment de chercher la monnaie, j'émis un petit bruit plaintif en voyant les cents américains briller au fond du porte-monnaie.
"Non." rétorquai-je, navré, à l'adresse de la petite marchande tout en reposant le journal.
Cette dernière, qui avait entendu le tintement de nombreuses pièces, afficha une moue à fendre le coeur.
"Cassandre, faites ce qu'il faut." soufflai-je à son oreille.
Elle était capable de faire apparaître ce qu'elle souhaitait, après tout. Bientôt, un autre souci m'alerta.
"Je ne peux pas me promener avec vous dans les rues ! Si l'on me reconnaît, je serais perdu de réputation. De mon temps, une demoiselle ne marchait pas sans chaperon, et certainement pas avec un homme marié !"
Il n'y avait qu'une solution.
"Nous devons trouver une tierce personne. Quelqu'un qui détourne l'attention et nous fonde dans la masse, de sorte à disculper tout soupçon nous concernant."
Les rouages de mon esprit fonctionnaient à plein régime, en quête de cette fameuse personne. Bientôt, mon regard s'arrêta sur un jeune homme solitaire assis à la terrasse du bistrot. Il paraissait un peu perdu et naïf alors qu'il tapotait sa plume contre sa moustache, pensif. Le candidat idéal.
Sans attendre, j'attrapai Cassandre par la main et l'attirai énergiquement vers la table en question.
"Mon bon monsieur ! Oui, vous !"
Surpris, le jeune homme leva la tête vers nous et fronça les sourcils. Il ferma fébrilement son grand carnet alors que je m'installai à côté de lui.
"Je vous paye grassement si vous acceptez de jouer le fiancée de cette ravissante demoiselle l'espace de quelques heures. La formule est osée, mais je vous assure que quand elle reste silencieuse, elle est la plus adorable créature au monde."
A la réflexion, ma proposition pouvait paraître des plus indécentes. Craignant les foudres de Cassandre, je perdis mon expression débonnaire et décidai de la présenter d'une façon plus élégante que comme une jument à... monter.
"C'est une jeune fille de noble famille, son honneur doit rester intact. Vous avez seulement à faire semblant de la courtiser. Combien voulez-vous ? Cent francs ? Deux cent ?"
J'estimais que c'était cher payé pour badiner, mais l'argent n'était pas un souci. Le jeune homme se rattatina sur sa chaise tout en nous jetant des regards embarrassés et anxieux. Apparemment, il était très impressionnable. Peut-être avais-je mal choisi ma cible ? Je le détaillai rapidement avec une moue.
"A en juger l'état de vos souliers ainsi que l'usure de votre manteau, vous êtes dans le besoin. Qui plus est, vous restez sur la terrasse en plein hiver. Vous ne consommez rien. Ce serait pure folie de refuser de l'argent si facilement. Je vous assure qu'il n'y a aucune entourloupe, même si je peux comprendre votre réticence."
Le jeune homme ouvrit la bouche, hésita, la referma et secoua la tête tout en tapant nerveusement la pointe de sa plume contre le carnet fermé. Je remarquai alors les tâches d'encre caractéristiques sur sa main droite.
"Vous écrivez ?" m'enquis-je, de plus en plus intrigué par ce petit monsieur.
C'était sans nul doute la rencontre la plus abracadabrante de toute sa vie. Ce furent à ses doigts de tapoter contre le carnet.
"Pour l'instant, je n'ai que le titre." admit-il, visiblement soulagé de parler de quelque chose de moins étrange.
"Oh, et quel est-il ?" insistai-je, vivement intéressé.
Lentement, en se mordant les lèvres, il ouvrit son carnet. Les trois mots que j'y lus me firent perdre tous sens logique, et j'en laissai échapper deux autres sans réfléchir :
"Edmond Rostand ?"
"Nous connaissons-nous ?" s'étonna-t-il -très anxieux à l'idée que cela soit le cas.
"Non mais... nous sommes de très grands fans, ma..." je tournai la tête vers Cassandre, mais ne trouvant pas de qualificatif, j'achevai par : "Et moi."
"Fans ?" répéta Edmond sans comprendre.
"Adorateurs." me rattrapai-je (voilà que j'employais des mots futuristes !). "Nous adorons vos pièces."
"Pourtant, je n'ai fait que des fours. C'est même étonnant que Poquelin m'ait commandé une comédie." fit-il en rentrant la tête dans les épaules.
J'eus un léger mouvement de tête. "Comédie" n'était pas le terme adéquat pour qualifier Cyrano de Bergerac, même si certaines tirades faisaient mouche et prêtaient à sourire.
"Nous sommes comédiens." précisai-je, sautant sur l'occasion pour perfectionner le mensonge bancal du début. "Mon... amie (ah, le mot était enfin sorti de ma bouche) va bientôt jouer Camille dans "On ne badine pas avec l'amour", et elle a besoin d'expérimenter certaines émotions afin de saisir pleinement l'essence du personnage. Nous vous serions infiniment reconnaissants si vous acceptiez, monsieur Rostand."
Je me trouvais talentueux, à la frontière du génie. Edmond me semblait trop gentil pour refuser. Tranquillement, je levai la main vers le serveur qui venait de sortir du bistrot et lui commandai trois cafés ainsi que plusieurs croissants. Tout compte fait, cette journée dans le passé s'annonçait très bien. Nous avions fait une agréable rencontre et ma réputation ne risquait plus d'être entachée.
De mon vivant (l'expression me faisait doucement sourire), j'avais beaucoup apprécié de rencontrer des auteurs contemporains, comme madame Sand ou l'inégalable monsieur Hugo. Je n'avais pas eu l'occasion de le faire avec Edmond Rostand, mais l'erreur venait d'être réparée.
D'ailleurs, à présent que nous étions plus détendus, il fallait que je corrige un impair de toute urgence.
"Merci." dis-je à Cassandre avec reconnaissance. "C'est un cadeau inestimable. Quelque peu houleux, mais on s'en accommodera."
Je lui adressai un petit sourire avant de me focaliser de nouveau sur Edmond qui sourcillait sans comprendre.
"Ah, voilà les croissants !" m'exclamai-je, ravi en voyant le serveur revenir avec un plateau chargé.
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Parfois on ne connait pas la vraie valeur d'un moment, jusqu'à ce qu'il ne devienne plus qu'un souvenir.
Comment voulait-il que quelqu'un le reconnaisse à cette époque ? Il l'avait dit lui même, il avait 69 ans. Il était bien loin de les avoir avec des fesses pareil. J'avais vue des gravures de lui et des photos de quand il serait bien plus vieux, et franchement, ça ne valait pas le détour. Heureusement qu'on s'était connu avant. Bien que d'un côté, ça n'avait rien changé, vue qu'il y avait mon Apollon. Et puis, au moins lui il allait rester jeune et sexy pour le restant de ses jours. En espérant bien sûr que ça ne lui viendrait pas à l'esprit un jour de se vieillir. J'avais déjà vue son apparence plus âgée, et c'était bien mieux ainsi. D'ailleurs, il ne l'avait gardé qu'une seule journée, juste pour un délire personnel. Je n'avais pas compris pourquoi et j'étais bien heureuse de ne pas le fréquenter à cette époque. C'était peut-être le seul moment où il ne ressemblait pas à un Apollon à mes yeux.
Quoi qu'il en soit, pour ce qui était de Jules, on ne le reconnaitrait pas. Enfin sauf si on croisait quelqu'un qui l'avait déjà vue à cet âge. Est ce que c'était ce qu'il voulait insinuer ? Là oui, ok. Il n'était pas si bête que ça finalement. Son cerveau fonctionnait mieux dans la vie de tous les jours que le matin quand il écrivait ses romans.
« Je vous préfère sans barbe. » dis-je en réponse à ce qu'il disait.
Si il venait à se laisser pousser la barbe, sauf si c'était que quand c'était mal rasé le matin, je serais forcé de ne plus lui adresser la parole. Je n'aimais pas les barbes. Ca cachait bien trop de choses. Du moins ça donnait l'impression de cacher certaines choses. J'ignorais quoi. Mais en tout cas, je n'aimais pas.
Je n'avais pas tout compris de ce qui avait suivi. Jules voulait me marier avec un parfait inconnu. Je n'avais pas riposté, car ça lui ressemblait bien d'avoir des idées stupides. Il omettait juste un détail.
« Cet homme est flasque. » avouais-je en le dévisageant de bas en haut et en jetant un petit coup d'oeil vers ses fesses.
J'avais dit ses fesses ? Je voulais dire son absence de fessier. Si il voulait que je joue le rôle de sa fiancée, il allait falloir que je sois vraiment bonne comédienne et qu'on tombe que sur des attardés. Personne goberait qu'une femme aussi séduisante et merveilleuse que moi, soit avec un type aussi... aussi... ben un banal type quoi.
« Par cadeau vous entendez quoi ? Ce type, ou ce voyage ? Parce que ce n'est pas vraiment... »
Je n'avais pas eu le temps de finir ma phrase que Jules avait enchainé sur ses croissants. Cet homme m'épuisait. Tournant la tête vers l'homme qui était mon fiancé, je lui avais adressé un faux sourire auquel il avait répondu. C'est qu'il était con en plus. Du coup j'avais accentué mon sourire pour lui faire plaisir. Il fallait venir en aide, même et surtout aux pauvres d'esprits. Je venais de faire ma bonne action de la journée.
« On est censé adorer qui ? » demandais-je en regardant discrètement - ou pas vraiment - le nom de l'homme et surtout de ce qu'il écrivait.
Là je fus un tout petit plus surprise que d'ordinaire. Cyrano de Bergerac. C'était pas ce film avec Jeremy Irons qui se la jouait très sexy comme lui seul savait l'être ? Je m'étais remise correctement sur ma chaise, tout en détaillant l'homme. Flasque d'accord, mais il savait écrire ? C'était le scénario du film sur lequel il penchait ? Après une petite réflexion de quelque secondes seulement, je m'étais dise qu'avant d'être un film, ça devait être un livre. Du coup, il n'était pas le cinéaste, mais l'auteur. Ca faisait redescendre le mérite qe j'avais pour lui, mais bon.
« Tiens, ben ça tombe bien qu'on soit tombé sur vous, car je me suis toujours posé une question. Pourquoi il meurt à la fin ? C'est vrai quoi ! Il aurait pu avoir une vie heureuse. Je suis d'accord que son nez n'était pas à son avantage. Mais si en vrai il ressemblait à Jeremy Irons quand il a endossé le rôle, avec des fesses pareilles, on pourrait largement faire abstraction de son nez. »
J'avais dit que Jeremy avait de magnifiques fesses ? Jules avait de quoi en être jaloux. Car oui, ce n'était pas lui qui avait les meilleures. Et en plus Jeremy avait quelque chose dans le regard. On sentait qu'il était vilain. Oh oui qu'il était vilain ! En rentrant, il allait falloir que j'ai une conversation sérieuse avec mon homme. En tout cas, une chose était sûre, je ne comprenais pas pourquoi Cyrano mourrait.
« En plus une poutre. Y'a mieux comme mort quand même... »
Jules devait partager son regard, vue qu'il était resté sans voix depuis un petit moment et qu'il me fixait. Au moins un qui était d'accord avec moi.
Jules Verne
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C'est un roc !… C'est un pic !… C'est un cap !… Que dis-je, c'est un cap ?… C'est une péninsule !
J'étais suffoqué par l'envergure de la catastrophe engendrée par Cassandre. N'avait-elle aucune conscience de l'ampleur du désastre ? Elle venait de dévoiler la fin de Cyrano de Bergerac à son auteur, qui n'avait pour l'instant que le titre de la pièce. J'aurais voulu l'interrompre mais la désinvolture de ses propos m'avait fait m'étrangler avec mon croissant. Incapable d'intervenir, j'avais tenté vainement de couvrir ses paroles avec ma toux. Hélas, Edmond avait tout entendu. Ses yeux écarquillés fixaient la jeune femme sans ciller, tétanisé de stupeur. Je l'observai avec anxiété, redoutant la suite. Enfin, il s'anima, battit des paupières et je crus jurer voir sa moustache frémir.
"Excellent. Vraiment excellent ! Puis-je noter toutes vos suggestions, mademoiselle ?"
Sans attendre d'approbation, il ouvrit son carnet, trempa sa plume dans l'encrier et commença à écrire frénétiquement dedans. Comme il ne se souciait plus de nous -la part belle de l'écrivain à s'isoler du monde pour se rendre dans un autre qui n'appartient qu'à lui- j'en profitai pour me lever et saisir énergiquement la main de Cassandre afin de la forcer à se lever. Après quoi je l'emmenai plusieurs mètres plus loin sans aucune délicatesse.
"Avez-vous perdu l'esprit ?" la grondai-je.
Ce qui m'exaspérait le plus était sans conteste son absence de réaction. A croire qu'elle ne voyait pas le mal dans sa récente action. Indubitablement, elle était une incorrigible tête à claques.
"Vous me recevez ? Un deux un deux ?"
Cette voix informatisée issue de nulle part m'arracha un frisson. Je sentais que ce n'était que le début de cette immense mascarade. Et pour cause : Elliot apparut quelques secondes plus tard, vêtu d'une tenue de commando, un bandeau rouge autour de la tête et d'un fusil impressionnant. Fort heureusement, il avait eu la présence d'esprit de se manifester à l'entrée d'une ruelle sombre, qui s'apparentait davantage à un mince espace entre deux bâtisses. Les passants ne l'avaient donc pas remarqué, mais il gâcha bientôt tous ses efforts en s'élançant vers nous. Je plaquai une main contre ma bouche et lui tournai le dos, refusant de considérer ce nouvel anachronisme. Un regard en direction d'Edmond m'apprit qu'il était toujours focalisé sur ses notes. Tant mieux. En fait, seule la petite vendeuse d'allumettes nous regardait de tous ses yeux. En raison de son jeune âge, nul n'accorderait de crédit à ses histoires, si jamais elle décidait de les raconter. Pauvre enfant... mieux valait pour elle qu'elle garde le silence, sans quoi on la traiterait de folle.
Dans un soupir, je pivotai de nouveau vers Elliot qui venait de se stopper devant nous, son fusil nonchalamment pointé vers moi. Je le baissai avec ma main et il eut un rire entendu.
"Oh t'inquiète, c'est pas un vrai ! J'étais en train de dégommer du zombie quand je me suis rendu compte que je ne vous avais peut-être pas envoyé au bon moment ! Enfin c'est Cassie qui chope ce qu'il faut pour voyager mais j'ai établi le trajet. C'est compliqué. Je ne sais pas vraiment comme ça marche, en tous cas ça marche."
Il lança un regard sceptique à sa fille avant d'esquisser une moue. Soudain, il sembla s'apercevoir de sa tenue victorienne et ses yeux s'illuminèrent.
"Tu es jolie comme un coeur, ma puce ! Hein qu'elle est belle ?"
Il venait de me poser la question et pris au dépourvu, je balbutiai :
"Certes. L'élégance incarnée."
Puis, j'ajoutai d'un ton pincé :
"Elliot, pourrais-tu...?"
"On est en quelle année ?"
"1897."
"Ah voilà. J'ai foiré." fit-il avec un coup d'oeil entendu en direction de Cassandre. "Pas grave. Accrochez-vous à vos perruques, ça va swinguer !"
Sans attendre, il nous attrapa par le bras. L'instant d'après, nous apparaissions dans la même rue parisienne. J'aurais pu croire que nous étions à la même époque si le café ne portait pas un autre nom. Edmond ne se trouvait plus assis à la terrasse, et la petite marchande d'allumettes n'était plus là non plus.
"1884. Cette fois, c'est la bonne." annonça Elliot.
Je fronçai les sourcils, de plus en plus déconcerté et irrité par ces sauts temporels. En quoi 1884 était-elle plus plaisante que 1897 ? Hormis le fait qu'à ce temps-là, j'avais cinquante-sept ans au lieu de soixante-neuf.
Il me tapota l'épaule plusieurs fois.
"Je vous laisse." dit-il avec un sourire beaucoup trop large. "Encore bon anniversaire, mon vieux. Profite-en bien."
Sur ces mots étranges et bizarrement inquiétants, il disparut, me laissant seul avec Cassandre.
"Va-t-on enfin m'expliquer ce qui se passe ? Quel est l'intérêt de tout ceci ?" m'écriai-je, au comble de la commisération et de l'agacement. "Si vous avez décidé de me faire tourner en bourrique, et bien c'est réussi."
crackle bones
Neil Sandman
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| Conte : ➹ Hercule | Dans le monde des contes, je suis : : ✲ La fille de Dumbo & Elliot *-*
Parfois on ne connait pas la vraie valeur d'un moment, jusqu'à ce qu'il ne devienne plus qu'un souvenir.
Papa était venu à nous rescousse, en nous redirigeant vers la bonne année. J'aurais pu l'appeler, ou du moins trouver un moyen de le faire, mais je trouvais que cette année n'était pas mauvaise. Enfin bon, ça mettait un peu mon cadeau en péril si on n'était pas au bon moment, au bon endroit. Qu'est ce qu'il ne fallait pas faire pour rendre heureux l'écrivain. Même si je n'étais pas sûr qu'il le méritait, vue ce qu'il me faisait subir en continue. J'étais une amie bien trop gentille et généreuse. Il n'avait même pas idée à quel point !
« On se calme petit bonhomme ! » m'exclamais-je à l'intention de Jules, tout en posant une main sur son torse.
Ce n'était pas pour avoir un contact. Simplement pour le faire taire. D'ailleurs, je l'avais très vite ôté. Il allait encore s'imaginer plein de choses et me rappeler que j'avais un mari. Ou plutôt, un futur mari. Quoi qu'il en soit, il fallait qu'il se détente, car il n'apprécierait pas le cadeau si ça continuait ainsi.
« Le changement temporel n'était pas prévu. Papa n'a pas tout bien programmé, comme il le fait d'ordinaire. Sans doute qu'il était trop pressé de retourner à son jeu de combat. » dis-je en levant les yeux au ciel. « En tout cas... » ajoutais-je avec un petit sourire.
Et là... j'avais même eu l'envie subite de faire un soulèvement de sourcil aguicheur. C'était pas moi qui le faisait. Enfin si, mais c'était plus pour illustrer la suite. Qui ne viendrait pas de moi bien entendu, car je n'étais pas l'autre. Qui plus est, je n'aurais pas voulu être l'autre. De toute façon, il n'y avait rien à déballer chez moi. Pas avec ces doigts là. Ceux d'Apollon savaient très bien déballer ce genre de cadeau comme un grand, et ça m'allait très bien.
« Elle est à une rue d'ici. Je vous fait le topo. Va falloir être attentif. »
Je voulu retrousser mes manches, mais avec ce que je portais, ce n'était pas évident. J'avais absolument tout prévu pour l'heure qui allait suivre !
« Il vous suffit de vous rendre dans la ruelle voisine dans très exactement dix minutes. Vous allez au croisement de la rue, et vous attendez qu'un passant vêtu tout en noir passe. Une fois fait, vous vous engagez dans la ruelle jouxtons celle là et vous tomberez nez à nez avec elle. C'est possible que vous me voyez aussi au loin, mais faudra pas prêter attention. Tout comme Papa. On a juste voulu tester le moment propice. D'ailleurs, je ne comprends pas comment il a pu se planter d'années ensuite... mais bon. »
Il avait surement du mal à tout enregistrer à son âge. Du coup, j'hésitais à sortir un petit calepin pour tout lui noter, voir lui faire un schéma. Ou alors, simplement tout lui répéter. Mais bon, si ça se trouvait, il avait aussi peut-être tout enregistré. Sa mémoire fonctionnait si bien ? J'avais un doute. Je plissais les yeux, en l'observant, sceptique. Bon, de toute façon, on n'avait pas beaucoup de temps devant nous. Je posais mes deux mains sur son pantalon, afin de le relever pour qu'il soit à la bonne hauteur.
« Faut être à 100% opérationnel. Elle sera attentive à tous les détails. J'ai même prévu ce qu'il faut pour ça... » dis-je en désignant ses joues et en faisant apparaître une fausse barbe dans ma main. « Il suffira de la porter quand vous la verrez, et ensuite, vous absenter quelque minutes pour faire style que vous l'avez rasé. Ca expliquera aussi le côté plus jeune. Bien que vous ne faites pas si jeune... »
Il avait tout de même quelques rides au coins des yeux. Et puis aussi à proximité des oreilles. Et... j'avais jamais prêté attention à ses oreilles. Elles étaient plutôt grandes. Est ce qu'il le savait ? Faut dire qu'il était plutôt grand. Pourquoi il s'acharnait tellement à vouloir ressembler à mon Apollon ? Oublions tous ces détails, j'avais enchainé sur la suite en faisant apparaître une canne.
« Voilà. Ca c'est pour le côté handicapé. Faut pas en avoir honte à votre âge. » dis-je avec un sourire taquin.
Puis, je le poussais en direction de la ruelle. Fallait vraiment tout faire. En plus, il donnait l'impression de ne pas comprendre. Fallait être plus claire. J'en revenais pas qu'il allait me pousser à tout lui expliquer en détail. Manquait plus qu'il me demanderait comment qu'il devrait faire une fois tout nu... C'est Apollon qui serait content si je devais lui montrer !
« Je vais résumer la chose simplement. Elle est exactement comme à l'époque. Je ne sais pas à quoi elle ressemblait nue, mais là elle est habillée. Et elle ne s’attend pas à vous voir. Vous étiez en voyage je ne sais plus où. Et c'est d'ailleurs le seul voyage évoqué clairement dans votre biographie. Tout ça pour dire, que c'est sûr à 100% que Jules Verne n'est pas ici. Du moins pas son Jules Verne. La suite, je ne vous l'explique pas. Y'a pas d'églises à proximité, mais y'a surement des hôtels. Ca devrait faire l'affaire. De toute façon, y'en a pour combien ? Une à deux heures max ? Et encore, je vous surestime surement. Mais j'inclus aussi le fait que vous n'y arrivez pas du premier coup. Après tout, vous n'avez plus vue de vagin depuis quand ? Et ne me parlez pas de cette Mary, car vous n'avez rien eu le temps de voir. »
De toute façon, si il me ressortait cette catin, je le frapperais. On ne faisait pas ce genre de choses devant une église. En tout cas, pas quand il y avait des flics à proximité. Il était débile ou quoi ?!
« Estelle. » précisais-je. « Et là pas question de me dire que je vous offre une pute. Bien que si j'ai bien lu, elle avait un mari. Vous ne fréquentez que des femmes faciles ou quoi ? » ajoutais-je en plissant les yeux, avant de me rendre compte qu'il fréquentait aussi des femmes honorables.
Par exemple, il y avait moi. Et Ellie. On était au moins deux à ne pas songer constamment à tromper notre homme. Bien que dans le cas de Ellie, elle ne songeait même pas à coucher avec son homme. Ce qui était un comble, car Anatole était vraiment pas mal du tout. Et c'était un Titan. Il devait sans doute tenir très très très longtemps. Bref... tout ça pour dire, que ça devait être titanesque avec lui, et que comme il était mon meilleur ami, et mentor, faudrait mieux que je songe à autre chose qu'à lui, dans ce genre de situation... tout ça à cause de Jules, qui plus est !
« On peut la voir comme une Call Girl. C'est pas une pute sur la plage, c'est une femme de luxe. Pour pas dire l'autre mot que vous n'aimez pas. En tout cas, elle est là, à une ruelle d'ici et elle ne va pas tarder à se trouver précisément au croisement. D'ailleurs, je ne la voyais pas comme ça. Elle est plutôt pas mal. Vous avez une heure tout au plus. Vous faites votre petite affaire. Vous ne perdez pas votre temps à vous remémorer le passé. De toute façon, elle ne comprendrait pas. Ah oui, faut pas qu'elle sache pourquoi vous êtes là. Et ensuite vous revenez. Et surtout... inutile de me remercier. Je voulais faire original pour votre cadeau cette année. » achevais-je avec un grand sourire, confiante.
J'étais persuadé qu'il était déjà au taquet, rien que d'imaginer être une nouvelle fois avec sa Estelle. J'aurais pu choisir sa femme, mais il aurait sans doute était moins heureux.
« Allez, on respire un grand coup et on passe enfin à l'acte ! » m'exclamais-je avant de sortir de ma poche une petite pilule et de lui tendre. « Ca c'est au cas où. Je ne sais pas si vous en êtes déjà là où pas. »
Jules Verne
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... nous risquerions d'être bien ennuyés s'ils se réalisaient.
Je tenais la fausse barbe dans une main, la canne dans l'autre. J'entendais les paroles de Cassandre mais je peinais à les comprendre, comme si mon cerveau était engourdi. Etait-ce dû aux multiples déplacements temporels ? Après tout, mon organisme n'était pas adapté à ce genre de bouleversements répétés et comme la jeune femme l'avait fait si bien remarqué, je n'étais plus si jeune.
Contrairement à mon habitude, je restai muet de stupéfaction. Cassandre avait plus ou moins avoué qu'elle avait lu une de mes biographies afin de bien se renseigner sur le jour et l'année à choisir. Tout le plan semblait extrêmement bien huilé et réfléchi pour que je retrouve... Estelle. Mon Estelle. La lumière qui avait éclairé les trop brèves années de ma première vie.
Les termes employés par Cassandre pour la désigner me hérissèrent, mais j'étais bien trop sous le choc pour trouver une réplique cinglante. J'éprouvai le besoin d'aller m'appuyer contre le mur d'une bâtisse afin de me donner le temps de me ressaisir. Je fronçai les sourcils alors qu'elle me tendait une pilule "au cas où". Au cas où quoi ? Je repoussai sa main avec un peu trop de brusquerie.
"Vous êtes incorrigible." laissai-je échapper avec exaspération.
Pourquoi fallait-il toujours que ses marques de gentillesse soient aussi tordues ? Ne pouvait-elle pas faire comme tout le monde et offrir des chocolats ? La tête penchée, je lui lançai un regard de reproche et de scepticisme. Quel tableau elle dépeignait de moi ! C'était donc tout ce qu'elle voyait ? Il ne restait plus grand-chose de l'homme que j'avais été autrefois... Un explorateur, un cartographe de l'imaginaire, un visionnaire, aux dires de certains. Désormais, il ne subsistait plus que le pauvre Jules. Je ne pouvais pas me présenter à Estelle de cette manière, et je n'avais pas envie de retrouver l'illusion d'être quelqu'un l'espace de quelques heures. C'était absurde. Le retour à la réalité serait d'autant plus cruel et douloureux.
J'entrevoyais une alternative. L'équivalent de caresser un rêve sans le briser. Aussi je me redressai, et confiai la fausse barbe à la jeune femme.
"Je n'en aurai nul besoin."
Après tout, je pouvais prétendre à Estelle que je m'étais rasé de bon matin. D'un pas téméraire, je m'élançai vers la ruelle indiquée. Nerveux, je vérifiai mille fois mon allure, maudissant le port du jean qui allait sûrement me porter préjudice.
Enfin, elle apparut. En me voyant à quelques mètres, elle se stoppa net, surprise. Elle était le summum de l'élégance. J'avais oublié à quel point elle avait de l'allure. Sa robe de velours bleu sombre semblait avoir été cousu sur elle, et le petit manteau seyait sa taille à merveille. Son chapeau était légèrement penché de côté, à la dernière mode. Ses yeux bleu glacier accrochèrent les miens ; je m'y noyai sans hésiter.
Elle eut un instant d'hésitation en me voyant approcher.
"Jules ?" laissa-t-elle échapper, étonnée.
La ruelle étant déserte, j'en profitai pour lui prendre hardiment la main. Ce contact me fit frémir tout entier. La chaleur de sa peau, si vivante, raviva tout un torrent de souvenirs aussi merveilleux que douloureux. Sa main libre alla cueillir la rondeur de ma joue, qu'elle caressa avec une familiarité qui provoqua une émotion très grande chez moi.
"Plus de barbe ?" fit-elle avec un sourire. "Ce n'est guère à la mode, mais ça te rajeunit d'au moins dix ans."
Seulement ? songeai-je avant de secouer légèrement la tête, car ce n'était pas important, en fin de compte.
"Tu m'as tellement manquée." avouai-je d'un ton rauque, chargé de mélancolie.
"Il est vrai que l'on s'est quitté un peu précipitamment autrefois, mais... tu es rarement aussi expansif." dit-elle en m'observant avec un regard neuf. "Tu as quelque chose de... changé."
Je clignai des yeux, déstabilisé par ses paroles. Je ne pensais pas qu'elle serait si prompte à remarquer que je n'étais pas exactement le même. Je devais me comporter comme le Jules que j'avais été. Hélas, trop dérouté par sa présence, je ne savais plus. Je ne parvenais plus à me souvenir.
"J'aurais dû te le dire chaque jour, que tu me manquais. J'aurais dû... j'aurais dû trouver le courage de..."
Je m'interrompis. C'était encore pire de vouloir changer un passé figé. A quoi bon ? Ca me faisait mal, et ça la perturbait davantage. Elle fronça les sourcils avec un sourire incertain.
"Tout va bien ? Que fais-tu ici ? Je ne pensais pas te trouver à Paris en cette période."
"Des obligations." répondis-je évasivement. "Je ne pouvais résister à la tentation de te voir, même si c'est pour un court moment."
Elle pencha la tête tout en me regardant toujours, avec ce petit sourire irrésistible qui me donnait envie de la croquer. La tentation était terrible, au-delà de tout ce que j'avais déjà eu à subir.
"Très jolie initiative." nota-t-elle, visiblement touchée par l'attention.
"Mon fiacre attend dans l'autre rue. Je dois y aller." mentis-je, la mort dans l'âme.
Si je restais une minute de plus en sa présence, je savais que j'allais succomber à la tentation. Je ne pouvais me le permettre. Malgré l'incitation de Cassandre, ce n'était pas bien. Je n'étais plus le même. Estelle le remarquerait. Et je ne pouvais me servir d'elle. C'était ignoble, indigne. Nous avions vécu une belle histoire. Elle devait rester ainsi.
"J'ai quelque chose à te dire."
Cependant, au lieu de parler, elle se contenta de prendre ma main et de la poser contre son ventre, la gardant serrée dans la sienne. Alors, j'eus l'impression qu'une pierre venait de tomber dans ma cage thoracique. Ses yeux pétillèrent tandis que je m'efforçais d'esquisser un sourire vacillant. J'ouvris la bouche mais ne parvenant à ne rien dire de concret, elle se contenta de hocher plusieurs fois la tête.
"Il est de toi. Je veux qu'il soit de toi." murmura-t-elle avec émotion.
Le chagrin formait une boule dans ma gorge. Elle m'annonçait qu'elle portait mon enfant, et c'est ce qui allait la tuer dans moins de huit mois. Ensuite, mon existence n'avait plus été la même. J'avais eu l'impression de subir une lente descente aux enfers. La mort de mon mentor Pierre-Jules et celle de mon cher Paul.
Afin qu'elle ne voit pas mon visage crispé de douleur, je l'approchai de moi et posai ma main libre contre ses cheveux, de sorte à ce qu'elle laisse sa tête aller contre mon torse.
"C'est merveilleux." parvins-je à articuler au prix d'un terrible effort.
Estelle considéra mon émotion pour de la joie. Après quelques secondes, elle sautilla et passa ses mains autour de ma nuque, si vivement que je n'eus pas le temps d'esquiver le baiser. Avais-je vraiment envie d'y échapper, de toutes façons ? Notre étreinte fut tendre et passionnée, saupoudrée de la délicatesse ardente du passé. Je la serrai contre moi comme si je souhaitais l'emporter vers l'avenir.
L'espace de quelques instants, j'oubliai le fossé qui nous séparait. J'étais redevenu Jules Verne, l'écrivain résidant dans la rue Charles Dubois à Amiens, homme respectable et respecté.
Il suffit qu'elle éloigne ses lèvres des miennes pour que je rebascule directement dans l'affreuse réalité.
Son souffle haletant se mélangeait au mien. Son corsage trop serré soulevait sa poitrine par intermittences. Au prix d'un terrible effort, je remis correctement son chapeau et me détachai d'elle.
"N'as-tu vraiment pas le temps ?" demanda-t-elle avec une moue adorable.
"Hélas, ce sont des impératifs que je ne peux repousser. Nous nous reverrons vite." promis-je.
Elle ouvrit la bouche pour insister et voulus taquiner les boutons de mon manteau mais à cet instant, un passant entra dans la ruelle. Aussitôt, elle se recula et m'adressa un signe de tête des plus distants.
"Bonsoir monsieur Verne."
"Madame Duchesne." la saluai-je tout en soulevant légèrement mon chapeau.
Elle se détourna ensuite et s'éloigna d'une démarche élégante, sa silhouette semblant flotter à travers la brume de la nuit naissante. Je restai longtemps à la contempler.
Puis, dans un soupir, j'allai retrouver Cassandre. Je ne me faisais aucune illusion. Elle avait sûrement déguerpi. Je doutais qu'elle attende au même endroit pendant une heure ou deux. Pourtant, elle était encore là. Elle allait sûrement se demander comment j'avais pu être aussi "rapide". Ses potentielles répliques sarcastiques m'agaçaient déjà.
"Rentrons, s'il vous plaît." dis-je d'un ton autoritaire. "L'affaire est close. Estelle est comblée. Cela suffira comme compte rendu."
Je passai une main sur mon front, m'efforçant d'afficher un air réjoui. Au moins, de cette manière, Cassandre cesserait de m'importuner avec sa ritournelle sur tout ce qui pouvait se passer en dessous de la ceinture. Il était temps d'avancer.